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Full text of "Biographie universelle ancienne et moderne, ou, Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes : Ouvrage entièrement neuf"

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University  of  Ottawa 


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BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERN 


/\/w%nM%/%/\n'wwv%i\/%/%/Wkj%\/\j9is/\f%/v%f%/\/v% 


VAU  —  VILLA, 


DE    L'IMPRIMERIE   D'ÉVERAT, 

RUE   DU    CADRAN,    N".    l6. 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE, 

ou 

HISTOIRE,  PAR  ORDRE  ALPHABETIQUE,  DE  LA  VIE  PUBLIQUE  ET  PRIVEE  DE 
TOUS  LES  HOMMES  QUI  SE  SONT  FAIT  REMARQUER  PAR  LEURS  ECRITS  , 
LEURS    ACTIONS,    LEURS    TALENTS,    LEURS    VERTUS   ET    LEURS    CRIMES. 

OUVRAGE       ENTIÈREMENT     NEUF, 

RÉDIGÉ  PAR  UNE  SOCIÉTÉ  DE  GENS  DE  LETTRES  ET  DE  SAVANTS. 


On  doit  des  égards  aux  vivauts  ;  un  ae  doit  aux  luorts 
que  la  vérité.  (VoLT. ,  première  Lettre  sur  OEdipe.) 


TOME  QUARANTE-HUITIÈME. 


A  PARIS, 

CHEZ  L.  G.  MICHAUD,  LIBRAIRE  -  ÉD ITEUR  , 

PLACE   DES   VICTOIRES  ,  N".    3. 

BfîLfOTHfCA 


b^v^.'^^/*'^' %^*^^^ 


SIGNATURES    DES   AUTEURS 


DU  QUARAISTE-HUITIÈME  VOLUME. 


MM. 


MM. 


A. 

Barante. 

M— Dj. 

MiCHAUD  jeune. 

A.  B— T. 

Beuchot. 

M— É. 

MONMERQUÉ. 

A-D— R. 

Amar  Dorivier. 

M — G — R. 

MiGER. 

A.  R— T. 

Abel-Remdsat. 

M LE. 

Mentelle. 

A T. 

H.  Audiffret. 

M— n — D. 

MONNOD. 

B-r. 

De  Beatjchamp. 

M ON. 

Marron. 

Bu— N. 

BtJCHON. 

M— s— N. 

De  Maussion. 

C.  T— T 

Coquebert  de  Taizt. 

P— c— T, 

Picot. 

C V R. 

CCVIER. 

P— OT. 

Pari SOT. 

D— G— S. 

Desgenettes. 

P  — RT. 

Philbert. 

D — M — T. 

Demusset-Pathay. 

P— s. 

Pjériès. 

D— N— U. 

Daunou. 

Q.Q 

QCATREMÈRE    DE  QuiNCT. 

D-P. 

Depping. 

R— c— D. 

Richerand. 

D— R— R. 

DcRozoïn. 

R— D— N. 

Renauldin. 

D-s. 

Desportes-Boschehon. 

R M — D. 

Raymond. 

D— z— s. 

DezOS    de    la    PiOQUETTE. 

R-T. 

Roquefort. 

E— s. 

Eyriès. 

s.  D.  S-T. 

Sn  VESTRE    DE  SaCY. 

F— A. 

Fortia-d'Urbait. 

s RD. 

SiCARD. 

F.  P— T. 

Fabien  Pillet. 

S.  S-i. 

SiMONDE-SiSMONDI. 

G CE. 

Gence. 

St T. 

Stassart. 

G  —  RD. 

Gdérard. 

s — V — s. 

De  Sevelinges. 

G-Y. 

Gley. 

T— D. 

Tabaraud. 

H— Q-N. 

Hennequin. 

T.  D.  B. 

Thiébaut  de  Berneaud. 

J.  M— T. 

MiCHELET. 

Ug— I. 

Ugoni. 

L. 

Lefebvre-Catjchy. 

U— I. 

Ustéri. 

L B E. 

Labouderie. 

V-G-R. 

ViGUIER. 

L — c — J. 

Lacatte-Joltrois. 

V.  s.  L. 

Vincens-Saint-Ladrent. 

L — DE. 

Lestrade. 

V— VE. 

VlLLENAVE. 

L p E. 

HlPPOLITE  de  Laporte. 

W— S. 

Weiss. 

L — s E. 

Lasalle. 

Z. 

Anonyme . 

L-Y. 

LÉCCY. 

BIOGRAPHIE 


UNIVERSELLE. 


V 


VaU  (Louis).  V.  LavAu  et  Le- 

VAU. 

VAUBAN  (  Sebastien  Le  Pres- 
TKE  de)  ,  maréchal  deFraucc,  naquit 
en  i6j3,  à  Saint-Léger  de  Fouche- 
z'et,  près  de  Saulieu  en  Bourgogne, 
d'Urbain  Le  Prestre  et  d'Aime'e  de 
Garmagnol.  Son  père  mourut  au  ser- 
Tice,  laissant  une  fortune  dérangée, 
une  veuve  qui  le  suivit  de  près  j  et 
des  enfants  sans  ressource.  La  terre 
de  Vauban  fut  mise  en  séquestre ,  et 
celui  qui  devait  en  illustrer  le  nom 
se  vit  orplielin  dès  l'enfance ,  sans 
protecteur  et  sans  appui.  M.  De 
Fontaines,  prieur  de  Saint -Jean  à 
Semur  ,  le  recueillit  ■  lui  apprit  à 
lire,  à  écrire,  à  calculer,  et  lui 
donna  les  premiers  éléments  de  géo- 
métrie. Vauban  vécut  ainsi  jus- 
qu'à sa  dix-septième  année  ,  avec 
des  compagnons  rustiques  ,  dont 
il  partageait  les  jeux  et  souvent  les 
travaux.  Des  courses  dans  les  mon- 
tagnes ,  de  violents  exercices ,  le  ren- 
dirent agile  et  robuste.  C'est  au  milieu 
d'une  population  livrée  à  une  vie  la- 
borieuse et  pénible,  qu'il  reçut  ces 
premières  impressions  qui  se  renouve- 
lèrent plus  tard ,  et  le  déterminèrent 
à  s'occuper  du  projet  de  soulager  le 

XLVIU. 


peuple ,  dont  il  avait  connu  la  misè- 
re. L'indépendance  où  le  laissait 
vivre  le  prieur  de  Saint  -  Jean  fi- 
nit par  l'ennuyer.  Il  se  sentait  ap- 
pelé à  d'autres  destinées.  Le  sou- 
venir de  son  père  ,  l'exemple  de 
ses  oncles ,  de  ses  frères ,  de  tous  ses 
parents  ,  qui ,  au  nombre  de  onze , 
étaient  sous  les  armes,  lui  faisaient 
honte  de  son  oisiveté.  Seul ,  ne  pre- 
nant conseil  que  de  lui-même,  il  s'é- 
chappe ,  à  peine  âgé  de  dix-sept  ans, 
et  se  rend  à  pied  à  l'armée  espagno- 
le ,  dans  le  régiment  du  grand  Cou- 
dé ,  qui  le  reçut  comme  cadet.  Il  dut 
bientôt  à  sa  bravoure,  autant  qu'à 
sa  naissance  ,  le  grade  d'officier. 
Faisant  marcher  de  front  l'étude  et 
le  service ,  il  acquit  rapidement  de 
l'instruction  ,  réfléchit  sur  les  diver- 
ses parties  de  l'art  militaire,  et  se 
décida  pour  celle  qui  exigeait  le  plus 
de  connaissances ,  et  dans  laquelle 
l'art  funeste  de  détruire  les  hommes 
peut  être  soumis  en  quelque  sorte  à 
l'art  de  les  conserver.  Il  devint  in- 
génieur, et  comme  le  dit,  avec  autant 
d'élégance  que  de  justesse,  un  auteur 
digne  de  l'apprécier  :  «  Les  travaux 
»  des  fortifications  souriaient  à  son 
»  génie,  et  les  dangers  des  sièges  plai- 


1  VAU 

»  saicntà  son  courage  »  (O-  Ce  fut 
à  Clermont    qu'eurent  lien  ses  pre- 
miers travaux  eu  celte  qualité.  Com- 
me il  s'occupait  des  fortilications  de 
cette  place  ,  il  fut  appelé  au  siège  de 
Sainte -Menehould.  Au   moraent  de 
l'assaut,  il  se  jette  dans  la  rivière, 
et  la  traverse  à  la  nage  sous  le  feu 
de  l'ennemi,  étonne'  de  sou  audace. 
Cette  action  hardie  le  fit  connaître; 
son  nom  retentit  dans  le  public  ,  et 
ce  fut  ainsi  que  ses  parents  appri- 
rent pour  la  première  fois  de  ses  nou- 
velles. Ayant  été  arrêté  par  un  parti 
de  royalistes,  il  fut  conduit  à  Ma- 
zarin  ,  déjà  instruit  de  ses  exploits. 
Ce     ministre    l'accueillit     d'autant 
mieux ,  qu'il  ne  voulait  pas  laisser 
dans  les  rangs  des  ennemis  de  l'état 
un  of&cier  de  ce  mérite.  Vauban , 
d'ailleurs ,  séduit  par  l'éclat  des  lau- 
riers de  Gondé ,  n'avait  eu  d'autre 
motif   que   d'en   cueillir    sous    ses 
drapeaux.  Mazarin  obtint  pour  lui 
une    lieutenance   dans   le   régiment 
de  Bourgogne.   Bientôt  Yauban  va 
rejoindre  le   chevalier  de  Clerville, 
l'ingénieur  le  plus  renommé  de   ce 
temps.   Il  assiège  et  reprend  avec 
lui   Saiute-Menehould  ,  puis  Stenay, 
où   il  reçoit  ime  blessure ,  et  trois 
mois  après  ,  reparaît  sous  les  murs 
de  Clermont.  C'est  dans  cette  ville 
qu'il  obtint  (i655  )  le  brevet  d'ingé- 
nieur, objet  de  tous  ses  vœux.  Plein 
d'ardeur,  il  dirige,  dans  la  même 
année,  sous  les  yeux  de  Clerville,  les 
attaques  de  Landrecies,  de  Coudé  ,de 
SaintGuislain.  Etonné  de  ses  succès, 
le  maréchal  de  La  Ferté  lui  en  fait 
voir  de  plus  grands  dans  l'avenir, 
et  lui  donne  une  compagnie  dans  son 
régiment.  Mazarin  lui  accorde  une 
gratification  ,    et   lui   adresse    des 


(i)  M.  Allent,  Hisl.  du  Corps  du  génie,  u  ,  45. 


VAU 

éloges  qui  ne  sont  pour  lui  que 
l'obligation  d'en  mériter  de  nou- 
veaux. Il  s'expose  à  Valenciennes,à 
Montmédy,  est  blessé  plusieurs  fois  , 
et  continue  de  s'exposer  encore.  C'est 
à  vingt  -  cinq  ans  (  i658  )  qu'il 
trouve  l'occasion  d'essayer  les  inspi- 
rations d'un  génie  qui  commençait 
à  se  développer  ;  et  il  peut  les 
écouter  et  les  suivre  dans  la  direc- 
tion des  si('gcs  de  Gravelines ,  d'Y- 
prcs  et  d'Oudenarde  ,  qui  lui  furent 
confiés.  Il  ne  s'y  livre  toutefois  qu'a- 
A'cc  cette  méfiance  de  soi-même  qui 
accompagne  toujours  le  vrai  mé- 
rite ,  mais  qui  nuit  quelquefois 
aux  élans  du  génie.  Six  années  de 
paix  ne  sont  point  pour  Vauban 
six  années  de  repos  :  les  Anglais 
venaient  de  céder  à  la  France  l3un- 
kerque ,  Fort  -  Louis  et  Mardick 
(1662).  Louis  XIV  sentant  l'impor- 
tance de  ces  places,  et  voulant  en 
faire  le  boulevard  de  l'état  contre  les 
Espagnols,  qui  possédaient  l'Artois , 
jugea  Vauban  propre  à  seconder  ses 
vues.  Il  lui  confia  !e  projet  des  ou- 
vrages et  la  direction  des  travaux 
nécessaires  pour  l'exécuter.  Vauban 
justifia  ce  choix,  et  sut  concilier  les 
intérêts  du  commerce  avec  la  défen- 
se des  places ,  au  moyen  d'un  canal 
de  communication  qui  pouvait  au 
besoin  remplir  ce  double  objet.  La 
guerre  ayant  recommencé  en  lôô-j  , 
Vauban  réduisit  à  capituler  la  plu- 
part des  places  de  la  Flandie. 
Après  avoir  disposé  les  travaux  de 
Cherbourg,  qu'il  était  chargé  de 
fortifier  ,  il  passe  à  Douai.  Une 
balle  le  frappe  à  la  joue  et  lui  laisse 
une  cicatrice  honorable  ,  que  Le 
Brun  et  Coisevoy  ont  su  reprodui- 
re, le  premier  dans  le  portrait,  et  le 
second  dans  le  buste  de  ce  grand 
homme.  Cette  blessure  ne  l'empêche 
point  de  conduire  le  siège  de  Lille. 


VAU 

Louis,  témoin  de  ses  succès,  le  nomma 
lieutenant  de  ses  gardes,  ajoutant  à 
cette  faveur  une  pension  ,  et ,  ce  que 
Vaubau  estimait  davantage,  un  éloge 
public.  Quelque  gloiieuses  que  fus- 
sent ces  conquêtes,  le  roi  n'y  mettait 
de  prix  qu'autant  qu'elles  seraient 
durables  :  l'art  de  les  conserver,  en 
améliorant  les  places  fortes  enlevées 
à  l'ennemi ,  et  en  lui  opposant  de 
nouvelles  barrières  ,  fut  confié  à 
Vauban.  Ses  talents  et  leur  heureux 
emploi  lui  avaient  déjà  donné  une 
telle  célébrité,  que  rien  en  ce  genre 
ne  se  faisait ,  ne  se  projetait  même , 
sans  qu'il  fût  consulté.  Juge  de  ses 
maîtres ,  il  est  appelé,  par  Louvois, 
à  donner  son  avis  sur  les  projets  de 
Clerville  et  de  Mesgrigny,  pour  pren- 
dre les  places  de  la  Francbe-Com- 
té^  conquête  aussi  rapide  que  glo- 
rieuse. Chargé  de  tous  les  travaux 
de  la  Flandre,  Vauban  fut  nom- 
mé gouverneur  de  Lille.  C'est  alors 
qu'il  fit  consti-uire  le  plan  en  re- 
lief de  cette  place  et  de  la  citadelle^ 
chef-d'œuvre  de  l'art ,  qui  fut  en- 
voyé au  roi  (2) ,  et  placé  dans  la  ga- 
lerie du  Louvre.  Autour  de  ce  relief, 
le  premier  de  tous ,  se  groupèrent  _, 
dans  un  court  espace  de  temps ,  les 
plans  des  autres  places.  Telle  est  l'o- 
rigine de  cette  belle  galerie  des  plans 
en  relief  qu'on  voit  aux  Invalides.  Le 
mérite  et  les  talents  de  Vauban 
étaient  devenus  si  précieux ,  que  sa 
présence  eût  été  nécessaire  à-la-fois 
sur  tous  les  points.  Pendant  qu'il 
créait  la  frontière  du  Nord ,  Louvois 
lui  donnait  l'ordre  de  visiter  les  pla- 
ces du  Midi.  Ce  ministre  étant  char- 
gé d'une  négociation  auprès  du  duc 


(a)  Ce  premier  plan  fut  fait  par  un  nommé 
Sauvage.  En  i8i5,  les  Prussiens,  au  mépris  des 
conyentions  ,  enlevèrent  vingt  -  un  reliefs  c[ui 
étaient  ceux  des  places  de  la  frontière,  depuis 
Dunkerque  ,  juscpi'au  Fort-LouiB  sur  le  Rhiu. 


VAU  3 

de  Savoie ,  l'emmena  avec  lui  • 
et  il  étudia  les  places  de  Verrue 
Vcrceil  ,  Turin  ,  Pignerol ,  et  fit 
des  plans  pour  les  fortifier.  Il  retour- 
na bientôt  en  Flandre ,  et  poursui- 
vit les  travaux  de  Dunkerque  avec 
une  infatigable  activité.  Trente  mille 
hommes  y  furent  employés  :  Louis 
XïV  fut  témoin  de  l'ordre  merveil- 
leux qu'il  établit.  Les  troupes  pas- 
saient successivement  du  camp  aux 
travaux ,  des  travaux  au  camp  5  on 
se  relevait  de  quatre  en  quatre  heu- 
res ,  sans  qu'il  y  eût  le  moindre  trou- 
ble. Vauban  ne  se  contentait  pas  de 
pratiquer  son  art  ;  sans  cesse  il 
lui  faisait  faire  de  nouveaux  pro- 
grès ,  enfin  il  le  porta  bientôt  à 
sa  plus  grande  perfection.  Le  sys- 
tème des  inondations  ,  ce  grand 
moyen  de  défense  était  incomplet, 
et  nuisait  même  souvent  à  ceux 
qu'il  devait  garantir-  Vauban  eu 
fit  disparaître  tous  les  inconve'- 
nients  ,  et  il  en  augmenta  l'utilité. 
Attentif  aux  moyens  de  conserver 
les  hommes,  il  ménagea  entre  l'inon- 
dation et  la  placedcA'astes  terrains,  où 
l'on  pouvait ,  pendant  le  siège ,  cul- 
tiver des  légumes  et  faire  paître  des 
bestiaux.  Il  parvint  en  outre  à  tenir 
à  volonté  les  fossés  secs  ou  pleins 
d'eau.  Au  milieu  de  ces  travaux  , 
Louvois  l'invita  à  rédiger  son  sys- 
tème sur  l'attaque  des  places  j  et 
ce  fut  ce  qui  lui  donna  occasion  de 
composer  le  Mémoire  pour  servir 
d'instruction  dans  la  condidte  des 
sièges  ,  titre  de  son  premier  ou- 
vrage. Il  y  signale  les  fautes  com- 
mises jusqu'à  lui,  indique  les  moyens 
de  les  éviter ,  et  propose  d'iieureu- 
ses  innovations  ,  telles  que  le  dé- 
veloppement des  tranchées ,  les  feux 
croisés  ,  l'usage  du  canon  pour 
commencer  la  brèche,  et  celui  des 
boulets  creux,  pour  disperser  les  ter- 
I.. 


4  Vau 

res.  Il  termine  en  établissant  la  né- 
cessite   de    consacrer    une    troupe 
spéciale ,  pour   le  service   du  génie 
et    pour     les   travaux    des   sièges. 
Lorsque    les   Hollandais   formèrent 
en  i6'j3  une  ligue  contre  Lcuis XIV, 
ce  monarque    transporta   chez  eus 
le  théâtre  de  la  guerre^   et  suivit 
sou  armée  ,  accompagné  de  Vau- 
bau  ,   qui    dirigea    les    principaux, 
sièges  ;  et   fit  raser  ou  fortifier  les 
places  conquises.  L'année  suivante , 
Maëstriclit  étant  menacé  ,  le  prince 
d'Orange  accouiiit  pour  garantir  cette 
ville  ;  mais  elle  venait  d'être  investie 
quand  il  arriva  :  ou  fit  plusieurs  pro- 
jets d'attaque;  celui  de  Vauban  fut  pré- 
féré. Contre  l'usage ,  qui  mettait  les 
travaux  sous  les  ordres  de  l'officier- 
général  de  tranchée  ,  il  fut  exclusive- 
ment chargé  de  leur  direction  ,  ne 
recevant  d'ordres  que  du  roi.  C'est 
devant  cette   ville  qu'il    inventa   le 
système  des  parallèles   et  qu'il  fit 
subir  à  la  théorie  des  attaques  d'u- 
tiles modifications.  Le  treizième  jour 
la   place  capitula.  Son  importance 
attira   toute  l'attention  du  créateur 
de  la  défense  des  places  :  pour  con- 
server celle-là  ,  il  fit  un  projet  vaste, 
admiré  du  grand  Condé.  Mais  pen- 
dant qu'il  mûrissait  ce    plan  ,   on 
avait    besoin    de  l\ii  pour  prendre 
Trêves.  Faisant  marcher  de  front 
les    méditations    lentes    du    génie , 
et  l'activité  de  l'exécution,  il   court 
sous  les  murs  de   cette  ville  ,   re- 
connaît les   fortifications  ,  trace  le 
plan  d'attaque  ,  et  sans  attendre  la 
reddition    dont    il  avait    déterminé 
l'époque  ,  va  rejoindre  le  roi,  qui  le 
demandait  pour  visiter  les  places  de 
la  Lorraine  et  de  l'Alsace.  Les  alliés 
de  Louis  XIV  sentirent  alors  qu'en 
l'aidant  à  accroître  sa  puissance ,  ils 
finiraient  par  se  donner  un  maître  : 
ils  l'abandonnèrent ,  et  le  monarque 


VAU 

se   vit    forcé    de  renoncer    à    une 
partie  de  ses  conquêtes.  Mcnarcé  de 
toutes  parts  ,  il  se  liàta  de  fortifier 
les  ports  de  la  côte,  et  de  les  mettre 
en  état  de  repousser  l'attaque  de  la 
flotte  hollandaise ,  redoutable  à  cette 
époque.   Après  avoir  indiqué  les  ou- 
vrages défensifs ,  particulièrement  de 
l'île  de  Ré  ,  qui  était  le  point  le  plus 
exposé ,  Vauban  en  confie  l'exécution 
à  d'habiles  iugénieurs  ,  parcourt  les 
places  de  Flandre,  se  rend  auprès  du 
roi ,  qui  envahissait  la  Franche-Com- 
té, et  dirige  le  siège  des  principales  vil- 
les. Apprenant  (pie  les  ennemis,  bat- 
tus à  Senef  par  Condé  ,  investissaient 
Oudenarde  ,  il  court    se  jeter  dans 
cette  place  ,  et  repousse-  les  as.sié- 
geanls,  qui  sont  obligés  de  se  retirer. 
Le  roi ,  pour  le  récompenser  de  tels 
services  ,  le  nomma  brigadier  de  ses 
armées  (  1674)-  L'année  suivante , 
les  chances  de  la  guerre  réduisirent 
à  la  défensive  Luxembourg  et  Condé, 
jusqu'aloi'S  agresseurs  et  victorieux. 
Vauban  parcourt  la  ligne  des  places 
fortes  ,  prêt  à  se  jeter  dans  la  plus 
importante.  Pour  défendre  les  autres, 
il  donne  à  des  ingénieurs  habiles  des 
instructions  écrites  ,  et  semble  ainsi 
se  multiplier  lui-même.    Il  dépose^ 
dans  ces  instructions ,  le  fruit  de  son 
expérience  ,  prévoit  les  dilTc'rentes 
combinaisons  ,  et  par  des  maximes 
générales  ,  met  tout  le  monde  à  mê- 
me  de  les  déjouer.  Toujours  animé 
de  l'amour    de  l'humanité  ,    dans 
un  métier   où   l'on  ménage  peu  la 
vie  des    hommes ,  il  prescrit   tout 
ce  qui  tend  à  la  conservation  du  sol- 
dat.  Ce  fut  surtout  dans  cette  cam- 
pagne (1675)  ,   qu'il  montra  tou- 
te la  noblesse  de   ses   sentiments  , 
et  combien  il  était  exempt  de  jalou- 
sie. Cohorn ,  son  rival  dans  l'art  des 
sièges ,  mécontent  du  prince  d'O- 
range, offre  ses  services  à  la  France, 


VAU 

et  fait  connaître  une  de  ses  inven- 
tions dont  on  pourrait  tirer  le  plus 
grand  parti.  Vauban,  consulte  ,  l'ap- 
prouve et  conseille  d'accueillir  Go- 
liorn  (  V.  CouoRN  ).  Pendant  que  les 
troupes  preuaient  des  quartiers  d'hi- 
ver ,  et  se  reposaient  des   fatigues 
de  la  campagne,  Yauban  surveillait 
les  travaux.  Loiivois  voulut  qu'il  for- 
tifiât Alost;  mais  il  détourna  le  mi- 
nistre de  ce  projet  ,  en  démontrant 
les  inconvénients  des  places  isolées  ^ 
qui  n'empêchent  jamais  une  invasion^ 
et  forcent  à  y  jeter  des  troujies  qu'on 
laisse  ainsi  dans  l'inaction.  11  Ht  e'ga- 
lement  sentir  au  ministre  l'avantage 
de  la  possession  d'Aire ,  de  Condc,  de 
Valenciennes  ,  et  prépara  le  siège  de 
ces  places.  Afin  d'empêcher  leurs 
garnisons    de   profiter  de   l'inonda- 
tion pour  se  secourir,  il  s'en  empare 
au  moyen  de  galiotes  et  de  halleries 
llottautes.  Le  succès  repondit   à   ses 
vues.  Au  siëgc  de  Valenciennes ,  il 
voulut  attaquer  en  plein  jour  ,  et  lut- 
ta contre  les  maréchaux  de  Schom- 
berg  ,  de  LuxemlDourg  ,  de  Lorges  , 
de    La    Feuillade.    Louvois ,   Mon- 
sieur ,  et  Louis  XIV,  partageaient 
l'avis  de  ces  gêne'raux  ,  qui   px-e'fë- 
raient  l'obscurité  pour  protéger  les 
assiégeants.  Vauban  insiste   (3) ,  le 
roi  se  rend ,  et  Valenciennes  est  pris. 
Cambrai    demande   plus    d'ellorts  : 
un  officier  veut  brusquer   l'attaque 
d'un  ouvrage  avancé  :  Vauban   s'y 
oppose  •    «   Vous    perdrez  ,  dit- il 
»  à  Louis   XIV,   qui  était  de  l'a- 
»  vis   de  l'officier ,  tel  homme   qui 
»  vaut   mieux   que    le   fort.   »    On 
passe  outre;   et  les  assaillants  sont 
taillés  en  pièces  :  «  Une  autre  fois  je 
»  vous  croirai,  dit  le  monarque.  » 

(3)  SoQ  motif  était  H'emprclier  qu'une  partie 
des  assiégeants  ne  tirât  sur  l'autre,  que  la  nuit 
u(!  favurisât  la  pnsillimiraitc  des  làrlies ,  et  surtout 
que  les  méprises  et  le  défont  d'accord  ue  lisbcnt 
lu.inquer  le  plan  d'altaquu. 


VAU  5 

Cependant  ,    impatienté    de    la    ré- 
sistance  des     assiégés  ,    ce    prince 
veut  donner  l'assaut ,  et  propose  de 
ne  point  faire  grâce  aux  trois  mille 
assiégés.  Les  généraux  gardaient  le 
silence;  Vauban  seul  représente  au 
roi  que  son  projet  est  contraire  aux 
lois  de  la  guerre ,  que  la  place  serait 
prise  plus  promptement  à  la  vérité  : 
«  Mais,  Sire,  ajouta-t-il ,  j'aimerais 
»  mieux  avoir  conservé  cent  soldats 
»  à  VotreMajesté,  que  d'en  avoir  oté 
»  trois  mill-e  aux  alliés.  »  Louis  aban- 
donne  son   projet  ,  et  la  cour  ad- 
mire la  noble  franchise  de  Vauban. 
Pendant   cette  campagne ,   il   avait 
reçu  un  brevet  de  maréehal-de-camp, 
avec  nne  pen.^ion  et  une  gratification 
de  vingt-cinq  raille  écus.  Aucun  siège 
important  ne  se  fit  désormais  sans 
son  intervention.  Le  maréchal  d'Hu- 
mières  et  Créqui  le  demandèrent  à- 
la-fois  :  le  premier ,  pour  le  siège  de 
Saint-Guislain  ;  le  second,  pour  celui 
de  Fribourg.  En  l'accordant  au  ma- 
réchal ,  le  ministre  lui   recomman- 
da ,   au  nom   du  roi ,  de  ne  point 
permettre  que   Vauban    s'exposât , 
parce    que   sa     conservation    était 
une  affaire  d'état.    Il   alla   jusqu'à 
prier  d'Humières  d'employer  son  au- 
torité  pour    l'empêcher     de     con- 
duire   la    tranchée.  «  Vous  savez  , 
»  dit  Louvois   dans  sa   lettre,   quel 
»    déplaisir   aurait  le   roi,  s'il  lui 
»  arrivait  accident.  »  Témoignage 
flatteur   pour    Vauban,    honorable 
pour  le  prince  et  pour  son  ministre. 
La  prise   de  Gand  (  iG'j'j  )    suivit 
celle  de  Saint-Guislain  ;  et  bientôt  le 
roi  fit  investir  Ypres.  On   voulut, 
pour  seconder  l'impatience  de  Louis, 
exposer  l'armée  :  «  Vous  gagnerez 
»  un  jour  ,  lui   dit  Vauban  ,  mais 
»  vous    perdrez  mille    hommes.   » 
Le  chevalier  de  Clerville,  commis- 
saire-général des  fortifications ,  étain 


6  VAU 

mort  (i6'j^),le  roi  donna  sa  charge 
à  Vauban.  Celui-ci  la  refusa  par  un 
motif  ,  dit  Fontenelle  ,  qui  l'eût  fait 
accepter  à  tout  autre  :  c'étaient  la 
fréquence  et  l'intimité  des  rapports 
que  donnait  cette  place  avec  les  mi- 
nistres. Louis  XIV  lui  ordonna  de 
remplir,  comme  un  devoir,  les  fonc- 
tions qu'il  lui  avait  confiées  pour  ré- 
compense de  ses  talents  et  de  ses  ser- 
vices. Déjà  Vauban  était  inspecteur, 
sous  les  deux  ministres  Louvois  et 
Colbert,  des  places  que  chacun  avait 
dans  son  département.  Comme  com- 
missaire-général ,  il  eut  la  direction 
de  toutes.  Ces  ministres  étaient  ja- 
loux l'un  de  l'autre  ;  plaire  à  tous  les 
deux  était  une  entreprise  difficile. 
Sans  se  le  proposer ,  Vauban  y  par- 
vint par  sa  franchise  et  l'amour  de 
ses  devoirs.  Il  conquit  leur  estime ,  et 
fit  même  servir  leur  rivalité  aux  in- 
térêts de  l'état.  Après  la  prise  d'Y- 
pres  ,  il  se  rend  à  Dunkerque ,  fait 
couper  le  banc  de  sable  qui  barrait 
l'entrée  du  port ,  assure  les  manœu- 
vres d'eau,  et  termine  le  bassin.  Col- 
bert  et  Seignelay  le  félicitent  de  ce 
que  la  France  aura  ,  grâce  à  son  zè- 
le ,  un  port  de  plus,  a  Vous  allez , 
»  lui  écrivent-ils ,  augmenter  la  puis- 
»  sance  du  roi  sur  mer ,  autant  que 
»  vous  l'avez  fait  sur  terre  ^  en  diri- 
»  géant  tant  de  sièges ,  et  construi- 
»  sant  tant  de  forteresses.  »  Bientôt 
l'on  vit  sortir  en  même  temps  de 
ce  port,  jusqu'alors  abandonné  aux 
pêcheurs  ,  l'escadre  de  Jean  Barth  j 
des  vaisseaux  armés  par  les  cor- 
saires ,  fléaux  du  commerce  anglais, 
et  les  premières  galiotes  à  bom- 
bes ,  qui  furent  préparées  pour  la 
ruine  d'Alger.  Ayant  mis  ainsi  les 
travaux  de  toutes  les  places  de  la 
frontière  du  nord  en  pleine  activité , 
Vauban  passe  au  midi ,  reprend  les 
projets  de  Toulon ,  l'agrandit,  y  don- 


VAU 

ne  les  plans  d'un  arsenal ,  parcourt 
la  côte,  établit  à  Perpignan  le  centre 
de  la  défense  et  de  l'offensive  de  cette 
frontière  •  lie  entre  eux  tous  les  pos- 
tes de  la  chaîne  des  Pyrénées  Orien- 
tales, choisit  une  position  d'où  l'on 
puisse  dominer  à  -  la  -  fois  toutes  les 
vallées,  et  y  construit  Mont  -  Louis. 
Cette  forteresse  achevée  ,  il  retourne 
au  nord  ,  y  complète  le  système  de 
défense  par  le  fort  de  Neulay ,  près 
de  Calais ,  par  des  écluses  pour  for- 
mer les  inondations,  par  le  fort  La- 
kenoque,  assez  heureusement  situé 
pour  protéger  la  communication 
d'Ypres  avec  Menin ,  et  couvrir  Cas- 
sel.  Cette  première  ligne  était  in- 
terrompue entre  l'Escaut  et  la  Meu- 
se ;  Charlemont  remis  en  état ,  et 
Maubeuge  construit,  achèvent  ce  sys- 
tème ,  et  sont  liés  à  Philippeville , 
place  insuffisante  pour  défendre  cet 
intervalle.  Enfin  les  places  neuves  de 
Longwi,  Sarrelouis,ïhionville,  Bit- 
che,  Phalsbourg,  Béfort,  Lichtem- 
berg,  Haguenau,  Schelestadt,  fer- 
ment les  Vosges,  attachent  l'Alsace 
à  la  France ,  et  assurent  la  conquête 
de  cette  province.  Huningue ,  favo- 
rable à  l'offensive,  s'élève  près  de 
Bâle,  et  protège ,  avec  Landskroon, 
la  frontière  du  Rhin  et  celle  du  Jura. 
Fribourg,  l'une  des  portes  de  l'Alle- 
magne et  la  clef  des  montagnes  Noi- 
res ,  est  rendue  inexpugnable  par  de 
nouveaux  forts.  Après  avoir  mis  en 
activité  tant  de  travaux,  Vauban  re- 
tourne au  midi,  ajoute  de  nouveaux 
ouvrages  à  Besançon,  à  Pignerol  ; 
parcourt  les  Pyrénées  Occidentales  , 
et  rédige  un  plan  de  défense  confor- 
me à  celui  qu'il  avait  créé  à  l'orient 
de  la  chaîne.  Baïonne  est  sa  place  de 
dépôt,  Saint- Jean-Pied-de-Port  son 
point  d'appui  dans  les  montagnes  j  le 
fort  d'Andaye  est  construit  pour  bat- 
tre l'embouchure  de  la  Bidassoa. 


VAU 

Dans  tous  ces  projets ,  il  lâche  de 
concilier  avec  l'inte'rêt  de  l'état  celui 
du  commerce  et  des    citoyens ,  en 
améliorant  les  ports  de  Baïonne  et 
de  Saint-Jean  de  Luz.  L'année  sui- 
vante (1681),  il  s'occupe  des  côtes  , 
et  donne  ses  soins  à  Saint- Martin  de 
Ré ,  à  Brouage ,  à  Rochefort ,  à  Brest, 
et  protège  leurs  rades  par  de  nou- 
veaux forts.  A  peine  ces  immenses 
travaux  étaient  tracés ,  que  Louvois 
demande  Vauban  à  Colbert.  Il  s'a- 
gissait de  Strasbourg,  ville  libre,  qui, 
d'après  les  traités,  devait  rester  neu- 
tre :  mais  les  magistrats  favorisaient 
les  Autrichiens  ,  leur  livraient  pas- 
sage j  et  sur  ce  point ,  la  ligue  de  défen- 
se était  interrompue.  Le  seul  remède 
était  de  s'emparer  de  cette  ville  ,   et 
de  la  fortifier.  La  violation  des  trai- 
tés en  donnait  le  droit.  Louvois  en 
devient  le  maître  par  ruse;  et  Vauban, 
qui  devait  l'assiéger ,  en  augmente  la 
forcej  et ,  par  une  citadelle,  par  le  fort 
de  Kehl ,  par  les  redoutes  du  Rhin ,  il 
assure  à  cette  place  la  possession  des 
deux  rives  du  fleuve  et  de  ses  îles. 
Pour  hâter  ces  travaux  et  diminuer 
la  dépense  ,  il  creuse  le  canal  de  la 
Bruche,  et  les  matériaux  arrivent  des 
Vosges  aux  portes  de  la  ville.  Cassel 
éprouve  bientôt  le  même  sort.  La 
place  était  en  mauvais  état  :  pour  la 
réparer  Catinat  fît  un  projet  qu'il 
soumit  à  Vauban,  son  ami,  son  com- 
pagnon d'armes ,  et  qu'il  appelait 
son  maître  :  «S'il  entre,  écrivait- 
»  il,  en  lui  envoyant  ce  projet ,  s'il 
»  entre  du  sens  réprouvé  dans  mes 
»  plans  ,  faites  -  moi  une  correction 
»  en  maître  ,  et ,  par  charité  pour 
»  votre  disciple  ,  supprimez  tout  ce 
»  papier  barbouillé.    »    Le   maître 
était  aussi  modeste  que  le  disciple. 
Quel  exemple  et  quels  noms  que  ceux 
deCatinatetdeVaubanI  Rien  n'arrête 
celui-ci  j  il  semble  que  tous  les  jours  de 


VAU  7 

sa  vie  doivent  être  marqués  par  quel- 
que service. Le  port  d'Antibes ,  la  ci- 
tadelle de  Belle-Ile,  les  jetées  de  Ron- 
fleur ,  les  ports  d'Ambleteuse  et  de 
Saint- Valéry,  enfin  un  grand  nombre 
de  forts  sur  les  frontières  continen- 
tales sont,  en  moins  de  deux  années 
(  iG8'2  -  i683  ) ,  construits  ou  répa- 
rés par  ses  soins.  Mais  la  paix,  que  le 
traité  de  INimègue  avait  rendue  à  l'Eu- 
rope, finit  en  i683,  et  ce  fut  alors 
qu'on  dut  apprécier  toute  l'activité 
de  Vauban  ,  qui  n'avait  pas  perdu 
un  seul  instant.  Au  premier  bruit 
de  guerre,  tout  est  prêt  sur  tous  les 
points  ;  il  n'est  pas  une  issue  pour 
l'ennemi ,  étonné  de  voir  une  encein- 
te fortifiée  de  toutes  parts  ,  et  dont 
il  ne  lui  est  plus  permis  de  s'appro- 
cher. L'armée  française  entre  en  Bel- 
gique :  après  quatre  jours  de  tran- 
chée, Vauban  prend  Courtray  •  et 
bientôt  ses  efforts  se  dirigent  contre 
Luxembourg  ,  contre  cette  redou- 
table place  ,  l'egardée  comme  im- 
prenable par  sa  situation  sur  une 
masse  de  rochers,  par  les  nombreux 
ouvrages  qui  la  défendent.  Ce  siège 
important  est  précédé  de  tous  les  pré- 
paratifs nécessaires  :  soixante  ingé- 
nieurs sont  mis  sous  les  ordres  de 
Vauban  ,  qui  les  divise  en  quatre  bri- 
gades. Une  reconnaissance  exacte  de 
la  place  était  indispensable ,  mais 
difficile  et  dangereuse.  Aucun  péril 
ne  peut  arrêter  Vauban.  Toutes  les 
nuits  il  s'avance  lui-même  jusqu'à  la 
palissade  ,  soutenu  par  des  grena- 
diers couchés  ventre  à  terre.  A  l'une 
de  ces  reconnaissances,  il  s'aperçoit 
qu'il  est  découvert.  Au  lieu  de  se  re- 
tirer ,  il  fait  signe  de  ne  pas  tirer  aux 
ennemis  qui  le  prennent  pour  un  des 
leurs,  et  ils  n'en  doutent  plus  quand 
ils  le  voient  s'avancer  vers  eux.  Vau- 
ban sonde  le  glacis  j  cette  opération 
faite,  il  revient  à  pas  lents,  et  doit 


8 


VAU 


la  rie  à  ce  mélange  de  présence  d'es- 
prit et  de  témérité.  Le  résultat  fut 
pour  lui  de  counaître  le  point  ac- 
cessible j  et  il  feignit  de  croire 
qu'il  y  en  avait  d'autres  ,  afin  de  di- 
Tiser  et  de  lasser  la  garnison.  Mal- 
gré cette  ruse  ,  il  lui  fallut,  pour 
prendre  la  place ,  épuiser  toutes  les 
ressources  de  son  art.  C'est  à  ce 
siège  qu'il  inventa  les  cavaliers  des 
tranchées;  qu'il  ctai.gea  la  marcbe 
des  sapes ,  et  la  rendit  plus  sure  et 
moins  coûteuse  ,•  car  il  pensait  tou- 
jours aménager  le  sang  du  soldat. 
Luxembourg  pris  ,  ^  auban  fit  des 
travaux  pour  en  augmenter  la  dé- 
fense ,  et  en  assurer  la  consersa- 
tion.  Il  fallait  ensuite  déterminer 
le  site  d'une  nouvelle  forteresse 
qui  rendît  maître  du  cours  de  la  Mo- 
selle ,  dominât  plusieurs  défilés  ,  et 
commandât  au  pays;  en  un  mot  une 
forteresse  offensive.  Vauban  visite 
les  lieux,  cboisit  un  site  qui  réunit 
toutes  les  conditions  désirées  ,  et 
Mont-Royal  est  construit.  Il  manque 
cependant  encore  une  place  ,  pour 
couvrir  l'ançle  de  l'Alsace  et  de  la 
Sarre  ,  et  fermer  !es  défilés  des  ^  os- 
ges  ;  Landau  est  créé  pour  remplir 
ce  double  objet.  Vauban  constnut  en 
même  temps  le  Fort-Louis  dans  xme 
île  du  Rhin.  Concurremment  à  ces 
travaux,  il  faisait  élever  le  magnifi- 
que aqueduc  de  Maintcnon,  pourre- 
ceyoir  l'Eure,  qui  devait  être  divisée 
afin  d'arroser  Yersailles,  monument 
d'une  rnlj-eprise  qu'on  n'acheva  pas. 
Toujours  occupé  des  intérêts  du 
royaume  ,  de  sa  gloire  et  du  bien  de 
l'humanité  ,  il  s'élève  à  de  hau- 
tes considérations  ,  embrasse  d'un 
coup-d'œil  les  côtes ,  les  ports  ,  les 
rades,  leurs  besoins ,  leurs  ressources, 
et  rédige  un  projet  général  de  défen- 
se et  d'amélioration  ,  projet  vaste 
et  qui  ne  pouvait  être  exécuté  qu'a- 


VAU 

vec  le  temps  ,  mais  qui ,  traçant 
la  marche  à  tenir  .  signalant  les 
points  sur  lesquels  l'attention  devait 
être  toujours  éveillée,  était  utile 
même  avant  l'exécution ,  parce  que  , 
suivant  les  occasions  et  les  besoins, 
on  pourrait  toujours  le  consulter 
avec  fruit.  En  parcourant  ainsi  la 
France,  il  conférait  avec  les  gouver- 
neurs et  les  intendants  ,  provoquait 
leur  zèle .  laissait  des  tableaux  à  rem- 
plir ,  pour  connaître  le  dénombre- 
ment des  provinces,  et  semait  ain- 
si les  éléments  d'une  statistique  du 
royaume.  Le  ministre  accuei'lit  cette 
idée,  et  prescrivit  des  mesures  ana- 
logues pour  les  colonies.  Un  des  plus 
beaux  monuments  du  siècle  de  Louis 
XIV,  venait  d'être  construit  dans  le 
midi  :  c'était  le  canal  de  la  jonction 
des  deux  mers  :  projet  hardi  et  su- 
blime conçu  par  Riquet  'T^  RiQrEx}. 
Vauban  alla  visiter  ce  magnifique  ca- 
nal ,'  1686;.  A  sa  vue,  il  s'écria  que 
c'était  le  plus  grand  et  le  plus  bel 
ouvrage  de  ce  genre  ,  qu'on  eût  en- 
trepris. Langage  noble,  qui  fait  voir 
combien  ce  grand  homme  était 
au  -  dessus  de  l'envie.  Étant  con- 
sulté, il  proposa  des  perfectionne- 
ments que  le  roi  fit  exécuter.  La 
simple  éuumération  des  travaux  de 
Vauban  dépasserait  les  bornes  qui 
nous  sont  prescrites.  L'indication  des 
progrès  qu'il  a  fait  faire  à  l'art  dont 
il  peut  être  regardé  comme  le  créa- 
teur ,  demande  le  concours  d'une 
plume  exercée,  et  d'im  homme  con- 
sommé dans  la  connaissrnce  de 
cet  art.  C'est  à  ce  double  titre  que 
nous  allons  laisser  parler  M.  Al- 
lent.  «  Louis  XIV  fait  construire 
»  trente-trois  places  neuves ,  et  bâtir 
»  de  nouveaux  ou^Tages  dans  trois 
»  cents  forteresses  (  lôGi-i^oS  )  : 
»  Vauban  dirige  ces  immenses  Ira- 
«  vaux.  Un  meilleur  relief,  un  tracé 


VAU 

»  plus  simple  ,  des  dehors  plus  vas- 
»  tes  et  mieux  dispose's;  telles  sont 
»  les  seules  modilicatious  qu'il  ait 
«  faites  d'abord  ,  dans  le  système  en 
»  usaj;e.  Deux  grandes  idées  brillent 
»  toutefois  parmi  ces  améliorations, 
»  celles  de  placer  des  lunettes  et  des 
»  ouvrages  à  corne  au-delà  du  gla- 
»  cis  ,  et  de  construire  des  camps  re- 
n  tranchés  souples  places.  Mais  c'est 
»  dans  les  applications  qu'il  révèle 
w  une  science  peu  connue  jusqu'à  lui , 
»  celle  de  tirer  du  sol  même  et 
»  des  eaux  une  défense  simple  et 
w  peu  coûteuse .  et  cet  art  plus  grand 
5)  de  coordonner  les  places  à  la  nature 
»  du  terrain,  à  celle  du  pavs.  aux 
»  routes  de  terre  et  d'eau  ,  aux  opé- 
»  rations  offensives  et  défensives 
»  des  armées:  en  im  mot,  de  don- 
»  ner  aux  états  des  frontières. 
»  Vauban  tâcha  de  ramener  la  dé- 
»  fense  et  l'attaque  à  cet  équilibre, 
»  détruit  dans  le  quinzième  siècle 
M  par  l'invention  des  bouches  à  feu  , 
»  rétabli  dans  le  seizième  par  la  for- 
»  tliication  moderne  ,  et  que  ve- 
>'  naieut  de  rompre  une  seconde  fois 
«  le  nouvel  art  des  sièges ,  le  rico- 
''  chet ,  les  progrès  de  l'artillerie  et 
»  cet  usage  introduit  par  Cohorn.  au 
''  second  siège  de  ?<  amur  (  i  ôqd  ] , 
>'  de  traîner  devant  une  place  jusqu'à 
«  trois  cents  bouches  à  feu.  Aux  ra- 
"  vages  de  la  bombe  et  du  ricochet^ 
»  il  oppose  des  souterrains,  et,  com- 
'>  me  à  Béfort ,  des  traverses  voûtées. 
"  Dans  ses  forts  sur  les  côtes ,  dans 
'>''  les  redoutes  de  Luxembourg  et 
»  dans  les  tours  bastionnées  de  ces 
«  dernières  places,  il  abrite,  sous  des 
»  casemates,  quelques  feux  de  canon 
"  ou  de  mousqueterje.  Au  lit  de  la 
"  mort  (en  1707^,  il  dicte  son  Trai- 
*  té  de  la  Défeiïse  ^  et  montre  tout 
»  ce  que  la  prévoyance  dans  les  ap- 
»  provisionnements  des  travaux  ad- 


VAU  9 

»  ditionnels ,  et  surtout  un  sage  em- 
»  ploi  de  l'artilîcrie  ,  des  mines,  des 
»  eaux  et  des  troupes,  peuvent  ajou- 
»  ter  de  force  et  de  valeur  aux  forti- 
))  fications.»  La  guerre  ayant  recom- 
mencé, on  voulut  préluder  à  la  cam- 
pagne par  l'attaque  de  Philisbourg, 
dorrt  Vauban  avait  augmenté  les 
fortifications,  en  1676.  Il  allait, 
pour  ainsi  dire,  combattre  contre 
lui-même.  Secondé  de  quarante  in- 
génieurs, il  dirige  les  attaques.  La 
place  ne  se  rendit  qu'après  vingt- 
deux  jours  de  tranchée  ouverte.  Dix 
ingénieurs  furent  tués  et  quatorze 
blessés  :  c'étaient  les  plus  instruite. 
Vauban  resta  chargé  presque  seul  de 
cette  périlleuse  enti'eprise.  «  Dieu 
»  nous  le  conserve ,  écrivait  un  des 
»  généraux  à  Louvois-  car  il  n'y  a 
»  que  lui  capable  d'approcher  une 
»  place  comme  celle-ci.  »  LouisXIV_, 
sachant  qu'im  mot  de  sa  main  serait 
la  récompense  la  plus  flatteuse  pour 
Vauban ,  lui  témoigna  par  écrit  sa 
satisfaction,  <l^  ous  savez,  il  y  along- 
1)  temps,  lui  dit -il,  ce  que  je  pense 
11  de  vous  et  la  confiance  que  j'ai  eu 
»  votre  savoir  et  en  votre  affection  ; 
»  si  vous  êtes  aussi  content  de  mou 
i>  fils  le  dauphin^  qu'il  l'est  de  vous,. 
»  je  vous  crois  fort  bien  ensemble  : 
»  car  il  me  paraît  qu'il  vous  connaît 
»  et  vous  estime  autant  que  moi .  Je  ne 
»  saurais  finir  sans  vous  recommander 
))  absolument  de  vous  conserver  pour 
5)  le  bien  de  mou  service.  »  Ce  fut  à 
ce  siège  que  Vauban  imagina  le  tir  à 
ricochet,  dans  lequel  le  boulet,  lan- 
cé avec  une  charge  plus  faible  ,  fait 
une  suite  de  bonds,  et  va  frapper 
plusieurs  fois,  le  long  d'une  branche 
d'ouvrage,  l'artillerie  et  les  troi'pes. 
Ce  fjt  eucore  dans  cette  occasion 
qu'il  reproduisit,  avec  plus  d'instan- 
ces que  jamais,  le  projet  d'organiser 
un  corps  de  sapeurs.  «  Je  suis  las  , 


10  VAU 

»  disait  -  il  à  Louvois ,  de  tout  faire 
»  au  hasard,  et  d'avoir  à  chaque 
»  nouveau  sie'ge  de  nouveaux  sapeurs 
»  à  former.  »   Louvois  refusa  d'a- 
bord :  Vauban   ayant    insisté  ,   le 
ministre  se  rendit;  mais  les  e've'ne- 
ments  forcèrent  d'ajourner.  Au  siège 
de   Frankenthal ,  le  dauphin  ,  en- 
chanté de  Vauban,  le  pria  de  choi- 
sir quatre  canons,  parmi  les  mille 
bouches  à  feu  que  son  art  avait  con- 
quises. On  y  mit  les  armes  du  roi  et 
celles  de  Vauban  avec  une  inscription 
indiquant  que  ce  don  était  la  récom- 
pense de  ses  services.  Louis  XIV  se 
trouvait  dans  une  position  diliicile 
(i6S9).On  commençait  à  se  fatiguer 
de  la  guerre.  Le  désordre  des  fnian- 
ces  ôtait  les  moyens  de  recruter  l'ar- 
mée. Vauban ,  Catinat ,  Fénélon,  rap- 
prochés par  une  estime  réciproque  , 
gémissaient  des  malheurs  de  l'état, 
et  ils  étaient  persuadés  que  le  réta- 
blissement de  l'édit  de  Nantes  était 
la  mesure  la  plus  propre  à  les  fai- 
re    cesser.    Aussi  modeste  ,    mais 
moins  timide   que  ses  deux  amis, 
Vauban  se   chargea  d'en    faire  la 
proposition  ;    et    il    l'accompagna 
du  tableau  touchant  des  maux  qu'il 
avait  vus  dans   ses  courses  ;  mais 
il   n'obtint    que   quelques   adoucis- 
sements ,    que  le  système  des  con- 
versions  annula  bientôt.    Au  siège 
de  Mons  (1691),  à  celui  de  Namur 
(  169'^  )  ,  il   dirigea    les   attaques 
sous   les   yeux  du  roi.  A    celle  du 
Fort-Guillaume,  on  vit  un  spectacle 
intéressant.  Ce  fort  était  l'ouvi'age  de 
Cohorn  ,  seul  rival  qu'eût  Vauban  , 
et  ce  rival  y  commandait  en  personne 
avec  son  propre  régiment.  La  défense 
et  l'attaque  furent  dignes  de  l'un  et 
de  l'autre  ;  mais  le  génie  de  Vauban 
l'emporta,  et  le  fort  se  rendit  (4)# 

(4)   Vauban    i^ola    le    fort   du    clinteau    par    une 
liaccliee  in'e^médiairc  ;  profitamt  de  la  faute  qu'a- 


VAU 

Quoique  l'attaque  de  Namur  en  de- 
vînt  moins  diliicile ,   il  fallut   sept 
jours   de   tranchée    ouverte  devant 
la  ville ,  et  vingt-deux  devant  le  châ- 
teau. Après  avoir  perdu  quatre  mille 
hommes,  Namur  capitula.  Les  cour- 
tisans ,   qui  avaient  accompagné  le 
roi ,  s'ennuyaient  de  la  longueur  du 
siège  :  Vauban  brava  leurs  murmu- 
res ,  et  préférant  à  leurs  suffrages  la 
vie  du  soldat ,  modéra  même  l'ar- 
deur   des   assiégeants.   Louis    XIV 
le    dédommagea    en    l'admettant  à 
sa  table  ,  honneur  exclusivement  ac- 
cordé  à  la   haute  naissance.   A   la 
bataille  de  Steinkerque  (1G92)  ,   les 
Français  jetèrent  spontanément  leurs 
mousquets  ,  pour  se  servir  des  fusils 
pris  aux  ennemis;  Vauban  contribua 
à  cet  échange,  et,  voulant  le  rendre 
plus  avantageux,  il  imagina  son  fusil- 
mousquet,  dans  lequel  la  mèche  ser- 
vait au  défaut  de  batterie;  bientôt 
srprès  il  l'arma  de  la  baïonnette.  Le 
duc  de  Savoie  menaçant  le  Dauphi- 
né,  Vauban  y  fut  envoyé ,  et  il  fit  les 
plans  de  tous  les  ouvrages  nécessaires 
à  la  sûreté  de  cette  frontière  ;,  ainsi 
qu'à  celle  du  comté  de  Nice  et  du 
Piémont.  Briançonfut  amélioré,  Fe- 
nestrelles  fortifiée ,  et  la  forteresse  de 
Mont -Dauphin  construite.  Vauban 
connaissait  l'esprit  du  Français ,  et 
savait  qu'alors  il  préférait  un  signe 
d'honneur   à  la  fortune.  C'est  d'a- 
près ses  avis  que  Louis  XIV  fonda 
l'Ordre  de  Saint  -  Louis   (  1693  ). 
La  première  idée  de  cette  institution 
lui  appartient  ;  et   il  fut  au  nombre 
des  sept  grand-croix,  à  la  création. 
Vainqueur  du  prince  d'Orange  à  Ner- 
winde ,  le  maréchal  de  Luxembourg 
revint  à  Fleurus  couvrir  le  siège  de 
Gharleroy.  Toutes  les  fortifications 


Tuit  faite  CoVioru   d'avoir  trop  e'ioigné  et  mal  sou- 
tenu cet  ouvrage. 


VAU 

de  celte  place  étaient  l'ouvrage  de 
Vauban ,  et  les  ennemis  les  avaient 
entretenues  avec  soin.  La  reprise  lui 
coûta  vingt-sept  joui-s  de  tranchée 
ouverte  :  il  y  mit  en  œuvre  toutes 
les  ressources  de  son  génie.  Les  An- 
glais ,  qui  commençaient  à  domi- 
ner sur  la  mer,  menaçaient  nos  ports 
de  leurs  flottes  redoutables  (1694); 
et  dans  tous  les  dangers ,  on  avait  re- 
cours à  Vauban.  Il  visita  les  côtes, et 
prévoyant  que  cette  situation  pour- 
rait être  d'une  longue  durée ,  il  dres- 
sa des  insti'uctions  sur  les  moyens  de 
diminuer  dans  les  ports  les  ravages 
des  boulets  rouges  etdesbombes.  Pen- 
dant que  les  rigueurs  de  l'hiver  te- 
naient les  deux  partis  dans  l'jnac- 
tion  ,  il  s'occupa  de  l'ensemble  de 
la  situation  de  la  France.  Afflige  de 
voir  les  ennemis  conserver  leur  su- 
pe'riorite%  et  dans  l'impuissance  de 
la  leur  enlever  ,  il  rédigea  des 
Mémoires  sur  les  moyens  d'en  at- 
ténuer les  effets  ,  sur  les  places  qui 
paraissaient  le  plus  exposées ,  et  les 
mesures  à  prendre  pour  les  garan- 
tir^  sur  les  camps  retra'nchés,  dont  il 
conseille  l'usage  après  en  avoir  dé- 
montré l'utilité.  C'est  à  la  même 
époque  qu'indigné  des  exactions  en 
usage  pour  lever  les  impositions  ,  il 
rédigea  la  Dixme  royale.  La  paix 
de  Riswick  suspendit  le  cours  de 
nos  malheurs  (  169-7  )•  Comme  elle 
changea  les  limites  de  la  France , 
Vauban  eut  de  nouveaux  travaux 
à  prescrire.  Il  fit  sur  les  frontiè- 
res un  voyage  de  plusieurs  années  ', 
détermina  partout  le  système  de  la 
défensive  et  de  l'offensive ,  atta- 
chant à  ses  vues  militaires  des  pro- 
jets utiles  au  commerce  ,  à  l'agricul- 
ture et  au  développement  des  riches- 
ses de  l'état.  Le  perfectionnement  des 
ouvrages  hydrauliques  ;  les  moyens 
de  construire  des  bassins,  des  jetées , 


VAU  1, 

des  écluses  de  chasse  et  de  déniche- 
ment;  les  relations  desporls  avec  l'in- 
térieurj  la  possibilité  de  rendre  navi- 
gables i  usqu'aux  moindres  rivières  ,de 
constater  tous  les  canaux  qu'on  pou- 
vait ouvrir,  etc.-  tels  sont  les  objets 
dont  s'occupa  cette  ame  active,  qui 
semblait  ne  pouvoir  trouver  de  repos 
que  dans  la  sécurité  et  le  bonheur 
de  la  patrie.  Le  roi ,  pour  récom- 
penser tant  et  de  si  grands  services  , 
donna  à  Vauban  le  bâton  de  maré- 
chal de  France  (i']o3).  Sachant  d'a- 
vance l'intention  du  monarque ,  il 
tâche  de  l'en  détourner  ;  expose 
que  c'est  nuire  au  bien  du  service  j 
qu'il  ne  pourra  plus  diriger  de  siè- 
ges ,  parce  que  le  grade  auquel  le  roi 
veut  l'élever  ne  lui  permettra  pas 
de  servir  sous  un  général^  enfin  y 
il  plaide  contre  lui-même  âvec  cette 
chaleur  que  met  un  homme  jaloux  à 
desservir  son  ennemi.  Louis  s'éton- 
ne d'être,  en  quelque  sorte,  forcé 
d'exiger  l'obéissance  pour  une  faveur 
objet  de  tant  d'ambition  !  Après  l'a- 
voir reçue  avec  tant  de  modestie  y 
Vauban  montra  bientôt  combien  son 
refus  avait  été  sincère.  Louis  XIV, 
voulant  que  l'élève  de  Fénélon  le  fût 
aussi  de  Vauban  dans  l'art  des  siè- 
ges y  envoya  le  maréchal  diriger  le 
siège  de  Brissach ,  sous  le  comman- 
dement du  duc  de  Bourgogne.  C'était 
encore  une  des  places  que  lui-même 
avait  construites.  «M.  le  maréchal .  lui 
»  ditle  jeune  prince,  vous  allez  perdre 
»  votre  honneur  devant  cette  ville  : 
»  ou  nous  la  prendrons  ,  et  l'on 
»  dira  que  vous  l'avez  mal  fortifiée  j 
»  ou  nous  échouerons ,  et  l'on  dira 
»  que  vous  m'avez  mal  secondé, 
»  —  Monseigneur,  répondit  Vauban, 
»  on  sait  comment  j'ai  fortifié  Bris- 
»  sach  ;  mais  l'on  ignore  et  l'on  sanra 
»  bientôt  comment  vous  prenez  les 
»  places  que  j'ai  fortifiées.  »  Les  as- 


la  VAU 

sièges  capitulèrent  le  treizième  jour. 
Ce  fut  le  dernier  siège  que  fit  Va u- 
ban.  Sa  gloire  causait  de  l'ombrage. 
Il  offrit  au  jeune  prince  son  Traité 
de  rattaque  des  places  ,  comme  s'il 
eût  voulu  donner  l'exemple  avant  le 
précepte.  Le  duc  de  La  Feuillade  ,  se 
trouvant  chargé  du  siège  de  Turin  , 
ne  voulait  écouter  personne  ,  et  re- 
poussait avec  hauteur  les  meilleure 
avis.  Louis  XIV, qui  comptait  plus 
sur  son  dévouement  que  sur  son  habi- 
leté ,  fait  venir  Va uban ,  et  ne  lui  dis- 
simule pomt  ses  inquiétudes.  Celui-ci 
voit  au  premier  coup-d'œil  les  vices 
du  projet  d'attaque^  et  s'offre  comme 
simple  volontaire ,  pour  aller  diri- 
ger le  siège  sous  les  ordres  de  La 
Feuillade.   «  Mais  vous    ne  pensez 
»  pas  ,  lui  dit  le  roi ,  combien  vos 
»  fonctions   seraient   au-dessous  de 
»  votre  dignité  ?  Sire  ,  ma  dignité 
»  est  de  servir  l'état  j  je  laisserai  le 
»  bâton  de  maréchal  à  la  porte  ,  et 
»  j'aiderai  peut-être  La  Feuillade  à 
»  prendre  Turin,  m  Ce  dernier,  à  qui 
les  offres  du  maréchal  furent  soiunises, 
les  rejeta  avec  dédain,  et  répondit 
désobligeainment  qu'il  comptait  bien 
prendre  Turin  à  la  Cohorn,  Après 
soixante-quinze  nuits  de  tranchée  et 
plusieurs   assauts ,   il  fut  obligé  de 
lever  le  siège ,  et  ne  sut  ni  prendre 
la  ville^  ni  se  joindre  à  l'armée,  dont 
son  ignorante  obstination  avait  ame- 
né la  défaite.  Vauban,  désespéré  des 
revers  de  la  France  et  de  l'inaction 
à  laquelle  le  condamnait  la  dignité 
dont  il  venait  d'être  revêtu ,  déplo- 
rait des  honneurs  qui  enchaînaient 
son  courage  ,  et  s'aflligeait  d'une  ré- 
compense qui  l'empêchait  de  servir. 
Toujours  dévoré  de  l'amour  du  bien 
public,  il  met  en  ordre  l'immense 
collection  de  matériaux ,  de  projets , 
de  plans ,  qu'il   avait  recueillis  ou 
conçus  dans  le  cours  d'une  vie   si 


VAU 

laborieuse.  La  levée  des  troupes ,  la 
stratégie,  les  fortifications,  tout  ce 
qui   compose   l'administration  mili- 
taire ,  la  marine ,   les   finances  ,  le 
régime  intérieur,  la  religion  même^ 
avaient  été  l'objet  de  ses  médita- 
tions.   Il   forme  de   ces   matériaux 
douze  vol.   in-folio  ,  qu'il  intitule  : 
Mes  oisivetés,  titre  modeste  donne 
par  le  génie  aux   productions  d'un 
talent  qui    s'appliquait  à  tout  (5). 
C'est    au    milieu   de    ces    travaux 
que  la  mort  vint   le  frapper  ,    le 
i3    mars    170'^.    Il  la   reçut  avec 
cette  résignation  que  donne  une  lon- 
gue habitude  du  courage,  la  certitu- 
de d'avoir  rempli  ses  devoirs ,  et  le 
témoignage  d'une  conscience  exempte 
de  tout  reproche.  Rien  n'égalait  son 
dévouement  au  roi,   si  ce  n'est  la 
franchise  avec  laquelle   il  lui  disait 
la  vérité.    Louvois  trouva   souvent 
cette   franchise  importune  _,   et  fut 
obligé  de  l'endurer.  Tel  était  Vau- 
ban :  «  le  premier  des  ingénieurs  et 
»  le  meilleur  des   citoyens  (6)  ;  un 
»  Romain,  qu'il  semblait  que  le  siècle 
»  de  Louis  XIV  eût  dérobé  aux  plus 
»  heureux  temps  de  la  république  (7).» 
Terminons  par  l'opinion  d'un  hom- 
me  tellement  avare    de    louanges  , 
qu'il  voudrait  recourir  après  celles 
que  la  vérité  lui  arrache.  «  Vauban, 
M  le  plus  honnête  homme  de  son  siè- 
»  cle ,  dit  le  duc  de  Saint-Simon  ,  le 
»  plus  simple  ,  le  plus  vrai ,  le  plus 
»  modeste,  avait  fort  l'air  de  gucr- 
»  re ,  mais  en  même  temps  un  exté- 
»  rieur  rustre  et  grossier,  pour  ne 
i>  pas  dire  brutal  et  féroce  ;  il  n'était 
»  rien  moins  :  jamais  homme  plus 

(5)  D'après  le  cnlcul  qu'on  a  fait,  Vauban  au- 
rait travaillé  à  tri)is  ceuts  places  ou  forteresses 
anciennes;  construit  trenle-li  ois  nouvelles  ,  con- 
duit ciuquanle-trois  sièges  ,  et  se  serait  trouvé  à 
cent  quarante  actions  de  vigueur. 

(tii  Voltaire  ,  Sicrlc  de  Laiii<  XIV. 

(7)  l'onlencllc,   £/oye  de  yauhari. 


VAU 

>;  doux  ,  [)liis  compatissant  ,  plus 
M  obligeant;  mais  respectueux  sans 
»  mille  politesse,  et  le  plus  ménager 
»  de  la  vie  des  hommes  ^  avec  une 
»  valeur  qui  prenait  tout  sur  lui ,  et 
»  donnait  tout  aux  autres.  Il  est  in- 
»  concevaLle  qu'avec  tant  de  droitu- 
»  re  et  de  franchise,  incapable  de  se 
n  porter  à  rien  de  faux  ,  ni  de  mau- 
w  vais,  il  ait  pu  gagner,  au  point 
«qu'il  fit,  l'amitié  et  la  confiance 
»  de  Louvois  et  du  roi.  »  Le  maré- 
chal de  Vauban  ne  laissa  que  deux 
filles;  ainsi  la  famille  de  ce  nom  qui 
existe  est  d'une  branche  collatérale. 
Le  26  mai  1808,  les  ministres  de  la 
guerre  et  de  la  marine^  accompagnés 
de  plusieurs  maréchaux  de  France, 
et  de  M.  Le  Pelletier  d'Auluay  ,  an- 
cien olticier  général  ,  petit-fils  de 
Yauban  ,  se  rendirent  à  l'église  des 
Invalides,  pour  déposer  le  cœur  du 
maréchal  qui  y  reste  placé  sous  son 
buste,  en  face  du  tombeau  de  Turenne. 
Carnot ,  le  général  Dcmbarrère ,  et 
M.  Noël ,  ont  fait  l'éloge  de  Vau- 
ban (8).  M.  Allent  a  fait  un  récit  fort 
exact  etfort  étendu  des  actions  de  ce 
grand  homme  dans  VHistoire  du 
corps  du  génie ,  et  nous  ne  pouvions 
puiser  h  une  meilleure  source.  La  no- 


(S)  L'aeadéiuie  de  Dijon  ayant  ,  en  1783  ,  pro- 
fiosé  puur  sujet  de  prix  l'éloge  de  Vauban  ,  le  prix 
fut  décerne'  à  Carnot  (f''or.  ce  nom  au  Supplé- 
ment ).  L'Académie  iirançaise  proposa  ,  en  1785  , 
VEluge  lie  f  aubnn  pour  sujet  de  prix.  Ce  lut  a 
cette  occasion  que  Laclos  ,  détracteur  de  Vauban  , 
publia  sa  Lellie  à  V  Ararlémiefruvcaise,  178'-) ,  iu- 
8°.  {V.  Laclos,  XXIII,  56).  Vers  le  même 
temps  parurent  des  Mémoires  pour  servir  à  l'éloge 
du  maréchal  de  Vauban  ,  par  le  chevalier  de  Cu- 
rel  ,  1786  ,  in-8°.  Le  prix  n'était  pas  encore  dé- 
cerné en  1788  ,  lorsmi'à  la  séance  publique  du 
mois  d'août  ,  Gaillard  lut  des  réilexious  sur  Vau- 
ban. Le  prix  fut  remporté  en  1790  par  M.  Nocl  ; 
son  ouvrage  a  été  imprimé,  ainsi  que  celui  de  J.- 
A.-L.  Sauviac  ,  qui  avait  aussi  concouru.  Un 
£/oge  de  Vauban  par  A.-L.  d'.lniilly  ,  qui  avait 
concouru  puur  le  prix  de  l'Académie  française,  eu 
1  787  ,  a  été  imprimé  eu  1788  ,  iuaS"'.  MM.  Vial  et 
Reverony  St  -Cyr  ont  fait  jouer  le  io  juin  1826, 
sur  le  tbeâlre  de  l'Odéuii ,  un  drame  iulilulé  Vau- 
ban  h  Charleroy  ,  qui  n'.i  eu  que  quelques  repré- 
sentations et  n'est  point  imprimé,  A.  B — T. 


VAU  ,3 

ticc  dese'crits  de  Vauban  serait  aussi 
étendue  que  celle  de  ses  tra  va  ux  -et  tou- 
tesdeuxne  pourraient qu'èlre  incom- 
plètes. On  les  divise  en  trois  sections. 
La  première  comprend  les  Mémoires 
sur  les  sièges  7  les  places  et  les  fron- 
tières^ les  canaux  et  les  rivières  na- 
tigables.  Rappelons  l'objet  des  prin- 
cipaux :  I".  De  l'importance  dont 
Paris  est  à  la  France  et  soin  que 
l'on  doit  prendre  de  su  conserva- 
tion. La  désastreuse  campagne  de 
1706,  faisait  conseiller  au  roi  d'a- 
bandonner sa  capitale  ,  et  de  se  re- 
tirer derrière  la  Loire.  Vauban  prou- 
ve qu'on  doit  garder  Paris  ,  et  qu'on 
peut  s'y  défendre  :  il  appuie  son 
projet  d'un  plan  des  fortifications 
que  cette  ville  est  susceptible  de 
recevoir.  (9)  1°.  Fragments  d'un 
Mémoire  sur  la  navigation  géné- 
rale de  la  France.  Vauban  mourut 
en  le  faisant.  On  a  de  lui  un  travail 
du  même  genre  sur  toutes  les  cotes 
de  France,  3°.  Projets  ou  Mémoi- 
res sur  la  navigation  à  établir  dans 
les  provinces  du  Nord;  sur  les  ca- 
naux de  Bourgogne ,  du  Nivernais , 
du  Charolais  ;  sur  le  moyen  de 
joindre  par  un  canal  la  Moselle  à 
la  Meuse;  sur  le  perfectionnement 
du  canal  des  deux  mers ,  et  son 
prolongement.  La  seconde  section 
renferme  les  traités  généraux  ou  œu- 
vres militaires.  Ce  sont  :  1°.  Une 
Instruction  pour  la  conduite  des 
sièges.  2°.  Le  Traité  de  l'attaque 
des  places.  3°.  Un  autre  pour  leur 
Défense.  l\''.  Un  Traité  des  Mines. 
50.  Un  Traité  des  Fortifications  de 
campagne.  6".  Le  Directeur  géné- 
ral des  fortifications.  7°.  Une  Ins- 
truction pour  servir  au  règlement 


(0)  Ce  Mémoire  ,  tiré  de  l'ouvrage  inédit  ,  inti- 
tulè  Oisivetés  ,  a  été  imprime ,  pour  la  première 
fois  ,  à  Paris  ,  en  jSzi  ,  avec  l'Uo^e  de  Y.wbaa 
par  Fontenelle. 


i4 


VAU 


du  transport  et  du  remuement  des 
terres.  8°.  I-e  Livre  de  guerre 
ou  des  cinq  principales  actions  mi- 
litaires, g'».  Des  Mémoires  militai- 
res sur  les  défauts  de  notre  infante- 
rie ,  les  moyens  de  la  rétablir,  etc. 
I  o°.  Moyens  d'améliorer  nos  trou- 
pes. 11°.  Mémoire  concernant  la 
levée  des  gens  de  guerre.  1 2°.  Mé- 
thode infaillible  de  procurer  pour 
la  défense  de  l'état  tel  nombre 
d'hommes  dont  on  aurabesoin.  i3<». 
Moyen  d'empêcher  les  abus  dans 
la  manière  de  faire  subsister  les  ar- 
mées. 1^'^.  Mémoires  sur  les  mi- 
neurs et  sapeurs.  Enfin,  dans  la  troi- 
sième section,  sont  comprises  les 
œuvres  diverses.  Nous  devons  signa- 
ler :  1».  La  Dixme  royale.  Ce  pro- 
jet fut  imprimé  en  1707  et  1709J 
mais  on  n'osa  point  y  joindre  le  me'- 
moire  qui  le  termine  et  qui  est  inti- 
tulé :  Raisons  secrètes  et  qui  ne  doi- 
vent être  exposées  qu'au  roi  seul , 
qui  s' opposeraient  à  V établissement 
du  système  de  la  dixme  royale. 
Ces  raisons  sont  le  long  chapitre  des 
abus  et  des  gens  intéressés  à  les  main- 
tenir (  Foy.  Saint-Pierre  ,  XL  , 
48  ).  2^.  Mémoires  sur  le  rétablis- 
sement de  l'édit  de  Nantes.  Il  y  eu 
a  trois.  Vauban  y  démontre  la  né- 
cessité de  rétablir  l'édit  de  Nantes  et 
de  maintenir  la  tolérance  religieuse. 
3».  Mémoire  sur  les  limites  de  la 
puissance  ecclésiastique,  dans  les 
choses  temporelles.  4"-  Mémoires 
de  statistique.  5°.  Mémoires  sur  le 
commerce  des  Provinces  -  Unies. 
6°.  Mémoire  concernant  la  course, 
les  privilèges  dont  elle  a  besoin ,  les 
moyens  de  la  faire  avec  succès 
sans  hasarder  d'affaires  générales. 
7<*.  État  des  affaires  extraordinai- 
res,  faites  depuis  1689  jusques  et  y 
4;ompris  1706.  M.  Noël,  dans  son 
éloge  de  Yauban,  rappelle  beaucoup 


VAU 

d'autres  Mémoires  sur  les  sciences 
économiques,  la  culture  des  forêts, 
les  finances  (  Foy.  Renau  d'Éli- 
ÇAGARAV  )  ,  la  marine  militaire  et 
marchande,  la  population,  la  géo- 
graphie, diverses  branches  de  l'his- 
toire et  les  mathématiques.  Il  paraît 
que  ces  Mémoires  sont  ou  dissémi- 
nés ou  perdus.  Sept  volumes  des  Oi- 
sivetés sont  égarés.  Les  i^r. ,  3*^.  et 
7«.  existent  dans  la  bibliothèque  de 
M.  Le  Pelletier  de  Rosambo,  pair 
de  France  ,  qui  descend ,  par  les 
femmes  ,  ainsi  que  M.  Le  Pelletier 
d'Aulnay  ,  du  maréchal  de  Vauban. 
On  a  imprimé_,  sous  le  nom  de  celui- 
ci  ,  un  Testament  politique  ,  qui 
est  de  Bois-Guillebert  (F.  ce  nom). 
Les  Italiens  ont  reproché  à  Vauban 
de  s'être  approprié  diverses  métho- 
des de  fortifications  de  Marchi  (  F. 
Marchi  et  Pagan  ).  D  —m — t. 
VAUBAN  (Anne  Joseph  Le  Pres- 
TRE  ,  comte  DE  ) ,  né  à  Dijon  le  10 
mars  1754,  était  arrière-petit-neveu 
du  maréchal ,  et  fils  d'un  lieutenant- 
général  ,  gouverneur  de  Béthune  et 
commandant  des  provinces  de  Flan- 
dre et  d'Artois.  Né  avec  un  goût  très- 
prononcé  pour  les  armes,  il  entra, 
en  17^0,  comme  sous-lieutenant  dans 
les  dragons  de  La  Rochefoucauld,  et 
passa  bientôt  dans  le  régiment  de 
Chartres  ,  comme  capitaine  ,  puis 
dans  la  gendarmerie  de  Lunéville, 
où  il  fut  sous-lieutenant.  Il  suivit  en- 
suite Rochambeau  en  Amérique  , 
comme  son  aidede-camp ,  et  fut  en- 
voyé en  France,  en  1782,  avec  des 
dépêchesde  ce  général.Il  devint  alors 
colonel  en  second  du  régiment  d'A- 
geuois ,  et  peu  de  temps  après ,  le 
duc  d'Orléans  ,  dont  il  était  cham- 
bellan ,  le  fit  nommer  colonel  du  ré- 
giment d'infanterie  de  son  nom.  A 
l'époque  du  départ  de  Louis  XVI 
pour  Varennes ,  le  comte  de  Vauban 


VAU 

ëraigra  avec  la  plus  grande  partie 
(les  ofliciers  de  ce  corps,  el  il  se  ren- 
dit à  Atb ,  puis  à  Coblentz ,  oij  le 
comte  d'Artois  le  nomma  son  aidc- 
de-camp.  Ce  fut  en  cette  qualité  qu'il 
fit  la   campagne  de    1792.  L'année 
suivante  il  accompagna  ce  prince  en 
Russie  ,  où  il  fut  témoin  de  la  belle 
réception    que  lui   fit  l'impératrice 
Catherine.   Il  alla  ensuite  en  Angle- 
terre ,  et  s'embarqua  au  printemps 
de  1795,  avec  l'expédition  destinée 
pour  les  côtes  de  Bretagne.  Chargé  de 
commander,  sous  M.  dePuysaie,  un 
corps  de  Chouans ,  qui  devait  manœu- 
vrer sur  les  derrières  de  l'armée  ré- 
publicaine ,  il  fut  prévenu  par  les 
troupes  de  Hoche  ;  et  trompé  par  de 
faux  signaux ,  il  se  vit  obligé  de  ré- 
trograder ,  au  moment  du  désastre 
de  Quiberon ,  où  il  pensa  périr.  Il 
remplit  ensuite  différentes  missions 
auprès  de  la  Vendée,  et  à  l'Ue-Dieu  , 
auprès  de  Monsieur,  comte  d'Artois. 
Revenu  à  Londres  ,  il  se  hâta  de  re- 
tourner en  Russie  ;  mais ,  arrivé  dans 
cette  contrée  au  moment  de  la  mort 
de  Catherine  ,  il  y  fut ,  comme  la 
plupart  des  Français,  victime  de  la 
versatilité  de  Paul  I'^''. ,  et  bientôt 
obligé  de  s'éloigner.  II  revint  alors 
en  France, et  séjourna  quelque  temps 
à  Paris ,  avec  le  consentement  de  la 
police,    qui  l'arrêta   néanmoins  en 
1806 ,  et  le  retint  long-temps  pi'ison- 
mer  au  Temple.  Ses  papiers  ayant 
été  saisis ,  on  y  découvrit  le  manus- 
crit de  ses  Mémoires  historiques , 
pour  servir  à  l'histoire  de  la  guerre 
de  la  Vendée,  Le  gouvernement  de 
ce  temps -là  ne  pouvait  pas  faire  une 
découverte  qui  lui  fût  plus  agréable  ; 
il  se  hâta  de  publier  ces  Mémoires 
sous  le  nom  du  comte,  qui  y  accusait, 
avec  beaucoup  d'amertume,  la  plu- 
part de  ses  compagnons  d'armes  à 
Quiberon ,  et  même  ses  anciens  mai' 


VAU  ,5 

très.  On  crut  assez  généralement  alors 
que  cette  publication  n'était  qu'ime 
manœuvre  de  la  police  impériale  pour 
discréditer  la  cause  des  Bourbons. 
Cependant  le  livi'c  fut  reproduit  avec 
beaucoup  d'affectation  après  le  re- 
tour de  ces  princes  en  18 14,  et  il  en 
parut  une  seconde  édition  pendant 
les  cent  jours  (i).  Quant  à  l'auteur, 
il  fut  mis  en  liberté  peu  de  temps 
après  la  publication  de  la  première 
édition,  et  se  retira  dans  le  Charo- 
lais,  où  une  partie  de  ses  biens  lui  fut 
rendue.  Il  habitait  encore  cette  con- 
trée à  l'époque  du  retour  des  Bour- 
bons. 11  crut  aloz's  devoir  venir  à 
Paris,  pour  y  présenter  ses  hom- 
mages aux  princes  qu'il  avait  long- 
temps servis  j  mais  n'ayant  pu  être 
admisàcet  honneur,  il  en  conçut  un 
tel  chagrin  ,  qu'il  retourna  malade 
dans  sou  pays,  et  y  mourut  le  20 
avril  1816.  M — D  j. 

VAUBONNE  (  le  marquis  de  ) ,  né 
dans  le  comtat  Venaissin,  en  1645, 
d'une  famille  noble ,  entra  au  service 
de  France  dès  sa  jeunesse ,  et  s'ex- 
patria bientôt ,  à  la  suite  d'une  affai- 
re d'honneur.  Il  entra  alors  au  ser- 
vice de  l'empereur  d'Allemagne,  et 
y  obtint  un  avancement  rapide.  En 
1703,  il  commandait^  dans  le  Tren- 
tin,  un  corps  de  cavalerie  ,  à  la  tête 
duquel  il  s'opposa  à  la  marche  du 
duc  de  Vendôme.  Il  fut  fait  prison- 
nier, l'année  suivante ,  à  Trano  ,  et 
envoyé  à  Alexandrie.  S'étant  ména- 
gé des  intelligences  parmi  la  garni- 
son de  cette  place ,  il  tenta  de  la  fai- 


(i  )  Malgré  ces  réimpressions,  l'ouvrage  du  com- 
te de  Vauban  est  devenu  fort  rare  depuis  le  réta- 
hlissemeiit  de  la  maison  de  Bourbon  ,  et  surtout 
depuis  l'avènement  de  Charles  X,  M.  de  Beaucbamp 
en  a  cité  et  réfuté  quelques  passages  dans  la  préface 
de  la  quatrième  édition  de  son  Histoire  des  guer- 
res delà  Vendée.  Les  auteurs  de  la  Bibliothèque 
historitfueen  ont  rapporté  el  coaimenté,  avec  beau- 
coup de  malignité  ,  de  longs  firagmentj  dans  leuri- 
tomes  IX  et  X ,  anne'e  1819. 


ï6 


VAU 


re  passer  sous  la  domination  du  duc 
de  Savoie  j  mais  son  complot  ayant 
e'te'  découvert ,  il  fut  enferme  dans  un 
cachot ,  puis  transporte'  eu  France. 
Il  obtint  ensuite  sou  ëcliange  ,  et  re- 
prit son  service.  Se  trouvant,  en  1708, 
à  la  prise  de  Gaëte  par  le  général 
Thaun  ,  il  y  reçut  une  blessure  gra- 
ve, et  passa  pour  mort.  Il  guérit  ce- 
pendant ,  et  servit  encore  avec  beau- 
coup de  distinction.  Eu  1 7 1 3 ,  il  e'tait 
lieutenaat-gcnéral  de  cavalerie;  et  il 
commandait  un  corps  de  vingt  mille 
hommes  devant  Fribourg  ,  lorsqu'il 
fut  obligé  de  se  retirer ,  à  l'approche 
du  maréchal  de  Villars.Deuxans  plus 
tard,  il  passait  par  Rome,  allant 
prendre  le  commandement  du  royau- 
me de  Naples ,  lorsque ,  dans  un  ac- 
cès de  démence  ,  il  se  précipita  d'un 
troisième  étage  dans  la  rue,  et  mou- 
rut un  quart- d'heure  après,  le  12 
août  17 15.  M — D  j. 

VAUGANSON  (  Jacques  de  ) , 
mécanicien ,  naquit ,  à  Grenoble ,  le 
24  février  1709^  d'une  famille  no- 
ble. Sou  goût  pour  la  mécanique  se 
déclara  dès  sa  plus  tendre  enfance. 
Sa  mère ,  femme  d'une  piété  sévè- 
re, ne  lui  permettait  d'autre  dissi- 
pation que  celle  de  venir  avec  elle, 
le  dimanche,  chez  des  dames  d'une 
dévotion  égale  à  la  sienne.  Pendant 
leurs  pieuses  conversations,  le  jeune 
Vaucanson  s'amusait  à  examiner,  à 
travers  les  fentes  d'une  cloison ,  une 
horloge  placée  dans  la  chambre  voi- 
sine. Il  en  étudiait  le  mouvement, 
s'occupait  à  en  dessiner  la  structure 
et  à  découvrir  le  jeu  des  pièces,  dont 
il  ne  voyait  qu'une  partie.  Cette  idée 
le  poursuivait  partout.  Eufm  il  sai- 
sit tout  d'un  coup  le  mécanisme  de 
l'échappement,  qu'il  cherchait  de- 
puis plusieurs  mois.  Dès  ce  moment, 
toutes  ses  idées  se  tournèrent  vers 
la  mécanique.  11  fit,  en  bois  et  avec 


VAU 

des  instruments  grossiers,  une  hor- 
loge qui  marquait  les  heures  assez 
exactement.  Il  composa ,  pour  une 
chapelle  d'enfant,  de  petits  anges  qui 
agitaient  leurs  ailes,  des  prêtres  au- 
tomates ,  qui  imitaient  quelques  fonc- 
tions ecclésiastiques.  Le  hasard  fixa 
son  séjour  à  Lyon.  On  y  parlait  alors 
de  construire  une  machine  hydrauli- 
que, pour  donner  de  l'eau  à  la  ville. 
Vaucanson  en  imagina  une,  qu'il  n'o- 
sa proposer  par  modestie  ;  mais,  ar- 
rivé à  Paris,  il  vit  avec  une  joie  dif- 
ficile à  peindre  que  la  machine  de  la 
Samaritaine  était  précisément  celle 
qu'il  avait  imaginée  à  Lyon.  S'aper- 
cevant  de  tout  ce  qui  lui  manquait  de 
connaissances  en  auatomie ,  en  musi' 
que  ,  en  mécanique  ,  il  employa  plu- 
sieurs années  à  étudier  ces  sciences. 
Le  Auteur  des  Tuilerie^  lui  fit  naître 
l'idée  d'une  statue  qui  jouerait  des 
airs ,  et  imiterait  les  opérations  d'un 
joueur  de  flûte.  Les  reproches  d'un 
oncle,  qui  traitait  ce  projet  d'extra- 
vagance, en  suspendirent  l'exécution. 
Ce  ne  fut  que  trois  ans  plus  tard  que 
Vaucanson  s'en  occupa  ,  pendant  un  a 
longue  maladie.  Il  y  réussit  au  point 
que,sanscorrection,sans  tâtonnement, 
la  machine  résulta  de  la  combinaison 
des  pièces  qu'il  avait  fait  exécuter  à 
divers  ouvriers,  chargés  séparément 
des  différentes  parties  de  l'automate. 
Aux  premiers  sons  que  le  flûteur  ren- 
dit, le  domestique  de  Vaucanson ,  qui 
se  tenait  caché  dans  l'appartement, 
tombe  aux  genoux  de  son  maître, 
qui  lui  paraît  plus  qu'un  homme  j  et 
tous  deuxs'embrassent  en  pleurant  de 
joie.  A  cette  machine  succéda  bientôt 
un  automate  qui  jouait  à-la-fois  du 
tambourin  et  du  galoubet.  Enfin  ou 
vit  deux  canards  qui  barbotaient ,  al- 
laient chercher  le  grain,  le  saisissaient 
dans  l'auge  ,  et  l'avalaient.  Ce  grain 
éprouvait    dans   leur   estomac  uue 


VAU 

espèce  de  triluration  ,  et  passait 
dans  les  intestins,  suivant  ainsi  tons 
les  degrés  delà  digestion  animale.  En 
i'^4o>  Yaucansou  résista  aux  offres 
du  roi  de  Prusse ,  qui  cherchait  à  ras- 
sembler dans  ses  états  tous  les  hom- 
mes illustres  dispersés  eu  Europe. 
Peu  de  temps  après ,  le  cardinal  de 
Fleury  l'attacha  à  l'administration  , 
enlui  confiant  l'inspection  des  manu- 
factures de  soie.  11  ne  tarda  pas  à 
perfectionner  le  moulin  à  organsincr 
(i).  Dans  un  voyage  qu'il  fit  à  Lyon, 
il  se  vit  poursuivi  à  coups  de  pier- 
res par  des  ouvriers  en  soie,  parce 
qu'ils  avaient  ouï  dire  qu'il  cherchait 
à  simplifier  les  métiers.  Pour  s'en  ven- 
ger ,  il  construisit  une  machine  avec 
laquelle  uu  âne  exécutait  une  étoffe  à 
fleurs.  Il  mit  fin  par  là  à  une  discus- 
sion où  l'on  faisait  valoir  auprès  du 
gouverrementrintelhgence  peu  com- 
mune que  devait  avoir  un  ouvrier  en 
étoffes  de  soie ,  dans  la  vue  d'obtenir, 
en  faveur  de  ces  fabriques ,  quelques- 
uns  des  privilèges  que  l'ignorance 
accorde  souvent  à  l'intrigue,  sous  le 
prétexte  si   commun  et   souvent  si 


(i)  Il  iiiiagiiia  fies  machines  propres  à  donner  à 
volouté  de  l'apprêt  aux  diver-^es  espèces  de  soie  ,  à 
rendre  cet  apprêt  égal  pour  toutes  les  bobines  ou  tous 
les  éclieveaux  d'un  même  tiavail,  et  pour  toute  la 
longueur  du  fil  qui  formait  chaque  bobine  ou  cha- 
que echeveau.  11  imagina  de  plus.les  instruments 
Jie'cegsaires  pour  exécuter  avec  régularité,  et  d'une 
manière  uniforuie,  les  diQérentes  parties  de  ces 
machines.  Ainsi  une  chaîne  sans  fin  donnait  le  mou- 
vement à  sou  moulin  à  organsiner  ;  il  inventa  une 
inachiue  pour  l'ormer  la  chaîne  de  mailles  toujours 
égales  :  eil>-  est  regardée  comme  un  chef-d'neu- 
vre.  il  ne  tendait  qu'à  donner  aux  mouvements  des 
gi'andes  machines  cette  précision  et  cette  uniformi- 
té si  nécessaires  pour  la  régularité  de  leurs  effets. 
11  voulait  substituer,  dans  ses  moulins,  des 
pièces  en  bois  à  celles  qu'il  avait  été  obligé  de 
mettre  eu  fer,  mais  de  manière  q\ie  cette  substitu- 
tion ne  nuisît  pas  à  la  perléctiou  du  travail.  Il  a  don- 
né, dans  les  Recueils  de  l'académie  des  sciences  , 
dont  il  était  membre,  plusieurs  Mémoires  sur  son 
moulin  à  organsluer  ,  et  la  description  de  quel  • 
ques  autri  s  mécanismes  utiles  aux  arts.  Il  possédait 
à  un  degré  très-rare  le  talent  de  décrire  les  machi- 
nes avec  clarté  et  précision.  Il  avait  un  coup-d'ail 
5ur  ,■  et  il  s'exprimait  avec  sincérité  ;  aussi  se 
plaignait-ou  souvent  de  son  jugement;  obI  'actui- 
sait   mèiBtt   de  partialité  et  d'ei»\  ie. 

XLVIII. 


VAU  17 

trompeur  du  bien  public.  Vaucanson 
fit  encore,  pour  la  représentation  de 
la  Cléopatre àcMarmoutel , un  aspic 
qui  s'élançait  en  sifflant  sur  le  sein 
de  l'actrice  •  ce  qui  fit  dire  à  un  plai- 
sant, que  l'on  consultait  sur  le  méri- 
te de  cette  tragédie  :  Je  suis  de  Va- 
vis  deV aspic.  Vaucanson  s'occupait 
en  secret  d'une  idée  ,  à  l'exécution 
de  laquelle  Louis  XV  s'intéressait  : 
c'était  la  construction  d'un  automate 
dans  l'intérieur  duquel  devait  s'opé- 
rer tout  le  mécanisme  de  la  circula- 
tion du  sang  j  mais  il  fut  dégoûté  par 
les  lenteurs  qu'éprouva  l'exécution 
des  ordres  du  roi.  Voltaire  fit  alors 
sur  lui  les  vers  suivants  : 

Le  hardi  Vaucanson  .  rival  de  Prométtée , 
Semblait,  de  la  nature  imitant  les  ressorts, 
Prendre  le  feu  des  cieux  pour  animer  des  corps. 

Attaqué ,  depuis  plusieurs  années  , 
d'une  longue  et  cruelle  maladie ,  il 
conserva  toute  son  activité  jusqu'au 
dernier  moment.  Il  s'occupait  en- 
core ,  à  la  fin  de  sa  vie  ,  à  faire 
exécuter  la  machine  qu'il  avait  in- 
ventée pour  composer  sa  chaîne 
sans  fin.  Ne  perdez  point  de  temps, 
disait-il  aux  ouvriers  ;  je  ne  vivrai 
peut-être  pas  assez  pour  expliquer 
tonte  mon  idée.  Enfin  il  termina 
sa  carrière  le  2i  nov.  1782.  Il  fut 
retenu  au  lit  pendant  les  dix-huit 
derniers  mois  de  sa  vie  ,  par  une 
complication  de  maux  très-doulou- 
reux jet  ses  parents  désirèrent  alors 
qu'il  donnât  quelques  marques  de  re- 
tour à  la  religion:  ce  ne  fut  qu'avec 
beaucoup  de  peine  qu'on  put  le  dé- 
terminer à  se  confesser.  On  lisait  cette 
épitaphe  sur  sa  tombe  dans  l'église 
de  Sainte-Marguerite  ;  Bonis  omni- 
bus pietate ,  caritate ,  vei'ecundid 
jlebilis.  C'était  en  efîet  un  bon  père 
de  famille ,  et  véritablement  un 
homme  de  bien.  Une  collection  de 
maciiines,  espèce  de  conservatoire 
2 


1« 


VAU 


des  arts  et  métiers  qu'il  avait  établi 
à  Paris  ,  rue  de  Charonne,fut  mise  , 
après  sa  mort ,  sous  la  direction  de 
Yaadermonde  ('2).  Son  éloge,  comme 
membre  de  racadcmie  des  sciences , 
a  etë  compose'  par  Condorcet.      Z. 

VAUGEIj  (  Paul -Louis  du), 
ami  et  agent  d'Arnauld  et  de  Ques- 
ncl,  né  a  Évrcux  vers  i64o,  s'é- 
tait d'abord  destiné  à  la  profession 
d'avocat;  mais  l'abbé  Feydeau  (  F. 
ce  nom  ,  XIV  ,  4?  O  l'entraîna  dans 
ime  autre  carrière.  Du  Vaucel  suivit 
cet  abbé  quand  il  alla,  eu  iGGS,  se 
fixer  dans  le  diocèse  d'Aleth.  Ils  de- 
meurèrent quelque  temps  ensem])le. 
Pavillon  ,  évèquc  d'Alctli ,  s'attacha 
ensuite  Du  Vaucel ,  qui  le  servait 
dans  sa  correspondance  et  dans  les 
aflfaires  que  lui  suscitait  sa  résistan- 
ce aux  ordres  du  roi  touchant  la 
régale.  Le  secrétaire  fut  exilé  à  St.- 
Pourçain,  en  1677,  et  passa  en  Hol- 
lande, en  1681  ;  Arnauid  y  était  dé- 
jà, ainsi  que  plusieurs  autres  ecclé- 
siastiques et  séculiers  attachés  à  sa 
cause.  Du  Vaucel  demeura  quelques 
mois  à  Dclft  avec  le  docteur,  ([ui  le 
4;rut  propre  à  remplir  une  mission 
importante.  Ou  voulait  avoir  à  Ro- 
me un  agent  actif,  intelligent,  dis- 
cret, qui,  par  sa  prudence  et  sa  ré- 
serve, ne  donnâlpoint  d'ombrage  et 
qui  sers'ît  néanmoins  avec  zèle  les 
intérêts  du  parti.  Du  Vaucel  avait 
toutes  ces  qualités  j  il  partit  pour 
Eome,  en  1682,  et  y  demeura  sous 
le  nom  dcValloni.  11  entretenait  avec 
Aruauld  une  correspondance  assidue , 
comme  on  le  voit  par  le  grand  nom- 

(a)  Vauraiisou  ,  par  son  testament  ,  avait  donne 
son  caliîiret  Ue  meoaniqiies  ;i  la  reîne,  qui  ne  pa- 
rut pas  faire  grand  cas  de  ce  Ic^s.  Ou  sngséra  à 
cette  princesse  l'idée  d'en  gisiillcr  l'académie  des 
sciences  ;  ruais  les  lutcudauls  du  commei-ce  ayant 
Teclainc  les  mai  hines  relatives  aui  manufactures  , 
il  en  résulta  des  discussions  ,  par  suite  destpielle» 
cette  précieuse  collection  a  été  dispersée  et  per- 
due pour  la  France.  Le  (Inleur ,  le  joueur  d'é- 
ebecf  ,  chc.  oui  j>aMe'  eii  AHe  nagm-.  A— T. 


VAU 

bre  de  lettres  de  ce  docteur,  qui  lui 
sont  adressécs,dans  le  recueil  qui  en  a 
été  publié.  Cette  correspondance  mys- 
térieuse montre  quels  étaient  le  dé- 
vouement et  l'activité  de  Du  Vaucel  ; 
on  eu  trouve  encore  une  autre  preu- 
ve dans  le  recueil  intitulé  :   Causa 
Quesnelliana ,  1704,  in-4°.  Parmi 
les  papiers  saisis  chez  Quesnel   lors- 
qu'il fut  arrêté  à  Bruxelles,  il  y  avait 
beaucoup  de  lettres  de  l'infatigable 
agent,  qui  v  est  nommé  tantôt  Val- 
loni ,  tantôt  le  prieur  de  Saint- Louis, 
quelquefois  le  sieur  de  La  Rue ,  Teo- 
doro,  clc.  Du  Vaucel  ayant  été  obli- 
gé de  quitter  Rome  ,  voyagea  en  Ita- 
lie et  dans  d'autres  pays ,   pour  les 
intérêts  de  la  même  cause.  Il  se  trou- 
vait à  Maëstricht,  en    17 15,  et  y 
mourut  le  'î.i  juillet.  Tous  ses  écrits 
sont  anonymes;  il  donna  une  édition 
des    Staluls   synodaux    d' Alcth , 
1  (374 ,  in- 1 2 ,  et  du  Traité  de  la  ré- 
gale ,  de  Caulet,  i08i  ,  in-4".  Lui- 
même  composa  un  traité  latin  sur  la 
régale,  1689,  111-4".,  et  dressa  une 
Relation   de  ce  qui  s'était  passé 
touchant  la  régale  à  Âlelh  et  à 
Famiers,  i68i  ,  in- 12.  Il  avait  re- 
cueilli des'  Mémoires  pour  la  Vie  de 
Pavillon  ,etil  a  écrit  contreMoliiios, 
contre  Sfondrate,  contre  les  rites  chi- 
nois. 11  avait  laissé  en  manuscrit  des 
Remarques  sur  les  Actes  du  concile 
de  Constance ,  par  Schelstrate,  et 
sur  le  Traité  des  libertés  gallican 
nés ,  de  Charlas.  Enfin,  on  lui  attri- 
bue des  Remarques  sur  le  plaidoyer 
de  Talon,  en  1688,  contre  la  bulle 
d'Innocent  XI,  sur  les  franchises, 
et  une  Justification  de  cette  bulle , 
iiM'2  de  170  pag.  P — c — r. 

VAUCHÈR.  r.VAULCHIER. 

VAUCHOT.    r.  Prudent. 
VAUCLUSE.  r.  Fauquk. 
VAU  DR  EU  IL  (Philippe  de 
RiGArD ,  marquis  de)  ,  fils  du  mar- 


VAU 

quis  de  Vaudreuil  qiu  fut  tuQ  à 
l^uzara  sur  le  champ  de  bataille,  eu 
170'i,  entra  dès  sa  jeunesse  dans  la 
carricic  des  armes,  fut  nomme,  en 
1G89,  gouverneur  de  Mont-Re'al  ,  s'y 
distingua  par  son  courage  ,  la  fer- 
meté de  son  adnnuistration  ,  et  fut 
jiomme,  en  1708,  gouverneur  de 
tout  le  Canada;  emploi  qu'il  con- 
serva jusqu'à  sa  mort,  qui  eut  lieu 
?»  Québec  le  10  septembre  l'jlj.  Il 
eut  pour  successeur  dans  ce  gouver- 
nement le  clievalicr  dcBeauharnais, 
et  plus  tard  le  marquis  de  Vaudreuil , 
son  lils,  lieutenant-gene'ral  ,  qui  dé- 
fendit si  bien  cette  colonie  contre  les 
Anglais,  en  175G,  et  succéda  dans 
le  commandement  au  marquis  de 
Montcalm  ,  qu'il  avait  très-bien  se- 
condé dans  ses  dillcrentes  expédi- 
tions, et  particulièrement  à  la  prise 
du  fort  Chouegueu.  Z. 

VAUDRliUlL  (Louis -Philippe 
RiGAUD,  marquis  dk)  ,  (ils  du  pré- 
cédent ,  ne  en  1723,  avait  à  peine 
atteint  sa  dix  -  huitième  année  lors- 
que son  père  le  fit  entrer  dans  la 
marine.  11  commandait ,  eu  17  jO,la 
frégate  V Arélhusc ,  et  fut  chargé 
d'escorter  lui  convoi  considérable 
revenant  du  Canada.  La  guerre 
était  déclarée  à  l'Angleterre  ;  et 
Vaudreuil,  après  une  heureuse  navi- 
gation, se  trouvait  en  vue  des  cotes 
de  France  ,  lorsqu'il  découvrit  un 
vaisseau  et  deux  frégates  ennemis. 
Aussitôt  il  fait  signal  à  la  flotte  de 
forcer  de  voiles  vent-arrière  j  et  lors- 
qu'il la  croit  hors  de  danger ,  il  laisse 
arriver  sur  les  deux  frégates ,  et  va 
leur  présenter  le  combat.  L'action 
durait  déjà  depuis  une  heure  avec 
une  intrépidité  sans  exemple,  delà 
part  de  V Ai'élhuse ,  lorsque  l'arri- 
vée du  vaisseau  anglais,  rendant  la 
])artie  trop  inégale,  força  le  marquis 
de  Vaudreuil ,    blessé  dangerense- 


VAU 


19 


ment ,  d'amener  son  pavillon.  La 
bravoure  qu'il  avait  montrée  dans 
ce  combat  lui  mérita  ,  en  Angleterre, 
l'accueil > le  plus  honorable.  On  lui 
laissa  spn  épée  ;  et  quelque   temps 
après  il  fut  renvoyé,  sans  échange, 
dans  sa  patrie.  La  guerre  de  1778 
lui  procura  de  nouvelles  occasions 
de  se  signaler.  Au  combat  d'Ouessaut 
{■!']  juillet),  il  commandait  le  Fen- 
dant ,  de  soixante-quatorze  canons , 
et  faisait  partie  du  corps  debataille  , 
sous  les  ordres  du  comte  d'Orvilliers. 
Au  commencement  de  l'année  1779, 
le  roi  lui  ayant  confié    le  comman- 
dement d'une  escadre  de  deux  vais- 
seaux, deux  frégates  et  trois  corvet- 
tes ,  le  chargea  d'aller  s'emparer  du 
Sénégal.  Arrivé,  le  3o  janv.,  devant 
le  fort  Saint-Louis  ,  Vaudreuil  l'o- 
bligea bientôt  de  se  rendre.  Cette  ex- 
pédition terminée,  il  croisa  dans  ces 
parages  ,  et  lit  pour  huit  millions  de 
prises  sur  les  Anglais.  Ensuite  il  alla 
joindre  l'armée  navale   aux  ordres 
du  comte  d'Estaing,  et  participa  nu 
combat  qui  fut  suivi  de  la  prise  de  la 
Gr.'nade.  A  son  retour  en  France,  le 
roi  lui  fit  ollrir  le   commandement 
de  Samt-Domingue.  «  Je  ne  puis  ac- 
»  cepter  cette  proposition ,   répon- 
y>  dit-il  au  ministre;  en  temps  de 
»  guerre,  le  poste  d'honneur ,  pour 
»  un  ollicier  de  la   marine,  est  sur 
»  un  vaisseau,  »  En  1 780  ,  Vaudreuil 
fut  chargé  d'escorter  un  convoi  nom- 
breux ,  destine  pour  les  Antilles.  Ren- 
contre, dans  sa  route,  par  l'escadre 
anglaise  aux  ordres  de  l'amiral  Kem- 
penfelt,  il  sut  lui  échapper  par  une 
manœuvre  habile,  et  entra  à  la  Mar- 
tinique  sans  avoir    perdu   un    seul 
bâtiment.  L'armée  du  comte  de  Gui- 
chen    étant  arrivée  sur   ces  entre- 
faites ,  Vaudreuil    se    rangea    sous 
son  pavillon;  et   il    participa,  sur 
le    Fondant  ,   au   combat  que  cet 
2.. 


ao  VitJ 

amiral  lirra  à  RoHiiej  (  17  avril 
1-80).  A  ia  funeste  journée  du  12 
avril  l'jS'i  ,  Vaudreuil  comraaiid.iit 
l'avant-garde  de  l'armée  sous  les  or- 
dres du  comte  de  Grasse.  Sou  pavil- 
lon était  arboré  sur  le  Triomphant, 
dequatre-vingts  canoi^-s.  Trop  t-loigué 
pour  prendre  part  au  combat ,  il  no 
put  en  empêcher  lés  suites  désas- 
treuses (  Foj-.  Grasse  ).  Ayant  en- 
suite rallié  quinze  vaisseaux  sous 
son  commandement  ,  il  se  rendit 
à  Saint  -  Domingue ,  sans  être  in- 
qviiété  par  l'amiral  Rodney.  La  paix. 
de  1783  le  ramena  dans  sa  patrie; 
et  il  fut  nommé  lieutenant- général  et 
grand-croix  de  Saint -Louis.  Élu  ,  en 
17F9 ,  député  de  la  noblesse  du  bail- 
liage de  Castelnaudari  aux  états -gé- 
néraux, il  siégea  au  côté  droit,  et 
prit  souvent  la  parole  sur  les  affaires 
relatives  à  la  marine.  Dans  la  nuit 
du  5  au  6  octobre  1789,  où  le  roi 
et  sa  famille  coururent  de  si  grar-ds 
dangers _,  Vaudreuil  donna  les  preu- 
ves du  plus  généreux  dévouement. 
En  1791  ,  il  passa  en  Angleterre. 
Rentré  en  France,  après  le  18  bru- 
maire (  1 800  ) ,  il  vécut  à  Paris , 
dans  la  retraite  la  plus  profonde, 
et  y  mourut ,  le  1 4  déc.  1802. — Jo- 
seph-Francois-de- Paule ,  comte  de 
Vaî:dreuil,  de  la  même  famille,  né 
à  St.-Domingue  le  2  mars  1740  ■,  fit 
ia  guerre  de  Sept-Ans  comme  aide- 
de-camp  du  prince  de  Soubise,  et 
comme  officier  supérieur  de  la  gen- 
darmerie. Il  parvint  ensuite  au  grade 
de  lieutenant- général  ,  fut  nommé 
grand  fauconnier  de  France ,  et  eut 
beaucoup  de  succès  à  la  cour.  En 
1782,  il  accompagna  le  comte  d'Ar- 
tois au  siège  de  Gibraltar.  Après  le 
i4  juillet  1789,  ii  quitta  la  France 
avec  ce  prince ,  se  rendit  avec  lui  à 
Turin ,  et  l'accompagna  ensuite  dans 
différentes  contrées  jusqu'à  son  re- 


VAU 

tor;-,  en  181 4-  Le  marquis  de  Vau- 
dieuil  fut  alors  uommcpair de  Fran- 
ce et  gouverneur  du  Louvre  ,  et  il 
mourut  dans  cette  charge  en  janvier 
1817.  H — Q — N. 

VAUGE  (Gilles),  né  à  Bcric  , 
au  diocèse  de  Vannes ,  entra  dans 
l'Oratoire  en  1687.  Après  avoir  en- 
seigné les  belles-lettres  d'une  manière 
très-distinguée  dans  plusieurs  collè- 
ges ,  il  professa  la  théologie  au  sé- 
minaire de  Grenoble  ,  oîi  il  s'acquit 
la  confiance  du  cardinal  Le  Camus 
et  de  M.  de  Montmartin ,  son  succes- 
seur. Après  la  mort  de  ce  dernier 
prélat ,  il  se  retira  à  l'institution  de 
Lyon^  continua  de  mener  une  vie  très- 
péuitente ,  et  y  mourut  le  28  octobre 
1739,  avec  la  réputation  d'un  ex- 
cellent théologien  et  d'un  directeur 
des  âmes  îrès-éclairé.  On  a  de  lui  : 
1.  Le  Catéchisme  de  Grenoble , 
souvent  réimprimé.  IL  Le  Directeur 
des  âmes  pénitentes  y  2  vol.  in- 12  j 
le  second  volume,  qui  est  du  P.  Mo- 
linier,  est  moins  estimé  que  le  pre- 
mier.III.  Traite  de  V espérance  chré- 
tienne ,  contre  l'esprit  de  pusilla- 
nimité ,  Paris,  in-12  et  in-i6.  Ou- 
vrage solide  ,  dont  la  troisième  édi- 
tion est  de  1732.  Il  a  été  traduit  en 
italien  par  Louis  Riccoboni,  Venise, 
1736  ,  in-i2.  Le  traducteur  le  dédia 
au  duc  d'Orléans  par  une  Épître  en 
français,  qui  ne  se  trouve  qu'à  la 
tête  de  l'exemplaire  présenté  à  ce 
prince.  IV.  Deux  Dialogues  sur  la 
constitution  Unigenitus ,  à  laquelle 
l'auteur  n'était  pas  favorable.  T — d. 

VAUGELàS  (Claude  Favre 
de  )  j  l'un  de  nos  plus  célèbres  gram- 
mairiens ,  était  le  second  fils  d'An- 
toine Favre  (  Foj-.  ce  nom  ,  XIV, 
225  ) ,  habile  jurisconsulte ;,  et  naquit 
à  rhambéri    vers    t585  (i).  Étant 

^ij  A  iîourj^-eii-Bresso ,  en  i5^5 ,  suiviuit  Pa- 
lissut  :  mais  c'est  une  duable  erreur,    La   seconde 


VAU 

venu  dans  sa  joincssc  à  Pars,  il  oh- 
tiut  une  ])Iace  de  gonlilhownie  ordi- 
naire de  Gaston,  duc  d'Orle'aus,  qui 
le  fit  ensuite  son  cliambellan.  L'atta- 
cliemcnt  qu'il  portait  à  ce  prince  ne 
lui  permit  pas  de  l'abandonner  dans 
ses  disgrâces  ;  mais  étant  mal  payé 
de  ses  gages,  il  tut  obligé  de  contrac- 
ter des  dettes,  dont  il  ne  put  jamais 
se  libérer.  Outre  la  baronniede  Pero- 
ges  en  Savoie,  il  jouissait,  sur  la  cas- 
sette du  roi ,  d'une  pension  de  deux 
mille  livres,  que  son  père  lui  avait 
fait  accorder  en  1 629 ,  et  qui  formait 
le  plus  clair  de  son  revenu.  Le  car- 
dinal de  Richelieu  ayant  fait  suppri- 
mer cette  pension ,  sans  doute  pour  le 
punir  de  son  zèle  pour  les  intérêts 
de  Gaston,  Vaugclas  se  trouva  dans 
une  situation  fort  embarrassante.  L'é- 
tude ,  qui  jusque-là  n'avait  guère  été 
pour  lui  qu'un  délassement  ,  vint  le 
consoler  des  caprices  de  la  fortune. 
Habitué  de  bonne  beiire  à  réfléchir  sur 
ses  lectures,  il  avait  acquis  une  con- 
naissance approfondie  de  la  langue, et 
s'était  fait  la  réputation  de  la  parler 
très-correctement  ,  genre  de  mérite 
fort  rare  à  cette  époque.  C'est  à  ce  ti- 
tre seul  qu'il  fut  admis  à  l'académie 
française ,  lors  de  sa  fondation  (2). 
Assistant  assidûment  aux  séances  , 
toutes  consacrées  alors  à  des  discus- 
sions grammaticales  ,  il  notait  avec 
exactitude  les  points  sur  lesquels  on 
ne  pouvait  s'accorder  ,  et  achevait 
de  les  éclaircir.  Telle  fut  l'origine  de 
ses  Remarques  sur  la  langue  fran- 
çaise, ouvrage  qu'il  s'empressa  d'of- 
frir à  ses  confrères,  lorsqu'ds  eurent 
arrêté  de  s'occuper  du  Dictionnai- 
re. L'académie,  ayant  reconnu  que 
tous  ses  membres  ne  pouvaient  pren- 


jieut    être   attribuée    à    une  incorrection  tvpogra- 
^iiique. 

[■^^  Vaiijrlas  fui  refu  It  \  ingt-Hcnixièmc 


VAU  '11 

dro  uiic  part  active  à  ce  travail , 
jiréscnta  Yaugelas  au  ministre  , 
pour  le  mettre  à  la  tête  de  celte 
grande  entreprise,  et  en  même  temps 
demanda  qi'.e  sa  pension  fût  réta- 
blie. Ti  alla  remercier  Piichelicti  , 
qui  lui  dit,  en  l'apercevant:  «Hé 
bien  ,  vous  n'oublierez  pas  dans  le 
dictionnaire  le  mot  de  Pension.  — 
I^  on,  monseigneur,  répondit- il ,  et  en- 
core moins  celui  de  Reconnaissance .» 
Vaugelas  était  un  des  oracles  de  l'hô  - 
tel  Rambouillet ,  où  il  n'était  pas 
moins  assidu  qu'à  l'académie. S'élaut 
formé ,  dans  sa  jeunesse  ,  principale- 
ment par  la  lecture  des  ouvrages  de 
Coefleteau  (  For.  ce  nom ,  IX,  197  )  ? 
il  conserva  long-temps  pour  cet  écri- 
vain une  admiration  excessive.  Il 
faisait  tant  de  cas  de  son  Histoire  ro- 
maine ,  qu'il  ne  pouvait  presque 
concevoir  de  phrase  qui  n'y  fût  em- 
ployée (3).  Dans  la  suite  ,  il  reconnut 
cependant  qu'il  pouvait  choisir  un 
meilleur  modèle  ;  et  il  refit  entière- 
ment sa  traduction  de  Quinte-Curce, 
après  avoir  lu  celle  à'Arrien ,  par 
Perrot  d'Ablancourt.  H  avait  com- 
posé quelques  vers  italiens ,  qu'on 
estimait  beaucoup;  mais  il  ne  put 
jamais  réussir  à  en  faire  de  français, 
dumoinsde  supportables  (4). La  dou- 
ceur de  ses  mœurs  ,  sa  probité  scru- 
puleuse et  ses  talents  lui  méritèrent 
de  nombreux  amis,  parmi  lesquels 
on  cite  Faret ,  Voiture,  Chapelain  , 
Conrart,  etc.  I!  mourut  presque  su- 
bitement d'un  abcès  à  l'e-iiomac  ,  au 
mois  de  février  l65o  (5),  à  l'âge  de 


(3)  Bal-/.ac  disait  j^laisamment  qu'an  jugement 
de  Vaugelas,  il  n'y  avait  poiat  de  salut  hors  de 
l'Histoire  ronjuine. 

(4'  On  en  a  la  preuve  par  les  impromptus  rip- 
porlés  dans  l'Hiitohe  de  l'Aoïdémic  ;  le  premiwr 
commence  par  ce  vers  singulier  : 

Empêché  d'un  eniperheinenl. 

(5)  D'Olivet  ,  «ur  r.Tifovi'c  de  Gnichcnou  ,  \'ré- 
r?re  celte  date  h  celle  't'^'ifi'in  ,  ';i?  ^i—ne  P.l- 
lissnn. 


a2  VAU 

soixante- cioq  ans.  Ses  manuscrits 
ayant  été  saisis  par  ses  créanciers  , 
l'académie  fut  obligée  de  plaider  pour 
avoir  le  travail  qu'd  laissait  sur  le 
Dictionnaire.  On  lui  donna  pour  suc- 
cesseur le  fécond  Scudéry  (  Foy.  ce 
nom  ).  Yaiigelas  ,  dit  Pellisson,  était 
fort  dévot,  civil  et  respectueux  jus- 
qu'à l'excès  >  particulièrement  envers 
les  dames ,  pour  lesquelles  il  avait 
une  extrême  vénération.  Il  craignait 
toujours  d'offenser  quelqu'un  ,  et  le 
plus  souvent  il  n'osait ,  pour  cette 
jaison,  prendre  parti  dans  les  ques- 
tions que  l'on  mettait  en  dispute  [Hist. 
de  l'acad.  franc.  ).  La  gloire  de 
Vaugelas  est  d'avoir  épuré  notre  lan- 
gue ,  que  Malherbe  avait  renouvelée. 
Éoileau  le  nomme  le  plus  sage  de 
nos  écrivains  {Réjl,  critiq.  sur  Lon- 
gin ,  I  ).  Quoiqu'on  lise  peu  ses  ouvra- 
ges aujourd'hui  ,  son  nom  passera 
jusqu'à  la  dernière  postérité.  On  a  de 
lui  :  I.  Remarques  sur  la  langue 
française,  Paris,  164  7,in-4°.  ;  il  y  en 
a  quelques-unes  de  puériles:  a  Mais, 
»  ditPelhssoH  ,  la  matière  en  est  très- 
»  bonne  pour  la  plus  grande  partie, 
»  et  le  style  excellent  et  merveilleux; 
»  mais  encore  il  y  a  dans  tout  ie  corps 
»  de  l'ouvrage  je  ne  sais  quoi  d'hou- 
»  nête  homme ,  tant  d'ingénuité  et 
»  tant  de  franchise ,  qu'on  ne  sau- 
»  rait  presque  s'empêcher  d'en  ai- 
»  mer  l'auteur.  »  La  Préface  pas- 
se pour  un  chef  -  d'œuvre  en  ce 
genre.  Les  Remarques  de  Yauge- 
ias  furent  critiquées  par  Dupleix  et 
l)ar  La  Mothe-le-Vayer  (6)  ;  mais 

(G)  Scip.  lUijiieix  publia  :  Liheric  de  lu  Ifins^ue 
française  dans  sa  pureté^  ou  Discussion  des  Remar- 
ques de  Vaugelas,  Paris,  i6>i  ,  iiï-4**.  T^a  critique 
ne  Le  Yayer  est  intitulée  :  Lettres  tourhant  les 
?iom>eltes  hemarques  sur  la  langue Jiançaise,  Paris, 
i()47,  iu-8".  Les  Olisert'atiûns  de  l'Académie Jran 
^aisc  sur  les  Remarques  de  P'aiiS;elas^  Paris  ,  1704  , 
in-',**,  n'en  sont  point  une  critique;  mais  une 
Teimpre.'-sion  avec  quelques  notes  ,  dans  lesquelles 
on  indique  les  mots  svuannës  et  les  changements 
a^^^^cs  dans  la  ïm^ue  depuis»  les  cinquante  der- 
nières années. 


VAU 

elles  trouvèrent  un  grand  nombre  de 
partisans  et  de  défenseurs  parmi  nos 
meilleurs  grammairiens,  tels  quePa- 
tru,  le  P.  Bouhours ,  etc.  On  les  a 
souvent  réimprimées.  La  meilleure 
édition  est  celle  de  Paris,  1738,  3 
vol.  in-i2  ,  avec  les  notes  de  Patru 
et  de  Th.  Corneille  {F.  ce  nom ,  IX , 
628  ).  Pellisson  annonçait  que  Vau- 
gelas avait  laissé  des  matériaux  tout 
prêts  pour  un  second  volume.  Ce  fut 
ce  qui  décida  sans  doute  Aleman  , 
avocat  de  Grenoble,  à  publier  les 
Nouvelles  Remarques  de  F  au  gela  s  y 
Paris,  i6go  ,  in- 12  :  mais  ce  recueil, 
à  peu  de  chose  près ,  ne  roule  que 
sur  des  phrases  absolument  suran- 
nées, même  du  temps  de  Vaugelas; 
en  sorte  qu'on  peut  raisonnablement 
croire  que  c'est  le  rebut  de  ses  pre- 
mières Remarques  {Hist.  de  l'acad. 
franc,  par  d'Olivet  ).  On  en  a  tiré 
quelques  articles  ,  les  plus  intéres- 
sants, pour  les  joindre  à  l'édit.  de 
1788.  II.  Quinte- Curce ,  de  la  Fie 
d' Alexandre  -le-  Grand.  Vaugelas 
avait  travaillé  trente  ans  à  cette  tra- 
duction, la  changeant  et  la  corri- 
geant sans  cesse.  Elle  fut  publiée , 
])Our  la  première  fois,  par  les  soins 
de  Chapelain  et  de  Conrart,  Paris, 
i653,  in  4°.,  et  il  s'en  fit  presque 
sur-le-champ  une  seconde  édition. 
Patru  ayant  retrouvé  ensuite  une 
copie  de  cette  traduction  ,  beaucoup 
meilleure,  la  fit  imprimer  en  iGSg, 
in-4°. ,  et  cette  édition  a  servi  de  ba- 
se à  toutes  celles  qui  ont  paru  depuis. 
Balzac  a  dit,  dans  son  style  empha- 
tique :  «  Si  l'Alexandre  de  Quinte- 
Curce  est  invincible ,  celui  de  Vauge- 
las est  inimitable,  v  Malgré  cet  ar- 
rêt ,  on  a  de  meilleures  traductions 
de  Quinte  -  Curce  (  Foj.  ce  nom  )  ; 
mais  on  ne  doit  point  oublier  que 
celle  de  Vaugelas,  publiée  dix  ans 
avant  les  Lettres  provinciales,  est 


VAU 

le  premier  ouvrage  écrit  dans  no- 
tre langue  avec  une  pureté'  continue 
(  Voy.  Palissot ,  Mémoires  sur  no- 
tre littérature).  On  peut  consulter, 
pour  plus  de  détails,  l'Histoire  de 
l'académie  française ,  par  Pellisson 
et  d'Olivct  •  et  les  Mémoires  de  Ni- 
ceron,  tom.  xix,  lij^-So'à.  Le  por- 
trait de  Vaugelas  a  e'te'  grave'  ;  mais 
on  ignore  le  nom  de  l'artiste  qui  nous 
a  conserve' ses  traits.  W — s. 

VAUGIRAUD  (  Le  comte ,  Pier- 
re-Eene'-Marie  de  ) ,  vice-amiral , 
naquit  aux  Sables-d'Olonne ,  en  1741? 
de  l'une  des  plus  anciennes  familles 
de  l'Anjou.  Il  était  le  second  de  trois 
frères,  dont  l'aîné,  le  marquis  de 
Vaugiraud ,  officier  aux  gardes-fran- 
çaises,  fut  arrêté  après  le  10  août 
1792,  et  massacré  à  l'Abbaye,  le  3 
septembre.  Le  dernier  des  trois  avait 
péri  en  revenant  de  l'Inde  ,  lors  du 
naufrage  du  vaisseau  le  David.  Le 
comte  ,  alors  chevalier  de  Vaugi- 
raud, entra  dans  la  marine  royale, 
en  1755.  Il  s'embarqua  l'année  sui- 
vante sur  V Eveillé ,  et  se  trouva  à 
la  prise  du  vaisseau  anglais  le  Green- 
ivtcA.  Nommé  enseigne,  en  i;6'i,  il 
se  fit  remarquer  par  son  activité  et 
son  courage  ;  même  pendant  la  paix, 
il  sut  encore  se  rendre  utile  à  bord 
de  l'escadre  d'évolution  commandée 
par  d'Orvilliers(^. ce  nom), qui  ap- 
pela sur  lui  la  bienveillance  du  roi. 
La  guerre  lui  fournit  des  occasions  de 
se  distinguer  d'une  manière  plus  bril- 
lante. En  1779,  il  sei'vait  sous  les 
ordres  du  même  amiral ,  sur  le  vais- 
seau commandé  par  M.  Dnchaffault, 
qui  dirigeait  l'arrière-garde  au  com- 
bat d'Ouessant.  Ce  brave  marin  tom- 
ba dans  les  bras  du  chevalier  de 
^  augiraud,  et,  forcé  par  sa  blessure 
de  quitter  le  pont ,  le  chargea  de 
commander  ses  manœuvres  de  ma- 
nière à  ce  qu'on  ne  s'aperçût  pas  de 


VAU 


33 


son  absraice.  Vaugiraud  justifia  sa 
confiance,  et  reçut  les  éloges  de  toute 
l'armée.  Rentré  à  Brest ,   l'incendie 
du  Roland,   arrivé  dans  le  port,  le 
mit  à  même  de  montrer  la  plus  rare 
intrépidité.  Le  roi  lui  lit  écrire  une 
lettre    fort  honorable.     Deux    fois 
dans  sa  vie  le  même  événement  de- 
vait faire  éclater  en  lui  le  même  cou- 
rage et  le  même  dévouement.  Peu  de 
temps  après  l'incendie  du  Roland, 
il   fut  nommé    au    commandement 
d'une  frégate:  il  se  préparait  à  met- 
tre à  la  voile,  lorsque  le  projet  d'une 
descente  en  Angleterre  fit   réunir  , 
sous  les  ordres  du  comte  d'Orvilliers, 
les  flottes  combinées  de  France  et 
d'Espagne  ;  et  cet  amiral  le  lit  choi- 
sir pour  major  en  second.  On  con- 
naît les    causes  patentes  et  secrètes 
du  peu  de  succès  de  cet  armement. 
Lorsque  Dnchaffault  en  prit  le  com- 
mandement,, après  ]M.  d'Orvilliers, 
Vaugiraud  fut  nommé  major-géné- 
ral, avec  le  rang  de  capitaine  de 
vaisseau.  Bientôt  on  le  choisit  pour 
remplir  encore  les  fonctions  de  ma- 
jor-généi-al  sur  la   flotte  du  comte 
de  Grasse.  Cette  armée  navale  de- 
vait relever,  aux  Antilles,  celle  du 
comte  de  Guichen  ,  ravitailler  les  îles 
françaises  et  escorter  un  convoi  de 
deux  cents  voiles.  Toutes  ces  opéra- 
tions réussirent,  et  le  chevalier  de 
Vaugiraud  concourut  à  leur  succès. 
Ce  fut  alors  qu'une  circonstance  ter- 
rible attira   sur  lui  les  regards  de 
toute  l'armée.  Tout-à-coup,  au  mi- 
lieu de  la  flotte  ,  qui  se  trouvait  à 
l'ancre  devant  la  ville  du  Cap  à  Saint- 
Domingue,   le   feu  prit  à   bord  de 
r/7z<r<?)?f^e.  L'équipage  eii'rayé,  sourd 
à  la  voix  du  brave    officier  qui  le 
commandait,  se  mutinait,  quittait 
déjà  le  vaisseau  ;  aucune  manœuvre 
ne  semblait  possible.  L'armée,  la  ville 
entière ,  dans  la  stupeur ,  attendaient 


2  4  VAU 

le  moraeNt  d«  leur  destruction.  PJa- 
jor  lie  l'armée,  compagnon  d'armes 
fi  ami  du  commandant  de  VJntrépi- 
ih ,  Vaugiraud  demanda  au  comte 
de  Grasse  la  permission  d'aller  périr 
avec  lui,  ou  de  l'aider  à  sauver  la 
flotte.  Il  vole  au  bâtiment  qui  vomis- 
sait des  torrents  de  flamme  ,  force  les 
fuyards  à  y  rentrer  avec  lui ,  unit  sa 
voix  à  celle  du  capitaine ,  prescrit 
lui-même  les  manœuvres  :  le  feu  s'ap- 
prochait de  la  soute  aux.  poudres  j 
enfin ,  V Intrépide  s'el)ranle  ,  s'éloi- 
gne ,  il  échoue  à  la  cote  ;  les  deux 
braves  officiers  font  embarquer  l'é- 
quipage, et  sortent  les  derniers.  Cinq 
minutes  après ,  Vlntrépide  sauta 
avec  une  explosion  qui  éljranla  toute 
la  ville  5  mais  d'assez  loin  pour  fcxire 
juger  seulement  du  péril  affreux,  au- 
quel elle  venait  d'échapper.  Dans 
cette  même  campagne,  le  comte  de 
Grasse  ayant  fait  voile  pour  la  baie 
deCliesapeak,et  revenant  aux  Antil- 
les ,  soutint,  le  12  avril  17 S'a,  contre 
l'amiral  anglais  Roduey,  ce  combat 
sanglant  et  malheureux,  où  la  flotte 
française  perdit  plusieurs  vaisseaux, 
et  vit  prendre  la  Ville  de  Paris, 
que  montait  l'amiral.  Le  carnage  y 
fut  afîreuî^  le  sang  inondait  les  en- 
tre ponts  •  Vaugiraud,  blessé  deux 
jours  avant  ,ne  cessa  de  remplir  son 
devoir  ovec  une  bravoure  et  un  dé- 
vouement qui  furent  reconnus  unani- 
mement par  le  conseil  de  guerre 
chargé  de  juger  la  conduite  des  prin- 
cipaux officiers  dans  cette  malheu- 
reuse affaire.  Le  roi  lui  adressa  de 
nouveau  une  lettre  très-honorable, 
accompagnée  du  brevet  d'une  pen- 
sion de  douze  cents  livres.  Après 
la  paix  de  1783  ,  Vaugiraud  com- 
manda en  second  une  escadre  d'é- 
volution. En  1780,  il  montait ,  de- 
puis un  an ,  un  bâtiment  en  station  à 
ia  Martinique,  lorsque  des  mouve- 


VAU 

ments  iusurrectiomjels  se  manifestè- 
rent dans  cette  colonie.  Il  seconda 
de  tous  ses  ellorts  le  gouverneur,  i\[. 
de  Vioménil  ;  et  tous  deux  parvin- 
rent à  arrêter  quelque  temps  les  dé- 
sordres de  la  révolution.  Il  revint 
en  France  bientôt  après ,  et  se  re- 
tira dans  ses  foyers,  en  Poitou,  où 
la  fureur  révolutionnaire  l'environ- 
na de  menaces  et  de  dangers.  Au  mo- 
ment du  départ  de  Louis  XVI  pour 
Varennes  ,  la  liberté  et  la  fortune  du 
comte  de  Vaugiraud,  comme  celles 
de  tous  les  gentilshommes  ses  pa- 
rents et  ses  voisins  ,  furent  tellement 
compromises,  qu'ils  entreprirent  de 
se  défendre  les  armes  à  la  main  :  réu- 
nis au  château  de  la  Proutière,  ap- 
partenant à  M^r.  de  Lézardière ,  ils 
y  furent  attaqués  ,  et  résistèrent  cou- 
rageusement pendant  toute  une  nuit. 
Mais  le  feu  ayant  été  mis  au  château  , 
ils  se  virent  forcés  à  la  retraite  ,  au 
moment  où  les  paysans  allaient 
s'armer  pour  les  défendre.  Cet  évé- 
nement, alors  de  peu  d'importance, 
fit  connaître  les  généreuses  disposi- 
tions qui  produisirent  depuis  tant 
d'actes  d'héroïsme  dans  cette  con- 
trée ,  et  fut  la  première  donnée  sur 
laquelle  le  chcA^alier  de  la  Piouarie 
conçut  le  projet  de  l'insurrection  de 
la  Bretagne  et  de  l'Anjou.  Le  comte 
de  Vaugiraud  ,  plein  de  confiance 
dans  la  justice  de  sa  cause,  vint  por- 
ter ses  plaintes  à  l'assemblée  natio- 
nale^ qui ,  loin  de  l'écouter,  rendit 
contre  lui  un  décret  de  prise  de  corps. 
Il  en  évita  les  suites  en  émigrant  avec 
son  fils  et  'sa  famille.  Arrivé  à  Co- 
blentz  ,  il  seconda  le  comte  d'Hector 
dans  l'organisation  du  corps  de  la 
marine  en  conipaguies;  et  dès  qr.e  \3. 
campagne  s'ouvrit  ,  il  prit  le  com- 
mandement de  celle  qui  fut  chargée 
d'accompagner  les  princes  français  , 
dont  il  partagea  les  fatigues  et  les 


/ 


VAU 

dangers.  An  licenciement  de  l'armce 
de  Condc,  le  comte  de  ^augiraud 
fut  envoyé  en  Angleterre  pour  se 
rendre  ensuite  dans  la  Vendée ,  et  y 
porter  les  ordres  du  roij  mais  cette 
mission  fut  différée  ,  et  il  resta  à 
Londres  jusqu'au  départ  de  l'expé- 
dition de  Quiberon.  Sa  réputation 
comme  marin  le  fît  choisir  pour  di- 
riger, sous  les  rapports  nautiques, 
les  mouvements  de  l'escadre  de  sir 
John  Warren^  et  pour  indiquer  les 
points  les  plus  propres  à  opérer  la 
descente.  Les  opérations  qu'il  con- 
seilla pour  le  pilotage  de  la  flotte 
furent  regardées  par  les  Anglais  eux- 
mêmes  comme  les  preuves  d'une 
grande  habileté.  Lorsque  les  désas- 
tres de  cette  expédition,  et  le  refou- 
lement de  l'armée  royale  sur  la  pres- 
qu'île de  Quiberon ,  ne  laissèrent  plus 
d'autre  parti  à  prendre  que  d'essayer 
de  sauver  les  braves  qui  se  dé- 
fendaient encore  ,  Vaugiraud  courut 
vers  l'amiral  anglais  ,  obtint  de 
lui  la  direction  de  huit  chaloupes 
canonnières  ,  avec  lesquelles  il  vint 
s'embosser  vis-à-vis  du  travers  de 
la  presqu'île,  et  commença  un  feu 
si  terrible ,  qu'il  arrêta  les  lépu- 
blicains  assez  de  temps  pour  sau- 
ver fartillerie  et  plusieurs  compa- 
gnies. C'est  ce  fait  honorable  que 
les  journaux  du  temps,  répétés  aveu- 
glément par  plusieurs  écrivains  , 
ont  dénaturé,  en  supposant  que  ces 
chaloupes  anglaises  tiraient  sur  les 
émigrés.  Le  comte  d'Artois  s'é- 
tant  rendu  à  V Isle  -  Dieu ,  Vaugi- 
raud y  fit  les  fonctions  de  capitaine 
de  port,  et  retourna  avec  le  prince 
en  Angleterre.  Son  fils  unique  resta 
dans  la  Vendée ,  et  mourut  de  fati- 
gue ,  peu  de  temps  après.  En  i8i4  , 
Vaugiraud  revint  en  France.  Il  avait 
à  peine  eu  le  temps  d'y  revoir  sa  fa- 
iriille ,  une  fille  qui  lui  restait  et  les 


VAU  a'-i 

enfants  de  .sou  malheureux  frère  , 
lorsque  le  roi  le  nomma  vice-amiral 
et  gouverneur  de  la  Martinique.  Son 
nom  y  était  déjà  chéri.  Son  arri- 
vée y  causa  la  joie  la  plus  vive  ; 
mais  le  retour  de  Buonaparte ,  en 
1 8 1 5  ,  le  mit  dans  la  position  la  plus 
critique.  Déjà  quelques  observations 
que  la  justesse  de  son  esprit  et  tant 
d'années  d'expérience  lui  rendaient 
faciles  lui  avaient  fait  entrevoir 
qu'il  n'aurait  guère  à  compter  sur  la 
loyauté  et  l'appui  de  la  plupart  de 
ceux  qui  l'entouraient.  La  Guadelou- 
pe venait  de  s'insurger  ;  et  des  vais- 
seaux de  la  station  avaient  mis  à  la 
voile  avec  le  pavillon  révolutionnai- 
re. Les  troupes  se  montraient  incer- 
taines. Des  émissaires  arrivaient  à  la 
Martinique,  où  l'intrigue  ell'ambition 
leur  préparaient  un  accès  facile.  Ce- 
pendant une  main  auguste  soutenait 
le  comte  de  Vaugiraud.  Oubliant  ses 
propres  dangers ,  Madame  avait 
songé  à  ceux  des  colonies ,  et  fait 
instruire  le  comte  de  Vaugiraud  des 
événements  qui  se  passaient  en  Eu- 
rope. Bientôt  il  reçut  le  titre  de  gou- 
vei'neur-géuéral  des  Antilles,  avec  des 
pleins -pouvoirs  donnés  par  le  roi. 
Sans  perdre  un  moment,  il  déclara 
sa  ferme  résolution  de  conserver  le 
drapeau  blanc  jusqu'à  la  mort.  11 
donna  le  choix  aux  troupes  de  re- 
nouveler leur  serment  ou  de  s'em- 
barquer pour  la  France.  Celles  qui 
chancelèrent  furent  mises  à  bord  d'un 
vaisseau  ,  qui  leva  l'ancre  sur  -  le- 
champ.  Les  agitateurs  furent  arrêtés 
et  déportés  ,  les  hommes  incertains 
forcés  de  faire  leur  devoir.  Le  comte 
de  Vaugii'aud  s'était  assuré  le  secours 
des  Anglais,  s'il  en  était  besoin,  et 
avec  la  convention  expresse  qu'ils 
seraient  sous  ses  ordres.  EnCn  la 
Martinique  sauvée  prouva  ce  que  la 
loyauté  et   h   dévouement  peuvent 


26 


VAU 


donner  de  forces  à  un  seul  homme 
dans  une  circonstance  si  difficile.  La 
cbambre  des  députés  de  i8i5  ap- 
plaudit à  la  conduite  du  comte  de 
Vaugiraud  :  un  de  ses  membres  pro- 
posa qu'une  récompense  publique , 
proportionnée  à  la  grandeur  du  ser- 
Tice  qu'il  venait  de  rendre,  lui  fût 
décernée.  Cependant  la  Martinique 
avait  encore  besoin  de  la  ferme- 
lé  de  celui  qui  venait  de  l'arracher 
à  la  honte  de  la  révolte  et  aux 
malheurs  de  la  guerre  civile.  Des 
dépenses  excessives,  une  adminis- 
tration en  désordre,  des  abus  en- 
racinés altéraient  sa  prospérité.  Vau- 
giraud, sans  redouter  les  ruses  et 
les  clameurs  de  l'intrigue  ,  ne  crai- 
gnit pas  d'attaquer  ouvertement 
toutes  ces  déprédations ,  et  de  met- 
tre un  terme  à  tant  d'abus.  Il 
poursuivit  ses  plans  avec  ferme- 
té ,  et  rétabbt  l'état  financier  de 
la  colonie  :  mais  ia  voix  de  ses  enne- 
mis s'était  fait  plus  facilement  en- 
tendre en  Europe,  près  d'un  minis- 
tère dont  l'inconcevable  imprudence 
avait  adopté  le  plan,  que  l'histoire 
jugera  sans  doute  sévèrement,  de 
poursuivre,  de  décourager,  de  ren- 
verser tous  les  hommes  dont  la  mar- 
che franche  et  dévouée  rendait  à  la 
monarchie  sa  force ,  et  faisait  taire 
les  derniers  accents  de  la  révolution. 
En  vertu  d'un  usage  tombé  en  dé- 
suétude et  qu'on  n'a  pas  observé  de- 
puis, mais  qu'on  fit  revivre  pour  ce- 
lui qu'il  eût  fallu  en  excepter ,  le 
comte  de  Vaugiraud  fut  rappelé , 
comme  ne  pouvant  rester  plus  de 
trois  années  à  la  colonie.  Il  venait 
d'y  perdre  la  compagne  de  sa  vie  : 
mie  long^ie  et  pénible  traversée  avait 
«battu  ses  forces.  Un  coup  non  moins 
douloureux  l'attendait  en  France. 
Sans  égard  pom-  ses  émiuents  servi- 
ces ,  le  ministère  ne  rougit  pas  d'or- 


VAU 

donner  une  enquête  sur  la  conduite 
de  l'homme  qui  venait  de  donner 
un  si  rare  exemple  de  fidélité.  Cette 
enquête  ne  présenta  rien  que  d'hono- 
rable :  mais  on  la  fit  traîner  en  lon- 
gueur; et  par  un  raffinement  de  per- 
sécution, on  défendit  au  comte  de 
Vaugiraud  de  paraître  devant  le  roi, 
qu'il  avait  si  bien  servi,  jusqu'à  ce 
que  la  commission  eût  prononcé.  Le 
vieux  guerrier  ,  qui  avait  bravé  pen- 
dant une  longue  vie  la  mort  et  tous 
les  genres  d'infortune,  ne  put  sup- 
porter un  pareil  malheur.  Tous  les 
soins  de  sa  famille,  tous  les  secours 
de  l'art  furent  inutiles  ;  il  succom- 
ba à  sa  douleur  et  s'éteignit,  le  i4 
mars  1 8 1 9  ,  dans  les  bras  d'une  reli- 
gion consolatrice,  enbénissant  le  nom 
du  roi.  On  a  publié,  eu  1822,  jRap- 
port  au  roi  sur  le  gouvernement  de 
la  Martinique  et  de  la  Guadeloupe, 
par  le  comte  de  Vaugiraud ,  précédé 
de  la  Biographie  de  cet  amiral,  in- 
8°.  Sa  famille  a  désavoué  cette  pu- 
blication faite  à  son  insu  ,  et  dans 
laquelle  plusieurs  inconvenances  se 
remarquent  aisément.  Le  comte  de 
Vaugiraud  n'a  laissé  qu'une  fille.  Ses 
neveux ,  fils  et  petits-fils  de  son 
frère  ,  massacré  le  3  septembre  ^ 
servent  tous  le  roi  dans  divers  pos- 
tes. Le  seul  d'eutre  eux  destiné  au 
service  de  mer,  Léon  de  Vaugiraud, 
y  annonçait  déjà  un  officier  très-dis- 
tingué. Après  de  longues  courses,  il 
a  succombé,  à  la  fleur  de  l'âge  ,  sur 
les  côtes  d'Espagne.  Sa  mort  a  éteint, 
dans  la  marine  française,  un  nom 
dont  SG?,  annales  conserveront  du 
moins  l'honorable  souvenir.     L-s-e. 

VAUGONDY.  For.  Robert. 

VAUGUYON  (i)   (Antoine- 


(i)  Ce  nom  est  écrit  en  Jeux  mots  dans  presque 
toutes  les  lii&toires  où  il  est  question  des  membres 
de  celle  famille.  Sa  vtritahle  orthograpbe  est   Xa- 


Paul-Jacques  de  Qxjelen,  duc  de 
La  ) ,  issu ,  par  la  ligne  des  femmes  , 
et  unique  rcpi'ësentant  de  la  bran- 
che royale  des  princes  de  Bourbon- 
Careucy ,  et  en  cette  qualité  prin- 
ce de  Careucy  (st),  honore'  du  ti- 
tre de  cousin  du  roi ,  naquit  à  Ton- 
neins  le  17  janvier  1706.  Il  ajou- 
ta ,  par  ses  services  et  ses  vertus 
personnelles  ,  à  l'illustration  de  ses 
aïeux ,  et  fut  gouverneur  de  trois  rois 
de  France.  Il  épousa,  en  1735,  la 
lilie  aînée  du  duc  de  Béthnue-Cha- 
rost,  dont  le  père  avait  été  quelque 
temps  gouverneur  de  Louis  XV  .Voué 
au  service  militaire  ,  il  fit,  en  qualité 
de  colonel  du  régiment  d'infanterie 
de  Beauvoisis,  les  campa  gnesde  1733, 
1734  et  1735^  et  se  distingua  aux 
sièges  de  Kelil  et  de  Philipsbourg  , 
à  l'altaque  des  lignes  d'Eslingen  ,  et 
au  combat  de  Clauzeu.  En  174^  -,  il 
fut  chargé  de  la  retraite  de  \  aiiden- 
liausen  en  Bohême ;,  et,  à  la  tête  de 
quatorze  compagnies  de  grenadiers, 
il  soutint,  pendant  huit  heures  ,  l'at- 
taque des  ennemis  ,  sans  se  laisser 
entamer.  La  même  année,  il  se  rendit 
maître  de  Landau  sur  l'Iser^oii  il  se 
maintint  pendant  huit  jours,  ce  qui 
lui  donna  le  temps  de  faire  des  ponts 
pour  le  passage  de  l'armée  française 
et  des  subsistances.  Il  fut ,  en  1743  , 
promu  au  grade  de  brigadier  ,  et 
servit  sous  les  yeux  du  roi ,  aux  siè- 
ges de  Menin ,  Ypres  ,  Touruay  ,  Ou- 
dcnarde  ,  Anvers  et  Maëstricht.  Il 
contribua  beaucoup  au  gain  de  la 
bataille  de  Foutenoy  (  1745  ).  On 
sait  qu'elle  paraissait  perdue  jus- 
qu'au moment  où  l'artillerie  com- 
mença à  foudroyer  la  redoutable 
colonne  anglaise,  dont  la  défaite  as- 
sura le  succt-s  de  cette  mémorable 
journée.  Les  boulets  vinrent  à  man- 

{•>.)  Voy.  le  Dictinnnaiic  àe  Mo7éii, 


VAU 


27 


guer  au  poste  du  village  de  Foute- 
noy ,  dont  le  comte  de  Lavauguyon 
avait  le  commandement  ;  au  lieu 
d'arrêter  le  feu  de  sa  batterie,  ce  qui 
aurait  donné  aux  Anglais  le  temps 
de  se  reconnaître, il  continua  de  faire 
tirer  à  poudre  ,  et  l'efTet  moral  fut  le 
même  sur  celte  colonne  qui  se  voyait 
accablée  dans  toutes  les  directions  par 
l'artillerie  française.  Celte  présence 
d'esprit  fut  une  des  principales  causes 
dubrillant  résultat  de  cettejournée.  Le 
roi  lui  en  témoigna  publiquement  sa 
satisfaction ,  et  l'éleva  au  grade  de 
maréchal-de-camp  sur  le  champ  de 
bataille.  A  Rocoux  il  commandait 
une  des  divisions  qui  emportèrent 
ce  village.  Il  ne  se  distingua  pas 
moins  à  Laufeld.  Créé  lieutenant- 
général  le  i^'^.  janvier  1  748,  et  che- 
valier commandeur  des  ordres  du 
roi,  le  i'^^.  janvier  1753,  il  ajouta 
à  tous  ses  titres  par  de  nouveaux  ser- 
vices. Après  la  campagne  de  1767  , 
il  fut  chargé  du  commandement  du 
duché  de  Grubeuhagen  ,  oii  une  par- 
tie des  troupes  françaises  était  en 
quartiers  d'hiver  :  il  sut  maintenir 
la  discipline ,  ménager  l'habitant  et  se 
concilier  le  respect  et  la  confiazicedes 
magistrats  ;  ceux-ci ,  dans  leur  re- 
connaissance ,  lui  lircut  des  ollres 
qu'il  repoussa  avec  un  rare  désinté- 
ressement. Mais  c'est  surtout  comme 
ayant  été  pendant  vingt  ans  l'ami 
intime  du  dauphin,  et  le  gouverneur 
des  quatre  fils  de  ce  prince,  qu'il  mé- 
rite une  place  dans  l'histoire.  Dès  le 
i4  février  1745^  il  avait  été  nommé 
l'un  des  menins  du  dauphin ,  et  de- 
vait ce  choix  honorable  à  la  connais- 
sance particulière  qu'avait  le  roi  de 
sa  piété  et  de  ses  lumières.  Au  mois 
de  mai  1758,  le  comte  de  Lavau- 
guyon fut  nommé  gouverneur  du  11  Is 
aîné  du  dauphin ,  le  duc  de  Bourgo- 
gne, sur  lequel  reposaient  de  si  grau- 


18 


VAU 


des  espérances.  Ce  clioix  avait  été 
désiré  par  le  danpliin  :  il  fut  applau- 
di par  toute  la  France  j  et  la  dignité 
de  duc  et  pair,  à  laquelle  fut  élevé 
le  comte  de  Lavauguyon  ,  ne  parut 
que  la  suite  nécessaire  et  juste  de  la 
haute  confiance  du  monarque  (3). 
Secondé  par  le  vénérable  Coetlos- 
quet(  V.  ce  nom  )  ,  l'un  des  prélats 
les  plus  vertueux  de  sou  siècle  ,  par 
le  mai-quis  de  Sincty,  sous  -  gouver- 
neur ,  et  par  l'abbé  de  Radonvil- 
liers  {V.  ce  nom) ,  sous-précepteur  , 
le  duc  de  Lavauguyon  accomplit  di- 
gnement la  tâche  qui  lui  était  confiée. 
Dire  que  son  premier  élève  mourut  en 
héros  ,  à  l'âge  de  dix  ans ,  c'est  faire 
le  plus  bel  éloge  de  l'éducation  de 
ce  précieux  enfant ,  qui  fut  enlevé  si- 
tôt à  la  France  (  x'-fii).  Le  duc  de 
Lavauguyon ,  qui  sans  doute  sentit 
cette  perte  plus  vivement  que  tout 
autre,  fut  obligé  de  faire  taire  sa 
douleur ,  pour  consoler  celle  du  dau- 
phin. Le  succès  de  l'éducation  de  ce 
prince  engagea  le  roi  à  confier  à  ce 
seigneur  ses  ti'ois  autres  petits-fils , 
à  mesure  qu'ils  passèrent  enti'e  les 
mains  des  hommes.  Le  dauphin  et  sa 
digne  compagne  se  plaisaient  à  par- 
tager les  soins  dent  ce  vertueux  gou- 
verneur s'acquittait  avec  tant  de  zèle 
et  de  lumières  ;  mais  le  duc  de  La- 
vauguyon eut  trop  tôt  à  déplorer 
une  perte  irréparable.  Ce  fut  eutre 
ses  bras  que,  le  20  décembre  1765, 
le  dauphin  l'cndit  le  dernier  soupir 
en  lui  recommandant  de  continuer  à 
former  ses  enfants  à  la  sagesse  et  à 
la  vertu.  Tous  trois  devaient  régner 
successivement ,  sous  le  nom  de  Louis 

(3)  Voici  comment  Vabbe  Proyart  s'exprime  à  ce 
sujet  dans  son  livre  intitulé  Loiiit  Xf^I  et  ses  ver 
tn^  aux  prises  avec  la  perversifé  de  son  siècle  :  «  Le 
>i  Dauphin,  que  Louis 'XV  avait  laissé  maître  abso- 
»  lu  de  l'éducation  de  ses  fils,  leur  avait  donné 
»  pour  gouverneur  le  duc  de  La  Vauguyon  ,  sci- 
»  gneur  d'une  vii'eur  oprouve'e,  et  qui  faisait  pro- 
)i  ress'on  d'allier  le  service  dp  son  Dieu  à  l'altai  îje. 
i>  ment  pour  son  roi.  » 


VAU 

XVI ,  de  Louis  XVUl  et  de  Charles 
X;  et  ils  ont  prouvé  que  la  confian- 
ce et  l'amitié  de  leur  auguste  père  ne 
pouvaient  être  mieux  placées.  On 
trouve  des  détails  sur  l'éducation 
des  fils  du  dauphin  dans  ÏEloge 
de  Mgr.  le  duc  de  Bourgogne ,  par 
Lefrauc  de  Pompignan  •  dans  la  Fie 
du  dauphin ,  par  l'abbé  Proyart  j  et 
dans  la  Fie  privée  des  Bourbons 
(  Paris  ,  mai  1 8 1 5  )  ,  par  l'auteur  de 
cet  article.  Le  duc  de  Lavauguyon 
avait  coinposélui-même  des  travaux 
fort  étendus  pour  la  direction  reli- 
gieuse et  politique  de  ses  élèves  (4). 
Il  mourut,  le  4  février  1 7  72,  à  Ver- 
sailles ,  ne  laissant  qu'un  fils,  M.  le 
duc  de  Lavauguyon  ,  actuellement 
pair  de  France.  D — r — a. 

VAULCHIER  (Matthieu),  et 
non  pas  Vauchier  ou  Vaucher,  tra- 
ducteur, était  né  ,  dans  le  seizième 
siècle,  à  Arlay  près  de  Lons  le-Sau- 
nier.  Il  joiguaità  des  connaissances  as- 
sez étendues  pour  le  temps  beaucoup 
d'esprit,  de  prudence  ,  et  le  courage 
d'un  soldat.  11  sut  mériter  la  bien- 
veillance de  l'empereur  Charles-Quint 
et  reçut  de  ce  prince,  avec  la  charge 
d'un  de  ses  rois  d'armes ,  le  surnom 
de  FrancJte- Comté.  Il  se  signala 


(4'l  L'auteur  de  celaoticle  a  sous  les  yeux  un  mo- 
nument de  la  sagesse  des  leçons  que  le  duc  de  La- 
vauguyon donnait  à  ses  élèves.  C'est  ta  coj)ie  d'un 
manuscrit  du  roi  Louis  XVI  ,  intitulé  :  Bejlexions 
sur  mes  entreliens  avec  M.  le  duc  de  Lavuiiguyon. 
Ces  entretiens,  au  nombre  de  Ireule- trois  ren- 
ferment un  cours  complet  d'éducation  pour  un 
prince.  Il  suOit  de  les  lire  pour  être  persuadé  que 
f'instiluteur  des  fils  du  dauphin  était  par  ses  lu- 
mières à  la  hauteur  de  la  tâche  qui  lui  était  im- 
posée. On  y  trouve  une  connaissance  profonde 
des  hommes  et  des  devoirs  de  la  royauté.  Par- 
tout la  vertu  y  parle  le  langage  de  la  raison  la 
plus  éclairée.  L'auguste  élève  y  professe  l'amour  de 
ses  peuples  ,  en  se  promettaut  de  maintenir  avec 
fermeté  son  autorité  sur  eux.  Ce  manuscrit  de 
LouisXVlavait  été  copié  de  la  main  de  MONSIEUR, 
comte  de  Provence  ,  depuis  Louis  XVIII  ;  et  cette 
copie  fut  à  l'époque  de  la  révolution  enveloppée 
dans  la  dispersion  de  la  bibliothèque  de  ce  prince. 
liUc  a  été  retrouvée  et  acheter,  en  iSifi,  par  uu 
amnirur  écl.iiré  (  M.  L.  S  )  ,  qui  .s'est  empresse 
d'en  f.iirc  h  jinrange  au  roi  Louis  XVIII. 


VAU 

dans  les  guerres  contre  les  protestants 
d' Allemagne  ,  et  ne  quitta  Charles- 
Quint  qu'après  son  abdication.  On 
ignore  l'époque  de  sa  mort.  Il  a 
traduit  de  l'espagnol  en  français  le 
Commentaire  de  don  Louis  d'Avila 
{F.  ce  nom,  III ,  120  ) ,  de  la  Guerre 
d'Allemagne,  Anvers,  i55o,  in- 
8°.  C'est  de  la  même  famille  que 
descend  le  marqius  de  Vaulchier^ 
directeur-ge'néral  des  postes.  W — s. 
VAULX-GERNAY  (Pierre, 
moine  de)  embrassa  jeune  la  vie  re- 
ligieuse dans  l'abbaye  de  ce  nom,  au 
diocèse  de  Paris.  Il  était  neveu  de 
l'abbé  Gui ,  l'un  des  plus  ardents 
promoteurs  de  la  guerre  contre  les 
Albigeois ,  mort  évêque  de  Carcas- 
soime ,  l'an  1228.  11  accompagna 
son  oncle  dans  la  croisade  des  La- 
tins contre  les  Grecs ,  dont  le  ré- 
sultat fut  l'élévation  de  Baudouin  , 
comte  de  Flandres ,  sur  le  trône  de 
Constantinople  {F.  Baudouin  ,  III, 
544  )  ;  et  il  le  suivit  également 
dans  l'expédition  contre  les  Albi- 
geois. Il  prit  une  part  active  à  cette 
entreprise  par  ses  démarches  et  ses 
prédications.  Ayant  vécu  dans  l'inti- 
mité de  tous  les  chefs  de  cette  guerre 
mémorable  ,  personne  n'était  plus  en 
état  que  lui  d'en  écrire  l'histoire.  Il 
offrit  au  pape  Innocent  III  la  dédica- 
ce de  son  ouvrage,  qui  commence  en 
1 20G  ,  et  finit  en  1 2 1 8 ,  à  la  mort 
de  Simon  de  Montfort,  tué  devant 
Toulouse.  Ou  reproche  à  Fauteur  sa 
partialité  pour  $imon  de  Montfort  ^ 
son  zcleardeiît  contre  les  Albigeois, 
et  son  dévouement  aveugle  à  la 
cour  de  Rome  :  c'est  lui  reprocher 
d'avoir  eu  les  opinions  de  son  siè- 
cle. Ses  récits  sont  pleins  de  cha- 
leur et  d'intérêt;  on  sent  qu'il  écrit 
avec  conviction  ,  et  son  livre  est  un 
de  ceux  qui  font  le  mieux  connaître 
les  temps  déplorables  où  il  a  vécu. 


VAU  29 

1/ Histoire  de  Pierre  de  Vaulx- 
Cernay  fut  publiée,  poui^  la  première 
fois,  à  Paris,  en  i6i5 ,  in-8'>. ,  par 
les  soins  de  Nicolas  Camusat  (  F.  ce 
nom  ,  XI ,  663  )  ;  Duchesne  l'inséra 
depuis  dans  sa  Collection  des  his- 
toriens de  France,  v,  554,  avec 
quelques  corrections  tirées  d'un  ma- 
nuscrit de  l'abbaye  de  Saint-Martin- 
des-Chainps  ;  et  enfin  D.  Tissier  la 
réimprima  dans  le  tome  vn  de  la 
Bihliotheca  cisterciensis  ,  d'après 
un  manuscrit  de  l'abbaye  de  Long- 
Pout.  Cette  édition  passe,  pour  la 
plus  exacte  ;  mais  M.  de  Cambis  en 
possédait  un  manuscrit  qui  diffère  eu 
beaucoup  d'endroits  des  imprimés, 
et  dont  les  leçons  lui  paraissent  meil- 
leures ,  parce  qu'il  le  regarde  comme 
une  copie  faite  sur  le  manuscrit  au- 
tographe (  F.  le  Catalogue  des  Ma- 
miscrits  de  Cambis),  L'histoire  de 
Pierre  de  Vaulx-Cernay  a  été  tra- 
duite en  français  par  Arnaud  de  Ser- 
bin  ,  Paris ,  i565  ,  in-S».  (i) ,  et  ré- 
cemment par  M.  Guizot,  sur  l'édition 
deTissier.  Cette  traduction,  précédée 
d'une  Notice  sur  l'auteur  ,  et  suivie 
de  plusieurs  documents  historiques, 
forme  le  tome  xiii  de  la  collection 
des  Mémoires  relatifs  à  l'Histoire 
de  France ,  depuis  la  fondation  de 
la  monarchie  jusqu'au  treizième  siè- 
cle ,  Paris  ,  Brière  ,  1828  et  années 
suivantes.  W — s. 

VAUMORIÈRE  (Pierre  d'Orti- 
GUE  DE  ) ,  littérateur  médiocre  ,  né 
vers  1610  à  Apt  en  Provence,  était 
fils  d'Annibal  d'Ortigue  (  Foj.  ce 
nom  ,  XXXII  ,  182  )  et  d'une  de- 
moiselle de  Barras  (i).  Ayant  héri- 


(i)  Il  en  existe  deux  traductions  antérieures  à 
celle  de  Serbin ,  restées  manuscrites;  la  plus 
ancienne  est  anonyme;  la  seconde  ,  de  Guill.  Pel- 
licicr  (  ('■'.  ce  nom  ^,  est  conservée  à  la  biblioth. 
du  Roi  ,  sous  le  nO.  6()'|.i. 

[\^  Voyez  la  Bibliolh. française  Ao.  Goujet,  XV. 
2-5-80. 


3o 


VAU 


te  du   fief  dont  il  prit  le  nom ,   il 
vint  à  Paris  ,   où  ses   manières   ai- 
mables le    firent  accueillir.  11  avait 
la  passion  du  jeu  ,  ainsi  que  sa  fem- 
me (2);  et  comme  il  était  rarement 
favorise  de  la  fortune,  il  se  trouva 
ruine  en  peu  de  temps.  C'est  alors 
qu'il  se  vit  oblige  de  chcrcber  une  res- 
source dans  l'exercice  de  ses  talents 
naturels.  S'etant  mis  aux  gages  d'un 
libraire ,  il  tenta  d'imiter  les  longs 
romans  que  La  Calprenède  avait  mis 
à  la  mode ,  et  fut  assez  beureux  pour 
ne  point  paraître  trop  inférieur   à 
son  modèle.  Vaumoricrc  était  mem- 
bre de  l'académie  qui  s'assemblait 
cbez  d'Aubignac  (  V.  ce  nom  ).  Ce- 
pendant «  sa   moindre  qualité ,   dit 
«  M^i*^.  de  Scudéry ,  était  son  bel-es- 
»  prit  :  il  brillait  partout  ;   mais  il 
»  était  encore  plus  honnête  homme 
»  qu'il  n'était  homme  de  letties.  . .  . 
»  Il  n'avait  rien  à  lui  ;  tous  ceux  qui 
»  le  connaissaient  étaient  plus  maî- 
»  très  de  son  bien  que  lui  -  même.  11 
»  disait  toujours  que  l'argent  et  le 
»  cœur  ne  sont  bons  que  quand  on 
»  les  donne  :  à  quoi  il  ajoutait  que 
»  c'était  \\\\  moindre  mal  d'èti'e  dupe 
»  que  de    craindre    toujours   d'être 
1)  dupé.  Dans  un  âge  fort  avancé  ,  il 
»  conservait  tout  le  feu  et  les  agré- 
»  racnts  de  la  jeunesse.  Il  avait  le 
»  secret  de  ranimer  la  conversation  ; 
»  il  parlait  bien ,  il  écrivait  encore 
»  mieux.  »  Vaumorière  n'eut  point 
d'autre  ennemi  que  Ricbelet ,  qui  l'a 
fort  maltraité  dans  son  Dictionnaire, 
notamment  au  mot  Elargir,  où  il 
lui  reproche  d'avoir  été  mis  en  pri- 


C»)  Elle  a  dans  le  Grand iliclionnairehiitoritjue  des 
Précieuse'.,  parSomaize,  un  article  (11,177  ) ,  '""^ 
le  nom  de  F'arsam'ine.  ("/est,  y  est-il  dit,  une  il- 
lustre précieuse  de  la  ville  de  Lescalle  (Digne)  ;  elle 
passe  six  mois  de  l'anuée  à  Athènes  (Paris)  ;  c'est 
la  femme  de  Grèce  (France)  qui  a  le  plus  de  pas- 
siiin  pour  le  jeu  ,  aussi  bien  que  funariiiiic  ,  sou 
mari. 


VAU 

son.  C'est  sans  doute  pour  dettes 
qu'il  avait  été  arrêté.  Il  mourut  fort 
pauvre,  au  mois  de  septembre  i6g3. 
Outre  la  continuation  du  Faramond 
de  La  Calprenède  ,  dont  il  donna  les 
cinq  derniers  volumes  (  V.  Calpre- 
nède ,  VI  ,  569  ),  on  a  de  Vaumo- 
rière :  I.  Le  Grand  Scipion,  Paris  , 
i658,  4  vol.  in  8».  II.  Histoire  de 
la  galanterie  des  anciens  ,  ibid.  , 
16-;  I  ,  2  vol.  in-i2.  Cet  ouvrage  est 
devenu  très-rare.  IM.  de  Paulmy  nous 
apprend  qu'il  l'avait  inutilement  cher- 
ché pour  en  donner  l'analyse  dans 
la  Bibliothèque  des  Romans  (  Voy. 
Mélanges  tirés  d'une  grande  biblio- 
thèque ,  II,  p.  63).  111.  Diane  de 
France,  ibid.,   1674,  in- 12,  IV. 
M"*,  de   Tournon,   ibid.,    1679, 
in- 12.   V.    3/"'.   d' Alencon.   Cette 
nouvelle  et  la    précédente    ont  été 
réimprimées  ,  par  erreur  ,   dans   le 
Recueil    des   OEuvres  de   M^^'^.   de 
Villedieu.  VI.  Adélaïde  de  Cham- 
pag7ze,ibid. ,  1G80  ou  1690,  4  "^'^L 
in- 12.  VU.  A  glatis ,  reine  de  Spar- 
te ,'\hïà.  ,  i685,  2  vol.  in- 12.  VllI. 
UArt  déplaire  dans  la  conversa- 
tion ,  ibid. ,  1688  ,  in- 12  j  troisième 
édition,  1698,  même  format.  Sui- 
vant W^''.  de  Scudéry  ,  jamais  per- 
sonne n'avait  porté  cet  art  au  mê- 
me degré  que  Vaumorière.  On  peut 
donc  présumer  que  son  livre  coutient 
quelques   préceptes  utiles.  IX.  Ha- 
rangues sur  toutes  sortes  de  sujets, 
avec  l'art  de  les  composer ,  ibid.  , 
1688,  in-4".  ;  1693  et  1713,  mê- 
me format.  La  troisième  édition  est 
augmentéedeTEZog-ede  Vaumorière, 
par  Mi^'=.  de  Scudéry  ,  d'une  Disser- 
tation sur  les  oraisons  funèbres ,  par 
l'abbé  du  Jarry ,  et  d'un  grand  nom- 
bre de  nouvelles  harangues  tirées  de 
différents    auteurs.    Suivant    l'abbé 
Goujet ,  le  Discours  préliminaire  de 
Vauraorièi'e  mérite  encore  d'être  lu  j 


VAU 

à  l'égard  des  Harangues  ,  il  en  est 
peu  où  l'on  ne  trouve  de  l'esprit,  du 
goût  et  un  style  assez  pur  (  Bihlioth. 
française  ,  ii ,  44^  )•  Gibert  a  fait 
de  cet  ouvrage  ,  aujourd'hui  pres- 
que entièrement  oublié  ,  le  sujet 
d'une  longue  analyse  critique,  dans 
les  Jugements  des  savants  qui  ont 
traité  de  la  rhétorique^  iii ,  111. 
X.  Lettres  sur  toutes  sortes  de  su- 
jets ,  avec  des  avis  sur  la  ma- 
nière de  les  écrire,  ibid.  ,  1689, 
2  vol.  in-i2j  cinquième  édition, 
1714  ;  compilation  utile  ,  mais  sur- 
passée depuis  long-temps.  On  trouve 
une  Notice  sur  Vaumorière  dans  les 
Mémoires  de  Niceron  ,  tome  xxxv. 
W— s. 
VAUOUËLlN,néen  1726,  n'eut 
pour  maîtres  que  le  ciel,  la  mer  et 
son  père  qui,  dès  l'âge  de  dix.  ans, 
le  fit  entrer  dans  la  marine  et  l'em- 
barqua sur  le  bâtiment  qu'il  com- 
mandait. Son  premier  fait  d'armes 
fut  de  soutenir  un  combat  très-vif  , 
en  1745,  contre  une  frégate  an- 
glaise, qui  les  attaqua  dans  les  para- 
ges delà  Martinique, et  qu'il  contrai- 
gnit de  s'éloigner.  Le  courage  et  le 
sang  froid dontil  fîtpreuvedans  cette 
action,  son  patriotisme,  et  la  con- 
naissance qu'il  avait  acquise  des 
côtes  d'Angleterre  déterminèrent, 
dix  ans  plus  tard,  le  ministère  ,  à  le 
charger  de  reconnaître  les  ports  de 
la  Grande-Bi'etague.  Il  s'acquitta  de 
celte  mission,  avec  tant  de  zèle  et 
d'habileté  qu'on  le  jugea  capable 
de  porter  des  renforts  et  des  muni- 
tions à  Louisbourg  ,  et  qu'on  lui  con- 
fia le  commandement  de  la  frégate 
VArélhuse.  «  Je  sais  ,  mon  fils,  lui 
»  écrivit  son  pèreà  ce  sujet  (  i  ^So  ) , 
»  je  sais  ce  que  vous  pouvez  et  ce 
»  que  j'ai  droit  d'attendre;  la  car- 
»  rière  s'ouvre  pour  vous  :  allez  com- 
»  m3ii\à.Q.xV Aréthuse. Songez, quand 


VAU 


3f 


»  vous  monterez  votre  frégate 
»  qu'elle  doitvous  servir  de  tomljeau, 
»  ou  être  le  berceau  de  votre  gloire.» 
(  Voy.  Merc.  de  Fr. ,  avril ,  1 764  ). 
Non  content  d'avoir  rempli  sa  mis- 
sion avec  succès  ,  Vauquelin  voulut 
s'associer  à  la  gloire  de  défendre  la 
colonie;  et  voyant  le  parti  qu'on  pou- 
vait tirer  d'une  baie  devant  laquelle 
devait  passer  l'ennemi ,  il  s'y  em- 
bossa  dans  une  excellente  position. 
Les  Anglais  ayant  réuni  tous  leurs 
efforts  pour  le  contraindre  à  l'aban- 
donner ,  trois  fois  il  vit  son  équi- 
page se  renouveler  sous  le  feu  de 
l'ennemi,  et  son  bâtiment  fut  rasé 
comme  un  ponton  avant  qu'il  son- 
geât à  chercher  un  abri  sous  le  canon 
de  la  place.  Ne  voulant  point  atten- 
dre que  sa  reddition  le  mît  à  la  discré- 
tion du  vainqueur, il  fit  promptement 
réparer  sa  frégate ,  et  otfnt  ensuite 
au  gouverneur  de  traverser  la  flotte 
anglaise  pour  aller  solliciter  des  se- 
cours dans  la  mère  patrie.  Cette  en- 
treprise hardie  ,  consentie  avec  pei- 
ne^ fut  couronnée  du  plus  heureux 
succès  :  Vauquelin  mit  en  défaut  les 
plus  fins  voiliers  envoyés  à  sa  pour- 
suite ,  et  eut  la  gloire  de  leur  échap- 
per. L'amiral  anglais  Boscaven  se 
plut  dans  la  suite  à  lui  rendre  justi- 
ce en  présence  des  ofiicicrs  de  la  ma- 
rine française  dont  les  vaisseaux 
tombèrent  eu  son  pouvoir  par  suite 
de  la  capitulation  de  Louisbourg , 
du  26  juillet  1758:  «  Je  ne  sais,  leur 
»  dit-il,  quel  est  l'habile  homme  qui 
»  commande  VAréthuse,  et  qui  m'a 
»  échappé;  mais  je  gagerais  que  c'est 
»  un  routier  marchand,  car  il  sait 
»  bien  son  métier.  Si  un  de  mes  ca- 
»  pitaines  de  frégate  en  eût  fait  au- 
»  tant,  mon  premier  soin ,  en  arri- 
»  vant  en  Angleterre,  serait  de  sol- 
»  liciter  pour  lui  un  brevet  de  capi- 
»  taine  de  vaisseau.  »  Vauquelin  ,  à 


32 


VAU 


son  retour  dans  sa  patrie,  méritait 
sans  doute  une  semblable  re'compcn- 
se;  mais  la  noblesse  avait  seule  alors 
le  droit  de  prétendre  au  commande- 
ment dans  la  marine  royale.  Le  gou- 
vernement lui  donna  cependant  des 
marques  d'estime  en  lui  confiant 
encore  la  conduite  de  trois  fré- 
gates. Dans  cette  nouvelle  expé- 
dition ,  en  dépit  de  la  vigilance  de  la 
station  anglaise  ,  il  remonta  le  fleu- 
ve Saint- f.aurent,  et  après  y  avoir 
mis  ses  frégates  à  l'abri  de  tout 
danger,  il  vola,  avec  une  partie 
de  ses  équipages  ,  au  secours  de  la 
place  de  Québec  ,  en  1759.  Ce 
renfort,  très-utile  pour  le  service  de 
rarliHerie  ,  prolongea  quelque  temps 
la  résistance  des  assiégés,  qui,  après 
soixante-quatre  jours  de  bombarde- 
ment ,  se  trouvant  réduits  à  leurs 
propres  forces  ,  et  n'ayant  plus  l'es- 
poir d'être  secourus,  furent  obligés 
de  capituler  le  18  septembre.  Dès  la 
malheureuse  journée  du  i3,  Vau- 
quelin, prévoyant  que  la  place  ne  tar- 
derait pas  à  succomber,  prit  la  ré- 
solution de  sauver  ses  frégates.  Il  réus- 
sit d'abord  à  s'échapper  de  la  pla- 
ce avec  quelques  braves  qui  le  sui- 
virent j  et  dès  que  le  moment  lui  pa- 
rut propice,  il  mit  à  la  voile. Déjà  il 
était  parvenu  jusqu'à  l'embouchure 
d;i  Rciive  Saint-Laurent ,  lorsqu'il 
se  vit  enveloppé  par  des  forces  trois 
fois  supérieures.  Il  n'hésita  pas  néan- 
moins à  engager  l'action ,  et  se  battit 
avec  intrépidité;  mais  bientôt  ses 
avaries  furent  telles ,  que  son  vais- 
seau se  trouva  hors  d'état  de  manœu- 
vrer. Déterminé  à  s'engloutir  dans 
les  flots  plutôt  que  de  se  rendre, 
il  permit  à  son  équipage  de  se  sauver 
dans  les  chaloupes  ,  et  resta  seal  sur 
son  bâtiment  auquel  il  avait  fait 
mettre  le  feu.  Uavi  d'admiration  ,  à 
cette  vue,    le  commandant   anglais 


VAU 

envoya  à  bord  du  vaisseau  de  Vau- 
quelin ,  et  l'on  parvint  à  le  sauver , 
malgré  lui ,  de  la  mort  à  laquelle  il 
s'était    dévoué.   Ce  trait  d'intrépi- 
dité  fit  pas.^er  enfin  par  dessus  les 
considérations  de  naissance  ,  et  Vau- 
quelin    fut  promu,    en    1768,    au 
grade  de  lieutenant  de  vaisseau.  Mais 
des  ennemis  secrets,  jaloux  de  son 
élévation ,   mirent  en  jeu  les  plus 
basses  intrigues  pour  le  noircir  au- 
près du  gouvernement.  Il  venait  de 
remplir  une  mission  importante  dans 
les  Grandes-Indes ,   et  il  s'en  était 
acquitté  loyalement  et  avec  succès  ; 
au  lieu  des  témoignages   de  satis- 
faction auxquels  il  s'attendait  à  son 
retour,  il   se  vit  condamné  à  garder 
les  arrêts  dans  son  domicile.  Ren- 
du à  la  liberté  au   bout  de  quatie 
mois  ,  il  se  pi'oposait  d'aller  se  justi- 
fier devant  le  roi  et  rendre  compte 
de   sa  conduite  ,   lorsqu'il  perdit  la 
vie  sous  un  fer  assassin  ,  et  fut  trouvé 
percé  de  coups  ,  sans  qu'on  ait  ja- 
mais pu  découvrir  les  auteurs  de  ce 
crime.  Ainsi  périt,  à  l'càge  de  trente- 
sept  ans  ,  un  marin  dont  la  valeur 
promettait  à  la  France  un  digne  hé- 
ritier des  Jean  Barth  et  des  Duguây- 
Trouin.  M — g — r. 

VAUQUELIN.  F.  Desyvetaux 
et  Fresnaye. 

VAUT  1ER  (François),  né  à 
Montpellier  ,  en  \  Sgci ,  y  fit  ses  étu- 
des ,  et  y  reçut  le  bonnet  doctoral. 
Il  devint,  peu  de  temps  après,  pre- 
mier médecin  de  la  reine  Marie  de 
Médicis.  Ses  connaissances ,  l'agré- 
ment de  sa  personne  et  son  éloquence 
vraiment  entraînante,  lui  donnèrent 
un  si  grand  ascendant  sur  cette  prin- 
cesse, qu'on  l'accusa  de  la  gouver- 
ner ,  et  qu'il  ne  tarda  pas  à  devenir 
odieux  au  cardinal  de  Richelieu.  Ce 
ministre  ,  abusant  de  son  pouvoir ,  fit 
enfermer  Vautier  dans  les  prisons  de 


VAU 

Senlis ,  puis  à  la  Bastille ,  où  toutes 
communications  lui  furent  interdites 
depuis  i63i  jusqu'en   i643,  année 
de  la  mort  de  Richelieu.  Une  capti- 
vité' de  douze  ans ,  aussi  pénible  et 
aussi  arbitraire ,  n'altéra  pas  les  fa- 
cultés de  V-autier  ;  et  il  reparut  à  la 
cour  dès  que  ses  fers  furent  brisés.  11 
s'y  vit  entouré  d'amis  ,  et  jouit  d'une 
haute  considération.  Élevé  au  titre 
de  premier  médecin  de  Louis  XIV  , 
il  réclama,  en  cette  qualité, la  surin- 
tendance du  jardin  des  Plantes  ,  qui 
y  était  attachée  primitivement,  mais 
qui,  depuis  la  mort  de  Gui  de  La 
Brosse,  était  passée  entre  les  mains 
de  Bouvard  de  Fourqueux ,  parent 
de  ce  fondateur  du  jardin.  La  deman- 
de^ poursuivie  au  parlement,  fut  ac- 
cordée par  arrêts  du  conseil ,  en  date 
des  i4  juillet  1646  et  28  mars  1647. 
Cependant  Bouvard  de  Fourqueux 
fils  conserva  sa  place  jusqu'à   l'é- 
poque  oîi  Vallot  se  la    fit  rendre 
(    V.  Vallot  ).  Pour  se  venger  de 
cette  injustice,  Vautier  retint  tout  le 
pouvoir  administratif  et  ne  laissa  à 
son  rival  qu'un  vain  titre  sans  fonc- 
tions. On  conçoit  que  l'administration 
dut  être  mauvaise  ;  et  elle  le  fut  réelle- 
ment. Les  fonds  destinés  à  l'entretien 
du  jardin,    à   l'achat  des  plantes, 
furent  détournés.  Toutes  les  fautes 
étaient  du  fait  de  Vautier:  elles  furent 
cependant  imputées  à  l'intendant ,  et 
décidèrent ,  plus  tard ,  à  révoquer  les 
lettres  -  patentes  du  3o  juillet  iG43  , 
qui  donnaient  cette  charge  à  Bou- 
vard de  Fourqueux.  On  doit  à  Vau- 
tier plusieurs  améliorations.  La  plus 
remarquable  fut  celle  de  substituer 
un  cours  d'anatomie  aux  leçons  insi- 
gnifiantes que  l'on  donnait  alors  dans 
le  jardin,  sous  le  nom  de  l'intérieur 
des  plantes.  Il  était  aussi  habile  mé- 
decin  qu'homme  d'esprit;  mais  il 
avait   beaucoup  d'opiniâtreté  dans 


VAU 


33 


ses  opinions  et  dans  ses  entreprises. 
Il  fut  le  premier  à  employer  les 
préparations  chimiques  ,  les  émé- 
tiques  antimoniaux  ,  le  quinqui- 
na ,  etc.  ;  ce  qui  irrita  contre  lui 
une  foule  de  praticiens,  et  surtout 
Gui  Patin  ,qui  poursuivit  à  outrance 
et  même  calomnia  ouvertement  ceux 
qui  recouraient  à  ces  remèdes.  Vau- 
tier vécut  dans  le  célibat,  et  fut  ton- 
suré. Il  mourut ,  en  i652  ,  victime  , 
s'il  faut  en  croire  Gui  Patin,  son  an- 
tagoniste ,  de  l'antimoine,  qu'il  faisait 
entrer  dans  toutes  ses  prescriptions , 
et  qu'il  recommandait  avec  une  sor- 
te d'enthousiasme,  T.  d.  B. 

VAUVENARGUES  (  Luc  de 
Clapiers  ,  marquis  be  ) ,  moraliste 
célèbre  ,  né  à  Aix  en  Provence ,  le 
6  août  1715,  d'une  famille  no- 
ble ,  entra  à  dix-sept  ans ,  en  qua- 
lité de  sous-lieutenant,  dans  le  ré- 
giment du  roi  ,  et  fît  ses  premières 
armes  en  Italie,  dans  la  campagne 
de  1734.  Il  n'avait  rapporté  du  col- 
lège qu'une  connaissance  superfi- 
cielle de  la  langue  latine;  et  ce  n'est 
pas  dans  le  tumulte  des  camps  ,  au 
milieu  des  distractions  orageuses 
de  la  guerre ,  qu'il  pouvait  songer  à 
réparer  des  études  imparfaites ,  en 
remontant  laborieusement  aux  sour- 
ces premières  de  l'instruction.  La 
nature  ,  qui  l'avait  si  richement  par- 
tagé sous  le  rapport  des  qualités  de 
l'ame  et  des  dons  de  l'esprit ,  ne  lui 
avait  donné  qu'une  constitution  ex- 
cessivement faible.  Il  avait  coura- 
geusement supporté  la  campagne 
d'Ita lie  :  celle  d'Allemagne ,  en  174^5 
acheva  de  ruiner  sa  santé.  Ren- 
tré en  France  ,  après  la  mémorable 
retraite  de  Prague ,  où  les  maladies  , 
la  faim  et  les  fatigues  de  tous  les 
genres  se  réunirent  pour  accabler 
l'armée  française  ,  Vauvenargues ,  à 
peine  âgé  de  vingt-six  ans ,  et  promu 
3 


34 


VAU 


au  grade  de  capitaine,  fut  oblige  de 
se  retirer  du  service.  Alors  il  tourna 
ses  idées  et  ses  projets  du  côté  de  la 
diplomatie,  et  demanda  à  servir  de 
sa  plume  ,  dans  les  négociations ,  le 
monarque  qu'il  ne  pouvait  plus  ser- 
vir de  son  épe'e  dans  les  combats. 
Sans  fortune  et  sans  autre  protection 
que  son  mérite  personnel ,  il  écrivit 
directement  au  roi  et  au  ministre  des 
aflaires  étrangères,  pour  leur  expo- 
ser ses  désirs  et  sa  situation.  Les 
deux  lettres  restèrent  sans  réponse. 
Vauveuargues  en  adiessa  une  secon- 
de au  ministre;  et  ses  biographes 
l'ont  conservée,  comme  un  modèle 
de  la  franchise  noble  et  courageuse 
avec  laquelle  peuvent  et  doivent  s'ex- 
primer quelquefois  le  sentiment  de 
ce  que  l'on  est  et  la  conviction  de 
ce  que  l'on  vaut.  On  y  ht ,  entre  au- 
tres choses  remarquables  :  ft  J'ai  pas- 
»  se,  Monseigneur,  toute  ma  jeunesse 
»  loin  des  distractions  du  monde  , 
»  pour  tâcher  de  me  rendre  capable 
y>  des  emplois  où  j'ai  cru  que  mon 
«caractère  m'appelait;  et  j'osais 
»  penser  qu'une  volonté  si  laborieuse 
»  me  mettrait  du  moins  au  niveau 
»  de  ceux  qui  attendent  toute  leur 
"  fortune  de  leurs  intrigues  et  de  leurs 
»  plaisirs.  »  Cette  lettre  obtint  de 
M.  Amelot  une  réponse  favorable,  et 
de  ces  promesses  vagues  qui  ne  com- 
promettent jamais  l'autorité,  parce 
qu'elles  ne  l'engagent  à  rien ,  mais 
qui  flattent  et  amusent  pour  un  temps 
l'espoir  du  solliciteur.  Vauveuargues 
était  retourné  dans  le  sein  de  sa 
famille,  pour  y  attendre  paisible- 
ment l'effet  plus  ou  moins  éloigné  des 
promesses  du  ministre ,  lorsqu'il  fut 
frappé  d'une  petite  vérole  de  l'espèce 
la  plus  maligne,  qui  le  déligura  en- 
tièrement; et,  ce  qu'il  y  eut  de  plus 
fâcheux  ,  le  laissa  dans  un  état  d'in- 
firmité et  de  souffrances  sans  rcmè- 


VAtJ 

de ,  et  presque  sans  relâche.  C'est 
alors,  qu'éloigné  pour  toujours  des 
emplois  publics,  et  séquestré  d'une 
société  frivole  et  légère  qui  ne  voit 
que  l'écorce  et  s'avise  rarement 
d'aller  au-delà  ,  notre  jeune  philoso- 
phe rentra  tout  entier  dans  cette 
belle  ame  où  son  heureux  naturel 
lui  avait  ménagé  tant  de  ressources 
contre  l'injustice  des  hommes  et  la 
bizarrerie  des  événements.  C'est  dans 
la  solitude  la  plus  absolue,  dans  le 
silence  du  plus  profond  recueillement, 
que  son  esprit  s'éleva  à  cette  hau- 
teur de  conceptions  morales  qui 
Ta  si  honorablement  placé  à  côté  des 
Pascal ,  des  La  Bruyère  et  des  La  Ro- 
chefoucauld. Comme  le  premier  de 
ces  hommes  à  jamais  célèbres,  ce 
fut  dans  les  courts  intervalles  des  plus 
vives  douleurs ,  qu'il  donna  à  sa  pen- 
sée le  plus  brillant  essor,  qu'il  écrivit 
ses  plus  belles  pages  ;  et ,  comme  lui , 
il  expira  à  la  fleur  de  l'âge  I  Que  ne 
nous  est-il  permis  d'ajouter  un  trait 
de  plus ,  et  de  compléter  le  parallèle, 
en  disant  que  Vauveuargues  mourut 
aussi  comme  Pascal  I  Mais  ce  philo- 
sophe ,  si  intimement  convaincu  de 
l'existence  de  Dieu  ;  cet  écrivain  si 
sage,  à  qui  la  religion  paraissait 
être  un  sujet  trop  grave  pour  que 
l'on  se  permît  d'en  parler  légère- 
ment; qui  désapprouvait  hauteincnt 
les  écrits  où  l'on  attaquait  la  reli- 
gion établie,  et  qui  par  conséquent 
ne  l'a  jamais  attaquée  lui-même  di- 
rectement ou  indirectement;  Vauve- 
uargues n'avait  pas  le  bonheur  d'être 
persuadé  des  dogmes  chrétiens.  Sa  re- 
ligion était  le  pur  déisme,  si  toutefois 
l'on  peut  donner  le  nom  de  religion 
à  cette  raj-sticité  philosophique  qui 
semble  n'admettre  un  dieu  que  sous 
l'expresse  condition  qu'il  fera  tout 
pour  l'homme,  sans  on  exiger  rieu 
qu'une  froide  et  stéiile  contempla- 


VAU 

tion.  On  attribue  cependant  à  Vau- 
venargues  ,  et  l'on  a  recueilli  dans 
ses  OEuvres  ,  une  Méditation  sur 
la  foi  ,  suivie  d'une  Prière ,  et 
quelques  autres  fra{];ments  du  mê- 
me genre  ,  où  respirent  les  senti- 
ments les  plus  religieux.  Mais  ce  ne 
sont,  ont  prétendu  ses  amis  ,  que  de 
simples  essais  ,  des  imitations  ,  où 
lui-même  se  jouait  du  sujet  qu'il 
traitait.  Nous  ne  le  pensons  pas  ,  et 
nous  croirions  outrager  ,  en  le  suppo- 
sant, la  mémoire  deVauvenargues.  Di- 
sons plutôt,  et  nous  sei'ons  probable- 
ment plus  près  de  la  vérité  :  c'est  de 
bonne  foi  qu'il  rendait  un  hommage 
volontaire  aux  vérités  de  la  religion , 
et  sa  plume  suivait  alors  l'inspira- 
tion de  son  cœur  :  si  la  pente  de  son 
siècle  j  si  les  hommes  qui  l'en- 
touraient ,  égarèrent  sa  candeur 
dans  de  fausses  routes  ,  du  moins 
n'eut  -  il  pas  à  se  reprocher  d'a- 
voir cherché  jamais  à  ébranler  , 
dans  les  antres ,  des  croyances  qu'il 
regardait  comme  la  base  de  l'har- 
monie sociale  ,  du  repos  et  du  bon- 
heur des  états.  C'est  un  trait  qui  le 
distingue  honorablement  des  philo- 
sophes ses  contemporains.  Il  obtint 
cependant,  et  conserva  leur  estime 
et  leur  amitié.  Voltaire,  surtout,  ne 
parlait  de  Vauvenargues  qu'avec  la 
plus  tendre  vénération  ;  et  l'on  sait 
qu'il  rendit  à  la  mémoire  de  ce  res- 
pectable ami  l'hommage  le  plus  tou- 
chant, dans  Y  Eloge  funèbre  des  of- 
ficiers morts  pendant  la  guerre  de 
i74i.  Le  premier  fruit  des  loisirs 
philosophiques  de  Vauvenargues  , 
quand  il  eut  forcément  renoncé  à 
la  carrière  des  armes  ,  fut  {'In- 
troduction à  la  connaissance  de 
l'esprit  humain,  publiée  en  174^: 
sujet  vaste ,  cadre  immense,  qui  de- 
mandait le  génie  d'tm  autre  Pascal  , 
mais  qui  excédait  de  beaucoup  les 


VAU  35 

forces  d'un  aussi  jeime  écrivain.  Eu 
reconnaissant  toutefois  l'insuffisance 
des  moyens ,  la  critique  ne  put  s'em- 
pêcher d'admirer  un  ouvrage  où  l'é- 
nergie d'une  belle  ame  et  la  pénétra- 
tion d'un  esprit  supérieur  sont  si  pro- 
fondément empreintes.  II  y  a  de 
grandes  lacunes ,  sans  doute,  et  quel- 
ques erreurs  même ,  dans  cette  trop 
rapide  esquisse  de  l'esprit  humain  : 
mais  quel  autre  ne  se  fût  pas  égaré  , 
comme  Vauvenargues  ,  et  plus  que 
lui  peut-être ,  dans  cet  effrayant  abî- 
me de  l'homme ,  en  essayant  d'y  pé- 
nétrer ,  privé  du  seul  flambeau  ca- 
pable d'en  éclairer  les  profondes  té- 
nèbres ?  Les  Réflexions  sur  divers 
auteurs  annoncent ,  en  général  ,  un 
esprit  juste,  un  critique  désintéressé, 
qui  cherche  la  vérité  de  bonne  foi  , 
et  l'énonce  franchement,  quand  il 
pense  l'avoir  trouvée.  Quelques  pa- 
radoxes s'y  mêlent  à  des  vérités  uti- 
les, à  des  observations  fines  et  judi- 
cieuses ;  Corneille  ,  par  exemple  , 
et  Molière  ne  sont  pas  jugés  par  Vau- 
venargues comme  ils  l'avaient  été 
avant  lui;  comme  il  est  probable 
qu'ils  le  seront  dans  tous  les  temps  : 
mais  on  ne  peut  qu'applaudir  à  ses 
opinions  sur  Bossuet ,  Fénélon ,  Pas- 
cal ,  La  Fontaine  ,  etc.  Notre  écri- 
vain philosophe  a  risqué  aussi  quel- 
ques Caractères  yàT^vh,  Théophraste 
et  La  Bruyère  :  mais  son  pinceau  n'a 
ni  la  fermeté  du  premier ,  ni  l'agré- 
ment du  second.  Les  Maximes  sont 
la  partie  de  ses  écrits  qui  a  obtenu,  et 
qui  méritait  le  plus  de  succès;  et  la 
raison  en  est  bien  simple  :  plus  va- 
riées, plus  fécondes  que  celles  de  La 
Rochefoucauld  ,  elles  embrassent  vm 
cercle  beaucoup  plus  étendu,  présen- 
tent partout  l'homme  sous  un  jour 
moins  défavorable  ;  et  si  elles  le  mon- 
trent quelquefois  tel  qu'il  est ,  c'est- 
à  -  dire  vicieux  par  faiblesse  ou 
3., 


36 


VAU 


par   intéi'êt  ,   elles    lui  laissent   du 
moins   l'espoir  ,   et  lui   offreut    les 
moyens  de  devenir  meilleur ,  ou  de 
supporter  plus  patiemment  les  incon- 
vénients inséparables  de  sa  nature  et 
de  sa  position  sociale.  Voltaire  fai- 
sait un  cas  particulier  des  Maximes 
de  son  jeune  ami.  11  en  cite  quelques- 
unesdansl'Élogedontnousavonspar- 
lé;  et  il  ne  connaît  guère  de  livre,  dit-il, 
qui  soit  plus  capable  déformer  une 
ame  bien  née  et  digne  d'être  ins- 
truite. 11  n'est  pas  un  honnête  hom- 
me qui  n'en  doive  porter  le  même 
jugement  ;  et  l'e'crivain  qui  avait  dit 
avec  tant  de  vérité  que  les  grandes 
pensées  viennent   du   cœur  aurait 
pu  ajouter  qu'elles  y  retournent  né- 
cessairement ,  quand  elles  sont  pré- 
sentées avec  !e  ton  qui  les  persuade 
et  l'énergique  concision  qui  les  grave 
d'une  manière  ineffaçable.  Ce  n'est 
pas  que  le  style  de  Vauvenargiies  soit 
exempt  de  défauts,  et  ne  pèche  quel- 
quefois par  l'impropriété  du  terme  ou 
la  tournure  de  la  phrase  :  mais  il  se 
distingue  en  général  par  la  fermeté 
et  la  vigueur-  ce  qui  ne  l'empêche 
pas  d'emprunter  quelquefois  les  plus 
riantes  couleurs  de  la  poésie.  Ici ,  la 
vertu  naissante  s'offre  à  lui  avec  la 
grâce  des  premiers  jours  du  prin- 
temps. Plus  loin ,  les  feux  de  l'au- 
rore ne  sont  pas  si  doux  que  les  pre- 
miers regards  de  la  gloire.  Ailleurs, 
les  regards  affables  ornent  le  visa- 
ge des  rojV.Cepeu  d'exemples,  qu'il 
nous  eût  été  facile  de  multiplier,  suf- 
fisent pour  prouver  que  la  sérénité 
d'une  belle  ame  se  peint  naturelle- 
ment dans  tout  ce  qu'elle  exprime. 
La  conquête   d'un  homme  et  d'un 
écrivain  tel  que  Vauvenargues  était 
bien  capable  de  flatter  l'ambitieux 
prosélytisme  des  philosophes  du  dci'- 
nier  siècle  j  aussi  n'ont-ils  rien  négli- 
gé pour  la  faire  de  son  vivant  :  mais 


VAU 

Laharpe  a  victorieusement  vengé  sa 
mémoire  d'un  honneur  qu'elle  ne  ré- 
clamait point ,  il  a  réfuté  sans  répli- 
que les  titres  injurieux  sur  lesquels 
on  s'efforçait  de   l'appilyer;  et  ce 
service ,  ou  plutôt  cet  hommage,  La- 
harpe l'a  également  rendu  à  la  vraie 
philosophie  ,   dans  la    personne  de 
Fontenelle,  de  Montesquieu  ,  de  Buf- 
fon  et  de  Condillac ,  dont  les  noms 
figuraient  sans  preuve,  mais  non  pas 
sans  intention ,  à  la  tête  des  nova- 
teurs du  dix-huitième  siècle.  La  pre- 
mière édition  des  ouvrages  de  Vau- 
venargues parut  à  Paris  ,  en  1746  , 
in- 1  a ,  sous  ce  titre  :  Introduction  à 
la  connaissance  de  l'esprit  humain  , 
suivie  de  réflexions  et  de  maximes. 
L'auteur  en  avait   préparé  une  se- 
conde édition  ,   qui   parut   l'année 
même  de  sa  mort  (  1747  ) ,  publiée 
par   les    abbés   Trublet  et    Séguy. 
Vauvenargues  annonce  ,  dans  sa  pré- 
face, les  additions  et  les  corrections 
nombreuses  dont  elle  a  été  l'objet. 
Mais  ne   l'ayant  pas  terminée  lui- 
même  ,   il  ne  put  y  insérer ,    par 
exemple  ,  l'éloge  du  jeune  de  Sey- 
tres-Caumont ,   son  ami ,    ouvrage 
qu'il   chérissait   et    qu'il   regardait 
comme  ce  qu'il  avait  fait  de  mieux. 
Une  troisième  édition  parut,  en  1797, 
2  vol.  in-i2,  à  Paris,  par  les  soins 
de  M.  de  Fortia  d'Urban  ,  à  qui  les 
manuscrits  de  l'auteur  avaient  été 
remis  par  M.  Fauris  de  Saint- Vin- 
cens  ,  qui  les  tenait  du  frère  de  Vau- 
venargues. On  y  retrouve  la  seconde 
édition   avec   des  variantes  et    des 
notes.  11  y  a  la-i  pages  d'opuscules 
entièrement   nouveaux  ,   parmi  les- 
quels l'Éloge  de  Gaumont  n'a  point 
été  oublié.  Une  notice  sur  l'auteur  se 
trouve   au  commencement   du  pre- 
mier volume,  et  une  autre  plus  éten- 
due à  la  fin  du  second ,  avec   une 
lettre  de  Marmontel  destinée  au  nou- 


VAU 

vel  éditeur.  La  table  des  matières, 
faite  sur  le  modèle  de  celle  que  l'édi- 
teur avait  composée  pour  son  e'dition 
de  La   Rochefoucauld',  est   dressée 
avec  beaucoup  de  soin.  M.  de  Fortia  , 
ayant  été  obligé  de  partir  de  Paris 
lorsque  l'on  imprimait  les  dernières 
pages  ,  en  conlia  la  direction  à  son 
ami  M.  le  baron  de  Sainte-Croix , 
qui  supprima  une  partie  de  son  tra- 
vail ,  et  composa  une  préface  qu'il 
signa  du  nom  de  Fortia ,  quoiqu'elle 
fût  entièrement  de  lui.  Cette  préface 
était  principalement  destinée  à  dé- 
précier une    quatrième  édition  que 
publiait  en  ce  moment  M.  Couret  de 
Villeneuve.  Une  cinquième  fut  pulDliée 
à  Paris  en  1806  ,  1  vol.  in-S*^. ,  par 
Suard,  qui  donna  une  notice  sur  la 
vie  et  les  ouvrages  de  Vauvenargues , 
et  reproduisit  les  notes  de  Voltaire  y 
en  y  ajoutant  celles  de  l'abbé  Mo- 
rellet.   Il  n'a  guère  fait  que  copier 
l'édition  de  M.  de  Fortia  et  sa  table 
des  matières,  oii  il  n'a  pas  même  cor- 
rigé de  légèi'es  fautes  d'impression. 
Il  a  cependant  fait  quelques  addi- 
tions fournies  par  M.  de  Villevielle, 
et  qui  furent  vivement  critiquées  dans 
le  Journal  des  Débats,  comme  in- 
dignes de  Vauvenargues.  Ces  addi- 
tions se    retrouvent   dans   l'édition 
publiée  par  Belin  ,   en    1821  ,  in- 
8°.   des  OEuvres  de   La  Rochefou- 
cauld et  de  Vauvenargues ,  qui  re- 
produit celles  de  M.  de  Fortia.  Les 
éditeurs  de   la  Collection  des  Pro- 
sateiirsfrancais  ont  publié,  en  1 8 1 8^ 
sous  le  titre  de  Supplément,  tout 
ce  qui    restait   d'inédit  des    écrits 
de  Vauvenargues.  Ce  vSupplément  se 
compose  de  dix.-huit  Dialogues  ,  de 
plus  de  cent  Pensées  diverses,  d'en- 
viron trois  cents  Paradoxes  ,  Ré- 
flexions et  Maximes;  d'un  grand 
nombre  de  Caractères  ,  d'un  Eloge 
de  Louis  XV,  etc.  Toutes  ces  addi- 


VAU 


^7 


tiens    ont  été  reproduites   dans   la 
belle  édition  de  Brière , Paris ,  3  vol. 
in-80.,  1821  (i).  A— D-— RctF— A. 
VAUVILLIERS(Jean)  naquit  à 
Noyers  en  Bourgogne  ,  vers  1698. 
Après  avoir  commencé  ses  études  au 
collège  de  cette  petite  ville(i) ,  il  vint 
les  achever  à  Paris,  par  les  conseils 
de  son  oncle  Bénigne  Grena  ,  profes- 
seur de  rhétorique  au  collège  d'Har- 
court ,  et  dut  à  ses  succès  sa  nomina- 
tion à  la  chaire  de  troisième  au  col- 
lège de  Dormans-Beauvais.  Il  passa 
ensuite  à  celle  de  seconde,  et  succéda, 
en  I  ']46 ,  au  célèbre  Crévier ,  dans  la 
chaire  de  rhétorique,  qu'il  occupa  dix 
années.  Les  infirmités  de  l'abbé  Va- 
try , lecteur  de  grec  au  collège  royal , 
l'ayant  forcé  de  renoncer  à  l'ensei- 
gnement, Vauvilliers  lui  fut  donné 
pour    coadjuteur- survivancicr  ,  et 
prit  possession,  le  9,7   juin  175^  , 
par  un  discours  très -éloquent  sur 
ce  sujet  :  Litteras  grcecas ,  à  qui- 
tus nostrarum  litterarum  progres- 
sio  exorta  est  ,     esse   retinendas. 
On  avait  déjà  de  ce  professeur  un 
discours  fait,   par  ordre  de  l'uni- 
versité ,  en  octobre  1745 ,  sur  la  ba- 
taille de  Fontenoy,  et  qui  pour  la 
pureté  du  style  ,  la  fécondité  et  l'élé- 
A^ation  des  pensées,  pourrait  aller 
de  pair  avec  les  meilleures  oraisons 
latines.   Il   a    été    imprimé  iu-4°. , 
1746  ,  sous  ce  titre  :  Ludonco  Fic- 


(i)  Il  n'existe  point  de  portrait  de  Vauvenargues; 
il  est  même  de  notoriété  publique,  k  Aix,  que  ja- 
mais il  ne  s'est  laissé  peindre.  L'académie  d'Aix 
proposa,  il  y  a  quelques  années  ,  l'Eloge  de  f  iiiwe- 
nargnes  ,  pour  sujet  d'un  prix  ,  qui  tut  remporté 
par  M.  Charles  de  Saint-Maurice.  Son  ouvrage  a 
été  imprimé  à  la  tète  des  Œuvres  poithiimes  de 
Fatifenargitcs  ,  i8îi ,  in-8°.  A.  B — T. 

(ij  Ce  collège,  tenu  par  les  doctrinaires,  avait 
été  fonde  par  la  comtesse  de  Soissons,  et  a  été  dé- 
truit par  la  révolution.  Il  se  gloritiait  d'avoir  fait 
eu  tout  ou  en  partie  l'éducation  de  l'abbé  Treuvé, 
théologal  de  Meaux  ,  sous  Bossuet ,  des  frères  Gro- 
nan,  de  Jean  Vauvilliers .  et  de  beaucoup  d'au- 
tres hommes  qui  se  sont  distingues  dans  las  lettres 
ou  dans  l'administration  publique. 


38 


VAU 


tori  moderato  ,  Oratio  in  coUegio 

Dormano  Bellovaco   habita à 

Joanne  Faiivilliers ,  Nuceriensi  lit- 
îcrarum  professore.  Onluidoit  aussi 
l'édition  grand  in-8'\,  1-52,  du 
Schrei^eUi  Lexicon  grœco-latimim , 
.Tuquel  son  fils  eut  quelque  part. 
Vauvilliers    mourut    le    20   juillet 

1766,  G — RD. 

VAUVILLIERS  (  Jean  -  Fran- 
çois ) ,  célèbre  helléniste  ,  fils  du 
précédent,  naquit  à  Paris,  le  24 
sept.  1737.  Sous  les  auspices  et  la 
tlireotion  de  son  père ,  il  se  livra  ,  dès 
ses  premières  années,  à  l'étiide  du 
grec  et  du  latin ,  et  avec  un  tel  suc- 
cès que  bientôt  il  se  mit  en  état  de 
suppléer  son  père.  Il  eut  ,  pendant 
quelque  temps,  une  place  à  la  biblio- 
thèque du  Roi ,  et  fut  nommé,  en 
176(1,  lecteur  et  professeur  de  grec 
au  collège  royal  de  France.  Son  Es- 
sai sur  Pindare  (i),  et  son  Exa- 
men du  gouvernement  de  Sparte 
(2),  marquèrent  son  rang  parmi  les 
savants ,  et  lui  ouvrirent  les  por- 
tes de  l'académie  des  inscriptions  et 
helles-lettres,  en  1782.  L'Essai  sur 
Pindare  ofîrit,  pour  la  première  fois, 
une  traduction  poétique  de  cet  au- 
teur (  Foy.  Massiku  ,  XXVII , 
4io  );  les  notes  grammaticales  et 
les  dissertations  qui  l'accompagnent 
prouvèrent ,  ainsi  que  V Examen  du 
ç^om'erncment  de  Sparte ,  combien 
cet  helléniste  avait  de  sagacité  dans 
la  discussion ,  de  profondeur  et  de 
finesse  dans  le  jugement ,  de  facilité 
et  d'élégance  dans  l'expression.  Hey- 
ne  ,  dont  les  connaissances  furent 
si  vastes,  a  loue,  surtout  dans  l'^'^- 
sai  sur  Pindare,  le  goût  et  l'élé- 
gance (3).  —  Le  tome  xlvi  des  Mém. 

(>)  Parîs,  1--J  j  iu-11. 
(»)  Paris,  1-69,  in-ij; 

\3,  •^liulium  ,  jw/irii   elegantiam,  grammaliciim. 
aeumai  {  Voj.  Ueyu«  ,  V,  cl,  Pindarum,  p.  109  ). 


VAU 

de  l'académie  des  inscript,  contient 
quatre  Dissertations  de  Vauvilbers 
sur  Pindare  :  la  première  traite  de  la 
quatrième  Isthmique;  la  seconde, de 
la  huitième  Néméenne;  la  troisième, 
de  la  quatrième  Némécnnej  la  qua- 
trième ,  de  la  septième  Olympique. 
Ces  services  rendus  à  la  littérature 
grecque  le  firent  désigner  par  l'aca- 
démie pour  travailler  aux  Notices 
des  manuscrits  de  la  bibliothèque. 
Les  Notices  des  manuscrits  des  tra- 
gédies d'Eschyle,  insérées  dans  les 
tomes  !<='.  et  in«.,  sont  de  luij  mais 
l'ouvrage  qui  a  le  mieux  établi  sa 
réputation  d'helléniste  est  l'édi- 
tion de  Sophocle  ,  qu'il  continua 
après  la  mort  de  J.  Cappcron- 
nier  {/^).  Cette  édition ,  dont  le  tex- 
te ,  soigné  par  Capperonuîcr,  n'est 
que  la  répétition  de  celui  de  John- 
son ,  mérite  d'être  reciicrchéc  à  cau- 
se des  Notes  qui  sont  toutes  de  Vau- 
villiers, et  cpii  annoncent  une  gran- 
de connaissance  de  la  langue  et  du 
rhylhme.  Quoiqu'un  savant  célèbre 
(  Brunck  ),  dans  un  Commentaire 
hérissé  d'injures  latines  ,  ait  trai- 
té Vauvilliers  d'ignorant,  et  lui  ait 
prodigué  les  épitliètes  les  plus  outra- 
geantes, les  lecteurs  sans  passion  n'en 
ont  pas  moins  rendu  justice  à  l'édi- 
teur de  Sophocle;  et  ils  ont  regretté 
que  les  lettres  appelées  humaniores 
n'eussent  pas  mis  plus  de  douceur 
dans  le  cœur  d'un  homme  qui  avait 
passé  dans  leur  commerce  une  grande 
partie  de  sa  vie.  Le  savant  éditeur 
de  la  Bibliothèque  de  Fabricius  (Har- 
Ics  )  a  défendu  Vauvilliers  et  expli- 
qué les  motifs  d'une  animosité  que 
Brunck  poussa  jusqu'au  scandale(5). 


{^^  Sophiiclis  Iragcvdia  seplem  ,  etc.  Erlilinnem 
curavUj.  Capperon n ter,  elc.  Eo  ilefunclo  ,  eJulit , 
nntnf  ^  prirjaliorein  el  liiilicem.  adjecU  J.-l''.  A'uii- 
villicrs,  ttc. ,  1784,  I  vol.  iu-4". 

(5)  Tume  M,  y.  224« 


VAU 

Vaiivillicrs  a  encore  donne'  des  Ex- 
traits des  divers  auteurs  grecs ,  à 
l'usage  de  V école  militaire  (  (i  vol. 
iii-i'i,  1768  );  une  Lettre  sur  Ho- 
race,  adressée  aux  auteurs  du  Jour- 
nal des  savants,  17(57,  in-i'i;  le 
texte  de  V Abrégé  de  V histoire  uni- 
verselle (Dullos)  ,  1787-90  ,  in  S".  , 
avec  (jgures  ;  des  Vies  pour  le  recueil 
des  portraits  des  hommes  et  des 
femmes  illustres  de  toutes  les  na- 
tions (  Dudos  ) ,  1 787  ,  in-fol.  ;  des 
notes  pour  l'édition  du  Plutarrjue 
d'Amvot,  publiée  par  Cussac  ;  et 
plusieurs  Oraisons  funèl)res ,  Pané- 
gyriques et  Discours,  tant  en  fran- 
çais qu'en  latin  (6).  Ou  a  cherche' 
inutilement  dans  ses  papiers  un  tra- 
vail fort  étendu  sur  Thucydide  , 
dont  il  s'occupait  depuis  un  grand 
nombre  d'années ,  et  qui  est  annoncé 
dans  la  préface  de  Sophocle,  pag. 
iij ,  et  dans  les  Notes  sur  Electre,  v, 
83o,  p.  30,  1. 1.  Il  avait  aussi  pro- 
mis une  Dissertation  sur  l'écriture 
liomérique,  dans  ses  Notes  sur  la 
tragédie d'OEdipe  à  Colonne,  V,  137, 
t.  u  ,  p.  2.  Mais  la  révolution  vint  ar- 
i-êter  le  cours  de  ses  travaux.  Nom- 
mé président  du  district  de  Sainte- 
Geneviève,  puis  électeur, et  premier 
député  suppléant  de  Paris  aux  états- 
généraux  (7) ,  il  ne  tarda  pas  à  être 
appelé  à  la  présidence  de  la  Commu- 
ne ,  et  enfin  à  la  place  de  lieutenant 
de  maire  ;  et  comme  ,  des  le  mois  de 
juillet  1 789 ,  l'assemblée  desélectcurs 
s'était  emparée  des  fonctions  du  pré- 


(6)  Degrœcantm  liilerarumprœstantiâ  et  utilita'^ 
t»  oriitio  inaiigiirntis ,  1^66,  à  la  6n  de  l'Essai  sur 
Pindare.  —  I.ndovici  X/^,  régis  Oalliaruni  tiilec- 
tissinii  laudaliofunebrif,jnssuel  notnine  collegii 
re^ii  dicta  à  J.~f.  VauvilîierSy  etc.,  Paris,  \'/^\, 
jii-4°.  —  Idylle  sur  la  naissance  de  Monseigneur  le 
Diiuphin  ,   Paris  ,  1781  ,  iu-4°  ,  etc. 

(7)  Il  refusa  d'user  de  sou  droit  pour  siéger  ;« 
l'assenible'e  consiluaule  ,  à  la  pn^mltTe  vacance  qui 
eut  lieu  daus  la  dcputalion  de  Paris,  et  ce  fui  l'a- 
vocat F.avi^!  c  ,  rx-oratoricu  ',  qui  y  eutra  comme 
second  suppléant. 


VAU  3^ 

vôt  des  marchands  ,  Vauvilliers  se 
trouva  tout-à-coup  ,  au  milieu  de  la 
disette  réelle  ou  factice,  chargé  des 
subsistances.  Ce  fut  un  spectacle 
assezextraordinaire  que  celui  de  l'ap- 
provisionnement de  cette  capitale  re- 
mis en  des  mains  accoutumées  à  feuil- 
leter des  manuscrits  grecs:  mais  cet 
homme  était  doué  d'un  jugement  sain, 
d'une  grande  activité  et  de  beaucoup 
deforoedecaraclere.il  se  servit,  pour 
les  achats  ,  d'habiles  intermédiaires  , 
et  il  eutbient«)t  assuré  la  provisionde 
Paris  pour  plusieurs  jours  :  il  fit  gar- 
uii',  à  l'aide  de  ce  superQu  ,  les  mar- 
chés des  provinces  voisines  ,  et  par 
ces  ingénieux  expédients,  ramena  la 
conbance,  rétablit  la  circulation  des 
subsistances  et  en  fit  baisser  le  prix. 
Ce  ne  fut  pas  sans  périls  qu'il  réussit 
dans  ses  projets.  Il  lui  fallut  plusieurs 
fois  haranguer  la  multitude.  Un  jour 
sa  voix  éloquente  arracha  des  mains 
des  assassins  un  malheurc;ix  boulan- 
ger de  la  rue  Notre-Dame  :  un  autre 
jour,  seul,  sans  défense,  il  se  pré- 
sente au  milieu  des  habitants  du  fau- 
bourg Saint-Antoine  ,  armés  de  sa- 
bres et  de  piques  ,  et  leur  fait  aban- 
donner un  convoi  de  farines  qu'ils  se 
disposaient  à  piller  ,  bien  qu'elles 
fussent  destinées  k  la  cousommation 
du  lendemain.  Dans  une  autre  occa- 
sion ,  il  tint  tète  à  un  nombreux  ras- 
semblement qui  voulait  arrêter  le 
départ  pour  Rouen  d'un  bateau  de 
farines  avariées,  que  l'administra- 
tion des  subsistances  avait  échangées 
avec  des  amidonniers  contre  d'autres 
farines  de  meilleure  qualité.  Le  faible 
Bailly  venait  de  promettre  au  bon 
peuple  de  faire  rapporter  la  décision 
qui  avait  été  prise.  Vauvilliers  arri- 
ve ,  se  fait  écouter,  et  sa  fermeté, 
non  moins  que  ses  explications  ,  cal- 
me la  populace  qui  ne  met  plus  d'op- 
position au  départ  du  bateau.  11  ne- 


4o 


VAU 


montrait  pas  moins  d'énergie  hors  de 
la  sphère  de  ses  fonctions.  A  l'assem- 
ble'e  de  la  Commune,  il  s'élevait  avec 
force  contre  les  propositions  révolu- 
tionnaires. Ainsi ,  il  combattit  de  tout 
son  pouvoir  l'organisation  primitive 
de  la  garde  nationale ,  à  la  composi- 
tion de  laquelle  étaient  appelés  les 
prolétaires.  Lorsque  Brissot  fit  ,  à 
î'hôtel-de-ville ,  sa  première  propo- 
sition pour  l'abolition  de  l'esclavage 
des  noirs  ,  Vauvilliers  ,  se  montrant 
à-la-fois  homme  d'état  et  érudit  ,  in- 
voqua les  témoignages  de  l'histoire  , 
et  s'éleva  aux  plus  hautes  considéra- 
tions sur  le  droit  public  intérieur  des 
peuples  tant  anciens  que  modernes. 
Enfin,  lorsque  Danton  et  Legendre 
voulurent  faire  établir  à  la  Commu- 
ne un  comité  des  recherches,  il  lutta 
corps  à  corps  avec  eux,  et  d'une  voix 
prophétique  il  dit  :  «  Vous  voulez 
»  de  nouveaux  éphores ,  des  censeurs 
»  d'oflice  ,  des  inquisiteurs  à  gages  , 
»  qui  bientôt  seront  vos  tyrans  et  les 
»  nôtres  I  vous  aimez  les  Danton , 
»  les  Legendre ,  les  comités  des  re- 
»  cherches  î  eh  bien ,  vous  en  aurez 
»  à  satiété  ,  de  toutes  les  couleurs , 
»  dans  tous  les  coins  de  la  France  I 
»  à  qui  vous  en  prendrez -vous ,  lors- 
»  que  vous  en  serez  les  premières 
»  victimes  ?  »  Quoiqu'on  eût  intro- 
duit dans  la  salle  des  personnes  étran- 
gères qui  n'avaient  pas  droit  de  vo- 
ter ,  il  y  eut  autant  de  suffrages  pour 
le  rejet  de  la  motion  de  Danton  qu'il 
y  en  avait  eu  pour  l'adoption  ;  mais 
Bailly  ,  qui  présidait  et  qui  voyait 
avec  un  dépit  secret  l'ascendant  que 
prenait  Vauvilliers,  annonça  qu'il  dé- 
partageait les  voix  et  donnait  la  sien- 
ne pour  l'établissement  du  comité 
des  recherches.  Lorsqu'il  s'agit  de 
faire  prêter  le  serment  de  fidélité  à 
la  constitution  civile  du  clergé .  Vau- 
villiers fut  prévemi  qu'il  était  désigné 


VAU 

pour  aller,  en  qualité  de  commissaire^ 
exiger  ce  serment  dans  ime  des  pa- 
roisses de  Paris  :  il  s'affranchit  de 
cette  tâche  en  envoyant  sa  démis- 
sion de  membre  de  la  municipalité 
de  Paris ,  et  rentra  au  collège  royal. 
Il  se  crut  toutefois  obligé  de  prendre 
la  défense  de  l'antique  foi  de  l'Eglise 
cathohque  sur  la  hiérarchie  ,  et  pu- 
blia un  ouvrage  plein  de  science  et  de 
piété,  sous  le  titre  de  Témoignage 
de  la  raison  et  de  la  foi  contre  la 
constitution  civile  du  clergé ,  1791 , 
in-8°.  Il  y  rassembla  les  décrets  des 
conciles  ,  les  passages  des  saints  pè- 
res ,  les  décisions  des  plus  habiles 
théologiens  ',  et  l'on  peut  dire  qu'il 
y  sapa  par  les  fondements  cet  édi- 
fice monstrueux  des  constituants,  qui 
avtiient  traité  la  religion  et  sa  disci- 
pline comme  un  objet  purement  po- 
litique. Cetouvrage  eut  deux  éditions. 
Mais  bientôt  on  étendit  aux  person- 
nes chargées  de  l'enseignement  la 
mesure  qui  exigeait  le  serment  du 
clergé  j  et  le  collège  royal  fut  nom- 
mément désigné  dans  le  décret.  Vau- 
villiers n'hésita  pas  à  donner  sa  dé- 
mission ,  bien  qu'il  fût  sans  fortune  ; 
et  sur  la  proposition  d'un  de  ses 
confrères ,  prêtre,  qui  depuis  épousa 
sa  servante  ,  il  reçut  l'ordre  de  quit- 
ter le  collège  avant  le  coucher  du 
soleil  (8).  Un  de  ses  amis,  l'avocat 
Blonde ,  qui  habitait  le  cloître  Saint- 
Benoît,  lui  donna  l'hospitalité  ;  il  y 
demeura  jusqu'après  le  i  o  août.  Dans 
cette  journée  ,  Vauvilliers  avait  en- 
dossé l'habit  de  garde  national ,  et 
avait  couru  au  château  des  Tuile- 
ries, pour  s'y  joindre  aux  défenseurs 
du  roi;  mais  la  retraite  de  Louis  XVI 
au  sein  de  l'Assemblée  rendit  ua 
le!  zèle  inutile ,  et  ne  fit  que   corn- 


as) Il  est  juste  de  dire  que  M.  Gail  ,  son  snp- 
pléaiit ,  qui  Jui  succéda  dans  sa  chaire,  fat  étran- 
ger à  ces  vexations. 


VAU 

promettre  ceux  qui  l'avaient  mani- 
feste. Forcé  de  chercher  un  asile  , 
Vauvilliers  se  sauva  à  Corbeil ,  où 
son  frère  dirigeait  les  magasins  de 
subsistances.  Cet  asile  ne  le  protégea 
pas  long-temps  :  arrêté  par  ordre  du 
comité  révolutionnaire  ,  il  dut  sa  li- 
berté aux  courageuses  sollicitations 
de  sa  belle-sœur ,  et  à  la  pitié  recon- 
naissante du  secrétaire  du  conven- 
tionnel Musset ,  qui  retrouva  dans  le 
royaliste  détenu  son  ancien  pro- 
fesseur. Rentré  dans  sa  famille  ,  il 
reprit  ses  travaux  littéraires ,  et  s'oc- 
cupa spécialement  d'un  grand  ou- 
vrage politique  qu'il  avait  commencé 
depuis  plusieurs  années.  Mais  on  vint 
encore  l'arracher  à  ses  études  favo- 
rites ,  et  cette  fois  il  ne  s'en  plaignit 
point  ;  il  s'agissait  du  bien  public  : 
une  nouvelle  disette  menaçait  Paris 
et  les  départements^  on  jeta  les  yeux 
sur  l'homme  qui  avait  si  bien  admi- 
nistré les  subsistances  en  1789  et 
i-yQO.  Vauvilliers  répondit  à  l'appel 
qui  lui  fut  fait  par  le  ministre  Be- 
nezech  ,  et  il  accepta  la  direction  de 
ce  service  en  qualité  d'agent  supé- 
rieur du  ministre  de  l'intérieur  pour 
les  subsistances.  Les  fournisseurs 
dont  il  s'était  servi  vinrent  lui  offrir 
leur  coopération.  Son  activité  et  l'em- 
ploi des  moyens  qui  déjà  lui  avaient 
réussi  ramenèrent  en  quelques  se- 
maines la  confiance  et  la  sécurité.  Le 
danger  passé,  on  voulut  exiger  de  lui 
le  serment  de  haine  à  la  royauté. 
C'était  lui  demander  sa  démission  , 
il  la  donna  et  retourna  à  Corbeil.  Il 
publia  alors  une  petite  brochure  in- 
titulée :  Questions  sur  les  serments , 
en  particulier  sur  celui  de  haine  à  la 
royauté,  1796.  Cependant,  il  ac- 
cepta ,  peu  de  temps  après ,  un  loge- 
ment à  Paris  chez  M^^^.  de  Lamoi- 
gnon  :  voulant  y  faii-e  imprimer  son 
Traité  de  politique  ,  il  lui  devenait 


VAU 


4i 


indispensable  d'habiter  cette  ville. 
Ce  fut  vers  la  même  époque,  que 
sur  une  simple  note  trouvée  chez 
M.  de  La  Villeheurnois  ,  il  fut 
impliqué  dans  la  conspiration  dont 
ce  dernier  et  l'abbé  Brottier  fu- 
rent accusés  d'être  les  chefs.  Cette 
note  était  ainsi  conçue  :  «  Nommer 
Vauvilliers  directeur  -  général  des 
subsistances  ,  que  personne  ne  peut 
mieux  administrer  que  lui.  »  Sur  ce 
chef,  le  Directoire  le  traduisit  devant 
le  conseil  de  guerre  ,  d'abord  comme 
embaucheur,  puis  le  garda  comme 
témoin  nécessaire  au  procès.  Le  con- 
seil se  déclara  incompétent.  Enfin 
le  directeur  du  jury  ,  auquel  il  avait 
été  envoyé  ,  le  déchargea  de  tou- 
te accusation.  Déses])érant  de  le 
faire  condamner  ,  le  Directoire  ,  en 
le  traduisant ,  à  divers  titres ,  devant 
des  tribunaux  différents,  voulait  pro- 
longer son  arrestation  et  l'empêcher 
d'être  élu  à  l'un  des  Conseils  légis- 
latifs. Mais  ,  malgré  sou  absence,  la 
ville  de  Corbeil  l'avait  choisi  pour 
un  de  ses  électeurs  ;  s'étant  pré- 
senté en  cette  qualité  à  l'assemblée 
électorale  de  Versailles,  il  y  fut  nom- 
mé, à  une  grande  majorité,  membre 
du  conseil  des  Cinq-Cents.  Dans  ce 
poste  aussi  honorable  que  dangereux, 
Vauvilliers  ne  démentit  point  l'opi- 
nion qu'on  avait  de  lui.  11  eut  sou- 
vent occasion  d'y  faire  remarquer 
son  éloquence  ,  sa  sagesse  et  ses 
vertus  politiques  et  religieuses.  Ce  fut 
sur  son  rapport  que  la  famille  Anis- 
son-Duperron  obtint  la  restitution 
des  presses,  caractères  et  autres  meu- 
bles de  l'imprimerie  royale  ,  dont  la: 
république  s'était  emparée.  Ou  peut 
citer  particulièrement  ses  Discours 
sur  les  finances  ,  sur  le  serment  ^ 
sur  la  liberté  indéfinie  des  cultes ,. 
sur  les  armées  ,  sur  les  entreprises 
et  les  usurpations  du  Directoire^ 


4»  VAU 

sur  la  nécessité  de  classer  et  de 
fixer  tous  les  pouvoirs  (  dans  le  sys- 
tème du  gouvernement  adopte  à  cette 
époque),  et  son  opinion  sur  le  divorce. 
Dans  toutes  les  discussions,  il  se  mon- 
tra fidèle  aux  vrais  principes  :  tou- 
tefois ,  il  ne  se  fit  point  illusion  sur 
l'inefficace  résistance  de  la  saine  ma- 
jorité' des  deux  Conseils;  l'inde'cision 
et  les  lenteurs  de  la  réunion  de  Cli- 
chy  ne  pouvaient,  suivant  lui ,  lutter 
contre  l'activité  et  l'ensemble  des 
combinaisons  du  Directoire  secon- 
de d'ailleurs  par  le  chef  victorieux 
de  l'armée  d'Italie.  Il  n'en  demeura 
jias  moins  attache  à  ses  amis  ,  et  fut 
compris  dans  la  liste  de  déportation 
du  1  8  fructidor.  Ce  ne  fut  qu'à  la  fa- 
veur d'un  déguisement  qu'il  put  y 
échapper  et  gagner  la  Suisse.  Peu  de 
temps  après  ,  le  Directoire  menaça 
d'envahir  cette  contrée,  etVauvilliers 
dut  chercher  un  autre  refuge.  Se  rap- 
pelant l'accueil  que  lui  avait  fait  Paul 
!*='■. ,  lorsque,  voyageant  sous  le  nom 
de  comte  du  Nord,  ce  prince  avait 
visité  l'académie  des  inscriptions,  et 
entendu  la  lecture  de  quelques  tra- 
ductions de  Pindare  ,  il  lui  écrivit 
pour  avoir  la  permission  de  se  reti- 
rer dans  ses  étals  ;  et  reçut  bien- 
tôt par  un  courrier  l'invitation  de 
se  rendre  en  Russie',  sa  nomina- 
tion à  l'académie  impériale  des 
sciences  de  Pétersbourg  ,  et  les 
moyens  de  subvenir  aux  dépenses 
de  la  route.  11  s'arrêta  à  Mittau  , 
pour  rendre  ses  devoirs  à  Louis 
XVIII ,  qui  venait  de  s'y  établir.  A 
Pétersbourg,  l'empereur  lui  fit  comp- 
ter ia  première  année  de  son  traite- 
ment ;  et  si  l'on  joint  à  cette  munifi- 
cence les  témoignages  de  considéra- 
tion qu'il  reçut  de  ses  confrères  ,  à 
son  uulallatiou  qui  eut  lieu  immédia- 
tement ,  on  doit  concevoir  qu'après 
une  «empclc  aussi  orageuse  ,   il  dut 


VAU 

se  croire  rendu  au  port.  Il  apprit  ]^ 
langue  russe  ,  et  se  mit  en  mesure  de 
faire  imprimer  son  manuscrit  sur  les 
sociétés  politiques;  mais  la  rigueur 
du  climat  ne  tarda  pas  à  agir  sur 
sa  santé ,  aflaiblic  par  tant  de  cha- 
grins. Ni  les  témoignages  d'inté- 
rêt que  lui  donna  l'empereur 
Alexandre  ,  ni  les  soins  touchants 
que  lui  jirodigua  un  compatriote  , 
M.  l'abbé  Nicole ,  ne  purent  le  sau- 
ver. 11  termina,  le  23  juillet  i8gi  , 
une  vie  dont  les  seize  dernières  an- 
nées avaient  été  un  modèle  d'édifica- 
tion. Ju.s([u'en  178^;  la  conduite 
dissipée  de  Vauvilliers  et  ses  liaisons 
intimes  avec  plusieurs  philosophes 
avaient  pu  faire  croire  qu'il  parta- 
geait leurs  sentiments  et  leurs  prin- 
cipes ;  mais  en  cette  même  année,  il 
eut  un  songe  dans  lequel  il  se  crut 
transporté  au  jugement  de  Dieu.  Sa 
conduite  lui  fut  reprochée  avec  tant 
de  véhémence ,  qu'il  en  ressentit  une 
impression  profonde.  Il  se  réveilla 
tout  en  sueur  :  ses  cheveux  blanchi- 
rent entièrement  durant  cette  nuit. 
A  partir  de  ce  moment  ,  il  se  fit  uh 
changement  absolu  en  lui  sous  le 
rapport  moral ,  et  il  devint  aussi 
exemplaire  qu'il  l'avait  été  peu  jus- 
que-là. Vauvilliers  a  racontéplusieurs 
fois  ce  songe  à  sa  famille  et  à  ses 
amis  ,  et  il  y  rapportait ,  sans  le 
moindre  doute ,  sa  conversion.  Ses. 
mœurs  étaient  simples  et  douces  ,  sa 
piété  indulgente  et  éclairée,  sa  con- 
versation agréable  et  instructive.  Il 
possédait  à  un  degré  éminent  les  ta- 
lents oratoires ,  et  surtout  le  don  de 
l'improvisation.  Sou  désintéresse- 
ment était  tel,  qu'après  avoir  été 
chargé  d'une  grande  administration, 
dont  il  avait  rendu  un  compte  ri- 
goureux, il  fallut,  à  sa  mort,  pour 
])ayer  ses  dettes,  vendre  sou  mobi- 
lici-  cl  sa  bibliothèque.  —  11  est  fart 


VAU 

à  désirer  que  sa  famille  fasse  jouir  le 
public  du  fri'.lt  de  ses  veilles  de  quin- 
ze aus  ,  de  cet  ouvrage  auquel  il  at- 
tachait lui-même  tant  d'intérêt  :  ses 
Idées  sommaires  sur  les  socié- 
tés politiques.  Le  savant  qui  avait 
tant  médité  Platon  ,  Aristote  ,  Xé- 
nophon,  Thucydide  et  Plutarque, 
imbu  peut-être  long-temps ,  mais  dé- 
sabusé des  paradoxes  et  des  systè- 
mes des  publicistes  et  des  philoso- 
phes modernes  ,  a  dû,  en  voyant  les 
théories  de  ces  derniers  appliquées 
par  leurs  disciples  à  la  science  du 
-gouvernement,  en  porter  un  juge- 
ment approfondi.  Vauvilliers  n'était 
pas  marié  :  il  a  laissé  cinq  neveux , 
dont  quatre  de  son  nom.     G — rd. 

VAUX  (  Noël  Jourda  ,  comte 
DE  ) ,  maréchal  de  France,  naquit  en 
1 7  o5  ,  au  château  de  Vaux ,  diocèse 
du  Puy,  d'une  branche  très-pauvre 
de  l'anciezine  et  noble  famille  de 
Jourda,  originaire  du  Gévaudan,  qui 
s'était  établie  en  Velay.  Entré  au 
service  en  177.4  -,  comme  lieutenant 
au  régiment  d'Auvergne ,  il  servit 
aux  sièges  de  Pizzighitone  et  du  châ- 
teau de  Milan;  capitaine  en  1734, 
il  se  trouva  à  l'attaque  du  château 
de  Colorno  ,  et  fut  blessé  aux  ba- 
tailles de  Parme  et  de  Guastalla.  En 
1  788 ,  il  passa  en  Coi'se  ,  et  com- 
manda^ en  1739,  à  Corté,  avec  un 
détachement  de  deux  cents  hommes 
de  son  régiment.  Attaqué  au  couvent 
de  Guersamani  par  deux  mille  Cor- 
ses ,  il  fut  blessé  de  deux  coups  de 
feu;  mais  il  réussit  à  garder  le  poste. 
Le  régiment  d'Auvergne  ayant  été 
envoyé  en  Bohême,  en  1743,  le 
comte  de  Vaux  se  distingua  à  la 
défense  de  Prague  :  détaché  avec  huit 
cents  hommes  au  chemin  couvert  de 
la  place  ,  il  y  repoussa  plusieurs  fois 
l'ennemi,  et  ne  la  quitta  qu'à  la  fin 
du  siège.  Les  preuves  de  com'age  et 


VAU  43 

de  talent  qu'il  y  donna  lui  valurent 
le  commandement  du  régiment  d'An- 
goumois.  Employé,  en  1744  et  174^, 
dans  l'état-major  de  l'armée  ,  il  se 
trouva  aux  sièges  deMeniujd'Ypres, 
de  Furnes  y  au  combat  de  Rielz- 
vaux  ,  au  siège  de  Fribourg  ,  à  la 
bataille  de  Foutenoy;  se  signala  aux 
sièges  deTournay  etde  Deudermonde, 
et  couvrit ,  avec  quinze  cents  hom- 
mes ,  celui  d'Oudenarde  ,  place  dont 
le  roi  lui  donna  le  commandement 
en  récompense  de  ses  services.  Lors- 
que le  maréchal  de  Saxe  entreprit  le 
siège  de  Bruxelles ,  le  comte  de 
Vaux  ,  à  la  tête  de  cinq  mille  hom- 
mes ,  fut  chargé  du  passage  du  canal 
de  Vilvorfle.  II  fit  deux  cents  prison- 
niers dans  les  redoutes  ,  établit  un 
pont  sur  le  canal ,  et  lors  de  l'inves- 
tissement de  la  place,  il  fut  détaché 
à  l'un  de  ses  faubourgs ,  à  deux  cents 
pas  des  fossés ,  qu'il  couvrit  de  re- 
doutes. Après  la  prise  de  la  ville  , 
le  maréchal  de  Saxe  le  chargea  d'eu 
porter  la  nouvelle  au  roi,  qui  le 
nomma  brigadier  ,  et  il  servit  en 
cette  qualité  aux  sièges  d'Anvers  , 
de  Namur ,  et  à  la  bataille  de  Ro- 
coux.  On  lui  confia,  en  1747  y  l'in- 
vestissement du  Sas-de-Gand  :  il  fit , 
avec  six  mille  hommes  ,  toutes  les 
dispositions  pour  commencer  ce  siè- 
ge ,  s'empara  d'un  fort  et  fit  deux 
cents  prisonniers.  Un  éclat  de  bombe 
l'atteignit  au  siège  de  Berg-op-Zoom. 
Détaché  au  village  de  Vouet,  avec  les 
voloutaiies  de  Bretagne  ,  il  y  fut  at- 
taqué par  dix  mille  hommes,  qu'il 
força  à  la  letraite;  ce  qui  le  fit  nom- 
mer au  commandement  en  second  de 
la  Franche-Comté.  Envoyé  en  Corse, 
pour  s'y  mettre  à  la  tête  des  troupes , 
il  fut  fait  lieutenant-général  ,  et  em- 
ployé à  l'armée  du  maréchal  de 
Broglic.  Il  assista  à  la  bataille  de 
Corbach  ,  fut  chargé   de  la  défense 


44 


VAU 


de  Fricdberg  et  commanda  une  co- 
lonne qui  attaqua  les  redoutes  de 
Cassel ,  et  en  chassa  les  ennemis.  Au 
mois  d'août  suivant,  il  eut  ordre  d'at- 
taquer l'arrière -garde  d'un  corps  de 
dix  mille  hommes  ,  et  la  mit  en  dé- 
route. A  la  fin  de  cette  campagne  ,  le 
commandement  de  Gottingen  lui 
fut  confie.  Investi  dans  celte  place 
par  l'armc'e  du  prince  Ferdinand  de 
Prusse  ,  il  fondit,  à  dilTcrentes  repri- 
ses ,  sur  les  troupes  qui  s'étaient  pos-  ' 
tees  dans  les  villages  voisins ,  en 
tailla  en  pièces  ime  partie,  fit  l'autre 
])risonni(rc,  et  obligea  enfin  le  prince 
Ferduiand  de  lever  ce  siège,  après 
lui  avoir  enlevé  près  de  trois  mille 
hommes  en  dillèrentes  sorties.  En 
i-^ôi  ,  il  eut  un  cheval  blesse  sous 
lui  ,  à  Filangshausen  ,  et  ses  ha- 
bits furent  cribles.  L'armée  eut  à 
peine  passé  le  Weser,  qu'il  fut  déta- 
che avec  six  mille  hommes  pour  pous- 
ser l'ennemi  au-delà  de  l'iùns;  et  lors- 
qu'on résolut  d'assiéger  Wolfenbut- 
tcl  ,  il  fiit  chargé  de  reconnaître  la 
place.  Au  commencement  de  i-jfii  , 
il  servit  au  corps  de  réserve  du  comte 
de  Liisace:  mais  ce  corps  ayant  re- 
joint le  gros  de  l'armée,  le  comte  de 
Vaux  retourna  à  Gottingen.  Bientôt 
après  ,  il  fit  éclater  de  nouveau  sa 
valeur  au  combat  de  Johannisberg  , 
et  à  celui  qu'il  li\  ra  ,  avec  le  marquis 
de  Poyanno ,  aux  troupes  légères  des 
eniiemis.  Employé,  en  i^'iS,  dans 
les  Trois-Evèchés,  il  fut  nomraécom- 
mandant  en  second  de  cette  province, 
et  commandeur  de  l'ordre  de  Saint- 
Louis,  en  176».  Le  comte  de  Vaux 
fut  envoyé  eu  Corse  ,  en  17^)9,  pour 
y  commander  en  chef;  et  trois  mois 
suivirent  pour  soumettre  cette  île,  qui 
jusque-là  avait  opposé  une  résistance 
invincible.  On  trouve,  dans  les  Mé- 
jnnuesde  Dumouriez,  des  détails  sur 
cette  campagne  ou  plutôt  sur  cette  con- 


VAU 

quête  delà  Corse; et  ce  général,  auquel 
on  ne  peut  refuser  une  grande  science 
militaire  ,  donne  de  justes  éloges  au 
comte  de  Vaux.  Après  la  réduction  de 
la  Corse,  il  fut  employé  successive- 
ment dans  la  généralité  de  Paris,  dans 
les  divisions  de  Provence  et  d'Alsace, 
et  au  camp  de  Vossieux.  En  1770  et 
1780,  il  commanda  l'armée  des  cô- 
tes de  Bretagne  et  de   Normandie, 
et  passa  ensuite  au  commandement 
du   comté  de  Bourgogne.  Enfin  les 
preuves    de    talent    et   de    courage 
qu'il   avait   données    pendant    près 
de  soixante  ans  ,  dans   dix-neuf  siè- 
ges ,  dix  combats  et  quatre  batail- 
les ,    lui   méritèrent    la    di"iiité   de 
maréchal  de  France,  que  Louis  XVI 
lui  conféra  le  i4  juin  i783.lùivoyé 
en  Dduphiné  pour  y  apaiser  les  pre- 
miers ferments  de  la  révolution  ,  le 
maréchal  de  Vaux  mourut  à  (jreno- 
ble,  le  i4  septembre  1788. Son  corps 
fut  déposé  dans  l'église  de  l'Etournac, 
pour  être  ensuite  transféré  au  châ- 
teau de  Vaux  ;  mais ,  en  l'exhumant, 
les  vandales  révolulionnaiies  empê- 
chèrent que  ses  cendres  fussent  con- 
fiées au  mausolée  que  devait  exécuter 
son  compatriote  Julien  ,  l'un  de  nos 
mei  leurs  sculpteurs.  Observateur  zélé 
de  la  discipline,  sévère,  mais  juste 
et  humain  ,  désintéressé  ,  ennemi  de 
ce  faste  qui  corromj)t  une  armée  au- 
tant qu'il  l'embarrasse,  le  maréchal 
de  Vaux  donna,  toute  sa  vie,  l'exem- 
ple des  vertus  militaireset  surtout  d'u- 
ne scrupuleuse  probité.  Après  avoir 
commandé  l'expédition  destinée  pour 
l'Angleterre,  il  demeurait  encore,  en 
1781  ,  à  la  tête  des  troupes  rassem- 
blées en  Bretagne.  A  la  fin  du  pre- 
mier mois  de  service  ,  le  trésorier  de 
l'armée  lui  apporta  la  même  somme 
qu'il  lui  avait  comptée  l'année  précé- 
dente pour  le  mois   correspondant  : 
«  Il  ne  m'en  faut  que  la  moitié  ,  dit 


VAU 

»  le  comlc  de  Vaux ,  n'ayant  plus 
»  les  mêmes  clc'peiisos  à  faire ,  je  n'ai 
»  plus  besoin  du  même  traitement;  » 
cl  il  écrivit. sur-le-cliamp  dans  ce  sens 
au  ministre  de  la  guerre.  Celui-ci  lui 
repondit  qu'il  avait  mis  sa  lettre  sous 
les  yeux  du  roi ,  et  que  Sa  Majesté' 
voulait  qu'il  reçîit  la  somme  entière 
comme  teinoipinage  de  la  satisfaction 
qu'elle  avait  de  ses  services,  a  Je  ne 
»  puis  accepter,  écrivit  le  comte, 
»  cette  marque  de  bonté  du  roi  ;  et 
»  ce  sera  le  seul  ordre  de  Sa  Majesté 
')  auquel  ,  dans  tout  le  cours  de  ma 
»  vie,  je  me  serai  cru  dispense  d'o- 
»  beir.  »  Le  mare'clial  de  Vaux  mou- 
rut sans  laisser  de  postérité  mascu- 
line :  il  n'avait  que  deux  filles ,  les 
marquises  de  Vauborel  et  deFouj^iè- 
res.  Il  ne  reste  de  sa  maison  que  deux 
branches  cadettes ,  les  Jourda  de 
Vaux  du  Rliuillier,  et  les  Jourda 
de  Vaux-Foletier. — Alexis  de  Vaux 
du  Rliuillier,  jcle'  sur  la  plap;e  de 
Quiberou ,  en  179^,  parcelle  fa- 
talité dont  tant  de  Français  furent 
victimes  ,  voyant  à  ses  côtes  son 
frère  a  lue  blesse  à  mort ,  quoique 
perdant  lui-même  son  sang  par  suite 
d'une  blessure,  le  porta  à  la  nage 
jusqu'au  vaisseau  ,  et  revint  combat- 
tre dans  les  rangs  de  ses  camarades. 
—  La  V^ie  de  Robespierre,  publiée  à 
Augsbourg  en  1795,  nous  fournit 
un  autre  trait,  «  Dans  le  carnage 
1)  qui  eut  lieu  à  Lyon  ,  après  le  siège , 
»  un  enfant  avait  paru  toucher  les 
»  agents  de  Robespierre  :  Jeune  ci- 
»  tojen  ,  lui  dirent  -ils  ,  cest  sure- 
»  ment  tonpère  quitta  séduit;  abju- 
»  re  ses  principes ,  et  tu  auras  lavie. 
»  -  Mon  père  ne  m'a  pas  séduit , 
»  répond  le  jeimeVaux-Folelier,// va 
«  mourir  pour  son  dieu  et  pour  son 
»  roi.  Je  sers  la  même  cause,  et  je 
»  m'estime  plus  heureux  de  mourir 
V  ai^ec  mon  père  que  de  vivre  par- 


VAU  45 

)>  mi  vous.  »  Les  bourreaux  atta- 
chèrent cet  enfant  par  le  bras  au 
bras  de  son  père  ,  et  ils  furent  con- 
duits au  supplice.  G — rd. 

VAUXCKLLES  (  Simon  -  Jac- 
ques (  1  )  BouRLET ,  abbe  dl)  ,  littéra- 
teur,  ne,  en  1734,3  Versailles  ,  de 
parents  attachés  au  château  ,  se 
distingua  dans  ses  études  ,  et  sui- 
vit les  leçons  de  Coflin  et  de  Le- 
beau ,  au  collège  de  Beauvais ,  où  il 
eut  pour  condisciples  Dclille  et  Tho- 
mas ,  avec  lesquels  il  se  lia  d'une 
amitié  dont  le  temps  resserra  en- 
core les  nœuds.  Ayant  embrasse' 
l'état  ecclésiastique,  il  ne  tarda  pas 
à  se  distinguer  par  son  talent  pour 
la  chaire.  L'Oraison  fiuièbre  du  com- 
te d'Eu,  prince  de  Dombes ,  qu'il 
prononça  ,  en  17  jG,  devant  la  cour, 
lui  valut  le  titrede  prédicateurdu  roi  j 
et  peu  de  temps  après,  il  fut  pour- 
vude  plusieurs  bénéfices.  II  entreprit, 
en  1770,  un  voyage  eu  Italie,  où  il 
réussit  fort  bien  [-i].  Riche  des  con- 
naissances qu'il  avait  puisées  dans  la 
fréquentation  des  savants  et  dans 
l'examen  des  chefs-d'œuvre  des  arts, 
il  revint  à  Paris,  où  il  partagea  son 
temps  entre  les  devoirs  de  son  état, 
la  culture  des  lettres  et  la  société  des 
hommes  les  plus  aimables  et  les  plus 
spirituels.  Il  voyait  souvent  Saint- 
Lambert  et  Diderot  ,  quoiqu'il  fût 
bien  éloigné  d'approuver  leurs  opi- 
nions. «  C'était  bien,  dit -il  en  par- 
lant de  Diderot,  le  bon  homme  le 
plus  immoral  en  propos ,  le  rai- 
sonneur le  plus  débridé  ,  le  plus 
à  la  houzarde  que  Dieu  eût  créé  , 
quand  il  voulut  donner  un  ridicule  à 
la  philosophie  humaine  (3).  d  L'abbé 

(1)  D'autres  biopraplic"!  le  nommeot  Simpn-Jcr6- 
rnc  ,  ou  Siftio/i-Jèreiiiif. 

(a)  C'(>6t  rex|iressioD  de  l'abbi-  Oaliani ,  dans 
une  Leilre  ù  M™«.   d'E[>inay,  du  7  avril  1770- 

(\)  AveiiiMemenl  sur  l,-  Siippléincnl  au  voyage  «/« 
Hoit^ainvUlc. 


46 


VAU 


de  Vauxcelles,  trop  paresseux  ou 
trop  sage  pour  ambitionner  la  gloire 
que  procurent  les  lettres ,  se  con- 
tenta de  déposer  dans  les  journaux 
le  fruit  de  ses  réflexions.  C'est  ainsi 
qu'il  a  publie ,  dans  le  Mercure  et 
dans  le  Journal  de  Paris ,  une  foule 
de  morceaux  non  moins  remarqua- 
bles par  l'élégance  et  la  pureté  du 
style  que  par  la  justesse  des  vues  et 
la  profondeur  des  pensées.  Lorsque 
M.  le  comte  d'Artois  eut  acquis  la 
bibliothèque  de  l'Arsenal  (  V.  Paul- 
my),  il  en  nomma  l'abbé  de  Yaux- 
celles  l'un  des  conservateurs.  La  ré- 
volution interrompit,  bientôt  après  , 
le  cours  de  ses  études.  Il  concourut , 
après  le  g  thermidor,  à  la  rédaction 
de  la  Quotidienne ,  puis ,  avec  La- 
barpe  et  Fontanes ,  à  celle  du  Mé- 
morial,  et  partagea  leur  proscrip- 
tion, au  18  fructidor  (4  septembre 
1797  ).  Ayant  échappé  à  la  déporta- 
tion ,  et  obtenu  ,  après  le  1 8  brumai- 
re ,  l'autorisation  de  rester  à  Paris , 
il  reprit  ses  travaux  littéraires ,  avec 
d'autant  plus  d'activité  qu'il  se  trou- 
vait obligé  de  chercher  une  ressource 
dans  ses  talents.  Il  mourut,  le  18 
mars  1802,  à  l'âge  de  soixante-huit 
ans ,  laissant  la  réputation  d'un  litté- 
rateur aimable,  doué  d'un  goût  sûr 
et  d'un  esprit  juste  et  délicat.  La- 
harpe  l'avait  surnommé  le  Chaulieu 
de  la  prose.  Outre  les  articles  qu'il  a 
publiés  dans  les  journaux,  on  cite  de 
lui  :  I.  Eloge  de  d'Aguesseau,  Paris, 
1760,  in -8".  Ce  discours,  présenté 
au  concours  de  l'académie  française, 
n'eut  pas  le  prix  {Foy.  Tuomas); 
mais  Duclos  et  Mairau  invitèrent 
l'auteur  à  le  faire  imprimer.  II.  Pa- 
négyrique de  saint  Louis ,  ibid. , 
1761  ,  in-40.  et  in-8''.  III.  Oraison 
funèbre  de  Louis,  dauphin  de  7^r«7i- 
ce,  prononcée  à  la  cathédrale  de  Sens, 
en  1766  :  elle  est  restée  manuscrite. 


VAU 

IV.  Oraison  funèbre  de  Louis  XV, 
1774,  in-4°.  V.  Discours  prononcé 
à  la  fête  des  bonnes  gens ,  i77(J, 
in-8'^.  VI.  Discours  aux  enfants  du 
duc  d' Orléans ,  sur  la  mort  de  leur 
aïeul  (  Louis  -  Philippe  -  Xavier  ) , 
1786,  in -8°.  Ce  morceau  est  écrit 
avec  une  sensibilité  douce  et  un  aban- 
don plein  de  grâce.  VII.  Opuscules 
philosophiques  et  littéraires ,  la  plu- 
part posthumes  ou  inédits ,  Paris  , 
1796,  in- 12.  Il  y  a  des  exemplaires 
format  in- 8".,  papier  vélin.  L'abbé 
de  Vauxcelles  est  l'éditeur  de  ce  re- 
cueil (4),  dont  les  différentes  pièces 
sont  précédées  de  courtes  notices 
très  -piquantes.  VIII.  Neckeriana , 
ou  Lettres  sur  les  Mélanges  de  M™*'. 
Necker,  ibid.,  1798,  in-80.  (5).IX. 
Une  édition  des  Lettres  de  il/"'^  de 
Sévigné ,  ibid. ,  1801 ,  10  vol.  in-12, 
avec  une  Vie  de  cette  dame  et  des 
réflexions  sur  ses  Lettres ,  morceau 
charmant,  qui  a  passé  dans  les  édi- 
tions plus  récentes  (  Voy.  Sevtgné). 
X.  Une  édition  de  l'ouvrage  de  Fé- 
nélon  :  De  l'Education  des  filles , 
in-i2  ,  avec  un  Discours  préliminai- 
re. XI.  Un  Commentaire  sur  les 
Oraisons  funèbres  de  Bossuet,  i8o5, 
in  -  8".  L'abbé  de  Vauxcelles  avait 
fait,  pendant  quinze  ans,  sa  lecture 
habituelle  des  chefs-d'œuvre  de  Bos- 
suet,  qu'il  trouvait  toujours  égal 
et  souvent  supérieur  aux  plus  célè- 
bres orateurs  de  l'antiquité.  XI.  Des 
Notes  sur  le  premier  volume  des 
Mémoires  secrets  de  Duclos  _,  insé- 


(4)  Ce  volume ,  asser.  rare  ,  contient  :  Réflexions 
sur  le  bonheur,  par  1M"*«,  Ducliâtelel;  Anecdote 
sur  le  roi  de  Pn.i5se ,  par  Tliomas  ;  Entretien  d'un 
philosophe  avec  la  maréchale  de...,,  par  Diderot; 
Du  bonheur  des  sots,  par  Necker;  le  Bonhomme , 
conte  moral  ou  histoire  scaudiileuse;  le  7' rai  phi- 
losophe,  par  Oumarsais  ;  les  femmes,  par  l'abhé 
Galiaui ,  et  enfin  le  Suppl.  au  voyage  de  Bougain- 
ville  ,  par  Diderot.  La  notice  qui  précède  l'opus- 
cule de  Necker  est  de  Suard. 

{a)  Il  a  paru,  en  1808  ,  un  recueil  in-S".  ,  sous 
ce  titre  :  Esprit  de  Madame  Necler,  par  B.  D.  V. 


VAV 

•rccs  dans  le  tome  vi  des  OEuvres 
complètes,  cdit.  de  M.  Aiiger.  Il  a 
eu  part  à  V Esprit  de  V Encyclopé- 
die,  iii  vol.  iu-8^.  ;  et  avec  M.  Gen- 
ce ,  à  l'édition  du  Dict.  de  Vacad. 
française,  1798,  a  vol.  in  -  4''-  On 
trouve ,  dans  la  Correspondance  de 
Grimm ,  3°.  part. ,  iv ,  494?  ""  fi'^g- 
jneut  d'un  Dialogue  en  vers  de  Vaux- 
cclJes ,  Sur  les  dangers  de  la  satire, 
dédie  à  Rivarol  (  J^.  ce  nom  ).  Quel- 
ques biograplies  lui  attribuent  la  tra- 
duction ,  que  d'autr«s  donnent  à  Jan- 
sen  ,  du  Dialogue  sur  les  médail- 
les,  par  Addison  {Voy.  ce  nom,  !_, 
309).  W — s. 

VAVASSEUR  (  le  P.  François  ■) , 
pr  '^te  latin  et  littérateur,  né  en  i6o5 
à  taraydans  le  Charolais, embrassa 
la  règle  de  Saint  Ignace,  enseigna  les 
humanités  et  la  rhétorique  dans  dif- 
férents collèges  ,et  fut  ensuite  chargé 
d'expliquer  l'Écriture-Sainte  à  Bour- 
ges. Ses  supéi'ieurs  l'appelèrent  à 
Paris  pour  remplacer  au  collège  de 
Clermoiit  le  P.  Pétau  (  V.  ce  nom , 
XXXIIl,  458),  et  il  s'acquitta  de 
ces  nouvelles  fonctions  de  manière  à 
diminuer  les  regrets  que  faisait  éprou- 
ver la  retraite  de  son  prédécesseur. 
Il  possédait  le  grec  et  l'hébrai  (1); 
mais  il  s'était  attaché  surtout  à  l'é- 
tude de  la  langue  latine,  qu'il  écrivait 
et  parlait  avec  une  rare  élégance 
(2).  Dès  lôS-y  ,  il  avait  donné  des 
preuves  de  son  talent  pour  la  poésie 
latine  dans  une  Paraphrase  du  livre 
de  Job ,  dont  il  se  lit  une  seconde 
édition  l'année  suivante.  Des  Ha- 
rangues y   quelques  pièces  de  vers  , 


(i)  Il  a  fait  ntifi  plaisante  bévue  dans  la  préface 
de  son  Comtncnltiire  sur  le  livre  de  Joh ,  pour 
n'avoir  pas  compris  le  litre  liélireu  d'un  livre  du 
rabbin  Moise  Maiinonide,  Voytz  Niceron  ^  tome 
XIV  ,  p.  137. 

(?.)  Lorsqu'il  enlendit  parler  du  projet  de  Du- 
cange  de  recueillir  les  mots  de  ia  basse  latinité  , 
11  y  a  plus  de  soi:<aute  ans  ,  dit-11 ,  que  je  m'étudie 
à  n'employer  aucun  des  mots  qu'il  a  rechercliés. 


VAV  47 

mais  principalement  son  poème  in- 
titulé zTheurgicon  seu  de  miracuUs 
Christi  ,  achevèrent  de  le  faire  con- 
naître d'une  manière  avantageuse. 
La  vivacité  de  son  caractère  l'entraî- 
na dans  de  fréquentes  disputes  litté- 
raires ,  et  il  ne  put  rester  étranger 
aux  tristes  querelles  du  jansénisme. 
En  répondant  au  docteur  Arnauld  , 
qui  lui  avait  attribué  par  erreur  deux 
pamphlets  anonymes  (3),  il  fit  re- 
jaillir sa  mauvaise  humeur  sur  tous 
les  écrivains  de  Port-Royal  ,  aux- 
quels il  reproche  un  ton  tranchant  et 
la  forme  exagérée  de  leurs  éloges 
et  de  leurs  critiques.  Il  attaqua  Go- 
deau  y  évêque  de  Grasse,  parce  qu'il 
avait  été  favorable  AwPetrus  Aure- 
lius  de  Saiut-Cyran  (/^.  ce  nom);  mais 
tout  l'esprit  qu'il  montra  dans  cette 
occasion  ne  peut  l'excuser  d'avoir 
jeté  des  doutes  sur  la  conduite  d'un 
prélat  aussi  respectable.  Vavasseur 
se  piquait  d'exceller  dans  l'épigram- 
me  :  aussi  ne  pardonna -t -il  point 
au  P.  Rapin  ,  son  élève  ,  d'avoir  dit, 
dans  ses  Réjlexions  sur  la  poétique 
d'Aristotc  ,  qu'aucun  poète  moderne 
ne  lui  semblait  avoir  réussi  dans  ce 
genre.  Feignant  de  n'avoir  pas  re- 
connu l'auteur  des  Réflexions ,  il  re- 
leva très-vivement  ses  erreurs  ;  et  la 
dispute  se  serait  prolongée  entre  les 
deux  confrères,  si  le  président  de 
Lamoignon  ne  se  fiit  interposé  pour 
les  réconcilierez^.  Rapin  , XXXVII, 
94  )•  Le  P.  Vavasseur  mourut  à 
Paris,  le  16  décembre  1681  ,  à  l'âge 
de  soixante-seize  ans.  L'abbé  d'Oli- 
vet  dit  qu'il  a  été  le  meilleur  huma- 
niste de  son  temps  (4).    C'était  un 


(3)  Triumphus  catholirœ  veritatis ,  sive  Jaiiseniu^ 
clamnalus  ;  et  Calat^hanus ,  nalione  hiherims ,  an 
saljriis  ille,  qui  nuper  in  tucem  piodiit.  Xe  pre- 
mier est  du  P,  Pbil.  Labbe;  mais  on  n'a  pas  en- 
core découvert  l'auteui-  du  seioud. 

(4)  Hist.  de  VAcad.  française  ,  t.  I ,  p.  3i2.  , 
édit.  ia-12. 


48 


VAV 


fort  bon  critique,  homme  d'esprit  et 
de  goût ,  écrivain  pur  et  éloquent  , 
mais  comme  poète,  il  manque  d'ima- 
gination. Ses  Poésies  furent  publiées 
par  le  P.  Lucas ,  son  confrère  ,  Paris , 
i683,  in-8". ,  précédées  d'une  courte 
Notice  sur  l'auteur ,  tirée  en  partie 
de  la  Bihl.  du  P.  Southwel ,  et  de 
quelques  vers  à  sa  louange  ;  mais  ses 
OEuvres  ont  été  recueillies  en  un 
vol.  in-fol.,  Amsterdam,  1709, sous 
ce  titre  :  Fr.  Fai^assoris  opéra  om- 
nia  ,  antehàc  édita  ,  theolo^ica  et 
philologica  ;  ad  qiiœ  accesserunt 
inedita  et  suh  ficto  nomine  emissa. 
Ce  vol.  contient  :  I.  De  ludicrd  die- 
tione  liber.  C'est  un  traité  contre  le 
style  burlesque  ,  que  les  ouvrages  de 
d'Assoucy  et  de  Scarron  avaient  mis 
à  la  mode.  Le  P.  Vavasseur  l'entre- 
prit à  la  prière  de  Balzac ,  son  ami 
(5) ,  auquel  il  le  dédia.  La  première 
édition  est  de  Paris,  i658,  in-4''. 
Celle  de  Leipzig  ,  1722  ,  iu-B".  ,  est 
augmentée  par  J.-Chr.  Kapp.  Coupé 
a  publié  une  trad.  abrégée  de  cet  ou- 
vrage dans  les  Soirées  littéraires , 
XVIII ,  1 60-2 10.  Le  but  de  Vavas- 
seur est  de  prouver  que  les  anciens 
n'ont  jamais  employé  le  style  burles- 
que ;  et  suivant  lui  ,  c'est  une  raison 
suffisante  pour  le  proscrire  (6),  IL  De 
Epigrammate  liber ,  Paris,  1669, 
1672  ,  in-i2.  Il  paraît  n'avoir  com- 
posé ce  traité  de  l'épigramme  que 
pour  avoir  l'occasion  de  critiquer  la 


[5)  Balzac  a  publié  une  Dissertation  sur  le  style 
burlesque,  adressée  au  P.  Vavasseur;  c'est  la  2r)«  de 
ses  disserlalions  critiques.  Parmi  ses  lettres,  on 
en  trouve  plusieurs  à  Yavas^eur  ,  qui  téuioignent 
la  baute  estime  qu'il  avait  de  ses  talents. 

(6)  Ainsi  Vavasseur  oublie  ou  il  excuse  le  Mar~ 
giles  ,  la  Batracomjomachie  ,]es  turlupinades  d',-/- 
ristophane  ,  les  rusticités  de  Théoctite  ,  le  sel  gros- 
sier de  Plante  ,  les  quolibets  de  Cicéron  ,  les  mau- 
vaises plaisanteries  de  Pétrone  ,  les  facéties  trop 
peu  délicates  àeVApocoloquintliose,  etc.  11  va 
jusqu'à  louer  un  morceau  de  l'antiquité  ,  intitulé  : 
Marcus  Crunnius  corocotta  poyrellus  ,  qui  n'est 
autre  cbose  que  le  testament  d'im  pourceau  dicté 
par  Ini-mème  ,   pièce   du  comique  le  plus  bas. 


VAV 

dissertation  de  Nicole  sur  le  même 
sujet  (  f^.  Nicole  ,  XXXI ,   253  ). 

III.  Observationes  de  viet  usu  quo- 
rumdani  verbonim  càm  simplicium, 
tùm  conjunctoriim ,  publié  par  le 
P.  Lucas  ,  à  la  suite  du  Recueil  de 
poésies  cité  plus  haut.  Ces  remar- 
ques, qui  annoncent  un  grammairien 
consommé,  ont  été  réimprimées  par 
JeanKetel,  dans]esScriptores selecti 
de  elegantiori  latinitate  coinpa- 
randd ,  Amsterdam,   i7i3,  in-4**. 

IV.  Orationes  .;  ces  Harangues  ou 
discours  sont  au  nombre  de  douze , 
dix  sur  des  sujets  profanes  ,et  deux 
sur  des  sujets  sacrés.  V.  De  formd 
Christi  dissertatio ,  Paris,  1649, 
in-8°.,  contre  Nicol.  Rigault  (  V.ce 
nom  ).  Il  établit  par  des  testes  sa- 
crés que  si  Jésus  n'était  pas  d'une 
beauté  remarquable ,  il  n'était  pas 
non  plus  d'une  laideur  repoussante. 
VI.  Corn.  Jansenius  suspectas, 
ibid. ,  i65o,  in-80.  VII.  Anton. 
Godellus ,  episcopus  Grassensis,  an 
elogii  Aureliani  scriptor  idoneus  ; 
idemqite  utriim  poëta  ?  Constance 
(Paris),  i65o,in-8o.  (7);  ce  petit  vol. 
très-rare  contient  une  Lettre  de  PaU' 
lus  Romanus  à  Candid.  Hesjchius, 
et  la  réponse  à! HesfcJdus  à  Paulus 
Romanus.  «  J'appellerais  ,  dit  d'O- 
»  livet ,  ce  petit  écrit,  une  satire  très- 
»  ingénieuse  ,  et  même  assez  solide  , 
»  si  la  censure  ne  portait  que  sur  les 
»  vers  de  M.  Godeau  ;  mais  comme 
»  sa  personne  y  est  attaquée  ,  je  l'ai 
»  traité  de  libelle  j  et  par  cette  rai- 
»  son  je  supprime  le  nom  du  critique, 
»  qui  a  été  le  meilleur  humaniste  de 
»  son  temps  »   (  Hist.    de  l'acad. 

yrrt«ç._, art. Godeau).  VIII. ^rf  An- 
ton. Arnaldiim  dissertatio  de  libello 
suppositio ,  ibid.,  i653  ,  in -8". 
IX.    Jobus   hrevi  commentario  et 


(7)   C'est  une  réimpression;    l'édit.  originale  est 
de  1647. 


VAY 

metaphfasi  poèticd  illustràii:S ,  \b. , 
tUJ-j  ,  in-b'. ,  Soaivent  rciiii prime 
dans  divers  formats.  X.  In  Osecvsi 
prophelum  Comintntarius.  C't'st  le 
seul  oii\r;ige  de  "Vayasscur  quif'ûtrcs- 
tc'  iuëilil.  j>e  V.  Le'oiip;  ue  le  cite  \>As 
dans  la  Bibliolh.  sacra.  XI  Theitr- 
gicon  sive  de  vùraciiUs  Chris ti  li- 
bri  IV  ,  Paris  ,  \('i[\\ ,  in-4". ,  ibid. 
(  Hollande,  Eizevirsj,  i()45  ,  in- 12, 
jolie  c'dit.  ir es- rare.  XII.  EL'gia- 
riimet  Heroicorum  liber)  Epigrani- 
matuni  libri  quatuor.  XI 11.  Re- 
marques sur  les  nouvelles  Réflexions 
du  P.  Rapin ,  touchant  la  poétique, 
Paris,  1G75,  iii-ii  de  lèi  })ag.  , 
très-rare.  Le  P.  Vavassenr  a  publié 
qiielqiies  Lettres  du  P.  Perpinian  , 
savant  jésuite  espagnol  (  F.  ce  nom 
âU  Supplément),  li  avait  le  projet 
de  donner  une  édition  du  Promp- 
tuaire  d'Harjiirnopule  (  F.  ce  nom, 
XIX,  \'i{)),  et  l'on  trouve  quelques- 
unes  des  remarques  qu'il  avait  lais- 
se'es  sur  cet  auteur  dans  le  Supplé- 
ment au  Thesaur.  juris  de  IMcer- 
mann.  Outre  les  auteurs  cités,  ou 
peut  consulter  les  Mémoires^de  Ki- 
ceron,  xxvii ,  \3i-5^;]e  Parnasse 
français  de  Titon  du  Tilîct,  p.  36o, 
et  Ja  Bibliothèque  des  auteurs  de 
Bourgogne.  "W s. 

VaYLR  (La  Motte  Le),  Foj. 
MoTHE.  XXX,  27-2. 

VaYRR  (Roland  Le).  F.  Bou- 

TIGNY  ,  V,  4  06. 

V  AYHAC  (  L'abbé  Jean  de  ) ,  né 
dans  le  village  de  ce  nom,  en  Qnercy, 
fitun  séjour  de  vingt  ans  en  Espagne, 
eise  rendit  à  Paris,vers  17  10.  llavait 
l'esprit  caustique  ,  si  l'on  en  juge 
par  une  anecdote  qui  se  trouve  dans 
quelques  recueils.  Un  jour  qu'il  s'é- 
tait mis  à  couvert  de  la  pluie  sous 
une  porte-cochère ,  la  voiture  d'un 
petit- maître  s'arrêta  devant  lui  pour 
quelque  réparation  •  le  petit-maîtrè 

XLVIIl, 


VAt 


49 


envoya  son  îarptais  lui  demaûdti^  k 
quelle  bataille  son  cliapeau  a\ait  été 
percé  1  —  A  celle  de  Cannes  ,  lui 
dit  l'abbé,  en  lui  appliquant  de  bons 
coups  de  sa  canne  sur  les  épaules.  Le 
peiit-maîîre.  voyant  maltraiter  son 
laquais,  se  fàclia  et  dit  à   l'abbé: 
Sauez-vous  à  qui  vous  avez  à  faire  ? 
—  Oh!  très -bien,  dit   l'abbé. — 
Quisuis-je  ? —  Un  sot.  Nous  avons 
de  l'abbe  de  Vayrac  un  grand  nom- 
bre d'ouvrages    historiques  ,  qui  ne 
sont  pas  sans  mérite,  quoiqu'ds  aient 
été  écrits  avec  trop  de  précipitation. 
Voici  les  principaux  :  1.  L'état  pré- 
sent de  l'empire  ,  Paris  ,  1 7  1  i  ,  un 
vol.  in-1'2.  L'auteiu- prend  l'engage- 
ment ,  dans  son  Discours  prélimi- 
naire ,  de  ne  rien  avancer  qu'il  ne 
prouve  par  de  solides  raisons,   ou 
par  des  autorités  authentiques  ,  sans 
qu'aucun  motif  de  politique  ni  d'in- 
tércî  soit  capable  de  lui  faire  trahir 
la  vérité;  mais  il  était  trop  léger  et 
trop  peu  appliqué,  suivant  le  juge- 
ment d'un  contemporain  ,  pour  tenir 
son  eugagement.  IL  Lettres  et  Mé- 
moires du  cardinal  Bentivuglio  ,  Pa- 
ris ,  1713,2  vol.  in- 12.  IlL  Maxi- 
mes de  droit  et  d'état,  Pàrïs.  J  n  16. 
Elles  sont  dirigées  contre  les  princeà 
légitimés.   IV.  Histoire  des  révolu- 
tions   d'Espagne  ,    Paris,     niQ, 
4  vol.  in-1'2,  et  depuis  5  vol.  m  8^. 
V.  Etat  présent  de  V Espagne  ,  Pa- 
ris ,   1718,  4  vol.  in-ii.  L'a.Miéde 
Vayrac   était  très  -  capal. le  d'écrire 
sur  l'Epagne,  parce  qu'il  connais- 
sait bien  ce  pays,  et  qu'il  avait  1  eau- 
coiqi  d'esprit  et  d'érudition  ;  cepen- 
dant il  n'a  pas  fait  tout  ce  qu'jl  pou- 
vait faire.    Au  sujet  de    ce  dernier 
ouvr.ige  ,  ou  lui  a  adressé  cinq  re- 
proches, dont  il  croyait  s'être  biétt 
lavé  dans  sa  préface  ,  mais  qui  sub- 
sistent en  entier.  VL  Lettre  au  sujet 
de  Guillaume ,  Jils  d' ÈtiMM ,  Coiii- 


5o 


VAY 


te  de  Blois ,  1 722 ,  dans  le  Mercure. 
Vil.  Journal  du  voyage  du  roi 
(  Louis  XV  )  à  Reims...  avec  la  des- 
ii'ijjtion  des  fêtes  données  à  S.  M. 
à  f^illers- Cotterets  ,  etc.,  Paris, 
i-iQi'i,  dans  le  Mercure  du  mois 
de  novembre,  el  séparément.  Vlll. 
Dissertation  historique  ,  topogra- 
phique  et  critique  sur  la  véritable 
situation  d'UxeWoàunum,  dont  il  est 
parlé  dans  les  Commentaires  de 
César  ,  avec  un  plan  dressé  sur  les 
lieux  ,  Paris,  i-jsS.  Après  avoir 
détruit  les  systèmes  de  ses  adver- 
saires, l'abbé  de  Vayrac  soutient 
qu' Uxellodunum  n'est  autre  que  le 
Pech  d'Ussolun  ,  près  de  Vayrac  , 
en  Qucicy.  L — b — k. 

VAYRASSE  d'ALAIS  (  Denis  ) 
(  I  ),  d'une  famille  noble ,  né  à  Alais  en 
"Languedoc,  fit  d'aliord  une  campa- 
gne eu  Piémont ,  prit  ensuite  des  gra- 
des en  droit ,  et  passa  en  Angleterre , 
où  il  s'occupa  de  pénétrer  les  intri- 
gues politiques ,  et  de'  découvrir  les 
maximes  du  gouvernement.  Eu  i665j 
il  se  trouvait  sur  im  vaisseau  amiral^ 
commandé  par  le  duc  d'York.  Quel- 
ques années  après  ,  ayant  été  regardé 
comme  complice  d'un  ministre ,  il  se 
retira  avec  lui  à  Paris.  Il  rentra  au 
service  ,  et  fit  la  guerre  de  Hollande , 
en  iG-^^;  mais  la  cluite  du  parti  ré- 
formé en  France  lui  ôtaut  tout  es- 
poir de  s'avancer ,  il  se  réduisit  à  en- 
seigner l'anglais  et  le  français  aux 
étrangers  qui  venaient  à  Paris  ,  et  se 
fit  aussi  une  certaine  réputation  par 
des  conférences  sur  l'histoire  et  la 
géographie.  La  facilité  qu'il  avait  de 
parler  agréablement  détournait  l'at- 
teiition  de  la  singularité  de  sa  figure. 
On  a  de  lui ,  outre  les  ouvrages  indi- 
qués au  tome   1*=''.  :  L  Projet  pour 


')  (""est  par  eiicur  qu'un  article  lui  a  '.'te  en 
sacré  an  tome  !<:"•. ,  pag.  58."> ,  sous  le  nom  d' Alla 
ijui  l'Uil  celui  de  sa  ville  ualale. 


VAY 

arroser  les  plaines  de  Villadague  , 
de  la  Calmetle ,  de  Bomoiran  et  de 
Le::tan ,  et  pour  rendre  navigables 
les  rivières  de  Vistre  et  du  Gar- 
don ;  lu  dans  l'assemblée  des  états 
à  Montpellier  ,  le  22  novembre 
1G96  ,  et  présenté  aux  états  par 
Denis  Fayrasse,  d' Alais  ,  résidant 
à  Paris  et  alors  à  Nimes ,  Mont- 
pellier, 1697  ,  in  -  4".  Cet  écrit  est 
l'œuvre  d'un  homme  qui  s'occupe  de 
la  prospérité  de  son  pays ,  et  qui  en 
connaît  parfaitement  la  situation  et 
les  ressources.  Au  reste,  sa  Gram- 
maire méthodique ,  quoique  oubliée 
maintenant,  n'est  pas  sans  mérite. 
L'alphabet  simplifié  qu'il  propose, 
avec  quelques  nouveaux  caractères 
pour  peindre  exactement  la  pronon- 
ciation ,  est  supérieur  à  la  plupart  de 
ceux  qui  ont  été  imaginés  après  lui. 
En  parlant  de  l'article  défini  qu'on 
donne  quelquefois  aux  personnes  fa- 
meuses ,  il  avait  cité  pour  exemple 
la  Maniveau ,  la  Montespan ,  la 
Mancini.  On  l'obhgea  de  mettre  un 
carton;  et  il  substitua  la  Brinvilliers, 
la  Foisin  et  la  Neveu.  La  réparation 
paraît  plus  oflénsante  que  l'injure, 
quand  on  en  vient  à  la  comparaison. 
11  publia  ,  en  iG83  ,  un  abrégé  de 
celte  Grammaire  ,  en  anglais  ,  in- 1 2. 
ï— u  et  V.  S.  L. 
VAYRINGE  (Philippe)  (i), 
habile  mécanicien  ,  né  le  20  sept. 
1684  à  Nouiiloiipont  ,  village  de 
Lorraine  ,  de  parents  pauvres  et 
obscurs  ,  s'enfuit  ,  à  l'àgc  de  dix 
ans  ,  pour  se  soustraire  aux  mauvais 
traitements  de  sa  belle-mère.  Son 
dessein  était  d'aller  en  pèlerinage  à 
Piomej  mais  il  en  fut  détourné  par 
ses  camarades ,  et  il  entra  chez  un 


(i)  Il  est  mal  ihiiiuhc  F'iiisiii^c,  dans  les  >/é- 
moitr^  de  VAcatl.  des  Sciences,  aiin.  17^6;  <*l 
faiitige  ^  dans  le  'limite  d'fJorlo^eiie ,  par  T^e- 
pautc. 


VAY 

serrurier  de  Metz,  qui  lui  promit 
vingt  sols  par  mois.  Il  demanda  la 
permission  de  faire  une  serrure  j  et  il 
réussit  assez  bien  dans  ce  premier 
essai  pour  que  son  maître  crût  de- 
voir augmenter  ses  gages.  Après  une 
année  d'absence ,  il  revint  dans  son 
village,  et  fut  placé  clicz  ua  de  ses 
beaux-frères,  à-la-fois,  armurier  et 
taillandier  ,  afin  d'apprendre  cette 
double  profession.  Il  vit  alors,  pour 
la  première  fois,  une  horloge,  et 
l'ayant  examinée  attentivement ,  il 
conçut  si  bien  l'assemblage  et  le  rap- 
port des  différentes  pièces ,  qu'il  en 
lit  une  pareille  dans  l'espace  de 
quelques  semaines.  Désirant  se  per- 
fectionner par  les  voyages,  il  se  ren- 
dit à  Nanci ,  où  il  travailla  à  la  grille 
de  l'église  des  Bénédictins.  L'en- 
trepreneur ,  charmé  de  ses  disposi- 
tions ,  le  prit  en  amitié,  et  lui  enseigna 
les  éléments  du  dessin.  Un  jour  qu'il 
regardait  à  sa  montre  ,  Vayringe  le 
pria  de  la  lui  confier,  et  l'ayant  dé- 
montée ,  il  en  dessina  chaque  partie 
avec  beaucoup  d'exactitude ,  se  ré- 
servant d'en  construire  une  sembla- 
ble, quand  il  en  aurait  le  loisir.  Sou 
assiduité  au  travail  et  sa  bonne  con- 
duite lui  procurèrent  un  mariage 
plus  avantageux  qu'il  ne  pouvait 
l'espérer.  Avec  la  dot  de  sa  femme, 
qui  était  de  treize  mille  francs  bat- 
rois,  il  établit  une  boutique  d'horlo- 
gerie, bientôt  la  plus  achalandée  de 
î^anci.  Dans  im  voyage  qu'il  fit  à 
Paris ,  pour  tjuelques  emplettes ,  il 
eut  l'occasion  de  voir  chez  un  de  ses 
confrères  la  machine  à  fendre  et  à 
diviser  les  roues;  et  dès  qu'il  fut  de 
retour,  il  eu  exécuta  une,  plus  par- 
faite sous  tous  les  rapports.  Nommé 
horloger  de  ia  ville,  ses  appointe- 
ments, joints  aux  béncTices  de  son 
commerce,  lui  jiermirent  enfin  de  se 
livrer  à  son  génie  inventif.  «  Mou 


VAY 


5î 


»  penchant  pour  la  mécanique  ,  dit- 
»  il  naïvement,  m'engagea  à  compo- 
»  scr  divers  modèles  qui  me  firent 
»  naître  la  chimérique  idée  du  moii- 
»  vement  perpétuel.  Je  fis  plusieurs 
»  tentatÎA^es  vaines  à  cet  égard;  mais 
»  en  y  travaillant^  je  réussis  à  faire 
»  quantité  de  mouvements  fort  sim- 
»  pies,  et  entre  autres  celui  d'une 
»  horloge,  qui  allait  huit  jours  avec 
»  trois  roues ,  et  qui  cependant  son- 
))  nait  les  heures  ,  les  demies  et  la  ré- 
»  pétition  ,  et  de  plus  marquait  la 
»  révolution  et  les  phases  de  la  lune. 
»  Je  fis  aussi  une  montre  qui  répé- 
»  tait  les  heures  et  les  quarts  avec  les 
»  seules  roues  du  mouvement ,  etc.  » 
En  1 720 ,  ayant  été  admis  à  présenter 
ses  ouvrages  au  duc  de  Lorraine  Léo- 
pold  ,  ce  prince  en  fut  si  satisfait , 
qu'il  le  retint  à  Lunéville,  avec  le  ti- 
tre de  son  mécanicien  et  un  traite- 
ment honorable.  L'année  suivante  , 
il  fut  envoyé  à  Londres ,  pour  v  faire 
exécuter ,  sous  ses  yeux ,  divers  ius  - 
truments  de  physique ,  dont  le  duc 
de  Lorraine  voulait  enrichir  son  ca- 
binet. Vayringe  profita  d'une  circons- 
tance si  favorable  poura])prendre  de 
Desaguliers(/^.  cenom,Xï  ,  i'2,'])\sl 
géométrie,  l'algèbre  et  l'usage  de 
toutes  les  machines  de  physique.  De 
retour  à  Lunéville ,  il  exécuta  sur 
le  champ  une  pendule  à  équation , 
et  un  planisphère  d'après  le  système 
de  Copernic ,  deux  chefs-d'œuvre  su- 
périeurs à  tout  ce  qu'on  avait  vu 
jusqu'alors  en  ce  genre.  Il  reçut  de 
Léopold  la  commission  flatteuse  de 
porter  le  planisphère  à  Vienne ,  oii 
il  fut  accueilli  avec  la  plus  grande 
distinction.  L'empereur  lui  donna, 
à  sf)n  départ  ,  une  chaîne  d'or 
et  une  bourse  de  ducats.  Il  serait 
trop  long  de  détailler  toutes  les 
machines  utiles  et  ingénieuses  que 
Vayringe  exécuta    dejiuis   pour  les 


:')# 


VAY 


cours  de  Lunëvillc  et  de  Vienne,  où 
ji  fit  plusieurs  voyaj^es.  Nommé,  en 
iy3i  ,  professeur  de  physique  espé- 
rimenîaîe  à  l'acade'iuie  de  Lorraine  , 
il  eut  le  plaisir  de  voir  toute  la  jeu- 
ne noblesse  s'empresser  d'assister  à 
se-.  leçons.  Combe  de  Icmoignages 
d'i  stime,  et  l'on  peut  drre  mnne  d'à- 
Hiitié  par  son  simvcrain ,  rien  ne 
manquait  au  bonlicur  de  Vayruioe. 
La  cession  de  la  Lorraine  à  la  Fran- 
ce devait  en  être  le  terme.  Le  roi 
Stanislas,  si  justement  surnommé  le 
BienJ'aisavt ,  ne  négligea  rien  pour 
retenir  dans  ses  nouveaux  états  un  ar- 
tiste dont  il  appréciait  lerareméritej 
mais  celui-ci  avait  résolu  de  suivre 
ses  anciens  maîtres  en  Toscane,  et  il 
fut  impossible  d'ébranler  sa  détermi- 
nation. Il  se  rendit  cependant  à  Pa- 
ris .  sur  la  demande  du  lieutenant  de 
po'icc  Hérau't  ;  et  il  lui  remit  le  des- 
sin avec  le  devis  d'une  machine  aussi 
simple  qu'mgénieuse  pour  élever 
deux  cents  pouces  d'eau  sur  la  butte 
de  ."^aiute  Geneviève.  Ayant  visité  la 
niacliine  de  Marly  [F.  Rannequin  , 
XXXVIl  ,  H'j  ),  il  proposa  de  dou- 
b'er  le  volume  d'eau  qu'elle  fournis- 
sait, en  remp'açant  les  rouages,  dont 
îe  bruit  était  si  désagréable  ,  par  trois 
mouvements  parei'sàceux  qu'il  avait 
établis  dans  les  bosquets  de  Luné- 
ville.  Ou  voulut  en  vain  !e  fixer  à 
Paris  par  les  promesses  les  plus 
brillantes.  Il  refusa  les  offres  plus 
wagïiiliques  encore  des  aclioiuiaues 
des  mines  de  Pompéan  ,  auxquels  il 
avait  indiqué  le  moyen  de  se  débar- 
rasser des  eaux  qui  menaçaieiit  à 
chaque  instant  de  noyer  leurs  ou- 
vriers; et  il  rejoignit  le  duc  Léopold 
a  Bruxelles  ,d'oii  il  ne  tarda  pas  à  se 
rendre  par  mer  en  Italie.  A  son  ar- 
rivée à  Florence,  il  s'empressa  de 
rouvrir  sou  cours  de  physique  ;  mais 
«  pciae  daigna-t-on  lire  le  program- 


VEA 

me  dans  lequel  il  rendait  compte  dé 
ses  principales  expériences ,  et  il  se 
vit  forcé  d'interrompre  ses  leçons  ^ 
faute  d'élèves.  Dans  ses  loisirs  ,  il  fît 
un  petit  voyage  à  Gravina ,  ville  si- 
tuée au  milieu  des  marais  ,  et  où  ré- 
gne presque  constamment  une  fièvre 
cpidemique.  11  y  tomba  malade,  et 
revint  à  Florence  ,  où  ,  après  avoir 
langui  dix-huit  mois  ,  il  moju'ut  le 
•2.\  mars  17)6  ,  à  l'âge  de  soixante- 
deux  ans.  Les  restes  de  l'Archimède 
lorrain  furent  ensevelis  avec  pom- 
pe dans  l'église  des  l]arnab:tes.  Ja- 
meray  Duval  (  /^o>'.  ce  nom,  XII, 
4i3  ),  son  compatriote  et  son  ami^ 
et  comme  lui  un  exemple  de  ce  qiie 
peut  le  génie  quand  il  est  joint  à  la 
patience  et  à  la  vertu,  a  consacré  sa 
mémoire  par  un  monument  en  mar- 
bre décoré  d'une  épilaphe.  On  peut 
consulter  pour  pins  de  détails  la  Bi~ 
hlioth.  da  Lorraine^  parD.  C^imet, 
où  l'on  trouve,  p.  9*^709,  îa  Vie  de 
Yayj-inge  ,  écrite  [sar  lui  -  même,  ou 
composée  sous  son  nom  par  Duval. 
L'abbé  Desfont;iines  parle  de  ce  cé- 
lèbre méca.iicien  dans  ses  Ohsen>a- 
tions  .  tome  x,  page  280  ,  à  l'occa- 
sion de  la  machuie  de  M.  Dupuy 
pour  élever  les  eaux.  W — s. 

VEAUX  (  Antoine-Joseph),  gé- 
néral français,  né  à  Seurre  le  18 
septembre  17(14,  entra  au  service, 
liés  sa  première  jeunesse  ,  comme 
simp'e  soldat,  et  devint  officier  au 
commencement  de  îa  révolition.  11 
fil  alors  avec  distinction  plusieurs 
campagnes ,  et  fut  nommé  général  de 
brigade,  le  10  mars  1797.  Créé 
baron  et  coramindant  de  la  Légion 
d'Honneur  ,  en  iSoj  ,  il  obtint,  peu 
de  temps  après,  le  commandement  du 
département  de  la  Côted'Or  ,  et  fut 
présenté  !e  10  février  181 1  à  l'em- 
j^ereur ,  comme  membre  du  collège 
électoral.   Se  trouvant  à    Auxonne 


iorsderinvasiondes allies  ,  en  i8i4, 
et  voyant  celte  place  compromise,  il 
en  prit  le  commandement  de  son 
chef ,  prépara  tous  les  moyens  de 
défense,  et  réussit  à  la  sauver.  Mis 
à  la  demi-solde  après  le  rétablisse- 
ment des  Bourbims  ,  il  continua 
d'habiter  cette  contrée  j  il  alla  au- 
devant  de  Buonaparte  lors  de  son 
retour  ,  en  mars  i8i5  ,  eut  avec  lui 
une  longue  conférence  à  Chàions  ,  et 
fut  nomme  lieutenant  -  gênerai  et 
commaudaut  de  la  dix-huitième  di- 
vision militaire.  Ce  fut  en  cette  qua- 
lité qu'il  publia  des  proclamations  , 
et  signa  dillè'rents  actes  publics.  Il 
fut  ensuite  nommé  membre  de  la 
chambre  des  représentants  par  le 
département  de  la  Côte-d'Oi-,  et  se 
montra  dans  cette  a'-semi)lée  ,  no- 
tamment !e4  juin  ,  un dcsplus chauds 
partisans  de  Napoléon.  II  demanda 
ensuite  un  congé  pour  aller  à  Di- 
jon ,  et  se  trouvait  dans  cette  ville  , 
au  mois  de  juillet,  quand  les  Autri- 
chiens s'en  approchèrent.  Il  se  ren- 
dit alors  avec  son  état-major  à  l'ar- 
mée de  la  Loire ,  et  il  envoya  de 
Moulins  sa  soumission  au  roi.  Sa 
nomination  futnéanmoiusannulée,  et 
le  i8  août  1816  ,  il  fut  traduit  à  la 
Cour  d'assises  de  Dijon  ,  avec  plu- 
sieurs autres  habitants  de  cette  ville  , 
comme  ayant  contribué  au  renver- 
sement du  gouvernement  royal.  Ac- 
quitté par  le  jury  ,  ainsi  que  les  au- 
tres accusés,  le  général  Veaux  se  re- 
tira à  Aloxe  ,  près  de  Beaune.  Il 
était  à  Dijon  dans  le  mois  de  sep- 
tembre iSi-^  ,  en  qualité  d'élec- 
teur ,  pour  y  concourir  aux  opéra- 
tions de  l'assemblée  électorale  de  la 
C6te-d'0r  ,  lorsqu'il  se  donna  hii- 
mèrae  la  mort  d'un  coup  de  pistolet, 
par  suite  d'une  aliénation  mentale , 
qui  s'était  déjà  manifestée  en  plu- 
.sieurs  occasions.  Z. 


\EC  55 

VECCHIETTA  (  Lorenzo  di  Pie- 
RO  )  ,  sculpteur  et  fondeur  ,  no  à 
Sienne  en  1482,  exerça  d'abord  îc 
métier  d'orfèvre,  et  enfin  s'adonna 
à  la  sculpture  et  à  l'art  de  fondre  le 
bronze.  La  supériorité  de  ses  talcnt> 
lui  (it  bientôt  confier  l'exécution  du 
Tabenîaclc  en  bronze  du  maître-au- 
tel de  la  cathédrale  de  Sienne  ,  ainsi 
que  les  ornements  en  mai  bre  qui  sub- 
sistent encore  aujoird'hiù.  Cet  ou- 
vrage excita  raclniiraîiondc  ses  con- 
temporains ,  et  lui  acquit  une  grande 
et  juste  réputation,  par  les  beautés 
dont  il  brille  dans  toutes  ses  parties. 
Il  exécuta  en  outre  un  Christ  nud, 
en  bronze,  de  grandeur  naturelle, 
tenant  en  main  la  croix,  pour  la  cha- 
pelle des  peintres  sienncis,  dans  l'hô- 
pital de  la  Srala.  Le  baptistère  de 
Saint  Jean  n'étant  point  encore  ter- 
miné, il  y  travail'a  à  quelques  figu- 
rines en  bronze  ,  et  finit  quelques 
ouvrages  du  même  mêla! ,  que  leDo- 
natello  y  avait  jadis  commencés. 
Ce  fut  lui  enfin  qui  conduisit  à  terme 
ce  baptistère,  où  il  p'aça  quelques 
figures  en  bronze  fondues  autrefois 
par  Donalo  ,  mais  qu'il  termina  avec 
une  rare  perfection.  Il  exécuta  éga- 
lement ,  dans  la  loge  des  otlleiers  de 
la  banque,  deux  statues  en  marbre  , 
de  grandeur  naturelle,  des  Apô- 
tres saint  Pierre  et  saint  Paul , 
travail  plein  de  délicatesse  ,  et  d'un 
grand  guiitde  dessin.  11  cultiva  aus- 
si la  peinture  avec  succès  ;  on  voit 
encore  un  de  ses  tableaux  à  riuiile,^ 
dans  l'hôpital  de  la  Scala  de  Sienne, 
et  une  fresque  sur  la  porte  de  l'égli- 
se de  Saint- Jean. Comme  peintre,  sa 
réputation  n'a  point  égale  celle  qu'il 
mérita  comme  sculpteur.  Il  pèche 
par  la  dureté  du  styic,  défaut  com- 
mun à  la  plupart  des  artistes  de  son 
temps.  Vecchietta  mourut  eu  i54g. 
P— s. 


H 


VEC 


VECCHIETTI  (Jean-Baptiste). 
âavant  orientaliste  ,  ne  à  Gosenza,  en 
1 552 ,  embi'assa  l'e'tat  ecclésiastique, 
et  fut  charge'  par  le  pape  Clément 
VIII  de  plusieurs  voyages  apostoli- 
ques en  Perse  et  en  Egypte ,  dont  il 
a  écrit  la  relation  ,  qui  est  restée  ma- 
nuscrite à  la  bibliothèque  de  Nanni , 
à  Venise,  sous  le  titre  de  Relation 
de  la  Perse.  Ce  sayant  mourut  en  dé- 
cembre i6ig,  —  Vecchietti  f  Jérô- 
me) ,  son  frère ,  entra  également  dans 
les  ordres,  et  se  livra  avec  beaucoup 
d'ardeur  à  i'éliide  de  la  théologie  et 
de  l'histoire  sacrée.  Il  composa  un 
ouvrage  considérable  de  chronolo- 
gie ,  intitulé  :  De  anno  primitivo 
ah  exordio  mundi  ad  annum  julia- 
num  accommodato  et  de  sacrorum 
tcmporum  ratione  ,  partagé  eu  huit 
livres^  Augsbourg ,  1621  ou  xôi'à  , 
in-fol:  Cet  ouvrage  dans  lequel  on  crut 
trouver  des  opinions  erronées  sur  la 
chronologie  sacrée  et  sur  l'institution 
fie  l'eucharistie  _,  fut  réfuté  par  Cap- 
pelli  (  Fqy-  ce  nom  )  ,  et  brûlé  d'a- 
près une  sentence  de  l'inquisition. 
Vecchietti  ,  condamné  à  une  déten- 
tion perpctuciie  ,  se  rendit  volontai- 
rement en  prison,  et  y  mourut,  à 
l'âge  de  quatre-vingts  ans.  Il  avait 
composé  une  Vie  de  son  frère  Jean  - 
Baptiste  ,  dont  le  manuscrit  est  resté 
dans  la  bibliothèque  de  Nanni.  Mo- 
relli  l'a  publiée  à  la  suite  du  Cata- 
logue des  manuscrits  de  cette  biblio- 
thèque ,  ini]»rimé  à  Venise  ,  en 
1760.  Z. 

VECCHIO  DI  SAN  RERNARDO 
(  Fbançois  Menzoccui  ,  dit  Le), 
peintre,  né  à  Forli  vers  i5io,  fut 
la  tige  d'une  famille  de  peintres  qui 
se  distingua  dans  cette  ville  et  le 
disputa  en  réputation  à  celle  des 
Longhi ,  qui  à  la  même  époque  illus- 
trait la  ville  de  Ravenuc.  II  com- 
mença à  se  former  dans  sa  patrie , 


VEC 

sur  les  ouvrages  du  Parmegiani ,  et 
il  reste  encore  de  son  premier  temps 
plusieurs  peintures  d'un  dessin  très- 
maigre  ,  tel  est ,  par  exemple  ,  le 
Crucifix  qui  se  voit  aux  ObseiTan- 
tins.  Suivant  Vasari,  il  se  mit  en- 
suite sous  la  direction  du  Genga; 
on  ajoute  même  qu'il  prit  des  leçons 
du  Pordenone  :  alors  il  changea  en- 
tièrement de  manière ,  et  adopta  par 
la  suite  un  style  correct,  gracieux, 
animé,  et  d'une  telle  expression,  que 
la  nature  elle-même  semble  respirer 
sur  sa  toile.  Parmi  les  ouvrages  qu'il 
a  exécutés  avec  le  plus  de  soin  sont 
deux  tableaux  latéraux  qui  ornent  la 
chapelle  de  Saint-François-de-Paule, 
dans  la  basilique  de  Notre-Dame  de 
Lorette.  L'un  est  le  Sacrifice  de 
Melchisédech,  l'autre  le  Miracle  de 
la  manne  dans  le  désert.  Les  pro- 
phètes et  les  principaux  persoun.iges 
ont  toute  la  majesté,  toute  la  pom- 
pe des  vêtements  qu'on  retrouve  dans 
l'école  du  Pordenone  j  mais  la  foule 
y  est  représentée  sous  les  formes  et 
dans  les  actes  les  plus  vulgaires  ; 
Téniers  lui-même  et  les  autres  fla- 
mands ne  poussent  pas  plus  loin  le 
naturel.  On  admire  dans  ces  ta- 
bleaux le  talent  et  la  vérité  avec 
lesquels  sont  peints  diverses  espè- 
ces d'animaux,  ainsi  que  l'exacti- 
tude des  accessoires.  On  regrette 
seulement  qxie  l'artiste  ait  introduit 
des  bouffonneries  dans  des  sujets  aus- 
si graves.  On  vante  beaucoup  une 
grande  machine  qu'il  a  peinte  à  fres- 
que dans  l'église  de  Sainte- Marie 
délia  Grata ,  a.  Forli ,  et  qui  repré- 
sente Dieu  le  père  environné  des 
chœurs  des  Anges.  Les  figures  en 
sont  grandioses,  d'mi  beau  mouve- 
ment ,  pleines  de  variété  et  peintes 
avec  une  force  et  une  intelligence  des 
raccourcis  qui  devraient  donner  à  cet 
ouvrage  une  célébrité  plus  grande 


VEC 

que  celU:  dont  il  jouit.  La  même  ville 
possède  beaucoup  d'autres  tableaux 
de  Veccliio  ,  dans  l'église  de  Saint- 
Dominique  ,  dans  celle  du  Dorae, 
dans  quelques  ç;aleries  particulières. 
Ce  peintre  inourul  en  i5'j4'  Sa 
patrie  a  conserve  pour  lui  tant  d'es- 
time, que  lorsqu'on  a  été  obii^^é 
de  démolir  quelques  chapelles  qu'il 
avait  peintes  a  fresque,  on  a  coupé  les 
pans  de  murs  sur  lesquels  se  trou- 
vaient ces  peintures, afin deles repla- 
cer ailleurs. — Pierre-Paul,  et  Sébas- 
tien MenzoccLi ,  ses  fils  et  ses  élèves, 
sont  cités  par  Vasari  comme  des 
artistes  d'un  ^oiil  naturel  et  sans  re- 
cherche, mais  sans  relief,  et  dont 
les  inventions  sont  extrêmement  or- 
dinaires. Pierie-Paul,  le  ])lus  faible 
des  deux,  a  laissé  (jueîques  ligures  que 
l'on  voit  encore  chez  les  Francis- 
cains de  Forli.  11  existe  de  Sébastien 
un  tableau  qu'il  peignit  dans  le  cou- 
vent de  Saint-Augustin,  en  iSgS  ; 
ce  tableau  est  composé  sur  le  goût 
antique,  et  dans  un  style  qui,  comme 
ions  ses  autres  ouvrages  ,  est  eu  ar- 
rière de  sou  siècle.  P — s. 

VECCLTS,  patriarche  de  Cons- 
tantiuople  ,  fameux  par  son  zèle  pour 
la  réunion  des  églises  grecque  et  la- 
tine, s'était,  de  bonne  heure,  fait 
connaître  par  son  érudition  et  sou 
éloquence.  Sa  vertu  égalait  ses  ta- 
lents ,  et  sa  modestie  n'avait  d'égale 
que  sa  vertu.  Sa  haute  stature ,  sa 
noble  physionomie  ajoutaient  encore 
au  respect  et  à  l'admiration.  Aussi 
la  voix  publique  le  désignait -elle 
comme  digne  des  fonctions  les  plus 
élevées.  Il  était  revêtu  de  celle  de 
Chartoplijlax ,  c'est-à-dire  gardien 
des  archives  de  Sainte-Sophie.  Mi- 
chel Paléologue  ,  qui  le  connaissait 
et  l'estimait  personnellement,  le  nom- 
ma chancelier  et  chef  de  la  justice^ 
dans  toute  l'étendue   de  l'empire. 


VEC 


55 


Rhis  tard  (  en  i -i^g  )  ^  il  fut  envové, 
comme  ambassadeur,  à  saint  Louis, 
au  sujet  de  la  réiuiion  des  deux  Égli- 
ses, et  il  se  rendit  à  Tunis  en  Afri- 
que ,  où  était  alors  ce  prince.  Mais  la 
mort  allait  frapper  ce  pieux  monar- 
que ;  et  Vcccus  n'eut  que  le  temps  de 
lui  remettre  les  lettres  et  les  dons  de 
rempereiu-.  Au  reste  ,  il  paraît  qu'a 
cette  époque  il  ne  croyait  pas  a  la 
légitimité  de  la  réunion  j   car,  trois 
ans  après  ,  l'empereur  ,  à  la  sollici- 
tation du  pape   Clément  IV,  ayant 
engagé  le  patriarche  Joseph  ,  et  quel- 
ques évêques  ,  à  reconnaître  la  supé- 
riorité de  l'Église  romaine,  Veccus 
répondit  au  nom  du  premier,  que  les 
dogmes  des  T^atins  dilïéraient  essen- 
tiellement de  ceux  des  Grecs,  et  pie 
chez  eux  le  schisme  était  en  mcrae 
temps  hérésie.  Paléologue  ,  irrité  de 
se  voir  contrarié  publiquement  par 
un  homme  dont  le  nom  était  d'un  si 
grand  jioids ,  le  fit  enfermer  dans  la 
tour  d'Anemas,,   sous  prétexte  qu'il 
s'était  acquitté  avec  lenteur  et  né- 
gligence de  son  ambassade   auprès 
de  saint  Louis.  Des  murmures  écla- 
tèrent partout  ;  et  Paléologue,  obli- 
gé de  lui  rendre  la  liberté,  adopta 
une  marche  plus  raisonnable  et  plus 
juste  à  son  égard.  11  lui  envoya  des 
livres   choisis  sur   le  schisme  et  la 
réunion.  Veccus  les  médita  ,  et  il  fut 
tellement  frapj)é  des  preuves  qu'il  y 
trouva  de  l'orthodoxie   des  Latins, 
principalement  dans  les  écrits  de  Ni- 
céphore  Blommidas  ,  qu'il  voua  sa 
vie  à   la   défense  du   système  qu'il 
avait  repoussé  auparavant,  et  de- 
vint le  partisan  le  plus  ardent  de  la 
réconciliation  des  deux  Églises.  Cette 
réconciliation    s'opéra    en   effet  au 
deuxième  concile  général  de  Lyon  , 
en  1 9.74  ;  et  Veccus  y  fut  député  par 
l'empereur.    Cependant    l'immense 
majorité  des  Grecs  persistait  à  voir 


m 


vKc; 


clej  btretiqii^  dapj  les  Latiiis,  et  le 
palriarclie  Joseph  fomeiiLiit  tu  se- 
cret celte  opposition  patente  au  yœu 
tie  l'empereur.  11  fut  dépose;  et, 
quatre  ra'.;i.s  après,  rficiplace  p.ir 
Veccus  (  l'i^)  ).  Dans  ce  poste  erai- 
nent,]e  uoiivean  patiiarche  k^.iii  ad- 
mirer de  tous  les  hommes  .sages'  par 
ses  vertus, sa  douceur  et  sa  simpilcitr; 
et  il  publia  un  faraud  nombre  d'écrits 
lumineux  contre  les  schismatiqucs. 
Mais  des  ennemis  puissants,  à.  la 
lête  desquels  était  la  princesse  Eulo- 
gie ,  intriguaient  en  secret  contre  lui , 
et  le  calomniaient  auprès  de  l'empe- 
reur. Trop  crédule  ,  ou  peut-être  ja- 
loux en  secret  d'un  homme  qui  Té- 
clipsait  et  qui  lui  ra[)pelait  trop  sé- 
vèrement ses  devoirs,  il  se  déclara 
haulement  contre  lui.  Veccus  ,  pré- 
voyant sa  disp;race  prochaine,  rédi- 
gea .««a  démission,  et  la  lui  fit  pré- 
senter. L'empeieurfVignitd'abord  de 
la  refuser,  et  ensuite  donna  son  con- 
jcntement.  Mais  l'absence  dujiatriar- 
che  fut  courte  :  des  nonces  du  pape 
vinrent  à  la  cour  de  Coristantinoj)le 
.scplauidre  dece  que  la  réunion  était 
illusoire.  Paléologue ,  pour  se  justi- 
fier ,  leur  montra  dans  les  fers  les 
premiers  personnages  de  l'étal,  op- 
posés à  l'iuiion  ,  et  rétablit  Vercus 
giir  son  sic'ge  (  i  v>.8o';.  Il  en  resta  pai- 
sible possesseur  jusqu'à  l'avéueincnt 
d'Androuic  au  trône.  Ce  prince,  tout 
différent  de  son  prédécesseur  ,  était 
gouverné  par  rimpérieuse  Eulogie  , 
ennemie  acharnée  des  Latins  et  de 
Veccus.  Le  savant  patriarche  fut 
donc  déposé  de  nouveau  ,  et  Joseph 
sortit  du  cloître  de  Périblepte,  pour 
renionter  sur  son  siège,  \eccus.  trai- 
te d'abord  avec  égard  par  le  jeune 
empereur,  s'en  vit  ensuite  nég'igé  , 
et  fut  relégué  avec  une  modique  pen- 
siiui  dans  un  monastère  au  tond  de 
la  Bithyuis.  il  j  pjuisa  plusieurs  4»- 


\EC 

liées  dans  l'obscurité,  avec  Constan- 
tin Vlciiténiotès ,  et  mourut  en  1 2i)8  , 
de  misère  suivant  les  uns  ,  de  vieil- 
lesse ou  de  maladie  selon  les  autres. 
—  Veccus  avait  compose  un  grand 
nombre  d'ouvrages  erclésias)i([iifs. 
Tous  roulent  sur  le  même  sujet,  sur 
celu.i  qui  occujja  toutes  ses  pensées, 
la  réunion  et  le  schisme.  Quel()ues- 
uns  de  ces  Traités  nous  ont  été  ravis 
p.ir  l'injure  des  temps  ;  mais  il  est 
facile  de  croire  que  la  substance  de 
chaci.'n  d'eux  se  trouve  dans  ceu^. 
qui  noii.s  restent.  Voici  la  notice  coiji- 
plite  de  ceux  qui  ont  survécu  au 
naufrage  :  l.  iJe  l'union  et  de  la, 
concorde  des  Eglises  de  l'ancienne 
et  de  la  nouveUe  Rome,  en  grec, 
avec  une  traduction  latine  de  Léon 
Allatiiis,  dans  sa  Grèce  orthodoxe 
(  Giœcia  orlhodoxa  )  ,  Rome  . 
iGji  ,  in  4"- '  tom.  I,  p.  C*i-'i.i-'^.  II 
y  attaque  violemment  Photii'S,  pre- 
mier auteur  do  la  scission  des  deux 
Églises.  II.  Tr.ité  de  la  paix  ec- 
cléiiasticjue ,  par  Feccits  :  il  y  de-- 
montre  par  l'iiistoire  seule  l'absur- 
dité du  scanda'e.  On  peut  lire  d'am- 
ples extraits  de  cet  ouvrage  dans  k\- 
latius.  De  Mtalihus  ordir.itm  ,  pag. 
i()5-i69  et  De  Purgatorio  ,p.  Sçj/- 
O'iO  ,  ainsi  que  dans  Bcvereguis, 
Magn,  sjnodic,  p.  '2.~3-2[yz.  111. 
D(juze  chapitres  sur  la  prccession 
du  Saint-Esprit ,  imprimés  dans  ia 
(irèoe  orthodoxe ,  tom.  1 ,  p.  a  i5- 
3)9.  IV.  Epilre  sur  la  profession 
de  foi  à  Jean  xxi.  Ou  la  trouve  en 
latin  ,  chez  ATatiiis,  de  l'Union  (  De 
Consensu  ) ,  livre  11 ,  chap.  j  5  ,  §  5, 
pag.  'j^''j-'-5i.  On  ignore  si  ce  mor- 
ceau fut  originairement  c'crit  eu 
grec  ,  ou  si  Veccus  ,  s'adressa nt  au 
chef  de  l'église  latine,  dicla  en  latin. 
V.  La  Sentence  synodale  ,  en  grec  , 
dans  la  Grèce  orthodoxe,  tom.  i, 
pag.  366-374.  VL  Testament.  Cet 


VEC 

ouvrage,  compose  dans  l'exil,  con- 
tient nue  célèbre  deVlaratiou  de  fui, 
rclativcinenf  au  S.ïii)t-Ksjirit  et  à  la 
maiiii're  àc  Liqnci  e  il  procède.   Il 
existe  imprimé,  dans  les  Notes  du 
P.  PuussMirs  ,   sur   Paciiymère  ,   et 
grer-latin  ,  dnns  Alîalius,  Grèce  or- 
thodoxe,  lom.  i,   p.  'à-J^'6']^)  De 
r Union,  liv.  n  ,  c.  if).  VII.  Ejdtre 
à  Alexis  A^allwn ,  sur  la  proces- 
sicn  du  Saint  -  Esprit.   Cet   Alexis 
Aj;il!ieii  était  un  diacre  de  la  grande 
église  de  Coustanlinopîe.  La  lellre  se 
distingue  par  beaucoup  de  modéra- 
tion et  de  sagesse.  On  la  trouve  d.'ins 
ia  Grèce  orlliodoxe,  tom.  i ,  p.  36o- 
^6'i  .y  \\\.  Eclairci'isement  sur  l'ac- 
cord de  tous  les  livres  et  écrits  de 
Veccus.   Cet  ouvrage ,  cù  il  essaie 
de  montrer  que  depuis  qu'il  a  com- 
mencé à  écrire  sur  la  réunion  des 
deux   Eglises    il   n'a    jias  varié   un 
seul  instant,  est  adressé  à  un  certain 
Tliéodrre  ,  qui  n'est  pas,  ainsi  qu'on 
le  croit  ordinairement  .IhéodoroXi- 
pliiiius,  économe  (le  la  grande  Eg'i- 
se,  mais  Ihéudore.  évcque  de  Sug- 
da.  Veccus  avait  promis  au  premier 
de  ne  jamais  écrire  sur  le  dogme;  et 
il  est  visible  qu'il  n'avait  pas  tenu  sa 
promesse.  D'ai'Ieurs  il  a  adressé  un 
antre  ouvrage  (  Voy.  plus  bas  XII  ) 
à  rfvèqne  de  Sugda  ;  cl  i!  semb'e  [dus 
probab'e  que,  sur  un  sujet  de  contro- 
verse, il  at  eVritdeux  IV-is  a:i  même 
individu  UEclai  cissement^eiyon- 
ve  dans  la  (îrèce  oitliodnxe,  tom.  ii , 
pag.    i-io   (de  l'édition  de  Rotne  , 
i()^)()  ).  IX.  De  V injustice  soufferte 
par  Feccus  ,  quand  on  l'a  chassé 
de  son  siéie.  Ce   morceau,   inséré 
dan'^   la  Crèce  ortliodoxe,  à  la  sute 
de  V Eclaircissement  i  tnm    ii.  jiag. 
1 1-36  j,  est  nu  exposé  fidèle,  i°.  de 
la   conduite  qu'il   a   leiuie  pendant 
son  patriarcat  ;   2  '.   des  points   de 
croyance  sur  lesquels  les  Latins  s'é- 


VEC  57 

loigncnt   des  Grecs.   11  y  démontre 
de    nouveau    que    ces   points  sont 
loin    d'être    fondamentaux  ,   et  ne 
doivent  pas  nuire    à   l'unité.  I/ou- 
vrage  fut  compose'   jiendant  sa  se- 
conde  disgrâce  ,    et    dan^   sa    re- 
tiaite  de  Bithynie.  X.  Apolof^ie  et 
Réjutalion,   etc.,    ATalius  ,  Grèce 
ortliodoxe.  p.  3   -83.  XI.  Jpcdog^é- 
tiques,  où  l'on  prouve  qu'aucun  des 
usages    des    Grecs     n'est    détruit 
par  l'acceptation   de  l'union  avec 
les  Latins^  ibid.  ,  p.  !^4-rM'  XII. 
Trois  livres  sur  ce  point  de  doctri- 
ne :  Que  le  Saint -E.' prit  procède 
du  rère  et  du  Fils.   A   Théodore 
de  Sugda.  Ils  se  trouvent  :  i**.  dans 
la  Grèce  orthodoxe,  pag.  qViiC), 
I  17-132,  i33  148  ;    '.o.  dans  le  li- 
vre du  Purgatoire  (  de  Purgalorio  ) 
d'Aîlrilins,  à  la  fin,  pag.  827  8  6 
(  édit.    Rome.   i65'2,  in-80.  ");  3». 
dan'.la  Lettred'Allatius  àBoin<b'irg, 
sui'  rimi(jn  des  den.x  Églises,  pnb'icc 
par   Bartlioid   INihusius,    en    latin, 
Maïence  ,  ifiS"),  in-8^.  Xlïl.   Qua- 
tre livres  à  Constantin  MéJiténic- 
tès  ,  sur  le  m 'me  snjet,  Grèce  or- 
thodoxe,   p.    i4')-i^i<^-    i()9  186  , 
1^^7-201  ,  •»,o2-'ii4-  XIV.  Deux  li- 
vres sur  l'ouvrage  de  l'évèque  de 
Chypre  ,  et  sur  ses  nouvelles  héré- 
sies   r.el   évoqi;e  niait  que  le  Saint- 
Esprit  procédât  du  P  re  par  !e  Fils. 
L'ouvrage  e.->t   adressé  à    Théodore 
deSngda.  Il  se  troive  dans  la  Grèce 
orthodoxe,  p.   i\~i-)S>l  ,   '2')'2-'i86. 
Nicolas  Comnène,  dans  ses  Piéno'a- 
lioiis  iny'^ti(pies  ,  p.  S.OO,  f.iit  men- 
tion d'un  troisième  !ivre  sur  le  même 
su'et;  et  Veccus  lui  même  en  par'e, 
Gièce  oitl.od. ,  tom.  Il ,  p.  7.  XV. 
Béfutation  des  Remarques   d'An- 
dronic  Camalès  ,  sur  les  témoigna- 
ges écrits  touchant  le  Saint  Esprit 
(  Grèce  orthod. ,  p.  287-51 1  ).  An- 
dromc  Caniaiès  avait  été  drangar-vi- 


58  VEG 

gla  (  préfet  des  vigiles  ) ,  sous  Ma- 
nuel Gomnène.  XVI.  Treize  pres- 
criptions sur  les  paroles  et  les  pen- 
sées des  SS.  Pères  î'elalives  à  la 
procession  du  Saint-Esprit ,  Grèce 
orthod.,  p.  5 12-641.  Ou  les  trouve 
en  latin ,  dans  les  Opuscula  aurea 
de  Pierre  Arcadius  de  Corcyre ,  Ro- 
me, i63o  et  1G91  ,  in-4°.  —  Outre 
ces  ouvrages  principaux,  Allatius 
parle  encore  de  quelques  cliapitres 
sur  le  Saint-Esprit  et  sur  les  hérésies 
nouvelles  ;  et  Nie.  Gomnène  et  quel- 
ques autres  (  Prénot.  mj'stiq, ,  pag. 
i4  )  mentionnent ,  comme  étant  de 
lui  ,  quatre  Discours  synodiques  ,  un 
autre  discours  sur  son  inauguiation  , 
un  autre  encore  sur  l'union  de  l'É- 
glise ,  une  Épître  encyclique,  une 
Épître  pare'nétique  sur  l'union  ,  et 
un  morceau  sur  la  tête  de  saint 
Menés.  P — OT. 

VECELLI  (TiziANo).  F.  Titien. 
VEGELLI  ou  VECELLIO 
(  François  )  ,  .peintre  ,  ne  à 
Gadore ,  en  t483,  e'tait  frère  et 
e'iève  du  Titien  y  dont  son  sty- 
le se  rap])roclie  beaucoup.  Desti- 
né d'abord  au  métier  des  armes,  les 
premières  aimJes  de  sa  jeunesse  fu- 
rent perdues  pour  les  arts,  et  ce  n'est 
qu'à  force  d'assiduité  et  d'études 
qu'il  put  réparer  en  partie  cette  per- 
te. Il  existe  un  assez  grand  nombre 
de  ses  peintures  dans  l'église  de  Saint- 
Sauveur  de  Venise  ;  une  très-belle 
Madeleine  aux  genoux  de  Jésus- 
Christ  ressuscité ,  a  Oriago  ,  sur  les 
-bords  de  la  Brcnta  ;  et  uue  admira- 
ble Nativité  de  Notre-Seigneur ,  à 
Saint-Joscpb  de  Bellune,  qui  avait 
toujours  passe  pour  im  des  beaux 
ouvrages  du  Titien,  jusqu'à  ce  que 
Sun  véritable  auteur  ait  été  décou- 
vert, d'après  des  documents  authenti- 
ques, ])ar  le  savant  prélat  Dogiioni. 
Mais  le  tableau  qui  excita  la  jalousie 


VEG 

même  du  Titien  est  celui  dans  le- 
quel François  a  représenté,  dans  l'é- 
glise de  Saint-\'it  de   Gadore,    le 
Saint  titulaire ,  en  habit  militaire  , 
au  milieu  d'autres  saints.  G'est  alors 
que  son  frère,  craig:iant  de  trouver 
en  lui  un  rival  dangereux ,  lui  con- 
seilla d'abandonner  la  peinture  pour 
se  livrer  au  commerce.  Ses  nouvelles 
occupations    ne   l'empêchèrent   pas 
cependant  de  peindre  encore  quel- 
quefois pour  ses  amis  ;   et  plusieurs 
de  ses  ouvrages  ont  été  attribués  au 
Giorgion.  11  s'amusait  aussi  à  faire 
des  cabinets  d'ébène ,  qu'il  ornait  de 
figures    d'architecture.    Il    mourut 
dans  un  âge  fort  avancé  ,  mais  avant 
son  frère.  —  Horace  Vecellio,  ne- 
veu du  précédent ,  fils  et  élève  du 
Titien ,  naquit  à  Venise  ,  et  se  mon- 
tra ,  comme  peintre  de  portraits ,  di- 
gne de  marcher  sur  les  traces  de  son 
père.  Il  avait  fait  aussi ,  pour  le  pa- 
lais du  sénat ,  un  très-beau  tableau 
d'histoire  ;,  qui  a  péri  lors  de  l'in- 
cendie de   ce  palais.  Il  est  vrai  que 
ce  tableau  qui  représentait  une  Ba- 
taille avait  été  retouché  par  le  Ti- 
tien;   Vecellio    le   peignit   en  con- 
currence avec  Paul  Véronèse  et  le 
Tiutoret.  Il   accompagna    sou     pè- 
re d'ans  ses  voyages  à  Rome  et  en 
Allemagne.  Mais  la  passion  de  l'al- 
chimie le  détoui'na  tout-à-fait  de  son 
art ,  et  il  perdit .  à  la  poursuite  de  la 
pierre  philosophale,  son  temps  et 
sa  réputation.  Atteint  de  la  peste  , 
qui  éclata  à   Venise  en  iS-jô,  et  à 
laquelle  son  père  avait  succombé  ,  il 
en  fut  lui-même  la  victime,  dans  un 
âge  très-peu  avancé. — Marco  \  ecel- 
LTo,  né  à  Gadore  en  iS/jS,  est  après 
le  Titien,  dont  il  était  le  neveu  et 
l'élève ,  celui  qui  a  fait  le  plus  d'hon- 
neur  à  sa  famille.  Il   accompagna 
son  oncle  dans   tous  ses   voyages, 
et  il  reçut  de  ses  contemporains  le 


VEC 

surnom  de  Marco  di  Tiziano.  Dans 
la  composition  pm'e  et  simple,  dans 
le  mécanisme  de  la  peinture ,  il  fut 
l'habile  imitateur   de   son  raaîtrej 
mais  il  ne  sut  pas,  comme  lui,  ani- 
mer ses  figures  et  exciter  l'intérêt  du 
spectateur.    Toutefois   on  le   char- 
gea   d'orner    plusieurs    des    salles 
du  palais  du  sénat  à  Venise ,  de  ta- 
bleaux et  de  portraits  de  différents 
sénateurs  qui  s'y  voient  encore  au- 
jourd'hui. Il  existe  aussi  plusieurs 
de  ses  tableaux  d'aulel  ,   à   Veni- 
se ,  à  Trévise  et  dans  le  Frioul  ;  le 
plus  remarquable  est  une  vaste  com- 
position qui  décoi'e  l'une  des  parois- 
ses de  Cadore ,  Ij.nrceau  de  sa  famille, 
et  qui  représente,  dans  le  milieu,  un 
Crucifix  ;  de  chaque  cote  sont  deux 
sujets  tirés  de  la  vie  de  Sainte  Ca- 
therine, vierge  et  inartjre:V un  est 
sa  dispute  ;  l'autre ,  son  martyre. 
Marco  mourut  en  1611.  —  Tiziano 
Vecellîo  ,   fils  du  précédent,  sur- 
nommé   Tizianello ,   pour  le  distin- 
guer de  son  grand-oncle  ,  florissait 
dans  les  premières  ^unées  du  dix- 
septième  siècle  ,  lorsque  la  maniè- 
re   commença  à   s'introduire    dans 
l'école  vénitienne.  Les  ouvrages  qui 
existent  encore  de  lui  à  Venise  dans 
l'église  patriarcale  ,  aux  Servîtes  et 
ailleurs  ,   dénotent  un  goût  tout-à- 
fait  différent  de  celui  de  ses  pères. 
Ses  formes    sont   plus   grandes    et 
moins  grandioses  ;   son  pinceau  est 
franc  et  plein ,  mais  il  manque  de 
suavité  ;    nouvelle   preuve    de    ce 
que  peuvent   l'exemple  et  la  mode 
sur  l'éducation  même.  Cependant  les 
artistes  estiment  de  lui  ses  portraits 
et  ses  tètes  de  caprice  coiffées  d'u- 
ne manière  bizarre.  Il  peignait  enco- 
re en  164B.  —  Fabrizio  Vecellîo, 
d'une  autre  branche  que  les  précé- 
dents ,  s'est  fait  connaître  par  un  ex- 
cellent tableau  qui  orne  It  salle  du 


VED 


59 


conseil  de  Piève,  et  oui  fut  payé  seize 
ducats  d'or^  prix  considérable  pour 
cette  époque.  Il  mourut  en  1 58o.  — 
César  Vecellîo  ,    son  frère ,  long- 
temps   oublié    dans    l'histoire   des 
peintres  ,   quoique    Lintiai ,    Vigo  , 
Candido  et  Padola   conservent  plu- 
sieurs de  ses  tableaux  ,  est  plus  connu 
comme  graveur.  On  croit  que  c'est 
lui  qui  a  exécuté  en  bois  les  gravu- 
res qu'on  attribue  communément  au 
Titien.  Il  a  publié  à  Venise ,  où  il 
faisait  sa  résidence  ,  deux  ouvrages" 
de  gravures  ,  dont  l'un  est  extrême- 
ment rare  aujourd'hui,  sous  ce   ti- 
tre :  Ogni  sort  a  di  mostre  di  piin- 
ti  tagliati,  punti  in  aria ,  etc.  L'au- 
tre est  une  suite  de  feuilles  in-8". , 
gravées   d'une   pointe  spirituelle  et 
savante ,  publiée  à  Venise ,  en  1  Sgo , 
sous  ce  titre  :  Degli  ahiti  anlichi  e 
vioderni  di  diverse  parti  del  mon- 
do ,  lihrifatti  da  Cesare  Fecellio. 
Dans  une  réimpression  qu'on  en  fit 
en  16(34,  pour  donner  plus  de  prix 
à  l'ouvrage ,  on  attribua  le  dessin 
des  figures    an  Titien ,  et  l'on  qua- 
lifia César  frère  de  ce   graud  pein- 
tre. Mais  cette  double  assertion  n'est 
qu'une  ruse  de  libraire.  César  mou- 
rut vers    1600.  —  Thomas  Vecel- 
lîo ,  autre  peintre  de  la  même  fa- 
mille, est  connu  par  une  Nativité  et 
une  CènedeNotre-Seigneur,  que  l'on 
conserve  dans  l'église  paroissiale  de 
Lozzo ,    et  dont  les   historiens  font 
l'éloge.  Il  mourut  en    1620.    P — s. 
VEDRIANI  (  Louis  ) ,  historien  , 
né  à  Modène  en    1601  ;,  dans   une 
classe  obscure, fit, dans  sa  jeunesse^ 
le  métier  de  forgeron ,   suivant  une 
tradition   populaire ,  d'autant  plus 
probable,  que  ce  ne  fut  qu'à   l'âge 
de  plus  de  quarante  ans  qu'il   entra 
dans  la  congrégation  de  Saint-Char- 
les,  à  Modène  _,  où  il  se  consacra  tout 
entier  à  des  recherches  historiques  , 


€o 


VEE 


jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  iG'jo.  Il 
avait  publie  les  résultats  de  ses  tra- 
yaux  dans  divers  ouvrages  ,  estimes 
et  vérilab'ement  utiles  pour  l'his- 
toire ;  mais  écrits  saii-;  correction  et 
souvent  inesacts  ,  si  l'on  en  croit 
Tiraboschi  ,  qui  s'en  est  cepend.mt 
beaucoup  servi  pour  sa  Bihliulhèijue 
modenoise.  Nous  ne  citerons  qne  'es 
principaux,  savoir  :  1.  Recueil  des 
peintres  ,  sculpteurs  et  architectes 
de  Modène,  Modcne,  iG62,in-4".II- 
Soui>enirs  des  martyrs,  confesseurs 
et  saints,  natifs  de  Modène,  ib. 
l603  ,  in-40. 1 1! .  ries  et  Éloges  des 
cardinaux  de  Modène,  ib. ,  i663, 
in-4".  IV.  Histoire  de  Modène  , 
ibid. ,  «667,  in-4'^-  V.  Piecueil  de 
cent  aventures  plaisantes  '  piibljé 
sous  le  nom  de  Philadclphe  Denys) , 
iGGj,  in-B".  Z. 

VEEN  ^Otto  Va>\  en  latin  Ot- 
to Venius  ,  ])einlre  ,  naquit  à  Levrie, 
eu  1.556,  d'une  des  premières  famil- 
les d'Amsterdam.  Son  éducation  ré- 
{)on(Ht  au  rang  qu'il  occupait  dans 
a  société;  et  l'on  se  plut  à  cultiver 
les  dispositioni  qu'il  manifestait  ponr 
le  dessin.  A  l'âge  de  quinze  ans,  ou 
le  mena  à  Liège,  auprès  du  car- 
dinal de  Groosbeeck,  alors  prince- 
évêque  de  cette  ville.  Il  fut  reçu  avec 
amitié,  et  bientôt  après  envoyé  à 
Rome ,  avec  des  lettres  de  recom- 
mandation pour  le  cardinal  iMaHuc- 
cio  ,  qui  le  p!.iça  dans  l'école  de  Fré- 
déric Zuccliero  ,  lequel  tenait. àcette 
époque,  le  premier  rang  en  Italie. 
JjC  maître  s'attacha  bientôt  à  son  élè- 
ve; et  en  peu  de  temps  le  jeune  ar- 
tiste se  Ht  remarquer  par  des  ouvra- 
ges qui  étahiiicnt  sa  réputation. 
Après  sept  années  d'une  étude  assi- 
due, il  se  rendit  eu  Aremague  ,  où 
l'empereur  le  prit  à  son  service.  Les 
électeurs  de  Bavi're  et  de  Cologne 
lui  firent  aussi  les  offres  les  plus  brii- 


VEE 

lanles  pour  se  l'attaGUer.  L'amour 
de  la  [jatrie  l'emporta  sur  tous  ie^ 
avantages  qu'on  lui  présent-àt.  I!  re- 
vint dans  les  Pays-Bas,  où  il  se  fixa. 
La  proviiicc  était  alors  gouven;cs 
par  le  j)rince  de  Parme  ,  qui  l'ho- 
nora d'une  estime  particuliÎTe  , 
et  lui  accorda  le  titre  d'ingénieur 
en  chef  et  de  peintre  de  la  cour 
d'Espagne,  deux  places  qu'il  remplit 
avec  distinction.  A  la  mort  de  son 
protecteur  ,  il  choisit  Anvers  pour 
son  séjour,  et  embel'it  les  églises  et 
les  édifices  de  cette  ville  d'une  fou- 
le de  tableaux  qui  sont  encore  un 
de  ses  principaux  ornements.  La 
ville  d'Anvers  le  chargea,  à  cette 
époque  ,  des  dessins  et  de  la  cons- 
truction des  arcs  de  triomphe  qui  fu- 
rent élevés  pour  l'entrée  de  l'archi- 
duc Albert.  Ce  prince  fut  tellement 
frappé  de  la  beauté  de  ces  travaux, 
qu'ilappela  Van\ecn  à  Bruxelles  et  le 
nomma  intendant  de  la  monnaie,  em- 
ploi qui  ne  l'empêcha  pas  de  se  livrer 
à  ses  travaux  ordinaires.  I!  fit  alors 
le  ])ortrait  de  l'archiduc  et  celui  de 
l'infante  d'F.spagne  ,  fille  de  Philip- 
pe II.  Ces  deux  portraits  furent  don 
nés  à  Jacques  1*=^.,  roi  d'Ang'eterre, 
qui  V  attachait  le  plus  grand  prix, 
Louis  XI 11  voulut  en  vain  l'appeler 
à  sa  cour  :  il  résista  aux  offres  de  ce 
monaïque.  Parmi  les  tableaux  les 
jilus  remarquables  qu'on  doit  à  son 
pinceau  ,  la  cathédrale  d'xluvers  en 
possédait  deux  :  la  Cène  et  Jésus- 
Christ  au  milieu  des  pécheurs  con- 
vertis. Il  s'en  trouvait  un  au  Musée 
du  Louvre ,  repn^seutant  la  Résur- 
rection de  Lazare  ,  qui  a  été  rendu, 
en  iHi5,  aux  commissaires  des  Pays- 
Bas  Van  Veen  cultivait  avec  un  égal 
succès  l'histoire  et  le  portrait.  Gra- 
cieux dans  ses  airs  de  tète ,  dessinant 
exactement ,  surtout  les  extrémités  , 
il  se  fait  encore  remarquer  par  le  jeu 


VEE 

de  ses  JianerieS.  Son  génie  est  fa- 
cile et  abondant,  quoi  jue sage  :  on 
peut  même  dire  qu'il  a  le  pre- 
mier entendu  et  réduit  en  prin- 
cipe le  p;rand  art  des  lumières  et 
des  ombres;  mais  maigre  son  sé- 
jour en  Italie  et  l'etnde  des  plus 
beaux  modèles,  il  n'a  jamais  pu  se 
de'faire  de  ce  guût  du  pays  dont  les 
ouvrages  des  p'us  fameux  pcinfies 
flamands,  tels  q  e  Van  Dyck  ei  Uu- 
bens  lui  même,  odïent  l'cxenip'e. 
Historien  et  poète,  il  ne  se  distin- 
gua pas  moins  comme  auteur  que 
comme  peintre.  Ses  ouvrages  les 
plus  remarquables  sont  :  I.  Bel- 
lum  Bata\>orum  cum  Bomajiis  ex 
Cornelio  Tacito  ,  lib.  ir  et  r , 
Anvers,  \^^\1  in- 4°.  obi.  (  For. 
Saint-Simon  ,  XL,  ici  )  avec  4» 
estampes  gravées  d'après  ses  dessins. 
II.  Q.  Horatii  Flacci  cmblemata  , 
cum  notis  latine ,  italicè ,  gallicè  et 
flnvdricè  ,  Anvers,  ia-4°.  (  Voy. 
Gomberville).  Cet  ouvrage  ren- 
ferme io3  planclies  ,  qui  ont  été 
gravées  par  C.  Boel  et  son  pro- 
pre frère  Gilbert  Van  Veen.  III.  /7- 
ta  S.  Thomœ  Aquinatis,  3-2  imaai- 
Tiibus  illustrata.  Les  planches  sont 
gravées  par  le  même  artiste.  IV. 
Conchisiones  physicce  et  theolngicce, 
notis  et  figuris  dtspositœ  ,  etc.  Les 
gravures  qui  ornent  cet  ouvrage  sont 
encore  dues  aux  mêmes  artistes.  V. 
Histoj-ia  hispana  septeni  infantiiiin 
Larae ,  cum  iconihus.  Les  4o  plan- 
clies qui  font  l'ornement  de  cet  ou- 
■\'rage  ont  éxé  gravées  par  Antoine 
Terapesta.  VI. Diiïérents  livres  d'em- 
blèmes ,  tels  que  :  Amorum  emble- 
mata  ,  iGoB,  in- 4°.  j  Amorisdivini 
emblemata ,  iGi5,  in-4°.  Mais  le 
plus  beau  titre  d'Otto  Van  Veen  à 
la  reconnaissance  de  la  postérité, 
c'est  d'avoir  été  le  maître  de  Rubens. 
Ce  peintre  mourut  à  Bruxelles ,  en 


VEG 


6f 


iG34,  laissant  deux  filles,  dont 
l'aînce  _,  nommée  Gertrude  ,  eSt 
comme  par  plusieurs  beaux  ta- 
lileaux,  et  par  le  portrait  de  son 
père,  qui  a  été  gravé  avec  une  ins- 
cription en  vers  latins,  du  savant 
Erycius  Ptiteanus  (Henri  Dupiiy). — 
Gilbert  V.an  Veen  ,  frère  d'Otto  , 
naipiit  à  Levde  vel's  i5G6  ,  et 
s'adonna  à  la  gravure  au  burin. 
Son  style  a  beaucoup  de  rapport 
avec  celui  de  Corneille  Cort.  A  en 
jng'^r  par  quelques-unes  de  ses  es- 
tampes, il  est  probab'e  qu'il  accom- 
pagna Sun  frère  en  Italie.  En  ttU-i  , 
il  s'établit  à  Anvers,  o;i  il  piiLlia  plu- 
sieurs ouvrages  d'après  son  lièie Ot- 
to. Les  têtes  de  ses  figures  ont  de 
rex|)ression,et  les  extrémités  en  sont 
rendues  avec  précision  et  dans  un 
style  qui  fait  honneur  à  son  talent. 
Parmi  ses  portraits,  on  estime  parti- 
culièreineut  ceux  d'Ernest ,  duc  de 
Ba\>ière ;  du  sculpteur  Jeun  de  Bo- 
logne ,  et  iM Alexandre  Farnèse. 
Son  chef-d'œuvre  est  !a  gravure  d'u- 
ne frise,  en  cinq  feuilles,  d'après 
Balt.  Peruzzi .  représe-ilant  la  Pro- 
messe de  mariage  d'Isaac  et  de 
Bebecca.  Sur  l'une  de  ces  cinq  feuil- 
les ,  qui  sont  destinées  à  être  collées 
à  la  suite  l'une  de  l'autre,  se  trouve 
le  portrait  du  peintre,  dans  un  mé- 
daillon. Celte  estampe  est  un  ouvra- 
ge capital  cl  rare.  L'auteur  mourut 
à  Anvers  ,  en  1628.  P — s. 

VEGA  (  GARCiLiiso  de  LA  ).  ca- 
pitaine espagnol ,  gouverneurde  Cuz- 
co,  ué  à  Badajoz,  de  la  maison  de 
Vargas,  accompagna  au  Pérou,  en 
i53;"),  don  Pedro  d'Alvarado,  e» 
qualité  de  cajiitaine  d'infanterie  ,  se 
jeta  dans  le  parti  des  Pizarre  ,  fut 
fait  prisonnier  par  Almagro  ,  et 
ayant  recouvré  sa  liberté,  suivit  Gon- 
zale  Pizarre  dans  son  expédition  des 
Amazones^  oùil  sedistingua  par  son 


62 


VEG 


courages  II  eut  en  re'compense  le 
premier  département  d'Indiens  à 
Cluiquisaca  ,  nommé  Tapaccois ,  le- 
quel valait  cpiarante-tuit  mille  du- 
cats de  rente.  Lorsqu'Almagro  le 
jeune  se  révolta  ,  Garcilaso  passa 
du  côté  des  royalistes  ,  fut  nommé 
capitaine  de  cavalerie,  et  reçut  une 
blessure  dangereuse  à  la  bataille  de 
Chupas,  où  les  rebelles  furent  dé- 
faits. Il  flotta  ensuite  entre  le  parti 
royaliste  et  celui  de  Gonzale  Pizarre, 
qu'il  abandoima  tout-à-fait,  en  i546, 
pcuv  passer  sous  les  drapeaux  du 
président  La  Gasca.  Fidèle  depuis 
au  parti  royaliste  ,  Garcilaso  fut 
nommé  par  l'audience  de  Lima  gou- 
verneur de  Guzco  et  intendant  de  la 
justice.  Il  se  fit  aimer  par  une  ad- 
ministration paternelle ,  fonda  des 
établissements  utiles,  notamment  un 
hôpital  pour  les  Indiens  j  épousa  une 
Lofa  ou  princesse  du  sang  des  In- 
cas  ,  et  mourut  à  Guzco  ,  en  iSSg  , 
avec  la  réputation  d'un  des  conqué- 
rants du  Pérou  les  moins  cruels  et 
les  plus  habiles.  B — p. 

VÉGA  (  George,  baron  de  ),  of- 
ficier d'artillerie  autricliien,  naquit, 
en  1754,  à  Sagoritz,  dans  le  duclié 
de  Carniole.  Ses  parents ,  sans  for- 
tune et  Slaves  d'origine^  portaient  le 
nom  de  Velia,  qui,  dans  leur  lan- 
gue, signifie  &o?iao7z  de  tonneau, 
et  qu'il  changea  en  celui  de  Véga.  Il 
étudia  au  collège  de  Laybacb  ,  et  fit 
des  progrès  rapides  dans  les  mathé- 
matiques. Nor"'mé  ièigénieuren  Car- 
niole ,  puis  en  Hongrie,  ce  fut  dans  ce 
dernier  emploi  que  Josepli  II  eut  oc- 
casion de  le  connaître  et  d'apprécier 
ses  talents.  Ce  prince  le  plaça  d'a- 
bord .  comme  lieuteuant ,  au  secoi  d 
régiment  d'artillerie  ,  où  il  fut  assez 
ioug-teraps  professeur  de  mathéma- 
tiques. Il  fit,  avec  ce  corps ,  les  pre- 
mières catcpagnes  coutre  les  Fran- 


VEG 

çais  ,  et  se  distingua  dans  plusieurs 
occasions  ,  notamment  en  1 796  ,  où 
il  fut  nommé  major,  puis  lieutenant- 
colonel  ,  chevalier  de  l'ordre  de 
Marie-Thérèse  et  baron  de  l'empire. 
Il  était  ainsi  dans  la  plus  brillante 
position  et  destiné  à  parvenir  aux. 
premiers  rangs  def'armée,  lorsqu'il 
péritde  la  manière  la  plus  funeste.  Le 
27  sept.  1802,  on  trouva  son  corps 
sur  les  bords  du  Danube.  Il  avait 
quitté  son  logement  le  1 7  du  même 
mois  ,  sans  que  l'on  sût  où  il  diri- 
geait ses  pas.  Neuf  années  se  passè- 
rent avant  que  l'on  pût  connaître  la 
cause  de  sa  mort.  Ses  envieux  cher- 
chèrent à  accréditer  le  bruit  que . 
dans  un  moment  de  mélancolie ,  il 
s'était  jeté  lui-même  dans  le  fleuve  ; 
et  les  auteurs  du  Dictionnaire  histo- 
rique ont  adopté  fort  légèrement  cet- 
te assertion.  Ce  n'est  qu'en  181 1 
que  la  vérité  a  été  découverte.  A 
cette  époque,  un  soldat  de  l'artille- 
rie ,  qui ,  pendant  la  campagne  de 
1 809 ,  avait  logé  chez  un  meunier  , 
près  de  Rusdorf ,  devant  les  lignes  do 
Vienne,  se  retrouvait  de  nouveau 
dans  le  même  logement  au  commen- 
cement de  181 1.  Comme  il  s'occu- 
pait de  mathématiques,  il  dit  qu'il 
avait  besoin  d'un  rapporteur.  Ayant 
expliqué  au  meunier  ce  que  c'était , 
celui-ci  lui  dit  qu'il  en  avait  un,  et 
il  se  hdta  d'aller  le  chercher.  Le 
soldat  loua  beaucoup  cet  instru- 
menJ ,  et  le  meunier  lui  en  fit  présent. 
Un  oflicier  à  qui  le  soldat  le  montra, 
avant  vu  que  le  nom  de  \'  éga  y  était 
gravé,  essaya  de  rapprocher  les  cir- 
constances de  la  mort  du  malheureux 
colonel  avec  !a  demeure  du  meunier. 
Ceiui-ci  fut  arrêté  ;  il  se  contredit  dans 
ses  premiers  interrogatoires  ,  et  finit 
parfaire  l'aveu  suivant:  «  J'avais 
un  clieval  que  le  colonel  Véga  nje 
proposa  de  lui  vendre .  parce  qu'il  eu 


VEG 

avait  un  parfailemeut  pareil.  Il  re- 
vint plusieurs  fois  à  la  charge,  ajou- 
tant chaque  fols  à  ses  premières  of- 
fres. Je  refusais  toujours,  parce  que 
mon  cheval  me  convenait,  et  que  je 
ne  voulais  pas  m'en  défaire.  Le  i-^ 
septembre  1802,  le  colonel  revint 
me  presser  de  nouveau ,  en  ra'oifrant 
une  somme  considérable;  et  il  tira 
devant  moi  sa  bourse,  que  je  vis 
pleine  de  ducals.  Cet  or  excita  ma 
cupidité.  Je  feignis  de  consentir  au 
marche'.  En  allant  à  l'écurie,  il  fal- 
lait passer  sur  un  petit  pont.  Ayant 
cédé  le  pas  au  colonel ,  comme  par 
politesse,  je  le  frappai  par  derrière 
avec  un  morceau  de  bois  ,  sur  la  tête, 
avec  tant  de  violence,  qu'il  tomba 
sur  ses  mains.  L'ayant  achevé,  je 
pris  son  argent ,  sa  montre  ,  son  étui 
de  mathématiques,  et  je  jetai  le  corps 
dans  le  Dauube.  »  Après  un  tel  aveu, 
le  meurtrier  fut  condamné  à  mort  et 
exécuté.  Véga  était  un  mathémati- 
cien du  premier  rang.  Il  était  mem- 
bre de  plusieurs  académies,  entre  au- 
tres de  celles  de  Gottingue ,  d'Er- 
furt  et  de  Berlin.  Il  a  publié  :  L 
Cours  de  mathématiques  à  Vusage 
du  corps  d'artillerie  de  l'armée  »«- 
;;ermZe (ail.).  Vienne,  1^86  à  iBoo, 
4  vol.  in-4''.  ;  3»^.  édit.,  1802 ,  iu-fol. 
II.  Manuel  logarithmo-trigonomé- 
trique  (ail.) ,  Leipzig,  1793,  in-4".; 
2".  éd.,  1800.  III.  Collection  com- 
plète  des  grandes  tables  logaritU- 
mo-trigo?iométriijues{al\.) ,  Leipzig, 
1 794  ^  in-fol.  IV.  Manuale  logarith- 
mico-trigonometricum  ,  matheseos 
studiosorum  commodo  in  Tiiinorum 
Vlaccii,  TVolfii  aliarumque  hujus 
generis  tabularum  logarithmico- 
trigonomelricarum ,  mendis  passim 
quàm  plurimis  scatentiuin ,  locum 
substitutum.  Editio  secunda  ,  auc- 
ta  etemendata,  Leipzig,  1800,  in- 
4".  Cette  seconde  édition ,  qui  a  été 


VEG 


63 


suivie  d'une  troisième,  en  ï  8 1 4,  est  dé- 
diée à  Jos.  deMafféi,  évèquedeBuntz- 
lau  en  Bohème.  Dans  sa  préface,  Vé- 
ga témoigne  à  ce  prélat  une  vive  re- 
connaissance pour  les  leçons  de  ma- 
thématiques qu'il  avait  reçues  de 
cet  excellent  maître ,  au  collège  de 
Laybach.  L'ouvrage  est  divisé  en 
quatre  parties.  Dans  l'introduction  , 
l'auteur  explique  les  propriétés  des 
logarithmes.  La  seconde  et  la  troisiè- 
me partie  contiennent  les  logarith- 
mes ordinaires  et  les  logarithmes 
trigonométriques.  Dans  la  quatriè- 
me ,  il  donne  la  résolution  des  trian- 
gles rectilignes  et  sphériques  ,  la 
table  des  longitudes  des  arcs  cir- 
culaires ,  des  tables  pour  comparer 
les  poids  et  mesures  des  dillérentes 
contrées  j  le  système  métrique  de 
France;  celui  des  poids  et  mesures 
de  l'Autriche.  V.  Introduction  à  la 
chronologie  (ail.).  Vienne,  1801  , 
iu-8'5.  VI.  Système  naturel  des  me- 
sures ,  des  poids  et  des  monnaies  , 
Vienne,  i8o3,  in-4''.  G — y. 

VEGA  (Garcilaso  de  la  ),  poè- 
te et  historien.  V.  Garcias-Laso. 

VE:GA  CARPIO  (Féi.ix-Lope 
DE  ).   Voy.  LoPE. 

VÉGÈCE  {FLArius-VEGETius' 
Renjtus)  ,  ie  plus  célèbre  des  au- 
teurs qui  ont  écrit  en  latin  sur  l'art 
militaire ,  florissait  vers  la  lin  du 
quatrième  siècle ,  sous  le  règne  de 
Valentinien  II,  auquel  il  a  dédié  son 
ouvrage.  La  qualité  d'homme  illus- 
tre, jointe  à  son  nom  dans  les  ma- 
nuscrits ,  prouve  qu'il  appartenait  à 
une  famille  d'un  rang  distingué.  Quel- 
ques auteurs  lui  donnent  le  titre  de 
comte.  On  coujeclure  qu'il  habitait 
Constautinople.  L'ouvrage  que  nous 
avons  de  lui  est  intitulé  :  De  re  mi- 
litari libri  quinquc.  C'est,  comme 
il  nous  l'apprend  lai  -  i.iêmc  (  liv.  i , 
ch.  i  ),  un  extrait  de  ce  qu'il  avait 


64 


VEG 


trouve  de  plus  intéressant  sur  la  dis- 
cipline des  Romaius  ,  dans  les  écrits 
de  Caton  le  Censeur,  de  Corn.  CeLse, 
de  Frontin  et  de  Paterne,  ainsi  que 
dans  les  Ordonnances  d'Augusie,  de 
Traj.in  et  d'Adrien.  I!  en  furrna  une 
espèee  d'iiistoire  militaire,  dans  le 
desii-  de  rendre  un  nouvel  éclat  aux 
vertus  guerrières.  II  traite,  dans  le 
premier  livre,  des  levées  et  des  exer- 
cices de>  nouveaux  soldats;  dans  le 
second,  de  la  légion,  de  son  ordon- 
nance ,  des  chefs  et  de  leurs  fonc- 
tions, ainsi  que  des  armes.  Le  troi- 
sif-nie  livre  rou'.e  sur  les  grandes  opé- 
rations de  la  guerre,  principalement 
sur  la  tactique.  Le  quatrième  concer- 
ne l'attaque  et  la  défense  des  p'aces  ; 
et  le  cinquième  la  marine.  Il  existe 
deux   éditions  sans  date  de  V'^gè- 
ce:  l'une,  in-fol. ,  est  mprime'e  .'lAec. 
les  car.ictèrcs  dont  Ketelter  et  (îe- 
rarddcLcmpI  se  servaient  à  L'irerlit, 
en  1473  ;  et  l'autre,  que  M.  D  b  lin 
croit   plus  ancienne  ,  est  imprimée 
avec   les   caractères   de    Crsaris  et 
Stoll,  à  Paris  [Y.  le  Man.  du  liOr. , 
de  M.Brunet }.  Parmi  les  auJre-  édi- 
tions de  Vf'gèce,  on  distingue  celle 
de  Valart,  Paris,  i^Ô'i,  in-  li.  et 
deSchwebel,  Nunmbî'rg.  i7^>7,  in- 
4°- ,  et  Strasbourg  ,  i  bo6 ,  in  -  8". 
Outre  la    Traduction  française  ou 
J'iniilatiou  de   Végèce  ,  par    J.  de 
Meung  {F.  ce  nom',  XXVlll,  483), 
il  y  en  a  une  de  ^icul.  VVoikyr ,  Pa- 
ris ,  I  536  ,  in  -  fui. ,  lig.  en  bois  ;  et 
une  troisième  par  J.- J.  de  Walhau- 
sen ,  Amslerd  ,  1616,  in  -fol.,  (ig. 
Eîles  sont  toutes  deux  très- rares  (i). 
Cel'e  de  Bourdon  de  S  grais  ,  Paris  , 
1743,  i'i- 1  "^  1  est  enricbie  d'une  pré- 
face excellente  ,  et  suivie  de  notes 


(il  Bourdon  di   Sigrais  les  avait  clicrchces  muli- 
Teinriil  dans  It-s  biUiolli<"  qiips  de  Pai-is    (  Yov.  ta 


VEG 

philologiques  (2).  Elle  a  e'ié  réim- 
primée a  Amsteidam,  eu  t'j^^-Va- 
ris,  1759,  iu- 12  ,  et  en  1767  ,  avec 
l'édition  deSclnvebe'  c  tceplus  haut. 
Enlin  Ijongars  a  donné  une  traduc- 
tion de  Yégèce,  Paris,  1772,  in-12, 
avec    des   noies;     Tnipin  de  Cris- 
sé (/^.  ce  nom),  des  Cuiiunentaires 
très  -  étendus  et  fort  esiiuié-.  siu-  cet 
auteurj  et  Galilzin   A',  ce  nom,  XVI, 
34'^  )  y  un  Ess.ii  sur  sou  q  .atrièmé 
livre.   Végèce  est  le  premier  des  au- 
teurs du  rîecueil  :  F^icrcs  de  re  mi- 
litari Scriptorcs  ,   publié,    pour  la 
première  lo  s,  a  Romi-,  en  1487,  iu- 
4".  Celle  édition  fut  suivie  de  celle 
de  Bolugne,  i49^^'  in-fol.,  rare  et 
rerlirrcliéc.  Ou  lait  encore  cas  de  cel- 
le de  Levde,  i()07,iu  1^°..  publiée  par 
P.  Scriverius  ,  avec  les  notes  de  bie- 
Aveih  us'^^3,et de  Modius;  (tdccc.le 
de  Wesel ,  1O70 .  in-8°. , qu'on  joint  à 
la  Col'ect.  f'arioru'it.  Ce  Hec  leil  a 
(•té   traduit    en  fiMiiçais   par   Nicol. 
W  olkvr.  c;té  p  us  liaut.  —  ViioÈcE 
(  Pu'dUus  ) ,  que  l'un  a  souvent  con- 
fondu avec  le  tacticien  ,  malgré  la 
diilérence  de  leurs  prénoms,  est  au- 
teur d'un  Traité  de  i'ai  t  vétérmaire, 
iniitu  é  :  A rtis  veterinariœ ,  sii'cmu- 
lomedicinœ  libri  quatuor.  La  pre- 
m  ère  édition  est  celle  de  Bàle  ,  i  t'^S^ 
in-4".,  avec  une  préface  d  Herman 
INcuenar  (  F.  ce  nom,  XXXI ,  94  )• 
J.  Sambuc  en  a  donné  nue  meilleu- 
re ,  Bàle ,  1  S"  4  1  in-4'''  j  '^  pus  cor- 
recte et  la  plus  esUmée  est  celle  qu'on 
doit  à  J.  -  jM.    Gesncr  ,   INIanheim  , 
1781,   in -8°.    Les  deux  premiers 


'7."\  11  devait  y  joindre  aussi  des  notes  militaires  ; 
mais  di-s  obstacles  imprévus  remjjëchiTent  de  les 
douniT.  Il  les  a  lefoudues  d.ms  ses  ditféients  ouvra- 
ges ^y.  BoUhDON  ]. 

{V,  J'ai  trouvé  ,  dit  Bourdon,  dans  Stewecbius  . 
une  e'rudiliou  immense  que  je  n'y  cherrliais  poiul, 
et  une  grande  adresse  à  éluder  toutes  les  dirriruKe» 
qui  m'euil<an-assaieul  :  il  avait  la  ti'te  plus  graraf- 
naticaie  que  mililaire.  FiiJ'ace. 


VEI 

livres  traitent  des  symptômes  des 
maladies  du  cheval  et  des  moyens 
ciiratifs  que  l'on  doit  employer  ;  le 
iroisième  de  la  médecine  des  hœufs_, 
et  le  quatrième  de  la  composition  des 
remèdes.  Cet  ouvrage  fait  partie  du 
Recueil  intitule'  :  Rei  rusticœ  scrip- 
tores;  et  il  a  etë  traduit  par  Sabou- 
reux  de  La  Bonneterie ,  dont  la  tra- 
duction forme  le  sixième  volume  des 
anciens  ouvrages  relatifs  à  l'a- 
griculture (  F.  Saboureux  ).  Il  en 
existe  une  autre  plus  ancienne  ,  par 
Bernard  de  Poymonclar  ,  Paris  , 
i563,  in -4".,  et  une  version  ita- 
lienne ,  Venise ,  i543  ou  i544> 
in-8«.  W— s. 

VEGTO.  Voy.  Maffeo. 

YEIGA  (EusÈbe  de)  ,  astronome, 
était  ne',  le  i^r.  juin  1718,  à  Revel- 
les  ,  dans  le  diocèse  de  Coimbrc.  A 
l'âge  de  quinze  ans  ,  il  prit  l'habit 
de  saint  Ignace,  et  après  avoir 
achevé'  ses  études  ,  il  fut  nommé 
professeur  de  mathématiques  au  col- 
lège de  Lisbonne.  Lorsque  les  Jé- 
suites furent  bannis  du  Portugal ,  le 
P.  Veiga  se  rendit  à  Rome,  où  ses 
talents  le  firent  bientôt  connaître.  Le 
duc  de  Sulmone  l'ayant  nommé  di- 
recteur de  l'observatoire  qu'il  avait 
fait  construire  dans  son  palais  ;,  le  P. 
Veiga  put  se  livrer  à  son  goût  pour 
l'astronomie ,  et  pendant  plusieurs 
années  il  concourut  à  la  rédaction 
des  EJfemeride  astronomiche ,  ou- 
vrage fait  sur  le  plan  de  la  Connais- 
sance des  temps.  On  ignore  les  mo- 
tifs qui  le  déterminèrent  à  interrom- 
pre ce  travail  utile.  Nommé  recteur 
de  l'hôpital  royal  des  Portugais  à  Ro- 
me ,  il  se  retira  dans  cette  maison , 
et  il  y  mourut^  le  9  avril  i-jgS  ,  à 
l'âge  de  quatre-vingts  ans.  On  a  de 
lui  :  I.  Planetario  lusitano  expli- 
cado  com  problemas.  .  .  .  para  uso 
de  nautica  e  astronomia  eni  Por- 
XLvm. 


VEI  65 

iugal,  esuas  conquis  tas,  Lisbonne, 
1758  ,  in-80.  On  y  trouve  l'observa- 
tion d'une  éclipse  de  soleil  faite  à 
Lisbonne  par  le  P.  Veiga  ,  le  28  oc- 
tobre 1753.  Cet  ouvrage  a  été  réim- 
primé avec  des  additions.  II.  Pla- 
netario romano ,  cioe  EJfemeride 
astronomiche  jB.ome  ,  1786-94  ,  8 
vol.in-8°.  m.  Trigonometriasphœ- 
rica,  ïhià.,  1745.  IV.  Des  Cartes 
de  VOrénoque  et  du  fleuve  de  Sain- 
te-Madeleine ;  la  première,  dans 
V Histoire  de  V Amérique  du  P. 
Gilli,  et  la  seconde  dans  la  Persa 
ameiicana  du  P.  Ant.  Giuliani  ;  et 
enfin  une  Carte  des  quatre  parties 
du  monde ^  dressée  par  l'ordre  du 
roi  de  Sardaigne  ,  et  offerte  par  ce 
prince  à  l'académie  de  Sassari.  Ou 
trouve  une  courte  Notice  sur  le  P. 
Veiga  dansCabalIero,5i7;Z.  scriptor. 
soc.  Jesu  supplementum,  pag.  274. 
W— s. 
VEITH  (  Laurent  -  François- 
Xavier)  ,  né  à  Augsbourg ,  le  3  dé- 
cembre 1725,  fit  SCS  études  dans 
cette  ville,  et  entra  chez  les  Jésuites 
à  Diilingen.  Il  prononça  ses  derniers 
vœux  en  1760,  fut  reçu  docteur  en 
théologie  ,  et  après  avoir  enseigné 
la  rhétorique  et  la  philosophie  ,  oc- 
cupa une  chaire  d'Ecriture-Sainte  et 
de  controverse  à  Ingolstadt.  Le  bref 
de  suppression  delà  société,  en  1778, 
l'ayant  forcé  de  renoncer  à  cet  em- 
ploi, il  devint  professeur  de  théolo- 
gie au  lycée  catholique  d'Augsbourg. 
Veith  était  aussi  simple  dans  ses 
mœurs  que  laborieux  et  savant  •  au 
milieu  de  ses  travaux  ,  il  mena  cons- 
tamment une  vie  pauvre,  et  ne  vou- 
lut jamais  rien  relâcher  de  ses  aus- 
térités. Sa  dévotion  tendre  fut  expo- 
sée à  des  scrupules  qu'il  n'eut  point 
la  force  de  surmonter.  Ce  théolo- 
gien mourut  à  Augsbourg  le  9  oc- 
tobre 1796.  Ses  ouvrages,  tous  eu 
5 


66 


VEL 


latin  ,  sont  :  L  Une  dissertation  sur 
la  primauté  etrinlaillibilite  du  pape, 
i-bi  ,  in-S**.,  rciinprimeeà  iVIalincs, 
1824.  II.  Le  Sfslèmc  de  Bichcr  ré- 
futé,  '7^3)  in-8°.  j  rcimpiiraé  à 
Malincs  ,  eu  1823.  Pie  \1  félicita 
l'auteur  par  im  bref  du  ij  février 
1784.  lil.  Dissertation  sur  la  dou- 
ble délectation  ,  1785,  in-S".  IV. 
Des  avis  et  des  règles  ,  Monita  et 
regulœ  ,  pour  ceux  qui  veulent  étiî- 
dier  rÉcrilure.  V.  Scriplura  sacra 
contra  incredulos  prjfupiata  , 
Augsbourg  ,  de  1789  a  1795,  luiit 
parties,  réirapriraées  à  Malines,  1 824, 
5  vol.  in-i2.  Cet  ouvrage  valut  à 
l'auteur  un  bref  de  satisfaction  du 
pape ,  sous  la  date  du  i  er.  juin  1 790. 
Veith  passe  successivement  en  revue 
tous  les  livres  de  rÉcrilure,  et  ré- 
pond aux  difficultés  des  incrédules  • 
la  fin  paraît  moins  travaillée,  et  sur 
l'Apocalvpse,  par  exemple,  l'auteur 
traite  quelques  questions  qui  sont  ou 
superflues  ou  même  déplacées.  Feller 
annonça  plusieurs  fois  avec  éloge 
dans  son  journal  les  ouvrages  de 
Veitb.  On  trouve  une  notice  sur  ce 
théologien  dans  le  /owr/ja/ allemand 
de  Religion  ,  de  Politique  et  de 
Littérature  ,  et  il  en  a  paru  un  ex- 
trait à  la  tcte  de  l'édition  du  Scrip- 
tnra  sacra ,  donnée  à  IMaliues  en 
1824.  Nous  avons  aussi  consulté 
l'article  Veith  dans  le  Supplément 
à  la  bibliothèque  des  écrivains  jé- 
suites,  Rome,  1814,  in-4".  P-c-x. 
VELA  (  Blaso  Nunez  ) ,  de  la 
vil  e  d'Aviia  ,  inspecteur  des  ports 
de  Castille  ,  sous  Charles-Quint,  fut 
le  premier  auquel  ce  monarque  con- 
féra le  litre  de  vice-roi  du  Pérou. 
Nunez  Veia  fut  chargé  d'y  faire  des 
réformes  et  de  réprimer  les  conqué- 
rants espagnols,  qui  tendaient  sans 
cesse  à  l'indépendance.  Il  s'embar- 
qua, en  1543,  décidé  à  employer 


VEL 

la  rigueur  et  l'atitorité  pour  faire 
plier  sous  le  joug  de  l'empereur  des 
hommes  d'une  avidité  insatiable,  et 
qui  avaient  toujours  vécu  dans  une 
espèce  d'anarchie.  Arrivé  à  Lima  ,  il 
proclama  les  ordonnances  de  Charles- 
Qumt,  et  en  prescrivit  impérieuse- 
ment l'exécution.  Le  mécontentement 
fut  général  parmi  les  Esjiagnols  :  ils 
se  révoltèrent,  et  se  donnèrent  pour 
chefle  frère  de  Pizarrc  (  F.  Gonzale 
PizAF.RE  ).  Le  A'ice-roi ,  aljandonné 
]iar  ses  propres  gardes  ,  fut  livié  aux 
rebelles,  qui  le  firent  embarquer  pour 
l'Espagne  j  mais  délivré  en  mer  par 
le  caji! laine  du  vaisseau  qui  le  por- 
tait, Vêla  qui  ,  dans  son  infortune, 
avait  conseivé  toute  sa  fierté,  prit 
le  commandement  du  v^aisseau  ,  dé- 
barqua à  Tumbez,  y  arbora  l'éten- 
dard royal ,  et  se  vit  bientôt  à  la  tête 
d'un  corps  d'armée.  Forcé  cepen- 
dant de  faire  une  marche  rétrograde 
de  huit  cents  lieues  ,  pour  éviter  les 
forces  supérieures  de  Gonzale  Pi- 
zarrc ,  il  rassembla  de  nouvelles 
troupes  dans  le  Popayan  ,  et  vint  de 
là  présenter  la  bataille  à  son  ennemi, 
sous  les  murs  de  Quito,  où  il  fut 
vaincu  et  tué  le  18  janvier  i546. 
B— P. 
VELASCO  (  Grégoire  Hernan- 
dÈs  de),  poète  espagnol,  naquit  à 
Tolède  vers  le  milieu  du  seizième 
siècle.  Tout  ce  qu'on  sait  de  lui,  c'est 
qu'il  fut  prêtre  et  docteur  en  théolo- 
gie. On  ignore  même  en  quelle  ville 
il  florissait,  ainsi  que  l'année  de  sa 
mort.  iSon  nom  lait  conjecturer  qu'il 
appartenait  <à  une  des  plus  nobles 
maisons  d'E-pagne.  Il  a  laissé  des 
traductions  en  vers,  que  les  critiques 
de  sa  nation  placent  au  premier  rai  g. 
Le  poème  latin  de  Sannazar  :  De 
partu  Virginis  ,  alors  très -répandu 
et  très-adrairé,  fut  le  premier  ouvra- 
ge dont  Veiasco  puljlia  mic  traduc- 


VEL 

tioo  libre  ou  imitation  eu  octaTCs  , 
Tolède,  i554.  Elparlo  de  la  Fir- 
gen  reparut,  en  1069,  à  Madrid, 
in  -  8\  ;  et  on  l'a  depuis  réimprimé 
souvent. En  plusieurs  endroits,  le  ti-a- 
ducteiir  s'e'ioigue  hardiment  de  sou 
texte,  sans  qu'on  lui  sache  mauvais 
gré  de  tout  ce  qu'il  ajoute  de  sonpro- 
pre  fonds.  En  général ,  la  franchise 
et  le  co'oris  de  son  style  donnent  à 
son  imitation  l'air  d'un  ouvrage  ori- 
ginal, mérite  qu'on  ne  retrouverait 
pas  au  mènae  point  dans  la  latinité 
élégante  ,  mais  timide  de  Sannazar. 
Quelques  scrupules  de  convenance 
ont   aussi   déterminé   plusieurs   des 
changements   ado])tés   par  Yelasco 
(  F.  Sannazar  ,  XL ,  34o  ),  Il  s'es- 
saya ensuite  sur  \  irgile  ,  dont  il  tra- 
duisit la   première  et  la  quatrième 
Églogucs.  Scdauo  les  a  insérées ,  avec 
de  grands  éloges,  dans  son  Pamaso 
espafiol ,  ainsi  que  le  Parlo  de   la 
Firgen,  tomes  1  et  v.  Enfin  il  don- 
na, en  i585,i'>8'\,  à  Alcala,une 
traduction  de  l'Enéide ,  qui  obtint  le 
plus  grand  succès,  et  dont  on  a  di- 
vei'ses  éditions  publiées  successive- 
ment à  Tolède,  à  Madrid,  à  x\nvers 
et  à  Saragosse.  On  peut  dire  de  cette 
traduction ,  comme  de  celle  du  même 
poème,  par  AnnibalCaro,qu'el'etcnt 
plus  du  génie  de  la  poésie  moderne 
qu'elle  ne  reproduit  celui  du  modèle 
antique,  et  qu'elle  oflre  un  meilleur 
ouvrage,  considérée  en  elle  -  même  , 
que  dans  son  rapport  avec  l'auteur 
original.  La  versification  de  Velasco 
est  pleine  et  harmonieuse.  Son  ex- 
pression,  sauf  les  défauts  habituels 
du  style  espagnol  ,  est  pure  et  classi- 
que.  Lope  de  Véga,  qui  introduit 
Velasco  le  premier  dans  sa  Re\nie  des 
poètes  contemporains,  intitulée  Lau- 
rel de  jipolo ,  célèbre  par  des  élo- 
ges vivement  sentis  l'élégance  et  la 
pureté  de  ses  traductions.  V — g — r. 


VEL  67 

VELASCO  (le  P.  Nicolas  de), 
cordelier  espagnol ,  n'est  connu  que 
par  le  rôle  qu'il  a  joué  dans  la  cons- 
piration   du    marquis    d'Ayamonte 
{Foj.  ce  nom,  III ,  i35),  au  dix- 
septième  siècle.    Il    était    dévoué  , 
depuis  long-temps  ,   aux.  intérêts  de 
cette  noble  maison  ,   et  il  avait  su 
captiver  la  bienveillance  de  son  pro- 
tecteur par  son  esprit  d'intrigue  et 
surtout    par    sa   docilité.  D'accord 
avec    le    duc    de    Medina-Sidouia 
(  Foy.  ce  nom,  XXVIII,  loi  )  , 
pour  faire  déclarer  l'Andalousie  in- 
dépendante ,    Avamonte    cherchait 
l'occasion   d'instruire  de  ses   plans 
le  roi  de  Portugal ,  qiù  devait  l'aider 
à  les  exécuter.   Trop  surveillé  pour 
oser  faire  lui-même  une  démarche 
qui  pouvait   le   compromettre  aux 
yeux  du  ministère  espagnol ,  il  choi- 
sit le  P.  ^  elasco  pour  remplir  cette 
mission  délicate.  Le  cordelier ,  ayant 
reçu  les  instructions  nécessaires  ,  se 
rendit  à  Castro -Marino  ,  première 
ville  de  Portugal,  sous  le  prétexte 
d'y  traiter  de  la  rançon  d'un  Castil- 
lan prisonnier.  I!  y  fut  arrêté  comme 
espion,  ainsi  qu'on  en  était  convenu, 
conduit   chargé  de  chaînes  à   Lis- 
bonne ,  et  jeté  dans  une  prison  ,   où 
il  fut  traité  fort  sévèrement  en  ap- 
parence. Au  bout  de  quelques  jours  , 
on  feignit  d'avoir  acquis  la  preuve 
de  son  innocence ,  et  il  lui  fut  permis 
de  rester  à  Lisbonne  pour  terminer 
l'affaire  qui  l'avait  amené  en  Portu- 
gal. Profitant  de  la  liberté  qu'il  avait 
d'entrer  tous  les  jours  au  palais,  il 
s'acquitta  de  la  commission  dont  il 
était  chargé,  sans  exciter  le  moindre 
soupçon  parmi  les  émissaires  espa- 
gnols; Le  roi  lui  promit  un  évêché 
pour  le  récompenser  de  ses  soins. 
Dès  lors  le  P.  Velasco^  se  regardant 
comme  un  personnage ,  ne  quitta  plus 
le  palais.  Les  courtisans ,  jaloux  de 
5.. 


68 


VEL 


son  crédit  qui  s'accroissait  chaque 
jour  ,  observèrent  de  plus  près  ses 
démarches  ,  recueillirent  les  paroles 
échappées  à  sa  vanité',  et  finirent  par 
se  convaincre  que  sa  captivité  n'avait 
été  qu'un  prétexte  pour  l'introduire 
à  la  cour.  Il  y  avait  alors  dans  les  pri- 
sons de  Lisbonne  un  Castillannommé 
Sanche,  créature  du  duc  de  Medina- 
Sidonia  ,  et  ancien  payeur  de  son  ar- 
mée. Instruit  de  la  faveur  du  P.  Ve- 
lasco ,  il  lui  écrivit  pour  demander 
sa  protection.  Le  cordelier ,  flatté 
de  montrer  son  crédit,  sollicita  la 
libei'té  du  Castillan,  et  l'obtint.  Il  al- 
la lui-même  le  tirer  de  prison,  et  lui 
proposa  de  le  faire  comprendre  dans 
im  passe-port  que  le  roi  venait  d'ac- 
corder à  quelques  domestiques  de  la 
duchesse  de  Mantoue  ,  qui  retour- 
naient à  Madrid.  Le  rusé  Castillan 
feignit  un  grand  éloigncment  pour 
retourner  dans  une  ville  où  il  serait 
exposé  sans  cesse  aux  tracasseries  , 
et  peut-être  même  aux  rigueurs  du 
premier  ministre,  ne  pouvant  rendre 
ses  comptes  à  raison  de  la  perte  de 
ses  papiers;  il  ajouta  que  son  projet 
était  de  se  fixer  dans  l'Andalousie , 
près  du  duc  de  INIedina ,  son  patron , 
assez  puissant  pour  faire  sa  fortune. 
Le  P.  Velasco  crut  avoir  trouvé 
l'homme  qui  lui  convenait  le  mieux  ^ 
pour  infoi'mer  le  marquis  d'Aya- 
monte  du  résultat  de  sa  négociation  , 
et  lui  rapporter  ses  nouveaux  ordres. 
Cependant  il  voulut  s'assurer  de  sa 
fidélité  avant  de  lui  confier  des  se- 
crets dont  il  sentait  toute  l'impor- 
tance. Mais  Sanche  ,  en  flattant  sa 
vanité,  gagna  si  bien  sa  confian- 
ce ,  que  Velasco  finit  par  lui 
avouer  le  motif  de  son  séjour  à  Lis- 
bonne ,  et  par  lui  remettre  des  let- 
tres pour  le  marquis  d'Ayamoutc  , 
qui  ne  laissaient  aucun  doute  sur  ses 
projets.  Sanche  courut  alors  à  Ma- 


VEL 

drid  porter  les  lettres  au  duc  d'OIi- 
varez  ;  et  c'est  ainsi  que  la  conspira- 
tion fut  découverte.  Le  roi  fit  grâce 
au  duc  de  Médina  ;  mais  le  marquis 
d'Ayamonte  porta  sa  têtesur  un  écha- 
faud.  Quant  au  cordelier  Velaspo  ,  il 
quitta  la  cour  de  Lisbonne  pour  ren- 
trer dans  un  couve;it  où  il  mourut 
peu  de  temps  après  (  i64'  )•  W — s. 

VELASCO  (  Francisco  de  )  , 
général  espagnol ,  né  vers  le  milieu 
du  dix  -  septième  siècle  d'une  an- 
cienne famille  castillane ,  entra  dès 
sa  jeunesse  dans  la  carrière  des  ar- 
mes, et  fut  nommé  vice-roi  de  Cata- 
logne ,  sous  le  règne  de  Charles  II. 
En  1695 ,  il  fut  chargé  du  comman- 
dement de  l'armée  que  la  cour  de 
IVIadrid  envoya  contre  le  duc  de  Ven- 
dôme pour  faire  lever  le  siège  de 
Barcelone,  et  il  échoua  dans  cette 
entreprise  {V.  Vendôme  ,  Louis  de). 
A  l'avéncmeot  de  Philippe  V  au 
trône  d'Espagne,  Velasco  "se  déclara 
franchement  pour  ce  prince  ;  et  il 
défendit  sa  cause  avec  beaucoup  de 
courage,  en  1704  ,  lorsqu'il  fut  som- 
mé de  rendre  Barcelone  à  l'archi- 
duc Charles.  Il  soutint  un  long  sié<je 
devant  les  flottes  et  les  armées  réu- 
nies des  Anglais  et  des  Impériaux 
que  commandaient  le  prince  d'Arm- 
stadt  et  lordPeterborough .  Obligé  en- 
fin de  se  soumettre  ,  il  ne  rendit  la 
place  qu'en  janvier  1706,  lorsqu'elle 
manquait  de  tout  ,  et  que  les  habi- 
tants étaient  près  de  se  soulever  en 
faveur  de  l'Autriche.  François  de 
Velasco  fut  ensuite  gouverneur  de 
Ceuta  en  Afrique ,  et  de  Cadix.  Il 
mourut  à  Séville,  en  1716,  dans  un 
âge  avancé.  M — d  j. 

VÉLASQUEZ  (  DiiGo  ) ,  fonda- 
teur des  plus  anciennes  villes  de  l'île 
de  Cuba  dont  il  fut  le  premier  gou- 
verneur, naquit  de  1460  à  \^']0,  à 
Cuellar,  ville  de  la  province  de  Se'- 


VEL 

govie,  en  Espagne,  et  accompagna 
Christophe  Colomb  dans  son  second 
voyage.  Il  partit  avec  lui  de  Scville, 
le  25  septembre  149^ ,  et  après  avoir 
A'isite'  une  partie  des  îles  Antilles  ,  il 
s'arrêta  à  Saint-Domingue,  qui  por- 
taitalors  le  nom  âJIle  espagnole  [Is- 
laespa/lola  )  ,  et  s'y  établit. Barthé- 
lemi  Colomb,  frère  de  l'illustre  na- 
vigateur génois ,  ayant  e'të  nomme' 
par  celui-ci  capitaine-général  des  In- 
des (  1 496  ) ,  pendant  son  absence  , 
Vélasquez  fut  attaché  à  sa  maison, 
et  obtint   son  estime  et  sa  con.Gan- 
ce.  Il  jouit  de  la  même  faveur  au- 
près de  Nicolas  de    Ovando,   qui, 
en  i5oi,  avait  succédé  à  Bobadil- 
la,  dans  le  gouvernement  de  Saint- 
Domingue  ,  et  il  était  alors  considère 
comme  l'un  des  principaux  capitai- 
nes de  la  colonie.  Plusieurs  caciques 
s'étant  révoltés  en  i5o3  ,  Ovando  le 
chargea  de  pacifier  la  province  de 
Haniguayaga.  Véiasquez  eut  bientôt 
réduit  les  Indiens,  dont  il  lit  le  caci- 
que prisonnier.  On  commença  ensui- 
te par  ses  ordres ,  et  pour  les  tenir 
en  bride ,  la  construction  d'une  ville 
ou  forteresse,  qu'il  appela  ^a/f^af /er- 
ra de  Zabana  (  i  )  ;  et  ce  dernier  nom 
devint  plus  tard  celui  de  toutela  pro- 
vince. Il  fonda  dans  le  même  temps 
les  villes  de  Yaquimo,  de  San- Juan 
de  la  Maguana ,  à^ Azua  ;  et  Ovan- 
do ,  pour  lui  témoigner  sa  satisfac- 
tion ,  le  nomma  son  lieutenant  dans 
ces  quatre  villes  et  dans  celle  de  Ve~ 
Ta  Paz ,  que  Rodrigo  Mexia  de  Tril- 
lo  avait  fondée  dans  la  province  de 
Guahaba.  En  i5o8,  D.  Diego  Co- 
lomb ,  fds  de  l'amiral ,  fut  rétabli 
dans  une  partie  des  privilèges  de  son 
père ,  avec  le  titre  d'amiral  des  In- 


(i)  Zabana,  dans  la  langue  des  naturels,  signi- 
fie pays  rie  plaine,  et  en  eflel  ,  tout  le  pays  est  plat 
et  Qiagnifique.  du  moins  dans  la  pailie  ([ui  avoi- 
siue  Id  mer. 


VEL 


69 


des ,  et  il  arriva  à  Saint-Domingue  en 
iSog  pour  en  exercer  les  fonctions. 
Vélasquez ,  à  cette  époque  le  plus  ri- 
che et  le  plus  estimé  des  anciens  habi- 
tants de  l'île,  renommé  par  son  ex- 
périence, et  adoré  de  tous  les  Cas- 
tillans qui  avaient  servi   sous   lui , 
fut  choisi  par  Diego  Colomb    pour 
commander  l'expédition  qu'il  se  pro- 
posait d'envoyer  à  la  conquête  de  Cu- 
ba ,  qu'on  supposait  encore  un  conti- 
nent, et  pour  y  fonder  une  colonie. 
Phisieurs  personnes  de  distinction  de 
Saint-Domingue  voulurent  prendre 
part  à  l'entreprise ,   et  l'on   donna 
seulement  à   Vélasquez   trois  cents 
hommes  pour  faire  la  conquête  d'une 
île  qui  a  plus  de  trois  cents  lieues 
de  long ,   et  qui  était  extrêmement 
peuplée.  Il  est  vrai  que    ses  habi- 
tants n'étaient  pas  plus  aguex'ris  que 
ceux  de  Saint-Domingue,   et  qu'ils 
n'avaient  fait  aucun  préparalif  pour 
résister  à  leurs  nouveaux  ennemis  , 
quoiqu'ils  dussent  s'attendre  depuis 
long-temps  à  leur  invasion.  Les  Es- 
pagnols n'éprouvèrent  de  résistance 
que  de  la  part  du  cacique  Hatuey, 
qui  s'était  enfui  de  Saint-Domingue 
et  avait  formé  un  établissement   à 
l'extrémité  de  la  côte  orientale  de 
Cuba.  Il  les  attaqua  à  leur  débar- 
quement ;   mais   ses   soldats   furent 
bientôt  mis   en  déroute,   et  lui-mê- 
me fut  fait  prisonnier.   Suivant  la 
coutume  barbare   du    temps ,    Vé- 
lasquez le  considéra  comme  un  es- 
clave qui  avait  pris  les  armes  contre 
son  maître,  et  le  condamna  à  être 
brûlé.  Lorsqu'il  était  près  de  monter 
sur  le  bûcher,  un  moine  franciscain, 
qui  cherchait  à  le  convertir,  lui  van- 
tait les  douceurs  ineffables  du  Para- 
dis ,  où  il  serait  certainement  admis 
s'il  voulait  embrasser  la  foi  chrétien- 
ne. «  Y  a-t-il  des  Espagnols  dans  ce 
paradis  dont  vous  me  parlez  ,  lui  de 


70  VEL 

manda  le  cacique?  »  Après  un  moment 
de  silence,  le  moine  lui  répondit  «  oui, 
mais  seulement  ceux  qui  ont  ete'  ver- 
tueux et  bons.  —  Les  meilleurs  d'en- 
tre eux,  répliqua  avec  indignation  le 
cacique  ,  ne  peuvent  avoir  ni  vertu  , 
ri  bonté,  je  ne  veux  point  être  place 
dans  un  lieu  oîi  je  pourrais  me  trou- 
ver avec  un  individu  de  cette  race 
maudite ,  »  et  il  se  pre'cipita  dans  les 
liamracs.  Cet  exemple  terrible  frappa 
d'une  telle  épouvante  les  habitants 
de  la  province  de  Mayci,  oîi  résidait 
le  cacique  Hatuey,  qu'ils  se  soumi- 
rent sans  résistance.  Pamphilc  Nar- 
vaez  ,  né ,  comme  Vclasquez  <,  dans 
le  district  de  Cuellar ,  apprenant  qu'il 
était  pressé  par  les  Indiens  ,  lui  ame- 
na un  corps  d'arcbers ,  en  i5ia.  Il 
en  1  ut  bien  reçu ,  et  eut  la  mission  de 
faire  des  découvertes.  Vélasquez  ve- 
nait de  fonder  Baracoa,  la  premihc 
ville  de  Cuba,  lorsque  quelques  Es- 
paj^nols,  qui  résidaient  dans  cette 
île,  et  qui  étaient  mécontents  de  lui, 
ayant  appris  que  des  juges  chargés 
de  recevoir  les  appels  venaient  d'ar- 
river a  rîle  espagnole,  résolurent  de 
leur  porter  des  j)!aintes  contre  son 
administration.  FeruandCortez,  que 
Vclasquez  avait  amené  de  l'Ile  es- 
pagnole, comme  son  secrétaire  ,  osa 
se  cliargcr  de  cette  mission  déli- 
cate. Le  gouverneur  de  Cuba,  qui  en 
eut  avis,  irrité  de  son  ingratitude, 
dom.a  ordre  de  l'arrêter  en  manifes- 
tant l'intention  de  le  faire  pendre  si 
on  parvenait  à  le  saisir.  Cortez  se  ré- 
fugia dans  une  église,  d'où  on  l'arra- 
cha (a).  Traduit  devant  les  alcades,  il 
fut  condamné  à  des  peines  très -ri- 
goureuses ,  dont  Vélasquez  lui  fit  gra- 


vi) Gotnara  el  après  lui  Orellana  prc'tendent 
que  Vtlasquei  élail  irrilé  coulre  Corlez  ,  parce 
que  re  derniei*  avait  rclusé  d'cpouser  Catalina 
Suarc7. ,  qu'il  paraîtrait  avoir  séduite  ,  et  avec 
Jainidli-  il  'i:  ;u;ir.';i  ticarimuiiis  i>eu  de  leoips  aprè:i. 


VEL 

ce  ,  à  la  sollicitation  d'Andrès  de 
Duero,  qui  avait  partagé  avec  lui  les 
fonctions  de  secrétaire  du  gouver- 
neur ,  et  qui  les  exerçait  encore.  Il 
poussa  plus  loin  la  m.Tgnanimité;  car 
il  tint  sur  les  fonls  baptismaux  un  fils 
de  Cortez,  qu'il  appela  toujours  de- 
puis son  compère  ;  et  il  lui  assura 
une  part  considérable  dans  la  répar- 
tition des  Indiens  de  la  ville  de  San- 
tiago, dont  il  le  créa  alcade  ordinaire. 
La  même  année,  Vélasquez  se  maria 
avec  la  fille  du  Contador  don  Chris- 
tobal ,  né,  comme  lui,  à  Cuellar. 
Les  noces  furent  célébrées  avec 
pompe  ;  mais  six  jours  après 
son  épouse  avait  cessé  d'exisicr. 
Quoiqu'il  éprouvât  un  vif  chagrin 
de  cette  perte  ,  il  n'en  continua 
pas  moins  de  s'occuper  avec  ac- 
tivité du  gouvernement  confié  à  ses 
soins.  Aidé  de  Narvaez  ,  de  Grijalva 
et  de  Barthélemi  de  Las  Casas,  il 
avança  la  découverte ,  la  conquête 
et  la  pacification  de  l'île  ,  qu'il 
gouA^erna  avec  sagesse  comme  lieu- 
tenant de  don  Diego  Colomb,  quoi- 
qu'il reconnût  peu  l'autorité  de 
son  supérieur  ,  et  qu'il  cherchât 
à  se  rendre  indépendant.  Sous  son 
administration,  Cuba  devint  l'un  des 
établissements  espagnols  les  plus  flo- 
rissants ;  et  beaucoup  d'habitants 
des  autres  colonies  y  furent  atti- 
rés par  la  réputation  du  gouverneur. 
Vélasquez  fonda  les  villes  de  laTrinité, 
du  Saint-Esprit ,  de  Puerto  del  Prin- 
cipe, de  San-Salvador  ,  et  Carénas, 
qui  a  depuis  acquis  tant  d'impor- 
tance sous  le  nom  de  la  Havane.  En 
1 5 1 4 ,  il  envoya  Narvaez  à  la  cour , 
pour  obtenir  de  nouveaux  privilèges; 
et  l'année  suivante ,  il  confia  une 
semblable  mission  au  trésorier  Mi- 
chel Pasamoute.  Il  chargea  en  même 
temps  celui-ci  de  remettre  au  roi  une 
carte  de  l'île  de  Cuba  ,  qu'il  avait 


VEL 

fait  dresser ,  et  dans  laquelle  on  avait 
indiqué  avec  assez  d'exactitude  les 
nioulagnes  ,  les  rivières ,  les  vallées , 
les    ports ,    etc.    (3)  ;    et    demanda 
d'être  autorise'  à  acLever  de  réduire 
Cuba ,  et  à   conserver  le  gouverne- 
ment sans    être    oblige'    de    rendre 
compte  à  D.  Diego    Colomb.  Com- 
me Cu])a    est   située  à  l'ouest  des 
autres    îles    qui    étaient     occupées 
par  les  Espagnols  ,  et  que  la  mer 
qui  baigne  ses  cotes  dans  cette  direc- 
tion  n'avait   pas  encore  cte  explo- 
re'e,  plusieurs  olliciers  et  soldats  qui 
avaient  servi  sous  Pedrarias,  dans 
leDarieu,  aimant  mieux  tenter  une 
entreprise  qui  pouvait  leur  faire  ac- 
quérir promptemcnt  d'immenses  ri- 
chesses que  de  se  livrer  à  la  culture 
et  à  la  fabrication  du  sucre  ,   dont 
les  résultats  devaient  être  beaucoup 
plus  longs  ,  s'associèrent  pour  entre- 
prendre un  voyage  de  découvertes. 
Ils   persuadèrent    à   François   Her- 
nandez    de    Cordova,    riche     plan- 
leur    de   Cuba ,   distingué   par   son 
courage,  de  se  joindre  à  eux  ,  et  ils 
le  choisirent  pour  leur  commandant. 
Vélasquez  non-seulement  approuva 
leur  projet ,  mais  se  réunit  à  eux  pour 
le  mettre  à  exécution.  Les  vétérans 
du   Darien    se    trouvant   dans    mie 
cx'.rême  indigence ,  Vélasquez  et  Cor- 
dova avancèrent  l'argent  nécessaire 
pour  acheter  trois  petits  biUiiuents  , 
pour   les  approvisionner  de  toutes 
les  munitions  de  guerre  et  débouche, 
de    tous  les    objets  d'échange ,    et 
cent  dix  hommes  furent  embarqués 
abord.  L'expédiiion  fit  voile  de  San- 
tiago de  Cuba  le  8  février  iSi-j  ,  et 
se  dirigea  vers  l'ouest,  d'après  le  cou- 


YEL 


7' 


(3)  Anloiilo  de  Léon  Pinolo  consacre  un  article 
à  CPtIe  pieinière  carte  ije  l'ilc  de  Cuba  ,  dans  sou 
EplloiiiK  de  la  Bihliollieca  onenlai  ,  etc.  ,  t.  Il, 
Hislorlas  générales  de  las  hlai  del  mur  occanit  , 
pag.  583. 


seil  du  pilote  Antoine  Alaminos,  v,\\i 
avait  servi  sous  Christophe  Colomb, 
et  qui  avait  souvent  enîr^udu  dire  à  ce 
grand  navigateur  ,  qu'en  allant  dans 
cette  direction  on  ferait  des  décou- 
vertes importantes.  Vingt  jours  après 
leiir  départ  ils    aperçurent   le   cap 
Catoche  ,  pointe   orientale  de  cette 
vaste   péninsule  ,    qui    conserve  en- 
core le  nom  deYucaîan  que  lui  don- 
naient les  naturels.    Les  Espagnols 
débarquèrent  ;  mais  ils  reconnurent 
bientôt  que    les  habitants  de  cette 
presqu'île   étaient  plus   aguerris    et 
plus  rusés  que  les  autres  tribus  avec 
lesquelles  ils  avaient  eu  des  relations. 
Après  avoir  perdu  une  grande  partie 
de  son  monde  ,  Cordova  fut  obligé  de 
retomner  à  Cuba ,   oii  il  expira  en 
arrivant.     Quoique    le    résultat    de 
cette  expédition  n'eût  pas  été  favo- 
rable ,  cependant  comme  elle  avait 
fait  découvrir^  à  peu  de  distance  de 
Cuba  j  un  vaste  pays ,  qui  paraissait 
fertile  et  habité  par  un  ])euple  inliui- 
ment  plus  avancé  dans  la  civilisation 
que  les  autres  Américains,  et  qu'on 
y  avait  trouvé  quelques  ornements  eu 
or  ,  un  grand  nombre  d'Esp.iguols 
résolurent  d'entreprendre  une  nouvel- 
le expédition;  et  Vélasquez  ,  qui  dési- 
rait se  distinguer   par  quelque   ser- 
vice   important  ,    encoiu'agea    leur 
jardeur,  et   même  e'quipa  à  ses  frais 
quatre   vaisseaux    pour  leur  voya- 
ge. Deux  cent  quarante  volontaires, 
parmi  lesquels  il  s'en  trouvait  plu- 
sieurs aussi  distingués  par  leur  rang 
que  par  leur  fortune,  s'embarquè- 
rent sous  le  commandement  de  Jean 
de  Grij  al  va  (4),  jeune  homme  plein  de 
mérite  et  de  courage.  1 1  partit  de  San- 
tiago de  CubaleS  avril  i5i8,etsui- 
vit  d'abord  la  même  route  que  Cor- 


(4)  Orellana   prt'lend  qu'il  était   neveu   de  Vé- 
Idsquez  :  Herrera  ue  jiaile  pas  de  cette  pareuté. 


72 


VEL 


(lova.  Jeté  au  midi  par  la  force  des 
courants,  il  aborda  à  l'île  de  Cozii- 
mel  ;  de  là  à  Potonchan  ,  sur  la  côte 
opposée  de  la  péninsule  ;  et  enfin,  en 
se  dirigeant  à  l'ouest,  dans  un  pays 
très-peuple  ,  riche  et  fertile,  auquel 
il  donna  le  nom  de  Nouvelle  Espa- 
gne,  et  que  les  naturels  appelaient 
Mexique.  François  de  Monte]  o  , 
l'un  de  ses  oliiciers  ,  deTjarqua  le 
premier  sur  cette  côte,  oià  il  eut 
une  entrevue  avec  les  envoyés  de 
Wonte'zuma,  qui  gouvernait  cet  em- 

fiire ,  et  qui  ,  sur  la  nouvelle  de 
'apparition  de  soldats  étrangers  (5)^ 
avait  ordonne  qu'on  prît  des  infor- 
mations sur  leur  compte.  Loisque 
Grijalva  fut  arrivé  à  une  petite  île, 
à  laquelle  il  donna  le  nom  de  Saint- 
Jean  de  Ulloa ,  il  dépêcha  Pedro 
de  Alvarado ,  l'un  de  ses  ofliciers  , 
à  Vélasquez ,  pour  lui  rendre  comp- 
te des  importantes  découvertes  qu'il 
venait  de  l'aire;  et  après  quelques  au- 
tres excursions  ,  il  se  détermina  à  re- 
tourner à  Santiago  de  Cuba ,  où  il 
arriva  le  a6  octobre,  après  une  ab- 
sence de  six  mois.  A  peine  Alvarado 
eut-il  rendu  compte  à  Vélasquez 
de  ce  qui  était  arrivé  ,  que  celui-ci , 
transporté  de  joie  d'un  succès  qui 
surpassait  si  fort  son  attente,  en- 
voya en  Espagne  Martin  Beuito  , 
son  chapelain  ,  avec  des  échantil- 
lons de  ce  que  produisaient  les 
pays  découverts  par  ses  soins  , 
pour  demander  une  augmentation 
d'autorité,  afin  d'être  en  état  d'en 
faire  la  conquête.  Sans  attendre  le 
retour  de  son  messager  ni  même 
l'arrivée  de  Grijalva  ,  qu'il  blâ- 
mait pour  n'avoir  pas  exécuté  ses 
ordres ,  en  fondant  une  colonie  ,  il 
commença  à  préparer  un  nouvel  ar- 
mement, assez  puissant  pour  l'entre- 

[5)  Il  avait  été  instruit  du  voyage  de  Cordova. 


VEL 

prise  qu'il  se  proposait,  et  à  la  tête  de 
laquelle  il  voulait  placer  un  autre  offi- 
cier. A  cette  époque,  le  caractère  des 
Espagnols  était  si  audacieux,  et  ils 
étaient  siavides  de  projets  hasardeux 
lorsqu'ils    offraient   quelque    espoir 
de   bénéfice,  que  Vélasquez  eut  en 
peu  de  temps  à  sa  disposition  un  nom- 
bre considérable  de  soldats.  Mais  il 
n'était  pas  si  facile  de  trouver  ua 
commandant   convenable  pour  une 
expédition  d'une  si  haute  importan- 
ce, et  le  caractère  de  Vélasquez,  qui 
avait  le  droit  de  nomination,  aug- 
mentait encore  la   dilliculté.  Quoi- 
qu'il  eût  une  ambition  démesurée, 
et  qu'il  ne   fût    pas  dépourvu    de 
talents  pour  gouverner  ,   il  n'avait 
ni  le  courage,  ni  la  vigueur  et  l'ac- 
tivité  d'esprit    indispensables  pour 
conduire   l'armement    qu'il    prépa- 
rait. Dans   cette    situation    embar- 
rassante ,  il  formait  le  plan  chiméri- 
rique  non-seulement  de  terminer  les 
plus  grands  exploits  par  un  lieute- 
nant ,  mais  de  s'assurer  à  lui-même 
la  gloire  des  conquêtes  qui  seraient 
faites  par  un  autre.  Il  voulait  pour 
l'exécution  de  ce  projet  un  comman- 
dant doué  d'une   rare  intrépidité  et 
de  talents  supérieurs,  parce  qu'il  sa- 
vait que  ces  qualités  étaient  néces- 
saires pour  assurer  le  succès;  mais 
en  même  temps,  par  suite  de  cette 
jalousie  si  naturelle  aux  petits  es- 
prits ,  il  desirait  que  cette  personne 
fût  si  docile  et  si  obséquieuse  qu'elle 
se  soumît  sans  réflexion  à  ses  moin- 
dres volontés.  Mais  lorsqu'il  en  vint 
à  l'exécution ,  il  s'aperçut  que  les 
qualités  qu'il  voulait  trouver   réu- 
nies dans  le  même  individu  étaient 
incompatibles  ;  car  ceux  qui  étaient 
distingués  par  leurcourageet  leurs  ta- 
lents   avaient    des  sentiments   trop 
élevés  pour   être  dans  sa  main  des 
instruments  passifs ,  et  ceux  qui  pa- 


VEL 

raissaient  plus  maniables  n'avaient 
pas  la  capacité  requise  pour  un  tel 
commandement.  Cette  circonstance 
augmenta  ses  craintes  et  sa  perplexi- 
té. Il  délibérait  depuis  long-temps 
sur  le  parti  qu'il  avait  à  prendre 
lorsqu'Amador  de  Lares ,  trésorier 
royal  de  Cuba ,  et  Andrès  de  Duero, 
son  propre  secrétaire ,  les  deux  per- 
sonnes en  qui  il  avait  le  plus  de  con- 
fiance, lui  proposèrent  le  jeune  Fer- 
nand  Cortez,  qn'il  connaissait  déjà; 
et  ce  choix  ne  fut  pas  moins  fa- 
tal à  Vélasquez  ,  qu'heureux  pour 
l'Espagne.  On  peut  voir  à  l'article 
de  Fernand  (  Cortez  X  ,  l4  ) 
que  Vélasquez  ne  tarda  pas  à  s'en 
repentir ,  et  à  révoquer  son  lieu- 
tenant j  qu'il  voulut  même  le  faire 
arrêter  ,  et  que  lorsque  ce  grand 
homme  eut  pénétré  dans  l'intérieur 
du  Mexique  ,  il  envoya  contre  lui 
(  I  Sac)  Pamphile  de  Narvaez  à  la  tête 
d'un  corps  de  troupes  (6).  Mais  Cortez 
sut  attirer  à  son  parti  les  soldats  qui 
devaient  opérer  sa  ruine  ,  et  il  suivit 
le  cours  de  ses  succès(7).  ^^  jalousie 
que  Vélasquez  avait  conçue  contre 
son  rival  qu'il  considérait  toujours 
comme  un  subordonné  rebelle ,  et  le 
chagrin  qu'il  éprouva  en  apprenant 
que  le  roi  l'avait  nommé  capitai- 
ne-général et  gouverneur  de  la  Nou- 


(6)  Vélasqnez  Toulait  même  marcher  en  per- 
sonne contre  Ini ,  si  l'on  en  croit  Herrera  ;  mais 
l'audience  de  l'île  espagnole  avant  eu  avis  de  sa 
résolution,  le  détermina  bientôt  â  y  renoncer,  en  lui 
laisant  observer  que  sa  présence  était  absolument 
nécessaire  à  Cu])a  ,  où  par  sa  prudence  et  sa  vi- 
gueur il  était  parvenu  a  établir  la  bonne  barmo- 
nie  entre  les  Espagnols  et  les  Indiens,  et  à  faire 
fleurir  la  colonie.  11  avait  été  nommé  gouverneur 
à  vie  de  toutes  les  terres  qu'il  découvrirait  , 
avec  de  très-grands  privilèges,  le  i3  novembre 
i5i8,  c'est-à-dire,  cinq  jours  avant  que  Cortez 
mit  à  la  voile. 

(7)  Herrera  reproche  à  François  Lopez  de  Go- 
mara  sa  partialité  pour  Cortez,  dont  il  était  le 
chapelain  ,  et  il  paraîtrait  d'après  le  premier  de 
ces  écrivains  que  Vélasquez  avait  beaucoup  de 
reproches  i  faire  à  son  rival ,  qui  lui  devait  sa 
fortune,  et  qui  le  paja  d'ingratitude. 


VEL  73 

velle  Espagne  ,  malgré  les  efforts 
des  amis  nombreux  qu'il  avait  à  la 
cour  ,  et  particulièrement  de  l'é- 
vêque  Fonseca ,  président  du  conseil 
des  Indes ,  dont  il  devait  épouser  une 
parente  ,  lui  occasionnèrent  une  ma- 
ladie ,  dont  il  mourut  en  i  .523 ,  sui- 
vant Fernand  Pizarre  Orellana  (8) 
(  Varones  ilustres  del  Nuevo  Miin- 
do,  cap.  V,  pag.  102),  et  en  i524, 
suivant  Herrera  (  Decada  m  ,  cap. 
X  ,  pag.  192  ).  Il  laissa,  par  sou 
testament  ,  pour  des  œuvres  pies  , 
deux  mille  ducats  ,  que  le  roi 
d'Espagne  (  Charles  -  Quint  )  fit 
donner  ,  avec  l'autorisation  du  pa- 
pe, à  la  fabrique  de  l'église  ca- 
thédrale de  Cuba.  Ce  souverain  té- 
moigna un  vif  chagrin  en  apprenant 
la  mort  de  Vélasquez,  et  déclara 
qu'il  perdait  un  excellent  serviteur , 
qui  avait  obtenu  son  estime.  Une 
élégie  fut  composée  sur  sa  mort  ;  elle 
se  termine  par  cette  épitaphe  desti- 
née à  être  placée  sur  son  tombeau  : 

Qui  nunc  aiigusto  compoiiil  memhra  sepidchro. 
Prospéra  sors  'vivo  tnunera  ina^na  dédit. 

Sedqtiando  filerai  raplurus  maxiina  duna 
(  (JuasJ'ecit  )Jorles  eiipueie  miinus. 

D— z— s. 
VELASQUEZ  (  Jacques-Rodri- 
GUEz  DE  SiLVA  Y  ) ,  peintre ,  chef  de 
l'école  de  Madrid  galio- espagnole, 
naquit  à  Séville  en  i  Sgg ,  et  ma- 
nifesta de  bonne  heure  ses  rares  dis- 
positions. Il  fut  d'abord  élève  d'Her- 
rera-le-Vieux  ;  mais  la  dureté  de  son 
maître  le  dégoûta  de  ses  leçons ,  et  il 
l'abandonna  pour  François  Pacheco , 
qui  sentit  bientôt  tout  le  mérite  d'un 
pareil  élève ,  et  se  plut  à  l'initier  dans 
tous  les  secrets  de  la  peinture.  A  ses 
excellents  préceptes ,  Vélasquez  joi- 
gnit ceux  d'un  maître  plus  puissant 
encore ,  la  nature  ,  qu'il  étudia  avec 


(8)  Cet  écrivain   l'appelle  le   bon  VélasquM  ,  t| 
dit  qw'il  fut  vivement  regretté  de  ses  amis. 


74 


VEL 


ardeur  ef  qit'il  ne  cessa  jamais  de 
consulter.    II  s'était  attache,  pour 
cela,  un  jeune  paysan  qui  le  suivait 
sans  cesse ,  auquel  il  faisait  prendre 
mille  attitudes  diverses,  qu'il  faisait 
rire  et  pleurer  ,  et  qui  était  pour  lui 
un  modèle  toujours  subsistant.  C'est 
par  cette  métiiode  qu'il  acquit,  pour 
la  ressemblance  et  pour  la  facilite  à 
peindre  les  tttes ,  un  talent  que  nul 
artiste   peut-être    n'a   pousse   aussi 
loin  que  lui.  Il  ne  bornait  point  là 
ses  études  :  les  fleurs ,  les  fruits ,  les 
poissons,  les  objets  de  nature  morte, 
exercèreut  aussi  ses  piuceaus ,  et  il 
peignit  avec  succès  des   intérieurs, 
des  bambocLades  dans  le  genre  des 
Flamands.  Parmi  ses  productions  les 
plus  remarquables  en  ce  genre,    on 
cite  le  Marchand  d'eau  de  Séville  , 
une  Adoration  des  bergers ,  et  des 
Buveurs.  Ses  talents  engagèrent  Pa- 
cbeco  à  lui  donner  sa  bile  en  ma- 
riage, îl  s'entliousiasma   alors  des 
ouvrages  de  Louis  Tristan ,  et  s'ef- 
força   de    s'approprier   sa    couleur 
brillante  et  la  vivacité  de  ses  concep- 
tions. II  se  rendit^  eu  1622,  à  Ma- 
drid, où  il  mita  prolit  son  court  sé- 
jour pour  étudier  les  belles   collec- 
tions de  cette  capitale  ,  du  Pardo  et 
de  l'Escuria!.  Il  y  revint  l'année  sui- 
vante; et  le  portrait  qu'il  fit  du  cha- 
noine Fonseca  eut  un  tel  succès  à  la 
cour  ,  que  le  roi  l'admit  à  son  service 
et  le  chargea  de  faire  aussi  son  por- 
trait. Il  représenta  le  prince  couvert 
de  son  armure  et  monté  sur  un  cheval 
magnifique.  Le  roi ,  un  jour  de  fête , 
ayant  permis   que  l'on  exposât  ce 
portrait  devant    l'église    de   Saint- 
Philippe -le-Royal ,   il   excita   un  si 
grand  enthousiasme  que  le  peuple  le 
reporta  en  triomphe  au  palais.  Lors 
du  concours  qui  eut  lieu  pour  l'érec- 
tion du  monument  destiné  à  consa- 
crer l'expulsion  des  Maures ,  Velas- 


VEL 

quez  obtint  la  palme.  En  1628 ,  Ru- 
bens  ,  avec  lequel  il  était  en  corres- 
pondance, vint  à  Madrid,  et  lui  ins- 
pira le   désir  de  visiter  l'Italie.  Le 
roi ,  qui ,  dans  la  crauite  de  le  per- 
dre, avait  plusieurs  fois  refusé   de 
le  laisser  partir,  lui  donna  enfin  son 
assentiment;   et,   en    lôiQjYelas- 
quez  s'embarqua  pour  Venise  ,  oîi 
il  se  mit  à  étudier  et  à  copier   les 
cbefs-d'œuvre  du   Titien ,  du   Tin- 
toret  et  de  Paul  Veronèse.  Parmi 
les  nombreuses  copies  qu'il  fit  à  Ve- 
nise, il  ne  faut  point  passer  sous  si- 
lence celles  du  Calvaire  et  de  la  Cè- 
ne ,  d'après  le  Tintoret,  dont  il  fit 
hommage  au  roi  à  son  retour  en  Es- 
pagne. Arrivé  à  Rome,   ses   études 
d'après  Michel -Ange,   Raphaël  et 
l'antique  furent  peut-être  plus  acti- 
ves encore,  et  employèrent  si  entiè- 
rement son  temps  ,  qu'il  ne  fitdeplus 
que  son  Porfra/7,  pour  son  beau-père, 
les  Forges  de  Vulcain,  et  son  ad- 
mirable tableau  de  la   Tunique  de 
Joseph.  Rappelé  à  Madrid,  par  l'or- 
dre du  roi,  il  ne  voulut  pas  quitter 
l'Italie  sans  avoir  vu ,  à  ISaples ,  Jo- 
seph Riljcra  ,  qui  soutenait  alors  di- 
gnement, dans  cette  ville,  la  gloire  de 
l'école  espagnole.  Le  roi,  pendant 
son  absence,  ne  s'était  laissé  pein- 
dre par   aucun   autre  ,   et  pour  lui 
témoigner  son  estime,  il  lui  fit  éta- 
blir un  atelier  dans  le  palais ,  et  s'en 
réserva  uue  seconde   clef  pour  aller 
visiter  l'artiste  quand  il  !e  voudrait. 
Ve'asquezfit  alors  le  jiortraitdel'/n- 
fant  dojiBahhazar  Charles,  auquel 
le  comte  -  duc  de  San- Lucar  ,  son 
grand  écuyer ,  enseigne  à  monter 
à  cheval,  et  le  Modèle  du  cheval 
de  la  slateie  équestre  du  roi ,  dont 
l'exécution  fut  confiée  à  Pierre  Tac- 
ca  ,  et  qui  est  une  des  plus  belles  pro- 
ductions de  l'art.  Comblé  des  bontés 
du  comte-duc  d'Olivarez^  il  voulut 


VEL 

lui  témoigner  sa  reconnaissance  en 
faisant  son  portrait.  Ce  ministre  y 
est  représenté  couvert  d'une  riche 
aimure  damasquinée  en  or ,  la  tète 
couverte  d'un  chapeau  orné  de  longs 
panaclies,  et  tenant  en  main  le  bâton 
de  commandement  :  monté  sur  un 
cheval  que  l'artiste  avait  choisi  par- 
mi les  plus  belles  races  d'Andalou- 
sie ,  il  semble  se  précipiter  au  com- 
bat. Dans  le  fond,  on  voit  le  choc 
des  deuTi.  armées  ,  et  l'on  ne  saurait 
trop  admirer  la  lieauté^  le  feu,  le 
mouvement  des  chevaux  ,  l'ardeur 
des  combattants  et  la  vérité  de  l'ac- 
tion. Cet  ouvrage  est  regardé,  en  ce 
j;enre ,  comme  un  des  plus  admira- 
bles que  la  peinture  ait  jamais  pro- 
duits. C'est  alors  qu'il  fit  également 
le  Portrait  de  l'amiral  Paréja,qin 
venait  de  recevoir  l'ordre  de  partir 
pour  une  mission  importante.  Lors- 
que ce  portrait  lut  terminé,  le  pein- 
tre le  plaça  dans  un  des  coins  de  son 
atelier.  Le  roi  étant  venu  ,  selon  sa 
coutume ,  adressa  la  parole  au  por- 
trait, feignant  de  le  prendre  pour  l'a- 
miral lui-même ,  et  se  tournant  vers  le 
peintre,  il  lui  dit  avec  bonté  :  «  Velas- 
quez,  tu  m'astrompé.  »En  16^1,  le 
roi  étant  allé  en  Aragon  pour  apaiser 
les  troubles  de  cette  province,  Ve- 
lasquez  reçut  l'ordre  de  l'y  accom- 
pagner. L'année  suivante  eut  Heu  la 
disgrâce  du  duc  d'Olivarez  :  l'artiste 
qu'il  avait  protégé  ne  manqua  point 
à  la  reconnaissance ,  et  les  témoi- 
gnages qu'il  en  donna  prouvèrent 
que  la  noblesse  de  son  caractère  ré- 
pondait à  l'éminence  de  sou  talent; 
le  roi ,  loin  d'en  être  offensé,  le  nom- 
ma encore  pour  le  second  voyage 
qu'il  lit  en  Aragon.  De  retour  à  Ma- 
drid ,  il  exécuta  le  Portrait  du  roi , 
faisautson  entrée  à  Lérida,  environné 
de  sa  suite,  et  au  milieu  des  accla- 
mations de  tous  les  habitants;  celui 


VEL  7S 

du  Cardinal  irifant  don  Fernando, 
et  un  autre  Portrait  du  roi,  destiné 
à  servir  de  pendant  au  précédent , 
oi!i  ce  prince  est  représenté  en  habit 
de  chasse,  armé  d'un  fusil,  et  suivi 
de  chiens  courants.  Ces  deux  por- 
traits sont  des  chefs-d'œuvre  de  na- 
turel et  d'expression.  Il  fit  aussi  ce- 
lui de  la  reine  Elisabeth  de  Bour- 
bon, sur  un  joli  cheval  nain  blanc 
et  à  tous  crins  ,  et  de  V Infant  don 
Balthazar  Charles  ^courant  au  ga- 
lop ;  il  termina  ,  à  la  même  époque , 
pour  leRetiro,  la  Prise  d'une  ville, 
par  don  Amhroise  de  Spinola  ;  et 
pour  l'oratoire  de  la  reine,  un  Cou- 
ronnement de  la  Vierge.  En  i648_, 
le  roi  l'envoya  une  seconde  fois  en 
Italie,  pour  y  choisir  les  modèles 
nécessaires  aux  études  de  l'acsdémie 
des  beaux-arts  qu'il  avait  l'intention 
defonderà  Madrid.  Levoyagede Ve- 
lasquezeultalie  fut  comme  une  espèce 
de  triomphe:  les  artistes, lessavauts, 
les  princes  lui  firent  l'accueil  le  phis 
honorable.  Arrivé  à  Rome,  le  pape 
Innocent  X  s'empressa  de  lui  donner 
audience,  et  lui  commanda  son  por- 
trait. Ce  portrait  renouvela  ces  pro- 
diges de  l'art  que  l'on  raconte  de  ce- 
lui de  Léon  X  ,  par  Raphaël ,  et  de 
Paul  m,  par  le  Titien,  c'est-à-dire, 
qu'il  trompa  l'œil  des  spectateurs, 
qui  crurent  que  c'était  le  pape  lui- 
même.  Il  en  fut  récompensé  magni- 
fiquement par  le  souverain  pontife, 
et  il  exécuta  en  outre  les  Portraits 
du  cardinal  neveu ,  Panfili ,  de 
deux  caniériers  et  du  marjodom  e  du 
palais.  11  fut  admis  alors  ,  en  grande 
pompe ,  parmi  les  membres  de  l'a- 
cadémie de  Saint-Luc.  Lors  de  son 
premier  voyage  en  Italie ,  il  avait 
commandé  un  tableau  à  chacun  des 
douze  peintres  les  plus  célèbres  de 
cette  contrée,  à  cette  époque  ,  parmi 
lesquels  se  trouvaient  le  Guide ,  le 


76  VEL 

Dominiquin ,  le  GuercBin ,  le  Pous- 
sin, André  Sacchi,  Piètre  de  Corlo- 
ue,  Sandrart,  etc.  Pendant  sou  second 
se'j  Dur  il  trouva  ces  tableaux  terminés, 
et  les  remporta  à  Madrid ,  où  ils  fu- 
rent placés  dans  les  différents  palais 
du  roi.  Rappelé  en  Espagne,  il  se 
hâta  de  s'y  rendre  avec  toutes  les  ri- 
chesses qu'il  avait  recueillies  en  bus- 
tes, en  statues  ,  en  tableaux,  en  des- 
sins, achetés  à  grand  prix.  Le  roi, 
pour  le  récompenser  ,  lui  accorda  la 
charge  de  premier  maréchal-des-lo- 
gis  du  palais.  Cet  emploi  ne  l'empê- 
cha pas  de  continuer  à  se  livrer  à  la 
peinture;  et  c'est  en  i656  qu'il  mit 
le  comble  à  sa  réputation  en  exécu- 
tant son  fameux  tableau  de  famille , 
représentant  Yimpératrice  Marie- 
JUarguerite  d'Autriche,    infante 
d'Espagne,  à  la  Jleur  de  son  âge. 
Parmi  les  nombreux  personnages  que 
renferme  cette  composition ,  Velas- 
qucz  s'y  est  représenté  lui-même  oc- 
cupé à   peindre:   un  miroir,  placé 
devant  l'artiste ,  reproduit  le  sujet 
qu'il  peint.  Rien  n'approche  de  la 
perfection ,  de  la  grâce  ,  de  l'éclat  et 
de  la  beauté  de  ce  tableau.  Lucas 
Giordano  étant  venu,  pendant  sou 
séjour  à  Madrid,  voir  ce  tableau,  et 
le  roi  Charles  II  lui  ayant  demandé 
ce  qu'il  en  pensait ,  il  répondit  :  «  Si- 
»  re ,  c'est  la  théologie  de  la  peintu- 
»  re;  »  voulant  dire  par  là  que  com- 
me la  théologie  est  la  première  des 
sciences,  ce  tableau  était  le  plus  beau 
qui  existât.  Le  roi,  pour  récompenser 
tant  démérite ,  ayant  donné  à  Velas- 
quez  le  choix  d'imdes  trois  ordres  de 
chevalerie  d'Espagne,  il  choisit  ce- 
lui de  Saint- Jacques,  et  en  reçut  le 
titre  et  l'habit, le  aSnovemb.  i658. 
C'est  pendant  cette  même  année  qu'il 
fit  pour  l'empereur  d'Allemagne  les 
portraits  du  prince  des  Asturies ,  de 
don  Philippe  Prosper,  et  de  l'infante 


VEL 

Marguerite.  En  i66o,  les  fonction» 
de  sa  charge  de  premier  maréchal- 
des-logis  du  palais  l'obligèrent  de 
se  rendre  à  Irvm ,  afin  d'y  préparer 
les  logements  du  roi  ,  qui  se  rendait 
dans  cette  ville  pour  y  remettre  l'in- 
fante Marie-Thérèse  destinée  à  épou- 
ser Louis  XIV.  C'est  lui  qui  arran- 
gea ,  dans  l'île  des  Faisans,  la  maison 
dans  laquelle  les  deux  monarques  eu- 
rent leur  entrevue.  Mais  les  fatigues 
qu'il  éprouva  pendant  ce  voyage 
altérèrent  tellement  sa  santé  ,  qu'à 
son  arrivée  à  Madrid  il  tomba  ma- 
lade, et  mourut  le  7  août  1660.  Ses 
funérailles  furent  magnifiques.  Les 
grands ,  les  chevaliers  de  tous  les 
ordres ,  et  un  nombreux  concours 
d'artistes  y  assistèrent.  La  douleur 
que  ressentit  sa  veuve  fut  si  vive 
qu'elle  succomba  au  bout  de  sept 
jours  :  elle  fut  inhumée  auprès  de 
lui  dans  l'église  de  Saint-Jean.  Voici 
le  jugement  que  Raphaël  Mengs  por- 
te de  ce  grand  artiste,  dans  sa  Lettre 
à  don  Antonio  Ponz  :  «  Quelle  vé- 
»  rite  dans  les  ouvrages  de  Velas- 
»  quez  !  Qu'il  a  supérieurement 
»  bien  entendu  l'effet  de  l'air  am- 
»  biant  interposé  entre  les  objets 
»  pour  en  faire  connaître  les  distan- 
»  ces  I  Quelle  école  pour  tout  artiste 
»  qui  vient  étudier  dans  les  tableaux 
»  des  trois  époques  de  ce  maître  la 
»  méthode  qu'il  a  suivie  pour  arri- 
))  ver  à  lUie  aussi  excellente  imitation 
»  de  la  nature  I  On  y  voit  combien 
»  ce  peintre ,  dans  sa  première  ma- 
»  nière ,  s'est  restreint  à  la  scrupu- 
»  leuse  imitation  des  objets,  en  finis- 
»  sant  toutes  les  parties  et  en  leur 
»  donnant  toute  la  vigueur  qu'il 
))  croyait  voir  dans  ces  objets  mê- 
»  mes  ;  mais  cette  sévère  exactitude 
»  l'a  fait  tomber  dans  un  style  qui 
»  n'est  pas  exempt  de  dureté  et  de 
»  sécheresse.  Dans  sa  seconde  ma- 


VEL 

»  nière,  on  remarque  une  touche  plus 
»  facile  et  plus  spirituelle,  et  l'on  sent 
»  qu'il  a  imite'  la  nature  non  telle 
»  qu'elle  est  en  effet,  mais  telle  qu'elle 
»  paraît  être.  Enfin,  dans  sa  dernière 
»  manière,  il  semble  que  sa  main 
»  n'a  eu  aucune  part  à  l'exécution 
»  de  ses  ouvrages  ,  et  que  tout  y  a 
»  été'  crée  par  un  pur  acte  de  sa  vo- 
V  lonte'.  Son  tableau  de^  Fileuses , 
y>  ainsi  que  ses  beaux  portraits  , 
»  en  sont  un  exemple  admirable  : 
»  c'est,  sans  contredit,  le  plus  beau 
»  temps  du  talent  de  ce  maître.  >> 
Sans  suivre  les  traces  d'aucune  école 
en  particulier,  il  s'éleva  par  son  gé- 
nie à  un  style  qui  lui  tut  propre.  C'est 
une  imitation  scrupuleuse  de  la  na- 
ture ,  c'est  une  entente  de  la  magie 
du  clair- obscur _,  c'est  une  touche 
mâle  et  fière  qui  le  mettent  dans  une 
classe  à  part.  Ce  n'est  point  la  beauté 
des  Grecs,  ni  celle  de  l'école  romai- 
ne, mais  du  moins  c'est  toujours  la 
nature  elle-même.  Si  l'étude  qu'il  fit, 
pendant  son  séjour  eu  Italie, des  chefs- 
d'œuvre  de  l'antiquité,  de  Michel- 
Ange  et  de  Raphaël ,  n'éleva  point 
sou  style  jusqu'à  l'idéal ,  c'est  qu'il 
était  déjà  dans  un  âge  trop  avancé 
pour  pouvoir  se  dépouiller  des  habi- 
tudes qu'il  avait  contractées;  mais 
s'il  manqua  de  grandiose,  son  dessin 
fut  toujours  exact,  et  personne  ne  l'a 
surpassé  dans  la  peinture  des  che- 
vaux et  des  autres  animaux.  Dans  le 
portrait,  on  ne  peut  lui  comparer  que 
le  Titien  et  Van  Dyck.  Le  Musée  du 
Louvre  renferme  un  tableau  et  deux 
dessins  de  Velasquez.  Le  tableau  est 
le  portrait  de  Vinfante  Marguerite- 
Thérèse ,  fille  de  Philippe  IV,  roi 
d'Espagne,  et  de  Marie- Anne  d:" Au- 
triche^ son  épouse.  Les  dessins  sont  : 
I  °.  Le  Portrait  d'un  cardinal.  La  fi- 
gure est  dessinée  au  crayon  noir  j  le 
fond  à  la  plume  et  lave'.  2».  La  Mort 


VEL 


77 


de  saint  Joseph;  il  est  assisté  par 
la  Fierge  et  le  Sauveur.  Dessin  de 
forme  cintrée  à  la  plume  et  lavé.  Le 
même  établissement  a  possédé  cinq 
autres  tableaux  de  ce  maître  :  L  Le 
célèbre  tableau  de  la  Robe  de  Jo- 
seph. IL  Le  Portrait  du  roi  Phi- 
lippe IV  à  cheval.  III.  La  Famille 
de  Velasquez.  IV.  Le  Portrait  d'un 
Espagnol  avec  un  chien  de  chasse. 
V.  Le  Portrait  de  l'archiduchesse 
Marie -Anne,  fille  de  Ferdinand 
III ,  et  épouse  de  l'empereur  Fer- 
dinand IV.  Les  deux  premiers  ta- 
bleaux ont  été  repris  ,  en  i8i5,  par 
l'Espagne  ,  et  hs  trois  derniers  par 

l'Autriche.  P g. 

VELASQUEZ  (Alexandre- 
Gonzalez  ) ,  peintre  et  architecte  , 
né  à  Madrid  en  17 19,  fut  un  des 
élèves  les  plus  renommés  de  l'acadé- 
mie de  cette  ville.  A  l'âge  de  dix-neuf 
ans  ,  il  fut  chargé  de  peindre  les  dé- 
corations du  théâtre  du  Retiro,  et 
s'y  distingua  par  ses  talents,  comme 
peintre,  comme  architecte  et  comme 
versé  dans  la  perspective.  En  i744> 
on  lui  confia  la  direction  des  travaux 
de  peinture  et  de  sculpture  qui  s'exé- 
cutaient à  Saint-Ildefonse.  Il  fut  en- 
suite occupé,  pendant  trois  années, 
à  faire  les  plans  et  les  élévations  du 
palais  d'Aranjuez.  En  1752,  il  fut 
élu ,  par  l'académie,  sous-directeur  de 
la  classe  d'architecture;  et  en  1762, 
il  obtint  le  même  grade  dans  celle  de 
peinture.  Enfin ,  en  1 766 ,  le  roi ,  sur 
la  proposition  de  l'académie,  créa 
pour  lui  une  classe  de  perspective. 
Lorsque  le  comte  d'Aranda  Ht  réfor- 
mer les  théâtres ,  il  y  eut  une  exposi- 
tion générale  des  décorations;  et  cel- 
les qu'avait  exécutées  Alexandre  ex- 
citèrent une  admiration  universelle. 
11  avait  deux  frères ,  Louis  et  An- 
toine, qui  l'aidèrent  dans  la  plu- 
part de  ses  ouvrages,  Louis  surtout 


78 


VEL 


lui  fut  d'un  grand  secours  ;  il  se 
chargeait  des  figures,  et  Alexandre 
des  ornements.  C'est  ainsi  qu'ils  dé- 
corèrent toute  l'église  des  Carmélites 
décliaussées  de  Madrid ,  la  voûte  de 
l'église  des  religieuses  du  Saint  -  Sa- 
crement, etc.  Alexandre  peignit  seul, 
dans  l'église  de  Saint- Just  et  chez  les 
Bernardines  de  Madrid ,   nommées 
las  Ballecas ,  et  termina ,  dans  le 
palais  royal  dcIMadrid,  de  concert 
avec  Guillaume   Langlois,  quelques 
ouvrages  d'après  les  dessins  de  Ra- 
phaël Mengs.  iMadrid  renferme  de 
lui ,  comme  architecte,  plusieurs  mo- 
numents qui  font  honneur  à  son  ta- 
lent. Il  a  formé  un  grand  nombre 
d'élèves  habiles,  et  il  est  mort  le  21 
janvier  1 77'2.  —  Antoine  -  Gonzalez 
Yelasquez  ,  frère  du  précédent,  né 
à  Madrid  ,  en  1729  ,  reçut  en  Italie 
son  éducation  pittoresque.  Arrivé  à 
Rome  avec  une  pension  du  roi ,  il  en- 
tra dans  l'école  de  Corratlo  Giacuin- 
to,  oii  il  Ht  de  rapides  et  de  solides 
progrès.    Il    fut    chargé    de    pein- 
dre les  fresques  qui  ornent  l'église 
des  Trinitaires  de  Castelli,  à  Rome. 
Cet  ouvrage  lui  mérita  des  éloges  uni- 
versels ,  que  confirma  son  tableau  de 
David  recevant  l'onction  sacréa  , 
dont  il  fit  hommage  à  l'académie.  Il 
revint  en  Espagne  en  1753,  et  pei- 
gnit alors  la  coupole  de  la  chapelle 
de  Notre-Dame  del  Pilar,  dans  la 
cathédrale  de  Tarragone  ,  dont  il 
avait  fait  l'esquisse  à  Rome.  Cet  im- 
portant travail  consolida  sa  réputa- 
tion. De  letour  à  Madrid,  il  parta- 
gea plusieurs  des  travaux  de  ses  frè- 
res Louis  et  Alexandre  j  et  peignit , 
conj  oinlement  avec  eux,  les  voûles  du 
monastère  de  las  Salesas  ,  couvent 
royal  de  jeunes  demoiselles;  celles 
de  l'Incarnation  ,  l'église  paroissiale 
de  Saint-Just  et  du  Pasteur  ,  et  enfin 
le  couvent  des  religieuses  de  Saintc- 


VEL 

Anne  et  de  las  Descalzas  ,   autre 
monastère    royal.    Il    a    aussi  exé- 
cuté  une  Assomption   pour    Cuen- 
ca.  En  récompense   de   ses  talents, 
Charles  111  lui  accorda,  en  1757, 
le  titre  de  son  peintre,  et  en  1765, 
la    place    de    directeur    de    l'aca- 
mie    de    peinture ,    qu'il    ne    rem- 
plit   activement    qu'en    1785.    Ces 
fondions  ne  l'emptchèrent  pas  de  se 
livrer  à   de  nombreux  ouvrages   à 
fresque  et  à  l'huile,  qui  justilièrent 
constamment  les  faveurs  dont  il  était 
comblé.  C'est  surtout  par  ses  peintu- 
res à  fresque  qu'il  a  mérité  sa  répu- 
tation. Peu  de  peintres  de  son  pays 
ont  possédé  à  un  aussi  haut  d,gré 
que  lui  la  grâce  et  la  facilité.  Il  avait 
une  imagination  féconde  ;  et  il  a  lais- 
sé un  nombre  prodigieux    d'ébau- 
ches ,  d'esquisses ,  de   croquis  et  de 
dessins  de  tous  genres,  parmi  les- 
quels on  vante  la  belle  esquisse  pour 
la  Fondation  de  l'ordre  de  la  Toi- 
son-d'  Or,  qui  a  été  gravée  par  Sal- 
vador  Caïunona  ,  célèbre   graveur  , 
son  contemporain.  Il  mourut  le  18 
janvier  1793,  laissant  trois  fils:  don 
Zacarias- Gonzalez,  don  Castor  et 
don  Isidore,  qui  cultivent,  tous,  les 
arts  avec  succès ,  et  soutiennent  l'hon- 
neur de  leur  famille.  — Louis-  Gon- 
zalez ViÎLASQUEz,  frère  d'Alexandre 
et  d'Antoine ,    naquit  à  Madrid   ea 
17  i5,et  reçutde son  père,  sculpteur, 
qui  n'était  pas  dépourvu  de  talent  , 
les  premiers  principes  du  dessin.  Il  se 
fit  remarquer  par  ses  progrès  à  l'a- 
cadémie, etfut  cliargé ,  avec  son  frè- 
re Alexandre,  des  décorations  des 
rues  et  de  celles  du  théâtre  du  Retiro, 
lors  du  couronnement  de  Ferdinand 
VI.  En  I75'2 ,  il  peignit  à  fresque  la 
coupole  de  l'église  de  Saint-M  arc  ;  et 
le  roi ,  en  récompense  de  ce  grand  et 
bel  ouvrage  ,  qu'il  mit  plusieurs  an- 
nées à  terminer ,  le  nomma  sous  -  di' 


VEL 

recteur  Je  l'acadcmic ,  et  lui  accor- 
da ,  trois  ou  quatre  ans  après ,  le 
litre  de  peintre  de  son  ca"binet.  Cet 
habile  artiste  mourut  le  'il^  mai 
,704.  P-s. 

VÉLASQUEZ  DE  VÉLASCO 
(  Louis- Joseph  ) ,  marquis  de  Valde- 
florcs^  littérateur  et  antiquaire  espa- 
gnol, naquit,  à  Malaga ,  le  5  nov. 
i-j'iU,  le  même  jour  et  à  la  mcme 
lieure  que  son  père  était  ne,  dis.-neuf 
ansauparavant.il  apprit  Iclatin dans 
l'espace  de  vingt  mois,  et  fut  piace', 
au  collège  de  Saint-Miclicl ,  à  Grena- 
de, oii  il  e'tudia  la  logique  sous  les 
Jésuites^  puis  ,  pendant  trois  ans,  la 
jurisprudence.  De  retour  à  Malaga  , 
eu  1789,  il  apprit,  dans  le  collège 
des  clercs  mineurs,  la  philosophie 
d'Aristole  et  la  tlièologie  ecclésiasti- 
que ,  jusqu'à  ce  que,  fatigue  de  ces 
études,  il  se  livra  cà  celles  qui  flat- 
taient daA'antagc  son  imagination. 
En  1743  ,  d  fut  admis,  sous  le  titre 
de  clievah'er  damoiseau  de  la  mer, 
dans  l'académie  poétique  du  Trépied, 
qui  se  tenait  chez  le  comte  de  Torre- 
Pa'ma,  à  Grenade,  f^n  1745,  il  re- 
çut de  Rome  le  grade  de  docteur  en 
théologie.  Il  vint,  pour  la  première 
fois ,  à  Madrid ,  et  fut  moins  empres- 
sé de  se  présenter  à  la  cour  que  d'y 
fréquenter  les  gens  de  lettres.  11  re- 
vint dans  cette  capitale  en  i  7  5o ,  et 
fit  partie  de  l'académie  poétique  qui 
se  rassemblait  cncz  la  marquise  de 
Sarria  ,  oi!i  se  rendaient ,  comme  poè- 
tes ,  la  duchesse  douairière  d'Arcos  , 
le  duc  de  Bejar ,  le  comte  de  Salda- 
na,  etc.  En  avril  17.JI  ,  il  fut  reçu 
membre  de  l'académie  de  l'iiisloirej 
et  au  commencement  de  l'année  sui- 
vante, le  marquis  de  la  Ensenada  , 
qui  s'était  déclaré  son  protecteur,  lui 
lit  obtenir  la  décoration  de  l'ordre 
de  Saint-Jacques  ,  et  le  chargea  de  la 
direction  d'im  voyage  ordonné  par 


VEL 


79 


le  roi  Ferdinand  YI  pour  recueillir 
tous  les  anciens  monuments  de  l'Es- 
pagne. \'elasquez  venait  de  publier  : 
L  Essai  sur  les  alphabets  des  carac- 
tères inconnus  ,  que  l'on  voit  sur  les 
plus  anciennes  médailles  et  autres 
monuments  de  l'Espa^ne,'^\Aàr\Aj. 
1752,  grand  in -4".  Cet  ouvrage, 
plein  d'une  judicieuse  érudition,  fut 
écrit  et  imprimé  par  ordre  de  l'aca- 
démie de  l'histoire,  et  valut  à  l'au- 
teur le  titre  de  corresjiondcint  de 
celle  des  inscriptions  et  belles -let- 
tres de  Paris.  Il  y  donne  l'explica- 
tion et  la  représentation  en  une  suite 
de  planches  gravées  de  vingt-cinq 
alphabets  antiques,  particulièrement 
de  ceux  des  peuples  qui  ont  succes- 
sivement habité  l'Espagne  avant  les 
Arabes  j  il  donne  ensuite  un  grand 
nombre  de  médailles  conservées  dans 
les  cabinets  les  plus  précieux  du 
royaume.  Ses  autres  ouvrages  im- 
primés sont  :  II.  Oi'igine  de  la 
poésie  castillane,  Malaga,  17. '54? 
in-4°.  Après  avoir  donné  une  idée 
de  la  poésie  latine,  arabe,  pro- 
vençale ,  portugaise  ,  galicienne  et 
basque,  l'auteur  divise  la  poésie  cas- 
tillane en  quatre  âges  :  le  premier 
ju<;qu'au  règne  de  Jean  II,  le  second 
jusqu'au  seizième  siècle;  le  troisiè- 
me ^  qui  comprend  ce  siècle ,  l'âge 
d'or  de  la  littérature  espagnole;  et 
le  quatrième,  depuis  le  commence- 
ment du  dix-septième  siècle ,  époque 
si  fatale  en  Espagne  et  si  brillante 
en  France  et  en  Angleterre ,  pour  les 
lettres  ,  les  sciences  et  les  arts.  Il  cite 
les  poètes  qui  ont  contribué  aux  pro- 
grès ou  à  la  décadence  de  la  poésie 
castillane,  et  n'eu  compte  que  deux 
dignes  d'être  distiiigiiés,  h  l'époque 
où  il  écrit.  Feutry  a  donné  un  extrait 
de  cetouvragedans  le  Journal  étran- 
ger, février  i755_,  et  l'a  réimprime' 
dans  les  Noui'eaux  Opuscules  ,  99- 


8o 


VEL 


192,(1}.  III.  annales  àe  la  na- 
tion espagnole  depuis  les  temps  les 
plus  anciens  jusqu'à  l'entrée  des 
RomainSy  Malaga,  1759,  in-40.  Cet 
ouvraj^e  est  puise  uniquement  dans 
les  sources  originales  et  dans  les  mo- 
numents contemporains.  I\ .  Conjec- 
tures sur  les  médailles  des  rois 
goths  et  suèves  d'Espagne ,  Mala- 
ga ,  1709,  'va-!\°.  On  y  trouve  l'ex- 
plication de  cent  trente-six  médailles 
des  Gûths  et  de  trois  des  Suèves.  qui 
servent  à  éclaircir  plusieurs  points 
de  l'bistoire  d'Espagne.  V.  Notice 
du  voyage  d'Espagne  ,  entrepris 
par  ordre  du  roi ,  et  d'une  nouvelle 
Histoire  générale  de  la  nation  de- 
puis les  temps  les  plus  anciens  jus- 
qu'en 1 5 1 6  ,  Madrid  ,  1 763 ,  in  -  4°. 
C'est  le  résultat  de  la  commission 
dont  Vélasqiiez  avait  été  chargé,  et 
qui  aurait  eu  plus  de  succès  si  le 
plan  du  marquis  et  de  ses  collabora- 
teurs eût  été  entièrement  adopté.  Le 
Prospectus  en  fut  publié,  la  même 
année ,  sous  le  titre  de  Collection  des 
monuments  contemporains  de  l'his- 
toire d'Espagne ,  etc.  ;  et  Vclasquez 
en  écrivit  plusieurs  volumes  in -fol., 
qui  sont  conservés  à  l'académie  de 
l'histoire.  Le  marquis  Vélasquez  de 
Valdeflores  ne  s'était  pas  tellement 
occupé  de  matières  d'érudition  qu'il 


(i)  PlttfiniT»  CTÎtiqoej,  entre  antres  M.  Bouler- 
wek,  oot  btàmé  )a  diTÎtion  aJo|«té«  par  Vebsquez  , 
comme  l'ajant  obligé  1  ioterrertir  l'ordre  cbrooo- 
In|;iqxie  de»  écrÎTaiiii  espapioU.  On  regrette  aiun 
^e  l'auteur,  trop  préoccupe  de*  maiimes  de  la 
criti<]t>e  fratiraise  .  donne  trop  |.ea  d'alteotioD  et 
accorde  peu  de  iottice  à  des  poètes  tels  que  le* 
I»p«  ,  les  CalJeron  ,  qui  ,  mal^é  leurs  défauts, 
n'ea  sont  pat  moins  la  gloire  de  la  nation  espagnole. 
I>e  profestenrDiète, de  Goettiugne,  donna  une  Tra- 
duction allemande  de  cet  ouvrage  ,  en  T  ioignant 
an  p^nd  nombre  de  notes  très- utiles  pour  lîii.toire 
de  celte  liUeratnre  ,  Goettingne,  1779  ,  in-fi».  Ce 
trarail  et  le  soin  que  le  savant  Dîèze  prit  d'enri- 
cbir  d'an  grand  nombre  de  livres  espagnols  la 
bibliothèque  de  Goetlin):ue.dont  il  était  adminis- 
tralenr  ,  ont  sans  doute  <te  d'une  grande  uliiile  an 
professeur  Boaterwek  pour  la  composition  de  son 
eatimable  BaUiùe  de  la  UuinUure  erpi^^noU. 
V— G— E. 


VEL 

n'eût  trouvé  le  temps  de  plier  son  es- 
prit et  son  style  à  des  sujets  plus  lé- 
gers et  plus  gais.  Dès  l'année  1763  , 
il  avait  publié  un  ouvrage  dont  la 
sixième  édition  parut  sous  ce  titre  : 
VI.  Collection  de  différents  écrits 
relatifs  à  la  galanterie ,  avec  des 
notes,  par  Liberio  Veranio,  recueil- 
lies par   D.  Louis  de  Valdeûores  , 
contenant   plus    de  vérités  inédi- 
tes que  la  première  édition,  plus 
d'allégories  sans  but  que  la  secon- 
de ,  plus  de  riens  agréables  que  la 
troisième ,  plus  d'impertinences  que 
la  quatrième ,  plus  de  choses  origi- 
nales que  la  cinquième  ,  Cortejopo- 
lis,  l'an  64  de  l'ère  vulgaire  de  la 
galanterie  à  la  française ,  avec  la  per- 
mission que  l'auteur  s'est  donnée  de 
dire  les  vérités  du  jour  avec  une  élé- 
gante indiscrétion.  Cet  ouvrage  con- 
tient les  Eléments  de  la  galante- 
rie ;  l'Exercice   des  nuditos  (2)  et 
l'apologie  des  Eléments  de  la  ga- 
lanterie. C'est  une  satire  très  -  fine , 
non  -  seulement  des  ridicules  de  ce 
qu'on  nomme  galanterie  ,  mais  de 
plusieurs  usages  à  la  mode,  des  abus 
de  pouvoir,  etc.  Elle  fut  probable- 
ment la  source  des  persécutions  que 
le  marquis  éprouva  bientôt.  On  lui 
attribua  des  écrits  séditieux  qui  fu- 
rent  publiés  à  l'occasion  de  la  fa- 
meuse émeute  de  17G6.  Arrêté  par 
ordre  du  roi,  la  même  année,  il  fut 
conduit  d'abord  au  château  d'Ali- 
cante,  puis  renfermé  dans  celui  d'Al- 
hucemas,  en  Afrique.  Il  ne  recouvra 
sa  liberté  qu'en  janvier  177^  ,  et  se 
retira,  avec  sa  mère  et  ses  frères,  dans 
une  maison  de  campagne   près  de 
Malaga,  où  il  mourut  d'apoplexie, 
peu  de  mois  après.  Ses   livres   et 


'»)  Ce  nom  siguiGe  en  espagnol  peWj  niruJf ,  et 
par  abréviation />«(<<<  nudi.  Mais  il  est  difTicilede 
tradoire  prccisement  l'allégorie  de  l'auteur. 


VEL 

papiers,  qui  avaient  été  saisis  lors  de 
son  arrestation  ,  lui  furent  rendus  en 

f)artie ,  le  reste  ayant  été  perdu.  Il  a 
aissé  manuscrits:  y^pologie  de  la  re- 
ligion chrétienne  contre  les  impies 
de  ce  temps;  Histoire  critique  des 
calomnies  fulminées  par  les  Païens 
contre  les  premiers  Chrétiens;  Le- 
çons gongoriennes  :  c'est  une  criti- 
que du  style  obscur  et  romantique 
de  l'école  fondée  par  le  poète  Gon- 
gora  {Fo}-.  ce  nom);  Critique  des 
écrits  d'Amobe  (  f^.  ce  nom  ^  ;  Dis- 
sertation sur  une  médaille  de  Tar- 
ragone  ,  représentant  Tibère  et 
Drusus  ;  Histoire  de  la  ville  de  Ma- 
laxa ;  Essai  sur  l'histoire  univer- 
selle ;  Géographie  de  l'Espagne  ; 
Théorie  des  médailles  d'Espagne  ; 
Mémoires  historiques  sur  la  Bar- 
barie ;  Description  du  royaume  de 
Tunis  ;  Description  du  royaume  de 
Maroc  ;  Connaissance  et  usage  de 
monuments  antiques  originaux  et 
contemporains  de  l'histoire  d'Es- 
pagne ;  Histoire  naturelle  d'Espa- 
gne,  incomplète;  Discours  sur  les 
découvertes  faites  en  divers  lieux  du 
royaume  de  Grenade  ;  Connaissan- 
ces humaines  ;  Poésies  diverses ,  la 
plupart  satiriques ,  avec  des  notes 
marc;inales.  A — t. 

YELASQUEZ  CaRDENaS  Y 
LEO>  (  JoACQCiN  ) ,  savant  géo- 
mètre et  astronome  du  Mexique ,  né 
le  21  juillet  l'jSa  ,  dans  cette  con- 
trée, à  la  métairie  de  Santiago  Aube- 
docla  près  du  village  indien  de  Tizi- 
capan,  ne  se  forma  ,  pour  ainsi  dire, 
que  par  lui-même,  et  deviut,  dans  le 
dernier  siècle  ,  le  géomètre  le  plus 
distingué  que  la  Nouvelle-Espagne 
ait  eu  depuis  l'époque  de  Siguenza. 
A  l'âge  de  quatre  ans  ,  il  communi- 
qua la  petite  -  vérole  à  son  père  , 
qui  en  mourut.  Un  oncle ,  cure  de 
Xaltocan  ,  se  chargea  de  sou  éduca- 

XI,VIIl. 


VEL 


ik 


tion  et  le  fit  instruire  par  un  Indien  , 
tomme  de  beaucoup  d'esprit  naturel, 
et  très-versé  dans  la  connaissance  de 
l'histoire  et  de  la  mythologie  mexi- 
caines. Velasquez  apprit  à  Xaltocan 
plusieurs  langues  indiennes ,  et  l'u- 
sage de  récriture  hiéroglyphique  des 
Aztèques.  Il  est  à  regretter  qu'il  n'ait 
rien  publié   sur  cette  branche  inté- 
ressante de  l'antiquité.  Placé  à  Mexi- 
co, au  collège  Tridentin.  il  n'v  trouva 
presque  ni  professeurs  ,  ni  livres  ,  ni 
instruments  ;  avec  le  peu  de  secours 
qu'il  put  obtenir  il  se  fortifia  dans 
l'étude  des  mathématiques  et  des  lan- 
gues anciennes.  Un  heureux  hasard 
lit  tomber  entre  ses  mains  les  ouvra- 
ges de  Newton  et  de  Bacon.  Il  puisa 
dans  les  uns  le  goût  pour  l'astronomie, 
dans  les  antres  la  connaissance  des 
méthodes  philosophiques.  Pauvre,  ne 
trouvant  aucun  instrument  à  Mexico 
même,  il   se   mit  a   construire  des 
lunettes   et  des  quarts  de  cercle.  II 
fit  en  même  temps   le  métier  d'a- 
vocat,  occupation  qui,   au   Mexi- 
que comme  ailleurs  ,    est  plus   lu- 
crative que  celle  d'observer  les  astres. 
Ce  qu'il   gagna  par  son  travail   fut 
employé  à  acheter  des  instruments  en 
Angleteri'e.  Nommé  professeur  à  l'u- 
niversité, il  accompagna  le  visitador 
don  José  de  Galvez  dans  son  vovaîie 
a  Lasonora.  Envoyé  en  mission  à  la 
Californie,  il  prolita  de  la  beauté  du 
ciel  de  cette  péninsule ,  pour  y  faire 
im  grand  nombre  d'observations  as- 
tronomiques. Il  y  observa ,  le  premier, 
que  dans  toutes  les  cartes  ,  depuis 
des  siècles ,  par  une  énorme  erreur 
de  longitude,  cette  partie  du  nouveau 
continent  avait  été  marquée  de  plu- 
sieurs degrés  plus  à  l'ouest  qu'elle  ne 
l'est   elTectivcment.    Lorsque  l'abbé 
Chappe  arriva   en    Californie,  il  v 
trouva  déjà  établi  l'astronome  mexi- 
cain. Velasquez  s'était  fait  construire, 
6 


«2  VEL 

à  Sainte- Anne ,  un  observatoire  en 
planches  de  mimosa.  Ayant  déjà 
de'ierminé  la  position  de  ce  village 
indien  ,  il  apprit  à  l'abbé  Chappe 
que  l'éclipsé  de  lune  du  i8  juin 
l'jGc)  serait  visible  en  Californie,  Le 
géomètre  finançais  douta  de  cette  as- 
sertion jusqu'à  ce  que  l'éclipsé  an- 
noncée eût  lieu.  Velasquez  lui  seul  lit 
une  très-bonne  observation  du  ]Tas- 
sage  de  Vénus  sur  le  disque  du  soleil , 
le  5  juin  i7(Jf).  11  en  communiqua  le 
résultat,  le  lendemain  même  du  pas- 
sage, à  l'abbé  Cliappe  et  aux  astrono- 
mes espagnols  don  Vicente  Doz  et 
don  Salvador  de  Medicea.  Le  voya- 
geur français  fu  t  surpris  de  l'harmonie 
que  présenta  l'observation  de  Velas- 
quez avec  la  sienne.  Il  s'étonna ,  sans 
doute,  de  rencontrer  en  Californie 
un  Mexicain  qui,  sans  appartenir  à 
aucune  académie,  et  sans  être  jamais 
sorti  de  la  Nouvel'e-Espague ,  fai- 
sait autant  que  les  académiciens.  En 
1774)  Velasquez  exécuta  le  grand 
travail  géodésique  sur  la  Cordillère 
de  la  jNouvelle-Espagnc.  Le  service  le 
plus  essentiel  que  cet  homme  infatiga- 
ble ait  rendu  à  sa  patrie  est  l'établis- 
sement du  tribunal  de  l'école  des 
mines ,  dont  il  présenta  le  projet  à  la 
cour.  Il  finit  sa  carrière  laborieuse  le 
6  mars  1786  ,  étant  le  premier  di- 
recteur-général du  tribunal  de  mi- 
neria  ,  et  jouissant  du  titied'^'/ZcaZ- 
de  del  corte  honorario.       B — p. 

VELBRUCK  (François- Char- 
les ,  comte  DE  )  ,  ne,  le  11  juin 
1719,  d'une  ancienne  famille, 
dans  une  terre  près  de  Dussel- 
dorlF,  n'a  point  été  placé  par  la 
providence  sur  un  théâtre  qui  l'ait 
mis  à  même  d'exercer  une  grande 
influence  s'jr  son  siècle  j  mais  élu 
priuce-évèquc  de  Liège  ,  le  i(i  jan- 
vier 1772,  il  lit  le  bonheur  d'un 
demi-million  d'hommes  confiés  à  ses 


VEL 

soins  ,  et  son  administration  mérite 
d'être  citée  comme  modèle.  C'est  à 
ce  titre  que  nous  croyons  devoir  lui 
consacrer  quelques  lignes.  De  nom- 
breux établissements  de  bienfaisance, 
des  hospices,  des  dépôts  de  mendi- 
cité, des  écoles  ,  des  académies  pour 
l'encouragement  des  lettres,  des  scien- 
ces et  des  arts,  signalèrent  son  règne, 
qui  ne  dura  guère  que  douze  années. 
Ce  prélat  mourut  à  Liège  le  3o  avril 

1784.  Velbr.ick  aimait  à  s'entourer 
d'artistes,  de  gens  de  lettres,  et  il 
avait  lui-même  l'esprit  très-cultivé. 
La  plupart  de  ses  mandements,  entre 
autres  le  premier  qu'il  lit,  et  dans 
lequel  il  développa  ses  pensées  et  ses 
projets  ,  en  fournissent  des  preuves 
incontestables.  II  fut  en  quelque  sorte 
le  créateur  de  Spa  ,  qui  devint  bien- 
tôt le  rendez-vous  de  toute  l'Europe. 
La  société  d'émulation,  fondée  par 
lui  ,  plaça  son  buste  dans  la  salle  de 
ses  séances,  et  son  Éloge  funèbre  y 
fut  prononcé  par  le  poète  Reynier  , 
secrétaire  perpétuel  :  c'est  une  bro- 
chure in-4'^.   de  dix  pages,  Liège, 

1785.  St — T. 
VELDE  (IsaïeVan  den), peintre, 

naquit  à  Leyde  vers  l'an  1597  ,  et 
fut  élève  de  Pierre  Deneyn.  li  se  lit 
une  réputation  très-distinguée  par 
ses  tableaux  de  batailles.  Il  habi- 
ta successivement  Harlem  et  Leyde  , 
et  ses  ouvrages  furent  toujours  re- 
cherchés et  payés  fort  cher.  Les  su- 
jets qu'il  aimait  à  l'eprésenter  étaient 
des  rencontres  de  cavaliers  ou  des 
attaques  de  voleurs.  Il  dessinait  ses 
figures  avec  esprit ,  et  plusieurs  pein- 
tres ont  eu  recours  à  lui  pour  pein- 
dre celles  qu'ils  introduisaient  dans 
leurs  tableaux.  Il  cultiva  aussi  la 
gravure  à  l'eau  -  forte ,  et  l'on  a 
de  sa  main  quatre  pièces  exécutées 
avec  beaucoup  d'intelligence  et  de 
fermeté.  Ce  sont  :  I.  Un  Paysa- 


VEL 

ge  qui  représente  l'entrée  d'un  vll- 
Jage  avec  beaucoup  de  figures^  et 
sur  le  devant  un2  foule  de  paysans 
occupés  à  boire  et  à  manger ,  in-fol. 
II.  Paysage  où  l'on  voit  une  route 
et  un  pont;  sur  le  premier  plan^ 
sont  une  tour  ronde  et  un  vacher  qui 
garde  ses  vaches  avec  sa  femme  , 
in-4°-  III-  Paysage  orné  de  ruines 
et  de  maisons  rustiques,  petit  in-fol. 
IV.  Paysage  avec  des  chaumières  et 
une  bergerie. — Jean  Van  den  Velde, 
frère  du  précédent,  naquit  à  Leyde 
vers  1 598.  Il  excellait  à  peindre  des 
paysages,  des  kermesses  ,  des  scènes 
rustiques  ;  mais  c'est  comme  gra- 
veur qu'il  est  plus  spécialement  con- 
nu. Il  employait  tour-à-lour,  dans 
son  travail  ,  la  pointe,  le  burin  ,  et 
produisait  les  effets  les  plus  piquants 
de  clair-obscur.  Il  opérait  de  deux 
manières  tout-à-fait  opposées.  Dans 
la  première,  qu'il  réservait  pour  le 
paysage  ,il  se  servait  de  l'eau-forte  , 
et  exécutait  d'une  manière  libre  et 
peu  terminée.  Dans  la  seconde,  qui 
était  pour  les  sujets  finis,  il  se  ser- 
vait presque  exclusivement  du  burin, 
ne  s'aidant  de  la  pointe  sèche  que 
dans  quelques  parties.  Ses  gravures 
sont  remarquables  par  une  grande 
netteté.  Il  sut  tirer  parti  avec  in- 
telligence des  lumières  naturelles  et 
artificielles.  Parmi  ses  portraits^  au 
nombre  de  douze ,  on  distingue  celui 
d'Olivier  Cromwell, dont  la  planche 
préparée  par  la  manière  noire,  est 
gravée  avec  la  pointe  sèche  :  ce  por- 
trait, grand  in-fol. ,  est  très-rare  j 
ainsi  que  celui  de  Jean  Torren- 
tius.  Ses  sujets  divers  et  ses  pay- 
sages sont  très-nombreux ,  Huber 
et  Kost ,  dans  le  Manuel  des  ama- 
teurs de  l'Art ,  se  bornent  à  indiquer 
les  plus  remarquables,  au  nombre  de 
98.  Jean  vivait  encore  en  lô'^-y. 
— Velde  (Guillaume  Van  den),  sur- 


VEL 


8^ 


nommé  le  vieux,  dessinateur^  naquit 
à  Leyde  en  itiio.  Fort  jeune  encore, 
il  embrassa  le  métier  de  marin,  et 
fit,  en  cette  qualité,  plusieurs  voyages 
sur  mer.  Il  étudia  en  détail  la  cons- 
truction et  la  manœuvre  des  vais- 
seaux; quoiqu'iln'eûtpour  maître  que 
son  génie ,  on  vit  tout-à-coup  sor- 
tir de  sa  main  de  beaux  dessins  sur 
papier,  représentant  toutes  sortes  de 
navires.  Entendait-il  dire  qu'on  allait 
livrer  un  combat  naval  ,  il  s'em- 
barquait sans  autre  but  que  d'être  té- 
moin de  l'action  et  d'en  rendre  toutes 
les  circonstances  avec  plus  d'exacti- 
tude. Les  Etats  de  Hollande  firent 
équiper  pour  lui  une  petite  frégate, 
avec  ordre  au  capitaine  de  se  trans- 
porter dans  toutes  les  positions  que 
Van  den  Velde  lui  prescrirait.  On  le 
vit  alors  s'engager  dans  le  fort  d'un 
combat  naval,  et  aller  jusqu'au  mi- 
lieu de  la  flotte  ennemie  pour  exami- 
ner ses  manœuvres.  L'amiral  Opdam 
ne  put  s'empêcher  d'admirer  le  cou- 
rage de  l'artiste  ;  il  l'invita  à  dîner 
sur  son  bord ,  pendant  le  combat , 
et  il  n'y  avait  qu'un  instant  que 
Van  den  Velde  l'avait  quitté  quand 
le  vaisseau  amiral  sauta  en  l'air.  En 
1666,  il  fut  chargé  par  les  États 
de  dessiner  le  combat  qui  eut  lieu 
en  vue  d'Ostende ,  entre  les  flot- 
tes anglaise  et  hollandaise  ,  sous  les 
ordres  de  Monck  et  de  Ruyter.  Cha- 
que mouvement  de  cette  action  ,  qui 
dura  depuis  le  1 1  jusqu'au  i4  jnin, 
fut  reproduit  avec  une  CKactitude  si 
grande,  qne  les  Etats  purent  se  servir 
de  ses  dessins  pour  connaître  les  ma- 
nœuvres et  la  conduite  des  officiers 
de  la  flotte.  Sa  réputation  se  répandit 
bientôt  dans  toute  l'Europe.  Le  roi 
Charles  II  l'appela  à  sa  cour  ,  et  le 
prit  à  son  service;  et  il  jouit  de  la 
même  faveur  sous  le  règne  de  Jacques 
II,  successeur  de  ce  prince.  Il  fit, 

G.. 


84 


VEL 


pour  ces  deux  monarques  ,  un  grand 
nombre  de  dessins ,  où  l'on  ne  sau- 
rait trop  admirer  l'exactitude  avec 
laquelle  il  a  su  rendre  tout  ce  que 
la  mer  a  de  majestueux  et  de  terrible. 
Il  dessinait  ordinairement  sur  du  pa- 
pier blanc  ^  sur  des  toiles  imprimées 
en  blanc  ou  sur  des  papiers  colles  sur 
toile.  Jamais  personne  n'a  manié  la 
plume  avec  autant  de  facilite,  d'art 
et  d'intelligence.  Sur  la  fin  de  ses 
jours,  il  essaya  de  peindre;  mais  il 
fut  oblige  d'y  renoncer.  11  mourut  à 
Londres  le  16  de'c.  i^gS ,  et  fut 
enterré  dans  l'église  de  Saint-Jac- 
ques.—  Guillaume  Van  den  Velde 
le  jeune ,  fils  du  précèdent ,  naquit  à 
Amsterdam  en  i633.  Son  père  lui 
apj)rit  à  dessiner  les  marines  j  mais 
ayant  été  appelé  à  la  cour  d'Angle- 
terre, il  confia  ,  pendant  son  absence, 
le  jeune  Guillaume  aux  soins  de 
Vlieger  ,  peintre  estimé.  Van  den 
Velde  fut  bientôt  en  état  de  se  passer 
de  maître.  Quelques  marines  qu'il 
envoya  à  sou  père  frappèrent  ce 
dernier  d'étonneraent  :  il  les  montra 
au  roi  Jacques  II ,  qui  s'empressa  de 
faire  venir  le  jeune  ai'tiste  à  sa  cour, 
avec  une  pension  considérable.  Les 
travaux  qu'on  lui  ordonna  occupèrent 
dès-lors  tous  ses  loisirs.  Il  fut  char- 
gé de  peindre  les  actions  les  plus 
mémorables  des  Hottes  anglaises  , 
pour  être  placées  dans  les  maisons 
royales.  Malgré  ces  travaux  multi- 
pliés, il  trouva  encore  le  temps  de 
peindre  quelques  tableaux  pour  de 
riches  amateurs,  qui  les  lui  payèrent 
fort  cher.  Sa  vogue  devint  si  grande 
en  Angleterre,  que ,  non  contents  de 
posséder  l'artiste,  les  amateurs  firent 
recherchera  grand  prix,  sur  le  con- 
tinent, tous  les  tableaux  que  Van  den 
Velde  y  avait  exécutés  ;  ce  qui  leur 
donna  une  valeur  extraordinaire  , 
et  les   a  rendus  très -rares.  Il  est 


VEL 

vrai  que  cette  vogue  est  bien  justi- 
fiée par  le  mérite  de  ses  ouvrages. 
Sa  couleur  est  d'une  transparence  , 
d'une  ûuesse  et  d'une  légèreté  qui 
u'ôtent  rien  à  sa  vigueur  ;  les  tons 
en  sont  chauds  et  dorés.  Il  dessinait 
les  vaisseaux  et  les  frégates  avec  une 
précision  ,  une  exactitude  et  une  élé- 
gance peu  communes.  Il  excellait  sur- 
tout à  représenter  l'agitation  des  va- 
gues et  leur  brisement  contre  les  ro- 
chers. Ses  ciels  sont  clairs,  et  ses 
nuages  touchés  avec  une  si  grande 
légèreté  ,  qu'on  croit  les  voir  passer 
dans  l'air.  Ces  diverses  qualités  le  fi- 
rent regarder ,  de  son  temps ,  comme 
le  plus  habile  peintre  de  marine  que 
l'on  eût  vu  jusqu'alors,  et  il  a  con- 
servé sa  réputation.  Le  musée  du 
Louvre  a  jiossédé  quelques  tableaux 
de  ce  maître.  I.  Une  mer  calme 
couverle  de  vaisseaux.  Des  pêchcHrs 
proiitent  da  la  descente  de  la  marée 
pour  prendre  les  poissons  qu'elle 
abandonne.  TI.  Bâtiments  en  pleine 
mer.  L'un  d'eux  lâche  une  bordée 
de  stribord  et  de  bâbord.  III.  Mari- 
ne  en  temps  calme  ,  couverte  d'un 
grand  nombre  de  bâtiments.  Quel- 
ques-uns portent  le  pavillon  hollan- 
dais. IV.  Temps  calme  sur  mer, 
barques  et  vaisseaux  à  trois  mdts. 
Ces  tableaux  ont  été  repris  en  i8i5 
par  le  royaume  des  Pays-Bas.  Guil- 
laume Van  den  Velde  mourut  fort 
riche,  à  Londres,  le  6  avril  1707. 
—  Adrien  Van  den  Velde  ,  l'un  des 
plus  grands  paysagistes  qu'ait  pro- 
duits la  Hollande ,  naquit  à  Amster- 
dam en  iôSq.  Wéme  avant  d'avoir 
eu  des  maîtres,  il  composait  déjà 
des  tableaux.  Ces  rares  dispositions 
décidèrent  son  père  à  céder  à  un 
penchant  auquel  il  s'était  jusqu'alors 
vainement  opposé.  Il  le  plaça  chez 
Wynanls  ,  qui  fut  frappé  du  goût  et 
de  l'exactitude  avec  lesquels  il  avait 


VEL 

appris  de  lui-même  à  dessiner  des 
chèvres  ,  des  moutons  et  des  vaches. 
Sous  un  aussi  habile  maître,  le  jeune 
Adrien  ne  tarda  pas  à  faire  les  pro- 
grès les  plus   rapides.  Wynants  se 
plut  à  lui  donner  tous  les  secrets  de 
son  art,  et  lui  apprit  surtout ,  ce  qui 
est  le  point  le  plus  essentiel  pour  un 
artiste  ,    à  bien  étudier  la   nature. 
Enfin ,    par    les  sages  conseils    de 
son  maître  ,   il   ne    passait  pas  un 
jour  sans  aller  dans  la  campagne  , 
son  crayon  en  main ,  dessiner  d'après 
nature  des  vues  ,  des  animaux  ,  des 
arbres  ,  les  différents  effets  de  la  lu- 
mière ,  les  nuages;  et  tant  qu'il  vécut 
il  n'abandonna  point  cette  méthode. 
11  n'avait  pas  ÎDorné  ses  études  au 
seul  paysage  :  il  en  fit  une  toute  par- 
ticulière de  la  figure,  ce  qui  ajouta 
lin  grand  prix  à  ses  propres  ouvra- 
ges ,  et  lui  permit  encore  d'en  or- 
ner les  paysages  de  plusieurs  artis- 
tes du  premier  mérite ,  tels  que  Ruys- 
dael ,  Holbema ,  Moucheron ,  Van- 
der-Heyden ,  et  même  de  son  pro- 
pre maître  ,  qui,  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
reconnu  qu'il  pouvait  sans   crainte 
profiter  du  talent  de  son  élève ,  avait 
employé   le  pinceau   de    Wouwer- 
nians.  Dansie  choix  de  ses  sujets,  dans 
l'agrément  de  ses  scènes,  aussi  bien 
que  dans  l'excellence  de  sa  couleur  , 
il  est  dij'iicile  de  trouver  un  artiste 
qui   lui  soit   supérieur  •  et   comme 
la    nature    était  constamment    sou 
modèle  ,   ses  compositions  tirent  un 
nouveau  prix  de  leur  vérité.  Sa  touche 
est   libre  et  sûre.    Ses  arbres  sont 
pleins  de  nature  et  bien  dessinés  ;  son 
feuille  est  exprimé  avec  soin  et  avec 
esprit.   Ses   ciels  surtout  sont  par- 
ticulièrement remarquables  par  leur 
éclat  ;   il  avait   observé    avec    une 
étude  approfondie  les  effets  de  la  lu- 
mière sur  chaque  objet  différent ,  et 
il  a  su  en  reproduire  les  divers  acci- 


VEL 


85 


dents  avec  un  talent  rare ,  soitqu'clle 
se  joue  à  travers  les  branches   des 
arbres  ,  ou  sur  la  surface  des  eaux  , 
soit  qu'elle  se  promène  sur  les  trou- 
peaux ou  sur  les  différents  plans  de 
la  scène.  Mais  quoique  Adrien  soit 
surtout  connu  comme  paysagiste  et 
peintre  d'animaux  ,  il  n'a  pas  craint 
de  traiter  en  grand  quelques  sujets 
d'histoire  ;  et  le  succès  avec  lequel  il 
l'a  fait  prouve  qu'il  n'eût  pas  moins 
bien  réussi  dans  ce  genre.   On  voit 
dans  l'église   catholique   d'Amster- 
dam ime  Desceîite  de   croix  dont 
les  personnages  sont  grands  comme 
nature  ,  et  qui  renferme  une  foule  de 
beautés.  Il  a  peint,  avecun  succès  non 
moins  réel  ,  une  suite  de  sujets  his- 
toriques tirés  de  la  Passion  de  Jésus- 
Christ.  Quoique  toutes  les  com])Osi- 
tions  de  ce  maître  soient  terminées 
avec  un  soin  qui  n'en  exclut  pas  la 
chaleur  ,  que  ses  ligures  soient  par- 
faitement dessinées ,  que  ses  animaux 
soient  remarquables  par  leur  carac- 
tère ,  par  la  vie  qui  les  anime  ,  par 
la  vérité  de  leurs  allures  cl  de  leurs 
habitudes  ;  lorsque  l'on  songe    eu 
outre  qu'il  a  enrichi  de  ligures  une 
quantité   considérable   de    paysages 
d'autres  artistes,  il  est  évident  qu'il 
a  dû  être  infatigable  au  travail  ,  et 
qu'il  peignait   avec   une  facilité  ex- 
traordinaire ,  puisque  n'ayant  vécu 
que  jusqu'à  trente-trois  ans  ,  il  a  pu 
exécuter  tous  les  ouvrages  que  l'on 
connaît  de  lui.  Ses  tableaux  sont  ex- 
trêmement recherchés,   et  l'on  paie 
des   prix  exorbitants  ceux  que  l'on 
peut  trouver.  On  en  ûiit  surtout  une 
grande  estime  d;t;!S  les  Pays-Bas,  où 
il  est  regardé  comme  un  des  peintres 
flamands  les  plus  émiuents.  Le  musée 
du  Louvre   [)ossède  huit  de  ses   ta- 
bleaux. ï.  i/^ra  troupeau  de  bœufs  ou 
de  moutons  au  bord  d'une  rivière. 
Sur   le  second  plan  ,  sont  deux  bcr- 


86 


VFX 


gers  ,  dont  l'iin  pêche  à  la  ligue. 
Effet  du  soleil  levant.  U.  Un  pâtre  et 
sa  femme  jouant  avec  leur  enfant 
enfaisant  paître  leur  troupeau.  III. 
Pâturage  couvert  de  troupeaux. 
Sur  la  gauciie  ,  une  chaujaière  près 
de  laquelle  sont  deux  hommes  et  une 
femme  assis.  IV.  Promenade  d'un 
prince  de  la  maison  d' Orange  sur 
la  plage  de  Schevelingeji.  V.  Pas- 
sage et  animaux.  Dans  le  lointain 
on  voit  une  liôtelicrie.  VI.  Les  amu- 
sements de  l'hiver.  Y\I  et  VIII. 
Deux  Marines.  Le  même  établisse- 
ment a  renferme' cinq  autres  tableaux 
de  ce  maître,  qui  ont  été  rendus ,  en 
i8i5  ,  au  roi  des  Pays-Bas.  Adrien 
forma  plusieurs  élèves  ,  parmi  les- 
quels le  plus  distingué  fulThiériVan 
Éerghcn.  Van  den  Velde  mourut  à 
Amsterdam  le  20  janvier  i6'j2.  On 
a  de  ce  maître  un  certain  nombre 
d'estampes  gravées  d'une  pointe  fer- 
me et  spirituelle  ,  et  dans  lesquelles 
on  retrouve  les  qualités  qui  distin- 
guent ses  tableaux.  Il  marquait  ses 
pièces  des  lettres  initialesde  son  nom 
A.  V.  V.  Ce  sont  vingt-une  estampes 
représentant  :I.  Des  vaches  qui  pais- 
sent et  d'autres  animaux  ,  au  nom- 
bre de  quinze.  II,  Le  berger  dor- 
mant ,  morceau  très-rare.  III.  La 
place  d'un  bourg.  IV.  La  halte  de 
deux  chasseurs.  Ces  deux  pièces 
sont  extrêmement  rares.  V.  Lepaj- 
san  st  la  paysanne.  \'I.  Le  paysan 
à  cheval ,  extrêmement  rare.  VII. 
Paysage  ,  en  partie  borde'  par  une 
rivière.  Jusqu'à  présent  on  ne  con- 
naît que  deux  épreuves  de  ce  mor- 
ceau :  l'une  était  dans  le  cabinet 
Rigal,  vendu  à  Paris  en  181 7,  l'au- 
tre appartient  au  roi  des  Pays-Bas. 
Bartscli  n'eu  a  pis  parlé.        P — s. 

VELDE  (Cqables-Fbançois  Van 
DER)?"é  à  Brcslau  le  17  septem- 
bre 1779,  remplit  en  Silésie  diflé- 


VEL 

reutes  fonctions  de  magistrature  , 
et  se  distingua  dans  les  lettres  ,  parti- 
culièrement dans  le  genre  du  roman, 
demanière  à  mériterle  nom  honorable 
de  TValter-Scott  allemand.  Il  com- 
mença sa  carrière  littéraire  en  1809, 
par  de  petites  pièces ,  qu'il  faisait 
inséier  dans  les  journaux.  11  travail- 
lait eu  même  temps  pour  les  théâtres 
de  Breslau ,  de  Vienne,  de  Prague  et 
de  Magflebourg  ,  et  lit  jouer,  entre 
autres  pièces  :  V Armée  qui  porte  le 
ravage ,  et  le  Théâtre  des  ama- 
teurs. Mais  n'obtenant  que  peu  de 
succès  au  théâtre,  il  se  livra  tout  en- 
tier à  la  composition  de  ses  romans, 
et  s'il  est  loin  d'égaler  dans  ce  genre 
l'homme  célèbre  auquel  ou  lui  a  fait 
l'honneur  de  le  comparer,  on  jieut 
dire  qu'il  lui  est  quelquefois  supérieur 
par  des  tableaux  de  mœurs  fort 
exacts  et  fort  touchants  ,  et  surtout 
par  un  style  simple  et  correct.  De- 
jniis  i8i7,il  travaillaitpourle  Jour- 
nal du  soir ,  et  cette  feuille  lui  dut 
la  vogue  qu'elle  eut  dès  ce  mo- 
ment. Cet  écrivain  estimable  fut  en- 
levé aux  lettres  dans  le  mois  de  mars 
1824,  par  une  mort  prématurée. 
Les  OEuvres  de  Vau  der  Velde  ont 
paru  à  Dresde  ,  en  i4  vol.  in-8°. , 
1828  ;  seconde  édition  ,  18  vol. 
On  a  traduit  en  français  :  I.  Nad- 
doclc  le  noir,  ou  le  Brigand  des 
Pyrénées.,  1825,  3  vol.  in-12.  II. 
JVlasJca.,  ou  les  Amazones  de  Bohê- 
me, 1826,  3  vol.  iu-i2.  III.  Les 
Anabaptistes,  1826,  iu-12.  IV. 
Les  Patriciens ,  1826,  in-12.  V. 
Arwed- Gyllenstiema  ,  1826,  2 
vol.  in-12.  Ces  trois  derniers  ouvra- 
ges ,  traduits  par  M.  A.  Loève-Vei- 
mars,  forment  la  première  livraison 
des  Bomans  historiques  de  Van  der 
Velde,  traduits  en  français  ,  col- 
lection qui  doit  avoir  environ  vingt 
volumes.  G — y. 


VEL 

VELDECK  ou  VELDIG  (Henri 
UE  ),  l'un  des  plus  anciens  minnésin- 
gers  ou  poètes  allemands ,  était  ori- 
ginaire de  la  Basse- Allemagne ,  et  vé- 
cut ,  au  commencement  du  treizième 
siècle  ,  à  la  cour  des  princes  de  Thu- 
ringe  et  de  la  Basse-Saxe.  Il  assista  , 
en  1 206 ,  au  fameux  combat  litté- 
raire   de    Wartbourg.   Les  poésies 
par  lesquelles  il  a  illustré  l'Époque 
des  pi'inces  souabes  sont  :  I.  h'Enéi- 
de ,   qui  est  moins  une    traduction 
du   poète  latin  qu'une  imitation  de 
l'ouvrage  publié  en  langue  françai- 
se ou  provençale,  par  Glirestiens  de 
Troyes ,  sous  le  titre  de  Roman  de 
VEris  et  l'Enéide  mis  en  rimes.  Le 
manuscrit  se  trouve  dans  les  biblio- 
thèques de  Gotha,  de  Vienne  et  de 
Dresde.  Il  a  été  publié  dans  le  Re- 
cueil àe  Muller,  Berlin,   1784.  On 
y    compte    i3,33i     vers.    Dans  la 
préface    est    une    Dissertation    cu- 
rieuse :   De  antiquissimd  yEncidos 
versione     germanicd   Henrici    de 
Veldeck  anlè   sexcentos  ferè  an- 
nos  concinnatd  ,  cujiis  codex  ma- 
nuscriptus  asservatur  in  bibliothecd 
ducis  Saxo  -  Gothani.  D'après  ce 
qu'on  y  lit,  Veldeck  avait  terminé 
son  travail  lorsque  Louis,  landgrave 
de  Thuringe,  épousa  une  fille  du  land- 
grave de  Clèves.  La  ])rincesse ,  à  qui 
l'auteur  avait  présenté  son  ouvrage, 
le  garda  avec  si  peu  de  soin ,  qu'il 
fut  égaré  pendant  neuf  ans.  Veldeck, 
ayant  eu  le  bonheur  de  le  retrouver, 
le  revit  et  le  mit  au  jour  ,  vers  l'an 
1180.    Si   nous    l'avions    tel    qu'il 
est   sorti    des    mains   de  Veldeck  , 
cet  ouvrage  serait  la  plus  ancienne 
production   des    troubadours    alle- 
mands ;  et  nous  y  trouverions  leur 
langue  et  leur  manière  d'écrire  tel- 
les    qu'elles     étaient   à    la    fiu   du 
douzième  siècle  j  mais  le  plus  an- 
cien   manuscrit  ,    celui  de  Gotha  , 


VEL 


87 


n'a   été  transcrit    que    vers    la    fin 
du    quatorzième    siècle.     Celui    de 
la  bibliothèque  de  Vienne  n'est  que 
de  l'an   i474;   ^t  il  n'est  point  fa- 
cile de  discerner  ce  que  les  copistes 
peuvent  avoir  changé  ou  ajouté  ,  afin 
de  le  rendre  plus  intelligible  à  leur 
siècle.  II.  Ernest ,  duc  de  Bavière, 
poème  épique ,  qui  se  trouve  en  ma- 
nuscrit, à  la  bibliothèque  de  Gotha. 
Veldeck  assure  qu'il  en  prit  le  texte 
dans  un  ouvrage  latin ,  qui  est  pro- 
bablement Carmen  de  varia  Ernes- 
ti,  B avarice  ducis ,  fortund  ,  publié 
par   Martene  ,  dans   sou    Thesaur. 
anecd. ,  m,  pag.  335 j  et  par  Ec- 
kard,  dans  son  Comment,   de  reb. 
Franc.  Orient.,  pag.  5 10.  Ce  poème, 
dans  lequel  Veldeck  a  chanté  les  en- 
treprises guerrières  et  les  infortunes 
d'Ernest  ,  fut  accueilli  avec  grande 
faveur.     Ces    infortunes     sont    de- 
venues si  populaires  en  Allemagne 
que  les  enfants  même  apprennent  à 
les  chanter.  III.  Légende  du  bien- 
heureux   S.    Gervais  ,    évêque  de 
Maëstrich,  4  chants,  qui  se  trouvent 
dans  la  Collection  de  Manassen  et  à 
la  bibliothèque  du  Vatican.  Veldeck 
est  un  des  minnésingers  qui   ont  le 
plus  contribué  à  l'illustration  de  l'é- 
poque que  l'on  appelle  période  des 
empereurs  souabes.  C'est  l'âge  d'or 
de  la  poésie  allemande  :  elle  fleurit  et 
disparut  avec  ces  princes.  La  gloire 
des  minnésingers  est  un  phénomène 
étonnant  dans  l'histoire.  On  en  cher- 
che la  cause  dans  les  difrércntes  cir- 
constances du  temps,  et  surtout  dans 
les  croisades.  L'Occident  s'était  jeté 
sur  la  Terre-Sainte:  les  cruiscs,  re- 
venus de  l'Orient,  en  racontaient  des 
choses  merveilleuses  ;  et  leurs  récits 
enflammaient  tous  les  esprits  roma- 
nesques. De  la  Provence  ,  les  chants 
des  troubadours  passèrent  en  Alle- 
magne ,  et  les  minnésingers  y  tioit- 


m. 


VEL 


rèrent  des  modèles  à  imiter.  C'est  à 
\  eldeck  que  commence  celle  suite  de 
])oètes  souabes ,  qui ,  pendant  plus  de 
deux  cents  ans,  ont  compte'  parmi 
eux  des  princes ,  des  rois ,  des  empe- 
reurs. En  1 206 ,  Hermann ,  landgra- 
ve de  Thuringe,  rassembla ,  dans 
son  château  de  Wartbourg ,  les 
mimîësiugers  les  plus  renommés.  Il 
les  engagea  dans  un  combat  litté- 
raire, où  brilla  Veldeck,  et  que  l'un 
d'eux  a  décrit  sous  le  litre  de  la 
Guerre  de  Wartbourg.      G — y. 

VELEZ.  Foy.  Guevara,  XIX  , 
41. 

VELLA  (Joseph  ),  né  à  Malle  , 
chapelain  de  l'ordre,  et  faussaire  lit- 
téraire ,  est  connu  à  ce  dernier  titre. 
Se  trouvant  à  Palerme  ,  en  1782  ,  il 
accompagna  Mohammed  ben  Oth- 
man  dans  la  visite  que  cet  ambassa- 
deur marocain  fit  à  l'abbaye  Saint- 
Martin.  Ayant  appris  de  Louis  Mon- 
cada  ,  gentilhomme  sicilien  ,  que 
depuis  long-temps  on  croyait  pos- 
séder un  manuscrit  arabe,  qui  rem- 
plissait une  lacune  de  près  de  deux 
siècles  dans  l'histoire  de  la  Sicile , 
pendant  le  moyeu  âge  ,  il  imagina  , 
après  le  départ  de  Mohammed ,  de 
dire  que  cet  Africain  avait  trouvé 
dans  la  bibliothèque  de  Saint-Martin 
«a  manuscrit  contenant  la  corres- 
pondance entre  les  gouverneurs  ara- 
bes de  la  Sicile  et  leurs  maîtres  les 
souverains  de  l'Afrique.  A  l'appui  de 
cette  première  imposture,  Vella  sup- 
posa avoir  établi  une  correspoudance 
avec  Mohammed  ,  et  bientôt  après  , 
il  annonça  la  découverte  à  Fez  d'un 
second" exemplaire  du  manuscrit  de 
l'abbaye  de  Saint-Martin  ,  mais  plus 
étendu  ;  puis  la  découverte  d'un  au- 
tre ouvrage  qui  servait  de  continua- 
tion à  celui-ci ,  et  qui  était  relatif  à 
la  domination  des  Normands  en  Si- 
cile j  enfin  une  suite  de  médailles 


VEL 

confirraativcs  du  contenu  des  ma- 
nuscrits. Alphonse  Airoldi  ,  arche- 
vêque d'Héraclée,  juge  de  la  légation- 
apostolique  et  de  la  monarchie  de  la 
Sicile,  se  déclara  le  protecteur  de 
Vella ,  et  pourvut  à  toutes  les  dé- 
penses que  la  publication  de  l'ou- 
vrage exigeait.  Sous  les  auspices  du 
prélat,  parut ,  en  1789,  le  premier 
volume  du  Codice  diplomatico  di 
Sicilia  sotto  il  governodegli  Arabi^ 
publicato  per  opéra  e  studio  di  Al- 
fonso  Airoldi ,  etc.  C'était  une  tra- 
duction italienne  faite  par  Vella  du 
manuscrit  arabe;  Airoldi  y  avait 
ajouté  des  notes,  et  une  longue  pré- 
face ou  introduction.  Cinq  autres 
volumes  virent  le  jour  j  le  sixième , 
qui  est  de  1792  ,  devait  être  encore 
suivi  de  deux  autres.  A  l'apparition 
du  premier ,  des  doutes  furent  élevés 
par  beaucoup  de  savants  sur  l'au- 
tbenticité  du  texte  original.  Airoldi 
résolut  de  le  faire  imprimer,  et  pour 
cela  il  acquit  de  Bodoni  une  fonte  de 
caractères  arabes.  Vella  ,  loin  d'èlre 
eifrayé  par  les  doutes  manifestés  sur 
le  Codice  diplomatico  ,  fit  paraître 
à  Païenne,  en  1798  ,  aux  frais  du 
roi  de  Naples,  le  premier  volume  de 
deux  éditions  ,  dont  la  principale  , 
dans  le  format  in-folio  ,  contenait  le 
texte  arabe  avec  la  traduction  ita- 
lienne du  prétendu  manuscrit  décou- 
vert à  Fez ,  et  intitulé  :  Kitab  di- 
van Mesr ,  ou  Libro  del  consiglio 
d'Egitto.  On  imprimait  le  second 
volume,  lorsqu'après  plusieurs  exa- 
mens ,  l'imposture  devint  évidente 
aux  yeux  les  plus  fascinés.  Vella  finit 
par  avouer  lui-même  ce  qu'il  avait 
fait;  il  fut,  en  1796,  condamné  à 
quinze  ans  de  prison;  le  bénéfice  de 
Saint- Pancrace  ,  une  pension  qui 
avait  été  accordée  à  Vella,  et  ses 
autres  biens  furent ,  sauf  une  rente 
alimentaire  de  trente-six  onces  d'or , 


VEL 

adjuges  au  fisc  jusqu'à  rembourse- 
ment des  dépenses  faites  par  le  tré- 
sor royal  pour  le  kitah ,  etc.  Ce 
qui  était  imprime  du  second  vo- 
lume fut  détruit  j  et  ce  qu'il  y  a 
de  singulier ,  c'est  que  le  jugement 
fut  porté  par  ce  même  Al]>lionse 
Airoldi  qui  avait  été  si  longtemps 
sa  dupe.  Vella  est  mort  il  y  a  quel- 
ques années.  M.  J.  Hager  a  donné 
sur  ses  deux  publications  désignées 
aussi ,  l'une  sous  le  titre  de  Code 
martinien  ,  l'autre ,  sous  celui  de 
Càde  normand ,  une  brochure  alie- 
mande  ,  dont  la  traduction  française 
est  intitulée  :  Relation  d'une  insigne 
imposture  littéraire  ,  découverte 
dans  un  voyage  fait  en  Sicile  ,  en 
1 794  ,  par  M.  le  docteur  Hager , 
Erlang  ,  1799  ,  in-S**.  M.  Silvestre 
de  Sacy ,  qui  a  rendu  compte  de  la 
Relation  ,  etc.  ,  dans  le  Magasin 
encyclopédique  ,  v*^.  année  ,  tome 
VI ,  pages  33o-356  ,  a  fourni  de 
Nouveaux  renseignements  sur  l'af- 
faire de  Vella  dans  le  même  jour- 
nal ,  vi*^.  année ,  tome  v ,  pag.  3j;8- 

339.  Z. 

VELLÉDA  ou  VELÉDA  ,  la  plus 
célèbre  des  propbétesses  de  la  Ger- 
manie, appartenait  à  la  nation  des 
Bructcres ,  mais  exerçait  une  influen- 
ce en  quelque  sorte  magique  sur  tou- 
tes les  peuplades  barbares  dissémi- 
nées le  longdesdeuxrivcsduRhin.  On 
sait  par  Tacite  et  par  quelques  autres 
écrivains  que  les  Germains  s'accor- 
daient à  trouver  dans  les  femmes 
quelque  chose  de  céleste ,  et  que ,  dans 
les  affaires  les  plus  importantes ,  ils 
se  soumettaient  à  leurs  décisions  com- 
me à  des  oracles.  Aussi  leurs  villa- 
ges et  leurs  huttes  roulantes  étaient 
remplis  de  prêtresses  qui,  les  unes 
par  intervalles,  les  autres  continuel- 
lement ,  prétendaient  dévoiler  les 
mystères  de  l'avenir.  Yelléda  vivait 


VEL  89 

à-peu-près  au  milieu  du  premier  siè- 
cle de  l'ère  chrétienne,  en  70,  lors- 
que la  Gaule  presque  tout  entière  se 
souleva  à  la  voix  de  Civilis.  Elle 
n'avait  pas  attendu  les  progrès  de  la 
rébellion  pour  se  déclarer  ;  et  dès  !a 
première  levée  de  boucliers,  animée 
d'un  enthousiasme  patriotique  et  sau- 
vage, elle  annonça  la  défaite  totale 
et  l'anéantissement  des  Romains  , 
qui,  déchirés  déjà  par  les  guerres  ci- 
viles qui  suivirent  la  mort  de  Né- 
ron ,  ne  pouvaient  opposer  que  de 
faibles  dicfues  à  la  fureur  des  Gaulois 
et  des  Belges.  Les  premiers  succès 
des  troupes  révoltées ,  la  défection 
de  Classicus  et  de  Tutor,  l'entrée 
triomphale  de  Civilis  à  Vetera  Cas- 
tra ,  justifièrent  dans  les  coraraeuce- 
menls  son  audacieuse  prophétie^  et 
lui  concilièrent  la  conliance  des  al- 
liés. Par  elle  les  Caninéfates  et  même 
les  Ubiens ,  anciens  et  fidèles  alliés 
des  Romains,  se  laissèrent  entraîner 
dans  la  coalition  formée  contre  les 
Romains.  Civilis,  après  la  prise  de 
Vetera ,  lui  avait  livré ,  avec  des 
dépouilles  magniliques,  plusieurs  offi- 
ciers ennemis  de  la  plus  haute  dis- 
tinction; et  dans  la  suite,  les  Ger- 
mains s'étant  emparés  par  sur])rise 
de  la  plupart  des  vaisseaux  de  Peti- 
lius  Cerealis,  ils  envoyèrent  parla 
Lippe  la  tvirème  prétorienne  à  Yel- 
léda. Enfin ,  dans  toutes  les  circons- 
tances ,  on  voit  le  nom  de  Velléda 
uni  à  celui  de  Civilis  _,  même  dans  le 
langage  des  ennemis,  comme  si  l'au- 
torité suprême  eût  été  partagée  entre 
eux ,  et  que  le  guerrier  ne  pût  rien 
sans  la  prophétesse  ,  ou  la  prophé- 
tesse  rien  sans  le  guerrier.  Cepen- 
dant les  efforts  des  Gaulois  pour 
reconquérir  leur  indépendance  ne  fu- 
rent pas  long-teinps  couronnés  par 
la  victoire  ;  et  les  armées  romaines, 
qui  naguère  étaient  occupées  à  s'en- 


90  VEL 

trc-dëtruire  ,  ayant  enfin   reconnu 
Vespasien ,  et  se  re'unissant  contre 
les   ennemis   e'trangers  ,   les   eui'eut 
bientôt  battus  et  forcés  à  la   paix. 
Velléda  joua  encore  un  grand  rôle 
en  cette  occasion  :  c'est  à  elle  que 
Cerealis     s'adressa     principalement 
pour  réussir  à  pacifier  les  Gaules;  et 
celle  qui,  ou  faisant  parler  les  dieux, 
avait  décidé  à  prendre  les  armes  tant 
de  peuples  à  peine   connus  les   uns 
des  autres,  les  leur  fit  poser  de  même 
au   nom   de  la   divinité.  Il   paraît 
néanmoins  qu'à  ime  époque  posté- 
rieure Velléda   appela    de  nouveau 
ses  concitoyens  à  la  liberté,  car  elle 
fut  prise  par  Rutilius    Gallicus,   et 
menée  en  triomphe  à  Rome.  Depuis 
cet  événement,  l'histoire  ne  fait  plus 
mention  d'elle.  Velléda  vivait  seule 
et  célibataire  :  elle  ne  se  laissait  ja- 
mais apercevoir  au  peuple  ,  ni  même 
aux  généraux  avec  lesquels  elle  n'avait 
de  communications  qu'au  moyeu  de 
ministres  chargés  de  cette  seule  fonc- 
tion. Une  tour  élevée  lui  servait  de 
sanctuaire  ;  et  c'est   dans    cet   asile 
qu'elle  rendait  ses  oracles.  M.  Hora- 
ce Vernet  a  fait  un  beau  tableau  qui 
représente  Velléda  dans  l'attitude  de 
l'inspiration.  Le  caractère  prêté  par 
Tacite  à  cette  prophétesse  ,  a  fourni 
à  l'auteur  des  Martyrs  un  des  épi- 
sodes les  plus  brillants  de  son  poème, 
livres  viii  et   ix.  —  Voir   Tacite, 
Hist. ,  liv.  iv  et  v  ;  Esprit  militaire 
des  anciens  Germains ,  p.  \5'x. 

P OT. 

VELLEIUS.  F.  Pateuculus. 

VELLEJUS  (  AnubÉ-Severin  )  , 
historiographe  et  conseiller  de  Fré- 
déric II ,  roi  de  Danemark  ,  né  dans 
le  bourg  de  Vedèle  en  Jutland ,  fut  d'a- 
bord prédicateur  de  la  cour.  Ayant 
manifesté  du  goût  pour  l'étude  de 
l'histoire  ,  il  fut  pourvu  d'un  ca- 
uonicat  à  Ripcn ,  et  put  se  livrer  tout 


VEL 

entier  à  des  recherches  historiques. 
C'était  un  des  hommes  les  plus  sa- 
vants de  son  temps.  Il  mourut  le  1 3 
février    1616  à   l'âge   de  soixante- 
quatorze  ans.  Il  estle  premier  qui  ait 
tiré  des  manuscrits  et  publié  Ada- 
mi  Bremensis  Historia  ecclesiasti- 
ca,  avec   des  notes  ,  Copenhague, 
1679  ,    in  -  8°.    Il  a    encoi'e    pu- 
blié :  I.  Fie   des   souverains  pon- 
tifes romains ,  en  vers  danois ,  Co- 
penhague, iS-ji  ,  in-  8".  II.  Saxon 
le  grammairien ,  traduit  en  langue 
danoise,  Copenhague,  157.5,  in-fol.; 
réimprimé  en  lOio.  lll.  Descriptio 
Islandiœ,  per  Gudbrandum  episco- 
puni  Islandiœ  communicata  ,  ibid. 
IV.  Oratio funehris  in  obitum  Fre- 
derici  II ,  cum  chronologid  rerum, 
imperante     hoc    rege  ,     ab     i533 
ad  i588;,  gestarum,  Copenhague, 
i588  ,  in-4°.  V.  Septem  sapientium 
Grœciœ  Aphorismi ,   Sora  ,  1 590  , 
in-S^".  VI.    Fita  Sunonis  TiuJJves- 
hœg  ,  Sora,  1642,  in-8°.  Vil.  Cen- 
turia  cantilenarum,  danicarum ,  de 
priscis  Danorum   regibus  et  rébus 
geslis  ,  Copenhague  ,  i643  ,  in-8<*. 
Ce  recueil  de  chants  populaires  est 
très-précieux  pour  l'histoire  de  Da- 
nemark ,  et  pour  la  connaissance  des 
mœurs  et  des  idiomes  de  chaque  siè- 
cle. G — Y. 
VELLERON.  F.  Cambis. 
VELLUTELLO  (Alexandre)  , 
littérateur  lucquois  ,   était  né  dans 
les  premières  années  du  seizième  siè- 
cle (i).  Dans  sa  jeunesse,  s'éîanî  pas- 
sionné pour  Pétrarque  ,  il  forma  le 
projet  d'écrire  la  vie   de  ce  grand 
poète  ;  mais  ,  avant    de  l'exécuter  , 
il  voulut   visiter  Avignon  ,  se  flat- 
tant  d'y    recueillir,   sur  le   séjour 


(i)  \^e  Dicliotni.  iiniVerscZ  place  sa  naissance  à 
l'annce  iSii);  mais  il  n'aurail  eu  ijiic  sept  ans  en 
>57.5  ,  cIMc  de  la  prcmirrc  éditiou  de  son  Exfioii- 
tion  sur  les  souncls  de  Pétrarque. 


VEL 

de  Pétrarque  en  cette  ville  ,  des  reu- 
seignements  inconnus  à  ses  devan- 
ciers ,  et  de  parvenir  enfin  à  con- 
naître l'origine  de  la  belle  Laure. 
D'Avicnon  il  se  rendit  à  Vaucluse, 
et  par-tout  il  visita  les  archives  pu- 
bliques ,  et  consulta  les  personnes 
qu'il  jugea  le  plus  capables  de  lui 
donner  les  éclaircissements  dont  il 
avait  besoin.  Des  recherclics  faites 
avec  tant  de  zèle  n'aboutirent  qu'à 
lui  procurer  des  notions  vagues  et 
fausses  sur  l'objet  de  son  voyage.  De 
retour  en  Italie ,  il  publia  les  Son- 
nets  de  Pétrarque  ,  Venise  ,  i525  , 
in-4''. ,  avec  des  notes  et  la  vie  de 
l'auteur.  Cette  édition  fut  reçue  avec 
empressement  par  les  nombreux  ad- 
mirateurs de  Pétrarque  •  et  la  presse 
la  reproduisit  dix  ou  douze  fois  dans 
im  petit  nombre  d'années  (  F.  la  Bi~ 
blioteca  d' Eloquenza  de  Fontanini , 
11 ,  -24  )•  La  Fie  de  Pétrarque  ,  par 
Vellulello ,  devint  la  source  unique 
où  puisèrent  tous  ceux  qui  faisaient 
de  ce  poète  ,  et  de  ses  ouvrages ,  l'ob- 
jet de  leurs  travaux  ;  et  probable- 
ment elle  jouirait  encore  de  cet  avan- 
tage, si  l'abbé  de  Sade  n'en  eût  pas 
relevé  les  erreurs  dans  ses  Mémoires 
sur  Pétrarque  (  F.  Sade,  XXXIX, 
47  I  ).  Vellutello  est  l'éditeur  d'une 
comédie  d'Aug.  Puchi  :  /  tre  Tiran- 
ni,  Venise,  i533  ,  in-4°.  Il  nous 
apprend  dans  la  préface  que  cette 
pièce  ,  composée  à  l'imitation  des 
meilleurs  poètes  grecs  et  latins  ,  fut 
représentée  en  présence  de  Charles- 
Quint  et  de  sa  cour,  aux  fêtes  de  son 
couronnement.  On  lui  doit  encore  un 
Commentaire  sur  la  divine  Comé- 
die de  Dante  ,  Venise,  i544,  in-4".  ; 
réimprimé  plusieurs  fois  ,  notamment 
avec  celui  de  Landino  (  F.  ce  nom  ), 
ibid. ,  1064,  in -fol.  On  a  cité  _> 
à  l'art.  Dante  (T.  X,  522),  les 
meilleures  éditions  de  ce  commen- 


VEL  gt 

taire,  dont  les  Italiens  font  beau- 
coup de  cas  ,  et  qui  réellement  est 
fort  utile  pour  pénétrer  le  sens  de 
plusieurs  passages  obscurs  de  ce  fa- 
meux poème.  W — s. 

V  E  L  L  U  T I  (  DoNATO  ) ,  auteur 
d'une  célèbre  Chronique  de  Florence, 
naquit  en  cette  ville  le  16  juillet 
i3i3.Ilétait  d'une  ancienne  famille, 
originaire  d'un  Gastello  di  Semifonte 
dans  le  Valdelsa  ,  détruit  en  1202 
par  les  Florentins  ,  après  une  longue 
guerre.  Cette  famille,  qui,  ainsi  que 
le  reste  de  l'aristocratie ,  soutenait 
sa  noblesse  par  de  grandes  affaires 
de  commerce  ,  fut  une  des  premières 
à  construire  un  palais  remarquable 
sur  la  Via  Maggio  de  Florence  ;  les 
noms  de  la  Fia  dei  Felluti  et  de  la 
Fia  de'  Fellutini  attestent  encore 
en  cette  ville  leur  antique  illustra- 
tion. Le  père  de  Donato ,  nomma 
Lamberto  ,  obligé  de  s'absenter  sou- 
vent pour  ses  aliaires  ou  pour  celles 
de  l'état ,  confia  la  première  éduca- 
tion de  son  fils  à  quelques-unes  de 
ses  parentes.  L'enfant ,  âgé  de  dis 
ans,  fut  un  jour  détourné  et  enlevé 
par  des  voleurs ,  et  conduit  à  Luc- 
ques.  Cette  ville  était  alors  en  guerre 
avec  Florence ,  et  gouvernée  par  Cas- 
truccio  Castracani  auquel  les  ravis- 
seurs remirent  le  jeune  Donato.  Mal- 
gré les  haines  nationales  ,  il  subsis- 
tait quelque  amitié  entre  Castruccio 
et  les  Velluti;  le  seigneur  de  Luc- 
ques  interrogea  le  jeune  Donato  ,  fut 
charméde  ses  réponses,  et  lefitpromp- 
tement  ramener  dans  sa  famille.  En 
1329,  Donato,  âgé  de  seize  ans, 
alla  étudier  à  Bologne^  et  après  un 
long  séjour  dans  cette  ville,  étant 
sur  le  point  d'v  recevoir  le  doctorat 
en  jurisprudence ,  il  en  partit  sans 
pouvoir  se  présenter  pour  ce  grade , 
par  suite  de  l'interdiction  que  le 
Saint-Siège  lança  conti'c  les  Bolo- 


9-2  VEL 

nais.  II  alla  continuer  ses  éludes  du 
Digeste  à  Careggi ,  2)rès  Florence  , 
où  il  profita  des  leçons  de  Ugo  Alto- 
viti.  De  retour  à  Florence  ,  il  vécut 
quelque  temps  très-retire'  ;  ensuite  un 
seigneur  de  ses  parents  le  fit  juge  à 
Colle,  quoiqu'il  n'eût  point  la  quali- 
té' de  docteur.  Donato  se  distingua 
honorablement  dans  ces  fonctions  , 
et  il  y  joignit  l'enseignement  des  Ins- 
titutes   sur   lesquelles   il  se  chargea 
d'ouvrir  un  cours  public.  Plus  tard  , 
il  s'établit  à  Florence  et  y  acquit  une 
grande  considération  comme  juris- 
consulte. Le  duc  d'Athènes  ,  ayant 
usurpé  le  pouvoir  suprême ,  le  plaça 
le  premier  au  nombre  des  Priori  di 
lïbertà  ,  magistrature  importante  et 
difficile  à  exercer  en  de  pareils  temps; 
il  le  nomma  également  avocat   des 
pauvres.  Mais  Donato  ne  fréquentait 
pas  le  palais  du  maître ,  et  n'usait 
de  son  crédit  que  pour  d'utiles  récla- 
mations. Le  duc  fut  chassé  ;   la  cité 
adopta  de  nouveaux,  règlements ,  en- 
tre autres  sa  division  par  quartiers, 
conservée  encore  aujourd'hui ,  et  qui 
fut  souvent  d'une  grande  utilité  poli- 
tique ;  le  collège  des  Priori  subit  de 
sages  réformes  ;  et  tous  ces  change- 
ments furent  eu  grande  partie  l'ou- 
vrage de  Donato  Velluti.  Le  reste  de 
sa  vie  fut  partagé  entre  l'exercice 
de  sa  profession   de  jurisconsulte , 
conseil  (  savio  )  d'une  foule  de  gran- 
des maisons  ,  et  la  gestion  de  beau- 
coup d'emplois.  II  fut    gonfalouier 
ou  officier  supérieur  dans  une  partie 
de  la  garde  urbaine  ,  et  en  i35o  ,  il 
devint  gonfalouier  de  justice,  dignité 
du  premier  ordre.  Son  expérience  et 
son  savoir  le  firent  charger  très-fré- 
quemment de  missions  délicates, soit 
pour  traiter  des  intérêts  de  la  répu- 
blique avec  les  états   voisins  ,   soit 
pour  intervenir  comme  arbitre   au 
nom  de  la  seigneurie  de   Florence 


VEL 

dans  une  uuiltitudc  de  querelles  en- 
tre dilïércntes  villes  ou  entre  des  fa- 
milles puissantes.  Ces  démêlés  ,  tou- 
jours renaissants,  ne  laissaient  pas 
manquer  d'occupation    les   juristes 
conciliateurs  ,  mais  ils  les  exposaient 
souvent  à  d'assez  grands  dangers  per- 
sonnels; ils  les  détournaient  d'ailleurs 
des  soins  de  leur  clientèle  ordinaire, 
et  leur  coût  aient  de  grandes  dépenses. 
Velluti  ,   après  avoir  maintes   fois 
éprouvé  ces  inconvénients  ,  éluda  les 
missions  lointaines  dont  ou   voulait 
le  charger ,  entre  autres  une  ambas- 
sade à  Avignon  auprès  du  pape  ;  des 
douleurs  de  goutte  le  retenant  chez 
lui ,  il  entreprit  sa  Chronique  à  l'âge 
de  cinquante-quatre   aus  ,   à   l'aide 
de    ses    papiers  de    famille    et  de 
ses  souvenirs.  Trois   ans  après  ,  il 
mourut  le  !<=•■.  juillet  iS-jo,  comme 
il  entrait  de  nouveau  dans  les  fonc- 
tions de  gonfalouier  de  justice.   Il 
avait  été  marié  deux  fois  et  avait  eu 
quatre  enfants  de  chaque  union,  dont 
six  fils.  Ses  descendants  tinrent  long- 
temps un  rang  honorable  à  Florence, 
et  ont  passé  depuis  à  Naples.    Les 
IMémoires  de  Velluti  restèrent  iné- 
dits jusqu'au  dix-huitième  siècle,  et 
les  diverses    copies  qui    s'en  firent 
furent  prises  sur  un  manuscrit  en- 
dommagé ,  altéré   même   à   dessein 
dans  quelques  passages  par  les  scru- 
pules de  l'un  des  descendants  de  l'au- 
teur, qui  crut  devoir  effacer,  entre  au- 
tres choses,  une  anecdote  curieuse  sur 
la  transmission  héréditaire  des  ven- 
geances personnelles  dans  les  familles, 
dont  ces   temps  offraient  beaucoup 
d'exemples.  Pendant  le  dix-septième 
siècle  ces  Mémoires  furent  lus  et  men- 
tionnés avec  éloge  par  plusieurs  des 
savants  qui  rendirent  tant  de  services 
à  la  langue  toscane  ,  et  ils  furent  dé- 
clarés texte  de  ZangffeparlaCrusca. 
Enfin  Domin.  Marie  Manni ,  impri- 


VEL 

meut  et  critique  célèbre,  en  publia  une 
édition  très-soignée^  et  adoptée  com- 
me faisant  autorité  ,  sous  ce  titre  : 
Cronica  di  Firenze  di  Donato  Veilu- 
ti ,  dair  anno  1 3oo  ,  in  circa  ,fino 
al  1370,  Florence,  173 1  ,  in -4°. 
Manni  donne  ,  en  tête  de  l'ouvrage , 
une  Préface  étendue  et  intéressante  , 
et  le  fait  suivre  par  un    fragment 
d'une  autre  Chronique  de  François  di 
Durante ,  dont  il  convient  de  dire  ici 
quelques  mots.  L'auteur,  né  en  i323, 
est  resté  peu  connu  ;  mais  ce  frag- 
ment est  remarquable  par  un  témoi- 
gnage sur  un  usage  singulier  du  cler- 
gé à  cette  époque  ;  c'est  une  descrip- 
tion du  mariage  spirituel  contracté 
par  l'évêquede  Florence  à  son  avène- 
ment, avec  l'abbessede  Saint-Pietro 
Maggiore  :  il  lui  donnait  un  anneau  , 
et  couchait  la  nuit  dans  un  lit  somp- 
tueux que  les  religieuses  lui  ollraient 
dans  leur  monastère.  De  son  côté  ,  il 
faisait  présent  à  i'abbesse  d'un  che- 
val avec  son  harnois.  Pour  revenir  à 
la  Chronique  de  Vellnti^  il  nous  reste 
à  observer  qu'elle  offre  surtout  l'his- 
toire des  aieux    de  l'auteur   et    la 
sienne  propre  ;  mais  que  les  princi- 
paux   événements    historiques    s'y 
mêlent    d'une  manière  très-intéres- 
sante ,  relevés  par  le  mérite   et  la 
naïveté  de  ce  style  tant  admiré  des 
Toscans  dans  leurs  plus  anciens  mo- 
numents littéraires.       V — g — r. 

VELLY  (  Paul-François  ) ,  his- 
torien français  ,  naquit  à  Crugny , 
près  de  Reims,  le  g  avril  17  095  quel- 
ques-uns disent  1711^  mais  cette 
seconde  date  est  moins  probable.  Son 
père  avait  exercé  plusieurs  profes- 
sions ;  on  l'avait  vu  tour -à-tour  ou  à- 
la-fois  médecin ,  chirurgien  ,  apothi- 
caire ,  notaire  ,  huissier  et  bailli.  Le 
jeune  Velly  fît  ses  études  au  collège  de 
Reims ,  que  tenaient  les  Jésuites  ,  et 
entra  dans  leur  société,  en  octobre 


VEL 


93 


1726.  On  ignore  en  quelles  villes  ils 
l'envoyèrent  remplir  les  fonctions  de 
professeur  ,  mais  on  sait  qu'en  déc. 
1740    il    quitta   leur    compagnie  , 
non  sans  conserver  cependant  des  re- 
lations avec   plusieurs   d'entre  eux. 
Il  fut  même ,  quand  il  revint  à  Pa- 
ris  en   1741?    employé  dans   leur 
collège  de  Louis-le-Grand  ,  en  qua- 
lité de  précepteur.  Pour  se  délasser 
de  ce  service  ,  et  se  mettre  en  état  de 
s'en  affranchir  un  jour,  il  se  livrait 
à  des  études  sérieuses ,  et  se  prépa- 
rait à  prendre  place  parmi  les  écri- 
vains. H  ne  débuta  pourtant  dans 
cette  carrière  qu'en   1703,  par  la 
traduction  (  i  )  d'un  opuscule  satiri- 
que de  Swift  (  F.  XLV,  286  ) ,  sur 
la   guerre  terminée  en  17 13  parle 
traité  d'Utrecht.  Les  Jésuites  s'em- 
pressèrent d'annoncer  cette  version 
dans   leurs  Mémoires    de   Trévoux 
(déc.  1753  ) ,  en  louèrent  excessive- 
ment le  style,  et  déclarèrent  que  le 
traducteur  était  capable  de  quelque 
chose  de  mieux.  En  effet,  l'abbé  Velly 
avait  entrepris  un  bien  plus  grand  ou- 
vrage. On  ne  lisait  presque  plus  les 
histoires  générales  de  la  France  rédi- 
gées avant  le  milieu  du  xyii"**^.  siè- 
cle (2).  On  s'apercevait  même  que  Mé- 
zcrai(^.  XXVIII ,  5o8-5i  i)  s'était 
souvent  dispensé  de  remonter  aux 
sources  de  nos  anciennes  annales  ,  et 
on  pouvait  le  regretter  d'autant  plus, 
qu'il  eût  été  fort  capable  d'y  puiser 
avec  clairvoyance  et  discernement. 
Daniel,  tant  prôné  en  1713^  n'avait 
déjà  plus  qu'un  petit  nombre  de  lec- 
teurs: Longuerue  et  Voltaire  avaient 
signalé  ses  erreurs  ,  accusé  sa  par- 


iy)  Le  procès  saTi<  /in^  ou  l'histoire  de  John  BulL^ 
jiar  le  Hocteur  Swift.  A  Londres,  chez  Nonrse  , 
ijûî  ,  7.4^  psg^s  in-i2. 

(9.)  Voyez,  claus  cette  Biogr.  iiriiv.  les  articles 
Gaguin ,  Nicole  Gilles,  Paul-Lmile  de  Vérone, 
Belleforest,  J.  de  Seires,  Du  Haillun,  Scip.  Du- 
pleiT. 


94 


VEL 


tialitë  :  ou  se  plaignait  encore  plus 
de  !a  négligence  de  sa  diction,  de  la 
monotonie  de  son  style  •  et  ces  de'- 
fauts  choquaient  ou  rebutaient  à  tel 
point,  qu'on  ne  lui  tenait  point  assez 
comptedes  recherches  laborieuses  par 
lesquelles  il  avait,  l'un  des  premiers, 
porté  quelque  lumière  dans  l'histoire 
si  ténébreuse  de  la  dynastie  Méro- 
vingienne. Les  matériaux  d'un  corps 
d'Annales,  plus  complet  et  plus  exact, 
vennientd'ètre  fournis  par  dom  Bou- 
quet dans  huit  volumes  du  Recueil 
de  relations  et  de  pièces  originales  , 
imprimés  de  i-ySSà  i'j5'2.  :  on  dut 
croire    que    Velly     avait    exploité 
une    mine    si     féconde  ,    lorsqu'on 
le  vit    mettre  au     jour    les     deux 
premiers  tomes  d'une  nouvelle  His- 
toire de  France  ,  en  1755,   l'année 
même  où  une  seconde  édition  de  cel- 
le de  Daniel ,  augmentée  par  GrilFet, 
commençait  à  paraître.   Cependant 
tous  les  règnes  mérovingiens  tenaient, 
avec  ceux  de  Pépin  et  de  Charlemagne, 
dans  le   i'^''.  tome  (in- 12)  de  Velly  , 
et  le  second   finissait  à  l'an  îio8, 
époque   de  la  mort  de   Philippe  I, 
quatrième  roi  capétien.  C'était  beau- 
coup de  rapidité  :  ces  deux  volumes 
essuyèrent  des  critiques,  auxquelles 
l'auteur  répondit  dans  la  préface  du 
troisième  ,  où  l'histoire  est  continuée 
jusqu'à  la  mort  de  Philippe  II    ou 
Auguste  ,  en  i^^S.  Les  trois  suivants 
ont  pour  matière  les  règnes  de  Louis 
VIH  ,  Saint-Louis,  Philippe  III  et 
Philippe- le-Bel.  L'auteur  travaillait 
au  huitième  ,  il   en  avait  rédigé  les 
'2i6  premières  pages  quand  il  mourut 
d'un  coup  de  sang  ,  le  4  sept.  175g, 
âgé,  dit-on,  de  quarante-huit  ans  j 
mais  il  faut  dire  cinquante  ,  s'il  était 
né ,  comme  on  l'assure ,  le  9  avril 
1 709.  Il  avait  négligé  le  régime  et  les 
précautions  que  lui  conseillaient  ses 
amis ,  avertis  par  rextrêrae  rougeur 


VEL 

de  son  visage   des  périls  dont  son 
tempérament  le  menaçait.  Sa  gaîté 
naturelle  les  lui  dissimulait  ;  et  son 
ardeur  pour  le  travail  l'entraînait  à 
les  affronter.  Ceux  qui   le  connais- 
saient le  regrettèrent  vivement  ;  car 
il  était  sensible  à  l'amitié  ,   et  ses 
mœurs,   aussi   pures    qu'aimables, 
commandaient  l'estime,  en  inspirant 
l'affection.  On  ne  sait  pas  de  quelle 
fortune  il  jouissait  :  on  dit  seulement 
que  les  libraires  Desaint  et  Saillant 
lui  payaient  quinze  cents  francs  par 
volume   de  son  histoire.   Les    huit 
premiers  tomes  de  cet  ouvrage  ont 
eu,  chez  les  mêmes   libraires,   une 
seconde  édition  in- 12,  eu  1761    et 
1762.  La  troisième  est  en  1 5  volumes 
in-  4°. ,  qui  ont  été  publiés  de  1770 
à  1789,  et  qui  comprennent  les  con- 
tinuations, par  Villaret,  depuis  la  se- 
conde année  du  règne  de  Phili])pe  de 
Valois  ,  eu  1 3  29  ,  j  usqu'à  l'an  1 469 , 
sous  Louis  XI  j  et  par  Garnier(/^.  ce 
nom, XVI,  490), jusqu'en  i554,  sous 
Charles  IX.  Ou  y  joint  l'Avant-Clo- 
visde  Laureau ,  la  Table  de  M.  Ron- 
donneau,  une  Collection  de  portraits, 
en  8  vol.  in-4°. ,  et  un  Atlas  géogra- 
phique, en  2  vol.  in-fol.  Les  éditions 
in-i  2  n'ont  pas  ces  deux  derniers  ap- 
pendices; mais  lorsqu'elles  compren- 
nent tous  les  autres  articles ,  le  nom- 
bre  des    volumes    s'élève  à  trente- 
cinq.  Fantin  des  Odoards  en  a  fait 
vingt-six  autres,  destines  à  continuer 
Garnier.  Un  plus  estimable  travail  a 
été  entrepris,  en  181 9,  par  M.  Du- 
fau ,  qui,  reprenant  l'histoire  géné- 
rale delà  France  à  l'an   i564,  )'a 
conduite  jusqu'à  la  mort  de  Henri 
IV,  en  1610  (6  vol.  in -12,  outre 
un  tome  d'Avant-Clovis  ).  Mais  nous 
revenons  aux  livres  de  Velly  lui-mê- 
me et  aux  jugements  qui  en  ont  été 
portés.   L'abbé  Lebeuf  (  Journ.  de 
Verdun^  1755  et  1759)  releva  ri- 


VEL 

goureusement,  et  néanmoins  sans  mal- 
veillance, quelques  détails  inexacts; 
des  noms  de  lieux,  de  personnes,  de 
dignités,  mal  écrits  ou  mal  explique's. 
Lebeuf  était  peu  satisfaitdu  plaidoyer, 
assez  étrange  en  efï'et ,  que  l'auteur 
avait  composé  en  faveur  de  la  reine 
Bruncliant,et  refusait  de  reconnaître 
le  nom  de  cette  princesse  dans  celui 
des  anciennes  chaussées  qui  traver- 
sent des  parties  du  royaume.  Une 
critique  plusamère  et  bien  moins  jus- 
te parut  sous  le  titre  de  Lettre  im- 
portante ;  elleroulait  sur  de  jîréten- 
dues  fautes  de  chronologie,  et  sur  la 
qualification  de  patrice  ,  attribuée  à 
Cliarlemagne.  Les  journalistes  de 
Trévoux  (déc.  i^SS  ),  tout  en  trai- 
tant avec  de  grands  égards  leur  an- 
cien confrère ,  lui  reprochèrent  de 
n'en  avoir  point  assez  montré  pour 
le  clergé  et  pour  les  moines.  Sa  ré- 
ponse à  ces  observations  diverses , 
imprimée  à  la  tète  de  son  tome  troi- 
sième ,  est  écrite  avec  humeur  ;  elle 
n'est  pas  d'un  très-bon  goût.  11  eût  été 
plus  honorable  d'avouer  naïvement 
quelques  erreurs  aussi  réelles  que  lé- 
gères, et  de  se  défendre  avec  modé- 
ration sur  d'autres  articles  très  -sou- 
tenables.  Les  expressions  dont  il  s'e'- 
tait  servi  en  parlant  de  sainte  Gene- 
viève et  de  saint  Germain,  etl'uiage 
qu'il  avait  fait,  àplusieurs  reprises,  du 
mot  de  destinée,  provoquèrent (/oz/r- 
n«Z  de  Verdun  ,  i'y63)des  réflexions 
fort  sévères,  dont  l'auteur  était  l'abbé 
Jean-André  Mignot,  grand-chantre 
d'Auxerre  {Foj.  ce  nom,  XXIX, 
24  )•  On  se  récria  ensuite  contre  ce 
qu'il  disait ,  dans  ses  tomes  m  et  iv , 
sur  l'autorité  des  étals  -  généraux  et 
des  parlements  (3  ).  D'une  autre  part, 

(3)  Lettre  à  Vahhê  Velly  sur  les  tnmes  III  et  IV 
de  son  Histoire  de  France  ,  an  sujet  de  l'autorité 
des  Etats  et  du  droit  du  Parlement  de  vérifier  les 
édits,  etc.  (par  le  président  KoUand,  K,  ce  nom, 
X.XXVIII  ,  474  )  ,  23  pag.  in-iï. 


VEL  95 

Nonnotte  prétendit  qu'il  copiait  l'^^- 
sai  sur  les  mœurs  des  nations  ,  de 
Voltaire,  et  qu'ayant  un  jour  écrit  à 
ce  poète,  pour  savoir  à  quelle  source 
était  puisée  certaine  anecdote ,  il  en 
avait  reçu  cette  réponse  ;  a  Qu'im- 
«  porte  qu'elle  soit  vraie  ou  faus- 
»  se  ?  Quand  on  écrit  pour  amu- 
»  série  public,  faut-il  être  si  scru- 
»  puleux?  »  La  vérité  est  que  Vol- 
taire n'a  eu  aucune  correspon- 
dance avec  Velly.  Celui-ci ,  d'ail- 
leurs ,  s'il  a  quelquefois  consulté  l'Es- 
sai sur  les  mœurs  ,  était  loin  d'en 
adopter  aveuglément  tous  les  récits  : 
il  contredit,  par  exemple,  celui  qui 
concei-ne  les  vêpres  Siciliennes  j  et  à 
ce  propos,  il  appelle  Voltaire  un 
peintre  inimitable  en  tout ,  mais 
principalement  dans  les  portraits 
d'imagination ,  paroles  qui  ne  sem- 
blent pas  destinées  à  louer  ce  grand 
écrivain  comme  historien.  De  son 
côté,  Voltaire  ,  en  avouant  qu'il  y  a 
des  morceaux  bien  faits  dans  Velly, 
trouve  qu'en  général  son  style  est  au- 
dessous  de  son  sujet,  et  qu'il  n'a 
point  assez  profité  de  l'avantage  d'ê- 
tre venu  le  dernier,  et  d'avoir  à  sa 
disposition  plus  de  matériaux  qu'au- 
cun de  ses  prédécesseurs  :  il  blâme 
particulièrement  un  discours  prêté 
à  Bondocdar  (  Foj.  Bibars  )  ,  et 
dans  lequel  ce  Soudan  parle  des 
nobles  champs  du  dieu  Mars. 
De  tous  les  juges  de  Velly  ,  le 
plus  intraitable  a  été  Mably,  qui  n'a 
pas  craint  de  s'exprimer  en  ces  ter- 
mes :  «  Il  a  voulu  prendre  une  autre 
»  roule ,  rendre  compte  de  nos  lois 
»  et  peindre  nos  mœurs  j  mais  il  a 
»  tout  confondu  par  ignorance.  Il 
»  attribue  à  la  première  race  des 
»  usages  qui  n'appartiennent  visible- 
»  ment  qu'à  la  troisième  :  son  his- 
»  toire  est  un  chaos,  où  tout  est  jeté, 
»  mêlé ,  confondu  sans  règle  et  sans 


96 


VEL 


»  critique;  en  uii  mot,  je  vois  un 
»  historien  qui  s'est  rais  aux  gages 
»  d'un  libraire,  et  dont  la  stérile 
»  abondance  fait  la  licbesse.  »  Palis- 
sot  le  trouve  au  contraire  fort  éclai- 
re'; mais  il  renouvelle  contre  lui  les 
plaintes  des  rédacteurs  du  Journal 
de  Trévoux.  Un  plus  savant  critique 
l'a,  dans  cette  Biographie  même 
(  XVI ,  490  )  7  déclaré  superficiel, 
en  lui  accordant  toutefois  de  l'esprit 
et  du  goût.  Nous  croyons  devoir  aus- 
si des  éloges  à  son  talent,  à  la  clar- 
té, à  la  douceur  et  même  à  l'élégance 
de  sa  diction.  Il  a  rendu  notre  his- 
toire plus  lisible ,  quoique  sou  style 
manque  ordinairement  d'énergie ,  et 
que  les  couleurs  n'en  soient  jamais 
bien  vives.  Il  règne  quelque  monoto- 
nie dans  les  tours;  et  l'on  pourrait 
reprendre  çàetlà  des  expressions  ou- 
trées ou  fausses.  Le  fond  de  l'ouvra- 
ge n'est  pas  sans  mérite  ,  et  suppose 
au  moins  quelque  travail  :  l'auteur  re- 
dresse Baiilet,  critique  Rapiu  Thoy- 
ras ,  et  le  contredit  im  peu  trop , 
selon  Voltaire  ;  il  corrige  Daniel^  et 
donne  des  conseils  à  son  éditeur 
Griifet;  il  prolite  des  ouvrages  mo- 
dernes ,  de  {'Esprit  des  lois,  de  l'^^- 
sai  sur  les  mœurs  des  nations,  et 
surtout  des  Mémoires  de  l'académie 
des  inscriptions  et  belles-lettres:  mais 
on  est  forcé  d'avouer  que  son  érudi- 
tion et  sa  critique  sont  presque  tou- 
jours d'emprunt  :  ce  n'est  pas  sans 
raison  que  Meusel  et  d'autres  étran- 
gers lui  reprochent  d'avoir  trop  né- 
gligé les  sources.  Il  y  avait  plus  de 
parti  à  tirer  de  la  collection  de  dom 
Bouquet  :  nous  en  avons  aujourd'hui 
des  preuves  bien  sensibles  dans  les 
trois  premiers  volumes  de  l'Histoire 
des  Français,  par  M.  de  Sismondi, 
et  dans  les  annales  dii  moyen  âge 
(  jusqu'en  8 1 4  ) ,  publiée  en  1 8^5  ,  ;i 
Dijon  (8  vol.  in-80. ,  parM.Frantin). 


VEL 

Velly  n'avait  point  fait  assez  de  re- 
cherches pour  éviter  les  omissions  et 
les  erreurs  :  faute  d'études,  il  est  res- 
té quelquefois  plus  crédule  qu'il  n'a- 
vait envie  de  l'être.  On  devrait  lui  sa- 
voir beaucoup  de  gré  du  soin  qu'il  a 
pris  de  retracer  les  origines,  les  ins- 
titutions ,  les  mœurs,  s'il  régnait  un 
peu  plus  d'exactitude  ,  de  précision 
et  de  méthode  dans  ces  importantes 
parties  de  son  ouvrage.  I>iais  nous 
n'aurons  aucune  sorte  de  restriction 
à  mettre  aux  éloges  que  méritent  la 
droiture  de  ses  intentions ,  sa  véraci- 
té ,  sa  franchise;  il  dit  toujours  ce 
qu'il  croit  vrai;  il  n'omet  que  ce 
qu'il  ignore  ,  et  n'altère  que  ce  qu'il 
sait  mal.  Ses  récits  ne  sont  dominés, 
déterminés  d'avance  par  aucun  sys- 
tème; et  s'il  n'a  point  les  avantages 
de  la  véritable  et  profonde  science , 
il  n'a  pas  les  travers  de  la  fausse. 
Peut-être  ne  possédons-nous  rien  en- 
core qui  puisse  remplacer ,  pour  le 
plus  grand  nombre  des  lecteurs ,  ceux 
de  ses  volumes  qui  concernent  les 
premiers  rois  capétiens  jusqu'à  Char- 
les IV  inclusivement.  Foj.  des  No- 
tices sur  Velly  dans  V Année  litté- 
raire,  1760,  t.  m,  p.  aSg  ;  à  la 
fin  du  S"^"^.  tome  de  la  Bibliothèque 

historique  delà  France,  p.  cv  ; 

les  Observations  de  Gaillard  sur 
l'Hist,  de  France  de  Velly  ,  Villaret 
et  Garnier,  etc.  D — n — u. 

VELSER.  roy.  V^ELSER. 

VELTHEIM  (  Auguste  -  Ferdi- 
nand, comte  de),  membre  de  la  so- 
ciété royale  de  Londres  et  de 
celle  de  Helmstadt ,  naquit,  le  18 
septembre  1741  -,  an  château  de 
Harbk  dans  le  duché  de  Magde- 
bourg.  Comme  il  avait  de  bonne 
heure  annoncé  des  dispositions  pour 
l'étude  de  la  minéralogie,  ses  parents 
lui  firent  faire,  pendant  deux  ans,  un 
cours  de  cette  science  ,  à  l'université 


VEL 

de  Helmstadt;  et  en  1 762 ,  ayant  été 
placé  à  la  chambre  des  finances  du 
duc  de  Briaiswick ,  il  lit ,  avec  son 
père,  un  voyage  en  Allemagne,  pour 
visiter  les  mines  et  les  salines.  A  son 
retour ,  en  1 766  ,  il  fut  nommé  sous- 
inspecteur  des  mines,  dans  le  Hartz 
(i).  C'est  en  remplissant  avec  zc!e 
les  fonctions  de  cette  place  qu'il  écri- 
vit :  I.  Son  Traité  de  Minéralogie , 
publié  depuis  à  Brunswick,  1781  , 
in  -fol.  En  177C),  alfligé  par  la  mort 
de  son  épouse ,  il  quitta  sa  place  pour 
se  retirer  dans  ses  terres.  Depuis  il 
racontait  souvent  avec  attendrisse- 
ment, qu'une  collection  très.-précicuse 
de  minéraux  lui  ayant  été  offerte 
pour  soiî  cabinet,  mais  que  ses  moyens 
ne  lui  ayant  pas  permis  alors  d'enfai- 
re  l'acquisition  ,  son  épouse  lui  avait 
donné   ses  bijoux,  et  ne  lui  avait 
point  laisse  de  repos  qu'il  ne  les  eût 
vendus  ,   pour  pouvoir  payer  cette 
collection.  Le  duc  de  Brunswick  lui 
proposa  une  place  de  ministre  à  son 
conseil  ;  et  en  1 790  ,  l'impératrice 
Catherine  le  nomma  inspecteur-géné- 
ral des  mines  et  salines  de  la  Russie, 
en   Europe  et  en  Asie.  A  ces  oiïics 
séduisantes ,  il  ])référa   la  vie  Iran- 
quillequ'ilmcnaitàHarbkeetfit,pour 
ses  domaines  :  II.  Des  Règlements 
contre  les  incendies ,  publiés  à  Helm- 
stadt ,  1794  1  iii-4">  0"  ïcs  cite  com- 
me des  modèles  de  sagesse  sur  cet 
objet.  Son  père  avait  commencé  à 
établir  le  grand  parc  de  Harbke,  qu'il 
planta   d'arbres  étrangers.    Le    fils 
l'augmenta  ;    et   ce  parc   devint  la 
pépinière  de  l'Allemagne.  Il  en  pu- 
blia   la    description  ,   sous    ce    ti- 
tre :  III.    Pépinière   d'arbres    fo~ 


(i)  Ce  territoire  muiita^iieiix,  couvert  d'iiniucn- 
ses  forcis,  contient  des  mines  d'argent ,  delVr,  df 
«uivrc,  de  plomb,  de-  zinc,  de  suiil're  et  de  vi- 
triol. Ses  liahitanls,  au  nombre  de  cinquante  mil- 
le, sont  tous  cinj)loyes  ù  leur  eX|)loitaliou. 

XLVIII. 


VEL 


97 


restiers ,  tirés  en  grande  partie  de 
l'Amérique  Septentrionale  et  d'au- 
tres contrées  ,  plantés  dans  le 
parc  de  Harhke,  Brunswick,  1795, 
i"^'-.  vol.  de  la  •i<^.  édit. ,  in  8".,  avec 
planches.  Les  deux  derniers  volumes 
jiarurent  en  1800,  Chaque  espère 
d'arbres  avait  son  carré,  qui  portait 
le  nom  d'une  province  d'Amérique. 
Ou  y  trouvait  le  Canada,  la  t  lori- 
de ,  la  Virginie,  etc.  La  montagne 
appelée  le  iiè««  possédait  des  cèdres 
de  la  plus  grande  beauté,  lis  ont  été 
détruits  pendant  un  hiver  rigou- 
reux. Ce  beau  parc,  ouvert  au  pu- 
blic ,  est  la  promenade  des  habitants 
de  Helmstadt.  En  1798  ,  Veltheim 
fut  arraché  à  ses  paisibles  occupa- 
tions, ayant  été  nommé  député  du 
duché  de  Magdebourg  ,  pour  aller 
prêter  foi  et  hommage  eutre  les  mains 
de  Frédéric -Guillaume  III,  qui  i'é- 
leva  au  rang  de  comte.  Dans  ses  der- 
nières années,  il  recherchait  surtout 
la  conversation  d'un  ami,  qui  par- 
tageait avec  lui  ses  études  archcu- 
logiqucs.  Il  lui  permit  de  traduire 
en  français  :  IV.  Son  petit  Traité  sur 
le  vase  de  Barberini  ou  de  Pvrt- 
land,  qu'il  avait  publié,  en  allemand, 
Helmstadt,  1791,  in  -  8".  La  tra- 
duction française  parut,  avec  des  no- 
tes savantes  ,  aussi  à  Helmstadt , 
180  r.  Le  château  de  Harbke  était 
un  point  de  réimion  pour  les  étran- 
gers ,  et  surtout  pour  les  professeurs 
de  l'université  de  Helmstadt,  qui  y 
trouvaient  une  bibliothèque  nombreu- 
se et  choisie ,  un  cabinet  de  minéraux, 
et  de  fossiles  ,  des  collections  de  ta- 
bleaux ,  de  gravures  ,  etc.  Ennemi 
des  spéculations  métaphysiques  , 
Veltheim  parlait  avec  dédain  de  la 
philosophie  de  Kant,  qui,  selon  lui , 
n'est  autre  c'iosc  (|u'un  recueil  de  so- 
phismes  maladroitement  enchaînés. 
11  avait  applaudi  avec  enthousiasme 

7 


9H  VEL 

aux  commeuceiuents  de  la  rcvoiu- 
tiou  française  5  mais  les  violences  des 
5  et  6  octobre  1789  le  ietèreiit  dans 
une  autre  extrejiiité  •  et  dej)iiis  ce  mo- 
meut  il  montra  la  plus  forte  répu- 
gnance ,  non  -  seulement  pour  ce  qui 
se  passait  en  France,  mais  encore 
pour  tous  les  Français  en  gênerai.  11 
ne  trouvait  point  contre  eux  d'ex- 
pi-essions  de  haine  et  de  dédain  assez 
véliémejites.  Dans  cette  disposition  , 
il  publia  :  V.  Lettres  sur  les  manu- 
factures où  l'on  écrit  les  livres  à  la 
mode ,  sur  les  orateurs  de  la  j  évo- 
lution et  sur  les  néologues ,  Helm- 
stadt,  1 793.  VeUheim  sepermit,daus 
ces  Lettres  ,  les  personnalités  les 
plus  inconvenantes  contre  ses  anciens 
amis  ,  Mauvillon  et  Campe.  Elles  re- 
parurent depuis,  dans  le  Recueil  de 
ses  OEuvres.  Campe,  un  peu  plus 
ménage'  ,  n'y  était  représenté  que 
comme  un  puriste  plus  ridicule  que 
dangereux.  La  géologie  était  l'étude 
favorite  de  Veltheim.  Il  avait  conçu 
le  plan  d'un  grand  ouvrage  sur  la 
Formation  de  la  superjîcie  de  la 
terre  dans  ses  temps  primitifs.  Il 
n'en  a  publié  qu'un  morceau,  sous  ce 
titre  :  VI.  Formation  du  basalte  et 
ancien  état  des  montagnes  en  Al- 
lemagne. Ce  petit  traité  a  eu  un  grand 
nombre  d'éditions ,  ainsi  que  les  deux 
suivants.  VIT.  Défauts  que  Von 
pourrait  éviter  dans  les  forges  de  fer 
en  Allemagne.  VIII.  Réform  es  dans 
la  mme'raZi'g/e  ,  Helmstadt ,  1793. 
IX.  Sur  la  méthode  des  anciens 
pour  liquéfier  les  minéraux  et  sur 
celle  qu^  employa  A  nnib  al  pour  fon- 
dre les  roches  des  Alpes.  %.  Sur  les 
Pases  murrhins  ou  f^asa  murrhina, 
1791  ,  ia-8".  Il  croit  que  ces  vases 
sont  faits  avec  une  pierre  particuliè- 
re à  la  Chine.  XI.  Des  montagnes 
de  Ctésias  qui  produisent  l'onjx,  et 
du  commerce  des  anciens  dans  les 


VEL 

Indes  Orientales,  Helmstadt ,  1 79  f , 
in-8".  Il  pi'étend  qu'on  doit  chercher 
ces  montagnes  au  -  delà  de  l'Iuile. 
XII.  Sur  la  statue  de  Memnon,  l'é- 
meraude  de  Néron,  et  sur  la  métho- 
de des  anciens  pour  tailler  la  pierre 
et  /e -yerre,  Helmstadt,  1793,  in-S". 
mu.  Sur  r Uf  drophane  des  moder- 
nes et  sur  le  Pantarhas  des  anciens. 
L'étude  de  l'histoire  était  un  délasse- 
ment pour  Veltheim.  Il  a  publié,  sur 
l'histoire  moderne  :  XIV.  Anecdo- 
tes sur  la  cour  de  France ,  en  par- 
ticulier dans  les  temps  de  Louis 
XIV  et  du  régent,  tirées  des  Let- 
tres de  la  princesse  Charlotte  -  Eli- 
sabeth,  veuve  de  Philippe  I"'.,  duc 
d' Orléans,  Strasbourg  etBrunswick, 
3*^.  édit. ,  1795,  in-80.  Le  petit  traité 
suivant  eut  une  grande  vogue  :  XV. 
Sur  la  défense  d' exporteries  grains 
hors  du  duché  de  Magdebourg.  Les 
OEuvres  réunies  de  Veltheim  paru- 
rent sous  le  titre  de  Recueil  de 
Traités  historiques ,  archéologi- 
ques et  minéralogiques ,  Helmstadt , 
2  vol.  gr.  in -8".  L'auteur  vécut 
encore  assez  pour  jouir  de  la  fa- 
veur avec  laquelle  le  public  accueil- 
lit cette  Collection  ,  faite  avec  autant 
de  soin  que  de  jugement.  Quoique 
Veltheim  sût  parfaitement  les  lan- 
gues savantes  ,  il  n'a  écrit  qu'en  alle- 
mand. Il  mourut  à  Bl•uns^vick ,  le  •*. 
octobre  1801.  L'oi'dre  qu'il  avait  in- 
troduit dans  l'administration  de  ses 
biens,  et  sa  manière  de  vivre,  !e 
mettaient  en  état  do  sou'ager  .".es 
amis  ,  qui  n'invoquaient  jamais  on 
vain  son  secours ,  et  de  fonder  des 
établissements  de  charité  dans  ses 
domaines.  Il  bLàmait  vivement  les 
excès  auxquels  la  démocratie  s'aban- 
donnait en  France  contre  la  reli- 
gion et  les  objets  extéi'ieurs  de  son 
culte.  Cependant  on  ne  le  voyait  ja- 
mais dans  les  assemblées  du  culte  ré- 


VEL 


VEL 


Bd' 


formé, auquel  il  appartenait;  et  l'on  partibns  ,  Roterod. ,   Leers  ,   1680, 
croit  que  .sa  religion  persoiinellc  n'e'-  in  -  4°.  ï)e  ces  deux  parties,  la  prê- 
tait qu'uu  scepticisme  absolu.  lient  mièrecontient  neuf  ouvrages,  savoir: 
d'une  seconde  épouse  quatre  fils,  à  1°.  un  Traité  de.  la  justice  clicine  et 
l'aîne  desquels  il  donna  le  nom   de  liumaine;  2°.  une  Dissertation  sur 
Roger,  en  mémoire  de  Roger  de  Velt-  Vusage  de  la  raison  dans  les  con- 
îieim  ,    qui,   au  commencement  du  troi^erses  et  questions  théologiques, 
douzième  siècle,  fut  archevêque  de  et  principalement  dans  l'interpré- 
Magdebourg.                          G — y.  tation  de  la  sainte  Ecriture j  3''. 
VELTHUYSEN  (Lambert)^  en  un  Traité  moral  sur  la  pudeur  na- 
îatin  Felthusius ,  théologien  protes-  turelle  et  la  dignité  humaine  ;  4°- 
tant,  ué  à  Ulrecht  en  i()oi,  y  étu-  Doctrine  sur  la  grâce  et  la  prédes- 
Ai3L ,  avec  un  succès  éclatant,  la  phi-  tination,  d'après  une  nouvelle  mé- 
losophic,  la  théologie  et  la  médecine,  thode  j    S^».    Devoirs   du  pasteur, 
et  pratiqua  quelque  temps  cette  der-  etc.  j  Q'-'.  Traité  de  l'idolâtrie  et  de 
nièi'e  scieccc;  mais  il  paraît  qu'il  y  la  superstition  (ces  deux  ouvrages, 
renonça  de  bonne  heure  pourse  livrer  originairement  écrits  en  hollandais  , 
exclusivement  aux  spéculations  de  la  y  sont  traduits  *:n  latin)  ;  -y».  Exa- 
théologie  et  de  la  métaphysique.  Il  de-  men  de  cette  question  :  Est-il  per- 
vint  le  plus  savant  coniroversistccar-  7nis  à  un  prince  chrétien  de  tolérer 
tésien  de  la  Hollande.  Ses  concitoyens  le  moindre  mal  dans  ses  états  (trad. 
relevèrent  à  plusieurs  dignités  im-  àv\\\o\\.  tïil^i.);^^.  Traité  des  ar- 
portantes  de  la  magistrature  j  et  en  ticles  fondamentaux  de  la  foi  chré' 
1 658 ,  il  fut  député  par  les  chefs  de  tienne;  9'\  Essai  de  rétorsion  de 
la   ville  aux  assemblées  ecclésiasti-  l'accusation  calomnieuse  intentée  à 
ques.  Le  zèle  avec  lequel  il  défendit  V auteur  contre  l'accusateur,  j^a  sc- 
ieurs droits  et  la  ténacité  qu'il  mit  à  conde  ne  comprend  que  les  six   ou 
empêcher  que  rien  n'eût  lieu,  dans  sept  écrits  suivants  :  \°.  De  l'origine 
l'assemblée,  contre  la  police  cxtérieu-  de  la  philosophie ,  diaprés  les  bases 
re  et  les  intérêts  de  l'état ,  lui  firent  de  Descartes ^  avec  un  appendice 
beaucoup  d'ennemis.  Ne  pouvant  ac-  sur  Dieu  et  Vame;  i''^.  Dissertation^ 
cuser  sa  conduite ,  ils  attaquèrent  ses  en  forme  de  lettre^  sur  les  principes 
écrits,    et  déférèrent,  comme    im-  du  juste  et  du  beau;  3".  Disserta- 
pies  ,  hétérodoxes  et  subversifs   de  tion  sur  le  Jini  et  l  infini ,  etc.;  4°' 
toute  discipline  ecclésiastique,   plu-  Démonstration  du  repos  du  soleil 
sieurspassages  d'un  livre  sur  le  devoir  et  du  mouvement  de  la  terre  ,  pour 
des  pasteurs.  Ces  tracasseries,  dans  Descartes  contre  Jean  Dubois  ;  5°. 
lesquelles  i!  eatpoiirantagonistelecé-  deux    Traités   medico  -  physiques  , 
lèbre  V(jët,n'amcuèrentd'autre  résul-  l'un  sur  le  Foie  ,  l'autre  sur  la  Gé- 
tatque  la  destitution  de  Velthuysen,  nération;  G".  Traité  du  culte  natU" 
en  i(i74.  11  mourut  àXJlrecht,  en  rel  et  de  V origine  de  la  mortalité ^ 
i685  ,  âgé  de  soixante  -  trois  ans.  Tl  etc.    La    plupart   de  ces   ouvrages 
avait  publié,  cinq  ans  auparavant,  avaient  été  publiés  auparavant,  par 
à  Rotterdam,  une  édition  complète  exemple,  les  Traités  me ddco-vhysi- 
de  >cs  OEuvres ,  dédiée  à  son  frère  ques  à  Ulrecht,    iGS-j,   ivt-i2j    I3, 
VVenier   Velthuysen,   et    intitulée:  Dissertation    sur    l'usage    de,    la 
Lamb.Vclthusii  Opéra  omnia  duab.  raison,    ibid.  ,    1668,  in-i^  ;   le 

f  BIBLiOTl  JfCA  j 


100  VEL 

Traité  de  la  pudeur ,  etc.,  ibid. 
lô'^ô,  in- 4°.  t)ans  tous  ces  écrits, 
l'auteur  déploie  une  e'ruditiou  im- 
mcuse ,  un  grand  sens ,  une  modéra- 
tion rare  et  un  amour  de  la  vérité 
aussi  admirable  que  peu  commun. 
Il  est  fâcheux  que  sa  méthode  ne  soit 
pas  plus  nette  cl  plus  constante-  son 
style,  trop  souvent  prolixe  et  lourd , 
rebute  pi  us  qu'il  n'intéresse.  Yclthuy- 
sen  prend  la  défense  de  Descartes ,  et 
laisse  voir  partout  des  opinions  cal- 
quées sur  celles  de  ce  grand  homme. 
Cette  similitude  est  visible  dans  les 
livres  sur  le  Beau  et  le  Juste, 
imitation  du  Citoyen  de  Hobbes , 
mais  dans  laquelle  il  s'éloigne  des 
corollaires  sombres  et  désolants 
du  politique  anglais,  et  substitue 
à  sou  pessimisme  égoïste  des  prin- 
cipes plus  conformes  au  vrai  et  au 
bon.  Il  faut  convenir  néanmoins  que 
la  lecture  de  celte  imitation  ne  laisse 
pas  dans  l'esprit  des  idées  lumineuses 
et  précises.  Les  Traités  sur  l'usage  de 
la  raison,  sur  la  grâce  et  sur  l'i- 
dolâtrie, méritent  d'être  consultés. 
L'examen  de  cette  question  :  «  Un 
prince  peut -il  légitimement,  etc. 
( /^oyez  ci-dessus  )  «est  un  para- 
doxe audacieux ,  traité  avec  talent. 
LeTraité  de  la  pudeur  contient  d'ex- 
cellentes choses; c'est  le  plus  détaillé 
et  le  plus  méthodiquede  tous .  11  y  pas- 
se en  revue  toutes  les  infractions  qu'il 
est  possible  de  faire  à  cette  loi  natu- 
relle :  la  séduction  ,  la  fornication  , 
l'adultère,  la  polygamie,  le  divorce; 
parle  du  mariage  avec  grandeur  et 
autorité  ,  et  discute  le  problème  des 
vœux  du  célibat.  Toutes  ces  par- 
ties se  lisent  avec  plaisir  :  c'est 
.  une  grande  idée  que  d'avoir  uni 
dans  le  titre,  comme  elles  le  sont 
dans  la  réalité,  la  pudeur  et  la  di- 
gnité humaine,  dont  celle  venu  est 
le  plus  bel  apanage.  Aucun  des  ou- 


VEL 

vrages  de  Yelthuysen  n'a  été  traduit 
en  français.  Ou  trouve  un  Éloge  de 
cet  auteur  dans  Gaspard  Burmann, 
Trajeclum  eruditum.       P — ot. 

YELTWYCK  (  Gérard  ) ,  orien- 
tabste  et  homme  d'état,  était  né, 
vers  la  lin  du  quinzième  siècle,  à  Ra- 
vestein,  ou,  selon  d'autres,  à  Utrecht, 
d'une  famille  d'origine  juive.  Ayant 
terminé  ses  études  d'une  manière 
brillante,  il  se  consacra  d'abord  à 
l'enseignement,  et  devint,  en  iS'jS, 
recteur  des  écoles  de  Louvain.  L'em- 
pereiir  Charles  -  Quint ,  instruit  du 
mérite  et  de  la  capacité  de  Yeltw  yck 
pour  les  affaires ,  le  fit  l'un  de  ses 
conseillers ,  et  lui  confia  diverses  né- 
gociations ,  dont  il  s'acquitta  très- 
bien.  ISonimé,  en  i545,  ambassa- 
deur près  de  Soliman  ,  il  conduisit  à 
Constanlinople  Hugues  Favoli,  qui 
se  trouvait  alors  à  Ycuise,  et  qui  dé- 
crivit ce  voyage  en  vers  latins  (  F. 
Favolt  ,  XlY,  li  1 9  ).  On  a  la  Haran- 
gue de  Yeltwyck  à  Soliman ,  et  la  re- 
lation de  son  ambassade,  dans  une 
Lettre  qu'il  adressa  de  Constantinopls 
au  chancelier  Nicol.  de  Grauvelle(/'^. 
ce  nom  ).  Ces  deux  pièces  sont  impri- 
mées dans  les  recueils  du  temps.  Eu 
i549,  il  fut  nommé  trésorier  de  l'or- 
dre delà  Toison-d'Or,  et  il  mourut  à 
Yienneen  1 555.  L'étude  approfondie 
qu'il  avait  faite  de  l'hébreu  et  du  chal- 
daïque  a  contribué  beaucoup  à  étendre 
sa  l'cputation  en  Europe.  On  a  de  lui 
lui  poème  eu  vers  hébreux  :  Schéfilé 
tohii ,  c'est-à-dire,  les  Sentiers  du 
désert,  Yenise ,  BomLerg  ,  iSSg, 
in-4°.  C'est  une  critique  des  rites  ju- 
daïques ,  dont  l'auteur  fait  voir  la 
futilité.  Le  Catalogue  de  la  biblio- 
thèque de  Leyde  lui  attribue  encoie 
un  autre  ouvrage  intitulé  :  Derech 
emnua ,  c'est-à-dire,  le  Chemin 
de  la  foi,  Padoue,  i5(J3,  in-4'^. 
W-  s 


.VEN 

VENANCE  (Jean -François 
DOUGADOS,  plus  connu  sous  le 
uomde  ),  capucin,  est  le  seul  peut- 
êlre  des  enfants  de  saint  François 
qui  se  soit  adonne'  avec  succès  à  la 
poésie. Il  naquit  à  Carcassonne,  le  ï'.i. 
août  1763,  de  parents  obscurs,  et 
vivant  de  leur  travail  :  mais  rintelli- 
gence  et  la  vivacité  d'esprit  qu'il 
manifesta  dès  son  enfance  lui  atti- 
rèrent la  bienveillance  d'un  militaire 
distingue  ,  qui  prit  soin  de  son  édu- 
cation. Il  lui  en  te'moigna  depuis  sa 
reconnaissance  en  adressant  la  plus 
considérable  de  ses  compositions  à 
la  fille  de  cet  homme  généreux.  M. 
de  Puységur  ,  alors  évêque  de  Car- 
cassonne, et  depuis  archevêque  de 
Bourges  ,  lui  permit  d'embrasser  l'é- 
tat ecclésiastique  5  mais  le  goût  dé- 
cidé qu'il  avait  pour  la  poésie  le 
porta  à  se  jeter  dans  un  cloître  ,  oij 
il  espérait  trouver  plus  de  loisir  pour 
s'y  livrer  sans  distraction.  Il  se  pré- 
senta chez  les  capucins ,  et  fut  envoyé 
d'abord  à  Bcziers,  où  il  composa 
quelques  Cantiques,  et  ensuite  à  Tou- 
louse ,  où  il  se  trouva  sous  la  direc- 
tion du  fameux  Chabot,  avec  lequel  il 
se  ])rouilla  bientôt,  et  dont  la  haiiie 
jalouse  a  été  regardée  comme  une 
des  principales  causes  de  sa  mort.  De 
là  ,  il  passa  à  Rhodcz,  portant  alors 
le  titre  de  capucin  clerc  étudiant  y 
et  en  1 785  ,  i!  résidait  au  couvent  de 
Notre-Dame  d  Orient,  dans  le  diocèse 
de  Vabrcs.  C'est  là  qu'il  composa  son 
Voyage  poétique  ,  qui ,  publié  sous  le 
titre  de  la  Quête  du  blc  ,  commença 
à  le  faire  connaître.  Son  Élégie  sur 
l'ennui,  envoyée,  en  i'jHB  ,  au 
concours  des  jeux  floraux  ,  lui  valut 
l'honneur  d'être  agrégé  au  musée  de 
Toulouse,  et  à  plusieurs  autres  aca- 
démies. Cette  dernière  pièce  fut  insé- 
rée dans  le  Journal  géne'ral  de 
France.  La  réputation  naissante  de 


VEN  lor 

l'auteur  fixa  l'attention  de  M.  de  Bal- 
lamvilliers,  intendant  de  Languedoc^ 
qui  l'appela  à  Montpellier.  Là  ,  il 
adressa  à  l'épouse  de  ce  magistrat 
une  pièce  de  vers  très-agréables  ,  in- 
titulée :  la  Feillée.  M.  de  Cambis  , 
commandant  de  la  province,  s'in- 
téressa pour  lui  aujirès  du  cardi- 
nal de  Bernis  ,  son  parent ,  et  obtint 
la  sécularisation  du  jeune  poète,  qui 
n'était  pas  encore  engagé  dans  les 
ordres  sacrés.  Devenu  libre  ,  il  alla 
à  Nice  _,  auprès  de  M'"e.  de  Lubo- 
mlrska ,  qui  lui  donna  une  pension 
de  mille  écus  ,  avec  le  titre  de  son 
secrétaire.  Mais  il  la  quitta  bientôt 
pour  rentrer  en  France,  où  la  révo- 
lution venait  d'éclater;  il  en  embrassa 
les  principes  avec  chaleur  ,  et  vint 
d'abord  à  Snrèze ,  puis  à  Perpi- 
gnan ,  où  il  fut  nommé  professeur 
d'éloquence.  Il  prononça,  en  cette 
qualité,  l'éîoge  funèbre  de  Mirabeau. 
Peu  après ,  la  guerre  s'étant  déclarée 
entre  la  France  et  i'E;  pagne,  il  prit 
les  armes,  et  parvint  au  grade  d'ad- 
judant-général.  Envoyé  à  Paris,  pour 
exposer  le  dénuement  de  l'armée^  il 
s'y  trouvait  lors  du  3[  mai  1793.  Il 
favorisa  l'évasion  de  plusieurs  Gi- 
rondins ,  entre  autres  ,  de  Birotcan  , 
député  des  Pvréiiées-Orientales  à  la 
Convention  ,  qui  depuis  périt  à  Bor- 
deaux. Celte  action  généreuse  ne  pou- 
vait être  pard'^nuée  par  les  hunnnes 
qui  dominaient  alors.  11  fut  arrêté, 
par  orJre  du  Comité  de  salut  public, 
à  Perpignan,  où  il  était  retourîié, 
conduit  à  Paris  ,  et  livré  au  trdjunal 
révolutionnaire,  qui  le  condamna  à 
mort.  Il  fut  exécuté  le  \i  janvier 
i794i  n'ayant  pas  encore  accompli 
sa  trentième  année.  Malheureux  jeime 
homme,  qui,  comme  tant  d'autres  , 
abandonna  la  carrière  paisible  des 
lettres,  où  l'attendait  la  gloire,  pour 
aller  chercher  une  mort  cruelle   ait. 


I02  YEN 

milieu  des  orages  I  Ses  OEiwres  out 
c'ic  recueillies  et  publiées  au  pro- 
fit, de  sa  mère  ,  par  M.  Aug.  de 
La  Bouisse ,  1810,  i  vol.  in-iS. 
'L'Ennui  et  la  Quête  du  blé  sont  les 
pièces  les  plus  distinguées  de  ce  Re- 
cueil. Cette  dernière  avait  été'  impri- 
mée en  1786.  En  1808^  un  M.  de 
F.  .  •  ,  eu  réclama  la  propriété  com- 
me auteur  ,  et  alla  même  jusqu'à  sou- 
tenir que  Venance  était  un  être  ima- 
ginaire. L'éditeur  a  établi ,  sans  ré- 
plique, et  l'existence  et  les  droits  de 
celm-ci.  Aux  preuves  qu'il  a  données, 
l'auteur  de  cet  article  peut  joindre 
son  témoignage  particulier.  Il  at- 
teste qu'il  a  connu  Veuauce  à  Mont- 
pellier, en  i'j88  ;  que,  dès  cette 
époque,  il  a  eu  en  son  pouvoir 
une  copie  manuscrite  de  la  Quête , 
et  que  Venance  en  était  rèconim 
comme  l'auteur  ,  sans  réclamation. 
«  Ces  poésies ,  dit  un  critique  dislin- 
»  gué  (M.  Auger  ,  Journ.  de  l'Emp. 
»  du  16  sept.  18 1 9.) ,  ont  peu  de  va- 
'»  riété  dans  les  idées  et  de  poésie 
»  dans  l'expression  ,  mais  inie  mé- 
»  lancobe  douce  et  une  négliçrence 
»  qui  n  est  pas  sans  charme.  »  A  la 
suite  des  poésies  ,  on  trouve  des  ré- 
flexions écrites  y)ar  l'auteur,  pendant 
qu'on  le  transférait  à  Paris.  On  y  le- 
marquc  de  la  clialeur  et  une  piquante 
ironie.  S — FxD. 

VENANCE.  F.  Fortunat.      . 

VENCE  (  Henri-François  de  ) , 
l'un  des  meilleurs  commentateurs  de 
la  Bible ,  était  né  vers  iG'^G  ,  à 
Pareid  en  Voivre  ,  dans  le  Barrois. 
Après  avoir  fait  d'excellentes  élu- 
des, il  embrassa  l'état  ecclésiastique 
et  prit  ses  degrés  en  Sorbonne. 
Nommé  précepteur  des  jeunes  prin- 
"  ces  de  Lorraine  ,  il  remplit  ce  pos  • 
te  important  de  manière  à  se  con- 
cilier l'eslime  de  ses  augustes  élèves  ; 
et  en  récompense  de  ses  soins  ,  il  ob- 


VEN 

tjnt  la  prévôté  de  l'église  primatiafc 
de  Nanci.  S'étant  chargé  de  surveil- 
ler l'édition  de  la   Bible  du  P.  de 
Carrières  (  V.  ce  noUt  )  ,  qui  fut  im- 
primée à  Nanci ,  de  i']38  à   1743, 
en  2:i  vol.  in- 12  ,  l'abbé  de  Vence 
y  ajouta  six  volumes  à' Analyses  et 
de  Dissertations  sur  les   livres  de 
l'Ancien-Testament ,  et  deux  volu- 
mes à'Analjsss  ou  explications  des 
Psaumes.  Il  s'occupait  de  revoir  et 
de  perfectionner  ce  travail ,  quand  il 
mourut  à  Nanci  ,  le   i'^'".   novembre 
1749'.  ■''  l'âge  de  soixante- treize  ans. 
Dom  Calmct  ,    dont  il   a   souvent 
combattu  les  opinions,  dit  qu'il  joi- 
gnait à  une  vaste  érudition  une  criti- 
que sage  et  lumineuse.  Les  éditions 
de  la  Bible  publiées  par  Rondet  {V. 
ce  nom ,  XXXVIII ,  55o  ) ,  renfer- 
ment quelques-unes  des  Dissertations 
de  l'abbé  de  Vence.  Dans   l'édition 
d'Avignon,  17G7-73,  17  vol.  in-4°.  ^ 
connue  aussi  sous  le  nom  de  Bille 
de  Fence ,  on  trouve  de  lui  ,   tome 
I".:  Dissertations  sur  la  révélation 
et  l'inspiration  des  livres  sacrés;  sur 
la  canouicité    des  livres  saints  ;  — 
tome  VIII  :  Analyse  du  Cantique  dès 
Cantiques  selon  ie  sens  spirituel  ;  — 
tome  XVII  :  Dissertation  où  l'on  exa- 
mine ce  que  l'on  doit  entendre  par 
le   canon  des    anciennes  écritures  j 
Dissertation   où    l'on    examine    si 
Esdras  est  l'inventeur  des  points  qui 
servent  de  voyelles  dans  l'hébreu  ; 
et  si  l'on  doit  lui  attribuer  la  Massore, 
et  ce  qu'on  appelle  la  Cabale.  Dom 
Calmet  nous  apprend  que  l'abbé  de 
Vence  a  publié  des  Remarques  sur 
quelques   endroits  du  Dictionnaire 
de  Trévoux  ,  brochure  de  sept  pa- 
ges :  mais  il  n'en  indique  ni  la  date, 
la    !e  format;  et  malgré  toutes  les 
i-echei'cLes  que  nous  avons  faites,  nous 
ii'avous  pu  découvrir  cet   opuscule. 
W— s. 


YEN 

YENCESIiAS  P'-.  (  Saint  ) ,  duc 
de  Boliême  ,  naquit ,  en  gcy  ,  du  duc 
\rati.sîas  et  de  la  princesse  Dralio- 
niire.   Sa  inè»e  étant  païenne ,  sainte 
Ludmille,   son  aïeule,  pria  le  père 
ne  lui  confier  son  petit-fils,  afin  de 
l'elevor  dans  la  religion  chrétienne. 
Elle  mit  le  jeune  prince  au  collège  de 
Budecz  ,    où  il  se  rendit  habile  dans 
les  sciences  et  dans  les  exercices  qui 
convenaient  à  son  illustre  naissance. 
Fidèle  aux  iustructions  qu'il  recevait 
de  son  aïeule ,  il  chercha  surtout  à 
acque'rir  les  connaissances  qui  font 
le  véritable  chrétien.  11  e'vitait  soi- 
gneusement tout   ce  qui  aurait   pu 
ternir  la  plus  belle  des  vertus.  Il  n'a- 
vait que  treize  ans  lorsque  la  mort 
lui  enleva  son  père  ,  en  9^0.  Draho- 
mire,  s'ètant  emparée  de  la  régence, 
commença  par  redemander  Vences- 
las  à  Ludmille;  elle  craignait  que  sa 
belle  mère,    en   gardant  près  d'elle 
l'héritier  du  duché  ,   ne  cherchât  à 
prendre  de  l'autorité,  et  qu'elle  ne  mît 
obstacle   aux  desseins  qu'elle-même 
avait  formés,  Ludmille  rendit  ce  pré- 
cieux dépôt  ,  et  se  retira  àTétin  ,  que 
Borzivoy,  son  époux,  lui  avait  assigné 
pour  douaire.  Là  elle  se  préparait  à 
la    mort  ,  prévoyant  que   sa  belle- 
filie  ne  tarderait  pas  à   la  sacrifier. 
En  effet,  doux  assassins,  envoyés  par 
Drahomire ,  pénétrèrent  de  nuit  dans 
la  chambre  de  la  sainte  veuve.  Lud- 
mille leur  lit  de  douces ,  mais  inutiles 
représentations  :  l'ayant  arrachée  de 
son  ht ,  ils  lui  accordèrent  ,  sur  ses 
instances  ,  quelques  moments  pour 
offiir  sa  mort  à  Dieu  ;  mais  ils  lui 
refusèrent  la   grâce  qu'elle  deman- 
dait    de    ])érir   par    le    glaive ,    à 
l'exemple  des  anciens  martyrs  ;  ils 
pendirent  la  princesse  dans  sa  cham- 
bre (t).  Drahomire, n'étant  plus  re- 


VEN 


io3 


(0    Oode^i-ard    [.la 


:U  SliulP  l.wl- 


tenue  par  aucun  frein,  fil  e'clatei- 
une  fureur  barbare  contre  les  Chré- 
tiens. D'après  ses  ordres ,  los  églises 
furent  abattues  ,  et  l'exercice  public 
de  la  religion  chrétienne  jirohibé. 
Cette  princesse  révoqua  les  lois  que 
Borzivoy  et  Vratislas  avaient  pointées 
en  faveur  du  christianisme  ;  les  ma- 
gistrats qui  le  professaient  furent  des- 
titués, et  leursfonctions  confiées  à  des 
païens.  Plusieurs  Chrétiens ,  connus 
parleur  attachement  cà  la  religion  do 
Jésus-Christ, furent  massacrés.  Mais 
Venceslas  ayant  atteint  ,  en  9^5^  sa 
dix-huitième  année  ,  fit  assembler 
les  principaux  seigneurs  de  la  Bo- 
hême, auxquels  il  déclara  qu'il  vou- 
lait gouverner  par  lui-même  et  por- 
ter remède  aux  maux  qui  affligeaient 
ses  états.  Drahomire  avait  ses  par- 
tisans- ils  se  soulevèrent.  Venceslas, 
les  ayant  soumis,  invita  sa  mère  à  se 
retirer  à  Luczko,  aujourd'hui  Saatz, 
qui  appartenait  à  la  princesse  ,  et 
l'assura  qu'après  avoir  l'établi  l'or- 
dre et  la  tranquillité,  il  la  ferait 
revenir  avec  les  honneurs  dus  à  son 
rang.  Venceslas  ayant  ainsi  obtenu 
la  paix  dans  son  intérieur  ,  donna 
tous  ses  soins  aux  affaires  du  gouver- 
nement. Aussitôt  les  prêtres  exile's 
furent  l'endus  à  leurs  fonctions,  le 
christianisme  cessa  d'être  persécuté, 
les  gibets  furent  détruits  ;  enfin  toute 
la  vie  de  ce  prince  ne  fut  qu'un  en- 
chaînement de  vertus  ,  et  personne 
ne  fut  puni  de  mort  pendant  toute  la 
durée  de  son  règne.  Il  envoyait  sou- 
vent au  marché  pour  faire  acheter  à 
ses  frais  les  enfants  et  les  jeunes 
païens  que  l'on  y  exposait  en  vente 
selon  les  mœurs  barbares  de  ce 
temps  ,  et  il  les  faisait  baptiser  et 


mille  plus  tarr]  et  dans  d'.mfrps  ciroonstauces.  Le 
récit  que  uoiis  donnons  s'accorde  niioux  avec  îrs 
Tiils  lilsloriqiirs  de  cette  e'pnqne,  /'.  onirc  aiilrrs 
VHnInirr  (/:,„nnlr^,ji,r  H,  liolu-mr  ,  en  .il!rm;.n.i , 
r^r  i'nbitxlika. 


îo4  VEN 

élever  cîire'ticnnemcnî.  Il  cultivait 
lui-nu'me  à  Mielnick  une  vif:^p  qui 
.Tv.iit  apparteun  à  sainte Ludmille,  et 
il  en  faisait  !c  vin  pour  la  messe  que 
]'on  célébrait  dans  sa  chapelle.  Il 
préparait  aussi  de  ses  maius  le  pain 
pour  la  consécration.  Le  corps  de 
.sainte  Ludmille  avait  cte  enseveli  à 
Te'tin,  cil  les  fidèles  se  rendaient  de 
toutes  parts  pour  honorer  son  tom- 
beau. \ Cnceslas  l'envovacherclicr^et 
il  alla  lui-mcmcau  devant  de  cette  re- 
lique ,  qui  fut  portée  en  procession  à 
Prague  ,  et  dc'pose'e  dans  l'église  de 
vSarnt-tàcorf^es  .près  du  duc  A'ratislas , 
fils  de  la  sainte.  L'e'vèque  de  Ratis- 
bonne,  dans  la  juridiction  duquel  se 
trouvait  alors  la  ville  de  Prague,  y 
rnvoyn  son  evêque  siilfragant ,  qui 
consacra  l'église,  et  fit  la  déposition 
du  corps.  Depuis  cinq  ans  ,  Ven- 
ces!as  était  orcupc  à  rétablir  l'ordre 
en  liohcme,  lorsqn'en  pjo  il  s'éleva 
des  nu.igr-s  entre  Henri  I*^'"..cmpe- 
rcurd'Aiiemagne,  etiui.ll  paraît  que 
ces  dine'rends  tenaient  au  tribut  que 
les  empereurs  d'Allemagne  avaient 
impose  aux  Bohémiens  et  que  dans 
ces  temps  de  trouble  on  avait  négli- 
ge d'aeqiiitter.  Les  chroniques  di- 
.sent  que  Henri  porta  la  guerre  en 
Bohême;  mais  elles  ne  donnent  au- 
cun détail.  11  paraît  que  Vcnces- 
las  ,  depuis  cette  époque ,  aida 
l'empereur  Henri  dans  les  guerres 
qu'il  eut.i  soutenir  contre  les  Saxons, 
ies  Hongrois  et  les  peuples  Slaves, 
et  qu'en  plusieurs  rencontres  ,  en- 
tre autres  à  Mersehourg,  il  soutint 
la  gloire  de  ses  armes.  C'est  proba- 
blement en  935  qu'il  assista  à  la 
diète  que  l'empereur  avait  convoquée 
à  hrfurt ,  et  c'est  là  ,  selon  quelques 
chroniques  ,  que  l'empereur  lui  con- 
féra le  titre  de  roi ,  avec  permission 
de  mettre  une  aigle  dans  ses  armes. 
Ce  fut  peu  de  temps  après  son  re- 


VEN 

totir  d'Erfurt,  que  Venceslas  pe'rit 
delà  manière  la  plus  funeste.  Il  avait 
eu  la  faiblesse  de  rappeler  Draho- 
mire,  et  de  concert  ajec  cette  mé- 
chante femme,  son  frère  Boleslas 
avait  invité  le  prince  à  venir  à  Buntz- 
laUj  pour  célébrer  avec  lui  la  fête 
de  samt  Côme  et  de  saint  Damien, 
dans  l'église  consacrée  en  leur  hon- 
neur. \enceslas  y  alla  malgré  tous 
les  avertissements  qui  lui  furent  don- 
nés. Après  la  messe,  Podevin,  un  des 
seigneurs  qui  l'accompagnaient,  le 
pressa  encore  de  monter  à  cheval  et 
de  s'échapper.  Veiueslas  refusa  obs- 
tinément; et  le  lendemain,  de  grand 
matin  ,  il  se  rendit  à  l'église  pour  y 
faire  sa  prière.  Boleslas,  qui  le  sui- 
vait, fit  fermer  les  portes,  se  je- 
ta sur  son  frère ,  et  lui  porta  deux 
coups  d'épée.  Venceslas  le  désarma  , 
et  l'ayant  terrasse  ,  il  lui  rendit 
généreusement  son  épéc  ,  disant 
qu'il  lui  donnait  la  vie.  Boleslas 
appela  aussitôt  ses  compilées  j  et 
tous  fondirent  sur  le  malheureux 
Venceslas,  qui  fut  traîne  hors  de 
l'église ,  et  assassiné  devant  îa  porte. 
C'était  le  a8  septembre  gSj.  Quel- 
ques auteurs  assurent  que  Boles- 
las avait  invité  son  frère  au  bap- 
tême d'un  fils  qui  venait  de  lui 
naître;  que  le  duc  fut  assassiné  à  la 
table  du  festin,  et  que  depuis,  l'en- 
fant porta  le  nom  de  Strachjqiias  , 
ce  qui ,  dans  la  langue  de  ces  temps, 
signifiait  horrible  repas.  En  fj3() , 
Boleslas,  dit  le  Cruel  ^  permit  de 
transférer  le  corps  de  son  fri're  de 
Buntziau  à  Prague  ,  où  il  fut  déposé 
dans  l'église  de  Saint-Vit,  que  Ven- 
epslas  avait  fait  bâtir.  Ce  prinre  a 
été  mis  an  laug  des  saints  martyrs. 
L'empcreurOlhonl'^''. ,  voulant  ven- 
ger sa  mort ,  s'avança  contre  la  Bo- 
hême, et  lui  fit  une  guerre  fort  lon- 
gue, mais  dont  les  détails  sont  peu 


VEN 

connus.  Ce  ne  fut  qu'en  qSo  que  Bo- 
leslas  se  icconcilia  avec  le  clicf  de 
rcin]Mre.  G — y. 

VENCESLAS  II  ,  duc  de  Bo- 
liêrac  ,  fils  du  duc  Sobiesias,  neveu 
du   roi  Vladislas  II  ,    succe'da  ,  en 

I  i()i ,  à  Frcdoric  et  à  Conrad  ,  ses 
oncles.  Ce  prince,  depuis  dix-lniit  ans, 
vivait  dans  l'exil,  passant  de  la  Mo- 
ravie en  Hoiif^rie  ,  ou  en  Poioîjne. 
Comme  le  duc  Frédéric  son  oncle 
était  odieux,  à  la  naiion  bolieniienne , 
il  forma  contre  lui  un  parti  puissant, 
et  en  ii83,  il  s'avançn  jusque  sous 
les  murs  de  Prague,  dont  il  se  se- 
rait emparé  s'il  avait  eu  plus  d'au- 
'dace.  Par  ses  irrésolutions  .  il  don- 
na à  Frédéric  le  temps  d'appeler 
à  son  secours  Lcopold ,  margrave 
d'Autriclie,  et  Albert,  archevêque  de 
Saltzbourg.  Yrnceslas  eiirayé  se  re- 
tira en  Moravie  ,  près  du  duc  Con- 
rad ,  qui  ,  en  1 1 8ç)  ,  succéda  à  Fré- 
déric dans  le  duché  de  Bohème. 
Ce  prince  étant  mort  ,  en  itqi  , 
Przémislas  et  Venccslas  se  mirent 
sur  les  rangs  pour  lui  succéder.  Ce- 
lui-ci, appuyé  par  Henri,  évoque 
do  Prague,  fut  reçu  dans  la  capitale 
du  duché  ,  et  proclamé  souverain. 

II  avait  à  peine  gouverné  pendant 
Iroismois,  lorsque,  chassé  par  Przé- 
mislas ,  il  s'enfuit  à  Bambcrg  pour 
implorer  la  protection  de  l'empereur 
Henri,  dont  les  lettres  edravirent  tel- 
lement Przémislas  qu'il  abandonna 
Prague  et  se  retira  en  Moravie. 
Venccslas,  s'étant  mis  en  chemin 
pour  rentrer  en  Bolième  ,  fut  arrêté 
cl  jeté  eu  prison  par  le  margrave 
de  liUsace.  Succombant  aux  peines 
de  la  captivité,  et  vovant  appro- 
cher ses  derniers  moments  ,  il  éta- 
blit tuteur  de  son  fils  Zbignéc-  le 
prince  Henri  ,  évoque  de  Prague.  Ce 
j)ré!at  convoqua  les  états  du  royau- 
me, qui,  malgré  ses  instances,  rejeté- 


VEN  ia5 

rent  le  jeune  prince  Zbignée,  et  le 
choisirent  lui-même  pour  leur  sou- 
verain. Après  la  mort  de  Henri  , 
Zbignée  ,  trompé  par  de  faux,  amis  , 
tomba  dans  le  piège  qu'on  lui  ten- 
dait ;  Vladislas  et  Przémislas  ,  ses 
parents  ,  lui  firent  crf  ver  les  veux  , 
et  en  lui  s'éteignit  la  descendance  de 
Venccslas  II.  G — y. 

VENCESLAS  III,  roi  de  Bohê- 
me .  le  second  des  Oltocares  ,  (ils  dn 
roi  Przémislas  II ,  naquit,  en  i2o5  , 
de  la  reine  Constance ,  sœur  de  Bêla, 
roi  de  Hongrie.  Dans  les  démêlés 
survenus  entre  Othon  et  Philippe, 
qui  prétendaient  tous  les  deux  à  l'em- 
pire d'Allemagne,  Przémislas,  apics 
jilu.sieurs  changements  ,  avait  eudn 
emi)rassé  le  parti  du  dernier,  et 
Plii!i]ipe,  reconnaissant  de  l'appui 
que  la  Boîiême  lui  fournis.«ait ,  ac- 
corda sa  fille  Cunégondc  au  jeune 
Venccslas.  qui  n'avait  alors  que  cinq 
ans.  La  princesse,  qui  était  du  mê- 
me fige ,  fut  envovée  à  Prague  ,  pour 
y  être  élevée  ju.'^qu'à  ce  que  le  maria- 
ge pût  être  célébré.  En  122G,  Przé- 
mislas ,  du  consentement  des  grands 
du  rovaume  ,  déclara  Venccslas , 
son  .successeur ,  ce  qui  fut  confir- 
mé par  l'empereur  Frédéric  II.  Il 
est  dit  dans  l'acte  de  confirmation  : 
«  Henri ,  margrave  de  Moravie,  les 
magnats  et  les  nobles  de  la  Bohême 
nous  ont  exposé  que,  d'après  la  vo- 
lonté et  le  consentement  de  notre 
bien  aimé  Przémislas  Ottocare,  roi 
de  Bohême,  ils  ont  élu  pour  leur  roi 
Venccslas,  iils  aîné  du  roi  de  Bohê- 
me ,  nous  suppliant  de  vouloir  bien 
agréer  et  conlirmer  cette  élection  , 
ce  que  nous  faisons  par  les  présen- 
tes, en  confirmant  les  privilèges  que 
nous  avons  déjà  accordés  à  la  Bohê- 
me. »  En  i.>.28.  l'archevêque  de 
Maïencc  vint  à  Prague,  pour  donner 
l'onction  royale  à  Venccslas  et  à  la 


io6 


VEN 


reine  Cimëgonde.  Dès  l'année  sui- 
vante ,  Venceslas  parcoui'ut  à  la 
tête  d'une  armée  tout  le  duché'  d'Au- 
triche jusqu'aux  frontières  de  la 
Hongrie,  et  revint  à  Prague,  char- 
ge' de  dépouilles.  Przémisias  ,  qui , 
pendant  cette  espédilion  ,  était  tom- 
bé dangereusement  malade ,  mou- 
rut dans  les  premiers  jours  de  jan- 
vier i'23o  ,  et  Venceslas  régna  seul 
en  Bohême.  Frédéric,  duc  d'Autri- 
che, voulant  venger  l'insulte  qui  lui 
avait  été  faite ,  vint  mettre  le  siège 
de'/ant  Wéthau,  sur  les  frontières  de 
la  lîoliêrae  et  de  la  Moravie.  Vences- 
las accourut  à  la  tèle  de  ses  troupes, 
€t  par  ses  ordres  ,  les  habitants  son- 
nèrent le  tocsin  pendant  la  nuit, 
dans  toutes  les  églises.  Frédéric  ef- 
frayé prit  la  fuite  ;  Venceslas  le 
poursuivit;  arrêté  par  une  place  for- 
te ,  il  reç'it  de  Frédéric  un  déil  à  un 
combat  singulier.  Le  roi  se  trouva  au 
lieu  donné;  et  comme  Fi'édéric  ne 
parut  point ,  il  poussa  ses  ravages 
jusque  dans  le  cœur  de  l'Autriche. 
La  Moravie  n'ayant  point  de  prince, 
Venceslas  donna  cette  province  à 
son  fils  Przémisias ,  qui  fut  mis  sous 
la  tutelle  de  la  reine  Constance. 
Le  marquis  de  Brandebourg  s'étant 
rendu  a  Prague  pour  demander 
des  secours  contre  l'archevêque 
de  Magdebourg,  Venceslas  lui  ac- 
corda un  corps  de  troupes  assez 
considérable.  On  en  vint  aux  mains  ; 
l'archeA'êque,  que  les  autres  prélats  de 
Saxe  accompagnaient,  fut  complète- 
ment défait,  et  ne  se  sauva  qu'avec 
peine  ;  !'(,S  êque  de  Halberstadt  resta 
.sur  la  place  (  i2/|0).  Les  évêques 
d'Allemagne  ,  indignés ,  accusèrent 
près  de  l'empereur  Frédéric  II  Ven- 
ceslas ,  qui  s'était  rendu  à  la  diète  de 
Ramberg.  Ils  le  représentèrent  com- 
me un  prince  inquiet,  qui  cherchait 
j)ar  des  entreprises  téméraires  à  trou- 


VEN 

hier  la  paix  publique  en  Allemagne; 
ils  engagèrent  l'empereur  à  annuler 
les  privilèges  qu'il  avait  accordés  à 
Przémisias  II ,  père  de  Venceslas  ;  à 
reprendre  les  domaines  qui  lui  avaient 
été  cédés  ,  et  à  soumettre  de  nouveau 
la  Bohème  au  tribut  qu'elle  acquit- 
tait autrefois.  «  Les  plaintes ,  disent 
les  annalistes  bohémiens  ,  furent  ré- 
pétées avec  force,  à  la  suite  d'un  de 
ces  repas  de  diète  où  l'on  buvait 
sans  mesure,  en  vidant  les  calices 
destinés  à  ces  dîners  de  cérémonie.  » 
L'empereur,  échauffé  ])ar  le  vin  et 
par  ces  rapports  pressants  ,  prit 
Venceslas  à  part,  et  lui  fit  de  vifs 
reproches.  Le  roi  répondant  avec 
fermeté,  Frédéric  le  repoussa  de  la 
main.  Venceslas,  indigné,  saisit  Tcm- 
pcreur  de  la  main  gauche ,  et  de 
l'autre  lira  l'épée,  en  jurant  qu'il 
allait  venger  cette  insulte  dans  son 
sang  s'il  n'obteuaitsatisfaction.  L'em- 
pereur efl'rayé  fit  ce  que  le  roi  de- 
mandait. Comme  Venceslas  se  ren- 
dait à  son  logement,  l'abbé  de  Ful- 
de  ,  qu'il  i-encontra,  le  frappa  rude- 
ment sur  l'épaule  ,  en  lui  disant  : 
«  Si  j'étais  empereur, je  saurais  bien 
»  comment  vous  traiter.  «  \  ogirius, 
capitaine  des  gardes  du  l'oi ,  répon- 
dit pour  son  prince  en  appliquant 
à  l'abbé  un  soufflet  de  toutes  ses 
forces ,  et  en  lui  disant  :  «  Puis- 
»  que  tu  es  si  mal  élevé ,  apprends 
»  de  moi  le  respect  que  tu  dois  à  un 
»  roi.  »  Venceslas  partit  aussitôt 
sans  prendre  congé  de  l'empereur. 
Des  amis  communs  intervinrent  ;  et 
la  paix  se  fit  entre  les  deux  princes. 
Peu  de  temps  après,  FreJéric  invita 
même  Venceslas  à  son  mariage  avec 
la  sœur  du  roi  d'Angleterre  ;  et  en  cette 
occasion  il  ne  négligea  rien  pour  lui 
montrer  que  tout  était  oublié.  Le  duc 
d'Autriche  ayant  méprisé  l'autorité 
impériale,  Venceslas  fut  chargé  par 


VEN 

Frédéric  de  venger  celte  insullr  ,  et 
il  s'empara  de  Vienne,  qu'il  garda 
jusqu'à  ce  qiieleducd'AiilricJie  se  fU 
soumis.  Cette  expédition  fui  aussi  ho- 
norable qu'utile  pour  Venccslas ,  par 
les  impositions  qu'il  lui  fut  permis 
de  lever  sur  le  pays  conquis.  Mal- 
heureusement il  donnait  plus  qu'il 
ne  recevait.  Ne  sachant  garder  au- 
cune mesure  dans  ses  libéi'a'ite's ,  il 
était  toujours  force'  d'emprunter  et 
de  lever  impôts  sur  impôts.  Quand 
il  se  voyait  dans  l'impossibilité'  de 
remplir  ses  obligations  ,  il  faisait 
prendre  chez  les  Juifs,  ou  il  com- 
mandait d'autres  exactions.  Des  ma- 
gnats ayant  voulu  lui  faire  des  repré- 
seiiiations,  il  les  avait  fait  jeter  eu 
■prison.  Les  me'conteuts  e'migraient 
en  Moravie;  et  le  jeiuic  Prze'mislas  , 
fpii  n'était  plus  retenu  par  les  avMS  de 
la  reine  Constance,  sou  aïeule, mor- 
te en"  1 24"5 ,  se  laissait  entraîner  par 
des  con'-eils  perfides.  On  le  procla- 
mait roi  :  la  Bohême  mécontente  l'at- 
tendait; et  il  n'avait  qu'à  se  monîi'cr 
]iour  prendre  la  jilace  de  son  père. 
Henri,  margrave  de  Meissen,  olïrait 
ses  troupes  au  jeune  prince  ,  qui  osa 
hautement  se  soule\  er  contre  son  pè- 
re. Udaîrick,  dr.c  de  Carinthie,  se 
hâta  d'amener  des  secours  à  Vences- 
las,  son  beau-rfrcre,  qui  eut  bientôt 
mis  en  fuite  les  révoltés.  Le  jeune 
Prze'mislas  vint  se  jeter  aux  pieds 
de  son  père,  qui,  sans  se  laisser  tou- 
cLer  par  ses  larmes,  le  fit  garder 
en  lieu  sûr.  Venceslas  eut  à  peine 
rétabli  l'ordre  et  la  soumission  dans 
sa  famille  ,  qu'il  reçut  du  dehors 
Jesnouvclîcs  les  plus  effrayantes.  Les 
'  Tartarcs,  s'ctant  emparés  de  la  Rus- 
sie ,  avaient  dirigé  une  armée  sur  la 
'Pologne,  une  auîre  sur  la  tîongrie.  La 
première  avait  ravagé  les  palatiuats 
de  Sendomir ,  de  Cracovie  et  une  par- 
lie  de  la  Silcsic  ,  et  s'était  arrêtée  à 


YEN 


107 


Licgnitz,  devant  un  corps  de  braves, 
commandé  par  le  duc  Henri ,  beau- 
frère  de  Venceslas.  Le  roi  s'avançait 
à   la   têle  des  Bohémiens  :  mais   on 
n'attendit  point  son  arrivée  ;  et  le  1 5 
avril    1241   fut  livrée  la  bataille  de 
Licgnitz,   une  des  plus  brillantes, 
mais  aussi  une  des  plus  malheureuses 
que  la  valeur  chrétienne  ait  eues  à 
soirtenir  contre  les  barbares.  Les  Tar- 
tarcs, quoique  vainqueurs,  au  heu 
d'aller  en  avant,  se  jetèrent  sur  là 
Moravie.   Veuceslas   envoya ,    pour 
défendre  Oiinr.tz  ,  un  général    qui, 
dans  une  sortie  ,  surprit  les  Tartaves^ 
et  les  défit  complètement.  Béta  ,  leur 
chef,  resta  sur  !a  place;  et  les  restes 
de  l'armée  allèrent  se  joindre  à  l'aile 
gauche  ,   qui  ravageait  la  Hongrie. 
Venceslas  ,  craignant  de  nouveaux 
événements, faisait  rétablir  et  garnir 
les  places  fortes   en  Bohème  et  eu 
Ploravie.    Il    mit    en   liberté    Przé- 
mislas,  son  (ils,  et  lui  rendit  son  apa- 
nage ,  en  lui  disant  que  dans  des  cir- 
constances   si    difficiles   il    saurait 
sans  doute  mériter  son  pardon.  Mais 
"loienîôt  de  nouvelles  inquiétudes  vin- 
rent encore  troubler  la  paix  intérieu- 
re du  royaume.   Un  seigneur  bohé- 
mien ,   après  avoir   fait  violence   à 
une  jeune  juive,  l'étrangla.  Le  mal- 
heureux père  se  vengea  eu  tisant  de 
repiésailles,  et  le  roi  ne  crut  point 
devoir  punir  ce  dernier  meurtre  :  la 
noblesse  se  souleva  ,  en  l'acnisant  de 
favoriser  les  Juifs  et  la  jicpulace.  Les 
conjurés  firent  de  nouvelles  ouvertu- 
res à  Prze'mislas  ,  qui ,  sans  les  tra- 
hir ,  ne  leur  donna  point  d'espoir. 
Ayant  été  découverts ,  ils  furent  punis 
du  dernier  supplice.  L'évcque  de  Pra- 
gue, que  le  roi  soupçonnait,  reçut  la 
défense  de  sortir  du  palais  cpiscopaL 
Le  clergé  s'étant  soulevé,Venceslas  cé- 
da, îl  lit  con'^truire  des  églises  et  des 
hô|^itaux ,  et  la  tranquillité  se  rétablit. 


io8  VEN 

FrcJcric,  diic  d'Autriche,  paraissait 
ne  point  ressentir  les  malheurs  com- 
mun-;. A  peine  les  TarlaiTss'c'taicnt- 
ils  retires,  qu'il  entra  dans  la  Moravie 
pour  la  ravager.  Avant  c'te  repousse', 
il  jirovoqua  Venccslas  à  un  combat 
sin|:;ulior,  qui  devait  avoir  lieu  le  27 
novembre  iJ.'^^  ,  à  Scliecz,  sur  les 
frontières  de  l'Autriche  et  de  la  Mo- 
ravie. Dans  sa  lettre  de  de'li ,  ce 
prince  donnait  à  Vence^las  le  choix 
de  se  présenter  au  lieu  du  combat  et 
nu  jour  duuiic,  ou  de  si;;ncr  un  acte 
qui  commençait  par  ces  paroles  : 
V  Moi ,  Venceslas  ,  roi  de  iJohêrae  , 
»  je  ne  suis  j)oint  né  légitimement  ; 
»  je  suis  lils  d'une  créature  pnbli- 
»  que  ,  ce  que  j'atleste  et  attesterai 
»  à  jamais  pour  moi  et  pour  mes 
»  successeurs.  »  Le  roi  réjiondit  à  ce 
cartel  grossier,  comme  il  le  devait  , 
en  se  mettant  en  marche  a  la  trie  do 
son  armée  ;  il  se  trouvait  .1  Schccz  au 
jour  indiqué,  et  après  avoir  attendu 
j)cn<iant  deux  jours,  il  s'avança  jus- 
qu'au Danube  ,  et  ravagea  une  par- 
tie de  l'Autriche.  Le  duc  Frédéric 
ayant  péii  en  iSjO,  dans  un  com- 
])at  contre  les  Hongrois  ,  sans  lais- 
ser d'héritiers  ,  sa  succession  devait 
échoir  à  la  prinrcssc  Marguerite,  sa 
nièrc  ,  fdle  de  Léopold ,  frère  aîné 
de  Frédéric.  Udalrick.  j)rince  deCa- 
nnlhie,  neveu  de  Venceslas,  tenta  de 
s'emparer  diidurhé  vacant;  mais  il  fut 
])riNCtrai5  en  prison.  Les  états  d'Au- 
triclic,  se  vovant  de  tous  côtés  me- 
nacés par  des  voisins  inquiets  et  puis- 
sants, déclarèrent  qu'ds  s'en  rap- 
portaient à  la  décision  du  roi  Ven- 
ceslas. Ce  prince  leur  proposa  son 
lils  Przémislas  .  qui  ,  ayant  épousé 
Il  pnncessr  Margueritf^ ,  fut  procla- 
mé souverain  du  duché  d'Autriche 
(  ii^i-x).  Jiéla  ,  roi  de  Hongrie ,  jiré- 
lenditque  l'Autriche  lui  appartenait, 
le  dernier  duc  Frcdc'ric  ctanl  raort 


VEN 

en  combattant  contre  lui.  Sous  ce 
jirétexte ,  il  se  jeta  sur  la  INIora- 
vie  ,  la  dévasta  ,  et  se  retira  avec 
un  riche  butin.  Dans  les  premiers 
jours  d'octobre  i9-53  ,  le  roi  Ven- 
ceslas se  rofioidit  dans  une  partie  de 
chasse  ;  on  le  ramena  à  Prague  ,  où 
il  mourut  au  bout  de  trois  jours.  On 
cacha  soigneusement  sa  mort  ,  jus- 
qu'à ce  que  l'on  eût  fait  venir  les 
seigneurs  qui  lui  avaient  prêté  ,  et 
qui  ioîenaier«l  en  gage  des  places 
fortes  du  rovaume.  Ce  prince  ,  qui 
aimait  passuMinémcnt  la  chasse,  y 
avait  perdu  un  ttil  dès  le  commen- 
cement de  son  règne.  Przémislas , 
apprenant  la  mort  de  son  j)(tc,  se 
hîta  de  prendre  des  mesures  pour 
s'assurer  la  possession  de  l'Autriche, 
et  surtout  celle  de  la  Carinthie,  qui 
avait  refusé  de  le  reconnaître.  H  n'ar- 
riva à  Prague  ([u'un  mois  a|>rès  (  /^. 
Ottocark  II  ).  G — V. 

VENCI'ISLVS  IV,  vulgairement 
surnommé  U:  f'ieux,  roi  de  Bohème 
et  de  Hongrie,  naquit,  vers  l'an  lu^o^ 
d'Ottocare  Pr/émisias,  dit  le  f'icto- 
rieui .  et  de  l'impérieuse  Cunégonde, 
sa  femme.  Docile  aux  conseils  de 
cette  derni.TC  ,  Oltocare  avait  levé' 
l 'étendard  de  la  guene  contre  l'eni- 
j)ereur  Hodolphc  de  Habsbourg  ( /'. 
OTTOCAnE  llj,  et  il  avait  perdu  à 
Laa  .  près  de  Vienne,  la  victoire  et  la 
vie  (  viGaoût  la-jH).  Ce  fut  au  milieu 
de  ces  circonstances  orageuses  que 
Venceslas,  alors  âgé  de  huit  ans, 
monta  sur  le  trône ,  si  c'est  être  sur 
le  trône  que  de  vivre,  avec  le  litre 
de  roi ,  tantôt  en  tutelle,  tantôt  dans 
les  fers.  Rodolphe  vaintpieur  mar- 
chait à  la  tête  de  troupes  nombreuses 
sur  la  nolième,  incapable  de  faire  la 
moindre  résistance  ,  lorsqu'Ollion  , 
marquis  de  Brandebourg  et  cousin 
du  jeune  prince ,  accourt ,  occupe 
Prague ,  met  en  sûreté  les  Ircsors- 


YEN 

amoncelés  par  Oltocarc ,  puis  s'a- 
vance au-devaut  de  l'année   autri- 
eliienne.  Iludulplie  alors  leint  la  ma- 
gna nimile,  renonce  à  tonte  prclcntioii 
biw  la  Ijoliênic  ,  et  dans  une  confe'- 
reiice  tenue  à  Coulonges  sur  {'Klbe  , 
icconnaît   Venceslas  roi  .  et   Otlion 
re};ent ,  à  eondilion  ([u'ils  abandou- 
nercnt  delinitiv*  mnit  la  C.arintiiie  , 
la  Slyrie  et  l'Ibtiie.  de'j.i  ravies  à  Ot- 
tocare;  l'alliance  sli[)ulee  precedcm- 
meiit  entre  \  enccslas  et  (îutlia  ,  au- 
trement Judith  ,  lille  de  Uodolphe  , 
est  conlirinee.  Cependant  le  marquis 
de  Ihandebourg,  enarracliant  à  l^o- 
dol[)lie  la  riche  proie  qu'il  convoi- 
tait ,  avaitbien  moins  travaille  pour 
sou  parent  que   pour    hn-mêiue.   A 
peine    la   rei^ence    lut  -  elle    remise 
entre  ses   mains  ,  qu'il    all'ecta    les 
manières    les   plus   tyranniques.     Il 
accabla  le  peuple   d'imj)ols  ,    traita 
les    grands    du    pays   avec    dédain 
et    hauteur  ^    viola    les     privilégies 
de  toutes  les  villes  ,   et  lit  peser  le 
joug  sur  le  roi  même  et  sur  sa  mère. 
Les  clioses  en  vinrent  au  point  que 
des  plaintes  furent  adressées  à  l'em- 
j'creur.  Kodolphcpcudisposeà  don- 
ner raison  au  rc^ijent,  lui  envova  l'ur- 
dj'edo'j^ouverner  d'une  manière  moins 
vexatoire.  Irrite  de  la  réprimande, 
celui-ci  quitte  la  Bolu'me,  mais  eu  y 
laissant  pour  la  gouverner  des  olliciers 
allemands ,  lidèlcs  imitateurs  de  sa 
sévérité ,    et  après   avoir   enfermé 
Venceslas  et  sa  mère  dans  la  cita- 
delle de  Prague  (  i  281  )  :  les  ordres 
donnes  à  leur  égard  étaient  tellement 
rigoureux  ,  que  l'èvêque  de  Prague 
s'ciant  présenté  pour  rendre  vi:itc 
aux  deux  augustes  captifs,  on  refusa 
de  l'admettre.    Cette  détention  ar- 
bitraire indigna  tellement  plusieurs 
seigneurs,  (pi'ils  résolurent  de  la  faire 
cesser,  et  formèrent  une  ligue  pour  la 
délivrance  de  la  mère  et  du  fils.  Mais 


VEN 


lag 


la  conspiration  fut  connue  avant  d'é- 
clater ;  et  Otlion  ,  arrivant  eu  toute 
hâte  du  Brandebourg  avec  des  trou- 
pes, disperse  les  conjurés,  met  gar- 
nison dans  la  citadelle,  et  coniie  le 
prince  à  l'évèque  de  Brandebourg  , 
qui  le  garde  avec  non  moins  de  sévé- 
rité. La  reine  seule  obtint  la  jiermis- 
sion  de  sortir  quehp.iefois  du  cliàteau 
de  Prague,  et  de  se  promener  avec 
les  princesses  ses  filles  ;  mais  jamais 
ses   prières    ne   purent   procurer   le 
même  avantage  à  son  (ils  :  au  con- 
traire, le  marquis  ,  importuné  de  ses 
sollicitations,  emmena  le  jeune  prince 
à  sa  cour,  sous  prétexte  de  l'élever. 
Cependant  il   consentit  à  laisser  le 
gouvernement  aux  seigneurs,  qui  for- 
mèrent un  conseil  de  régence.  L'evèquc 
de  Prague,  Tobic,  et  le  préteur  Thi- 
baut en  furent  les  chefs.  Enlin  Ven- 
ceslas atteignit  sa  majorité  (  1-288  )• 
et  Otlion  n'ayant  plus  de   jnétexte 
pour  le  retenir  ,  le  renvoya  dans  ses 
états  après  l'avoir  armé  chevalier. 
Il  lui  fallut  d'abord  ratifier  !a  cessiou 
de  r.\utriclic,  de  la  Sfvrie ,  delà 
Caiintliie  et  autres  liefs  île  la  suc- 
cession de  Frédéric  -  le -belliqueux. 
11  épousa  ensuiie  (jutlia ,  à  laquelle 
il  avait  été  fiancé  du  vivant  de  son 
père ,  et  obtint,  comme  électeur  ,  la 
charge  de  grand  éclianson  (  la-jo  ) , 
octroyée  jadis  et  pii.srctirée(  1274) 
à  Ottocare.  Ouelqiies  années  se  pas- 
sent, et  tout-à-coup  un  liasard  inat- 
tendu lui  ollic  deux  sceptres  presque 
au  même  instant.  Depuis   i28<),  la 
Pologne  était  en  proie  à  l'anarchie. 
lleuri-le-Bon,  de  Breslaii,et  Boleslas, 
dei\Iazovie,  s'etaientdisputélc  trône. 
A  peine  vainqueur,  le  premier  était 
mort;  et  deux  autres  rivaux  ,  \la- 
dislas  Lokeitek,  ducdeCujavieet  de 
Syravie  ,    et   Przémislas  ,   duc    de 
la   Grande -Pologne  ,    combattaient 
pour  son  héritage.  Sur  ces  entrefaites 


MO  YEN 

GrypLine ,  veuve  de  Leszko-!e-Noir, 
un  des  derniers  souverains  de  cette 
malheureuse  coctre'e,  appelle  Vences- 
las  ,  et  lui  annonce  qu'il  a  été  élu 
dans  une  diète  de  Posnanie.  Le  roi  de 
Bohême  assemble  d'abord  ses  sei- 
gneurs à  Prague  ,  demande  s'd  doit 
accepter  la  couronne  que  les  Polo- 
nais lui  défèrent;  et  sur  l'affirma  live, 
il  marche  contre  ses  rivaux.  Vain- 
queur de  Przémiôlas ,  il  est  vaincu  par 
Lokeitek.  Mais  un  autre  Przémislas, 
duc  de  Pomcranic ,  triomphe ,  et  se 
fait  couroimer.  Un  coup  de  poi- 
gnard ,  dirigé,  dit  on,  par  un  en- 
voyé d'Othou  de  Brandebourg  ,  le 
renvei'se.  Lokeitek  reparaît  ,  se 
fait  réélire,  se  fait  chasser  de  nou- 
veau. Venceslas  est  couronné  dans 
Guesne  ,  après  avoir  promis  solen- 
nellement de  n'établir  nul  impôt 
sans  le  consentement  des  états,  et  d'é- 
pouser Richscha,  lillede  Pizémislas. 
Peu  de  jours  après,  en  effet,  il  re- 
çoit la  main  de  cette  princesse.  Il 
achève  ensuite  à  l'aide  du  comte  de 
la  Lippe,  le  meilleur  de  ses  géné- 
raux ,  de  ruiner  le  parti  de  Vla- 
dislas  ,  le  chasse  de  la  Grande- 
Pologne  ,  et  s'empare  même  de  son 
duché  de  Cujavie,  L'intérieur  du 
royaume  n'occupe  pas  moins  ses 
soins.  Il  rétablit  l'ordre,  fait  fleurir 
la  justice,  institue  un  sénat ,  et  enfin 
rcloiirne  en  Bohême  ,  comblé  des 
bénédictions  tic  ses  nouveaux  sujets. 
Mallieiireiisernentiiavait,  enp.irlant, 
confié  l'administration  civile  à  trois 
gouverneurs,  dont  l'un  était  son  frère 
naturel  jNicolas ,  duc  de  Troppau  ,  et 
qui  devaient  recevoir  des  ordres  du 
comte  de  la  Lippe.  Le  caractère  noble 
et  généreux  de  celui-ci  ne  put  empê- 
cher que  les  autres  n'irritassent  les 
seignetirs  et  le  peuple  par  leur  arro- 
f;ance  et  des  exactions  continuelles. 
Cependant   Venceslas,   en  arrivant 


VEN 

dans  ses  états,  y  trouve  le  nonce  du 
pape  qui  l'attendait,  afin  de  l'engager 
dans  la  querelle  de  Boniface  VIII 
contre  Philippe-le-Bel ,  roi  de  Fran- 
ce :  il  s'y  refusa  nettement.  L'irasciljle 
pontife  en  fut  piqué  au  vif,  et  pour  se 
venger  .  il  enjoignit  au  roi  de  Bohême 
de  quitter  le  sceptre  de  Pologne.  Il 
eut  bientôt  une  nouvelle  occasion  de 
manifester  son  ressentiment.  Charlcs- 
IMartel  et  André  le  Vénitien  ,  tous 
deux  compétiteurs  du  trône  de  Hon- 
grie, étant  morts,  l'un  eu  ici95,rau- 
Ireen  i3oi,  plusieurs  seigneurs  hon- 
grois offrirent  le  sceptre  à  Venceslas, 
comme  descendant  de  leur  ancien  roi 
Bêla  IV.  Venceslas  refusa  pour  lui- 
même  ;  mais  il  proposa  à  sa  place 
son  fils  et  son  héritier  présomptif. 
Les  députés  hongrois  acceptèrent 
l'échange,  et  emraenèi'cnt  le  jeune 
Venceslas  ,  auxquels  ils  donnèrent  le 
nom  de  Ladislas.  A  cette  nouvelle, 
Boniface  fulmine  contre  l'irrégu'a- 
rité  d'une  élection  faite  sans  son  con- 
sentement ,  proclame  qu'à  lui  seul  et 
au  Saint-Siège  appartient  le  droit 
de  designer  un  souverain  à  la  Hon- 
grie, réprimande  Venceslas  ,  et  lui 
ordonne  d'envoyer  dans  six  mois  , 
à  Rome ,  des  ambassadeurs  munis 
de  toutes  les  instructions  nécessai- 
res ,  se  réservant  de  juger  ensuite 
si  l'élection  est  valide.  Venceslas  se 
refuse  à  cette  démarche  humiliante, 
etnieles  droits  du  pontife  sur  la  Hon- 
grie. Alors  celui-ci  armulle  tout  ce 
qui  s'est  fait  ,  déclare  la  couronne 
de  Hongrie  héréditaire  et  non  élec- 
tive ,  et  l'adjuge  à  Alarie,  reine  de 
Naples.  Celle-ci  la  destinait  à  Cha- 
robert ,  son  petit-fils  ,  issu  du  ma  lia- 
ge de  Charles-Martel  avec  Clémence 
de  Ha  lisbourg,  e t  pa  r  conséquen  I  neveu 
de  Rodolphe,  et  cousin  d'Albert,  alors 
empereur.  Il  était  naturel  (|uc  ce 
prince  prît  parti  d.ins  la   querelle  : 


VEN 

aussi  vint-il,  suivi  de  Hongrois,  d'Au- 
trichiens, de  Germains  et  de  Bul- 
gares ,  ravager  la  Eohéme  ,  et  s'a- 
chemina vers  Budweis  ,  du  côte'  des 
mines  d'argent.  Mais  les  ouvriers 
qui  travaillaient  aux  mines  empoi- 
sonnèrent les  eaux  du  voisinage  ,  et 
Albert  vit  périr  ses  soldats  victimes 
d'allrcuses  douleurs  d'entrailles.  Il 
reprit  le  chemin  de  ses  états  ,  lais- 
sant la  Bohème  en  paix.  Néanmoins 
Venceslas  ne  put  encore  jouir  d'un 
repos  acheté  par  tant  de  fatigues.  Le 
mécontentement  était  au  plus  haut 
degré  eu  Pologne,  et  des  députés 
vinrent  se  plaindre  solennellement  à 
Prague  des  crimes  de  leurs  trium- 
vii's.  Les  faits  étaient  si  graves,  que 
le  roi  eu  destitua  deux.  Il  fut  ensuite 
obligé  de  reprend'-e  les  armes.  La 
conduite  de  sou  fils  en  Hongrie  avait 
tellement  aigri  le  peuple  et  les  grands, 
que  quelques-uns  se  révoltèrent  sans 
que  personne  songeât  à  prendre  son 
parti  et  à  le  défendre,  çt  qu'il  fut 
obligé  de  se  renfermer  dans  le  châ- 
teau de  Bude,  et  d'y  soutenir  un 
siège.  Son  père  vint  l'en  dégager 
(  i3o5).  Il  survécut  peu  à  ce  der- 
nier exploit,  et  mourut  la  même  an- 
née ,  emporté  par  une  fièvre  lente  , 
et  priant  l'empereur  d'être  le  protec- 
teur de  son  fils.  ï!  avait  alors  trente- 
cinq  ans.  C'est  Venceslas  îe  Vieux 
({ui  est  le  héros  de  la  tragédie  de 
Rotrou,  intitulée  Venceslas.  Le  su- 
jet de  la  pièce  est  tout  entier  d'ima- 
gination ;  et  il  n'y  a  de  vrai  dans 
tout  l'ouvrage  que  le  caractère  de  ce 
prince.  P — or. 

VENCESLAS  V  (  ou  selon  quel- 
ques-uns, ViiNCESLAS  III  ,  surnoiamé 
le  Jeune  ,  liis  de  Venceslas  IV  et  de 
Gutha  ou  Judith  de  Habsbourg  (  F. 
l'article  précédent  ) ,  naquit  en  l 'iSg 
ou  lugo.  Il  était  âge  de  douze  ans  , 
lorsque  des  députes   hongrois  ,   en- 


VEN  ,  I , 

voycs  pareeux  des  seigneurs  qui  ne 
voulaient  point  un  roi  de  la  mam  du 
pape  ,  offrirent  le  sceptre  à  son  père. 
On  sait  que  celui-ci,  déjà  chargé  des 
couronnes  de  Pologne  et  de  Bohême, 
refusa  pour  lui-même  (  i3o2  ),  mais 
proposa  de  transférer  à  son  fils  la  di- 
gnité dont  on  voulait  le  revêtir.  Les 
députés  accédèrent  à  cette  proposi- 
tion; et  le  jeune  Venceslas  parti  avec 
eux,  fut,  au  bout  de  quelques  jours, 
couronné  à  Albe  Royale ,  sous  le  nom 
de  Ladislas ,  qu'il  substitua  à  celui 
de  son  père.  Mais  bientôt  sa  légèreté 
et  sou  amour  excessif  pour  les  plai- 
sirs firent  chanceler  son  trône  encore 
mal  affermi ,  et  diminuèrent  le  nom- 
bre de  ses  partisans  ,  tandis  que 
Charobert ,  son  compétiteur,  fils  de 
Charles-Martel  et  de  Clémence  de 
Habsbourg  ,  voyait  augmenter  les 
siens  de  jour  en  jour.  Il  faut  dire 
aussi  que  le  cardmal  d'Ostie,  légat 
du  pape,  intriguait  continuellement 
en  Pologne,  et  près  de  l'empereur 
Albert;  que  l'inconstance  naturelle 
aux  Hongrois  favorisait  merveilleu- 
sement les  tentatives  de  corruption 
qu'il  étendait  même  en  ce  pays.  Bien- 
tôt il  fut  décrié  dans  l'opinion;  bien- 
tôt on  prit  les  armes  contre  lui ,  per- 
sonne ne  les  prit  eu  sa  faA'eur.  Quel- 
ques-uns seulement  agissaient;  mais 
presque  tous  applaudissaient,  et  tous 
laissaient  faire.  Abandonné  univer- 
sellement, le  jeune  imprudent  n'eut 
d'autres  ressources  que  de  se  jeter 
dans  la  citadelle  de  Bude  ,  et  d'ini- 
piorer  le  secours  de  son  père.  Ce- 
lui-ci entra  en  Hongrie  à  la  tête 
d'une  armée,  le  dégagea  et  l'rniraena 
en  Bohême ,  portant  avec  lui  le  dia- 
dème dont  il  avait  été  décoré  t'ois  ans 
auparavant.  La  mauvaise  foiîmie  n'a- 
vait point  changé  le  caractère  faible 
et  irrélléchi  du  prince.  Son  père 
étant  mort,  peu  de  temps  après  ,  i\ 


tl2 


VEN 


monta  sur  le  trône  (  i3o5)  ;  mais  il 
y  apporta  la  même  insouciance,  le 
même  faste ,  la  même  soif  des  plai- 
sirs. La  Hongrie  semblait  lui  tendre 
les  bras,  et  il  pouvait  aisément  res- 
saisir la  coyronue  :  l'absence  avait  dé- 
jà eirace'oufaitoubher  ses  fautes,  Cha- 
robert,  d'ailleurs,  n'avait  de  parti- 
sans détermines  que  parmi  les  cham- 
pions de  la  suprématie  papale  ,  fort 
peu  nombreux  en  Hongrie.Venceslas, 
au  lieu  de  suivre  des  chances  si  fa- 
vorables, vendit,  moyennant  de  gros- 
ses sommes  ,  le  diadème  qu'il  avait 
rapporté  de  Bude  à  l'ambitieux. 
Olhon  de  Brandebourg  ,  qui  avait 
acheté  les  suli'rages  des  électeurs 
hongrois.  Eu  même  temps  il  préten- 
dit conquérir  la  Pologne,  qui  lui  était 
dévolue  ,  disait-il ,  à  titre  d'héritage. 
Dès  le  commencement  de  son  règne  , 
en  effet ,  il  s'était  fait  appeler  roi  de 
Pologne  ;  mais  cela  n'empêchait  pas 
que  Ladislas  Lokeitek,  qui,  sous  le 
règne  de  son  père ,  avait  erré  misé- 
rablement de  province  en  province  , 
n'eût  réuni  des  forces  nombreuses  , 
pris  plusieurs  cliàteaux  du  palatinat 
de  Sandomir,  parcouru  la  province  de 
Cracovie,  et  enfin  remis  la  couronne 
sur  sa  tête.  Excité  par  quelques  conseil- 
lers généreux,  à  la  têtedesquelsbrillait 
le  comte  de  la  Lippe ,  le  jeune  prince 
se  mit  à  la  tête  de  ses  troupes  pour  se 
faire  reconnaître,  et  prit  le  chemin  de 
la  Grande-Pologne,  pensant  qu'à  sa 
vue  tout  rentrerait  dans  le  devoir. 
Walheureusemeut  il  s'arrêta  quelque 
temps  à  Olmatz  pour  attendre  des 
renforts  ;  et  là  ,  tandis  qu'il  don- 
ïsait  des  festins  et  des  fêtes  ,  ne  son- 
geant qu'aux  plaisirs  ,  et  semblant 
avoir  perdu  de  vue  son  entreprise  ,  il 
fut  assassiné  par  un  gentilhomme 
îhuringien  ,  nommé  Conrad  Poten- 
stein ,  eu  i3o6.  Le  meurtrier,  arrê- 
te sur  un  escalier ,  fut  aussitôt  dccbi- 


VEN 

ré  en  pièces  par  les  officiers  qui 
entouraient  le  roi,  et  ne  put  in- 
diquer ses  complices  ou  ses  insti- 
gateurs.On  dit,  dans  le  temps,  qu'un 
époux  déshonoré  par  ce  prince  vo- 
luptueux avait  conduit  le  coup  ;  mais 
il  semble  plus  naturel  de  chercher 
les  auteurs  du  crime  dans  la  maison 
de  Habsbourg.  Venceslas  mourait  à 
peine  âgé  de  seize  ans  ,  et  sans  pos- 
térité; en  lui  s'éteignait  la  race  anti- 
que des  Przémislas  Ottocare  :  deux 
biles  seulement  et  la  veuve  de  Ven- 
ceslas le  Vieux  vivaient  encore.  Ro- 
dolphe d'Autriclie  ,  second  époux 
de  celle-ci,  fut  un  de  ceux  qui  préten- 
dirent à  la  couronne  de  Bohême  ;  et 
le  grand- chambellan  Bécbin  ayant 
osé  parler  en  sa  faveur,  Crussina  ^ 
riche  bohémien,  lui  répondit  publi- 
quement :  «  Comment  osez  -  vous 
nommer  ici  l'assassin  de  nos  rois  ?  » 

P OT. 

VENCESLAS  VI  ,  empereur 
d'Allemagne  et  roi  de  Bohême  ,  sur- 
nommé tantôt  Vli>rogne  et  tantôt 
le  Fainéant^  naquit  en  i35r),  de 
ce  Charles  I*^''^  q^  Charles  IV  (  de 
Luxembourg  )  dont  on  a  répété 
souvent  qu'il  avait  rumé  sa  mai- 
son pour  arriver  à  l'empire  ,  et 
l'empire  pour  relever  sa  maison. 
Fils  aîné  de  ce  potentat  ambitieux, 
il  porta ,  dès  son  enfance ,  le  titre  de 
marquis  de  Brandebourg,  que  dans 
la  suite  il  céda  à  son  puîné  Sigis- 
mond;  et  à  l'âge  de  dix-sept  ans 
(  1 376) ,  il  fut  présenté  par  son  père 
à  la  candidature  de  l'empire.  Un 
manifeste  fut  publié  ,  dans  lequel 
l'empereur  s'élendait  sur  la  nécessité 
de  conserver  l'empire  dans  une  mai- 
son puissante  et  riche,  telle  que  la 
sienne,  et  sur  la  sagesse  dont  Dieu 
avait  doué  de  jeunes  princes  de  l'â- 
ge de  son  fils ,  par  exemple ,  Salo- 
mon  ,   Joas ,    et   plus    récemment 


YEN 

Othon  III  et  Henri  IV.  Tomes  ces 
faisons ,  appuyées  de  la  promesse 
formelle  de  cent  mille  florins  à  cha- 
cun des  étecleurs  ,  déterminèrent 
ceux-ci  à  faire  le  choix  désiré  par  le 
souverain;  et  Venceslas  fut  procla- 
mé ,  dans  une  dicte  tenue  d'abord  à 
Renfz  et  ensuite  transportée  à  Franc- 
fort, roi  des  Romains,  ce  qui  était 
synonyme  d'héritier  présomptif  de 
l'empire.  Mais  comme  quelques  dif- 
ficultés pouvaient  encore  survenir, 
du  moins  de  la  part  du  Saint-Siège , 
le  jeune  monarque,  par  ordre  de  son 
père ,  fit  hommage  de  sa  couronne 
au  souverain  pontife,  et  lui  envoya 
des  ambassadeurs  chargés  de  plems 
pouvoirs  pour  offrir  ,  discuter,  pro- 
mettre et  faire  tout  ce  qui  serait  né- 
cessaire pour  sa  promotion  à  l'em- 
pire. Cette  conduite  indisposa  vio- 
lemment les  grands,  géncralemcnt 
eunemis  de  la  cour  de  Rome.  D'au- 
tre part,  le  pape  se  pressa  peu  de  se 
concerter  avec  l'ambassade  du  jeune 
roi.  Rien  ne  s'opposa  cependant  à 
racconaplissement  de  ses  vues  •  et 
qtielque  temps  après  (  iB-^S  ),  Char- 
les IV  étant  mort  au  retour  d'un 
voyage  en  Brabant  et  en  France  , 
voyage  dans  lequel  son  fils  l'avait 
suivi ,  celui-ci  hérita  non-seulement 
du  diadème  légalement  héréditaire 
de  Bohême  ,  mais  encore  du  trône 
électif  de  l'empire.  Conformément 
aux  dernières  intentions  de  son  père  , 
il  donna  aussitôt  le  marquisat  de 
Brandebourg  à  Sigismond,  son  frère 
puîné;  et  au  cadet  Jean  la  Lusace 
avec  les  duchés  de  Swicnitz  et  de 
Gorlitz.  Le  nouvel  empereur  apporta 
d'abord  aux  affaires  publiques  beau- 
coup d'attention  ^et  manifesta  les 
desseins  et  les  vues  les  plus  sages.  Il 
diminua  les  impôts  ,  défendit  d'en 
ajouter  de  nouveaux  sans  le  consen- 
tement des  états  ^  promit  d'obéir  aux 

XLVIII. 


YEN 


ii3 


constitutions  de  l'empire ,  ôta  au  com- 
merce une  partie  de  ses  entraves  et 
convoqua  à  Nuremberg  uue  diète 
qu'ensuite  il  transféra  à  Francfort. 
On  espéra  ui  instant  voir  renaître  les 
beaux  jours  de  Henri  VII.  Mais 
bientôt  l'illusion  s'évanouit  à  Tas- 
pect  de  raille  actes  de  faiblesse,  de 
versatilité ,  d'avarice ,  de  barbarie 
et  de  débauche.  Il  avait  créé  vicaire 
du  royaume  d'Italie  Josse,  marquis 
de  Moravie,  avec  injonction  formel- 
le d'examiner  l'élection  des  deux 
papes  qui ,  nommés  en  même  temps , 
se  disputaient  le  siège  de  Saint-Pier- 
re. Bertrand  de  Théflis,  qui  fit  cet 
examen  à  la  place  de  Josse,  n'osa 
décider,  et  les  renseignements  qu'il 
avait  recueillis  furent  soumis  à  la 
diète.  Là  .  une  grande  contestation 
s'éleva  ;  et  tel  fut  le  peu  de  force  et 
d'ascendant  de  Venceslas  _,  que  la 
question  ,de  plus  en  plus  indécise,  ne 
fut  pas  même  tranchée  par  son  ju- 
gement ,  et  que,  tandis  qu'il  embras- 
sait l'obédience  d'Urbain  Vl ,  les 
évêques  de  Bavière ,  d'Autriche  et 
de  Ijorraine  se  rangèrent  du  côté  de 
Clément  VII.  Bien  plus ,  les  deux 
papes  soutinrent  leur  querelle  par  !a 
voie  des  armes  ,•  et  Clément  repoussé 
alla  siéger  dans  Avignon,  tandis  que 
5on  rival  régnait  en  Italie.  Ainsi 
commença  le  schisme  d'Occident , 
qui  dura  quarante  ans  ,  et  qui  ne  fut 
terminé  que  par  l'autorité  du  concile 
de  Constance.  Peu  après,  Venceslas 
donna  une  autre  preuve  d'impérilie 
et  de  légèreté  en  confirmant  une 
des  extorsions  les  plus  condamna- 
bles des  grands  feudataires  sur 
l'empire.  Charles  IV  ,  son  père  , 
après  avoir  acheté  la  voix  des  élec- 
teurs pour  le  faire  élire  roi  des  Ro- 
mains ,  s'était  trouvé  hors  d'état  de 
payer  les  cent  mille  florins  promis  à 
chacun  d'eux  ;  et  pour  se  soustraire 


ii4     .  VEN 

à  leurs  imporUmitës  ^  il  leur  avait 
cède  plusieurs  des  revenus  de  l'em- 
pire, tels  que  des  droits  sur  divers 
objets  ^   des  forts  ,   des  villes ,   des 
châteaux ,  etc.  •  ce  qui ,  du  vivant 
même  de  l'empereur ,  avait  fait  dire 
qu'il  ari-achait  bien   des  plumes   à 
l'aij^le  germanique.   Venceslas,  par 
lettres  confirmativesde  1879,  consen- 
tit à  ce  que  désormais  ces  domaines, 
ces  droits  et  ces  revenus  ne  pussent 
être  revendiques  par  l'empire,  et  sanc- 
lionna  à  perpétuité  des   usurpations 
scandaleuses  fondées  sur  le  tralic  des 
consciences ,  et  tendant  à  rendre  les 
vassaux    indépendants  du   suzerain. 
Cependant  la  peste  ravap;eait  la  Eo- 
liême.  Venceslas  s'eloiç;na  de  l'Alle- 
magne centrale,  et  se  retira  à  Aix- 
la-Chapelle.  C'est  là  qu'il  acheva  de 
se  corrompre,  et  qu'il  donna  ])our 
la  première  fois  nn  |)Iein  essor  à  son 
goût  pour  la  niogniiiceiice,  les  longs 
festins  et  la  volupté.  Il  enrichit  de 
vils  favoris,  allecta  le  mépris  et  l'in- 
gratitude à  l'égard  des  ministres  qui 
voulaient  le  rapj)elcr  à  lui-même,  et 
abandonna  complètement  les  affaires. 
])ès-lors    le    desordre  et  la   confu- 
sion   régnèrent    partout.    Des  hor- 
des de  brigands  infestèrent  les  pro- 
vinces et  les  mirent  à  contribution. 
De  leur  côté,  les  seigneurs  se  rendi- 
rent indépendants  dans  leurs  terres  , 
ou  se  coalisèrent,  sans  attendre  et 
sans  même  demander  l'autorisation 
impériale,    contre   les   dévastateurs 
universels;  les  villes  de  Souabe  for- 
mèrent une  confédération  pour  ga- 
rantir leur  territoire  du  pillage.  Ces 
désastres  et  ces  mesures  humiliantes 
pour  le  chef  de  l'empire  n'ouvrirent 
point  les  yeux  du  monarque.  Revenu 
dans  son  royaume  (  i383),  il  y  af- 
ficha Je  même  luxe  et  la  même  mol- 
lesse. L'archevêque  de  Prague  ayant 
osé  hasarder  un    avis   au  nom   de 


YEN 

toute  la  Bohême,  il  lui  défendit  de 
sortir    de  son  palais;  et  peu    s'en 
fallut  qu'il  ne  se  portât  à  des  me- 
sures   encore  plus   rigoureuses  con- 
tre un  prélat   universellement    res- 
pecté. La  clameur  publique  ne  fit  que 
l'aigrir   davantage;   et  bientôt  son 
humeur   devint  tellement  atrabilai- 
re  et    sombre  ,   qu'un  grand  nom- 
bre    de  seigneurs    désertèrent     sa 
cour   et  se  renfermèrent  dans  leurs 
châteaux.  Irrité   de   cet    abandon, 
il   eut  recours  à  la  force  pour  fai- 
re  cesser  ces    hostilités    passives  , 
et  appela  des  espèces  de  compagnies 
franches,  nommées  les  Tard-venus 
et  les  Lieufards.  Ceux-ci ,  brigands 
sans  foi  et  sans  honneur ,  accouru- 
rent plutôt  pour  piller  le  pays  que 
pour  y  rétablir  l'ordre  ;  et  en  eflét, 
quand  ils  eurent  dévasté  la  Bohême, 
ils  passèrent  en  Hongrie.  La  seule 
alFaire  pour  laquelle  il  renonçât  un 
peu  à   son  apathie    ordinaire  était 
la  soumission  de  tous  ses  peuples  au 
pouvoir  spirituel  d'Urbain  VI  ;  mais 
ses  efforts  étaient  souvent  accompa- 
gnés de  violences  et  de  cruauté.  Les 
chanoines   de    Toul  ayant   reconnu 
pourévèque  un  partisan  de  Clément, 
il  fit  piller  et  raser  le  palais  épisco- 
pal  ;  et  le  chapitre  fut  obligé  d'aller 
chercher   un    asile  à    Vaucouleurs. 
Bientôt  il  cessa  de  s'occuper  même  des 
contestations  religieuses,  et  s'enseve-     ..^ 
lit ,  plus  profondément  que  jamais  ,     l 
dans  un  abîme  de  débauches  honten-     '' 
ses.  San.s  cesse  ivre  ou  exténué  de  vo- 
luptés ,  il  ne  songeait  ni  aux  allian- 
ces matrimoniales  ou  au;c  ligues  of- 
fensives et  défensives  formées  par  les 
princes,  ni  aux  murmures  sourds  des 
peuples  accablés  d'impôts  et  de  char- 
ges nouvelles  nécessitées  par  la  pro- 
digalité de  la  cour.  Un  coup  de  ton- 
nerre le  tira  de  cette  létliargie.  Ro- 
bert ,  comte  palatin ,  qui  sous  le  rè- 


YEN 

gne  prcccdont  avait  cte  force  de  don- 
ner pour  sa  rauçou  presque  tout  le 
Haut-Palalinat,  s'était  allie  aux  ducs 
Étieime,  Frédéric  et  Jean  de  Baviè- 
re ;  et  leur  ayant  persuadé  de  rede- 
mander le  marquisat  de  Brandebourg, 
qu'Othon  leur  oncle  avait  cédé  à 
Charles  IV, moyennant  la  somme  de 
cent  mille  florins,  mais  qui  n'avait 
jamais  été  payée,  il  entra  avec  eux 
en  Boliême,  et  arriva  aux  portes  de 
Prague  ,  sans  presque  trouver  de  ré- 
sistance. L'empereur,  dépourvu  de 
forces  et  près  de  tomber  entre  les 
mains  des  feudataires  rebelles,  sous- 
crivit à  toutes  leurs  demandes ,  et 
donna  au  comte  Robert  le  Haut-Pa- 
latinat,  aux  ducs  Etienne,  Frédéric 
et  Jean,  plusieurs  places  fortes  de 
ses  états  en  nantissement  et  en  at- 
tendant qu'il  eût  acquitté  les  cent 
mille  florins  promis  par  son  père 
(  i384  ).  Les  quatre  années  sui- 
vantes se  passèrent  en  petites  guer- 
res dans  l'intérieur  de  l'Allema- 
gne. Les  Autrichiens  et  les  Suisses 
recommencèrent  les  hostilités.  Stras- 
bourg vit  son  territoire  ravagé  par 
le  marquis  de  Bade  ,  et  lui  rendit  ces 
dégâts  avec  usure.  La  diète  d'Égra 
(  1 3b8  )  ne  put  apaiser  ces  troubles. 
Les  villes  de  Souabe  reçurent  dans 
leur  alliance  celles  du  Rhin  et  de  la 
Franconie  ,  qui  formèrent  ainsi  la 
grande  ligue.  Pendant  ce  temps  ,  les 
Polonais  faisaient  de  fréquentes  in- 
cursions en  Silésie  et  jusqu'en  Bohè- 
me ;  mais  le  prince ,  tranquille  au 
fond  du  palais,  disait  qu'il  ne  voyait 
point  reluire  leurs  armes.  Devenu 
cruel  après  avoir  été  voluptueux ,  il 
faisait  de  l'exécuteur  des  hautes-œu- 
vres son  ami  et  son  confident ,  l'ap- 
pelait son  compère  ,  tenait  son 
iils  sur  les  fonts  de  baptême,  in- 
ventait de  nouvelles  agonies ,  faisait 
construire  à  Visigrad  des  bains  ca- 


VEN 


ii5 


chés  sous  des  trappes ,  envoyait  à 
la  mort  le  confesseur  de  la  reine 
parce  qu'il  refusait  de  lui  révéler  le 
secret  de  la  confession  .  et  faisait  mas- 
sacrer par  une  populace  fanatiquedes 
milliers  d'Israélites.  C'était  en  i  Sgo. 
Le  peuple,  qui ,  depuis  deux  ans,  ne 
cessait  de  persécuter  en  détail  la  ra- 
ce, selon  lui ,  maudite  de  Dieu  ,  brû- 
la, le  jour  de  Pàque,  la  synagogue 
de  Prague.  Venceslas  ,  renchérissant 
sur  la  multitude,  et  croyant  se  ren- 
dre agréable  par  une  injustice  qui  ne 
])orlait  que  sur  une  nation  proscrite , 
déchargea  la  noblesse  et  les  villes 
impériales  de  ce  qu'elles  devaient 
aux  Juifs.  Aussitôt  les  habitants  de 
Spire  passèrent  au  fil  de  l'épée  tous 
ceux  qui  étaient  alors  dans  leurs  vil- 
les ,  et  ne  réservèrent  que  quelques 
enfants  qu'ils  baptisèrent.  Puis  ,  tous 
les  Allemands,  comme  de  concert, 
ressuscitèrent  contre  ces  infortunés 
l'ancicnneet  absurdeaccusation  qu'ils 
avaient  empoisonné  les  fontaines. 
Mais  ici  la  scène  change.  Venceslas, 
qui  a  reçu  des  sommes  considérables, 
des  promesses  immenses  pour  sauver 
les  jours  de  ces  Parias  européens  , 
entreprend  leur  apologie,  et  les  con- 
damne seulement  à  sortir  de  l'em- 
pire. En  vain  la  masse  fanatisée  crie 
que  cette  peine  est  trop  douce,  et 
demande  du  sang;  il  favorise  leur 
retraite  eu  Lithuanie  et  eu  Portugal. 
Cet  acte ,  sans  contredit  le  plus  beau 
de  sa  vie,  excita  cependant  l'indi- 
gnation et  mit  le  comble  à  la  haine 
publique.  Quatre  ans  après  (i394) , 
une  conspiration  redoutable  se  for- 
ma, et  les  magistrats  de  Prague,  à 
la  tête  de  tout  le  peuple ,  le  saisirent 
et  le  jetèrent  dans  un  cachot  ,  où  il 
subit  pendant  quatre  mois  la  plus 
horrible  captivité.  Au  bout  de  ce 
temps  ,  on  lui  permit  l'usage  des 
bains ,  et  grâce  à  une  femme  qui  lui 
8.. 


u<>  VEN 

lit  traverser  l'eau  dans  un  baleict,  il 
se  sauva  dans  un  fort  voisin  ,  et  de 
là  au  cbàtcau  de  Ziebrok,  où  il  resta 
quelques   mois.    Enlin ,  il  revint  à 
Prague ,   accompagne    d'uue  garde 
nombreuse,  et  remonta   publique- 
ment sur  le  trône.  Mais  ses  fureurs , 
encore  plus  insupportables  qu'aupa- 
ravant, devinrent  telles  que  les  grauds 
du  royaume   appelèrent   à  leur   se- 
cours Sigismond ,  son  frère  ,  roi  de 
Hongrie.  A  peine  ce  jSrince  eut-il  mis 
le  pied  en  Bolu-rae,  que  toute  la  po- 
pulation se  rangea  sous  sesdrapeaux; 
Prague  lucrae  ouvrit  ses  portes;   et 
Venceslas  ,  retire  dans  Bcru ,  olVrit  à 
son  frère  d'abcli(|ner  et  le  trône  de 
Bohême  et  celui  de  l'empire,  pour- 
vu qu'il  eût  la  vie  sauve  et  une  pen- 
sion. Sigismond  lit  parade  de  géné- 
rosité, et  dit  qu'il  n'était  venu  que 
pour  l'engager  à  mieux  gouverner  ,et 
qu'il  le  reconnaissait  pour  son  empe- 
reur et  son  roi;  mais  il  eut  soin  de 
se  faire  contraindre  par  le  peuple  à 
accepter  la    régence  et  à  enfermer 
son  frère  ;  puis,   pour   assurer  ses 
jours,  il  l'entoura  d'une  garde  nom- 
breuse, et  le  fit  transférer  à  Krum- 
low,  et  de  là  à  Vienne,  dans  une 
forteresse  située  sur  le  Danube  ,  sans 
que  personne  sût  en  quel  endroit  il 
était   prisonnier  (iSg^).  Cependant 
\ence>!as  a  encore  l'adresse  de  s'é- 
chapper; et  traversant  le  fleuve  sur 
la    barque    d'un    pauvre    ))êcheur 
qui   avait    facilite   son  évasion  ,   il 
parvient ,  à  la  faveur  d'un  dégui- 
sement ,  à  la  forteresse  de  Visigrad , 
où    vingt  soldats    embrassent   son 
parti ,  s'empare  du  gouverneur ,  et , 
attirant    les  magistrats   de   Prague 
dans  la  forteresse ,  sous  un  prétexte 
spécieux  .  les  met  aux  fers ,  et  rentre 
sans  obstacle  dans  sa  capitale.  Les 
autres  villes  de  la  Bohême  suivirent 
l'exemple  de  celle-ci;  et  le  prince, 


VEN 

deux  fois  dépossédé,  prit,  pour  la 
îroisièmefois,les  rênes  de  son  royau- 
me ,  sans  rien  craindre  de  Sigismond, 
qui  défendait   alors    ses  états  con- 
tre les  Turcs.  Pendantla  seconde  réclu- 
sion de  Venceslas  ^  on  s'était  univer- 
sellement ocaipé,dans  l'Allemagne , 
démettre  fin  au  schisme  qui  désolait 
l'Eglise.  Venceslas ,   à  peine  libre , 
conçoit  l'idée  d'aller  à  Reims ,  et  d'y 
avoir  une  conférence  avec  le  roi  de 
France.  En  vain  les  grands  de  l'Al- 
lemagne, en  vain  Bouiface  lui  même, 
Boniface,  le  successeur  d'Urbain,  et 
le  seul  papequ'il  reconnaît,  cherchent 
à  le  dissuader.  11  accomplit  ce  voya- 
ge; et  entamant  la  discussion  à  la  suite 
d'un  repas  magniliqne  que  le  roi  de 
France  lui  a  donné,  au  milieu  des 
fumées  de  l'ivresse  ,  il  en  passe  par 
tout  ce  qu'il  veut ,  et  approuve  qu'on 
exige  la  cession  de  Boniface  (i3g8). 
Mais  les  événements  ultérieurs  arrê- 
tèrent la  suite  de  cette  affaire  ,  et  le 
schisme  se  prolongea  encore  vingt 
ans.  L'année  suivante  (i^qq),  l'em- 
pereur ,  de  retour  en  Bohême ,  épousa 
la  princesse  Sophie  ,   fille  du   duc 
de  UÊ/fiere.  Ce  mariage,  célébré  avec 
une  magnificence  extraordinaire,  de- 
vint le  signal  de  nouvelles  prodigali- 
tés. A  partir  de  cette  époque,  Ven- 
ceslas ne  mit  plus  de  bornes  au  luxe 
de  sa  maison  ;  et  pour  subvenir  à  ces 
dépenses  exorbitantes,  il  n'est  point 
de  mesures  iniques ,  ignobles  ou  \  exa- 
toires  devant  lesquelles  il  reculât.  Il 
ne  se  borna  plus  à  augmenter  les  im- 
pôts :  il  rendit  vénales  les  charges  et 
les  dignités   de  l'empire ,  vendit  à 
Galéas  Visconti  la  souveraineté  de  la 
Lombardie,  dissipa  l'argent  que  Bo- 
niface lui  avait  envoyé  pour  se  faire 
couronner  à  Rome;  et  enfin,  créant 
une  nouvelle  jurisprudence,  fit  por- 
ter contre  ceux  qui  l'avaient  livré  à 
son  frère  des  accusations  auxquelles  il 


YEN 

n'était  possible  d'échapper  qu'au  prix 
de  l'or.  11  en  viul  même  au  point  de 
faire  peser  ces  incriminations  sur  des 
bourgs ,  des  cliâteaux  et  des  villes  en- 
tières. Prague^  Budweis  et  Pilsen  en 
furent  les  victimes  principales  ;  mais 
ayaut  voulu  étendre  ce  système  aux 
villes  de  la  Lusace  et  de  la  Misnie,  il 
y  trouva  la  cause  de  sa  perte.  Les 
deux  marquis  de  ces  provinces  réso- 
lurent de  !c  faire  déposer  par  les  élec- 
teurs réunis;  et  ils  y  parvinrent.  Une 
première  diète  eut  lieu  à  Boppart, 
petite  ville  sur  le  Rhin  ',  et  l'on  y  agi- 
ta la  question  de  savoir  si  l'empereur 
serait  déposé  ou  s'il  lui.  serait  enjoint 
de  se  choisir  un  administrateur.  Dans 
une  seconde ,  qui  eut  lieu  à  Francfort- 
sur-le-Mein,  on  se  décida  pour  la  der- 
nière proposition.  L'empereur,  ain- 
si qu'on  le  pense  bien,  refusa  d'o- 
béir. Les  électeurs  alors  indiquèrent 
une  troisième  diète  à  Landstein ,  lui 
ordonnèrent  d'y  comparaître  ;  ''et 
après  l'avoir  inutilement  attendu  dix 
jours,  ils  le  déclarèrent  solennelle- 
ment déchu  du  pouvoir  souverain  , 
et ,  sans  connaître  encore  le  A'œu  des 
états  de  l'empire,  nommèrent,  pour 
lui  succéder ,  d'abord  Frédéric  de 
Brunswick  ,  puis  ,  celui-ci  ayant  été 
assassiné  avant  que  sa  nomination 
fût  connue,  Robert,  comte  palatin 
du  Rhin  (  22  août  i^oo  ).  Ainsi  ra- 
baissé au  rang  de  prince  du  saint 
empire  ,  Venceslas  refusa  de  recon- 
n.'itre  le  jugement  de  la  diète,  et 
protesta  solennellement  ,  à  la  face 
de  l'Europe,  contre  l'arrêt  qui  le 
dépouillait  de  l'autorité  impéria- 
le. Le  Brandebonrg  ,  la  Souabe  , 
Gênes,  Milan,  Ferrare  et  leurs  ter- 
ritoires ,  le  pape  et  les  cardinaux  d'A- 
vignon le  reconnaissaient  encore. 
Aix-la-Chapelle  refusa  de  recevoir 
son  rival ,  qui  fut  obUgé  de  se  faire 
couronner  à  Cologne.  La  France  res- 


VEN  117 

ta  neutre.  Cependant  il  avait  offert 
de  prendre  son  roi  pour  arbitre  dans 
toute  cette  affaire;  mais  la  faiblesse 
intellectuelle  de  Charles  VI ,  et  la 
rivalité  de  ses  oncles   empêchèrent 
qu'on  ne  parvînt  à  un  résultat  dé- 
finitif. Au  reste  comme  ,  toujours 
fidèle   à   son   caractère    ordinaire  , 
le  prince  dépossédé    se    contentait 
de  prendre  le  titre  d'empereur,  sans 
rien  faire  pour  en  soutenir  les  droits, 
on  s'accoutuma  bientôt  à  ne  plus  son- 
ger à  lui.  Cependant  il  ne  renonça  à 
ses  prétentions  que  l'an  i4iOi  après 
l'élection  de  Sigismond  ;  et  lorsque  , 
cette  année,  les  électeurs  divisés  eu- 
rent nommé,  d'une  part  Sigismond 
et  de  l'autre  Josse  de  Brandebourg , 
l'Allemagne  comptait   trois    empe- 
reurs ,  comme  l'Eglise  trois  papes  , 
Benoît  XIII,  Grégoire  XII  et  Jean 
XXIII.  Réduit  à  ses  états  héréditai- 
res, Venceslas  montra  la  même  in- 
dolence et  la  même  férocité.  Ses  ba- 
rons conspirèrent  encore  contre  lui  ; 
et  le  peuple  les  favorisait  do  tous  ses 
vœux  :  mais  à  la  nouvelle  de  ce  qui 
se  préparait,  il  parut  en  Bohême  , 
avec  une  armée,  et  surprit  tellement 
ses  ennemis,  pour  qui  tant  de  célérité 
était  chose  nouvelle,  qu'ils  posèrent 
les  armes  ,  et  se  soumirent  ou  's'enfui- 
rent en  Hongrie ,  implorant  le  secours 
de  Sigismond.  Celui-ci  leleuraccorda, 
et  prit  des  mesures  pour  faire  arrêter 
Venceslas,  qui,  dans  l'espoir  d'échap- 
per à   une  nouvelle  captivité  ,  allait 
souscrire  aux  conditions  les  plus  du- 
res, et  peut-être  le  déclarer  son  hé- 
ritier au  royaume  de  Bohême,  quand 
les  Hongrois  mêmes  se  révoltèrent, 
et  l'empêchèrent  de  suivre  ses  pro- 
jets  (i4o3).   Les  dernières  années 
de  son   règne   furent  ensanglantées 
par  l'hérésie  de  Jean  Huss.  Nommé 
recteur  de  l'université  de  Prague  et 
confesseur  de  la  reine  (  1409),  ce 


ii8  VEN 

disciple   de  Wiclef  trouva  un  puis- 
saut    protecteur  dans     Venceslas  : 
mais  le  supplice  auquel  il  fut  cou- 
damné  pendant  la  teniie  du  concile 
de  Constance  (  i4i5)  excita  l'indi- 
gnation de  ses  partisans  ,  qui ,  vers 
i4i8,  se  rassemblèreut  en  armes, 
au  nombre  de  quarante  mille,  sous 
les  ordres  de  Jean  Ziska  et  Nicolas 
de  Hussuetz.  Ils  ne  parlaient  d'abord 
de  rien  moins  que  de  déposer  le  roi , 
et  d'en  choisir  un  à  la  pluralité  des 
voix.  Ils  se  contentèrent  ensuite  de 
l'amener   de  son  château   de  Yisi- 
grad  à   Prague  ,    pour  y  entendre 
leurs  réclamations  ,  et  lui  demandè- 
rent des  places  de  sûreté.  Venceslas 
temporisa  :  mais  la  révolte  n'en  écla- 
ta qu'avec  plus  de  force;  et  Ziska 
annonça    hautement    l'intention   de 
venger  la  mort  de  Husssurses  assas- 
sins, L'ex-empercur  mourut,  l'année 
suivante,  au  milieu  des  circonstances 
les  plus  orageuses.  Les  Hussites,  maî- 
tres de  presque  toute  la  Bohême,  ve- 
naient d'emporter  Prague,  et  d'en 
égorger  les  magistrats  et  les  prêtres. 
A  cette  nouvelle ,  la  cour  de  Vences- 
las fut  daus  la  consternation.   «  Je 
»  l'avais  bien  prévu,  s'écria  le  grand- 
»  échauson.  »  A  ce  mot,  le  roi  se 
jeta  sur  lui ,  un  poignard  à  la  main  ; 
mais  au  même  instant,  une  attaque 
d'apoplexie,  causée  par  la  colère^  le 
renversa ,  et  il  mourut  au  bout  de  dix- 
huit  jours,  âgé  de  cinquante  -  huit 
ans  ,  après  avoir  porté  A'ingt  -  deux 
:xns  le  litre  de  roi  des  Romains  et 
quarante-  un  ans  celui  de  roi  de  Bo- 
Lême.  11  ne  laissa  point  de  postérité; 
et  après  quelques  mois  d'interrègne, 
Sigismond  ,  son  frère ,  déjà  empe- 
reur, lui  succéda.  Tous  les  historiens 
s'accordent  à  peindre  Venceslas  com- 
me un  Sardanapale ,  un  Néron  ,  un 
Copronyme.  Voué  à  une  mollesse  in- 
fâme, il  passait  sa  vie  à  table  et  par- 


YEN 

mi  ses  femmes,  roulant  sans  cesse 
de  l'ivresse  à  la  débauche  et  de  la 
débauche  à  l'ivi'esse.  Fier  de  son  apa- 
thie ,  lorsque  les  villes  et  les  princes 
l'engageaient  à  visiter  les  pi'ovinces, 
il  répondait  :  «  Je  suis  empereur,  et 
vous  sujets  ;  c'est  à  vous  de  vous  dé- 
ranger^ si  vous  avez  besoin  de  moi.  » 
Une  seule  fois ,  cédant  à  des  avis  réi- 
térés ,  il  entreprit  un  voyage  en  Al- 
lemagne :  toutes  ses  opérations  se  ré- 
duisirent à  voir  un  tournoi  à  Colo- 
gne.   Insensible  aux  pleurs  et  aux 
plaintes  de  ses  sujets,  il  affectait  de 
donner  des  bals  et  des  jcuK  au  milieu 
de  la  famine.  Sa  violence  allait  jus- 
qu'à la  barbarie.  On  prétend  qu'il 
avait    lui  -  même    dressé  un    chien 
énorme    à   étrangler  ,     sur    un    si- 
gne, ceux  qui  se  présentaient  à  lui;  et 
que  Jeanne ,  sa   première  femme , 
ayant  osé  lui  faire  quelques  représen- 
tations ,    périt    de    cette    manière. 
Une  de  ses  concubines ,  la  femme  qui 
l'avait  aidé  à  fuir  de  sa  premièrepri- 
son  ,  avait  seule  le  pouvoir  d'adoucir 
ses  fureurs.  Cependant  quelques  éci;i- 
vains,  plus  amis  peut-être  du  para- 
doxe que  de  la  vérité,  ont  dit  que  ce 
prince  fut  au  moins  autant  à  plaindre 
qu'à  blâmer  ;  qu'entraîné  à  de  fausses 
démarches  par  un  frère  perfide ,  qui 
lui  suscitait  des  ennemis,  menacé  et 
deux  fois  emprisonné  par  ses  sujets  , 
son  caractère,  naturellement  facile  et 
doux  ,  put  s'aigrir  ,  et  le  porter  soit 
à  des  vengeances  trop  sévères,  soit  à 
des  débauches  capables  de  l'étourdir 
et  de  lui  faire  oublier  ses  malheurs. 
C'est  ainsi  que  Walpole  a  fait  un  li- 
vre ,    ex   professa  ,  pour   justifier 
Richard  III  de  tous  les  crimes  que 
l'histoire  lui  impute,  et  queLinguet, 
préludant    à    ce  mot    connu    d'un 
homme  trop  célèbre:  «  Tacite?  il  a 
calomnié  Tibère  I  »  s'attache  à  atté- 
nuer les  forfaits  du  fils   de   Livic. 


YEN 

Mais  on  sent  que  ces  jeux  d'esprit 
ne  peuvent  qu'amuser  im  instant  et 
ue  changent  point  la  conviction  des 
siècles  et  la  conscience  du  genre  hu- 
main. P OT. 

VENCESLAS  DU  BUDOWA  se 
Ht  chef  de  la  secte  des  Ulraquistes , 
B'jhe'miens  protestants  qui ,  dans  le 
dix -septième  siècle,   recevaient  la 
communion  sous  les  deux  espèces  , 
jn'étcndant  qu'elle  était  de  droit  di- 
vin. Venceslas  tenait,  sur  les  événe- 
ments qui  regardaient  son  parti ,  un 
journal  en  latin  ,   dont  le  manuscrit 
se  trouve  à  Prague  dans  les  archives 
du  royaume.  Dobner  eu  a  extrait  et 
publié  (  I  )  le  passage  où  l'auteur  rend 
compte  de  la  rupture  ([ui  éclata  ,  en 
1608,  entre  l'empereur  Rodolphe  II 
et  son  frèie  l'archiduc  Mathias.  Les 
deux  frères  se  trouvaient  chacun  à 
\a   tête  d'une  armée  j  l'archiduc  à 
Czasiaw,  oîi  il  avait  convoqué  une 
diète ,  et  l'empereur  à  Prague  ,  où  il 
avait  rassemblé  les  états  de  Bohême. 
Venceslas ,  profitant  des  circonstan- 
ces, parla,  au  nom  des  Utraquistes, 
avec  tant  de  force  et  d'audace ,  que 
l'empereur  leur  accorda   à-peu-piès 
tout  ce   qu'ils  desiraient.  Ce  prince 
fut  également  forcé  de  reconnaître  les 
prétentions  de  son  frère  ,  qui  après 
cela  reprit  le  chemin  de  la  Hongrie 
avec  son  armée.  Le  Journal  de  Vences- 
las révèle  des  circonstances  curieuses 
sur  ces  événements  :  l'auteur  y  peint 
vivement  les  troubles  delà  Bohême  , 
l'agitation   qui  régnait  à  Prague  et 
dans  les  états  du  royaume  ,   les  in- 
quiétudes,  les  allées   et  venues    du 
nonce  apostolique  et   de  l'ambassa- 
deur d'Espagne,  qui  s'étaient  donnés 
pour  médiateurs,  et  enfin  la  conven- 
tion que  Mathias  arracha  à  la  fai- 


VEN  I  I 9 

blesse  de  l'empereur.  Le  Journal  est 
suivi  des  actes  qui  furent  échangés 
et   arrêtés  en   cette   circonstance. 

G -Y. 

VENDELIN.  r.  Wendelin. 

VENDOME  (  CÉSAR,  duc  de  ), 
appelé  César  Monsieur  ,  fils  aîné 
de  Henri  IV  et  de  Gabrielle  d'Es- 
trées  ,  naquit,  dans  le  mois  de  juin 
ï594,au  château  de Coucy en  Picar- 
die, et  fut  reconnu  par  des  lettres  de  lé- 
gitimation du  mois  dejanv.  suivant 
(  i  ).  Créé  duc  de  Vendôme,  en  1 598, 
et  gouverneur  de  Bretagne,  il  fut  fian- 
cé ,  la  même  année ,  à  la  fille  unique 
du  duc  de  Mercœur,  la  plus  riche 
héritièie  du  royaume.  Par  le  contrat 
de  mariage,  son  beau-père  lui  céda 
le  gouvernement  de  Bretagne  ,  et 
Henri  IV  lui  fit  don  du  duché-pairie 
de  Vendôme,  ancien  apanage  de  la 
maison  de  Bourbon,  qu'il  venait  de 
réunir  à  la  couronne.  Cette  ces- 
sion portait  atteinte  à  l'inaliénabili- 
té  du  domaine,  et  le  parlement  s'y 
refusait;  mais  Henri  leva  toutes  les 
difficultés  en  mettant  cette  note  au 
Las  des  lettres  de  jussion  :  «  Croyez 
»  que  faisant  ce  que  je  vous  deman- 
»  de  pour  mon  fils  vous  me  serez 
»  très-agréables,  et  d'autant  que  c'est 
»  chose  que  j'ai  fort  à  cœur  et  que 
»  j'afléctionne.  »  Ce  prince  mit  le 
comble  à  ses  faveurs  en  donnant , 
en  1610,  rang  à  son  fils  ,  immédia- 
tement après  les  princes  du  sang.  La 
tendresse  de  ce  prince  pour  cet  en- 
fant était  si  grande,  qu'il  songea, 
dit-on,  aux  moyens  de  lui  assurer  sa 
couronne,  s'il  n'avait  pas  d'héritier. 
Ainsi  oL  /le  doit  pas  être  surpris  que 
le  duc  de  Vendôme  ait  été  l'un  des 
chefs  des  mécontents  qui  cherchèrent 
à  troubler  la  France,  sous  le  pré- 


(1)  Diarlum  anonyini,  ap.  Dobner,  Monunuiila 
hiilotica  BohenUat ,'Pi-ngue ,  1768,1.  II,  p.  3oi. 


(1)  Ces  lettres  sont  très-curieuses  ù  lire.  Dreux 
du  Radier  les  a  dounées  dans  son  sixième  volume 
des  Reines  cl  Uèsienles  lie  France. 


lao  YEN 

lextc  que  le  mariage  de  Louis  XIIT 
avec  une  iufante  d'Espagne  était 
contraire  au  bien  de  l'état.  Retenu, 
par  ordre  de  la  reine-mère,  dans 
son  appartement  au  Louvi-e  (i6i4) , 
il  parvint  à  s'évader ,  et  s'enfuit  dans 
son  gouvernement  de  Bretagne,  qu'il 
tenta  de  soulever.  La  reine ,  voulant 
prévenir  une  guerre  civile,  souscri- 
vit, par  le  traité  de  Sainte-Mene- 
lîould  (  i5  mai  ) ,  à  toutes  les  condi- 
tions des  mécontents  :  mais  le  duc 
de  Vendôme  persista  dans  sa  révol- 
te, et  conliiiiia  d'entretenir  des  in- 
teHigences  avec  le  prince  de  Coude. 
Sommé  de  licencier  ses  troupes ,  il 
répondit  qu'ayant  pris  les  armes 
pour  venger  la  mort  du  roi  son  pè- 
re, il  était  décidé  à  y  sacrifier  sa 
vie  et  ses  biens.  L'approcbe  de  l'ar- 
mée royale  et  la  défection  de  ses 
partisans  l'obligèrent  bientôt  à  cban- 
ger  de  langage  j  et  il  s'empressa  de 
se  rendre  aux  conférences  de  Lou- 
dun,  où  furent  discutés  les  moyens 
d'acbever  la  pacification  du  royau- 
me, La  guerre  ayant  été  résolue  con- 
tre les  réformés,  il  leur  prit,  en 
1622  ,  Clérac,  dont  il  rasa  les  forti- 
fications j  contint,  avec  une  poignée 
d'hommes  la  garnison  de  Montauban, 
et  contribua  à  la  réduction  de  Mont- 
pellier. Engagé  par  le  grand-prieur 
de  France,  Alexandre,  son  frère, 
dans  la  conspiration  de  Chalais  con- 
tre Richelieu  (  F.  Talleyrand  )  ,  il 
se  proposait  d'en  attendre  le  résultat 
en  Bretagne.  La  crainte  d'éveiller  les 
soupçons  le  força  d'accepter  l'invi- 
tation que  lui  lit  le  roi  de  se  rendre  à 
Blois,  où  se  trouvait  alors  la  cour. 
«  Sire ,  dit-il  à  Louis  XTII ,  je  suis  ve- 
nu au  premier  commandement  de  Vo- 
tre Majesté,  pour  lui  obéir  et  l'assurer 
quejen'aurai  jamais  autre  dessoin  ni 
volonté  que  de  lui  rendre  très  humble 
service.  —  Mou  frère,  répondit  le  mo- 


YEN 

narque,  j'étais  en  impatience  devons 
voir.  »  Pendant  le  souper,  il  lui  pro- 
posa de  l'accompagner  à  la  chasse 
du  côté  d'Amboise  :  «  Je  ferai ,  dit 
César,  ce  que  Votre  Majesté  me  com- 
mandera ;  mais  je  suis  venu  en  poste 
et  je  suis  las. — Je  vois,  reprit  le  roi, 
que  vous  voulez  voir  vos  amis;  je 
vous  laisserai  faire  vos  visites.  » 
Deux  jours  après,  dans  la  nuit  (  i3 
juin  1626  ) ,  le  duc  de  Vendôme  fut 
arrêté  avec  sou  frère.  Ils  étaient  cou- 
chés dans  la  même  chambre,  et  pro- 
fondément endormis.  Après  avoir 
entendu  la  lecture  de  l'ordre  du  roi  : 
«  Eh  bien  .dit  le  duc  à  son  frère, ne 
vous  avais-je  pas  annoncé  en  Breta- 
gne qu'on  nous  arrêterait?  —  Ah  I 
s'écria  le  grand-prieur  ,  je  voudrais 
être  mort  et  que  vous  y  fussiez.  «Ils 
furent  conduits  au  château  d'Am- 
boise ,  puis  à  celui  de  Vincennes  , 
et  traités  avec  beaucoup  de  rigueur. 
Le  grand  -  prieur  y  mourut  le  8 
février  1629  (i)  ,  protestant  de 
son  innocence,  à  moms  que  ce  ne 
fût  un  crime  d'avoir  tenté  de  dé- 
tourner Monsieur  (  Gaston  d'Or- 
léans )  d'épouser  Miï*=.  de  Mont- 
pensier.  Le  duc  de  Vendôme  ayant 
fait  au  contraire  tous  les  aveux  qu'on 
lui  demandait,  et  s'étant  démis  de 
son  gouvernement  de  Bretagne  ,  sor- 
tit de  prison  au  bout  de  quatre  ans. 
Il  ne  lui  fut  accordé  qu'une  modique 
pension  pour  aller  vivre  obscuré- 
ment dans  les  pays  étrangers.  Il  ob- 
tint du  service  en  Hollande  ,  et  com- 
manda les  volontaires  à  la  bataille 
deLillo(i63i).  Ayantnégociésa  ren- 
trée en  France,  il  vécuttanlôt  dans  son 
château  d'Auet ,  tantôt  dans  celui  de 
Vendôme,  où  il  put  quelque  temps  se 
croire  oublié.  En  1 64i ,  il  fut  accusé 


(1)  U  c'iait  né  à  Nanlcs  en  i5o8  ,  ft  Tut  iiilmraé 
dans  uu  caveau  de  l'église  du  colle'ge  de  Veudôme, 
que  son  frère  César  avait  fondé. 


VEN 
d'avoir  tente  de  faire  empoisonner 
le  cardinal  de  Richelieu.  Sur  le  pre- 
mier mot,  il  offrit  au  roi  de  se  jus- 
tifier de  cette  absurde  imputation  : 
mais  réfléchissant  que  son  innocen- 
ce pourrait  bien  ne  ])as  le  garantir  de 
la  prison  ,  il  s'enfuit  en  Angleterre. 
Son  procès  fut  instruit,  et  il  aurait  été' 
condamne' ,  si  le  cardinal  n'eût  pas 
donne  au  roi  le  conseil  de  se  réserver 
de  prononcer  sur  cette  affaire.  César 
de  Vendèmene  revint  en  France  qu'a- 
près la  mort  du  cardinal.  Regardé 
comme  l'un  des  chefs  du  parti  des 
importants,  il  fut  enveloppe  dans  la 
disgi-acc  du  duc  de  Beaufortson  fils. 
Ayant  reçu  l'ordre  de  sortir  à  l'ins- 
tant de  Paris  avec  sa  famille  ,  il 
s'en  excusa  sur  ce  qu'il  était  ma'adej 
mais  la  reine ,  qui  desirait  le  voir 
éloigné,  lui  fit  offrir  sa  litière  pour 
le  conduire  au  lieu  de  son  e\i\{Mém. 
de  M"'",  de  Mottevilh ,  i,  igo  ).  Il 
ne  tarda  pas  à  rentrer  en  grâce  ,  et 
fit  sa  paix  avec  le  cardinal  Mazarin  , 
dont  il  avait  d'abord  rejeté  les  avan- 
ces. En  i65o  ,  il  reçut  les  provisions 
de  gouverneur  de  Bourgogne ,  et 
quelques  mois  api'ès,  la  reine  se  dé- 
mil,  en  sa  faveur,  de  la  cliarge  de 
grand-maître,  chef  et  surintendant 
général  de  la  navigation  et  du  com- 
merce de  France ,  dont  la  survivance 
fut  accordée  au  duc  de  Bcaufort.  Le 
duc  de  Vendôme  contribua  beaucoup 
à  la  pacification  de  la  Guienne ,  et 
enleva  Bordeaux  aux  mécontents 
(  i653  ).  Il  mit  en  fuite  la  flotte 
espagnole  devant  Barcelone  ,  en 
i65,j.  Ses  infirmités  l'obligèrent  de 
passer  ses  dernières  années  dans  l'i- 
uaction  ,  et  il  mourut  à  Paris  le  il 
octobre  i665,àrâge  de  71  ans. 
Son  corps  fut  transporté  à  Vendô- 
me et  inhumé  dans  le  caveau  desBour- 
bons de  l'église  Saint-Georges.  Son 
cœur  futdonné  à  l'église  de  l'Oratoire. 


VEN  vi\ 

C'était ,  suivant  Le  Vassor  {Hist.  de 
Louis  XIII  ),  un  mince  capitaine, 
qui  ne  sut  jamais  se  faire  craindre 
ni  se  faire  estimer.  Selon  M'»^.  de 
Motteville  (  Méni.,  i ,  l'iG),  il  avaiç 
beaucoup  d'esprit^  et  c'était  là  tout  le 
bien  qu'on  eu  disait.  On  a  de  lui 
quelques  lettres  imprimées  eu  161  4  , 
relatives  aux  troubles  de  Bretagnç. 
H  avait  eu  de  son  mariage  avec  Fian- 
çoise  de  Lorraine,  duchesse  de  Mer- 
cœur  ,  deux  fils  :  i .  Louis ,  duc  de 
Mercœur,  marié  à  Laurc  Piîancini , 
(  Fojez  l'article  suivant)  ;  2.  Fran- 
çois, duc  de  Beaufort  (  Foyez  ce 
nom  ,  111  ,  625  )  ;  et  une  fille  , 
Elisabeth  ,  mariée  à  Charles-Araé- 
dée  de  Savoie  ,  duc  de  Nemours  , 
qui  fut  tué  en  duel  à  Paris  ,  le  3o  juil- 
let \(\5x,  à  l'âge  de  vingt  huit  ans. 
Le  portrait  de  César  ,  duc  de  Ven- 
dôme, a  été  gravé  dans  tous  les  for- 
mats. W^ — s. 

VENDOME  (Louis  ,  duc  de), 
fils  aîné  du  précédent  ,  naquit  en 
161  a  et  fut  connu  sous  le  ]Jom  de 
duc  de  Mercœur ,  jusqu'à  la  mort 
de  son  père.  11  fit  ses  premières  ar- 
mes en  i63o,  dans  l'expédition  que 
Louis  XllI  dirigea  lui-même  en  Pié- 
mont ,  et  servit  ensuite  en  Hollande, 
où  il  se  trouva  à  l'affaire  de  Lillo, 
sous  les  veux  de  son  père.  Depuis  il 
se  distingua  au  siège  d'Hesdin,  à 
celui  d'Arras,  et  surtout,  le  a  août 
1640,  à  l'attaque  des  hgnes  fran- 
çaises, où  il  fut  blessé  d'un  coup  de 
feu.  Après  la  retraite  de  sou  père 
en  Angleterre,  il  s'éloigna  de  la  cour 
et  n'y  reparut  qu'après  la  mort  du 
cardinal  de  Richelieu.  En  iQ~^,  il 
leva  un  régiment  de  cavalerie  de  so» 
nom  (Mercœur),  et  fut  nommé 
vice-roi  et  commandant  des  troupes 
françaises  en  Catalogne.  11  reprit 
Castel-Léon  sur  les  Espagnols;  mais 
n'ayant  pas  assez  de  forces  pour  se 


1-22  VEN 

malalenir,  il  demaDua  des  secours  , 
et  n'ayant  pu  eu  obtenir  ,  il  résigna 
sa  vice-royaute ,  en  1 63 1 .  Ce  ne  lut 
qu'après  avoir  épousé,  eu  i65i  , 
Laure  Maucini,  î'aînc'e  des  nièces 
de  Mazariu  ,  qu'il  entra  tout- à - 
fait  en  faveur  et  devint  comman- 
dant de  la  Provence ,  ou  il  apaisa 
des  troubles  ,  et  se  rendit  maître 
de  Toulon.  Eu  i656,  Louis  XIV 
lui  donna  le  commandement  de 
l'armce  de  Lombardie  ,  conjointe- 
ment avec  le  duc  de  Modcnc  ;  et  ils 
rèsistèient  de  concert  aux  attaques 
réitérées  du  cardinal  Trivulce.  Le 
roi  le  créa,  en  1661  ,  clievalier  de 
ses  ordres.  Du  reste  ,  c'était  un  géné- 
ral médiocre  et  de  peu  d'esprit. 
Ayant  perdu  sa  femme  ,  en  i65(i,  il 
embrassa  l'état  ecclésiastique  ,  et  fut 
ciéé  cardinal  en  1667.  Le  pape  Clé- 
ment IX  le  nomma  son  légat  à  latere 
en  France;  et  ce  fut  au  nomde  ce  pon- 
tife qu'il  tint  le  daupliin  sur  les  fonts 
de  baptême.  II  mourut  à  Aix  ,  en 
1669.  M — DJ. 

VENDOME  (  Louis-Joseph  ,  duc 
DE  ),  fds  aîné  du  précédent ,  naquit  en 
1654,  et  porta,  jusqu'à  !a  mort  de  son 
père ,  le  nom  de  duc  de  Penthièi>re. 
Son  éducation  ne  fut  pas  très-soignée 
sous  le  rapport  de  l'instruction,  et  il 
ne  montra  jamais  beaucoup  de  goût 
pour  les  sciences  et  les  lettres.  Il  dé- 
buta dans  la  carrière  des  armes  com- 
me simple  garde  -  du  -  corps  ,  mar- 
chant à  la  suite  de  Louis  XIV,  dans 
l'invasion  de  la  Hollande,  en  1679,. 
Il  fit  ensuite  les  dernières  campagnes 
de  Turenne,  et  fut  blessé  an  combat 
d'Akeulieim,  dans  la  retraite  qui  sui- 
vit la  mort  de  ce  grand  homme.  Nom- 
mé brigadier  des  armées  du  roi ,  en 
1677  ,  ^^  ^"^  ^^  ^'^'^'^^  qualité  qu'il  lit 
la  campagne  de  Flandre,  sous  le  ma- 
réchal de  Créqui ,  et  qu'il  se  distin- 
gua aux  sièges  de  Coudé  et  de  Cam- 


VEN 

brai;  ce  qui  lui  valut,  l'année  sui- 
vante, le  brevet  de  maréchal -de- 
camp.  La  paix  de  Nimègue  ayant 
enfin  rendu  le  i-epos  à  l'Europe,  le 
duc  de  Vendôme  se  retira  dans  sou 
château  d'Anet,  où  il  se  livra  sans 
réserve  à  son  goût  pour  tous  les  gen- 
res de  plaisirs.  Nommé  gouverneur 
de  la  Provence ,  en  1 68 1 ,  il  alla  pren- 
dre possession  de  celte  charge  5  et  les 
états  de  la  province  lui  ayant  of- 
fert ,  selon  l'usage  ,  une  somme 
d'argent  considérable ,  il  la  refu- 
sa avec  un  noble  désintéressement. 
Nommé  lieutenant-général  et  clieva- 
lier des  ordres ,  en  1 688 ,  il  se  distin- 
gua dans  quatre  campagnes  succes- 
sives, aux  sièges  de  Wons  et  de  Na- 
mur ,  au  combat  de  Leuse ,  et  surtout 
à  celui  de  Steinkerque ,  où  le  maré- 
chal de  Luxembourg,  ayant  été  sur- 
pris par  les  Anglais,  ne  parvint  à  les 
repousser  qu'à  la  suite  de  trois  char- 
ges sanglantes  ,  dirigées  principa- 
lement par  le  duc  de  Vendôme  et 
son  frère ,  qui  y  donnèrent  des  preu- 
ves d'intrépidité  (  r.  Luxembourg  , 
XXV,  478  ).  En  1693,  le  duc 
de  Vendôme  fut  envoyé  en  Italie  , 
sous  les  ordres  de  Catinat ,  et  il  con- 
tribua très  -  ellicacement  à  plusieurs 
victoires  de  ce  maréchal,  surtout  à 
celle  de  !a  Marsaillc,  où  il  comman- 
dait l'aile  gauche  de  l'armée  fran- 
çaise. Louis  XIV  lui  accorda  alors 
rang  au  ]iarlement,  au  -  dessus  des 
pairs  j  et  il  fut  créé  général  des  galè- 
res ,  sur  la  démission  du  duc  du  Mai- 
ne :  mais  une  faveur  plus  importante 
fut  le  commandement  en  chef  de  l'ar- 
mée de  Catalogne ,  où  \  eodôme  arri- 
va dans  le  mois  de  juin  169.5  ,  pour 
remplacer  le  maréchal  de  Noailles. 
Après  avoir  fait  lever  le  siège  de  Pa- 
lamos  et  culbuté  la  cavalerie  espa- 
gnole ,  que  commandait  le  prince 
de  Hcsse-Darmstadt  _,  il  investit  Bar- 


YEN 

celone ,  et  commença  un  siège  au  suc- 
cès duquel  Louis  XIV  mettait  beau- 
coup de  prix.  On  avait  en  conséquence 
donne'  à  Vendôme  des  moyens  consi- 
dérables ;  et  la  place  fut  investie  par 
terre  et  par  mer  :  mais  elle  était 
bien  approvisionnée ,  défendue  par 
une  forte  garnison  ;  et  tout  an- 
nonçait que  l'opération  serait  lon- 
gue et  diiiicile.  La  cour  d'Espagne  , 
qui  tenait  beaucoup  à  la  conser- 
vation de  ce  boulevard  de  ses  fron- 
tières, envoya  une  armée  nombreuse 
sous  les  ordres  du  vice-roi  de  Ca- 
talogne, François  de  Vélasco,  pour 
attaquer  les  assiégeants.  Le  duc 
de  Vendôme ,  informé  de  ce  pro- 
jet ,  résolut  de  le  prévenir.  Ne  lais- 
sant dans  ses  lignes  que  le  nom- 
bre de  troupes  nécessaire  pour 
contenir  la  garnison,  il  marche, 
pendant  la  nuit^  contre  Vélasco ,  le 
surprend  au  point  du  jour,  et  le  met 
dans  une  déroute  complète.  Cette  vic- 
toire fut  bientôt  suivie  de  la  prise  de 
Barcelone,  qui  capitula  le  lo  août 
1695  ;  et  ces  événements  amenèrent 
la  paix  de  Riswick.  Vendôme  retour- 
na triomphant  dans  sa  délicieuse  re- 
traite d'Anet ,  et  il  n'en  sortit  qu'à 
l'époque  de  la  guerre  de  la  succession 
d'Espagne.  Chargé  alors  d'aller  ré- 
parer, en  Italie,  les  fâcheux  résrul- 
tats  de  l'impéritie  de  Vilieroi ,  il  prit 
lecommandement  del'arméedes  deux 
couronnes  ,  et  se  trouva,  pour  la  pre- 
mière fois ,  avec  le  nouveau  roi  Phi- 
lippe V,  auquel  il  inspira,  dès  ce 
moment,  une  grande  confiance.  Ce 
prince  lui  avait  amené  de  Naples 
de  nombreux  renforts  ;  et  Vendô- 
me se  vit  à  la  tête  d'une  armée 
de  beaucoup  supérieure  à  celle  des 
Impériaux  :  mais  ceux-ci  étaient  com- 
mandés par  le  prince  Eugène,  le 
plus  entreprenant  et  le  plus  fécond 
en  ressources  des  généraux   de  ce 


VEN 


123 


temps-là.  Ces  qualités  n'étaient  pas, 
il  faut  le  dire,  celles  de  Vendôme: 
tous  les  contemporains  s'accordent 
à  le  représenter  comme  incapable  de 
méditer  etde  préparer  deîongue  main 
une  opération  ,  et  surtout  comme  dé- 
pourvu de  la  vigilance  et  de  l'activité 
qui  peuvent  seules  en  assurer  le  suc- 
cès. Il  est  difficile  d'expliquer  com- 
ment un  tel  homme  s'est  fait  une 
assez  grande  réputation  dans  un  siè- 
cle où  brillèrent  tant  d'illustres  guer- 
riers ;  et  l'on  ne  conçoit  pas  mieux 
comment  il  a  pu  réellement  obte- 
nir des  succès  importants  5  mais  on 
ne  jieut  nier  qu'à  son  exccssiye  in- 
curie, à  son  insurmontable  paresse,  il 
joignait  un  coup-d'œil  excellent,  une 
valeur  à  toute  épreuve,  un  sang-froid 
imperturbable  dans  Icsplus  grands  pé- 
rils, et  que  par  des  avantages  si  grands 
dans  un  général,  il  réparait  souvent 
les  malheurs  qu'avait  causés  son  im- 
prévoyance. Dans  cette  campagne 
de  i']o2  ,  il  débuta  de  la  manière  la 
plus  brillante  ,  poussant  devant  lui 
l'armée  impériale ,  battant  son  ar- 
l'ière-garde  à  Ustiano,  à  San-Vitto- 
ria ,  et  faisant  lever  le  blocus  de 
Mantoue.Mais  bientôt,  retombé  dans 
son  indolence ,  il  se  relâcha  des  pré- 
cautions qu'il  avait  d'abord  prises  ; 
et  après  avoir  marché  sans  recon- 
naître le  pays  ,  même  sans  être  pré- 
cédé d'une  avant-garde ,  il  allait  éta- 
blir son  camp  sur  le  canal  du  Zéro, 
dans  la  plaine  de  Luzara ,  lorsque 
le  hasard  fit  découvrir  ,  cachée  der- 
rière ce  même  canal,  toute  l'armée 
du  prince  Eugène  ,  qui  avait  passé  le 
Pô  sans  que  l'on  s'en  fût  aperçu  ,  et 
qui  était  près  de  fondre  sur  les  Fran- 
çais ,  désarmés  et  occupés  à  dresser 
leurs  tentes.  Toute  l'armée  de  Ven- 
dôme était  perdue  sans  ressource,  si 
sa  sécurité  eût  duré  un  quart  d'heure 
de  plus.  Dès  qi:'i!  est  averti,  il  saisit, 


1^4 


YEN 


au  premier  coup-d 'œil,  tous  les  avan- 
tages et  les  difficiilte's  du  terrain  , 
forme  ses  troupes,  les  mène  au  com- 
bat^ et  fait  si  bien  qu'aprcs  de  longs 
et  sanglants  efforts  de  part  et  d'au- 
tre ,  la  victoire  reste  indécise  ,  dans 
une  journée  où  l'ennemi  croyait  xnar- 
cher  à  un  triomphe  assuré  (  i5 
août  l'yoa).  Philippe  retourna  en 
Espagne  aussitôt  après;  et  persuadé 
qu'il  avait  assisté  à  une  victoire  ,  il 
donna  l'ordre  de  la  Toison  d'Or  à 
Vendôme.  Reste  à  la  tète  de  l'armée 
confédérée,  ce  général  pénétra  dans 
le  Tyrol  ,  obtint  divers  avantages 
sur  le  comte  de  Stalirenberg  ,  et  se 
rendit  ensuite  en  Piémont  ,  pour 
y  combattre  le  duc  de  Savoie ,  qui 
venait  de  se  séparer  de  la  France.  Il 
désarma  trois  mille  hommes  des 
troupes  de  ce  prince ,  alors  réunis 
à  l'armée  française,,  et  il  lui  enleva 
plusieurs  places ,  entre  autres  celle 
de  Verrue,  qui  capitula  ajirès  un 
long  siège.  Mais  bientôt,  obligé  de 
marcher  à  la  rencontre  du  prince 
Eugène,  qui  venait  au  secours  du  duc 
de  Savoie  ,  il  le  rencontra  sur  l'Ad- 
da  ,  où  fut  livrée  ,  le  i6  août  1706  , 
la  bataille  de  Cassano,  si  sanglante, 
si  indécise  ,  et  dans  laquelle ,  comme 
à  Luzara  ,1e  hasard  et  la  valeur  fran- 
çaise suppléèrent  à  l'imprévoyance 
du  général. Vendôme,  qui  d'abord  s'é- 
tait laissé  tromper  sur  le  point  d'at- 
taque ,  fit  de  si  bonnes  dispositions 
au  Paradist» ,  qu'il  força  le  prince 
Eugène  à  tenter  le  passage  du  fleuve 
d'un  autre  côté  :  mais  il  se  tioubla 
ensuite  tellement, il  agit  si  peu  de  con- 
cert avec  son  fière  le  grand-prieur  {f^. 
l'article  suivant) ,  qu'il  ne  put  oppo- 
ser à  l'armée  impéiiale ,  sur  le  pont 
de  Cassano  ,  que  des  corps  séparés  , 
combattant  sans  ensemble  et  presque 
sans  direction,  dans  un  cul-de-sac  où 
la  victoire  pouvait  seule  les  souslrai- 


VEN 

re  à  une  ruine  absolue.  C'est  ainsi 
que  celle  bataille  a  été  représentée 
par  les  meilleurs  juges,  par  Feu- 
quières  et  par  Folard  lui-même, 
quelque  admirateur  que  ce  dernier 
fût  du  duc  de  Vendôme,  qui  l'avait 
fait  son  aide-de-camp.  Ce  général 
montra  plus  d'habileté  ,  quelques 
mois  après  en  surprenant  l'armée 
impériale  dans  ses  quartiers  d'hiver 
à  Calcinato  :  mais  dans  celte  circons- 
tance il  manqua  encore  d'activité ,  et 
n'ayant  pas  poursuivi  rapidement  un 
premier  avantage,  il  laissa  échapper 
l'occasion  d'en  obtenir  de  plus  con- 
sidérables. Ce  fut  son  dernier  exploit 
en  Italie.  Destiné  à  remplacer  Ville- 
roi  après  tous  ses  désastres ,  il  fut 
envoyé  en  Flandre,  en  1708,  pour 
y  commander  les  débris  qui  venaient 
d'échapper  à  la  défaite  de  Ramillies: 
mais  ne  connaissant  pas  le  pays  ,  se 
trouvant  en  présence  de  Mai'lbo-  | 
rough  et  du  prince  Eugène  ,  et  peu 
d'accord  avec  le  duc  de  Bourgogne 
(  Fojez  Bourgogne,  V,  876  ),  il 
essuya  toutes  sortes  de  revers,  et  per- 
dit la  bataille  d'Oudenarde,  si  fu- 
neste pour  la  France  dans  les  circons- 
tances fâcheuses  où  le  royaume  se  trou- 
vait. Sans  adopter  sur  cet  événement 
toutes  les  assertions  de  Saint-Simon  , 
qui  a  traité  Vendôme  avec  beaucoup 
de  sévérité ,  on  ne  peut  nier  que  ce 
général  ne  fit  dans  cette  occasion  au- 
cune disposition  pour  empêcher  la 
jonction  du  prince  Eugène  avec  Marl- 
borough,  m  pour  opérer  la  sienne 
avec  le  maréchal  de  Berwick ,  qui 
lui  amenait  des  renforts  ,  ni  enfin 
pour  résister  à  une  attaque  qu'il  de- 
vait prévoir.  Il  n'est  pas  moms  vrai 
que  ses  troupes  ,  prises  au  dépourvu  ^ 
et  venant  l'une  après  l'autre  en  co- 
lonnes sur  le  terrain ,  n'eurent  pas  le 
temps  de  se  former.  Le  désordre  do 
la  retraite ,  exécutée  pendant  la  nuit, 


YEN 

fut  encore  pins  grand  j  etl'arme'e  fran- 
çaise y  fit  des  pertes  immenses  ;  en- 
fin Vendôme  mit  le  comble  à  ses  torts 
en  parlant  à  l'héritier  diitrône,au  mi- 
lieu d'un  conseil  de  guerre,  avec  la 
dernière  arrogance  ,  et  en  rappelant 
à  ce  prince,  de  la  manière  la  plus  du- 
re ,  quil{  le  prince)  n^ était  venu  que 
pour  obéir.  C'était  se  condamner  lui- 
même  ;  mais  ses  partisans  ne  persis- 
tèrent pas  moins  à  dire  que  les  ordres 
du  jeune  duc  avaient  fait  tout  le  mal; 
qu'ils  avaient  empêche  les  meilleu- 
res résolutions;  et  ils  répétèrent  avec 
plus  de  violence  encore  ces  accusa- 
tions contre  !epetit-fils  de  Louis  XI V, 
lorsque  les  alliés  entreprirent  !e  siège 
de  Lille ,  et  qu'ils  s'emparèrent  de 
cette  place,  en  présence  de  cent  mille 
Français  ,  qui  ne  firent  rien  pour  les 
en  empêcher  (  J^.  Eugène  et  Bouf- 
FLERS  ).  Les  partisans  de  Vendôme 
étaient  surtout  appuyés  par  le  Dau- 
phin ,  père  du  duc  de  Bourgogne, 
qui  avait  le  tort  incroyable  d'être 
jaloux  des  succès  de  son  lils  (  Foy. 
Louis,  XXV  ,  241  ).  Dès  que  celte 
déplorable  campagne  fut  terminée, 
Vendôme  parut  à  la  cour  de  i\Ieu- 
don ,  et  il  V  fut  accueilli  avec  beau- 
coup d'empressement.  Il  jeta  en 
même  temps  dans  le  public  une  es- 
pèce de  Mémoire  justificatif,  où  la 
plupart  des  faits  étaient  défigurés  et 
rapportés  d'une  manière  tout-à-fait 
injurieuse  au  duc  de  Bourgogne.  Ce 
fut  par  tous  ces  moyens  et  par  l'in- 
fluence d'un  parti  nombreux ,  que  , 
malgré  ses  défaites,  Vendôme  conser- 
va une  grande  réputation  d'habileté  j 
enfin  ce  fut  ainsi  que,  im  an  plus  tard, 
lorsque  la  couronne  d'Espagne  fut 
près  d'échapper  à  Philippe  V,  lors- 
que ce  prince,  obligé  de  quitter  sa  ca- 
pitale ,  n'eut  plus  d'espoir  que  dans 
les  secours  de  la  France ,  il  ne  vit 
de  moyen  de  salut  que  dans  la  va- 


VEN 


125 


leur  du  vainqueur  de  Luzara  ,  et 
il  le  demanda  avec  beaucoup  d'ins- 
tances à  Louis  XIV.  Ce  monarque 
se  hâta  de  faire  partir  le  duc ,  et 
il  envova  en  même  temps  en  Espa- 
gne tous  les  secours  dont  il  put  dis- 
poser. Au  nom  de  Vendôme,  tous 
les  débris  échappés  à  la  défaite  de 
Saragûsse  se  réunirent  ;  un  grand 
nombre  de  volontaires  accoururentdo 
toutes  les  parties  de  l'Espagne,  ])our 
se  ranger  sous  les  drapeaux  de  Phi- 
lippe V  ',  et  bientôt  l'archidnc  d'Au- 
triclie,  son  compétiteur,  se  vit  obli- 
gé de  quitter  Madi  id  devant  le  pe- 
tit-fils de  Louis  XIV,  qui  y  fit  sa 
rentrée  à  côté  de  Vendôme,  le  3  dé- 
cembre 1710,  au  milieu  des  cris  de 
Vii>e  Philippe  V ,  vive  Vendôme  l 
Trois  jours  après,  tous  deux  quittè- 
rent cette  capit.ile;  ils  poursuivi- 
rent avec  une  admii-ab!e  rapidité 
l'armée  de  Slahrenberg  ;  et  forcèrent 
à  capituler  le  général  Stanhope  ,  qui , 
après  s'être  tenu  maladroitement 
trop  éloigné  de  l'armée  dont  il  com- 
mandait l'arrièi-e-garde,  s'était,  plus 
maladroitementencore,  enfermé  dans 
la  mauvaise  place  de  Brihuega  ,  où  il 
mit  bas  les  armes  avec  cinq  mille 
Anglais.  Ce  succès  important  fut  bien- 
tôt suivi  de  la  victoire  de  Villa-Vi- 
ciosa  ,  que  Vendôme  l'cmporta  sur 
Stahrenbei'g  lui-même.  Cette  victoi- 
re ,  quoique  long  -  temps  disputée , 
fut  tout- à-fait  décisive;  et  cette 
époque  du  petit -fils  de  Henri  IV 
est  réellement  très-brillante  :  c'est  la 
plus  belle  de  sa  vie.  Cependant  il 
était  malade ,  souffrant  de  la  goutte, 
et  déjà  d'un  âge  avancé  :  ce  fut  dans 
cet  état  qu'on  le  vit  déployer  plus 
d'énergie  et  d'activité  qu'il  n'en  avait 
montré  dans  toute  la  force  de  sa  jeu- 
nesse. Toujours  à  cheval,  et  se  don- 
nant à  peine  le  temps  de  prendre  un 
léger  repas,  il  força  en  quelque  sorte 


1^6 


YEN 


le  jeune  roi  à   suivre  son  exemple. 
Dans  la  soirée  de  la  victoire  de  Vilia- 
A  iciosa,  tous  deux  n'avaient  que  leurs 
manteaux  pour  couclier  sur  le  champ 
de  bataille.  Ce  l'ut  alors  que  Yendô- 
rae  dit  avec  tant  de  grâce  au  jeune 
juonarquc  :  «  Je  vais  donner  à  Vo- 
»  tre  î\lajcste  le  meilleur  lit  sur  le- 
»  quel   un  roi    ait  jamais  pu  cou- 
»  clier;  «  et  faisant  apporter  tous  les 
drapeaux  cl  les  étendards  pris  à  l'en- 
nemi ,  il  les  arrangea  en  sa  présen- 
ce.  Revenu  triomphant  à  Madrid , 
avec  le  roi ,  qui  lui  devait  sa  couron- 
ne, il  y  fut  comblé  d'honneurs,  et 
admis  au  rang  de  premier  prince -du 
sang  :  mais  i!  refusa  généreusement 
toutes  les  sommes  d'argent  qui  lui 
furent  olfertcs  ;  et  peu  de  temps  après, 
voulant  achever  son  ouvrage^  il  par- 
tit pour  la   Catalogne,  afin  de  sou- 
mettre quelques  corps  d'insurgés  qui 
tenaient  encore  pour  l'Autriche.  Ce 
fut  dans  cette  expédition  qu'il  mou- 
rut subitement  au  milieu  de  ses  triom- 
phes ,  à  Tignaroz ,  le  1 1  juin  1712. 
Philippe  V  ordonna  que  toute  l'Espa- 
gne prît  le  deuil ,  et  il  le  fit  enterrer 
à  l'Escurial  ,  dans  le  tombeau  des 
infants  d'Espagne.  "Vendôme   avait 
épousé  ,  en    1710,   IMarie-Anne  de 
Bourbon-Condé,qui  mourut  en  1718. 
Peu  d'hommes  ont  donné  lieu  à  des 
opinions  plus  diverses  ;  peu  de  guei'- 
riers  oll'rent   dans  leur  carrière   de 
quoi  établir  des  jugements  aussi  con- 
tradictoires.  Avant  de   commander 
en  chef,  il  avait  montré  quelque  ha- 
bileté ,    et    surtout   cette  bravoure 
qui  le  distingua  toujours.  Dans  sa 
première  campagne  en  Catalogne ,  il 
brilla  par  l'audace ,  l'activité,  et  il 
obtint  de  beaux  résultats  :  mais  en 
Italie  ,    où  il  avait ,  par   le   nom- 
bre ,    une    grande    supériorité    sur 
le  prince    Eugène,    il   profita   peu 
de  cet  avantage,  ne  déploya  aucun 


YEN 

plan  ,  aucune  combinaison  hardie; 
et,  dans  les  deux  occasions  les  plus 
importantes  ,  ne  dut  qu'au  hasard 
d'échapper  à  une  défaite  absolue  et 
dont  on  n'eût  pu  accuser  que  son  im- 
prévoyance. A  Oudcnarde,  oîi  il  était 
également  supérieur  par  le  nombre, 
il  se  laissa  prévenir  malgré  des  avis 
réitérés ,  et  il  voulut  combattre  lors- 
qu'il n'étaitplus temps:  il  attribua  tous 
les  torts  à  l'héritier  du  trône  ;  et  quoi- 
que ce  prince  ne  fiit  venu  que  pour 
obéir,  comme  il  le  lui  dit  avec  tant 
d'insolence,  il  rejeta  sur  lui  toutes  les 
suites  de  sa  propre  indécision ,  de  son 
impéritie  ;  et  son  parti ,  qui  ne  lais- 
sait pas  d'èti'c  nombreux ,  fit  retentir 
ses  plaintes  jusqu'aux  oreilles  du 
roi  et  nuisit  beaucoup  au  duc  de 
Bourgogne  dans  l'esprit  de  Louis 
XIV.  Ou  resta  persuadé,  à  la  cour 
et  dans  le  public,  que  Vendôme  était 
un  grand  général ,  et  ce  fut  l'opinion 
de  toute  la  France  autant  que  celle  de 
Philippe  V,  qui  le  conduisit  presque 
aussitôt  eu  Espagne ,  où  l'on  crut 
qu'il  était  le  seul  homme  capable  de 
replacer  la  couronne  sur  la  tète  du 
petit-fils  de  Louis  XIV.  Ses  opéra- 
tions dans  cette  centrée  sont  dignes 
d'éloge  sous  beaucoup  de  rapports. 
Contre  sa  coutume  ,  il  y  déploya  de 
l'activité.  Il  fut  admirablement  se- 
condé ,  il  est  vrai,  par  les  troupes, 
etsurtout  parles  généraux  espagnols; 
et  il  eut  le  toi't  de  ne  pas  reconnaître 
assez  ce  qu'il  devait  à  la  valeur  du 
comte  d'Aguilar ,  qui  lui  fut  indigne- 
ment sacrifié  par  la  cour.  Si  les 
talents  militaires  de  Vendôme  ont 
pu  être  jugés  diversement ,  toutes  les 
opinions  sont  d'accord  sur  le  scan- 
dale de  ses  mœurs  et  de  sa  vie  pri- 
vée. D'un  cynisme  et  d'une  malpro- 
preté dégoûtante,  il  cachait  à  peine 
ses  goûts  honteux.  Personne  n'a  con- 
testé son  désintéressement  et  sa  bon- 


VEN 

tej  mais  cette  ])onté  et  ce  dësinte'res- 
senient  n'avaient  souvent  pour  princi- 
pe qu'une  faiblesse  déplorable  et  qui 
tournait  presque  toujours  au  profit 
des  intrigants  et  des  fripons  dont  il 
e'tait  sans  cesse  entoure.  Le  désordre 
de  sa  maison  e'fait  tel  que  le  secré- 
taire de  ses  commandements  ,  Cani- 
pistrou ,  a  dit  que  l'on  courait  tou- 
jours risque  d'y  mourir  de  faim 
ou  d'indigestion.  Ses  domestiques 
le  volaient  ouvertement.  L'un  d'eux 
lui  ayant  dit  un  jour  qu'il  allait 
le  quitter  ,  ne  pouvant  plus  voir 
piller  aussi  effrontément  :  «  JN'est- 
))  ce  que  cela,  lui  dit  Vendôme? 
»  liébien,  jp/ZZe  comme  les  autres!  » 
A  ses  derniers  moments ,  lorsqu'il  fut 
près  d'expirer  des  suites  d'une  iiidi- 
gcstion  (  i  ),  ces  misérables  vendirent 
jusqu'au  matelas  sur  lequel  il  était 
couché.  Dans  son  cliâleau  d'Anet, 
comme  dans  son  état-major,  il  pas- 
sait sa  vie  au  milieu  des  hommes  les 
plus  méprisables;  leur  sacrifiant  les 
meilleurs  officiers,  et  souvent  ses  de- 
voirs les  plus  impérieux.  L'un  d'eux 
était  notoirement  vendu  aux  enne- 
mis de  l'élat,  et  leur  livrait  le  secret 
des  plus  importantes  opérations. 
Le  moyen  de  succès  le  plus  assuré 
auprès  du  duc  était  d'aiUcher  une 
grande  liberté  dans  sa  conduite  et 
dans  ses  propos.  Ce  fut  par  là  que  le 
fameux  Alberoni  sut  lui  plaire  et 
s'en  lit  nu  protecteur  très-zélé.  Fort 
populaire  et  presque  familier  avec 
ses  inférieiirs  et  surtout  avec  les  sol- 
dats, il  était  fier  avec  ses  égaux,  et 
il  tirait  surtout  beaucoup  de  va- 
nité de  son  origine.  Philippe  V 
lui  ayant  témoigné  son  étonnement 
de  ce  qu'il  avait  tant  d'esprit  et  de 
valeur ,  quoique  son  père  en  eût  peu 
montré  ,    il     répondit    au    monar- 

(l)  Pour  avoir  mangé  trop  île  poisson. 


YEN  127 

que  :  Mon  esprit  vient  âe  plus  loin. 
On  sait  que  Louis  XIV  n'aimait  pas 
Vendôme,  qu'il  ne  l'employa  jamais 
que  faute  de  pouvoir  faire  mieux  ;  et 
l'on  a  dit  que  cet  éloignement  venait 
surtout  de  ce  que  les  princes  n'ai- 
ment pas  les  bâtards  de  leur  maison  : 
mais  aucun  de  nos  rois  n'eut  plus  de 
l'aison  que  celui-là  d'être  indulgent 
pour  ce  genre  de  scandale  j  il  est  plus 
probable  que  le  monarque  détestait 
dans  Vendôme  ses  goûts  infà  mes  et  son 
irréligion.  C'est  sans  doute  à  cause 
de  cette  opinion  connue  du  souve- 
rain, que  les  historieus  contempo- 
rains ont .  peu  parlé  d'un  homme 
aussi  remarquable.  Voltaire  lui  a 
donné  de  grands  éloges ,  par  les 
mêmes  motifs  ,  peut  -  être  ,  qui 
empêchèrent  Louis  XIV  de  l'es- 
timer. L'académie  de  Marseille  pro- 
posa ,  en.  1781  ,  pour  sujet  du  prix 
d'éloquence  ,  V Eloge  de  Fendôme. 
Le  prix  fut  remporté,  en  1^83  ,  ])ar 
M.  de  Villeneuve,  commis  à  l'hôtel 
des  fermes.  L'ouvrage  imprimé  in- 
8".  a  pour  épigraphe  :  Optimè  is 
laudaverit  qui  ji déliter  narraverit. 
MM.  Dieulafoy  et  Gersain  ont  fait 
représenter,  sur  le  théâtre  du  Vau- 
deville, le  17  juin  1807  ,  Les  Pages 
du  duc  de  Fendôme  ,  pièce  en  un 
acte,  imprimée  la  même  année  in-80. 
De  cette  pièce,  M.  Aumer  a  fait  un 
ballet  joué  à  l'opéra  le  8  octobre 
1820,  et  imprimé  la  même  année 
in-80.  MM.  Mennechet  et  Empis  ont 
donné  sur  le  même  théâtre  ,  le  5  dé- 
cembre 1 8^3 ,  Fendôme  en  Espa- 
gne ,  drame  lyrique  en  un  acte  ,  im- 
primé in-8».  (  ouvrage  de  circons- 
tance ).  On  a  publié,  pour  le  mê- 
me motif  et  dans  la  même  année  :  Le 
duc  de  Fendôme  en  Espagne,  pré- 
cis historique  de  sa  vie  et  de  ses 
dernières  campagnes ,  par  un  an^ 
cieu  militaire,  in  8".       M — d  j. 


128 


VEN 


VENDOME  (Philippe  de) ,  frère 
du  précédent ,  né  le  23  août  i655  , 
fut  reçu  chevalier  de  iMalte  dans  son 
enfance  ,  et  fit  ses  premières  armes  , 
en  i6C^,  sbns  le  duc  de  Beaufort , 
son  oncle  ,  qui  périt  si  malheureuse- 
ment au  siège  de  Candie  (  V.  Beat;- 
tORT,  III ,  625  ).  Le  jeune  chevalier 
donna,  à  ce  siège  mémorable,  des 
preuves  d'un  grand  courage  ,  et  il  fit 
ensuite  la  campagne  de  Hollande  ,  où 
Louis  XIV  commanda  son  armée  en 
personne.  Étant  resté  en  Allemagne, 
sous  les  ordres  de  Turenne  ,  après  le 
départ  du  moriârqiie  ,  il  eut  part  à 
la  victoire  de  Sintiheim.  Il  lit  les 
campagnes  de  Flandie  aA'ec  le  gra- 
dé de  colonel ,  fut  nommé  maréchal - 
de-camp,  en  i<jgi,et  ne  se  distingua 
pas  moins  que  son  frère  aîné  ,  à  la 
prise  de  Namur  ,  ainsi  qu'aux  com- 
1)3 ts  de  Leuse  et  de  Steinkerque.  De- 
venu grand-prieur  de  France  et  lieu- 
tenant -  général  en  169^  ,  il  passa  à 
l'armée  d'Italie  ,  et  concourut  à  pui- 
sieurs  victoires  dans  le  Piémont,  no- 
tamment à  celle  de  la  Marsaille,  sous 
le  maréchal  de  Catinàt.  Il  suivit  enco- 
re son  frère  en  Catalogne,  en  ifig-j^et 
contribua  beaucoup ,  par  sa  valeur ,  à 
là  défaite  de  Vélasco  et  à  la  prise 
de  Barcelone.  Il  retourna  ensuite  en 
Italie  ,  oii  il  fut  chargé  du  comman- 
dement de  la  Lombardie,  pendant 
que  le  duc  de  Vendôme  s'emparait 
des  places  du  Piémont.  Il  contraignit 
alors  les  Impériaux  ,  par  différents 
avantages  ,  à  repasser  l'Adige  et  à 
évacuer  le  Mantouan ,  repoussa  tou- 
tes leurs  tentatives  pour  secourir  la 
Mirandole  (  Voy.  Folard  )  ,  et  leur 
fit  essuyer  un  échec  considérable  au- 
près de  Castiglione^  le  3i  janvier 
1705.  Mais  tous  ces  lauriers  semblè- 
rent bientôt  effacés  par  la  conduite 
du  grand-prieur  à  la  bataille  de  Cas- 
sano  ,  où  cependant  il  ne  fit  que  sui- 


VBN 
vre  les  ordres  de  son  frère ,  en  s'éloi- 
gnant  du  Ritorto,  que  devait  attaquer 
le  prince  Eugène,  et  en  se  tenant 
éloigné  du  combat,  parce  que  le  duc 
ne  lui  envoya  point  d'ordre  d'y  ve- 
nir. On  ne  peut  nier  que  cette  excuse 
ne  fût  militairement  très  bonne  •  ce- 
pendant elle  ne  fut  pas  admise.  Traité 
avec  beaucoup  de  dureté  par  son 
frère,  et  disgracié  par  la  cour  ,  le 
grand-prieur  perdit  tous  ses  bénéfices, 
qui  étaient  considérables  ,  et  il  se 
rôtira  à  Rome  ,  où  il  ne  lui  resta 
pour  vivre  qu'une  pension  du  roi, 
de  vingt-quatre  mille  francs.  Après 
cinq  ans  de  séjour  en  Italie  ,  il  reve- 
nait en  France  avec  le  consentement 
de  Louis  XIV,  lorsqu'il  fut  arrêté  à 
Coire  en  Suisse  ,  par  le  conseiller 
Mesner  ,  qui  se  vengea  par  là  de  ce 
que  son  fils  était  retenu'  ])risonnier 
en  France.  La  cour  de  Versailles  ré- 
clama contre  cette  violation  du  dioit 
des  gens:  le  conseiller,  qui  s'était 
sauvé  en  Allemagne,  fut  condamne' 
à  mort  pour  cet  abus  de  pouvoir; 
et  le  grand-prieur,  rendu  à  la  liberté , 
se  hâta  de  revenir  en  France  ,  où  il 
rentra  dans  la  faveur  du  roi  ,  et  re- 
couvra ses  bénéfices.  A  la  mort  de 
son  frère  il  n'hérita  point  du  duché 
de  Vendôme  ,  en  raison  de  ses  vœux, 
comme  chevalier  de  Malte ,  et  ce  du- 
ché fut  réuni  au  domaine  de  la  cou- 
ronne. Rétabli  dans  son  palais  du 
Tempîe ,  il  s'y  livra  à  tous  les  gen- 
res de  plaisirs;  y  réunit  très-nom- 
breuse compagnie  et  se  fit  l'emarquer 
par  la  licence  de  ses  mœurs ,  dans 
le  temps  de  la  régence  ,  où  tout  fut 
si  licencieux.  Du  reste  ce  prin- 
ce aimait  et  protégeait  les  lettres  et 
les  arts.  La  Fare,  Chaulieu,  Pala- 
prat,  vécurent  dans  son  intimité,  et 
souvent  i!s  éprouvèrent  sa  bienfai- 
sance. Ce  fut  à  lui  que  J.-B.  Rous- 
seau adressa  sa  belle  Ode  septième,  à 


VEN 

l'occasion  de  son  retour  de  Malte, 
où  il  s'était  rendu  _,  en  1716,  pour  y 
prendre  le  commandement  des  trou- 
pes destinées  à  combattre  les  Turcs. 
Mais  l'attaqueque  l'on  redoutait  de  la 
part  de  ces  derniers  n'eut  pas  lieu, 
et  le  grand-piieur  se  liâta  de  revenir 
dans  son  palais  du  Temple,  où  il 
mourut  le  24  janvier  i']'2'j.  L'es- 
prit de  ce  prince  était  plus  cultive' 
que  celui  de  son  frère;  et  il  avait 
plus  de  moyens  de  succès  dans  le 
monde.  Le  caractère  de  ces  deux 
hommes  célèbres  fut  d'ailleurs  d'u- 
ne grande  ressemblance  :  tous  deux 
aimèrent  beaucoup  la  table  ,  et  tous 
deux  eurent  l'habitude  de  rester  long- 
temps au  lit ,  même  dans  leurs  cam- 
pagnes ,  où  ils  auraient  eu  besoin  de 
la  plus  grande  activité.  C'étaient 
de  vrais  épicuriens ,  et  sous  quelques 
rapports,  au  moins  pour  la  valeur  et 
le  goût  des  plaisirs, de  dignes  petils- 
fds  de  Henri  IV.  M— d  j. 

VENDOME.  Fof.  Geoffroi  et 
Matthieu. 

VENDRAMINO  (André),  doge 
de  Venise,  successeur  de  Pierre  Mo- 
cenigo,  au  commencement  de  l'année 
147Ô,  m;iintint  la  république  de  Ve- 
nise en  paix ,  à  l'époque  où  les  deux 
e'tats  voisins  ,  le  duché  de  Milan  et 
la  république  de  Florence,  étaient  bou- 
leversés par  les  plus  redoutables  con- 
jurations. Son  règne  ne  présente  rien 
de  remarquable.  Il  mourut  le  (i  mai 
147^,  et  eut  pour  successeur  Jean 
Mocenigo.  S.  S — i. 

VEiNEGAS  (  Michel  ),  jésuite 
espagnol  du  dernier  siècle  ,  fut  mis- 
sionnaire au  Mexique  et  en  Califor- 
nie ;  il  rendit  de  longs  services  à  son 
ordre  dans  l'administration  de  cette 
dernière  contrée,  et  ne  cessa  de  re- 
cueillir d'utiles  documents  sur  la 
géographie  du  pays  et  sur  l'histoire 
des  missionnaires  européens  qui  par- 

XLVUI. 


VEN  129 

vinrent  à  le  soumettre  au  milieu  de 
dangers  et  de  souHraiices  continuel- 
les. Après  sa  mort ,  un  religieux  de 
sa  société,  le  P.  André-Marc  Bur- 
riel,  recueillit  ses  manuscrits,  mit 
en  ordre  et  publia,  sans  se  nommer 
lui-même ,  l'histoire  du  P.  Venegas  , 
sous  ce  titre  :  Noticia  de  la  Cali- 
fornia  y  de  su  conquista ,  etc. ,  Ma- 
drid ,  1757,  3  vol.  in-4".  Cet  ou- 
vragc  ne  tarda  pas  à  être  traduit  en 
anglais,  et  c'est  sur  cette  traduction 
que  fut  publiée  en  français  V Histoi- 
re naturelle  et  civile  de  la  Califor- 
nie,  traduite  par  E.  (  Eidoiis  ) ,  Pa- 
ris, 1767,3  vol.  in-12.  On  trouve 
dans  ce  livre  des  détails  peu  connus 
sur  les  travaux  de  la  mission  et  sur 
les  mœurs  des  habitants  rie  la  Cali- 
fornie. 11  est  suivi  d'un  supplément 
donné  par  l'éditeur  espagnol,  et  con- 
tenant des  extraits  relatifs  aux  mê- 
mes pays  ,  empruntés  aux  histoires 
et  voyages  de  Goinara ,  Viscaino, 
Jean  de  Torquemada ,  V^'^oode  Rogers 
et  Anson.  V-g-r. 

VENEL  (Gabriei.-Fsançois)  ,  na- 
quit en  i7'-i3,  à  Combes  ,  diocèse  de 
Béziers,où  sa  famille  était  établie  de- 
puis long-temjis.  Sa  thèse  pour  pren- 
dre le  grade  de  bachelier,  soutenue  à 
l'âge  de  dix-huit  ans ,  annonça  par 
les  principes  hardis,  mais  lumineux, 
qu'il  y  avance  ,  sur  l'abus  des  pur- 
gatifs et  contre  les  vertus  des  corps 
terreux  ,  un  homme  qui  ne  s'en  tien- 
drait pas  à  la  routine  de  ses  maîtres. 
Après  son  cours  fait  à  Montpellier, 
il  alla  à  Paris  ,  où  il  se  livra  ,  par 
prédilection  ,  à  la  chimie.  Il  fut 
d'abord  disciple  de  Rouelle  ,  ensuite 
son  ami,  puis  son  rival  ,  et  l'objet 
de  la  jalousie  de  ce  savant.  Rouelle 
l'appelait  \e  démon  du  midi,  pour 
marquer  son  habileté  à  deviner  les 
secrets  dont  il  n'avait  parlé  qu'énig- 
matiquement  à  ses  disciples.  Le  duc 

9 


i3o  VEN 

d'Orléaus  plaça  Venel  à  la  tète  de 
son  laboratoire .  ce  qui  lui  procura 
les  plus  grandes  facilites  poursuivre 
son  goût  favori.  11  choisit  pour  objet 
de  ses  premiers  travaux  l'analyse 
des  ve'gc^aux.  Ses  essais  dans  ce 
genre,  qui  annonçaient  décidées  neu- 
ves ,  une  méthode  heureuse  ,  eurent 
l'approbation  de  l'acadëmicdes  scien- 
ces. Ainsi  que  l'analyse  des  eaux  de 
Schz  ,  les  Mémoires  sur  ces  objets 
sont  insères  dans  le  Recueil  des  sa- 
vants étrangers.  C'est  dans  ces  î\îe- 
nioires  qu'on  trouve  aussi  la  première 
découverte  de  l'acidité  de  l'air 
ûxc.  Venel  s'associa  aux  encyclopé- 
distes :  les  articles  qu'il  leur  fournit 
prouvent  des  connaissances  :  à  com- 
mencer du  troisième  volume,  presque 
tout  ce  qui  concerne  la  chimie ,  la 
pharmacie,  la  piiysiologie  et  la  mé- 
decine est  de  lui.  Eu  1^53  ,  il  fut 
chargé  ,  par  le  gouvernement  ,  de 
faire  l'analyse  des  eaux  minérales 
du  royaume  ,  conjointement  avec 
Eaym.  11  continua  ses  courses  et 
ses  travaux  pour  cet  objet  jusqu'en 
i-jjG  ,  que  le  paiement  des  fonds 
destinés  à  cette  dépense  fut  suspen- 
du à  cause  de  la  guerre.  Reçu,  en 
i^SH,  membre  de  la  société  roya- 
le de  Montpellier  ,  il  y  lut  des  Dis- 
sertations très -intéressantes  sur  la 
manière  de  séparer  l'acide  nitreux  de 
sa  base  ,  par  le  moyen  du  soufre  j 
sur  la  couleur  verte  des  ])Iantes ,  etc. 
Il  introduisit  dansTiniivcrsité  la  nou- 
velle manière  d'enseigner,  plus  phi- 
losophique que  l'ancienne  ;  il  répandit 
le  goût  de  la  bouue  chimie.  Devenu 
professeur  de  médecine  à  Montpellier, 
a  la  même  époque,  il  commença  ses 
cours  par  la  matière  médicale;  il  ré- 
])andit  les  principes  d'Hippocrate  , 
il  se  déclara  avec  aigreur  contre  ia 
fureur  de  médicamenîer  et  de  saigner 
souvent.  Ennemi  de  l'esprit  de  sys- 


VEN 

tème  ,  il  attaqua  vigoureusement  la 
méthode  de  Boei'haave  ,  absolument 
théorique.  Borné  à  l'instruction,  il 
se  livrait  peu  à  l'exercice  de  la 
médecine,  si  ce  n'est  lorsque  l'a- 
mitié ou  la  charité  l'exigeait.  On 
lui  avait  cependant  reconnu  beau- 
coup de  talent  pour  la  pratique , 
et  on  l'a  vu  suivre  avec  le  plus 
grand  succès  ,  dans  le  traitement 
de  diverses  maladies ,  les  idées  qui 
lui  étaient  particulières.  11  fut  char- 
gé ,  par  les  états  de  Languedoc  ,  de 
faire  des  expériences  sur  ia  houille j 
elles  furent  heui'cuses  :  il  détruisit  les 
préjugés  populaires  contre  cette  sub- 
stance ;  et  il  en  accrédita  l'usage. 
Son  ouvrage  parut  en  1774  ?  sous  le 
titre  à.' Instruction  sur  Vusage  de  la 
houille  ,  de  cette  production  si  néces- 
saire dans  une  jnovince  où  le  bois  est 
très-rare,  et  où  les  manufactures  en 
consomment  une  très-grande  quantité. 
Tous  les  matériaux  de  son  grand  ou- 
vrage sur  les  eaux  minérales  étaient 
prêts  :  il  s'occupait  de  les  mettre  en 
ordre  ,  lorsqu'il  mourut  à  Mont- 
pellier ,  le  29  juin  1  775  ,  des  suites 
d'un  ulcère  à  la  jambe.  Il  avait  un 
juste  et  vif  discernement ,  un  coup- 
d'œil  prompt  ,  ra])ide  et  sûr.  La 
partie  du  style  intéresse  dans  ses 
écrits  ,  la  force  ,  l'énergie  y  domi- 
nent ;  on  y  voit  des  traits  saillants  , 
que  son  imagination  lui  fournit  à  pro- 
pos; mais  il  était  trop  dogmatique 
et  tranchant  dans  ses  décisions.  Il 
était  lié  de  correspondance  avec  les 
savants  de  tous  les  pays,  surtout  de 
la  capitale.  Son  Éloge  a  été  compo- 
sé par  de  Ratte.  On  a  de  lui  un  Vré- 
cis  de  matière  médicale ,  Paris  , 
1787  ,  2  vol.  iii-8''.  7  publié  par  M. 
Carère.  Z. 

VENEL  (Jean-André),  né  siu- 
les  bords  du  lac  de  Genève  le  28 
mai  1740 ,  eut  Cabanis  et  ïronchin 


VEN 

pour  premiers  maîtres  dans  l'art 
de  ^iieiir.  S'e'tant  établi  ,  eu  I769, 
à  Yvcrdun,  il  érigea  ,  dans  les  bains 
de  cette  ville,  une  école  de  sages- 
femmes,  et  composa  pour  elles  un  li- 
vre classique.  Lorsqu'il  eut  assuré  le 
succès  de  cet  utile  établissement ,  il 
s'occupa  d'un  autre  objet.  Un  enfant 
né  avec  les  jambes  tout-à-fait  cour- 
bées en  dedans  fut  confié  à  ses  soins, 
et  il  eut  le  bonlicur  de  le  guérir. 
Ayant  observé  que  cette  partie  de  la 
science  était  encore  bien  imparfaite  , 
il  prit ,  en  \']']g  ,  la  résolution  de  re- 
tourner à  Montpellier  ,  et  d'aller 
s'asseoir  de  nouveau  sur  les  bancs  , 
pour  entendre  des  leçons  d'anatomie , 
dirigées  uniquement  vers  son  objet. 
De  retour  dans  le  pays  de  Vaud , 
il  s'établit  à  Orbe  ,  et  opéra  des  cu- 
res si  heureuses ,  qu'on  lui  amenait 
des  malades  de  tous  les  pays  voi- 
sins. Les  difformités  dans  les  jambes 
disparaissaient  par  ses  soins  ,  et  il 
rendait  à  cette  partie  du  corps,  avec 
plus  ou  moins  de  bonlieur  ,  une  di- 
rection convenable.  Afin  d'avoir 
sous  les  yeux  tous  ses  malades  ,  il 
ouvrit  à  Orbe  une  maison  de  santé  , 
où  il  suivait  leur  traitement  avec 
assiduité.  Quand  on  lui  amenait  un 
enfant  malade  ,  il  faisait  prendre 
un  modèle  en  plâtre  de  la  partie 
difforme ,  et  il  en  faisait  prendre 
un  autre ,  après  la  guérison.  La 
vue  de  ces  modèles  ,  réunis ,  don- 
nait du  courage  aux  malades.  Ve- 
nd profita  de  ses  loisirs  pour  pu- 
blier :  1.  Noiweaux  Secours  pour 
les  corps  arrêtés  dans  V oesophage , 
et  Description  de  quatre  instru- 
ments propres  à  retirer  les  corjjs 
par  la  bouche  ,  Lausanne,  1769  , 
in- 12.  IL  Instruction  sur  l'usage 
de  la  houille ,  plus  connue  sous  le 
nom  de  charbon  de  terre ,  Avignon 
et  Lyon  ,  1775,  in-S".  \\1,  Essai 


VEN  i3i 

sur  la  santé  et  sur  l'éducation  mé- 
dicinale des  filles  destinées  au  ma- 
riage ,  Y  Verdun,  1776,  in- 12.  IV. 
Description  de  plusieurs  nouveaux 
mojens  mécaniques ,  propres  àpré- 
venir  ,  à  borner ,  et  même  à  corri- 
ger ,  dans  certains  cas  ,  les  cour- 
bures latérales  ,  et  la  torsion  de 
V épine  du  dos  ,  Lausanne,  in88, 
in-8°.  On  trouve  dans  cet  ouvrage 
deVenel  les  résultats  de  son  art ,  qui, 
comme  on  voit,  s'étendait  à  la  struc- 
ture de  tout  le  corps  humain.  Afin 
que  son  établissement  se  soutînt  après 
sa  mort,  il  forma  deux  médecins  qui 
devaient  marcher  sur  ses  traces. 
Parmi  les  instruments  dont  l'inven- 
tion ou  le  perfectionnement  lui  ap- 
partient, on  ne  doit  point  oublier 
celui  qu'il  a  fait  pour  arracher  les 
dents.  Venel mourut  au  milieu  de  ses 
malades  le  g  mars  179 1.  G — y- 
VENERÔNl  (Jean  Vignepon, 
connu  sous  le  nom  de  ) ,  naquit  à 
Verdun  dans  le  dix-septième  siècle. 
Ayant  fait  une  élude  particulière  de 
la  langue  italienne  ,  ù  5e  la  rendit 
tellement  propre  ,  qu'il  réussit  à 
tromper,  mtme  sur  son  origine,  les 
hommes  les  plus  instruits.  Après 
avoir  italianisé  son  nom  ,  il  vint  à 
Paris,  où  il  se  donna  pour  Florcutin 
et  se  fit  annoncer  comme  maître  d'ita- 
lien. La  pureté  de  son  langage  et  ia 
clarté  de  ses  principes  lui  proeiuè- 
rent  bientôt  un  grand  nombre  d'élè- 
ves. On  le  regarde,  à  bon  droit  , 
comme  un  des  auteurs  de  ce  temps- 
là  qui,  par  la  facilité  de  leur  r.i.yic , 
ont  le  plus  contribué  à  répandjc  eu 
France  le  goût  de  la  littérature  ita- 
lienne. Il  fut  secrétaire-interprète 
du  roi.  Les  époques  précises  de  sa 
naissance  et  de  sa  mort  ne  sont  pas 
connues;  mais ,  d'après  les  dates  des 
diverses  publications  de  ses  ouvra- 
ges, on  a  lieu  de  conjecturer  qu'il  a 

9- 


r32 


VEN 


fourni  une  assez  longue  carrière. 
11  traduisit  en  tranç^is  les  Lettres 
de  J.-F.  Loredano  ,  poète  et  litté- 
rateur vénitien,  Bruxelles,  1708, 
in-i2,etles  Lettres  du  cardinal 
Bentivoglio.  Il  publia  ensuite  une 
traduction  italienne  de  Fables  choi- 
sies tirées  de  di\  ers  auteurs  français, 
acconipaç,nècs  du  texte,  et  dont  il 
parut  en  mênie  temps  une  autre  ver- 
sion allemande  par  ]Nickiscli,  Augs- 
bourg,  1709  ,  in-4  '.  ■  fiR-  de  Kraus. 
Ces  ouvrages  furent  très-utiles,  en 
ce  qu'ils  facilitèrent  l'étude  de  la 
langue  italienne  aux  jeunes  Français, 
jaloux  de  se  rendre  familières  les 
productions  si  justement  célèbres  du 
Dante,  de  l'Ariostc  ,  de  Bocrace  , 
du  Tasse  et  des  autres  bi-aux  gé- 
nies des  siècles  précédents.  IMais  les 
productions  les  plus  importantes  de 
Veneroni ,  celles  qui  ont  consacré 
son  nom  à  la  reconnaissance  des 
philologues  ,  sont  :  I.  Le  Maître 
italien  ,  in- 12  ,  1710,  grammaire 
dont  on  a  fait  successivement  tant 
d'éditions  en  dillereuts  formats ,  et 
qui  ,  malgré  sa  prolixité  ,  est  encore 
suivie  aujourd'hui ,  de  préférence  à 
ces  abrégés  insuilisants  ou  à  ces  mé- 
thode^  systématiques,  inintelligibles 
pour  la  plupart, ((uc  l'esprit  d'inno- 
vation a  voulu  introduire  dans  ren- 
seignement de  la  jeunesse.  On  a 
prétendu  que  ce  livre  était  du  fa- 
meux Rosclli ,  dont  on  a  imprimé  les 
aventures  en  forme  de  roman  ,  et 
qui ,  lors  de  son  passage  en  France  , 
l'aurait  vendu  pour  une  modique 
somme  à  Veneroni  :  celui-ci  l'aurait 
publié  sous  son  nom  ,  en  y  ajoutant 
seulement  quelque  chose  à  son  gré. 
Mais  ce  récit  ne  mérite  aucune 
croyance.  l\.  Dictionnaire  italien- 
français  et  français-italien  ,  iu- 
4"-/ 1708,  dout'Placardi  donna, 
011769,  une  nouvelle  édition  re- 


VEN  . 

visée  ,  Paris  ,  2  vol.  111-4".  Il  a  éle  ' 
effacé  par  celui  d'Alberti ,  qui  est 
à-la-fois  plus  clair  et  plus  abon- 
dant; mais  il  a  eu  du  moins  le  mé- 
rite d'ouvrir  la  route  dilbcilc  que 
celui-ci  a  parcourue  depuis  avec  tant 
de  succès.  III.  Dictionnaire-Ma- 
nuel en  quatre  langues  ,  français, 
italien  ,  allemand  et  russe,  Moscou  , 
ly-i  ,  iu-80.  Le  privilège  pour  l'im- 
pression du  Maître  italien  dans 
sa  dernière  perfection  ,  nouvelle- 
ment revu ,  corrigé  et  augmenté , 
est  du  i5  janvier  l'jo'^  ;  la  quinziè- 
me édition  de  cette  Grammaire,  qui 
n'était  d'abord  qu'un  petit  in-ia,  est 
de  Lvon  1778  ,  in-80. ,  revue  sur  les 
éditions  données  par  Minazio  et  Cit. 
Plaça rdi.  Parmi  les  autres  qui  ont  pa- 
ru depuis,  il  faut  distinguer  cellrdc 
Gattel,  augmentée  des  italicismes, 
des  svnonymes  italiens,  d'un  traite 
de  la  poésie  italienne,  d'un  vocabu- 
laire poétique,  etc. ,  Lyon  ,  i8o3, 
in-8'V  Le  privilège  pour  la  réimpres- 
sion des  OEuvres  de  Feneroni  est 
du  uG  juillet  1720.       M — g — r. 

VENETTE  (  Jean  de)  ,  roman- 
cier et  chroniqueur,  était  né,  vers  j 
i3o7  (i),  dans  le  village  ])rès  de  1 
Compiègnc  dont  il  jiorle  le  nom  (2). 
Avant  embrassé  la  vie  religicusedans 
l'ordre  du  Carmcl ,  il  y  lit  ses  éludes 
avec  succès,  et  sut  mériter  l'estime 
de  ses  confrères.  En  1  33() ,  il  fut  élu 
prieur  du  couvent  de  son  ordre  ,  à 
Paris  ,  et  l'année  suivante  ,  il  fut  dé- 
signé pour  y  expliquer  les  livres  des 
Sentences  de  P.  Lombard  (  V.  ce 
nom  ).  Il  assista  depuis  à  la  plupart 
des  chapitres  généraux  de  l'ordre,  à 
Lyon  ,  à  iMilan,  à  Metz  ,  à  Toulouse, 

(i)  Il  dil  liii-i:uiiie,  dans  sa  clironique,  qu'en 
i?.i5,  que  cormiictiç.i  une  grande  l'ainiiie,  il  était 
Tige  de  sept  It  liuit  aus. 

(?.)  On  le  trouve  aussi  nommé  Fillot:  ,  qui  sem- 
lile  plutôt  un  sobriquet  qu'un  nom  dafimille.  yoy. 
Saiite-P.ilaye  et  Goujet. 


YEN 

à  Ferrare,  etc.  Mais  son  séjour  le 
plus  ordinaire  fut  Paris  ,  où  il  nous 
apprend  qu'il  demeurait  dans  le  cou- 
vent de  la  Place  Maubert.  Il  jouis- 
sait sans  doute  d'une  certaine  répu- 
tation   comme    prédicateur  :  c'est 
ainsi  qu'on  peut  expliquer  ses  fré- 
quents voyages  en   Cliampagne  ,   à 
Troyes ,  à  Reims  ,  à  Cliàlons  ,  etc. 
Il   rendit   aussi  plusieurs  visites   à 
Pierre  de  Nantes  ,  cvèque  de  Saint- 
Pol  de  Léon  ,  retenu  dans  son  lit , 
à    Chilly  ,    pi  es  de  Long-Jitmeau  , 
par  une  maladie  dont  il  dut  la  guéri- 
son  miraculeuse  à  l'intercession  des 
trois  Maries.  J.  de  Venette  se  rap- 
pelait  avec  plaisir  les    repas   qu'il 
avait  faits  à  la  table  de  ce  ])rclat  ; 
l'éloge    continuel    de    ses    vins   et 
une  exclamation  qui   lui  est  échap- 
pée au  sujet  du  miracle  des  noces 
de   Cana     font     présumer  à    Sain- 
te-Palaye    que   la    sobriété    n'était 
pas  sa  vertu  favorite.    J.  de  Venette 
mourut  en  iSGg.   Il  est  auteur  d'un 
assez  grand  nombre  d'ouvrages  j  le 
plus  connu  de  tous  est  le  Roman  des 
Trois  Maries  ,  en  rime  française  : 
cependant  il  n'a  point  été  imprimé 
(3j,  On  en  conserve  deux  copies  à  la 
Biblioth.  du  roi  ,  sous  les  n"s.  -ylSi 
et  'j5Si  •  il  en  existait  une  troisième 
dans  le  cabinet  du  duc  de  La  Val- 
lière  (  F.  son  Catal.  ) ,  et  il  est  plus 
que  présumable  que  ce  ne  sont  pas 
les  seules.   Dans  les  quarante  mille 
vers  dont  cet  ouvrage  se  compose  , 
on  en  trouverait  à  peine  deux  bons. 
Les  Maries  sont  la  mère  du  Sauveur, 
Marie  Cléoplias  et  Marie  Salomé,  que 
l'auteur,  d'après  une  ancienne  tra- 
dition ,  croyait  toutes  trois  filles  de 
sainte  Anne  ,    mais  de  pères   diflé- 
rents.  Il  déclare  qu'il  a  tiré  ses  récits 


(3)  L'ëdit.  de  147J  ,  \n-'^°.  ,  cilec  par  le  Diction, 
universel,  est  imnginaire. 


VEN  i33 

de  l'Évangile  ,  et  d'un  autre  livre 
authentique  qu'il   ne  désigne  pas  j 
mais  il  a  beaucoup  puisé  dans  des 
sources  fabuleuses ,  et  il  a  somé  sa 
narration  d'une   infinité   de  détails 
pris  dans  les  mœurs  et  dans  les  usa- 
ges de  son   siècle.  C'est  la  précisé- 
ment  ce  qui  rend   aujourd'hui  son 
ouvrage  très-curieux.  Sainte-Palaye 
en   a  donné  l'extrait  dans  les  Mé- 
moires  de  l'acad.    des   inscript. , 
XIII ,  5'2o-33  ;  l'abbé  Goujel  n'a  pu 
que  l'abréger  dans  la  Bibl.  franc.  , 
IX,  i46-55.   Jean  Droyn  a  mis  en 
prose  le  Roman  de  Venette  ,  et  cette 
espèce  de  version  a  éié  publiée  plu- 
sieurs fois  dans  le  seizième  siècle  (  V. 
Drovn,  XII,  37  ).   Mais  le  transla- 
teur a  fait  subir  de  nombreux  chan- 
gements à  l'ouvrage  original.   C'est 
d'après    la   version   de   Droyn   que 
l'abbé  d'Artigny  a  donné,  dans  les 
Nouveaux  Mémoires  de  littérature, 
VI,  237- g  I  ,  le  Recueil  des  princi- 
paux endroits  du  Roman  des  Trois 
Maries.   Il  est  bien  prouvé  mainte- 
nant que  J.  de  Venette  est  l'auteur 
de  la  Seconde  Continuation  de  la 
Chronique  de  Guillaume  de  Naugis 
(  F.  ce  nom,  XIX  ,  i53  ).  Elle  s'é- 
tend de  i34o  à  i3f)8,  et  suivant  D. 
Félibien  ,  elle  mérite  d'être  estimée 
comme    l'un   des   meilleurs   monu- 
ments que  l'on  ait  de  ce  temps-là.  Le 
style  se  ressent,  il  est  vrai  ,  de  la 
barbarie   du  siècle  ;    mais    l'auteur 
montre  beaucoup  de  jugement  (  Ilist. 
de  V Abbaye  de  Saint-Denis ,  284). 
On  lui  reproche  cependant  sa  partia- 
lité pour  les  moines,  dont  l'ambition 
et  la  conduite  peu  régulière  excitaient 
déjà  les  plaintes  des  pasteurs;  mais 
il  lui  était  bien  dillicile  de  se  défen- 
dre d'un  sentiment  de  bienveillance 
pour  ses  confrères.    1).  d'Achei-y  a 
publié  la  continuation  de  Venette  dans 
le  Spicilegium  ,  tom.  xi ,  785-920  ; 


i34  VEN 

et  ou  la  retrouve  dans  le  tome  m  de 
l'cditiou  in-fol.  de  ce  Recueil  impor- 
tant. Saiute-Palaye  en  a  donne  l'ana- 
lyse dans  les  Mémoires  de  Vacadé- 
inie ,  VIII,  569-75,  Les  autres  ou- 
vrages de  Jean  de  Venette  sont  :  I. 
Chronicon  Carmelitarum  liber  unus, 
inipriuid  dans  le  Spéculum  Carme- 
lit  anum  ,  Venise,  i5o7  ,  in-fol.  On 
n'en  trouve  qu'un  extrait  dans  l'édi- 
tion de  ce  Recueil,  Anvers,  1680, 
tom.  I  202.  II.  Adnotationes  ad 
quartum  libr.  Regitm.  III.  De  Offi- 
ciis  divinis  liber  unus.  IV.  Concio- 
num  sjnodalium  liber.  V.  Li- 
ber determinationum  tkeologica- 
rum.  Outre  les  auteurs  déjà  cités , 
ou  ])eut  consulter  la  Biblioth.  Car- 
melitana  du  P.  Gosme  de  Villiers  ;, 
11,  col.  1 3 1-36.  W — s. 

VENETTE  (Nicolas),  docteur 
en  médecine  ,  et  professeur  d'anato- 
mie  et  de  chirurgie  à  la  Rochelle,  na- 
quit daus  cette  ville  vers  i632 ,  et  y 
mourut  en  169S.  Il  ne  s'était  fixé 
daus  sa  ville  natale  qu'après  avoir 
voyagé  en  Portugal  et  en  Italie. 
Sa  vie  n'offrant  rien  de  remarqua- 
ble, nous  allons  donner  une  idée 
de  ses  OEuvres  :  I.  Traité  du  Scor- 
but et  de  toutes  les  maladies  qui 
arrivent  sur  la  mer ,  la  Rochelle  , 
167  I  ,  in-i2.  Venette,  qui  n'a  point 
mis  sou  nom  à  cet  ouvrage,  regarde 
comme  cause  fréquente  du  scorbut 
l'usage  continuel  des  fèves  et  des  pois 
secs.  Les  maladies  chroniques ,  qui 
abattent  les  forces  ,  disposent  aussi 
beaucoup  à  cette  affection  ,  rnii ,  sui- 
vant l'auteur ,  a  son  siège  dans  le 
sang  ,  et  non  dans  la  rate  ,  comme 
on  l'avait  prétendu  maî-à-propos  : 
car,d'api'ès  sa  propre  expérience,  sur 
cinq  cents  scorbutiques  à  peine  s'en 
trouva-t-il  huit  dont  la  rate  fût  plus 
volumineuse  que  de  coutume.  Après 
avoir  donné  une  bonne  description 


VEN 

du  scorlmt ,  Venette  passe  au  traite- 
ment ,  dans  lequel  il  fait  entrer  l'u- 
sage du  riz ,  du  vin  ,  de  la  bière  j  il 
conseille  les  acidulés  ,  lorsque  les 
malades  vivent  au  milieu  d'un  air 
chaud  5  l'hydi'omel ,  la  moutarde  et 
le  cresson  ,  quand  la  température 
atmosphérique  est  froide  :  il  admet 
les  scarifications  des  gencives  tumé- 
fiées et  l'application  des  sangsues  , 
mais  il  rejette  les  purgatifs  drasti- 
ques :  il  aurait  dû  comprendre  l'é- 
métique  dans  cette  proscription.  Lors 
du  siège  de  la  Rochelle  ,  le  scorbut 
ayant  attaqué  un  grand  nombred'in- 
dividus ,  Venette  eu  triompha  par 
un  abondant  usage  de  moutarde.  Il 
combattait  les  ulcères  de  la  bouche 
avec  la  décoction  de  tamarin  et  l'a- 
lun ,  etc.  On  ne  peut  reprocher  à  ce 
tra  ité  que  le  défaut  de  l'époque  _,  c'est- 
à-dire  une  polypharmacic  outrée. 
IL  Observations  sur  les  eaux  miné' 
raies  de  la  Rouillasse  en  Saintonge, 
avecune  dissertation  sur  Veau  com- 
mune, la  Rochelle,  1682,  in-S». 
IIL  De  la  génération  de  l'homme  , 
ou  Tableau  de  l'Amour  conjugal , 
Amsterdam,  1688  ,  in-12  ,  sous  le 
nom  de  Nie.  Salouici ,  Vénitien  , 
Parme,  1689,  in-8°.  ;  ouvrage  fré- 
quemment réimprimé  sous  le  propre 
nom  de  l'auteur ,  à  Paris  ,  Cologne , 
Hambourg,  Lyon,  2  vol.  in-12  ^ 
traduit  en  allemand ,  Leipzig,  1698,, 
Kœnigsberg  ,  1738,  in-8°.  ;  en  an- 
glais ,  Londres,  1703,  17  12  ,in-8".  • 
en  hollandais ,  Amsterdam,  1695, 
in-8<>. ,  la  Haye,  1737  ,  in-8°.  Quel- 
ques auteurs  attribuent  cette  produc- 
tion à  Charles  Patin ,  mais  sans  preu- 
ves. Elle  a  beaucoup  d'analogie 
avec  le  Traité  de  Sinibaldi  intitu- 
lé :  De  hominis  generatione  deca- 
iheucon  ,  imprimé  à  Rome  en  1642, 
in-fol.  Le  Tableau  de  V  Amour  con- 
jugal n'a  proîiablement  dû  sa  vogue 


YEN 

qu'au  slyle  lubrique  dans  lequel  il 
est  écrit  j  car  Fanatomie  en  est  trcs- 
superficielle  ,  et  la  physiologie  fort 
eiTonëe.  En  parlant  des  maladies 
des  parties  externes  ,  l'auteur  donne 
des  conseils  auxquels  la  chasteté  ne 
pre'side  pas  toujours.  Ses  opinions 
concernant  la  stérilité',  les  moyens 
aphrodisiaques  et  anti -aphrodisia- 
ques ,  sont  loin  d'être  sanctionnées 
par  l'expérience.  Après  avoir  exa- 
miné les  bons  et  les  mauvais  effets 
du  rapprochement  des  sexes ,  il 
traite  des  taches  de  naissance  y  de 
l'impuissance  et  de  la  ridicule  et 
immorale  institution  du  congrès.  Il 
n'oublie  ni  les  philti'es  qui  peuvent 
inspirer  l'amour  ,  ni  les  remèdes  qui 
passent  pour  avoir  la  vertu  contraire. 
Enfin  il  décrit  ,  d'après  son  expé- 
rience même  ,  les  propriétés  exhila- 
rantes de  l'opium.  Le  Tableau  de 
l'Amour  conjugal  f  eut  être  considé- 
ré comme  un  livre  populaire,  une  es- 
pèce de  roman  médical,  rempli  d'er- 
reurs et  d'histoires  indécentes.  IV. 
Traité  des  pierres  qui  s'engendrent 
dans  les  terres  et  dans  les  animaux, 
où  l'on  parle  des  causes  qui  les 
forment,  de  la  méthode  de  les  pré- 
venir, et  des  abus  qu'on  commet 
pour  s'en  garantir  et  les  chasser 
hors  du  corps  ,  Amsterdam,  i  701  , 
in-ia  ,  fig.  Dans  cet  ouvrage,  qui 
contient  peu  de  faits ,  Venette  émet 
nne  théorie  fort  ridicule  sur  les  pé- 
trifications ;  il  indique  les  aliments 
et  les  boissons  qui  peuvent  favoriser 
la  formation  des  pierres  ,  ou  s'y  op- 
poser. Ce  qu'il  y  a  de  plus  raisonna- 
ble dans  ce  livre  ,  aujourd'hui  com- 
plètement oublié,  c'est  le  rejet  du 
petit  nombre  des  médicaments  ap- 
pelés improprement  lithontriptiques. 
V.  Traité  du  Rossignol  ,  Paris  , 
1697  ^^  '7"7'  îi'-''-*-  v^'fst  le  résul- 
tat de  ses  observations  sur  vm  rossi- 


VEN  s  35 

gno)  qui  lui  tenait  compagnie  dans 
sou  cabinet.  VI.  Traité  de  la  taille 
des  arbres  ,  Paris,  in-iii.VlI.  De 
potu  gentium  ,  et  queUjues  autres 
petits  écrits  sur  divers  sujets.  Venette 
avait  aussi  traduit  Pétrone  ',  mais  sa 
version  n'a  point  été  publiée  :  seule- 
ment le  vocabulaire  qu'il  avait  com- 
posé pour  faciliter  l'intelligence  de 
cet  auteur  parut  à  Amsterdam   en 

169G.  Pi D — N. 

VENEZIANO  (Antomo  ),  pein- 
tre, ainsi  nommé  du  lieu  de  sa  nais- 
sance, A'it  le  jour  vers  l'an  i3io,  et 
fut  élève  d'Agnolo  Gaddi.  Baldinucci 
le  fait  naître  à  Florence  ;  mais  les 
raisons  qu'il  eu  donne  ne  paraissent 
pas  assez  fondées  pour  inlirmer  ce 
que  dit  Vasari.  Après  avoir  surpassé 
son  maître  ,  il  obtint  des  travaux  dans 
les  principales  villes  d'Italie.  Il  s'é- 
tait déjà  fait  connaître  à  Venise 
par  des  ouvrages  qui  excitèrent  l'ad- 
miration de  ses  contemporains  , 
mais  qui  ont  péri  dans  l'incendie  du 
palais  ducal,  en  1573.  Ses  rivaux, 
envieux  de  sou  talent ,  tâchèrent 
de  l'atténuer  ,  et  parvinrent  à  l'em- 
pêcher d'obtenir  la  récompense  qui 
lui  était  due.  Irrité  d'une  pareille 
injustice ,  il  se  rendit  à  Florence  , 
oii  il  exécuta  plusieurs  tableaux 
dans  l'église  du  Saint-Esprit,  dans 
celle  de  Saint-Etienne,  et  à  Saint- 
Antoine  du  Pont-alla-Carrnja ,  qui 
n'existent  plus.  Appelé  à  Pise  ,  il 
fut  chargé  de  terminer,  dans  le  Cam- 
po  Santo  ,  les  peintures  de  la  Vie  de 
Saint  Ranieri ,  que  Simon  Memmi 
avait  précédemment  commencées.  Il 
représenta,  dans  le  premier  tableau,  le 
Départ  du  Saint  de  Joppès  ;  dans 
le  second  ,  le  Saint  montrant  à  son 
hôte  le  démon  sous  la  forme  d'un 
chat;  dans  le  troisième,  ^i\  Réception 
à  table  par  les  chanoines  de  la  ca- 
thédrale de  Fisc  ,  dans  le  costume 


î3f5 


VEN 


religieux  de  leur  temps  ;  eufiu 
dans  le  quatrième ,  la  Mort  et  les 
funérailles  du  Saint.  Ces  peintures 
sont  encore  un  des  ornements  du 
Campo  Santo.  De  retour  à  Florence^ 
il  peignit  à  Nuovoli ,  en  dehors  de 
la  porte  al  Prato  ,  un  Christ  mort , 
V Adoration  des  Mages  ,  et  le  Ju- 
gement dernier ,  et  dans  la  Char- 
treuse, quelques  peintures  qui  n'exis- 
tent plus.  Malgré  ses  succès  dans 
son  art ,  il  finit  par  l'abandonner 
pour  se  livrer  sans  distraction  à 
l'étude  de  la  chimie  et  de  la  bo- 
tanique ,  pour  lesquelles  il  avait  un 
peochant  si  décidé ,  que  Dioscori- 
de  était  sans  cesse  entre  ses  mains. 
11  professa  long-temps  la  médecine 
avec  une  grande  vogue  ;  mais  at- 
taqué de  la  peste  qui  désola  Flo- 
rence, en  i383  ,  il  y  succomba^ 
victime  de  l'esprit  de  charité  avec 
lequel  il  prodiguait  ses  soins  à  ceux 
qui  étaient  atteints  de  ce  fléau. 
Comme  peintre  ,  il  est  certainement 
un  des  artistes  les  plus  recommanda- 
bles  de  son  époque  par  l'exactitude 
de  son  dessin ,  par  la  sagesse  de  sa 
composition  ,  la  variété  des  têtes  , 
l'heureux  agencement  de  ses  drape- 
ries ,  l'harmonie  de  son  coloris ,  et 
le  scrupule  avec  lequel  il  imitait  la 
nature.  Il  avait  un  procédé  particu- 
lier pour  peindre  à  fresque,  supérieur 
à  celui  qu'employèrent  ses  contem- 
porains et  les  artistes  qui  sont  ve- 
nus après  lui  j  car  ses  ouvrages  se 
sont  conserves  d'une  manière  qui 
étonne  encore  aujourd'hui  ,  lors- 
que l'on  considère  depuis  quel  long 
espace  de  temps  ils  sont  exécutés.  11 
forma  plusieurs élèves,parmi  lesquels 
les  plus  célèbres  sont  Paolo  Uccello, 
et  Gherardo  Starnina.  P — s. 

VENEZIANO  (  DoMiMQLE  )  , 
peinti-e  ,  né  à  Venise  en  1 4'20 ,  fut 
élève  d'Autonello  de  Messine  ,  qm , 


VEN 

pour  lui  donner  une  preuve  éclatante 
de  son  amitié,  lui  apprit  le  secret  de 
la  peinture  à  l'huile  _,  que  lui-même 
tenait  de  Van  Eyck  ,  inventeur  de 
cet  important  procédé  ,  qui  devait 
changer  toute  la  face  de  l'art.  Après 
avoir  exécuté  un  grand  nombre  de 
travaux  dans  sa  patrie,  puis  à  Lo- 
rette  et  dans  d'autres  endroits  des 
États  de  l'Église  ,  notamment  à 
Pérouse ,  où,  en  i454?  il  ^tait  en 
grand  crédit,  il  se  rendit  enfin  à 
Florence.  L'admiration  générale  qu'il 
excita  éveilla  la  jalousie  d'André 
del  Castagne.  Celui-ci,  cachantl'en- 
vie  qui  le  dévorait ,  feignit  pour  Do- 
minique une  vive  amitié  ;  il  parvint 
à  gagner  la  sienne  et  à  en  obtenir  le 
secret  de  la  peinture  à  l'huile.  Pour 
en  demeurer  l'unique  possesseur , 
une  nuit  que  Dominique  donnait  une 
sérénade  à  sa  maîtresse  ,en  chantant 
sous  sa  fenêtre  ,  accompagné  de  son 
luth  ,  André  le  frappa  d'un  coup  de 
stylet ,  dont  il  expira  sur-le-champ. 
L'assassin  sut  si  bien  cacher  son 
crime ,  que  plusieurs  innocents  furent 
accusés  et  punis  sans  que  jamais  le 
soupçon  tombât  sur  lui.  Ce  ne  fut 
qu'au  moment  de  sa  mort  qu'il  avoua 
sou  forfait.  Dominique  est  compté  par- 
mi les  premiers  artistes  de  son  époque 
pour  le  dessin  ,  la  perspective  et  l'art 
des  raccourcis ,  qu'il  porta  aune  per- 
fection inconnue  jusqu'alors.  Ses 
meilleurs  ouvrages  ont  péri.  Il  ne 
reste  plus  de  lui  qu'un  seul  tableau  à 
Sainte-Lucie  de'  Maguuoli,  et  quel- 
ques sujets  historiques  sur  l'escaUer, 
exécutés  avec  le  plus  grand  soin, 
ainsi  qu'un  Christ  entouré  de  plu- 
sieurs saints ,  peint  sur  le  mur  du 
monastère  degli  Angeli.  Il  mourut 
vers  l'an  i47^'  —  Augustin  Vene- 
ziANo  ,  graveur,  dont  le  nom  de  fa- 
mille était  de'  Musis,  naquit  à  Ve- 
nise vers  1490?  fit  "^iiït  se  perfec- 


VEN 

tiouner  dans  la  gravure  sous  la  di- 
rection de  Marc- Antoine  Raimondi, 
dont  il  fut  un  des  meilleurs  élèves. 
Pendant  la  vie  de  Raphaël ,  Augus- 
tin s'associa  avec  Marc  de  Ravenne , 
élève_,  comme  lui,  de  Marc- Antoine. 
Après  la  mort  de  ce  grand  artiste,  ils 
se  séparèrent  et  travaillèrent  chacun 
pour  son  compte.   Lors  du  sac  de 
Rome,   arrive  en    i5'i']  ,   Augustin 
alla   chercher  un  asile  à  Florence, 
dans  l'intention  de  s'attacher  à  An- 
dré del  Sarto ,  auquel  son  talent  ne 
plut  point.  Cela  n'empêche  pas  qu'il 
n'occupe  un  rang  très-distingué  par- 
mi les  graveurs  de  cette  époque.  Il 
égale  souvent  Marc-Antoine  pour  la 
finesse  de  sou  burin;  mais  il  lui  est  in- 
férieur pour  la  correction  du  dessin. 
L'œuvre  de  ce  maître  est  un  des  plus 
dillicilesà  compléter,  surtout  en  bon- 
nes épreuves,  ce  qui  provient  des 
retouches  que  les  marchands  d'es- 
tampes ont  l'ait  subir  à  la  plupart  des 
planches  des  artistes  de  ces  temps 
reculés.  A^ugustin  marquait  réguliè- 
rement les  siennes  des  initiales  A. 
V.,  en  y  ajoutant  la  date  de  l'année. 
On  n'en  trouve  pas  qui  remonte  au- 
delà  de  i5o9,  ^^  ^"^'i  ^i'I'^  au-delà 
de    i536.  Huber  et  Rost  ,  dans  le 
Manuel  des  amateurs  de  l'art,  ci- 
tent de  ce  graveur  huit  portraits , 
vingt-huit  sujets  sacrés  ,  vingt-six 
sujets  historiques  ou  mythologiques, 
et  cent  trente-huit  sujets  de  sa  com- 
position. Ou  peut  voir,  pour  plus 
de  détails,  le  Dictionnaire  des  ar- 
tistes,  deHeinecke,  t.  i^^.,  p.  6o5. 
Aug.    Veneziauo    mourut    à   Rome 
vers  i34o.  P — s. 

VENIERO  (Antoine)  fut  élu  do- 
ge de  Venise,  le  21  nov.  iSSs,  pour 
succéder  à  Michel  Morosini.  On  peut 
lui  reprocher  d'avoir  hâté  par  sou 
jmpolitique  la  ruine  des  deux  mai- 
sons delà  Scala  et  de  Carrare,  qu'il  li- 


VEN 


,37 


vi'a, l'une  après  l'autre,  à  JeanGaleaz 
Visconti ,  puissant  seigneur  de  Mi- 
lan, et  d'avoir  permis  que  ce  prince^ 
en  conquérant  Vérone  et  Padoue  , 
étendît  ses  frontières  jusqu'aux. bords 
de  l'Adriatique  ,  et  en  vue  des  clo- 
chers de  Venise  ;  mais  un  heureux 
hasard  mit  aux   conquêtes  de  Vis- 
conti les  bornes    que  Veniero  n'a- 
vait  point  su  poser.  François   Car- 
rare, par  sa  vigueur  ,  les  Florentins, 
par  leur  héroïsme^chassèrent  Visconti 
du  rivage  des  lagunes;  et  le  successeur 
de  Veniero  put  ajouter  aux  domaines 
de  la  république  les  états  que  celui- 
ci  avait  abandonnés  au  plus  redou- 
table  ennemi     des   Vénitiens.    Ve- 
niero mourut  le  'i3  nov.  i4oo  ,  et  fut 
remplacé  par  Michel  Tcno.     S.  S-i. 
VENIERO  (  François  ) ,  élu  doge 
de  Venise  ,   le  11  juin    i554,  pour 
succéder  à  Marc-Antoine  Trevisani , 
fut  témoin  oisif"  des  grandes  révolu- 
tions de  l'Europe  ,  de  l'abdication  de 
Charles  -  Quint ,   et  de   la  nouvelle 
guerre  suscitée  par  Paul  IV.  Au  mi- 
lieu des  intrigues  les  plus  actives  de 
l'Italie,  il  réussit  à  faire  oublier  deux 
ans  sa   république.  Il  mourut  le  2 
juin  i556.  Laurent  Priuli   lui  suc- 
céda. S.   S — I. 

VENIERO  (  SÉBASTIEN  )  com- 
mandait à  Corfou  pour  Venise  ,  pen- 
dant la  guerre  où  cette  république 
perdit  le  royaume  de  Chypre.  Des 
secours  avaient  souvent  été  promis 
aux  Vénitiens  par  toutes  les  puissan- 
ces chrétiennes,  pour  les  aider  à  re- 
pousser les  forces  othomancs  ;  en- 
iin  Philippe  II  donna  ordre  à  D. 
Juan  d'Autriche  _,  son  frère  na- 
turel ,  de  se  joindre  à  eux  avec 
dix-huit  galères.  Sébastien  Venie- 
ro, déjà  âgé  de  soixante-dix  ans, 
fut  donné  par  le  sénat  pour  com- 
mandant à  la  flotte  vénitienne,  forte 
de  cent  huit  galères  et  de  huit  galc'a- 


i38 


YEN 


ces.  Les  Chre'tiens  rencontrèrent  les 

Turcs  j  le  7  octobre  1 67 1  ,  devant 
Le'pante  •  et  ,  dans  la  bataille  qui  a 
illustre  cette  côte  ,  aucun  général  ne 
montra  une  intrépidité'  et  une  vigueur 
égales  à  celles  du  vénérable  Veniero. 
Son  collègue,  Augustin  Barbarigo,fut 
tué  dans  le  combat  j  quarante-trois 
galères,  qui  tombèrent  au  pouvoir  des 
Vénitiens  ,  furent  le  seul  fruit  de  cette 
insigne  victoire.  La  jalousie  des  au- 
tres généraux  empêcha  Veniero  de 
s'emparer  de  Sainte-Maure,  comme 
il  en  avait  le  projet.  Jacques  Soranzo, 
son  ennemi,  l'accusa  auprès  du  sé- 
nat de  n'avoir  pas  su  tirer  parti  de 
ses  avantages  ;  mais  les  Vénitiens 
rendirent  justice  à  leur  vieux  géné- 
ral :  ils  lui  donnèrent  le  commande- 
ment du  golfe  -,  et  le  doge  Louis  Mo- 
cenigo  étant  moi't,  les  électeurs,  d'un 
consentement  mianime  ,  dès  le  pre- 
mier jour  de  leur  assemblée  ,  le  1 1 
juin  iv^77  ,  nommèrent  Sébastien 
Veniero  pour  lui  succéder.  Pendant 
son  règne  ,  un  incendie  consuma  le 
palais  ducal,  et  détruisit  un  grand 
nombre  de  tableaux  du  Titien ,  de 
Gian  Bellino  et  de  Pordenone  ,  le  'io 
déc.  1577.  Veniero  mourut  au  mois 
de  mai  1678.  Nicolas  de  Ponte  lui 
succéda.  S.  S — i. 

VENIEPiO  (Dominique),  litté- 
rateur célèbre ,  était  né  vers  1 5 1 7  , 
à  Venise,  d'une  famille  patricienne, 
moins  illustre  par  sa  noblesse  que 
par  le  grand  nombre  d'hommes  de 
mérite  qu'elle  a  produits.  Élève  de 
Bapt.  Egnazio  (  Fqy.  ce  nom  )  ,  sa- 
vant humaniste ,  son  goût  naturel 
s'accrut  et  se  fortifia  dans  les  entre- 
tiens de  Bcmbo  (  J^.  ce  nom  )  ,  son 
ami  le  plus  cher.  Il  n'avait  que  vingt- 
cinq  .uis  ,  lorsque  Paul  Mauuce  lui 
dédia,  par  une  Epître  pleine  d'éloges 
qu'il  est  rare  de  mériter  à  cet  âge  , 
jes  Letlcre  volgari  di  diversi  nobi- 


VEN 

lissimi  MowMm"(i).  Dominique  était 
entré  de  bonne  heure  dans  la  car- 
rière des  emplois  publics;  mais  ses 
infirmités  le  forcèrent  de  l'abandon- 
ner. En  i549 ,  une  maladie  nerveuse 
le  priva  de  l'usage  des  jambes  ,  et 
quoiqu'il  n'eût  encore  que  trente-deux 
ans  ,  la  médecine  ne  put  parvenir  à 
lui  rendre  la  santé.  Sa  maison  devint 
dès-lors  une  sorte  d'académie ,  où  les 
poètes  et  les  hommes  les  plus  instruits 
venaient  lire  leurs  vers  ou  discuter 
des  questions  littéraires.  Dominique 
fut,  en  i558  ,  avec  Badoaro  (  P'.  ce 
nom,  III,  2o3),  le  fondateur  de 
y  Académie  vénitienne ,  si  célèbre 
pendant  le  reste  du  seizième  siècle. 
La  poésie  avait  le  pouvoir  de  char- 
mer ses  douleurs  •  et  dans  l'intervalle 
de  ses  souffrances ,  il  composait  des 
vers  qui ,  de  l'avis  des  meilleurs  cri- 
tiques ,  se  distinguent  éminemment 
par  la  vivacité  des  images  et  le  choix 
des  expressions.  Il  avait  entrepris 
une  traduction  des  Métamorphoses 
d'Ovide ,  in  ottava  rima ,  et  l'on 
regrette  qu'il  ne  l'ait  pas  achevée. 
L'auteur   de  la    Jérusalem  délivrée 
avait    tant   d'estime  pour   Veniero 
qu'il  lui  demandait  des  conseils  ;  Mu- 
zio ,  dans  son  Arte  poetica  ,  loue  la 
délicatesse  de  son  goût.  Cependant 
Tiraboschi  lui  reproche  d'avoir  le 
premier,  en  Italie,  depuis  la  renais- 
sance des  lettres,  composé  des  ^croj- 
tiches ,  et  donné,  dans  quelques-uns 
de  ses  Sonnets  ,  le  funeste  exemple 
de  ces  recherches  de  mots  ,  aussi 
pénibles  pour  le  lecteur  qu'elles  ont 
dû  l'être  pour  le  poète  (  V.  la  Storia 
délia  letteratura  ital.,  vn  ,  1 157). 
Dominique  Veniero  mourut  le  16  fé- 
vrier   1582.   Ses  Poésies,   éparses 
dans  les  Raccolte  de  Doîce  et   de 


Til  La    première  édition    de    ce  recueil  est  de 
i64î  ,  in-8".  ;  le»  suivautcs  «ont  augmentées. 


TEN 

Riiscelli ,  ont  été  réunies  enfin  par 
l'abbé  Serassi,  Bergame ,  175 1  ,  in- 
8".  Le  savant  éditeur  les  a  fait  pré- 
céder d'une  Notice  exacte  et  détaillée 
sur  l'auteur.  —  Veniero  (François) , 
frère  aîné  du  précédent ,  s'attacha 
particulièrement  à  l'étude  de  la  phi- 
losophie .  et  y  fit  de  très  -  grands 
progrès.  Ghilini  dit  que  François  est 
l'un  des  plus  sublimes  génies ,   des 
plus  grands  philosophes  et  des  plus 
habiles  politiques  que  Venise  ait  ja- 
mais   produits    (  Teatro   d'iiomini 
letterat.,  i  ,  65  ).  Il  remplit  avec 
prudence  et  intégrité  les  divers  em- 
plois qui  lui  furent  confiés.  Dans  ses 
loisirs^  il  recueillit  des  antiquités  et 
en  forma  lui  cabinet,  cité  par  En. 
Vico   comme  l'un  des  plus  précieux 
de  Venise  (  Discorsi  soprà  le  meda- 
glie  ).  11  s'occupait  des  moyens  de 
rendre  sa  première  splendeur  à  l'a- 
cadémie de  Padoue ,  fondée  et  dotée 
en  partie  par  ses  ancêtres  ,  quand  il 
mourut  j  au  mois  d'octobre  i58i  ^ 
dans  un  âge  avancé.  On  a  de  lui  :  I. 
Discorsi  soprà  i  tre  lihri  del  Aris- 
totele ,   dove  traita  delV  anima, 
Venise,  i555,  in-8*'.  II.  Dialogo 
délia  volontà  humana.  III.  Discorsi 
soprà  i  libri  délia  generazione  e 
corruzione   d' Aristotele ,   Venise  , 
la-yg  ,  in-4''-  Notre  De  Thou  parle 
avec  éloge  de  cet  écrivain.  —  Ve- 
niero (  Laurent  ) ,  frère  aîné  des  pré- 
cédents ,  fut  l'élève  et  l'ami  du  trop 
fameux  PieiTC  Arétiu.  Il  déshonora 
sa  plume  en  composant,  dans  la  ma- 
nière de  son  maître ,  deux  petits  poè- 
mes :  la  Put.  .  .  errante ,  et  la  Zaf- 
fetta  ou  le  irentuno ;  son  but,  dans 
ces  deux  ouvrages,  est  de  tourner  en  ri- 
dicule Angioi.  Zaflctta, fameuse  cour- 
tisane, dont  il  avait  à  se  plaindre; 
mais  qu'il  punit  trop  cruellement  des 
torts  ((u'elle  pouvait  avoir  eus  à  son 
égard.  Il  n'a  point  rougi  de  s'en  dé- 


VEN  139 

clarer  lui-même  l'auteur  ,  en  y  met- 
tant son  nom  (2)  •  cependant  on  les 
a  souvent  attribués  à  l'Arétin ,  et 
même  à  Matfeo  Veniero ,  son  fils , 
qui  n'était  point  né  lors  de  la  publi- 
cation de  ces  ouvrages.  Ces  deux 
poèmes  in  ottava  rima  furent  im- 
primés à  Venise,  en  i53i  et  i538, 
in-8".  (  V.  le  Man.  du  libraire  de 
M.  Bruuet).  Un  éditeur  protestant 
les  a  reproduits  avec  quelques  autres 
pièces  du  même  genre  ,  Lucerne  , 
t65i  ,  in-80. ,  sous  le  nom  de  Maiï'eo 
Veniero,  archevêque  de  Corfou  ,  et 
décorés  du  portrait  de  ce  prélat. 
Depuis  long-temps  tous  les  bibliogra- 
phes ont  fait  justice  de  cette  impu- 
tation calomnieuse ,  et  qui  n'a  pas , 
comme  on  vient  de  le  dire  ,  la  moin- 
dre apparence  de  vérité.  Laurent 
était  mort  au  mois  d'octobre  i55o. 
—  Veniero  (MafiTeo  et  Louis  )^  fils 
de  Laurent,  héritèrent  des  talents  de 
leur  père  pour  la  poésie ,  mais  ils 
en  firent  un  meilleur  usage.  Maiï'eo , 
le  plus  célèbre  des  deux,  embras- 
sa l'état  ecclésiastique,  et  fut  pour- 
vu de  l'archevêché  de  Corfou.  Dans 
sa  jeunesse  il  cultiva  la  poésie  lyri- 
que et  dramatique  avec  un  égal  suc- 
cès. Tiraboschi  cite  l'/^iaZ&rt ,  tragé- 
die de  ce  prélat  ,  comme  une  des  meil- 
leures pièces  que  le  théâtre  italien 
offre  dans  le  seizième  siècle.  Im- 
primée à  Venise  ,  en  i  SqG  ,  in-4°. , 
elle  l'a  été  depuis  ,  en  1 6 1  o ,  in- 1 1 , 
et  plus  récemment  dans  des  recueils. 
Parmi  les  meilleures  productions  de 
MafFco  ,  dans  le  genre  lyrique  ,  on 


{■>.)  Voy.  la  ^le  de  l'JréUn,  par  Mazzuchelli, 
9.4''  On  y  trouve  aussi,  p.  çfi  ,  quelques  détails 
sur  la  fameuse  Za//ella ,  maltresse  de  l'Arétin. 
Magné  de  Marolles  (Manuel  du  libraini  )  prétend 
que  le  nom  de  ZiiffMa  signifie  en  langage  vénitien 
lille  d'un  sbire,  et  que  Veniero  ne  j'emploie  que 
comme  une  injure.  Maizucbelli  ne  dit  rien  de  seui- 
Maljle,  el  il  parait  que  Veniero  désigna  celle  cour- 
tisane par  sim  vérllahle  nom  ou  du  moins  par 
celui  sons  lequel  elle  c lait  connue  jjéiiéralemeut. 


i4o  VEN 

distingue  une  Canzone  à  la  louange 
de  saint  François  d'Assise,  Florence, 
i585  j  in-4°. ,  Venise ,  i  SSg  ,  et  in- 
sérée par  Salvestro  de  Poppai  dans 
sa  7?accoZf a,  Florence,  iôo6,  lôcj 
et  1609,  in -4°.  :  la  Strazzoza  , 
chant,  en  langage  vénitien,  très- 
fameux  ,  est  insérée  dans  les  Capitoli 
burleschi  d'incerto  autore.  La  plu- 
part des  Rime  de  IMaffeo  étaient  res- 
tées inédites  ou  se  trouvaient  dissé- 
minées dans  les  Recueils  du  temps. 
ApostoloZeno  témoignait  le  désir  de 
ks  voir  réunies  par  qiie'quehommede 
goût  [  Notes  sur  la  Bibl.  d'eloq.  de 
Fontanini  ).  L'abbé Serassi  s'est  char- 
gé de  ce  soin,  en  joignant  les  Rime 
de  Maiïeo  et  de  Louis  à  celles  de  leur 
oncle  Dominique  (  Voj.  ci-dessus  ). 
W— s. 
VENINO  (Ignace)  ,  le  plus  grand 
prédicateur  de  l'Italie  au  dix-huitième 
siècle  ,  était  né ,  le  i  o  février  1 7 1 1 , 
à  Como  ,  dans  le  Milanais.  Après 
avoir  terminé  ses  études ,  il  entra 
chez  les  Jésuites  ,  en  17*28  ,  et  aj'ant 
embrassélacarrièrede  lachaire,  ilne 
tarda  pas  à  se  placerau  premier  laug 
des  orateurs  sacrés.  Une  diction  na- 
turelle et  élégante  ,  un  débit  plein  de 
charme  ,  de  l'élévation  dans  les  idées, 
de  l'ordre  et  de  la  clarté  dans  les 
preuves,  une  dialectique  A"ive  et  pres- 
sante ,  toutes  ces  qualités  réunies  lui 
procurèrent  les  succès  les  plus  bril- 
lants. Les  principales  villes  de  l'Italie 
se  disputèrent  l'avantage  de  posséder 
le  P.  Venino  ,  et  firent  de  vains  ef- 
forts pour  le  retenir.  L'âge  ayant 
affaibli  ses  forces  ,  il  obtint  de  ses 
supérieurs  la  permission  de  se  retirer 
à  Milan ,  oîi  il  fut  nommé  recteur  du 
collège  de  Brenta.  L'empereur  Jo- 
seph II  ,  après  la  suppression  de 
l'institut ,  le  confirma  dans  ce  poste 
honorable,  qu'il  remplit  jusqu'à  sa 
mort ,  arrivée  le  25  août  1778.  Ses 


VEN 

sermons  (  Prediche  QuaresimaU  ) 
furent  publiés  à  Milan ,  1780,  i  vol. 
in-8°. ,  par  le  P.  Ant.  Carli  ,  qui  les 
mit  en  ordre,  elles  fit  précéder  d'une 
préface.  Les  Panégyriques  du  P. 
Venino  parurent  dans  la  même  ville, 
en  1782.  Ces  deux  Recueils  ont  été 
réimprimés  plusieurs  fois  à  Venise  , 
in-8°.  et  in-4''.  On  trouve  une  cour- 
te notice  sur  Venino ,  par  le  P.  Ca- 
ballero ,  dans  le  Supplément.  Bi- 
blioth.  Soc.  Jesu,  p.  276.     W — s. 

VENIUS  (  Otto).  F.  Veen. 

VENTENAT  (Étienne-Pierre), 
de  l'académie  des  sciences  de  Fran- 
ce, naquit  à  Limoges  le  i*^"",  mars 
I  7  5 7.  Destiné,  dès  son  enfance,  à  l'état 
ecclésiastique,  ileutraàl'âgedequinze 
ans  dans  la  congrégation  des  chanoi- 
nes réguliers  de  Sainte -Geneviève. 
Ses  études  eu  philosophie  et  en  théo- 
logie furent  très  -  brillantes  et  lui 
méritèrent  la  place  de  répétiteur  des 
élèves  les  moins  avancés.  Comme  il 
annonçait  les  plus  belles  dispositions 
pour  la  chaire ,  ses  supérieurs  le 
sollicitèrent  de  se  faire  prédica- 
teur :  mais  des  succès  certains  eu 
ce  genre  le  flattèrent  moins  que  les 
investigations  scientifiques.  Il  deman- 
da à  passer  au  service  delà  bibliothè- 
que, pour  s'y  livrer  tout  entier  à  la 
vie  studieuse.  En  1788,  il  fut  envoyé 
en  Angleterre,  pour  y  fairedes  acquisi- 
tions bibliographiques;  dans  le  nom- 
bre il  remarqua  plusieurs  beaux  ou- 
vrages sur  les  plantes.  Cette  partie  de 
l'histoire  naturelle  lui  sourit  ;  il  visita 
les  établissements  elles  jardins lesplus 
renommés  de  la  Grande-Bretagne, 
et  à  trente  ans  ,  il  fut  décidément  bo- 
taniste. De  retour  en  France  ,  après 
un  naufrage  qui  entraîna  la  perte  de 
toutes  les  richesses  qu'il  rapportait 
en  livres  et  en  plantes,  et  qui  faillit 
lui  coûter  la  vie,  il  s'attacha  àLhé- 
ritier ,  qui  l'habitua  à  bien  décrire 


VEN 

une  plante,  et  lui  donna  le  goût  des 
ouvrages  à  gravures.  En  i'j92_,Ven- 
tenat  voulut  prendre  place  parmi  les 
savants,  en  combatlaut  la  théorie  de 
Hedvvig ,  dans  une  Dissertation  sur 
les  parties  des  mousses  qui  ont  été 
regardées  comme  Jleurs  mdles  et 
comme  Jleur s  femelles ,  in-8o. ,  qu'il 
fit  suivre  trois  ans  après  d'un  Mé- 
moire sur  les  meilleurs  mojens  de 
distinguer  le  calice  de  la  corolle. 
Ces  deux  sujets  étaient  au-dessus  de 
ses  forces  :il  ne  s'était  point  assez  oc- 
cupé de  physiologie  végétale  et  d'ob- 
servations suivies  sur  les  nombreuses 
espèces  de  mousses.  Cependant ,  en 
1 796  ,  il  donna  un  coui\s  de  botani- 
que au  lycée  de  Paris  ,  et  l'année 
suivante  il  en  publia  les  leçons  sor.s 
le  titre  de  Principes  de  botanique 
développés  au  Ijcée  républicain, 
1  vol.  in-8°. ,  ouvrage  au-dessous  du 
médiocre ,  que  l'auteur  clierclia  à 
supprimer  ,  mais  qu'il  ne  put  empê- 
cher dT-tre  traduit  en  allemand  , 
Zurich,  1802.  Nommé  bililiothécai- 
re  en  chef  de  la  bibliothèque  du  Pan- 
théon ,  et  peu  de  temps  après  mem- 
bre de  l'Institut,  il  pubha  son  2'«- 
hleau  du  règnevégétal,  Paris ,  i  ^gg, 
4  vol.  in- 8^.  :  c'est  la  traduction  un 
peu  délayée  du  Proemium  du  Gê- 
nera plant  arum  de  Jussieu  ,  mais 
auquel  il  a  su  ajouter  des  remarques 
intéressantes  sur  les  propriétés  ,  l'u- 
sage ,  l'histoire  et  l'étymologie  du 
nom  des  plantes.  Tout  ce  qui  a  rap- 
port auK  fonctions  des  diverses  par- 
ties du  végétal  y  est  faiblement  traité. 
Le  véritable  cachet  de  Ventenat  est 
la  botanique  descriptive:  il  le  recon- 
nut bientôt  après  •  et  dès-lors  ,  il  ne 
songea  plus  qu'à  fixer  l'attention  de 
l'homme  du  monde  et  du  savant^  en 
unissant  à  un  texte  fort  bien  fait  de 
belles  figures  gravées  avec  soin ,  et 
impx'imées  eu  couleur.  Il  ne  dessinait 


VEN  ,4, 

pas  ;  mais  il  avait  le  coup-d'œil  sûr: 
aussi  lui  doit-on  le  mérite  du  pin- 
ceau et  du  burin  des  artistes  qu'il 
employa.  Ces  livres  ,  d'un  si  grand 
luxe,  sont  peu  utiles  à  la  science  pro- 
prement dite  ;  mais  ils  le  sont  aux 
arts  qu'ils  ramènent  à  la  nature,  qu'ils 
élèvent  vers  le  beau  ;  on  leur  doit 
d'avoir  perfectionné  les  planches  de 
nos  livres  usuels.  Le  premier  ouvra- 
ge de  Ventenat ,  dans  ce  genre  ma- 
gnifique, est  la  Description  des  plan- 
tes nouvelles  ou  peu  connues  du  jar- 
din de  J.  -M.  Cels  { F.  Cels)  ,  Paris , 
1800,  un  vol.  in-fol.,  traduit  en  alle- 
mand, 1802.  Il  fut  immédiatement 
suivi  de  trois  autres  :  i  o.  le  Jardin  de 
la  Malmaison ,  Paris ,  1 8u3  à  1 8o5  , 
2  vol.  in-fol. ,  dont  le  fini  laissa  bien 
loin  derrière  lui  tout  ce  que  la  France 
et  l^étranger  vantiicut  de  mieux  en 
ce  genre  -,  2°.  le  Choix  de  plantes  , 
Paris,  i8o3  à  1808,  un  vol.  in-fol.; 
3».  le  Decas  generum  novorum , 
Paris,  1808,  in-fol.  Les  soins  minu- 
tieux que  Ventenat  mit  à  l'exécution 
de  ces  quatre  grands  ouvrages  , 
joints  à  l'irritab.lité  de  son  caractère 
et  à  la  faiblesse  de  sa  sauté  depuis 
son  naufrage,  le  rendirent  fort  sujet 
aux  fluxions  de  poitrine.  Les  eaux 
de  Vichy  ne  purent  le  soulager ,  et 
il  revint  mourir,  presque  subitement, 
à  Paris,  le  i3  août  1808,  âgé  de 
cinquante-un  ans.  Pendant  la  révo- 
lution et  à  l'exemple  de  plusieurs 
génovéfains ,  Ventenat  se  maria.  Il 
obtint,  en  i8o5,  la  décoration  de  la 
Légion-d'Honneur.  Il  avait  la  taille 
imposante  ,  de  la  chaleur  dans  les 
idées ,  de  la  candeur  dans  les  senti- 
ments et  une  véritable  passion  pour 
l'étude.  Son  imagination  était  ar- 
dente ,  prompte  et  facile  à  s'exagérer 
les  moindres  contrariétés.  Sous  le 
rapport  de  la  science  ,  il  occupera 
toujours  une  place  distinguée  parmi 


i42  VEN 

les  botanistes  que  Linné  appela  ico- 
nographes. Ses  descriptions  de  plan- 
tes sont  très  -  exactes  et  enrichies 
d'observations  curieuses.  11  a  publie' 
plusieurs  Mémoires  intéressants  dans 
les  actes  de  l'Institut,  dans  les  Anna- 
les botaniques  d'Usteri  ,  et  dans  le 
Magasin  encyclopédique  ;  les  plus 
estimés  sont  la  Monographie  des  til- 
leuls ,  le  Genre  Phallus  et  le  Genre 
Strelitzia.  Il  a  laissé  inédite  une  Flo- 
re des  environs  de  Paris,  in-  ii , 
qu'il  aurait  accompagnée  de  dessins  , 
et  rendue  plus  utile  et  plus  complète 
que  les  ouvrages  publiés  jusqu'ici , 
sans  pouvoir  faire  totalement  oublier 
la  Flore  de  Thuillicr  ,  dont  Vente- 
nat  avait  relevé  les  erreurs.  On  trou- 
ve, dans  le  Journal  de  botanique  , 
octobre  1808  ,  une  Notice  nécrolo- 
gique sur  Ventenat.  T.  d.  B. 

VENTIDIUS  (PuBLTUs)  Bassus, 
général  romain,  célèbrepar  ses  talents 
militaires  et  par  les  variations  de  sa 
fortune,  était  d'Asculum  (aujour- 
d'hui Ascoli  ) ,  ville  capitale  des  Pi- 
centins ,  et  avait  sans  doute  pour  pè- 
re Yentidius,  un  des  chefs  les  plus  il- 
lustres des  Latins  pendant  la  guerre 
Sociale.  Pris  avec  beaucoup  de  ses 
compatriotes ,  lors  du  sac  d'Asculum 
par  Pompée  (ï) ,  l'an  de  Rome  645 
(av.  J.-C.  89; ,  il  fut  mené  en  ti'iom- 
phe.  Cette  humiliation  extrême  don- 
na lieu  de  dire  qu'il  était  de  basse 
extraction  ,  quoique  probablement 
sa  naissance  fût  des  plus  distinguées. 
Orphelin  et  en  bas  âge  ,  il  végéta 
long- temps,  en  proie  à  l'indigence  et 
aux  premiers  besonis.  Il  exerça  d'a- 
bord le  métier  de  lecticaire  ou  por- 
teur de  litière.  Il  entra  ensuite  dans 
la  milice ,  en  qualité  de  simple  soldat, 
et  se  distingua  par  sa  bravoure.  En- 


(i")  Cn.  Pompeiiis  Strab»,  père  du  grand  Pom- 
pée ,  et  alurs  consiil. 


VEN 

fin  il   entreprit  des   fournitures  de 
mulets  pour  les  équipages  des  offi- 
ciers et  pour  les  transports,  et  il  alla 
exercer  ce  ministère  peu  brillant  à  la 
tête  de  l'armée  de  César  dans  les 
Gaules  (vers  l'an  de  Rome  697  ,  av. 
J.-C.  5^  ).  Ce  général ,  habile  à  con- 
naître les  hommes ,  démêla  les  talents 
de  Ventidius ,  et  le  tira  de  cette  triste 
position  ,  en  lui  donnant  un  emploi 
dansl'armée  ,  et  lui  confiant  quelques 
entreprises    importantes.   Le  succès 
avec  lequel  Ventidius  s'acquitta  de 
toutes  ses  commissions  et  les  services 
qu'il   ne  cessa   de   rendre   pendant 
la  guerre  des  Gaules  augmentèrent 
l'estime  de  César,  au  point  que  lors- 
que   la    toute  -  puissance    fut    entre 
ses   mains  ,  il  le  nomma    sénateur 
(en  46  avant  J.-C.^,  tribun  du  peuple 
(45)  et  préteur  (44  pour  l'an  43). 
L'assassinat  de  César  ayant  ruiné  de 
ce  côté  toutes  les  espérances  de  Ven- 
tidius ,  il  s'attacha  à  la  fortune  d'An- 
toine; et  pendant  le  cours  de  l'an 
43,  qui  fut  si  fertile  en  intrigues  et 
en  événements  de  toute  espèce ,  il 
profita  de  l'influence  que  lui  donnait 
sa  charge  de  préteur  pour  sei'vir  les 
intérêts   de  celui-ci  et  faire  réussir 
toutes   ses  prétentions.   Pendant  la 
guerre  de  Modèiie,  ne  pouvant  opé- 
rer de  réconciliation  entre  les  opti- 
mates  ,    dupes  et  partisans    d'Oc- 
tave ,   d'une  part,   et    Antoine   de 
l'autre,   il  sortit  de  Rome  avec  un 
tribun   en  charge  et  deux   tribuns 
désignés ,  suivi  de  deux  légions  qu'il 
avait  levées  dans  les  colonies  de  Cé- 
sar. Arrêté  dans  sa  route  par  Hirtius 
et  Octave ,  il  fit  retraite  vers  Ascu- 
lum,   et  leva  une  troisième  légion 
dans  le  Picénum  ,  où  il  commandait 
en  maître  absolu.  Cependant  il  lui  fut 
impossible  d'aller  porter  à  propos 
des  secours  à  Antoine,  pressé  par 
l'armée  consulaire  ;  et  la  ruine  de  ce 


VEN 

gênerai  était  certaine,  si,  après  la 
bataille  de  FonnaGuïïorumiCastel- 
Franco)  et  la  levée  du  siège  de  Mo- 
dène ,  Venlidius  eût  consenti  à  se  réu- 
nir au  parti  d'Octave,  ou  si  le  jeune 
héritier  de  César  avait  voulu  dé- 
])loyer  ses  forces  contre  lui.  Mais  le 
but  d'Octave  n'était  pas  d'anéantir 
d'abord  la  puissance  de  son  ennemi. 
Satisfait  de  l'avoir  vaincu^  et  de  s'ê- 
tre rendu  redoutable  à  un  adversaii-e 
dédaigneux  ,  il  se  réconcilia  avec  lui  j 
€t  le  second  triumvirat  commença. 
Antoine  exigea  que  le  consulat  fût  la 
récompense  de  la  fidélité  et  du  cou- 
rage de  Ventidius;  et  Octave  abdi- 
qua la  dignité  qui  lui  avait  été  con- 
féréeaprès  la  mortde  Yibius  et  d'Hir- 
tius ,  en  faveur  du  partisan  le  plus 
décidé  de  son  rival.  Cette  nomina- 
tion, contraire  à  toutes  les  règles,  et 
qui  donnait  à  un  préteur,  l'année  mê- 
me de  sa  préture ,  le  rang  et  le  ti- 
tre de  consul ,  excita  les  murmures 
des  patriciens.  Des  vers  furent  répan- 
dus dans  le  public,  où  l'on  repro- 
chait au  nouveau  dignitaire  la  bas- 
sesse de  son  origine  et  de  ses  ancien- 
nes fonctions.  «  Venez,  disait  le  poète, 
aruspices,  augures,  venez;  un  pro- 
dige nouveau  se  présente  :  l'étrilleur 
des  mulets  est  consul  I  »  Ventidius 
resta  encore  quatre  ans  en  Italie;  et 
pendant  la  guerre  de  Pérouse  (4i  av. 
J.-C),  il  fut ,  avec  Pollion  ,  le  prin- 
cipal lieutenant  d'Antoine  :  mais 
après  la  conclusion  du  traitéde  Brin- 
des,  il  fut  envoyé  en  Orient;  et  l,i  il 
s'acquit;,  par  ses  exploits^  une  gloire 
immortelle.  Les  Partlies,  fiers  de  la 
victoire  de  Carrhes  et  du  dcsastjc 
de  CraFsus,  retenus  un  moment  par 
la  crainte  des  armes  toujours  victo- 
rieuses de  César ,  animés  de  nouveau 
à  l'aspect  des  guerres  civiles  qui  dé- 
chiraient l'empii'c  romain^  avaient 
envahi  les  provinces  romaines  du 


VEN 


143 


voisinage.  La  Syrie,  la  Judée,  le 
midi  de  l'Asie  Mineure,  étaient  occu- 
pés par  les  armes  de  ces  barbares  , 
lorsque  Ventidius  parut  et  changea 
subitement  la  face  des  choses.  Le  cé- 
lèbre transfuge  Labienus  ,  général 
des  Parthes  ,  s'enfuit  sur-le-champ 
jusqu'au  mont  Taurus.  Ventidius  le 
suivit,  et  campa  sur  une  hauteur,  af- 
fectant les  dehors  de  la  timidité,  et 
refusant  un  combat  qui ,  s'il  se  fût 
donné  en  plaine  ,  offrait  des  chances 
favorables  aux  Parthes ,  forts  surtout 
par  la  cavalerie.  Ceux-ci  eurent  alors 
l'imprudence  de  l'attaquer  sur  les  col- 
lines où  il  s'était  posté.  Ils  furent  tail- 
lés en  pièces;  et  l'Asie  Mineure,  éva- 
cuée, rentra  au  pouvoir  des  Romains. 
Une  seconde  victoire  suivit  de  près 
la  première ,  et  rendit  aux  Romains 
la  Syrie.  L'île  d'Aradus  seule  re- 
fusa de  recevoir  le  vainqueur  :  mais 
les  forces  des  habitants  étaient  trop 
inégales;  et  après  des  prodiges  de  va- 
leur, ils  succombèrent.  L'année  sui- 
vante fut  signalée  par  une  nouvelle 
bataille,  plus  sanglante  encore  que 
les  précédentes.  Trompés  par  de 
fausses  indications  ,  que  Ventidius 
lui-même  avait  données  à  un  traî- 
tre nommé  Channéé  ,  et  que  ce- 
lui-ci avait  transmises  furtivement  à 
l'ennemi,  les  Parthes  passèrent  l'Eu- 
phrate  au-dessous  de  Zeugma.  Pres- 
que tous  périi'ent.  Pacorus  ,  héritier 
présomptif  de  l'empire ,  resta  lui- 
même  sur  le  champ  de  bataille.  La 
Mésopotamie ,  ouverte  et  sans  défen- 
se ,  semblait  une  proie  ollèrte  au 
vainqueur.  Enfin  l'empire  des  Arsa- 
cides  pouvait  devenir  une  province 
romaine  ;  mais  Ventidius  craignit 
d'irriter  la  jalousie  ,  déjà  visible  , 
d'Antoine  ;  et  s'anêtant  à  l'instant 
où  une  ample  moisson  de  gloire  bril- 
lait devant  ses  yeux  ,  il  rendit  l'ar- 
mée à  son  général ,  et  revint  à  Romc^ 


i44 


VEN 


où  il  triompha  le  28  décembre;  exem- 
ple éclatant  des  caprices  de  la  for- 
tune et  des  singularités  des  destinées 
humaines,  qui  l'ont  un  triomphateur 
du  captif  conduit  jadis  chargé  de 
chaînes  devant  le  char  de  triomphe. 
Ventidins  passa  le  reste  de  sa  vie 
éloigné  des  allaires.  Il  mourut  uni- 
versellement regretté;  et  les  dames 
romaines  portèrent  son  deuil.  Dion 
Cassius  et  Josèphe  lui  imputent  quel- 
ques traits  d'avarice.  C'est  l'uni- 
que reproche  que  l'histoire  laisse  pe- 
ser sur  sa  mémoire.  P — ot. 

VENTURI  (Pompée),  commen- 
tateur du  Dante  ,  né  à  Sienne  le  2  i 
septembre  ib'gS  ,  entra  chez  les  Jé- 
suites en  17  i"i,  enseigna  la  philo- 
sophie à  Florence ,  pendant  deux  ans, 
et  la  rhétorique  successivement  à 
Sienne,  à  Prato,  à  Florence  et  à  Rome, 
jusqu'en  1 74G.O!i  lui  laissa  alors  le  re- 
pos dont  il  avait  besoin  pour  termi- 
ner de  grands  ouvrages  qui  sont  néan- 
moins restes  inédits.  Sa  santé  étant 
tout-à-fait  dérangée  ,  ses  supérieurs 
renvoyèrent  à  Ancone,  pour  qu'il  y 
respirât  un  air  plus  pur;  mais  c'é- 
tait trop  tard,  et  il  y  mourut  aussitôt 
après  son  arrivée,  le  12  avril  1752. 
Ses  ouvrages  sont  :  I,  Dante  con 
una  brcve  e  sufficiente  dichiarazio- 
ne  del  senso  letlerale ,  dù>ersa  in 
più  luoghi  da  quella  degU  antichi 
Commentaiori  ,  dédié  à  Clément 
XII,  Lucques,  1732,3  vol.  in-8".; 
Vérone,  1749,  in  -  8'\  ;  Venise  , 
1739  et  1751  ,  in-8°.  Ce  Commen- 
taire n'est  complet  que  dans  l'édi- 
tion de  Vérone  ,  et  dans  la  dernière 
de  Venise.  Apres  un  long  oubli  ,  le 
goût  pour  le  poème  du  Dante  se  ré- 
veilla au  commencement  du  dix-hui- 
tième siècle,  et  ce  fut  alors  que  les 
pères  Veuturi ,  Bettinelli  et  Zaccaria, 
jésuites,  firenttous  leurs  efforts  pour 
le  décrier.  Le  Commentaire  de  Ven- 


VEN 

turi  parut  anonyme  dans  les  pre- 
mières éditions.  Laissant  à  l'écart  le 
sens  allégorique  et  le  sens  moral  ,  il 
n'explique  que  le  sens  littéral  qui  est 
ordinairement  assez  clair.  Il  place 
toujoursun  correctif  ci  côté  dos  invec- 
tives du  poète  contre  la  donation  de 
Constantin,  contre  plusieurs  papes, 
et  contre  les  désordres  de  l'Église. 
Lombardi  ,  qui  a  publié  son  travail 
soixante  années  après  celui  de  Ven- 
turi,  a  réfuté  plusieurs  assertions 
de  celui-ci.  IL  Orazione  funèbre 
detta  nclle  solenni  eseqide  del  M. 
Rev.  Mons.  Lidgi  Maria  Strozzi 
Fescovo  di  Fiesole ,  etc.,  1736. 
Ug— I. 
V  E  N  T  U  RI  (  Jean-Baptiste  ), 
physicien,  né  en  1746,  à  Bibiano, 
dans  le  duché  de  Rcggio,  fut  envoyé 
au  séminaire  de  cette  ville  ,  où  il  eut 
pour  maître  Spallanzani.  Il  n'avait 
que  vingt-trois  ans  lorsqu'il  fut  nom- 
mé professem-  de  métaphysique  et 
de  géométrie  dans  ce  même  sémi- 
naire. Ses  collègues,  voulant  se  l'at- 
tacher de  plus  en  plus  ,  l'engagèrent 
à  entrer  dans  le  sacerdoce  ,  et  il  eut 
le  tort  de  céder  à  leurs  sollicitations, 
puisque,n'ayant  aucune  vocationpour 
le  ministère  sacré,  il  y  renonça  bien- 
tôt. En  1773,  il  fut  nomn'ié  à  la 
chaire  de  philosophie  de  Modène,  et 
il  eut  parmi  ses  élèves  le  comte  Pa- 
radisi ,  qui  a  paru  avec  éclat  dans  la 
carrière  politique  et  dans  la  littératu- 
re. Le  petit étatde  Modène  était  alors 
gouverné  par  un  ministre  éclairé,  le 
marquis  Rangone,  qui  ajouta  à  la 
chaire  de  Venturi  la  placed'ingénieur 
du  gouvernement.  Une  contestation 
très -vive  s'étant  élevée,  en  1788, 
entre  deux  particuliers,  au  sujet  d'un 
partage  d'eau  pour  l'irrigation  ,  Ven- 
turi fut  entraîné  à  y  prendre  part. 
L'écrit  qu'il  fit  paraître  dans  cette 
affaire    est    plein   de   force    et  de 


VEN 

raison.  En  1 796,  lorsque  les  Français 
cnvaliirent  l'Italie  ,  Venliiri  fut  en- 
voyé' à  Paris  auprès  du  comte  de  Saii- 
Romano ,  qui  négociait  avec  le  direc- 
toire pour  conserver  l'état  de  Mo- 
dène  à  la  famille  d'Esté.  N'ayant  pu 
y  réussir  ,  il  resta  en  France ,  com- 
me simple  particulier ,  afin  de    se 
livrer  aux  sciences  qu'il  chérissait. 
Vivant  dans  la  société  desFourcroy, 
des  Lacépcde  et  des  Haiiy  ,  il  ajouta 
beaucoup    à    ses   connaissances    en 
chimie  et  en  minéralogie.    C'était  le 
temps  où  la  découverte  de  Galvani 
donnait  lieu  à  de  nombreuses  expé- 
riences sur  l'électricité  animale.  Ven- 
turi  assistait  aux  séances  de  l'Insti- 
tut, où  il  lut  divers  mémoires.    Il 
donna  aux  Annales  de  Chimie ,  au 
Journal  des  Mines ,  et  au  Magasin 
Encyclopédique    quelques    extraits 
d'ouvrages   scientifiques.  Comme  il 
passait  une  grande  partie  de  son  temps 
dans  les  bibliollicques  ,  outre  le  tra- 
vail qu'il  y  fît  sur  les  manuscrits  de 
Léonard  de  Vinci ,  il  y  copia  deux 
anciens  manuscrits  grecs  fort  pré- 
cieux. Sa  passion  pour  les  livres  ra- 
res  augmentait  de  jour  en  jour.  Il 
en  acheta  un  grand  nombre  qu'il  en- 
voya en  Italie  ,  s'elForçant  de  com- 
penser, selon  ses  moyens,  les  ob- 
jets de   sciences  et    d'arts   que  les 
Français  en  enlevaient  dans  le  même 
temps.  De  retour  dans  sa  patrie,  il 
fut  nommé  membre  du  corps  légis- 
latif de  Milan  ;  et  lorsqu'on   étaBlit 
une  école  du  génie  à  Modcne  ,  il  en 
fut  nommé  professeur.  Mais  après  le 
renversement  du  gouvernement  répu- 
blicain ,  en  1799  ,  le  duc  de  Modène 
le  fit  incarcérer ,  et  ce  fut  en  vain 
que  de  sa  prison  il  adressa  à  la  junte 
de  gouvernement  un  mémoire  justi- 
ficatif. Il  ne  recouvra  la  liberté  qu'a- 
pi'ès  la  bataille  de  Marengo.  Alors  il 
fut  élu  professeur  de  physique  à  l'n- 

XLVIII. 


VEN  145 

niversité  de  Pavie ,  puis  décoré  de  la 
croix  de  la  Légion  d'Honneur  et  de 
celle  de  la  Couronne  de  Fer  j  enfin  , 
il  fut  chargé  d'afïaires  du  royaume 
d'Italie  à  Berne  ;  place  qu'il  occupa 
pendant  douze  ans.  Les  mœurs  sim- 
ples del'Helvétie  convenaient  parfai- 
tement à  sa   manière  de  vivre ,  et 
surtout  à   son   excessive  économie. 
En  1 8 1 3  ,  sa  santé  commençant  à  dé- 
cliner ,  il  obtint  une  pension  de  re- 
traite, et  se  rendit  dans  sa  patrie^  où 
il  fut  accusé  deux  ans  plus  tard, 
lors  du  retour  de  l'ancien  duc,  d'a- 
voir causé  un  incendie  dans  un  grenier 
à  foin.  Il  composa,  pour  se  justifier, 
deux  mémoires  qui  furent  imprimés, 
eli!  fut  absous  par  les  tribunaux.  Ven- 
turi  consacra  ensuite  tout  son  temps 
à  la  révision  de  ses  divers  écrits  , 
n'épargnant   rien    pour  les    rendre 
de   plus    en    plus    exacts  par    des 
recherches  et  des  soins  très-pcnibles  ; 
allant  souvent  à  pied  d'une  ville  à 
l'autre  ,  afin  d'y  vérifier  les  sources 
et  les  monuments.  Dans  ses  voyages, 
il  n'avait  pour  tout  bagage  que  ses 
livres  et    son  dîner ,    qu'il   mettait 
dans   sa    poche   (i).    Il   s'occupait 
d'une  nouvelle  édition  de  son  Opti- 
que,  lorsqu'il  mourut  le  10  septem- 
bre iS'ia  à  Reggio.  Cette  ville  lui 
avait  donné  des  titres  de  noblesse  en 
inscrivant  son  nom  au  Livre  d'or. 
Venturi  était  de  l'institut  de  Bolo- 
gne ,  et  de  celui  du  royaume  Lom- 
bard-Vénitien. Il  laissa  à  ses  héx'i- 
tiers  une  ricbe  bibliothèque,  un  re- 
cueil précieux  de    gravures ,   et  un 
musée  d'histoire  naturelle.  Ses  prin- 
cipaux ouvrages  sont:I,  Risposta  a 
quanto  è  stato  scritto  contro    la 
Relazione  sulle  irrigazioni  del  ter- 
ritorio  di  Castelnovo   Gherardini , 


(1)  Il  avait  toujours   pour  cela  ,  inêuie  lorsqu'il 
était  à  Milan  ,  des  poches  doublées  en  f'er.blanc. 


i46 


YEN 


i'j88.  II.  Indagine  fisica  su  i  co- 
lori ,  Modènc ,  1801.  Ce  mémoire 
valut  à  l'autciir  uu  prix  donné 
par  la  société  italicmie  des  sciences. 
III.  Commentari  sopra  la  storia  e 
le  leorie  delV  Otlica,  lom.  i ,  Bolo- 
gne ,  i8i4,  in-4°.  La  dédicace  de 
ce  livre  honore  également  le  talent 
et  le  cœur  de  Venturi.  La  vie  de  l'ab- 
bé Bonavenlure  Corsi ,  sou  maître ,  y 
est  heureusement  entremêlée  à  l'hom- 
mage qu'il  rend  à  sa  mémoire.  Les 
commentaires  ,  compris  dans  ce 
premier  volume,  sont  :  i".  Considé- 
rations sur  différejitcs  parties  de 
V  Optique  des  anciens  ;  2".  Du  niveau 
{il  A^aâvào) , ouvrage  de  H éronle  mé- 
canicien, traduit  du  grec  ^  et  expli- 
qué par  des  notes;  3°.  De  l'Iris ,  du 
Halo  et  du  Parhélie  ,  avec  un  ap- 
pendice sur  l'Optique  de  Ptoléniée. 
lY. Dell'  origine  e  de'  progressi délie 
odierne  artiglierie ,  Reggio,  1 8  [  5  , 
iu-40.  Ce  sujet  avait  occupé  Venturi 
dès  sa  première  jeunesse.  Ses  fonc- 
tions d'ingénieur ,  ses  éludes  sur  les 
manuscrits  de  Léonard  de  Vinci ,  et 
ses  travaux  comme  professeur  à 
l'école  du  génie  ,  contribuèrent  en- 
suite à  lui  faire  approfondir  cette 
matière  ,  et  dans  cet  écrit  ,  plein 
d'érudition  ,  il  paraît  réellement 
avoir  épuisé  le  sujet.  V.  Memoria 
intorno  alla  vita  del  marchese 
Gherardo  Rangone ,  Modène,  1818, 
in^"-  C'est  un  éloge  du  gouver- 
nement d'Hercule  III  d'Esté.  VI. 
Memorie  e  lettere  inédite  o  disperse 
di  Galileo  Galilei ,  Modène  ,  1818, 
2  vol.  in-4''.  On  y  trouve  un  Traité 
inédit  sur  les  Fortif  cations  ,  dont 
Viviani  parle  dans  sa  Vie  de  Galilée  ; 
des  tercets  {capitolo),  en  style  badin, 
tirés  d'un  exemplaire  très-fautif.  Ven- 
turi les  donne  comme  inédits ,  taudis 
qu'ils  étaient  imprimés, depuis  1811^ 
daijs  les  Classiques  italiens ,  Milan, 


YEN 

XIII  ,  374-  VII.  Elogio  diLodovico 
Castclvetro  ,  Modène  ,  1778.  I/au- 
teur  parle  de  celte  bruyante  polé- 
mique ,  à  laquelle  Caro  et  Castcl- 
vetro se  laissèrent  entraîner  pour 
une  vétille  grammaticale.  Il  se  dé- 
clare pour  Castelvetro  ,  et  devient 
éloquent  lorsqu'il  raconte  ses  mal- 
heurs. N\\\.  Storia  diScandiano, 
Modène,  1822.  On  y  trouve  des 
Notices  biographiques  sur  les  hom- 
mes célèbres  des  états  de  Modène. 
Ce  fut  le  dernier  travail  de  l'auteur. 
Il  a  publié  pendant  son  séjour  à  Pa- 
ris plusieurs  écrits  en  français,  entre 
autres  :  I.  Considérations  sur  la 
connaissance  de  V  étendue  que  nous 
donne  le  sens  de  l'ouïe  _,  Paris  , 
an  IV  (  1 796  ) ,  Magas.  Encjclop. , 
seconde  année,  tom.  m,  pag.  -29. 
II.  Essai  sur  les  Ouvrages  physico- 
mathématiques  deLéonard  de  Fin- 
ci  ,  avec  des  fragments  tirés  de  ses 
manuscrits ,  Paris,  an  v  (  1797  )  , 
in-4".  ,  fjg.  ,  lu  à  l'Institut  de 
Fiance.  Ug — i. 

VENTURINI  (  Jean-Geoug£s- 
JuLKs),  né  à  Brunswick  en  1772, 
entra  fort  jeune  au  service  de  son 
prince ,  fit  toutes  les  campagnes  de 
la  révolution  française  comme  oiii- 
cier  du  génie ,  et  servait  comme  ca- 
pitaine de  cette  arme  ,  eii  1799. 
Nommé  ensuite  architecte  dans  le  dé- 
partement de  la  marine,  il  mourut , 
le  28  août  1802  ,  après  s'être  fait 
remarquer  ,  pendant  une  si  courte 
carrière  ,  par  des  ouvrages  très- 
savants  sur  l'histoire  de  l'art  mili- 
taire ,  savoir  :  I.  Nouveau  Jeu  de 
Tactique  militaire  ,  agréable  et 
utile  ,  destiné  aux  écoles  militaires 
(allemand), Schleswig,  i798,in-8°., 
avec  planches.  II.  Livre  élémentaire 
sur  la  tactique  appliquée ,  ou  sur  la 
science  militaire  ,  avec  des  exem- 
ples pris  sur  le  terrain  (allemand), 


VEN 

Sclileswig,  1800  ,  seconde  édition  , 
7  vol.  in-80.  _,  avec  plans  et  cartes. 
Cet  ouviage  est  dédie  à  Fre'dëric- 
Guillaume  111  ,  roi  de  Prusse.  L'in- 
troduction présente  à  grands  traits 
un  tableau  de  la  science  militaire. 
Le  premier  volume  traite  de  la  par- 
tie matérielle  :  troupes  de  différentes 
armes  ;  état-major;  habillements  j 
armes;  magasin;  artillerie;  hôpi- 
taux; campements  ;  cantonnements. 
A  ce  volume  sont  jointes  cinq  plan- 
ches,  représentant  divers  mouve- 
ments stratégiques  ,  et  les  environs 
de  Paderborn,  donné  comme  centre 
des  mouvements  qui  se  font  sur  le 
Wéser ,  le  Niémen ,  la  Nelde ,  l'Em- 
mer  et  la  Lippe.  Le  second  volume 
traite  des  positions  et  des  mouve- 
ments théoriques.  Dix-sept  planches 
y  sont  consacrées  à  des  applications. 
On  y  trouve  toutes  les  hypothèses  de 
terram.  Les  opérations  se  font  sur 
le  Wéser  et  la  Wei  ta  ;  et  le  centre 
ou  pivot  esta  Mindcu.  Dans  le  troi- 
sième volume  ,  après  avoir  exposé  la 
théorie  de  l'attaque  et  de  la  défense, 
l'auteur  applique  ses  principes.  Le 
quatriime  volume  est  consacré  au 
développement  des  mêmes  principes, 
et  a  l'emploi  des  différentes  positions. 
Dans  le  cinquième  volume ,  l'auteur 
expose  la  Dialectique  ,  la  partie  la 
plus  élevée  dans  la  théorie  militaire. 
Le  Sixième  volume  est  tout  consacré 
à  la  pratique ,  et  divisé  en  deux  par- 
ties. Dans  la  première ,  il  donne  le 
plan  d'une  campagne  qui  aurait  pour 
but  la  défense  de  la  Westphalie  ;  dans 
la  seconde^  un  plan  d'attaque  dirigée 
contre  la  Hollande.  Ce  volume  est 
accompagné  de  cartes  et  de  plans 
qui  forment  une  bonne  topogra- 
phie des  deux  contrées  dont  il 
s'agit.  Enfin,  le  septième  présente 
de  nouveaux  développements  sur  les 
deux  grandes  opérations   proposées 


VEN  ,4^ 
pour  la  défense  de  la  Westphalie 
et  l'attaque  dirigée  du  côté  de  l'Al- 
lemagne ,  contre  la  Hollande.  Cet 
ouvrage  mérite  d'être  traduit  en 
français  et  médite  par  les  hommes  de 
l'art.  IIL  Système  mathématique 
appliqué àV Art  militaire  (allem.) 
Schleswig  ,  1801  ,  in-80.  IV.  i?e- 
vue  critique  de  la  dernière  cam- 
pagne du  dix  -  huitième  siècle 
(  allemand  ) ,  Leipzig ,  1 80 1 ,  in-S». 
V.  Observations  critiques  sur  la 
dernière  campagne  du  dix -hui- 
tième siècle  (  allemand  ) ,  Bruns- 
wick ,  1802,  in-80.  VLLii>re  élé- 
mentaire de  la  Géographie  mili- 
taire des  contrées  du  Rhin  (  alle- 
mand),  Copenhague  ,  1802  ,  2  vol. 
m-80.  Tous  ces  derniers  ouvrages 
sont  relatifs  aux  guerres  contempo- 
raines que  l'auteur  avait  soigneuse- 
ment observées.  L'auteur  a  traduit 
du  français  en  allemand:  Z«  France 
avant  la  Révolution,  sous  le  rap- 
port de  son  gouvernement ,  avec  un 
Tableau  des  Mœurs  sous  le  Gou- 
vernement de  Louis  XVI ,  Bruns- 
wick ,  i7C)5,  in-80.            G Y 

VÉNUSINUS(Jonas-Jacque's), 
savant  danois,  né  dans  l'île  de  Hué- 
na  ,  était,  en  1600,  pasteur  d'une 
Eglise  réformée,  et  professeur  de 
physique  à  Copenhague.  En  1602 
il  obtint  la  chaire  d'éloquence  et 
d  histoire  ,  et  le  roi  Christiern  IV  le 
choisit  pour  son  historiographe.  En 
1607  il  fut  nommé  président  de 
1  académie  royale  de  Sora,  où  il  mou- 
rut le  3o  janvier  1608.  C'était  un 
des  savants  les  pins  distingués  de 
son  temps.  On  a  de  lui  :  L  L'Imita- 
tion de  J.-C,  traduite  en  langue 
rianowe,  Copenhague,  iSgg,  in-S».- 
réimprimée  en  1626  et  1675.  IL 
Dissertatio  de  historid  ,  Copenha- 
gue, 1601 ,  in-40.  m.  DeBeatitate 
hominis,  Copenhague,  1604,  inVj". 


10.. 


u 


<8 


YEN 


IV.  In  Titnœum  Flatoms  ,  Copen- 
hague, iGo'2  et  i6o3.  V.  De  fabula 
quœ  pro  historid  vendilalur  ,  Co- 
pcnliaf^ue  ,    i6o5,  in -4°.   VJ.    De 
compavandd  cluquentid ,  Gupciilia- 
gue,  1606,^-4".  Vil.  Disticha  m 
reges  Daniœ  latina ,  cum  horiim 
iconïbus,  Copenhague  ,  m-fol.  Rud- 
beck,  dans  son  Atlantique  ,  cite  sou- 
vent un  manuscrit  de  Vénusiuus  sur 
l'histoire,  lequel  doit  avoir  ëte  trans- 
porté en  Suède.  Selon  lui,  notre  au- 
teur avait  ac([uis  une  connaissance 
profonde  de  l'histoire  de  Danemark. 
Plusieurs  de  ses  manuscrits  qui  étaient 
conserves  ]iréciei'.3cmcnt  dans  la  bi- 
bliothèque de  Copenhague ,  ont  péri 
dans  l'incendie  de  1 7*28.         G — y. 
"VENUSTI  (Marcel),  surnommé 
le  Mantuano  ,  de  sa  ville  natale  ;, 
naquit  à  IMantoue,  en  i5i5  ,  et  fut 
e'iève  de  Pieriuo  del  Vaga  ,  à  la  gloij  c 
duquel  aucun  de  ses  condisciples  no 
contribua  phis  que  lui.  Il  était  doué 
d'un  niérile  si  incontestable ,  que  son 
maître  s'en  lit  aider  dans  tous  les 
grands    ti-avaux.   qu'on  le    chargea 
d'exécuter  tant  à   Rome  qu'à  Flo- 
rence ,  et  qu'il  obtint  toute  l'estime 
de  Michel-Ange.   Il  peignit  deux  ta- 
bleaux d'autel  ,  représentant  V An- 
nonciation ,  d'après  les  dessins  de  ce 
grand  maître,  dont  il  adopta  le  style, 
mais  sans  jamais  l'affecter.  Cesdcux 
tableaux,  furent  placés  ,  l'un  à  Saint- 
Jean-dc-Latran ,  l'autre  à  la  Paix. 
On  cite  encore  de  lui  plusieurs  ta- 
bleaux d'appartement,  qu'il  a  exé- 
cutés également  d'après   les  dessins 
de  Michel- Ange,  tels  que  les  Limbes, 
dans  le  palais  Colonna;  Jésus-Christ 
allant  an  Cah>aire ,  dans  le  palais 
Borghèse ,  et  quelques  autres  produc- 
tions. Mais  le  plus  célèbre  de  ses  ou- 
vrages est  la  copie  An  Jugement  der- 
nier de  la  chapelle  Sixtine  ,  qu'il  fit 
pour  le  cardinal  Farnèse,  et  que  ce- 


VEN 

lui-ci  envoja  à  iS'apIes,  dont  clic  est 
un  des  plus  beaux  ornements.  Quoi- 
que doué  du  génie  de  l'invention, 
ainsi  que  le  prouvent  de  nombreux 
tableaux  de  sa  composition  ,  ce  qui 
a  fait  particulièrement  la  gloire   de 
Venusti  ,  c'est  le    talent  supérieur 
avec  lequel  il  a  su  revêtir  de   tous 
les  charmes  de  la  peinture  les  idées 
de  Michel- Ange  ,   notamment  dans 
les  sujets  de  petites  dimensions.  On 
admire  l'exquise  élégance  de  sou  des- 
sin ,  le  grandiose  de  ses  composi- 
tions ,  la  vigueur  de  son  coloris  ,  la 
])ropreté  et  le  fini  de  sou  pinceau. 
Le  Mantuano  mourut  en  jS-jG.     P-s. 
VENUTl  (RiDOLFiNo),  Tun  des 
plus  célèbres  et  des  plus  laborieux 
antiquaires  du  dix  -  huitième  siècle  , 
naquit,  en   1705,  à  Cortone,  d'une 
famille   patricienne ,   moins  illustre 
encore  par  l'éclat  de  sou  rang  que 
par  le  grand  nombre  d'hommes  dis- 
tingués qu'elle  a  fournis  (i).  Ridolfi- 
no  montra  de  bonne  heure  des  dispo- 
sitions rares    pour    l'étude.    Après 
avoir  terminé  ses  cours,  il  embrassa 
l'état  ecclésiastique ,  et  vint  à  Rome, 
])erfectionner  ses  connaissances  par 
l'examen  des  monuments  et  par  la 
jVéquentatiou  des  artistes  et  des  sa- 
vants. Ses  premiers  ouvrages,  en  at- 
testant ses  progrès  dans  les  différen- 
tes branches  de  l'archéologie,  éten- 
dirent sa  réputation  jusque  dans  les 
pays  étrangers;  et  les  plus  célèbres 
académies  de  l'Europe  s'empressè- 
rent de  se  l'associer.  11  fut  nommé, 
par  le  pape  Benoît  XIV ,  président 

(1)  l'iiilippc  Vr.NliTl,  deCortoue,6e  Ctunei-e. 
luilallou  comme  pLilologue,  dès  la  fin  du  scizièiup 
siècle.  11  est  auteur  d'un  Victionnaiiv  ilnlien  ri 
latin  ,\eo\se,  rj74,  '»  8"-)  réimprime  plusieurs 
fois  dans  divers  foriuals  ot  avec  des  addilions.  Ou 
lui  doit  eu  outre  lu  traituclion  en  italien  d'une  par- 
lie  de  VÉnéide  de  Virgile  ,  des  Ilemnir/nes  sur  les 
Oéoigiques  du  même  poète,  ainsi  que  sur  les 
Épltres  familières  de  Cicèro»,  et  euKn  un  opus- 
cule  intitule  :  Oiseivazioiii  da  efpriinere  lutte  le  pa- 
role lalinamenle  seconda  l'tiso  di  Oraxio. 


YEN 

de  la  commission  des  monuments  an- 
tiques et  garde  du  cabinet  du  Vati- 
can. Le  pape  Clément  XII  se  propo- 
sait de  l'clever  à  de  nouveaux  hon- 
neurs ,  quand  il  fut  frappé  par  une 
mort  imprévue  ,  le  3o  mars  i  "jôS  ,  à 
un  âge  qui  faisait  espérer  de  le  voir 
jouir  encore  long-temps  de  la  gloire 
qu'il  s'était  acquise  par  ses  travaux. 
En  1800,  son  tnste,  en  marbre,  fut 
placé  au  Panthéon,  par  les  soins  du 
chevalier  Dominique  Vcnuti,  son  ne- 
veu et  l'héritier  de  ses  talents.  Outre 
une  foule  de  Dissertations ,  dans  les 
Mémoires  de  l'académie  de  Cortone, 
dont  il  fut  l'un  des  fondateurs  (2)  ; 
dans  Je  Giornale  romano  de  Pagiia- 
rini^  qu'il  rédigea  de  i']42  à  1744» 
et  enfin  les  Notes  dont  il  a  enrichi  le 
Muséum  Corlonense ,  i^So  ,  in-fol., 
et  la  seconde  édition  du  Muséum  Ca- 
pitolimtm ,  les  principaux  ouvrages 
de  Ridolfino  sont  :  I.  Osservazioni 
sopraun  anticaiscrizione,  ags,iunta 
al  musée  Corsini ,  Rome,  i733,in- 
4°.  Celte  inscription  se  trouvait  sur 
un  autel  antique ,  découvert  la  même 
année.  II.  Dissertazione  sopra  un 
cameodi  mjl.  Walpole  rappresen- 
tante  Vostracismo  dé'  Greci ,  sans 
date,  in -4°.  III.  Collectaiiea  anti- 
quitatum  romanarum.  centum  ta- 
hulis  incisarum  et  notis  illustrata- 
rum  ,  Rome,  1786,  gr.  in-fol.  obi., 
ouvrage  rcchei'ché.  Les  gravures  sont 
d'Antoine  Borioni,  et  les  explications 
de  Ridolf.  Venuti.  Quelques-unes  de 
ses  remarques  ayant  été  critiquées 
par  J.-Chiys.  Scarfo,  le  savant  an- 
tiquaire lui  répondit  par  un  Opuscu- 
le que  son  frère  Philippe  (  V.  l'art, 
suiv.  )  lit  imprimera  Paris,  en  1740, 


(9.)  Sur  des  médailles  puniques  h'ouTces  dans 
ri!e  (le  Malte;  —  sur  les  jeux  Ascoliens;  —  sur 
liirigine  d»?  Cortone  ; —  sur  fies  médailles  Panla- 
leres  ;  —  sur  des  pierres  gravées  du  iriarquîs  To- 
latelli ,  etc. 


YEN 


1^9 


in-4".  IV.  Anliijua  numismata  ma- 
ximi  moduli  ex  inuseo  Alex.  card. 
Albani  in  Katicand  bihliolh.  trans- 
lata^Kome  ,  1 789-44 >  '-  '^ol.  in-fol., 
fig. ,  rare  et  recherché.  C'est  la  noti- 
ce détaillée  des  médailles  acquises 
par  Ridolfino,  pour  le   cabinet  du 
Vatican.   V.  Numismata  romana- 
rum pontijicum  à  Martine  F  ad  Be- 
nedictum  XJV  aucta  et  illustrata  , 
ibid.,  \'l^'\,  in-4".  Y l. Bagionam en- 
te sopra  unframmento  d'un  antico 
diaspro  intagliato ,  ibid.,  1747,  in- 
4°. ,  fig.  VII.  Ossen'azioni  sopra  il 
fiume  CUtunne ,del  sue  culte ,  etc., 
ibid.,  1753  ,  in  -  4''-,  fig.  j  disserta- 
tion pleine  de  recherches  curieuses. 
VIII.  Spiegazione  de"  hassirilievi 
elle  si  osservane  nelV  urna  sepel- 
crale  d'Aless.  Severe,  ibid. ,  1756, 
in  -  4".  ,fig-  IX.  Marmora  alhana , 
sive  conjecturœ  in  duas  inscriptio- 
nes   gladiatorias  cellegii  Silvani , 
!  7  it) ,  in-4°.  X.  Lajavola  di  Circe 
rappresentata  in  un  antico  bassori- 
lievo  dimarmo,  ibid.,  1708,  in-4°. 
XI.  De  ded  Libertate  ejusque  cultu 
apud  Romanes  et  de  libertinorum 
pileo,  ibid.,  1762,  iu-4°.  XII.  Ac- 
curata  e  succincta  descrizione  te- 
pografica  délie  antichità  di  Roma, 
ibid. ,  1 763  ,  2  vol.  in-4°.  ;  2«.  éd. , 
i8o3.  La  seconde  édition  est  aug- 
mentée des  découvertes  faites  depuis 
la  mort  de  Ridolfino.  Le  premier  vo- 
lume est  orné  de  son  buste,  d'après 
celui  qu'on  voit  en  marbre  au  Pan- 
théon ,  avec  l'inscription  placée  au- 
dessous,  par  l'abbé  Gaetano  Marini, 
bibliothécaire  du  Vatican.  Cet  ou- 
vrage est  l'un  des  meilleurs  que  puis- 
sent consulter  les  archéologues  pour 
se  faire  une  juste  idée  de  toutes  les 
richesses  que  Rome  possède  en  anti- 
quités. XIII.  Accurata  descrizione 
topografica  ed  istorica  diRoma  mo- 
dcrna,  ibid, ,  1766  ,  2  vol.  in  -  4"- 


i5o 


VEN 


C'est  une  suite  de  l'ouvrage  précè- 
dent. Elle  ne  parut  qu'après  la  mort 
de  l'auleur.XIV.  Fêtera  monumen- 
ta  quœ  in  hortis  cœliniontanis  et  in 
œâibus  Mathœorum  adservantur , 
collecta  et  notis  illustrata,  ibid.^ 
1  "j-jg ,  3  vol.  iu-fol.  Ce  bel  ouvrage , 
que  Ridolfino  laissa  incomplet,  fut 
achevé  et  publié  par  Amaduzzi  (  F. 
ce  nom)  (3).  W — s. 

VENUTI  (Philippe),  antiquaire 
et  littérateur  ,  frère  du  précédent , 
naquit  à  Cortone  en  1 709.  A  l'exem- 
ple de  son  frère,  il  embrassa  l'é- 
tat ecclésiastique ,  et  consacra  ses 
loisirs  à  la  culture  des  lettres  et  des 
•  différentes  brandies  de  l'érudition. 
Ayant  été  pourvu  d'un  canonicat  de 
Saiut-Jean-de-Latran  à  Rome  ,  il 
fut ,  en  1 739 ,  chargé  par  son  chapi- 
tre de  l'adi^inistration  des  revenus 
de  l'abbaye  deClérac,dans  la  Guien- 
ne  (  I  ).  Il  vint  en  France  ,  avec 
des  lettres  pour  Montesquieu  ,  qui 
l'accueillit  dans  son  château  de  la 
Brède ,  et  lui  rendit  toutes  sortes  de 
bons  offices  (2).  En  174'  ,  il  lem- 
porta  le  prix  proposé  par  l'acadé- 
mie des  inscriptions  ,  sur  ce  sujet  : 
D  éterminer  combien  défais  le  tem- 
ple de  Jamis  a  été  fermé  depuis  la 
naissance  de  Jésus-Christ,  et  en  quel 


(3)  Pour  compléter  la  notice  des  ouvrages  «Je 
Bidolfino,  nous  empruntons  les  titres  de  quelques- 
uns  de  ses  opuscules  citi  s  à  la  fin  du  second  volu- 
me de  sa  description  des  antiquités  de  Rome,  mais 
sans  indication  de  date  :  E/jiilola  academiœ  elrus- 
ca:  ad  cardinal.  Quiiiniirn,  in-4'>.  ;  —  Ragiona- 
niinto  sopra  il  piano  di  Bonta ,  in-fol.  ;  —  Os^er- 
vazinni  wpra  ilue  greclie  isi  rizioni  appartenenti  ad 
élire:  elleniili ,  id-4".  ;  —  Osfeivaziuni  sopra  alcii- 
ne  iscrizioni  nppailenenli  à  soldali  preloriani  ,  in- 
4"-;  —  Oratio  de  laiidihus  Leonis  X ,  in-S".  ;  — 
.Jgro  Rotntno  del  P.  Eschinardi  accresciulo  ,  in- 
S"- ; —  Bitpoita  al  mari  lies.  d'Argent  in  difesa 
délia  pitlura  ilaliana  ,  in-S".  ;  —  Firgilio  vindica- 
lo  ^  in-4**, 

(i)  HpDri  IV,  après  son  abjuration,  avait  fait 
présent  de  celte  abbaye  au  chapitre  de  Saiiit-Jean- 
de-Lalrau. 

(»")  Parmi  les  Lettres  familières  de  Montesquieu, 
on  en  trouve  six  adressées  \  l'abbé  Venuli  ;  ce  sont 
les  suivantes  ;  3,6,  Sa,  34,  30  et 3;. 


VEN 

temps  cette  cérémonie  païenne  a 
cessé  d'être  enitsage. En  1 7 43 ,  il  y 
fut  admis  dans  la  classe  des  associés 
étrangers.  Peu  de  temps  après  son 
départ  de  Rome,  une  cabale  s'était 
formée  contre  lui  dans  son  chapitre  , 
et  travaillait  à  le  faire  rappeler,  Ve- 
nuti ,  qui  se  plaisait  en  France  ,  pria 
Montesquieu  de  s'employer  pour  lui 
procurer  quelques  bénélices  dont  les 
revenus  pussent,  en  cas  d'événement, 
le  mettre  à  l'abri  de  toute  inquiétude. 
L'auteur  de  V Esprit  des  lois  fit  à  ce 
sujet  plusieurs  démarches  près  de  l'é- 
vèque  de  Mirepoix,  chaigé  de  la  feuille 
des  bénéfices  (  F.  Boyer  )  ;  mais  ni 
les  talents  de  i'abbé   Venuti ,  ni  le 
service  qu'il  venait  de  rendre  à   la 
religion  par  son  excellente  traduc- 
tion  italienne  du  poème   de  Louis 
Racine  (  Foj\  ce  nom),  re  purent 
toucher  l'inflexible  prélat.  «  Je  n'ai 
»  jamais  vu,  écrivait  Montesquieu, 
»  un  homme  qui  fasse  tant  de  cas  de 
»  ceux  qui  administrent  la  religion  , 
»  et  si  peu   de   ceux  qui  la  servent 
»  (  Lettre  à  l'abbé  de  Guasco  J.  » 
Cependant  Venuti  trouvait  dans  le 
goût  de  l'étude  l'oubli  des  tracasse- 
ries  auxquelles  il  était  en  butte.  En 
1745  ,  il  avait  été  chargé  de  compo- 
ser les  inscriptions  et  de  diriger  les 
fêles  que  la  ville  de  Bordeaux  olfrit 
à  M"^'=.  la  Daiiphiue.  En  reconnais-' 
sance  de  ses  services  ,  les  jurats  lui 
firent  présent  d'une  bourse    de  je- 
tons ,  de  velours  brodé.  Devenu  mem- 
bre de  l'aeadémie  de  Bordeaux ,  il  se 
montra  fort  assidu  à  ses  séances  ,  et 
y  lut  plusieurs  Dissertations  très-in- 
téressantes sur  les  antiquités   de  la 
Guienne.    Malgré  les    instances    de 
Montesquieu  pour  le  retenir  ,  il  prit, 
en    1700,   le  parti  de  retourner  à 
Rome.  Il  obtint  peu  de  temps  après 
la  prévôté  de  Livourne.  Sur  la  fin  de 
sa  vie ,  il  se  retira  dans  sa  famille  à 


YEN 

Cortoue,  et  y  mourut  en  176g.  Il 
était  raeml)re  de  la  plupart  des  aca- 
démies et  des  sociétés  littéraires  d'I- 
talie. Outre  des  traductions  in  versi 
sciolti  de  la  tragédie  de  Didon  de 
Lefranc  de  Pompignan,  du  poème  de 
la  Religion  tli^u  Temple  de  Guide 
(3),  ou  connaît  de  lui  :  I.  Des  Dis- 
sertations dans  le  Recueil  de  l'aca- 
démie de  Cortone  :  Sur  les  instru- 
ments ( coli  vinarii)  dont  les  anciens 
se  sei'vaient  pour  clarifier  le  vin  , 
tome  \  ,  81  j  —  Sur  les  chapelles 
(  tempietti  )  des  anciens ,  11  ,  an* 
—  Sur  le  temple  de  Janus  (4)  ,  iv  , 
g3  ;  —  Et  sur  le  nectar  et  l'ambroi- 
sie ,  V,  76  ;  —  Une  Dissertation  sur 
le  cabinet  de  Cicéron  ,  dans  le  tome 
II  des  Mémoires  de  la  société  Co- 
lombaire  de  Florence  j  l'abbé  Ar- 
naud en  a  donné  la  traduction  abré- 
gée dans  le  tome  iv  des  Variétés 
littéraires.  II.  //  trionfo  letterario 
délia  Francia  ,  poemetto  in  terza 
rima,  Avignon,  1750,  in-S».  j  c'est 
une  sorte  d'apothéose  des  savants  et 
des  poètes  que  la  France  possédait  à 
cette  époque.  III.  De  cruce  Corto- 
nensi  Dissertatio ,  Livourne  ,  1752, 
iii-4".  IV.  Dissertations  sur  les  an- 
ciens monuments  de  la  ville  de 
Bordeaux  ,  les  gabrets  ,  les  antiqui- 
tés et  les  ducs  d'Aquitaine;  avec  un 
Traité  historique  sur  les  monnaies 
que  les  Anglais  ont  frappées  dans 
cette  province, etc.,  Bordeaux,  1754, 
in-4°.,  fig.  Ce  volume,  dont  le  fils 
de  Montesquieu  (  F.  Secondât  )  fut 
l'éditeur  ,  est  le  Recueil  des  disser- 
tations communiquées  à  l'académie 
de  Bordeaux  par  l'abbé  Venuti  ; 
elles  sont  pleines  de  recherches  cu- 


(3)  C'est  par  erreur  que  le  Diclionnaire  univer- 
sel lui  allribnc  la  tniduction  eu  vers  du  TéLèma- 
^ue,  ■>.  vol.  111-4».  Cette  traduction  ,  souvent  réim- 
primée, est  de  Flaniinio  .Scarselli. 

(4^  C'est  la  Disserlalion  couronnée  par  l'ncadé- 
iiiie  Jgs  inscriptions ,  dont  un  a  jiarlé  plus  haut. 


VER 


i5i 


rieuses  ;  et  plusieurs  points  <le  notre 
histoire  encore  obscurs  y  sont  éclair- 
cis  d'une  manière  satisfaisante.  On 
trouve  l'analyse  de  cet  ouvrage  dans 
le  Journal  des  savants  ,  tcvrici' 
1755,111-115.  V.  Expositio  duo- 
denorum  numismatum,  antehac  ine- 
ditoruni,  ex  gazophjlacio  Ant.  de 
Froy  angli;  Apud  Lahronisportuni 
(  Livourne  ) ,  anno  periodi  juliance 
6478  (1760) ,  in-4°.  ,  fig.  Ouvrage 
savant ,  mais  dans  lequel  les  érudils 
ont  signalé  quelques  erreurs.  W — s. 
VERA  (don  PEDRO  de),  conqué- 
rant de  la  Grande -Ganarie  ,  non 
moins  célèbre  par  sa  perfidie  et  ses 
cruautés  que  par  l'étendue  de  ses  ta-  ' 
lents, naquit,  vers  l'an  i44o,  à  Xé- 
rez  de  la  Frontecra  en  Andalousie  , 
d'une  des  plus  illustres  familles  de 
cette  province.  Vera  était  le  nom  de 
sa  mère  ;  D.  Diego  Gomez  de  Men- 
doza  ,  sou  père,  appartenait ,  par  la 
naissance  ,  à  la  maison  des  seigneurs 
de  Hita  et  Buytrago.  Pedro  remplit, 
dans  sa  ville  natale,  l'emploi  d'a!- 
guazil  et  celui  d'alferez-mayor.  En- 
suite il  fut  nommé  alcade  de  Xirae- 
na  par  le  roi  Henri  IV  j  et  l'on  voit 
d'après  une  lettre  de  ce  prince,  qu'il 
était  revêtu  de  cette  charge  en  1470. 
Plus  tard  il  prit  part  aux  querelles 
du  marquis  de  Cadix,  son  parent, 
avec  plusieurs  seigneurs;  alla,  suivi 
de  ses  vassaux,  attaquer  la  forteres- 
se de  Médina  ,  et  fit  preuve  à  ce  siè- 
ge d'une  intrépidité  extraordinaire. 
L'Andalousie  était  alors  un  théâ- 
tre sanglant  de  rivalités ,  de  dis- 
cordes et  de  guerres.  Isabelle  et 
Ferdinand,  qui  régnaient  sur  pres- 
que toute  l'Espagne,  craignant  qu'au 
milieu  des  l'évolutions  de  tout  genre 
qui  troublaient  le  midi  de  leur  em- 
pire Vera  ne  îùi  puni  de  .ses  ex- 
ploits, saisirent  avec  joie  l'oecasion 
de  l'envoyer  à  la  (irandc-Gauarie  , 


i52  VER 

avec  le  titre  de  gouverneur  et  capitai- 
ne-ge'ne'ral ,  en  remplacement  de  Juan 
Rejon,  qui  s'était  rendu  odieux  par 
le  meurtre  juridique  de  Pedro  Fer- 
nandez  del  Algaba.  Il  débuta  par  fai- 
re arrêter  son  prédécesseur  ;  e*  pen- 
dant que  l'on  conduisait  celui-ci  en 
Espagne,  il  confisqua  ses  biens,  dont  il 
s'appropria  la  plus  grande  partie  (fin 
dei'année  i48o).  Il  augmenta  ensuite 
le  mécontentement  par  le  stratagème 
dont  il  se  servit  pour  faire  sortir  de 
la  ville  de  Ciudad  Real  de  las  Pal- 
masun  grand  nombre  de  Canariotes, 
auxquels  il  avait  persuadé  de  s'em- 
barquer snr  un  de  ses  vaisseaux , 
pour  conquérir  l'île  de  TénérifTe  ,  et 
que  le  bâtiment  transporta  en  Eu- 
rope. S'il  faut  en  croire  quelques 
historiens  ,  entre  autres  Nuùez  de 
la  Pegna  (livre  i,  chapit.  xn),  les 
Canariotes,  soupçonnant  la  ruse  ini- 
que du  gouverneur,  avaient  exigé  de 
lui  un  serment  sur  l'hostie-  mais  ce- 
lui-ci, avant  de  se  parjurer,  aA'ait 
obtenu  de  son  chapelain  qu'il  lui  pré- 
senterait une  hostie  non  consacrée. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  but  de  cette 
fourberie,  qui  était  de  faire  dispa- 
raître des  îles  Fortunées  les  indigènes, 
indigna  la  population,  au  point  que 
ceux  dos  naturels  qui  s'étaient  établis 
parmi  les  Espagnols,  et  qui  avaient 
leur  domicile  à  Real  de  las  Palmas  , 
désertaiei;t  les  uns  après  les  autres , 
et  allaient  rejoindre  leurs  compatrio- 
tes armés.  La  domination  de  Ferdi- 
nand ne  comptait  déjà  que  trop  d'en- 
nemis et  d'antagonistes  dans  l'île. 
Mais  \'era  ,  excité  par  les  obstacles , 
entreprit ,  malgré  le  nombre  peu  con- 
sidérable de  ses  troupes ,  qui  n'al- 
laient pas  à  six  cents  hommes,  de 
réduire  tous  les  habitauts.il  marcha 
d'abord  vers  les  éminences  du  dis- 
trict des  Auicas,  vainquit  en  com- 
bat singulier  Dorramas  ,guanartènie 


VER 

ou  chef  de  cette  peuplade,  et  tailla 
on  pièces  tous  les  soldats  qu'elle  lui 
opposa.  Il  s'empara  ensuite ,  avec  la 
plus  grande  facilité,  de  tout  le  terri- 
toire de  Telde,  Satautejo,  Moyas, 
se  2>orta  sur  Gualdar ,  et  afin  de  met- 
tre à  l'abri  ses  conquêtes  ,  fit  cons- 
truire le  fort  de  VÂgaèle ,  dont  la 
défense  fut  confiée  à  Fernandez  de 
Lugo.  Un  échec  dans  les  défilés  de 
Tirajanaet  les  brillants  faits  d'armes 
d'un  chef  ennemi  nommé  Bentaguya, 
n'empèclièrent  point  qu'il  ne  pous- 
sât de  plus  en  plus  ses  conquêtes.  En 
^l{^•i.,  il  reçut  des  renforts,  et  fut 
vaillamment  secondé  par  le  jeune 
Hernando  Pezarra  ,  qui  s'empara  de 
la  ville  de  Gualdar ,  placée  au  milieu 
de  l'île  ,  et  destinée ,  en  quelque  sor- 
te ,  à  en  être  la  métropole.  Le  gua- 
naitème  Tenesor  Seraidan ,  fait  pri- 
sonnier et  envoyé  en  Espagne ,  s'y 
convertit  au  christianisme,  et  se  fit 
baptiser.  Les  Canariotes  élurent  à  sa 
place  ïazarté  ;  et  sous  ce  capitaine 
intrépide ,  ils  firent  des  prodiges  de 
valeur.  Cependant  Vera  gagnait  tou- 
jours du  terrain;  et  malgré  les  dif- 
ficultés que  lui  offrait  la  nature  d'uu 
pays  raontueux,  coupé  de  bois  et  de 
précipices,  il  posséda _,  à  la   fin  de 
l'année  1 484 ,  Titana  ,  Amodar ,  Fa- 
taga  ,  en  un  mot  toutes  les  places  for- 
tes de  l'île.  L'année  suivante  vit  en- 
fin s'accomplir  l'entreprise.  Il  était 
parti ,  le  8  avril  1 483 ,  de  Real  de 
las  Palmas  avec  plus  de  mille  hom- 
mes ,  jurant  de  né  point  revenir  sans 
avoir  soumis  les  insulaires  au  joug 
de  l'Espagne;  et  il  marchait  sur  le 
fort  d'Ansite  ,  refuge  de  toute  la  na- 
tion pendant  l'hiver  de  i48a,  lors- 
que D.  Ferdinand  ,  autrefois  Tenesor 
Seniidan, ancien  guanartèmede  Gual- 
dar ,  qui,  en  se  convertissant  au  chris" 
lianisme  ,  s'était  attaché  aux  Espa- 
gnols, persuada,  par  son  éloquence^ 


VER 

à  ses  compatriotes  de  mettre  bas  les 
armes,   et  de  ne  poiut  tenter  une 
folle   résistance.    Ceux  -  ci   jetèrent 
spontanément  leurs  ëpe'es    et   leurs 
dards  ,  tandis  que  leurs  chefs ,  Ben- 
tejui  et  le  Faycan  de  Telde  ,  se  pré- 
cipitaient de  desespoir  du  haut  des 
rochers  dans  la  mer  (  '29  avril  ).  Tel 
est  au  moins  le  récit  de  presque  tous 
les  historiens.  Cependant  INunez  de 
la  Pcgua  ,  au  lieu  d'atlribncr  la  son- 
mission  délinitive  <à  la  négociation  de 
l'ex-guanartcme  et  à  la  condescen- 
dance  des  habitants  ,   suppose  une 
bataille  sanglante  entre  soixante  mille 
Canariotes  d'une  part  et  huit  cents 
Espagnols  de  l'autre,  bataille  qui  fut 
précédée  d'une  confession  et  d'une 
communion  générales  dans  l'armée 
chrétienne  ,  et  dont  il  semble  rap- 
porter le  gain  à  l'intervention  de  la 
Divinité.  Apres  ces  événements  mé- 
morables ,  D.  Pedro  de  Vera  ne  s'oc- 
cupa plus  que  de  consolider  la  domi- 
nation espagnole  dans  la  Canarie;  et 
pour  y  parvenir,  il  commença  par 
faire  partir  un  grand  nombre  des  in- 
digènes ,  que  l'on  transplanta  en  Eu- 
rope. Jl  répartit  ensuite  les  terres  en- 
tre les  gentilshommes  et  les  soldats 
qui  l'avaient  aidé  dans  la  conquête, 
attira  des  îles  voisines,  et  principa- 
lement de  Ténériire ,  Gomcra  et  Lan- 
zerote  ,  plusieurs  habitants  riches  et 
industrieux;  fit  venir  de  Madère  des 
cannes  à  sucre ,  poiu-  en  populariser 
la  culture  ;   transporta  de  Rubicon 
(capitale  de  l'île  Lanzerote)  à  Real 
de  las  Palraas  le  siège  épiscopal  des 
Canaries  ;   obtint    des    rois  Ferdi- 
nand et  Isabelle   divers    privilèges 
pour  l'ile   qu'il   gouvernait  •  en  un 
mot ,  il  jeta    les   fondements  de   la 
prospérité   et    de    l'opulence  d'une 
grande  colonie,   et  se  montra  aussi 
habile  administrateur  que  grand  guer- 
rier. Telles  étaient  ses  occupations, 


VER 


[53 


lorsque  les  habitants  de  Gomera , 
une  des  Canaries,  se  révoltèrent  con- 
tre leur  gouverneur  Hernando  Pezar- 
ra.  Vera  courut  à  son  secours^  et  les 
soumit  en  peu  de  temps.  Mais  Her- 
nando, à  qui  son  danger  n'avait  point 
fait  ouvrir  les  yeux,  contmua  de  ty- 
ranniser les  peuples  ,  et  lassa  leur  pa- 
tience au  point  qu'un  complot  se  for- 
ma entre  les  principaux  Gomérites, 
et  qu'ils   l'assassinèrent  (  novembre 
1488  ).  Ils  se  déclarèrent  ensuite  in- 
dépendants, poursuivirent  la  veuve 
du  gouverneur,  et  la  réduisirent  à  se 
renfermer  dans  la  citadelle,  où  elle 
en  était  aux    dernières  extrémités  , 
quand  le  terrible  Vera  se  présenta 
pour  la  délivrer.  Vaincre  aurait  été 
pour  lui  l'affaii'e  de  peu  d'instants. 
Mais  i!  préféra  employer  la  perfidie, 
et  offrit  aux  rebelles   une  amnistie 
générale  ,  à  condition  qu'ils  se  ren- 
draient sur-le  champ.  Ceux-ci  eurent 
la  faiblesse  de  le   croire.   A  peine 
furent-ils   sans  armes   que  l'impla- 
cable gouverneur  condamna  à  mort 
tous  les  hommes  au-dessus  de  quinze 
ans.  Tous  périrent  par  divers  sup- 
plices ,  malgré  les  prières  et  les  me- 
naces de  l'évcque  don  Juan  de  Prias  j 
les    uns   furent  pendus  ,   les  auti'cs 
rompus  ou  mutilés;  d'autres  furent 
noyés  en  masse  dans  la  mer  d'Afri- 
que. Les  femmes  et  les  enfants  furent 
presque  tous  exportés  et  vendus.  Ce- 
pendant les  plaintes  des  victimes  ou 
plutôt  de  Juan  de  Frias ,  leur  défen- 
seur, arrivèi-ent  au  pied  du  trône, et 
Ferdinand  et  Isabelle  rappelèrent  Ve- 
ra ;  mais  il  est  probable  que  ce  rappel 
eut  moins  pour  but  de  lui  témoigner 
du  mécontentement ,  que  de  le  soust 
traire  à  la  haine  des  insulaires ,  et  mê- 
me de  ses  compatriotes.  En  effet,  ils 
l'emplovèrent   dans  la  guerre  contre 
les  IVÎaures  Grenadins,  et  après  le  siè- 
ge et  la  reddition  de  Grenade  (  1 492)  ? 


i54  VER 

ils  le  corablcreut  de  nouvelles  mar- 
ques d'amitié'  et  d'honneurs.  Enfin  , 
il  fut  nomme'  capitaine-ge'nc'ral ,  gou- 
verneur des  Canaries  ;  mais  son  grand 
âge  l'empèclia  d'accepter  cette  char- 
ge. 11  mourut  quelques  années  après 
à  Xërez,  et  fut  enterré  dans  le  cou- 
vent de  Saint-Dominique  de  cette 
ville ,  qu'il  avait  fondé  pour  la  sé- 
pulture de  sa  famille.  Il  ne  faut  point 
admettre  le  récit  de  ceux  qui  préten- 
dent qu'il  mourut  de  la  lèpre,  après 
avoir  été  long-temps  enfermé  par  les 
ordres  du  roi ,  et  en  demandant  par- 
don à  Dieu  de  ses  crimes.  11  avait 
été  marié  à  Dona  Béatrix  de  Hino- 
josa  ,  et  en  .avait  eu  six.  fils,  dont  le 
second,  Fernando  de  Vera  ,  est  célè- 
bre par  des  couplets  satiriques  qu'il 
fit  contre  son  propre  père^  le  gou- 
verneur de  Canarie.  Voj.  sur  ce  gé- 
néral, outre  Nunczde  la  Pegna  déjà 
cité,  Viera,  Noticias  de  la  Hist. 
gen.  de  las  islas  de  Canaria ,  tom. 
II,  p.  64-138;  Fernand.  del  Pulg.  , 
cap.  04.  j  Haro ,  Nohil.  Genealog. , 
lib.  V,  cap.  siv,  p.  48i  j  etGeorg. 
Glas ,  Hislory  ofthe  Discovery  and 
Conq.  of  the  Canarj.  Voy.   aussi 

,      Cabeza  de  Vaca.  P OT. 

VERA  (  Ceverio  de  )  ,  arrière- 
petit-fils  du  conquérant  des  Canaries, 
vécut  long-temps  en  Amérique  ,  et 
prit  du  service  dans  l'armée  espa- 
gnole. A  quarante  ans  ,  il  entra  dans 
l'état  ecclésiastique,  reçut  les  ordres, 
et  resta  encore  quelque  temps  en 
Amérique.  Revenu  dans  sa  patrie , 
il  y  occupa  quelques  emplois  de  peu 
d'importance;  ensuite  il  passa  à  Ro- 
me ,  où  il  fut  acolythe  du  pape  Clé- 
ment YIII ,  visita  les  lieux  saints  , 
et  enfin  après  avoir,  en  quelque  sorte, 
fait  le  tour  du  monde ,  mourut  à  Lis- 
Lonne,  en  odeur  de  sainteté,  en  1606. 
On  a  de  lui  une  Relation  de  son 
voyage  de  la  Terre-Sainlc  (  Fiagc  de 


VER 

la  Tierra  sauta  :  Description,  etc.  ), 
Madrid  ^  1 597  ,  in-8".  ,  et  un  Dia- 
logue contre  les  pièces  de  théâ- 
tre usitées  en  Espagne  ,  dédié 
à  D.  Alphonse  Moscoso  ,  évêque  de 
Malaga  ,  Malaga,  i6o5.  Ces  ouvra- 
ges n'ont  point  été  traduits  en  fran- 
çais. Voy.  Jorge  Cardoso ,  Hagiolog. 
Lusitan, ,  20  avril.  P — ot. 

VERA  (Don  Juan- Antonio  de), 
Y  FiGUEROA  Y  ZuNiGA ,  comtc  de 
La  Roca  ,  historien  et  diplomate,  né 
dans  la  Catalogne,  en  i588,  fut 
chevalier  de  l'ordre  de  Saint-Jac- 
ques ,  commandeur  de  la  Barra  , 
gentilhomme  de  la  bouche  de  Phi- 
lippe V,  membre  du  conseil  suprê- 
me de  la  guerre  et  de  celui  des  finan- 
ces, ambassadeur  extraordinaire  au- 
près de  la  république  de  Venise  et 
d'autres  états  d'Italie.  Les  fonctions 
administratives  dont  il  fut  chargé, 
et  sa  longue  «ésidence  dans  diverses 
cours  étrangères  ,  ne  l'empêchèrent 
pas  de  cultiver  les  lettres  et  de  s'y 
faire  un  nom.  Il  mourut  à  Madrid 
le  20  octobre  i658.  On  a  de  lui  :  I. 
El  Emhaxador  ,  Séville  ,  1620,  in- 
4°.;  traduit  en  italien,  Venise,  1646, 
in-4''.;  et  en  français,  par  Lancelot, 
sous  ce  titre  :  Le  Parfait  Ambassa- 
deur ,  Paris,  i635,  in-4'^- ;  Ley- 
de,  1709,  2  A^ol.  in-i2.  II.  Fida  de 
Santa  Isabella  de  Portugal ,  Ro- 
me ,  1625,  in-8°.  III.  El  Fernando 
o  Sevilla  restauraâa ,  poema  heroï- 
co  escrito  en  los  versos  de  la  Geru- 
salem  liberada  del  Tasso  ,  Milan  , 
i632,  in^"'  IV.  Résultas  de  la 
Vida  de  don  Fernand  Alvar^ez  de 
Toledo  (troisième  duc  d'Albe),  Mi- 
lan, iG43,in-4°.  V.  Epitome  de 
la  Vida  y  Hechos  del  emperador 
Carlos  V,  Milan,  1645,  iu-16  ; 
seconde  édition  augmentée ,  Ma- 
drid, 1654,  in-4"-;  Bruxelles,  i656, 
iu-4°.  Cet  ouvrage  a  été  traduit  en 


VER 

français  ,  par  Duperron  Le  Hayer  , 
Paris  ,  1662  ,  in-4°.  j  édition  revue 
et  corrigée  ,  Bruxelles,  iGG3,  in- 12. 
VI.  El  rei  don  Fedro  defendido 
(  llainado  cl  Cruel ,  el  Justiciero  , 
y  cl  Nccessitado ,  rei  de  Castilla) , 
Madrid,  1648,  in-4°.  L'auteur  y  en- 
treprend inutilement  de  justifier  ce 
prince  des  crimes  que  l'histoire  lui 
reproche.  VIL  Vida  de  nuestra  Se- 
îiora ,  Saragosse,  i652  ,  ia-8°.  A-t. 
VERANZIO  (  Antoine  ) ,  arche- 
vêque de  Gran  ,  en  Strigonie  ,  pri- 
mat et  vice-roi  de  Hongrie  ,  célèbre 
par  les  missions  diplomatiques  qu'il 
a  remplies  près  des  premières  cours 
de  l'Europe ,  naquit  d'une  famille  il- 
lustre, le  20  mai  i5o4  ,  a  Sebenico 
en  Dalmatie.  Il  se  trouvait  près  de 
son  oncle  Pierre  Bérislas,  évéque  de 
Wesprim  ,  lorsque  ce  prélat  fut 
cruellement  mis  à  mort  parles  Turcs 
(i52o).  Un  autre  de  ses  oncles, 
Jean  Statiléo,  évéque  de  Trausilva- 
nie  ,  qui  était  en  grande  faveur  à  la 
cour  de  Hongrie  ,  l'appela  près  de 
lui ,  pour  l'élever  avec  un  de  ses 
frères.  C'est  là  que  le  jeune  Antoine 
écrivit  la  vie  de  son  oncle  Bérislas  _, 
qui,  un  siècle  plus  tard,  a  été  publiée 
à  Venise  (  /^.  Tomk.us).  Illutcnvoyé 
à  Padoue  ,  à  Vienne  et  à  Cracovie  , 
pour  y  continuer  ses  études.  Étant 
revenu  à  la  cour  de  Hongrie ,  il  se  fit 
bientôt  connaître  de  l'évèque  Etienne 
Broderie  et  de  Martinusius ,  depuis 
cardinal  ,  qui  étaient  les  ministres 
influents  du  roi  Jean  Zapolya  P^". 
Depuis  l'an  i528  ,  ce  malheureux 
monarque  employa  Vérauzio  dans 
plusieurs  missions  délicates  près  des 
princes  voisins ,  le  nomma  son  se- 
crétaire, et  lui  donna  la  prévôté  de 
Bude.  Véranzio,  qui  devait  ces  deux 
places  à  la  recommandation  de  Bro- 
derie ,  témoigna  sa  reconnaissance 
à  sou  protecteur  par  une  pièce  en 


VER  i55 

vers  latins  qu'il  lui  adressa.  Le  roi 
l'envoya  en  Transilvanie  ,  comme 
son  commissaire ,  avec  ordre  de  rem- 
plir les  fonctions  épiscopales  ,  à  la 
place  de  son  oncle  Statiléo ,  nom- 
mé ambassadeur  de  Hongrie  près 
de  François  I'^'".  Il  profita  de  son 
court  séjour  en  cette  province,  pour 
y  faire  des  recherches  sur  les  monu- 
ments des  Romains  j  et  l'on  voit, dans 
ses  manuscrits  ,  un  grand  nombre 
d'inscriptions  qu'il  y  découvrit.  Il 
était  revenu  près  du  roi ,  lorsque  ce 
prince  fut  assiégé  à  Bude  (  i53o  ) , 
par  le  comte  de  Togendorf,  géné- 
ral de  Ferdinand  1'=''.  Après  la  levée 
du  siège,  il  fut  deux  fois  envoyé 
vers  Sigismond,  roi  de  Pologne,  beau- 
frère  du  roi  ;  deux  fois  vers  la  ré- 
publique de  Venise;  ensuite  vers  les 
papes  Clément  VII  et  Paul  III. 
Plus  tard  il  retourna  pour  la  troi- 
sième fois  vers  le  roi  Sigismond.  Il 
fut  aussi  député  deux  fois  vers  Fran- 
çois !<=''.,  et  il  se  trouvait,  en  i535, 
près  de  Henri  VIII ,  roi  d'Angle- 
terre. C'est  dans  ces  derniers  voya- 
ges qu'il  connut  Érasme  et  Mélanch- 
thon.  Le  comte  Fr.  Draganich,  que 
l'abbé  Fortis  vit  à  Sébénico  ,  dans 
son  voyage  en  Dalmatie,  a  conserve 
(i)  une  lettre  d'Érasme  à  Véranzio, 
et  un  petit  poème  gi'cc  que  celui-ci 
adressa  à  Méianchlhon.  De  retour 
en  Hongrie ,  Véranzio  fut  envoyé 
deux  fois  vers  Ferdinand  1'=''. ,  maLs 
il  échoua  dans  sa  mission.  En 
mourant  (  i54o  )  ,  le  roi  Jean 
nomma  Martinusius  ,  qui  était  son 
premier  ministre  _,  et  la  reine  Isa- 
h(A\e ,  pour  tuteurs  de  son  fils  Jean 
Zapolya  IL  Véranzio  ,  alors  à 
la  cour  ,  rendit  compte  de  ce  qui  se 
passait  à   Jean   Statiléo  son  oncle. 

(1)  T'iac^lo  in     Dalmnzia  ,    Venise  ,    177^5  (  ''. 


ï56 


VER 


Les  deux  Lettres  qu'il  lui  écrivit  sont 
restées  inanuscrites  dans  les  archives 
de  sa  famille.  Isabelle  l'envoya,  pour 
la  huitième  fois,  en  Pologne  (i543), 
vers  le  roi  Sigisraond.  Il  peignit, 
devant  la  dicte  ,  la  position  de  cette 
reine  malheureuse  en  termes  si  tou- 
chants que  toute  l'assemblée  fondit 
en  larmes.  Sa  harangue  fut  impri- 
mée à  Cracovie.  Il  fut  encore ,  la 
même  année,  envoyé  vers  le  roi  Fer- 
dinand ,  qui  ,  par  l'accueil  qu'il  lui 
fit ,  chercha  à  gagner  un  homme  si 
précieux.  Alors  la  rupture  avait  déjà 
éclaté  plusieurs  fois  entre  la  reine 
Isabelle  et  Martinusius.  Ce  ministie, 
dont  l'ien  ne  pouvait  satisfaire  i'ava- 
ricc  ,  exigea  que  Véranzio  remît 
entre  ses  mains  les  béuélices  qu'il 
possédait  en  Transilvanie  et  en  Hon- 
grie, Celui-ci  ,  après  avoir  rempli 
une  neuvième  mission  en  Pologne, 
pour  la  reine  Isabelle,  prit  congé 
d'elle  et  retourna  à  Sébénico ,  pré- 
voyant les  malheurs  qui  allaient 
fondre  sur  la  Hongrie  ,  et  ne  pouvant 
les  empêcher.  En  i549,  Ferdinand, 
■qui  ,  après  l'abdication  d'Isabelle 
et  de  son  fils  Jean  II  ,  avait  été 
couronné  roi  de  Hongrie ,  le  nomma 
évêquc  des  Cinq-Églises  ,  et  conseil- 
ler-d'état.  En  i  553  ,  ill'envoya  vers 
Ali-Pacha  ,  beiglerbeig  deBude,ct 
peu  après  il  le  nomma,  avec  Fran- 
çois Zay  ,  son  ambassadeur  en  Tur- 
quie. Véranzio  fut  obligé  d'accom- 
pagner Soliman  1'='".  (  Voyez  ce 
nom  )  ,  qui  faisait  la  guerre  aux 
Persans  ,  et  pendant  cinq  ans  il  sui- 
vit son  quartier-général  ,  ce  qui  lui 
fournit  l'occasion  de  recueillir  des 
notions  intéressantes  sur  les  Turcs  , 
sur  leur  gouvernement  et  sur  les 
contrées  qu'il  parcourut.  Busbeck  , 
qui  était  attaché  à  l'ambassade ,  al- 
1  lit  et  revenait  du  quartier-général 
turc  à  Vienne,  oii  Véranzio  retourna 


VER 

(  i558),  après  avoir  conclu  une  trêve 
avec  la  Porte.  En  iSG^  ,  Maximi- 
lien  II  l'envoya  de  nouveau  à  Cons- 
tantinople ,  et  en  peu  de  temps  il 
réussit  à  conclure  avec  Sélim  II  une 
paix  avantageuse  pour  la  chrétien- 
té. Pendant  son  séjour  à  la  cour 
othomane  ,  ce  savant  rassembla  des 
manuscrits  précieux  ,  dont  il  ne 
reste  plus  que  la  traduction  des  An- 
nales turques ,  qu'il  avait  décou- 
vertes à  Angora.  Sa  famille  con- 
serve le  manuscrit  de  cette  version 
avec  ses  autres  papiers  <à  Sébénico  j 
c'est  de  là  que  Lcunclavius  a  tiré 
son  Histoire  ,  ses  Annales  et  ses 
Pandectes  sur  l'histoire  des  Turcs  , 
ouvrages  que  les  savants  désignent 
sous  le  Jiora  de  Codex  Veranzianus. 
Véranzio  ,  nominé  archevêque  de 
Gran  ou  de  Strigonie  ,  primat 
de  Hongrie  ,  vice-roi  du  royaume 
(  iSôg),  couronna  l'archiduc  Ro- 
dolphe ,  roi  de  Hongrie.  Le  dis- 
cours qu'il  adressa  au  prince  au  nom 
des  états  fut  imprimé  à  Venise.  Il 
mourut  le  i5  juin  iS-yS  ,  peu  de 
jours  après  avoir  reçu  une  lettre  du 
pape  Grégoire  XIII  ,  qui  lui  an- 
nonçait qu'il  venait  de  le  nommer 
cardinal.  Sa  famille  conserve  de  lui, 
en  manuscrit ,  les  ouvrages  suivants  : 
I.  Vit  a  Pelri  Berislai  (  Voy.  plus 
haut).  II.  Iter  Buda  Hadrianopo~ 
Uni.  HT.  De  situ  Moldaviœ  et  Tran- 
silvaniœ.  IV.  De  rébus  gestis  Je- 
hannis  régis  Hungariœ.  lihri  duo.  V. 
Deohitu  Johannis  régis  Hungariœ , 
Epistolœ  ad  Johanneni  Statilium  , 
episcopum  Transilvanum  ,  datœ  , 
dùni  idem  Stalilius  in  Gallid  ora- 
torem  ageret  ,  iS^o.  VI.  Animad- 
versiones  in  Pauli  Jovi  historiam  , 
ad  marginem  ipsius  Jovi,  VII. 
De  ohsidione  et  interceptione  Bu- 
dœ  ,  ad  Pctrum  Petrovich.  VIII. 
Vita  F.  Georgj.  Utisseny  (  cardi- 


VER 

nal  Martiuusse).  IX,  CoUectio  anti- 
quorum Epigraminatum.a.  Multa 
ad historiam  Htingaiicam  sui  tam- 
pons. XI.  Otia  ,  seu  Carmina  , 
avec  des  Lettres  de  Paul  Wanucc  et 
de  Palearius  ;  une  pièce  eu  vers  latins 
que  Secccrwitz  publia  à  Vienne  , 
sous  le  titre  de  V eranzius ,  pour  cé- 
lébrer sa  seconde  ambassade  à  Cons- 
tantinople.  En  1797  ,  la  Dalmalie 
elanl  menace'epar  les  arme'es  françai- 
ses ,  on  lit  transporter  à  Vienne  les 
jnanuscritsde  Véranzio,  avec  les  ar- 
chives de  sa  famille.  Le  savant  Ko- 
vacliich,  charge  de  mettre  en  ordre 
ces  papiers  précieux  ,  eu  a  publié  le 
catalogue  sous  ce  titre  :  Elenchus 
chronologiciis  actorum  partim  ori- 
ginalium  authenticorum  ,  partim 
autographorum  ,  partim  apogra- 
phorum  ,  ex  archivo  Veranliano 
Draganichiauo.  Les  pièces  les  plus 
importantes  sont  celles  qui  ont  rap- 
porta l'ambassadedeConslantinople, 
en  i556  et  iSS^.  On  trouve  dans  les 
Otia  ou  Carmina  de  Véranzio  quel- 
ques petites  pièces  qui  font  croire 
que  ,  dans  sa  jeunesse  ,  il  n'a  point 
veillé  sur  sa  conduite  avec  toute  la 
sévérité  que  commandait  son  état.  II 
possédait  à  un  degré  éminent  le  ta- 
lent de  la  parole  ,  et  à  une  grande 
pénétration  dans  les  affaires  il  joi- 
gnait des  avantagesextérieurs  qui  ont 
puissamment  contribué  aux  succès 
.de  ses  missions  diplomatiques. — Vé- 
ranzio (Faustc)  ,  neveu  du  précédent, 
évêque  in  parlibusdeCAnaà'nxm,  tom- 
ba en  disgrâce  auprès  de  la  cour  de 
Hongrie,  parce  que,  dans  la  collation 
des bénéiices ecclésiastiques,  il  l'avait 
coinjjrom'se  avec  celle  de  Rome.  Il 
a  publié:  l.im  Dictionnaire  en  cinq 
langues ,  Venise,  iSç)')  ;  II.  Logica 
nova  ,  suis  instrumentis  formata  et 
recognita  ,  Venise ,  1616,  in  -  4*^' . 
III.  Machinée  novœ ,  addiid  decla- 


VER 


i5' 


ratione  latind  ,  ilalicd  ,  gallicd  , 
hispanicd  et  germanicd ,  Venise  ^ 
in-fol.  Les  planches  de  ce  dernier 
ouvrage  sont  en  grand  nombre  :  on 
n'y  trouve  ]ias  seulement  des  machi- 
nes ,  mais  des  ponts  ,  des  églises  et 
d'autres  constructions  curieuses  , 
qu'il  avait  eu  occasion  d'observer 
dans  le  cours  de  ses  voyages.  Afin 
de  rendre  plus  utile  ce  tiaité  pratique 
de  mécanique ,  il  explique  chaque 
manière  ou  construction  dans  les 
cinq  langues  qu'il  connaissait.  Sa  Lo- 
giquei'ut,  dans  le  temps,  vivement  cri- 
tiquée ,  et  elle  méritait  de  l'être.  Il  a 
laissé  en  manuscrit  :  Regulœ  can- 
cellariœ  regni  Hungariœ.  Il  avait 
aussi  écrit  une  histoire  de  la  Dalma- 
tie  ,  laquelle ,  d'après  une  disposition 
assez  singulière  de  son  testament, 
fut  mise  avec  lui  dans  son  tombeau. 

G— Y. 

VERAU  (Augustin),  domini- 
cain ,  natif  de  l'île  Ténérilie ,  et  lec- 
teur de  philosophie  au  couvent  des 
bénédictins  d'Orotara  ,  était  un  des 
humanistes  les  plus  habiles  de  son 
temps.  Aux  îles  Canaries ,  on  le  sur- 
nommait le  Grec  ,  à  cause  de  la  con- 
naissance profonde  qu'il  avait  de 
cette  langue.  En  se  faisant  domini- 
cain, 17G8,  il  changea  son  nom  de 
Dominique  en  celui  d'Augustin,  sous 
lequel  il  est  connu.  Il  se  distingua 
particulièrement  par  le  zèle  qu'il  mit 
à  améliorer  les  méthodes  d'enseigne- 
ment, et  introduisit  dans  les  cours 
de  philosophie  une  logique  et  une 
physique  raisonnables  ,  soutint  des 
thèses  sur  le  système  de  Copernic  , 
ot  fit  plusieurs  expériences  sur  la  jie- 
santeur  et  l'élasticité  de  l'air.  Dans 
ses  dernières  années,  il  devint  fou. On 
a  de  lui ,  entre  autres  ouA'rages,  tant 
de  grammaire  que  de])oésie  :  1.  Une 
Grammaire  latine  {El  artc pequeno 
de  Gramatica  latina).  II.  Une  Pro- 


i58 


VER 


sodie  latine  (  Arte  metrica  h  Poe- 
lica  latina  ).  III .  Le  Cicérone  espa- 
gnol et  latin  (  Nomenclator  Castel- 
lano  y  Latino  ).  IV.  L'Aleclovo- 
macliie  {Alectoro-machia),  poème 
lie'roi-comique  latin ,  composé  à  Ciu- 
dad  de  Lagiina  ,  en  i-jSS.  Il  existe 
encore  de  lui  beaucoup  de  poésies 
latines  manuscrites  ,  estimées  des 
auteurs  qui  les  ont  connues.  Aug. 
Verau  imite  le  style  d'Ovide  et  a 
beaucoup  de  sa  facilité  et  de  son 
esprit.  P — OT. 

VERAZZANI  ou  VERAZZANO 
(  Jean  )  ,  navigateur  florentin,  né  , 
vers  la  lin  du  quinzième  siècle , 
d'une  famille  noble  ,  fut  employé 
par  François  1«^.  à  faire  de  nou- 
velles découvertes  dans  la  partie 
septentrionale  de  l'Amérique.  Les 
auteurs  varient  sur  la  date  de  son 
départ  ;  mais  on  voit ,  par  une  lettre 
qu'il  écrivit  au  monarque  français  , 
qu'il  était  en  mer  avant  le  mois  de 
juillet  de  l'année  i524  ,  puisque,  le 
8  de  ce  mois,  il  avait  déjà  essuyé 
une  tempête  qui  l'avait  obligé  de 
relâcher  dans  un  port  de  Bretagne  j 
et  en  effet  ,  !e  17  janvier  de  la 
même  année  ,  il  était  parti,  avec  la 
frégate  la  Daupliine  qu'il  comman- 
dait ,  d'un  roc  désert  sous  lequel  il 
avait  jeté  l'ancre  proche  de  Madère. 
Api'ès  avoir  essuyé  une  grande  tem- 
pête ,  il  aborda  sur  les  côtes  de  quel- 
ques parties  de  l'Amérique  septen- 
trionale ;  il  les  parcourut  depuis  le 
30*=.  degré  de  latitude  jusqu'à  Terre- 
Neuve  ,  et  eut  même  connaissance 
de  la  Nouvelle-  France.  Les  plan- 
tes ,  les  hommes  et  les  animaux,  lui 
offrirent  des  beautés  inconnues.  Sa 
lettre  renferme  une  description  assez 
curieuse  des  sauvages  qu'il  trouva 
dans  ces  contrées.  Ses  découver- 
tes pouvaient  même  passer  pour  très- 
importantes  alors  ,   puisqu'il   visita 


VER 

plus  de  sept  cents  lieues  de  côtes.  Les 
sentiments  sont  partagés  sur  la  fin 
de  cet  homme  habile  et  courageux. 
Les  uns  le  font  tomber  au  pouvoir 
de  quelques  sauvages  cruels,  qui  le 
mirent  à  mort  avec  plusieurs  de 
ses  compagnons  j  et  firent  rôtir  leurs 
cadavres  pour  les  manger.  D'autres, 
avec  moins  de  vraisemblance ,  le 
font  mener  prisonnier  à  Madrid,  oij, 
selon  eux,  il  fut  pendu.  On  conserve 
à  Florence ,  dans  la  bibliothèque  de 
Strozzi ,  une  description  cosmogra- 
phique des  côtes  et  de  toutes  les  con- 
trées que  Verazzani  avait  parcourues, 
et  l'on  y  voit  qu'il  avait  cherché  un 
passage  par  le  nord  pour  arriver  aux 
Indes-Orientales.  La  relation  de  son 
Voyage ,  qu'il  avait  envoyée  au  roi 
de  France  ,  se  trouve  dans  la  collec- 
tion de  Bamusio  et  dans  V Histoire 
générale  des  F'ojages  {  Voj.  Car- 
tier et  Lescabot  \  M — le. 

VERBEECQ  (  Philippe  ) ,  peintre 
et  graveur  à  l'eau-forte  dans  le  goût 
grignoté  ,  naquit  en  Hollande  ,  vers 
«  5f)9.  Ses  ouvrages,  comme  peintre, 
sont  pour  ainsi  dire  inconnus.  Il  n'en 
est  pas  de  même  de  ses  gravures  : 
comme  il  les  exécutait  dans  un  goût 
qui  approchait  de  celui  de  Rem- 
brandt ,  beaucoup  d'amateurs  ont 
rangé  ses  productions  parmi  celles 
de  ce  dernier.  Mais  Yver  et  Gersaint 
ont  démontré  que  c'était  à  tort  ,  at- 
tendu que  sur  les  pièces  qu'il  a  gra- 
vées il  a  mis  son  nom  ou  son  chiffre. 
D'ailleurs  la  date  de  sa  dernière  pièce 
(lôSg)  prouve  que  cet  artiste  était 
antérieur  à  RemÎDrandt.  On  ne  con- 
naîtdelui  que  les  morceaux  suivants, 
qui  sont  très-recherchés  :  I.  Esaii 
vendant  son  droit  d'aînesse ,  grand 
in-folio.  II.  Sujet  inconnu  ,  repré- 
sentant un  Homme  à  genoux  devant 
un  roi  d' Orient,  assis  sur  son  trône, 
ajant  derrière  lui  une  femme  qui 


VER 

tient  un  jeune  homme  par  la  main , 
in-4'*.  ,  avec  le  nom  du  graveur.  111. 
Un  berger  assis  au  pied  d'un  arbre, 
pièce  ovale  avec  la  marque  du  gra- 
veur, et  la  date  de  1619.  IV.  Un 
Buste  (V  une  jeune  femme  ;  elle  est 
vue  de  face ,  les  yeux  baisses  ,  coiffée 
d'une  toque  en  fourrure,  ornée  de 
plumes;  ce  portrait ,  avec  nom  d'au- 
teur et  date  de  lOSg,  est  exécuté  sur 
un  fond  blanc.  V.  Le  Buste  d'uji 
homme  vu  des  trois-quarts,  portant 
moustaches  et  clieveux  longs  ,  et 
coiffé  d'un  turban  orné  d'une  plume; 
pendant  de  la  pièce  précédente  ,  et 
avec  la  même  date.  Ni.  Figure  d'un 
jeune  homme  debout; il  est  représen- 
té de  face  ;  sa  tète  ressemble  à  celle  qui 
a  été  décrite  sous  le  numéro  précé- 
dent. La  forme  en  est  ovale  et  porte 
le  nom  du  graveur  et  la  date  de  1 03g. 
On  peut  voir^  pour  de  plus  grands 
détails,  le  Supplément  au  Catalogue 
de  Bartsch  ,  pag.  iSq.         P — s. 

VEIIBIEST  (Le  P".  Ferdinand), 
célèbre  missionnaire  et  astronome , 
était  né  vers  i63o,  à  Bruges ,  sui- 
vant Lalande  (  Bihliog.  astronom. , 
3i8  ),  ou,  selon  d'autres  auteurs, 
près  de  Courtrai.  Ayant  embrassé  la 
règle  de  saint  Ignace  ^  il  fut  destiné 
par  ses  supérieurs  aux  missions  de 
la  Chine,  où  il  se  rendit  en  1669, 
avec  le  P.  Couplet  (  Voj.  ce  nom  ). 
Il  s'y  consacra  d'abord  à  la  pré- 
dication de  l'évangile  dans  la  pro- 
vince de  Chen-si  ;  mais  le  P.  Adam 
Schall  ^  instruit  de  ses  talents  ,  le  lit 
venir  à  Péking,  et  ne  tarda  pas  à 
l'associer  à  ses  travaux  astronomi- 
ques. Pendant  la  minorité  de  l'em- 
pereur Khang-hi ,  une  violente  persé- 
cution s'étant  élevée  contre  les  Chré- 
tiens^ le  P.  Verbiest  partagea  le  sort 
de  ses  confrères  et  fut  jeté  dans  une 
obscure  prison.  Le  P.  Schall,  prési- 
dent dti  tribunal  des  mathématiques, 


VER 


i5g 


fut  remplacé  par  un  mandarin,  dont 
le  seul  titre  à  cette  marque  de  con- 
fiance était  sa  haine  contre  les  Jésui- 
tes. Le  calendrier  impérial  se  trouva 
bientôt  dans  un  tel  désordre  que 
Khaug-hi  enjoignit  à  ses  ministres  de 
consulter  les  missionnaires  sur  le 
moyen  d'en  corriger  les  erreurs.  Le 
P.  V  erbiest^  amené  devant  ce  prince, 
n'eut  pas  de  peine  à  montrer  que 
l'astronome  chinois  n'était  qu'un 
ignorant;  et  l'empereur  l'établit  dans 
la  place  dont  le  P.  Schall  avait  été 
si  injustement  dépouille.  Les  mission- 
naires se  sont  étendus  avec  complai- 
sance sur  le  récit  des  épreuves  qu'a- 
vait subies  le  P.  Verbiest ,  parce 
que  la  manière  dont  il  s'en  était  tire 
avait  eu  momentanément  pour  eux 
les  plus  heureuses  conséquences.  Tou- 
tefois ces  épreuves^  qui  consistaient 
à  annoncer  la  longueur  de  l'ombre 
d'un  gnomon,  ou  le  lieu  précis  du 
soleil  pour  un  jour  et  aux  heures 
données  ,  ne  supposaient  rien  de 
plus  qu'une  connaissance  assez  exac- 
te des  premiers  éléments  de  l'as- 
tronomie. Dès  qu'il  fut  installé  dans 
son  nouvel  office,  le  P.  Verbiest 
s'occupa  de  fournir  l'observatoire 
de  nouveaux  instruments  astrono- 
miques ,  qui  furent  exécutés  sous 
sa  direction;  mais  ayant  quitté  l'Eu- 
rope avant  l'époque  ou  les  Cas- 
sini ,  les  Halley,  les  Picard ,  firent 
faire  tant  de  progrès  à  la  science  , 
il  ne  put  pas  leur  donner  toute  la 
perfection  désirable  (i).  L'empereur 
voulut  recevoir  du  P.  Verbiest  des 
leçons  de  mathématiques  ;  et  ce  prin- 
ce, charmé  de  plus  en  plus  des  ta- 
lents du  missionnaire,  lui  fit  appren- 
dre la  langue  tartare,  afin  de  pou- 


(i)  Voy.  la  Descriviion  Je  VohservaLoîre  de  Pé- 
Uiig  t  P'ir  le  P.  Lecomle ,  dans  les  Nouveaux  Mé- 
moires de  la  Chine ,  leUre  3.  Voyez  aussi  Duhalde, 
lidit.  iii-4"' ,  III,  341. 


iGo 


VER 


voir  l'euîretenir  plus  facilement  et 
sans  le  secours  d'un  inleiprète.  Le 
iësuite   se  rendit    bientôt    fort  ha- 
bile dans  cette  langue  ;  et  si  l'on  en 
croit  le  P.  Dulialde,  il  eu  composa 
même  une  Grammaire  (2).  En  168 1, 
il  fut  cliargé  par  l'empereur  de  di- 
riger la  fabrication  de  canons  de  fon- 
te, pour  remplacer  les  anciennes  piè- 
ces qui  se  trouvaient  hors  de  service. 
L'opération  réussit,   maigre  le  dé- 
faut  d'intelligence   ou   la   mauvaise 
volonté  des  ouvriers  qui  travaillaient 
sous  ses  ordres ,  et  il  eut  le  bonheur 
de  pouvoir  olFrir  à  l'empereur   un 
parc  de  trois  cents  pièces ,  la  plupart 
de  campagne.    L'empereur ,   après 
avoir  vu  l'elfet  de  cette  nouvelle  ar- 
tillerie ,  se  dépouilla  d'une  veste  foui-- 
rée  de  martre  ,  d'un  grand  prix,  et 
de  sa  robe  de  dessous,  et  les  donna 
au  P.  Verbiest,  comme  une  marque 
de  sa  satisfaction  •  et  quelques  mois 
après,  sur  la  présentation  du  tribu- 
nal des  grâces,  il  le  revêtit  d'un  titre 
d'honneur.    Le  pieux,   missionnaire 
n'employait  son  crédit  que  pour  pro- 
curer de  nouveaux  avantages  à  la  re- 
ligion; et  il  ne  désespérait  pas  de  la 
voir  s'établir  jusque  dans  les  pro- 
vinces les  plus  reculées  de  l'empire. 
Aussi  reçut-il  du  pape  Innocent  XI 
im  bref,  dans  lequel  le  souverain 
pontife  approuvait  sa   conduite  à  la 
Chine,  blâmée  par  les  missionnaires 
dominicains  {F.  Schall,  XLIj-jS). 
Il  offrit,  eu  i683,  à  l'empereur  ,  le 
Calcul  des  éclipses  de  soleil  et   de 
lune  pour  deux  mille  ans  ,  formant 
32  vol.  de  cartes,  avec  leur  exphca- 
tion.  Ce  beau  travail  lui  valut  de 


(1)  Duhalde  ajoule  que  cette  Grammaire  tartare 
du  P.  Verhiest  fut  imprimée  à  Paris  {  Voy.  Des 
cription  de  la  (/;,««,  III ,  94  );  maison  ne  la  trouve 
citée  dans  ancim  catalogue.  Il  se  pourrait  que  celte 
grammaire  lût  celle  qui  a  été  im|irimée  dans  la 
Collection  deThévcnot,  sous  le  titre  de  Elemenla 
linguœ  lartaricœ,  et  dont  quelques  personnes  dou- 
tant que  le  P.  Gerbillon  soit  l'auteur. 


VER 

nouvelles  faveurs  delà  partdeKhang- 
hi.  Le  P.  Verbiest  facilita  l'admis- 
sion à  la  Chine  du  P.  Lecomte  et  de 
ses  compagnons  ,  et  leur  procura  l'au- 
torisation de  se  rendre  à   Péking; 
mais  il  ne  goûta  pas  la  satisfaction 
de  les  y  recevoir.  Une  courte  mala- 
die l'enleva,  le  28  janvier  1688,  le 
lendemain  de  la  mort  de  Timpéra- 
trice-mère.  Ses  funérailles,  retardées, 
par  ordre  de  Tempereur,  jusqu'au 
8    mars   suivant ,   furent    célébrées 
avec  une  pompe  extraordinaire.  Le 
P.  Lecomte   en  a  consigné  la  rela- 
tion détaillée  dans   ses    Nouveaux 
Mémoires  sur  la  Chine ,  i ,  lettre  2. 
Le  P.  Verbiest  avait  adopté  le  nom 
chinois  de  Nan-hoaï-jiu ,  et  le  sur- 
nom de  Thun-pe.  Ce  sont  les  noms 
qu'on  lit  à  la  tête  des  ouvrages  qu'il 
a  composés  en  langue  chinoise.  Th. 
Sig.  Bayer  en  a  donné  une  liste  dé- 
taillée (  Miscellanea  Berolinensia , 
VI ,  1 80  et  suiv.  ),  laquelle  a  été  réim- 
primée avec  quelques  additions,  dans 
le  Diction,  de  Moréri,  édition    de 
i-jSg.  Mais  le  catalogue  le  plus  di- 
gne de  confiance  est  celui  qu'on  trou- 
ve dans  le  Ching-kiao-sin-teng,  ou- 
vrage chinois  qui  a  servi  de  base  au 
Catalogus  Patrum  soc.  Jesu ,  du  P. 
Phil.  Couplet.   Les  livres  composés 
par  le  P.  Verbiest  se  trouvent  pres- 
que tous  au  cabinet  des  manuscrits 
delà  bibliothèque  du  Roi;  ils  sont 
de  deux  sortes.  Les  uns  sont  relatifs 
à  la  théologie;  et  l'auteur,  remplis- 
sant les  fonctions  auxquelles  il  s'était 
primitivement  dévoué ,  y  traite,  pour 
l'instruction  des  Chinois  néophytes  , 
de  l'Eucharistie,  delà  Pénitence,  de 
la  rémunération  du  bien  et  du  mal. 
Les  autres  livres,  en  bien  plus  grand 
nombre,  roulent  sur  des  sujets  de 
physique  et  d'astronomie.  Dans  ce 
nombre,  on  distingue  :  I.  Vi  siang 
tchi  (  Des  figures  et  des  instniments 


VER 

d'astronomie  ) ,  1 4  livres ,  avec  deux 
livres  de  planches  ,  sous  le  titre  de 
Yi-sing-thou.II.iVwn  khichoiie,  ou 
Notice  sur  le  baromètre  (  et  non  sur 
le  thermomètre ,  comme  l'a  écrit  le 
P.  Couplet  ).  III.  Une  Mappemonde 
ou  Planisphère  terrestre  ,  dont  il 
existe  plusieurs  éditions  en  formats 
différents  (l'un  de  66  p°  sur  58  p»), 
et  auquel  se  doivent  joindre  deux  li- 
vres à' Explications.  IV.  Plusieurs 
Planisphères  :  ces  planisphères  ont 
serAd  de  base  à  ceux  du  P.  Grimal- 
di,  et  par  conséquent  à  tout  ce  que 
nous  savons  sur  l'Uranographie  des 
Chinois.  V.  Astronomie  perpétuelle, 
ou  Tables  pour  les  éclipses  et  les  au- 
tres phénomènes  célestes  ;,  offertes  à 
l'empereur  Khang-hi,  et  formant  3a 
livres.  VI.  Deux  hvres  d'Observa- 
tions célestes,  et  un  troisième  conte- 
nant la  Défense  de  la  doctrine  astro- 
nomique des  Européens  ,  contre  les 
attaques  des  prétendus  astronomes 
du  tribunal  des  mathématiques.  VII. 
Liber  organicus  astronomice  Eiiro- 
peœ  apiid  Sinas  restitutœ ,  suh  iiii- 
peratore  sino-tartarico  Cam-hy  ap- 
pellato  ,  i668,  petit  in- fol.  Ce  n'est 
autre  chose  que  le  recueil  des  plan- 
ches du  Fi-siang-tchi  (  ci-dessus 
n"*.  ï  ),  qu'on  a  fait  précéder  d'un 
discours  latin  de  9  feuillets,  gravés 
et  imprimés  à  la  manière  chinoise. 
L'abrégé  du  même  ouvrage  parut 
sous  ce  titre  :  Coinpendiuin  latinuni 
proponens  xii  posteriores  figuras 
libri  Observationum  nec  non  prio- 
res  ni  figuras  Libri  organici.  On 
possède  l'ouvrage  et  l'abrégé  à  la 
bibliothèque  du  Roi,  et  il  s'en  trou- 
ve aussi  des  exemplaires  dans  les  ca- 
binets de  quelques  curieux.  Le  texte 
amplifié  et  commenté  a  été  publié 
de  nouveau  en  Europe ,  par  les  soins 
du  P.  Couplet,  sous  ce  titre:  As- 
trononiia  Europea   sub  imperato- 

XLVUl. 


VER 


161 


re  tartaro-sinico  Cam-hy  appellato 
ex  umbrd  in  lucem  revocata ,  à 
R.  P.  F.  Verbiest,  etc.,  Diliugen , 
1687,  petit  in-4°.  Ce  volume,  assez 
rare ,  contient  une  des  planches  du 
Liber  organicus ,  celle  qui  représen- 
te l'observatoire  de  Péking  ;  et  il  est 
terminé  par  le  Catalogus  Patrum 
soc.  Jesu, àouion  a  parlé  précédem- 
ment. C'est  dans  ce  livre  qu'on  peut 
chercher,  non  des  notions  sur  l'état 
de  l'astronomie  à  la  Chine  avant  les 
Jésuites  _,  mais  une  histoire  com- 
plète et  détaillée  de  la  révolution 
opérée  dans  la  science  par  les  opéra- 
tions du  P.  Verbiest.  Les  Relations 
des  deux  voyages  que  le  P.  Verbiest 
fit  dans  laTartarie  à  la  suite  de  l'em- 
pereur, en  1682  et  i683,  ont  été 
recueillies  par  le  P.  Duhalde  ,dans  la 
Description  de  la  Chine,  iv  ,  ']/^.- 
87.  Elles  avaient  été  imprimées  sé- 
parément,  Paris,  iG85  ,  in- 12,  et 
ensuite  dans  le  Recueil  des  Voyages 
au  Nord.  Duhalde  cite  du  P.  Ver- 
biest, un  Traité  de  la  fonte  des  ca- 
nons ,  en  chmois,  accompagné  de 
44  planches  (  ibid. ,  11,  49  );  ui^e 
traduction  des  Tables  astronomi- 
ques ,  et  une  autie  du  Missel  romain  y 
adressées  toutes  les  deux  au  pape 
Innocent  XI  ,  et  qui  doivent  être 
conservées  à  la  bibliothèque  du  Va- 
tican. On  a  un  portrait  du  P.  Ver- 
biest ,  représenté  dans  son  habit  de 
président  du  tribunal ,  ou  pour  mieux 
dire,  du  bureau  des  mathématiques , 
dans  Duhalde,  tom.  in,  pag.  87. 
A.  R — T  et  W — s. 
VERCELLONI  (  Jacques  ) ,  mé- 
decin piémontais  ,  né  à  Sordevolo 
en  1676  ,  étudia  à  Turin  ,  à  Mont- 
pellier ,  se  rendit  à  Rome  en  1699, 
fut  quelques  années  médecin  de  l'hô- 
pital de  Saint-Jacques,  et  quitta  celte 
ville  pour  s'établir  à  Asti.  Ou  a  de 
lui  quelques  ouvrages  estimés  :  I.  J)c 
II 


i6i 


VER 


f:latu1ulis  œsopJiagi  conglomeralis 
et  humore  vero  digeslivo ,  Asti  , 
i-ii  ,  in-4°'  li-  De  pudeyidoriim 
morbis  et  hœ  veneved  tetrahihlion  , 
Asti,  1716,  in-80.  ;  Leyde  ,  17-22, 
in-8o.-  174^»  m-8°.  Jean  de  Vans 
a  fait  une  traduction  française  de  ce 
dernier ,  et  il  l'a  publiée  à  Paris , 
en  1780  ,  iu-8''.  S — i. 

VERCI  (  Jean  -  Baptiste  -  Ma- 
thieu )  ,  historien  ,  ne  à  Bassano 
en  1739,  deljiita  dajs  la  carrière 
des  lettres  par  une  nouvelle  édition 
du  Recueil  de  IManicini ,  contenant 
les  Poésies  choisies  des  poètes  de 
Bassano  ,  du  treizième  siècle ,  qu'il 
compléta  et  augmenta  de  la  vie  de 
chaque  auteur,  Venise  ,  1769,  in- 
4°.  ;  et  par  la  publication  des  Poé- 
sies et  Epîtres  latines  de  Lazare 
Bonami ,  1770,  un  vol.  in-8°. ,  avec 
un  commentaire  latin  sur  sa  vie. 
Voici  la  notice  de  ses  divers  ouvra- 
ges :  I.  Abrégé  historique  sur  Bas- 
sano ,  Venise,  1770,  in-4".  Il  eut 
dans  la  suite  le  bon  esprit  de  désa])- 
j)rouver  lui-même  cet  écrit ,  et  de 
démentir  ce  qu'il  avait  dit  d'aboi'd, 
d'après  le  préjugé  national  ,  sur 
l'antique  et  fabuleuse  origine  de  cette 
ville.  Il  publia  ,  à  ce  sujet  ,  une  Let- 
tre anonyme ,  à  laquelle  il  fognit  de 
répondre  dans  sa  Dissertation  sur 
l'état  de  Bassano  au  dixième  siè- 
cle (Y  enise ,  I772,in-i2),  où  l'as- 
sertion contraire  était  établie  sur 
des  preuves  incontestables.  Il  existe 
eu  manuscrit  ,  dans  la  collection 
Novelleto  ,  une  autre  Dissertation  de 
.  Verci  ,  intitulée  :  Notices  relatives 
à  l'état  de  Bassano  :  c'est  un  abré- 
gé de  l'histoire  de  cette  ville  depuis 
le  dixième  siècle  jusqu'à  son  assujé- 
tissement  à  la  domination  de  Venise. 
II.  Histoire  de  Deli  ,  ou  Aven- 
tures curieuses  d'un  Turc  ,  Venise  , 
1771 ,  in-8°.  y  roman  dans  le  goût  de 


VER 

ceux  de  Chiari.  III.  Notices  sur  la 
vie  et  les  ouvrages  des  écrivains  de 
Bassano ,  Venise»,  1775  ,  a  vol.  in- 
12.  IV.  Notices  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  des  peintres  ,  sculpteurs 
et  graveurs  de  Bassano ,  Venise , 
1770  ,  in-8°.  ;  livre  ulile  aux  ama- 
teurs des  beaux-arts  ,  par  les  notices 
qu'il  renfcnne  ,  par  les  recherches 
sur  les  Artifices  de  Jacopo  dans 
l'art  de  peindre  ,  tirées  en  partie  des 
OEuvres  inédites  de  J.-B.  Voipato^ 
peintre  et  écrivain  du  dix-septième 
siècle,  compatriote  de  l'auteur.  V. 
Eloge  historique  de  Barthel.  Fer- 
racino  ,  ingénieur  célèbre,  Venise, 
1777,  in  -  8°.  j  refait  en  1779,  et 
augmenté  de  nouvelles  notices.  Tira- 
boschi  l'inséra  en  entier,  cette  même 
année, dans  son  Journal  littéraire  de 
Modène.Mais  on  ne  trouve  pas  dans 
cette  réimpression  la  belle  Elégie  la- 
tine de  l'abbé  Gaspard  Tommasi , 
recteur  du  séminaire  de  Feltre ,  sur 
la  construction  du  pont  de  Bassano. 
VI.  Lettre  sur  les  échecs  ,  Venise  , 
1778  ,  in-8".  Ce  jeu  formait  le  plus 
agréable  passe- temps  de  l'auteur. 
L'opuscule  a  pour  but  d'exposer 
l'histoire  du  jeu  et  son  origine,  et 
d'en  indiquer  les  règles  les  plus  né- 
cessaires; il  se  termine  par  la  no- 
menclature des  écrivains  qui  en  ont 
traité  jusqu'à  l'époque  de  sa  publica- 
tion. VII.  Histoire  des  Ezzelins  , 
Bassano  ,  1779  ,  3  vol.  in-8°. ,  ou- 
vrage plein  d'érudition,  remarquable 
par  une  critique  judicieuse  ,  et  ofl'rant 
un  ensemble  précieux  de  recherches 
diplomatiques  et  historiques,  tirées 
de  l'obscurité  des  siècles.  Les  ré- 
dacteurs de  V Art  de  vérifier  les 
dates  eu  ont  donné  un  extrait  à  la 
fin  de  cet  ouvrage  ,  édition  de  Paris , 
1783-87  ,  in-fol.  Toutes  les  vicissi- 
tudes de  cette  célèbre  famille,  depuis 
Ezzelin  ,  qui  vint  en  Italie  en  io36, 


VER 

à  la  suite  de  l'empereur  Conrad  II , 
qui  lui  fit  don  des  fiefs  d'Onora  et  do 
Éomauo ,  jusqu'à  Alberic^  frère  d'Ez- 
zeliu  V,  le  lyran^  qui  périt  si  misé- 
rablement avec  sa  femme  et  ses  en- 
fants ,  dans  le  château  de  San-Zenon, 
en  1 260  ,  sont  racontées  avec  soin , 
discute'es  avec  une  sage  critique  ,  et 
appuyées  d'irréfragables  documents. 
Cet  ouvrage  répand  un  grand  jour 
sur  les  mœurs ,  le  génie  ,  les  entre- 
prises des  guerriers  qui  jouèrent  un 
rôle  important  dans  les  x'évolu- 
tions  d'Italie,  surtout  dans  celles 
de  la  Lombardie,  au  moyeu  âge.  VI II . 
Epître  sur  les  monnaies  de  Vérone, 
et  particulièrement  sur  celles  qui  fu- 
rent frappées  sous  les  E  zzelijis  ,m-8'^ . 
Cet  opuscule,  écrit  en  latin,  a  été  insé- 
ré dans  le  Recueille  monetis  Vero- 
nensibus ,  Vérone,  Carattoui,  1779, 
et  reproduit  clans  une  traduction 
italienne  ,  en  tète  du  tome  x  du  Re- 
cueil de  Zaqetti  ;,  Délie  Monete  e 
Zecche  d'Italia.  IX.  Notices  sur 
quelques  évèques  de  Vicence ,  ti- 
rées des  archives  de  Bassano ,  in- 
l'i ,  sans  date.  Elles  sont  insérées 
dans  la  Nuova  Raccolta  Caloge- 
riana ,  et  parurent  en  1782.  Quoi- 
qu'il semble  que  cet  ouvrage  doive 
traiter  des  évèques  de  Vicence ,  il  ne 
traite  ,  en  eflet ,  que  du  fief  de  Bas- 
sano ,  auquel  les  arcbiprètres  de 
cette  ville  eurent  beaucoup  de  part  , 
et  dont  la  rénovation  avait  lieu  pour 
cliaque  prélat  élevé  à  la  cathédrale 
de  Vicence.  Viennent  ensuite  quel- 
ques fragments  sur  l'histoire  du  pays, 
et  l'antiquité  de  l'église  archipresby- 
térale.  X.  Dissertation  sur  les  mon- 
naies dePadoue,  avec  une  Lettre  sur 
les  Marches  de  Carrare ,  in-4''.,  sans 
date.  Elle  est  comprise  dans  le  tome 
\\i  du  Recueil  de  Zanetti,  imprimé  à 
Bologne  en  1783,  in-fol.  Il  paraît 
qu'à  l'époque  oîi  l'auteur  la  composa. 


VER 


iG3 


il  avait  l'esprit  exaspéré  par  des 
malheurs  domestiques  ;  car  il  se  per- 
met y  à  la  fin  de  sa  Lettre ,  ure  sor- 
tie virulente  contre  les  Marches  de 
Carrare  ,  sortie  qu'il  renouvela  de- 
puis dans  la  préface  de  son  Histoire 
de  la  INIarche  Trévisane.  XI.  Lettre 
apologétique  de  F.  G.  à  Jules 
Trento  ,  sur  quelques  points  du 
Prodrome  ^solan ^T révise ^  1784  , 
in-8o.  Les  disputes  asolanes  ont  oc- 
cupé un  grand  nombre  d'écrivains  , 
et  se  trouvent  rapportées  d'une  ma- 
nière assez  agréable  et  spirituelle 
dans  le  Giomale  de'  confmi d' ItaliUy 

Ear  P.  Contini.  Elles  occupèrent  aussi 
eaucou])  notre  auteur,  qui  jugea  à 
propos  de  publier  cet  opuscule  sous 
un  autre  nom  que  le  sien.  XII.  His- 
toire de  la  Marche  Trévisane ,  Ve- 
nise, 1786-90,  20  vol.  in  8°.  Cet 
ouvrage  ,  le  plus  considérable  de 
ceux  qu'il  a  produits ,  est  précède 
d'une  dissertation  historique  sur  les 
événements  arrivés  dans  la  M.^rche 
Trévisane  ,  depuis  les  temps  de 
Charlemagne  jusqu'à  l'extinction  de 
la  famille  des  Ezzelins.  L'histoire  qui 
commence  à  1260  est  conduite  jus- 
qu'au quinzième  siècle.  Quoique  Ver- 
ci  ait  consulté  les  auteurs  con- 
temporains et  des  chroniques  et  do- 
cuments long-temps  ensevelis  dans 
les  ténèbres  ,  cet  ouvrage  réussit  beau- 
coup moins  que  son  premier  écrit 
sur  les  Ezzelins.  Outre  les  productions 
dont  nous  venons  de  parler,  l'infati- 
gable Verci  fit  un  grand  nombre  de 
traductions  d'ouvragesfrançais.  C'est 
lui  qui  a  traduit  en  italien  le  Diction- 
naire historique  de  Chaudon  ;  et  sa 
traduction  a  eu  plusieurs  éditions  ; 
la  dernière  est  de  1 796,  imprimée  à 
Bassano,  22  vol.  in-8°.  Il  a  ajouté  à 
l'ouvrage  français  un  grand  nombre 
d'articles  nouveaux  ,  particulière- 
meut  d'auteurs  et  de  personnages  ita- 
II.. 


i64  VER 

liens,  et  il  s'est  associe'  comme  colla- 
Loraleiir  dans  cette  entreprise  l'ex- 
jësuite  François  Carrara.  Mais  com- 
me il  avait  choisi  une  assez  mauvaise 
production  française ,  il  n'a  fait  de 
la  traduction  qu'un  ouvrage  peu  es- 
timé,  et  f[ui  donna  lieu  eu  Italie  à 
beaucoup  de  controverses  et  de  cri- 
tiques. Parmi  les  différents  manus- 
crits qu'il  a  laissés  inédits,  on  re- 
marque une  Fie  des  impératrices 
romaines  ,  qu'il  s'était  proposé  de 
publier,  et  à  laquelle  il  avait  consa- 
cré beaucoup  de  soins  et  d'applica- 
tion. Verci ,  dont  la  vie  fut  très- 
agitée  avait  écrit  ses  Mémoires; 
mais  ils  n'ont  pas  paru.  Il  mou- 
rut en  novembre  1795  ,  à  Ro- 
vigo ,  où  il  était  allé  passer  l'au- 
tomne pour  se  délasser  de  ses  tra- 
vaux. 11  était  à  peine  âgé  de  cinquan- 
te-six ans.  Le  comte  Joseph  Perli  Re- 
mondini  paya  un  tribut  d'estime  pu- 
blique à  sa  mémoire,  et  composa 
son  inscription  tumulaire.  IM-g-r. 
VERCINGÉTORIX ,  célèbre  chef 
gaulois,  antagoniste  de  César  ,  était 
du  pays  des  Arvernes.  On  ignore 
comment  se  passèrent  ses  premières 
années.  Son  éducation  sans  doute 
fut  tonte  guerrière;  mais  avec  le  gé- 
nie militaire  ,  la  nature  avait  placé 
dans  son  ame  le  germe  des  talents 
politiques  et  des  hautes  vertus  civi- 
les. >a  position  sociale  dut  encore 
les  développer.  Celtille  ,  son  père , 
avait  long-temps  exercé  sur  les  répu- 
bliques de  la  Celtique  une  espèce  de 
dictature  bien  voisine  de  la  royauté, 
puis  avait  été  immolé  à  la  vengeance 
ou  aux  soupçons  de  ses  concitoyens, 
dans  le  moment  oîi  il  allait  usurper 
le  diadème  et  le  titre  de  roi.  Une  telle 
vie  et  une  telle  mort  fixaient  natu- 
rellement l'attention  sur  le  fils  ;  et  le 
Jeune  orphelin  avait  hérité  de  tout 
e  crédit  de  son  père.   De  plus ,  un 


VER 

grand  e've'neraent  mûrissait  sa  raison 
et  faisait  fermenter  en  secret  son 
courage.  C'était  le  temps  où  César 
entrait  dans  les  Gaules  ,  et  soumet- 
tait successivement  les  peuplades  iso- 
lées de  ces  vastes  régions.  Immobile  et 
muet  pendant  les  rapides  conquêtes 
du  héros  latin  ,  Vercingétorix,  qui 
sortait  de  l'adolescence  ,  se  contenta 
de  gémir  en  silence  sur  l'asservisse- 
ment de  sa  patrie.  Mais  à  peine  le 
vainqueur  se  fut-il  éloigné  de  sa  proie 
pour  se  rapprocher  de  l'Italie  et  de 
Rome  ,  qu'il  prit  les  armes ,  et  fit  re- 
tentir dans  les  Gaules  les  cris  de  li- 
berté. Les  Carnutes  s'étaient  déclarés 
les  premiers  ;  et  sous  la  conduite  de 
deux  chefs  intrépides  ,  Cotuate  et 
Cotunedun ,  ils  massacrent  les  Ro- 
mains dans  Genabum  (  Gien  ).  Mais 
peut-être  eussent-ils  en  vain  pris  l'i- 
nitiative sans  l'activité  et  l'adroite 
politique  de  Vercingétorix.  A  la  nou- 
velle du  soulèvement  des  Carnutes  , 
usant  avec  adresse  du  prestige  d'un 
nom  populaire  ,  le  jeune  fils  de  Cel- 
tille rallie  autour  de  lui  ses  amis ,  ses 
clients  et  un  grand  nombre  de  par- 
tisans de  l'indépendance.  En  vain 
Gobauition  ,  son  oncle,  et  quelques 
autres  des  principaux  de  la  républi- 
que ,  n'osant  tenter  les  chances  dou- 
teuses d'une  lutte  avec  César  ,  ou  hu- 
miliés de  ne  point  diriger  ce  grand 
mouvement,  lancent  contre  lui  un  dé- 
cret de  bannissement.  L'exilé  rassem- 
ble des  forces  nouvelles  ,  rentre  dans 
Gergovie ,  chasse  ses  ennemis  ,  et, 
proclamé  roi  par  l'enthousiasme  de 
la  multitude,  envoie  de  tous  cotés  des 
ambassadeurs  aux  cités  et  aux  peu- 
ples de  la  Gaule.  Presque  tous  re- 
çoivent avec  transport  ses  invita- 
tions ;  les  Senonais,  les  Parisii,  les 
Pictones  ,  les  Cadurces  ,  les  Turo- 
nes,  les  Aulerques,  les  Andégaves , 
les  Léiiiovices  et   les  Armoricains, 


VER 

se  rassemblent  sous  ses  drapeaux  , 
et  forment  une   confe'de'ration  dont 
il  est,  à  l'unanimité' ,  nommé  ge'ue- 
ralissime.     Aussi     prudent    qu'au- 
dacieux ,  le  jeune  chef  commence 
par  lier  de  nœuds  indissoluljles   à 
la  cause  commune  tous  les  peuples 
qui  ont  accepté  son  alliance  ,  en  se 
faisant  livrer,  à  titre  d'otages,  les 
citoyens  de  la  première  distinction; 
et  il  épouvante  les  autres  par  la  dé- 
vastation de    leur  territoire  et   les 
supplices   qu'il  fait  subir  aux  plus 
opiniâtres.  Il  partage  ensuite  sestrou- 
])es  en  deux  corps  ;  et  confiant  l'un  à 
Luctériiis  ,  guerrier  Lardi  et  entre- 
prenant ,  qui  marclie  aussitôt  contre 
les  Rutlieui  (habitants  duPiOuergue),  il 
s'avance,  à  la  tète  de  l'autre,  chez  les 
Bituriges  (habitants  du  Berry),  qui, 
à  l'exemple  des  Éduens  ,  leurs  alliés, 
refusent  de   prendre  parti  dans  la 
guerre  de  l'indépendance.  Ces  deux 
attaques  simultanées  réussissent  pres- 
que en  même  temps  ;  et  tandis  que 
le  généralissime,  parcourant  en  tout 
sens  les  campagnes  des  Bituriges,  qui 
appellent  vainement  les   Éduens   à 
leur  secours ,  les  force  à  combattre 
dans  ses  rangs  ,  le  lieutenant  déter- 
mine les  Rutheni  à  secouer  le  joug  , 
pénètre  chez   les  Nitiobriges  et  les 
Gabali  qui  lui  livrent  des  otages,  et 
menace  la  province  romaine.   Aux 
premières  nouvelles   de    l'insurrec- 
tion. César  était  parti  de  la  Cisal- 
pine. Il  arrive  à  Narbonne,  rassure  les 
habitants   et  la  garnison  ,  approvi- 
sionne la  ville  et  met  le  pays  à  l'a- 
bri d'un  coup  de  main.    Luctérius 
s'arrête,  hésite,  enfin  recule.  Tandis 
qu'il  fait  sa  retraite.  César,  à  la  tête 
des  troupes  qu'il  a  ramenées  d'Italie, 
vole  vers   le  nord -ouest,  franchit 
les  Cévennes,  et  tombant  au  milieu 
dos   Arvernes   étonnés,    porte    par- 
tout le  fer  et  le  feu.  Vercingétorix 


VER 


i65 


revient  alors  sur  ses  pas  ,  cédant  aux 
prières  de  ses  compatriotes.  César 
l'avait  prévu  ;   et  laissant  le  jeune 
Brutus  pour  faire  face  à  l'ennemi ,  il 
se  rend  en  toute  hâte  à  Vienne  ,  se 
met  à  la  tête  d'un  corps  nombreux 
de  cavalerie  ,  court  à  Langres  ,   où 
sont  encore  deux  légions,  réunit  che- 
min faisant  les  troupes  éparses  çà  et 
là  sur  la  route,  et  enfin  se  trouve  à  la 
tête  de  forces  considérables  avant  que 
l'ennemi  puisse  seulement  avoir  des 
nouvelles  de  son  dessein.  Au  reste, 
il   paraît  qu'il  ne  songeait  pour   le 
moment  qu'à  ressaisir  dans  les  Gau- 
les une  attitude  imposante  :  l'hiver 
n'était  pas  achevé  ,   et  il  eût  préfère' 
le  passer  en  paix ,  afin  de  prévenir 
la  défection  des  alliés ,  et  de  prépa- 
rer   les    approvisionnements.    Mais 
Vercingétorix  avait  deviné  son  pro- 
jet et  ses   craintes  :  décidé  à  égaler 
César  même  en  activité,  il  repassa 
chez  les  Bituriges,  laissant  aux  Ar- 
vernes un  corps  de  troupes  pour  sur- 
veiller les  mouvements  du  jeune  Bru- 
tus ,  et  mit  le  siège  devant  une  autre 
Gergovie,    qui     appartenait     alors 
aux  Boiens  ,    peuplade   helvétique 
vaincue  par  César  ,  et  ensuite  fraas- 
plantée ,  selon  les  règles  de  la  po- 
litique romaine  ,   dans  une  contrée 
étrangère  ,  sous  la  surveillance  d'al- 
liés étrangers.  César  fut  contraint  de 
quitter  ses  quartiers  d'hiver  ,  et  de 
courir  à  la   rencontre   de  l'ennemi. 
Résolu  de  sauver  les  Boiens  ,  et  espé- 
rait qu'à  force  de  célérité  il  échajv 
pera  aux  dangers  qu'il  redoute ,  il 
part.    La   scène   change.    En  deux 
jours  ,    Vellaunodunum     capitule  j 
Genabum  est  prise,  pillée ;,   réduite 
en  cendres;  Noviodunum  ouvre  ses 
portes  ;  les  aigles  romaines  menacent 
la  capitale  des  Bituriges.  Vercingéto- 
rix ouvrit  alors  le  seul  avis  qui  pût 
assurer  le  triomphe  des  Gaulois  et 


iC6  VER 

anéantir  rarinee  de  Cc'sar:  c'était  de 
tout  incendier  ,  de  tout  détruire.  Les 
Romains  savaient  la  guerre  ;  ils  pou- 
vaient bien  prendre  des  villes ,  gagner 
des  batailles  ;  mais  comment  créer 
des  vivres  ?  On  obtempéra  en  partie 
au  vœu  de  Vercingétorix  :  les  vflla- 
ges  f  les  fermes  étaient  livrés  aux 
flammes  •  vingt  villes  brûlèrent  en 
même  temps  ;  mais  les  habitants 
d'Avaricum  demandèrent  grâce  pour 
leur  ville  ,  l'ornement ,  le  sanctuaire 
et  le  boulevard  de  la  Gaule,  disaient- 
ils  ,  et  promirent  de  la  défendre.  Ver- 
cingétorix, après  avoir  long-temps 
refusé ,  y  consentit  à  regret.  Levant 
alors  le  siège  de  Gergovie,  il  suit  Cé- 
sar à  petites  iournées,  et,  campé  à 
seize  milles  d'Avaricum  et  des  tentes 
romaines  ,  il  ravage  le  pays ,  éclaire 
toutes  les  démarches  des  ennemis  , 
tend  des  embuscades  ;  et  paralysant 
ainsi  toute  l'activité  du  génie  de  Cé- 
sar ,  il  consume  son  armée  par  l'in- 
action et  la  famine.  Le  blé  manqua 
plusieurs  jours  dans  le  camp  ,  et 
César  parlait  déjà  de  lever  le  siège  ; 
mais  ses  vétérans  s'indignèrent  de 
sa  proposition,  et  malgré  des  obs- 
tacles de  tout  genre  ,  poussèrent  les 
travaux  avec  tant  d'activité ,  qxie  les 
assiégés  ,  incapables  de  tenir  plus 
long-temps  par  eux-mêmes  et  déses- 
pérant de  voir  Vercingétorix  risquer 
une  bataille  pour  les  dégager  ,  ré- 
solurent de  fuir  pendant  la  nuit. 
Malheureusement  les  Romains  esca- 
ladèrent les  murailles  mal  gardées, 
à  l'instant  où  ils  allaient  exécuter  ce 
dessein,  et  en  firent  un  carnage  épou- 
vantable. De  quarante  mille  qu'ils 
e'taient ,  huit  cents  seulement  échap- 
pèrent et  se  réfugièrent  sous  les  ten- 
tes de  Vercingétorix.  Loin  de  perdre 
courage  ou  de  fuir  les  regards  de  son 
armée,  au  récit  de  cette  horrible  ca- 
tastrophe ,  celui-ci  convoque  et  ses 


VER 

troupes  et  les  victimes  e'chappées  au 
massacre  ;  et  après  avoir  rabaissé 
le  facile  courage  des  Romains,  qui  ne 
doivent  leur  triomphe  qu'à  la  tacti- 
que ,  il  rappelle  qu'il  s'est  toujours 
opposé  à  ce  qu'on  sauvât ,  à  ce  qu'on 
défendît  Avaricum  •  il  décrit  les  res- 
sources qui  restent  encore  ;  il  jure 
que  dans  peu  la  Gaule  entière  sera 
pour  eux.  En  effet ,  tandis  que  César 
repose  ses  troupes  et  s'approvision- 
ne ,  son  rival  réunit  de  nouvelles 
forces,  et  fait  entrer  dans  la  confé- 
dération presque  tous  les  peuples  qui 
jusque-là  sont  restés  paisibles  spec- 
tateurs de  la  lutte.  Les  Eduens  mê- 
mes, ces  fidèles  alliés  des  Romains,  dé- 
libèrent. Cependant  César  s'enfonce 
dans  le  pays  des  Arvernes  et  s'avance 
vers  Gergovie,  décidé  à  se  battre  en 
chemin.  Mais  le  pont  de  l'Elavcr 
n'existe  plus  ,  et  l'armée  ennemie  se 
déploie  paisiblement  de  l'autre  côté 
du  fleuve.  Enfin  il  passe  et  arrive  sous 
les  murs  de  la  ville  qu'il  veut  pren- 
dre :  il  voit  alors,  au-dessus  de  sa  tête 
et  sur  la  crête  des  montagnes  qui 
dominent  le  plateau  environnant  , 
Vercingétorix  avec  ses  Gaulois  ;  sur 
chaque  pointe ,  à  chaque  angle,  dans 
chaque  gorge,  sont  postés  des  déta- 
chements •  à  chaque  instant  des  nuées 
de  flèches  contrarient  ses  opérations. 
Les  succès,  les  revers  se  balancent; 
mais  il  vient  d'être  battu ,  lorsqu'une 
révolution  qui  éclate  chez  lesÉduens 
augmente  le  trouble  dans  son  ar- 
mée et  le  contraint  à  la  retraite.  Les 
Éduens  sont  infidèles  :  Éporédorix, 
Litavicus  ,  Viridomare  se  sont  joints 
aux  rebelles  ;  Bibracte  est  entre  leurs 
mains  ,  et  reçoit  un  conseil  -  général 
de  h  confédération  gauloise  ;Novio- 
dunum,  où  sont  les  magasins  ,1e  tré- 
sor, est  prise  et  pillée  ;  les  rives  deila 
Loire  sont  bordées  d'ennemis  ;  il  ne 
s'agit  de  rien  moins  que  de  reléguerles 


VER 

Komaius  en-deçà  de  la  province  ro- 
maine ,  ou  de  les  détruire  totalement. 
Cc'sar,  alors,  par  un  prodip;e  de  har- 
diesse et  de  génie,  du  lieu  de  rebrous- 
ser vers  la  Cisalpine,  remonte  vers 
"les  contrées  septentrionales  de  la 
Gaule,  et  opère  sa  jonction  avec 
Labiénus  ,  un  de  ses  lieutenants,  qui 
se  soutenait  difficilement  chez  les 
Parisii  et  les  Bellovaques  ,  mais  (pii 
pourtant  venait  de  battre  complète- 
ment le  vieux  chef  andégave  Gamu- 
logène.  En  même  temps ,  il  fait  des 
levées  dans  les  Germaniques  ,  et  ré- 
pand adroitement  le  bruit  qu'il  fuit 
dans  ce  pays.  Vercingétorix ,  trompé 
par  de  fausses  apparences,  poursuit 
Ce'sar  à  grandes  journées  5  et  renon- 
çant au  système  qu'il  a  suivi  dans 
toute  la  guerre  il  engage  la  bataille 
sur  les  confins  de  la  Séquanaise  et 
des  JJngons.  Là  fut  prête,  parles 
cavaliers  gaulois,  ce  fameux  serment 
de  ne  point  rentrer  sous  leurs  toits  , 
de  ne  point  embrasser  leurs  femmes, 
leurs  pères  ,  leurs  enfants  ,  qu'ils 
n'eussent  deux  fois  traversé  à  cheval 
les  rangs  romains.  Tous  se  signalè- 
i-ent  en  effet  par  des  prodiges  de  va- 
leur ;  mais  la  tactique  des  Romains 
l'emporta.  Une  foule  de  Gaulois  res- 
ta sur  le  champ  de  bataille;  les  trois 
chefs  principaux  des  Eduens  tombè- 
rent entre  les  mains  de  César,  et 
Vercingétorix ,  à  la  tête  de  quatre- 
vingt  mille  hommes  et  de  quelque 
cavalerie  ,  s'enferma  dans  Alise  ,  ou 
pour  mieux  dire  à  rai-cote  de  la  mon- 
tagne où  était  située  Alise  ^  résolu  de 
se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extré- 
mité: mais  il  n'avait  d'approvision- 
nements que  pour  trente  jours;  et  ne 
voulant  plus  en  venir  à  une  bataille 
avec  des  forces  trop  inégales  ,  il  en- 
voya dans  toute  la  Gaule  les  cava- 
liers qui  l'avaient  suivi  pour  rassem- 
bler des  secours  et  le  dégager.  Peu- 


VER 


lO-j 


dant  ics  trente  et  quelques  jours  que 
ceux-ci  employèrent  à  remplir  leisr 
niission,  il  n'est  point  d'efforts  que 
ne  fissent  'es  assiégés  et  les  assiégeants. 
Tout  ce  que  le  courage  .  le  patriotis- 
me, l'amour  de  la  gloire  peuvent 
oser  et  souffrir  ,  fut  osé,  fut  souffert. 
César  enferma  dans  ses  bgnes  de  cir- 
convallation  une  armée  de  quatre- 
vingt  mille  hommes,- Vercingétorix 
harcela  et  troubla  chaque  jour  sou 
ennemi.  Enfin  ,deux  cent  mille  Gau- 
lois parurent  et  rendirent  l'espérance 
aux  assiégés;  ceux-ci  multiphèrent  de 
nouveau  leurs  efforts  ,  et  firent  trois 
sorties  générales  en  trois  jours,  tandis 
que  leurs  compatriotes  prenaient  en 
queue  l'armée  romaine.  Mais  César 
était  partout;  et  tels  furent  son  l)on- 
heur  et  son  habileté,que  non-seulement 
il  empêcha  les  deux  corps  ennemis 
de  se  joindre,  mais  encore  qu'il  rem- 
porta une  victoire  décisive ,  et  que 
ceux  des  auxiliaires  qui  ne  restèrent 
point  sur  la  place  ne  trouvèrent 
leur  salut  que  dans  unepromptcfuile. 
Le  lendemain  Alise  ouvrit  ses  portes, 
et  Vercingétorix ,  avec  les  autres 
chefs  gaulois  ,  fut  livré  à  César.  Il 
se  présenta  armé  de  pied  en  cap , 
montant  un  cheval  magnifique  et  ri- 
chement orne  ;  et  après  avoir  cara- 
colé autour  du  vainqueur  il  descen- 
dit, ôta  ses  armes  et  se  prosterna  à 
ses  pieds.  Si,  comme  l'avance  Dion, 
il  espérait  obtenir  5a  grâce,  il  se 
trompa.  César  le  fit  jeter  en  prison: 
après  avoir  langui  six  ans  dans  le 
silence  et  l'obscurité  des  cachots  ,  il 
orna  le  triomphe  de  son  vainqueur 
(  46  avant  3. -G.  )  ,  et  fut  étranglé. 
Ainsi  finit  l'épisode  le  plus  brillant 
de  la  guerre  des  Gaules  ;  ainsi  périt , 
à  la  fleur  de  son  âge  ,  le  plus  habile 
capitaine  qu'eut  eu  à  combattre  Cé- 
sar. Patriotisme  ,  génie  ,  courage  , 
sagesse  dans  le  conseil,  promptitude 


î68 


VER 


dans  l'exécution ,  constance  inflexi- 
ble dans  les  revers ,  ascendant  irre'- 
.sistible  sur  les  masses ,  Vercinge- 
torix  possédait  toutes  les  qualite's 
qui  font  le  héros.  S'il  n'eût  point  eu 
pour  adversaire  l'homme  le  plus 
étonnant  de  l'antiquité  ,  il  eût  sans 
doute  rendu  son  pays  à  l'indépen- 
dance. Avec  lui  s'évanouirent  tous 
les  grands  projets  des  Gaulois.  Cé- 
sar acheva  rapidement  la  ruine 
des  rebelles;  ses  lieutenants  étouffè- 
rent sans  peine  les  révoltes  partielles 
qui  suivirent;  et  ce  ne  fut  que  cent 
ti^ente  ans  après  que  Civilis  et  Tutor 
essayèrent  encore  en  vaiu  de  sous- 
traire les  Gaules  au  joug  des  Ro- 
mains (l).  P OT. 

VERDIER  (César),  né  à  Mo- 
rières  (i),  près  d'Avignon,  le  24 
juin  i685,  fit  ses  études  dans  sa  pa- 
trie, puis  se  rendit  à  Montpellier, 
pour  y  apprendre  la  chirurgie.  Après 
y  avoir  pris  les  leçons  de  Nissole  et 
de  La  Peyronie,  il  vint  à  Paris,  où 
il  eut  pour  maîtres  Duvcrney,  Ar- 
naud et  Petit.  Reçu  maître  en  chi- 
rurgie, en  1724,  Vcrdier  fut,  en 
i-j'^5 ,  nommé  démonstrateur  d'ana- 
tomie  aux  écoles  de  chirurgie.  Il  ex- 
cellait à  préparer  des  pièces  anato- 
miques,et  avait  une  volubilité  de  lan- 
gue extraordinaire.  Ses  leçons  étaient 
très-suivies;  et  souvent  il  donna  des 
secours  pécuniaires  à  ceux  de  ses  élè- 
ves qu'il  savait  être  dans  le  besoin. 
Après  vingt-cinq  ans  de  professorat, 
il  se  démit  de  sa  chaire  en  faveur  de 
J.-J.  Sue  (né  en  17 10,  mort  en 
1793),  oncle  de  P.  Sue  {Foyez  ce 


(1)  Bièvre  a  intitulé  une  de  ses  facéties  Vercin- 
geiilorixe  (  f.  BiÈVnE  ,  IV  ,  ,',r8  ).  Il  existe  une 
tragrdie  du  .V/ej;e<i'  llise  parTliomassin  de  Mont  ■ 
Bel  (^  F.  ce  nom  ,  XLV  ,  /j^p).  A.  B— T. 

(i)Le  Dict.  universel  écrit  Molières  ;  le  Dlcl. 
des  sciences  méiiicales  ,  Biographie ,  tome  Vil ,  dit 
MorVieres ,  j'ai  suivi'le  Dict.  de  In  Provence  -l  du 
Comtal  yciuisuH  {y.   C.-F.  AcaAKD,  I,  i33  ). 


VER 

nom ,  XLl  V ,  24 1  ) ,  et  mourut  quel- 
ques années  après,  le  19  mars  1759. 
On  a  de  lui  :  I.  Abrégé  d'anatomie 
du  corps  humain,  1725,  1729, 
1739,1752,1759,  1764,  1768, 
2  vol.  in-  12.  Cette  dernière  édition 
est  augmentée  et  corrigée  par  R.-B. 
Sabatier.  Les  éditions  nombreuses  de 
ce  livre ,  et  plus  encore  la  réimpres- 
sion donnée  par  Sabatier,  déposent 
de  son  utilité  et  de  son  mérite  pour  le 
temps.  Ce  n'est  toutefois  qu'un  ex- 
trait de  l'Anatomie  de  Winslow  {F. 
ce  nom  )  ;  et  il  est  presque  oublié  au- 
jourd'hui, malgré  le  jugement  favo- 
rable qu'en  porte  notre  collaborateur 
Chaiiraetou  ,  à  l'occasion  de  la  tra- 
duction allemande  par  Deiscli  (  /^ty . 
Deisch  ,  X,  660).  n.  Des  Notes  , 
dans  l'édition  de  Y  Abrégé  de  Vart 
des  accouchements,  par  M"*^,  Bour- 
geois, 1759,  in  -  12.  in.  Des  Mé- 
moires ,  dans  ceux  de  l'académie 
royale  de  chirurgie  ;  Obsen>ations 
sur  une  plaie  au  ventre  et  sur  une 
autre  à  la  gorge  ;  Recherches  sur 
les  hernies  de  la  vessie.  Morand  pen- 
se que  ce  dernier  morceau  passera 
long-temps  pour  un  chef-d'œuvre.  Le 
Dict.  historique  de  la  Provence  et 
du  Comtat  Venaissin  prétend  que 
l'on  attribue  à  Verdier  un  Traité  de 
la  phlébotomie ,  in-12,  revu  et  cor- 
rigé par  Martin.  Le  Traité  de  la 
phlébotomie  et  de  Vartériotomie , 
par  Martin  (qui  n'a  place  dans  au- 
cun des  Dictionnaires  historiques 
que  j'ai  consultés),  est  de  i74i'.  in- 
1 2  ;  et  je  n'ose  m'en  fier  ici  au  Dict. 
de  la  Provence,  etc.,  qui  fait  évidem- 
ment erreur ,  en  donnant  comme  une 
édition  de  V Abrégé  de  l'Anatomie 
de  Ferdier  le  Traité  complet  d'a- 
natomie,  par  R.-B.  Sabatier,  1775, 
2  vol.  in-8'^.  A.  B — T. 

VERDIER  (  Jean ) ,  né ,  en  i 7 35, 
à  la  Fcrté-Bernard  dans  le  Maine,  fut 


VER 

avocat,  médecin^  Instituteur.  11  avait 
c'té  médecin  du  roi  de  Pologne  Sta- 
nislas. Apres  la  mort  de  ce  prince  , 
il  vint  à  Paris,  et  vers  1770  y  fon- 
da, dans  le  voisinage  du  jardin  du 
roi ,  un  établissement  ortliopédique. 
11  y  joignit  une  maison  d'éducation. 
Le  nombre  de  ses  écoliers  augmen- 
tant beaucoup  ,  il  abandonna  sa  mai- 
son pour  le  redressement  des  diflor- 
mités;  mais  la  gymnastique  faisait 
partie  de  l'enseignement  qu'on  rece- 
vait chez  lui.  Yerdier  était  tiès-aimé 
de  tous  ses  élèves;  et  ses  alFaires  pros- 
péraient, lorsque  vers  1^85  la  mai- 
son qu'il   occupait  ,   faisant  partie 
d'un  terrain  acquis  pour  l'agrandis- 
sement du  jardm  du  roi ,  l'établisse- 
ment particulier  fut  détruit.  La  ré- 
voluliou,  qui  arriva  quelques  années 
après,  acheva  sa  rume.  Pendant  la 
détention  de  Louis  XVI ,  Verdier  fut 
quelque  temps  chargé  de  lui  donner 
des  soins.  On  l'envoya  ,  eu  1794?  * 
Compiègne ,  à  l'occasion  d'une  épi- 
demie  qui  y  régnait,  et  qu'il  lit  ces- 
ser. Loi's  de  la  création  de  l'école 
normale,  où  professaient  Voiney  ,  B. 
de  Saint-Pierre ,  Laharpe,  Lagrange, 
etc. ,  Verdier  fut  nommé  élève  par  le 
district  du  lieu  de  sa  naissance.  A  l'é- 
tablissement de  l'académiede  législa- 
tion, il  y  professa  la  médecine  légale. 
11  est  mort  à  Paris,  le  ()  juin  1 820.  On 
a  de  lui  :  1.  Essai  sur  la  jurispruden- 
ce de  la  médecine  en  France,  1763, 
ia- 1  '1.  \\ .  Jurisprudence  générale  de 
la  médecine  en  France,  1768,  2 
vol.    in-i2.    III.  La  Jurisprudence 
particulière  delà  chirurgie  en  Fran- 
ce,  1 764 ,  2  vol.  in-i  2.  IV.  Recueil 
de  Mémoires  et  d' Observations  sur 
la  perfectibilité  de  l'homme  par  les 
agents  physiques  ou  moraux,  177'^^, 
in-i  2.  V.  Recueil  deuxième ,  conte- 
nantunnouveau  tableau  d'éducation 
phjsique,  1774^  i"  -  i'-^-  VI.  Cours 


VER 


169 


d'éducation  à  Vusage   des   élèveS 
destinés  aux  premières  professions 
et  aux  grands  emplois  de  l'état , 
1777  ,  in-  12.  VII.  Mémoire  à  con- 
sulter sur  les  fonctions  et  les  droits 
respectifs  des  trois  classes  des  ins- 
titutions établies  en  France  pour  les 
trois  ordres  de  l'état,  1779,  "V^^î 
écrit  à  l'occasion  du  procès  qui  lui 
fut  intenté  pour  l'ouvrage  précédent, 
et  qu'il  gagna.  VIII.  Calendrier  d'é- 
ducation et  d'économie  ,  faisant 
partie  du  cours  d'éducation,  l'jbS, 
in-i2.  IX.   (Avec,  son  ûh  ,  Foj-. 
Verdier-Heurtin  ci-après  )  Jour- 
nal de  médecine  populaire  ,   d'é- 
ducation et    d'économie  ,   in  -  8". 
Le   premier  cahier  est  de  germinal 
an  vu.  Il  n'en  a   paru    que  huit. 
X.   Tableaux  analytiques  et  criti- 
ques de  la  vaccine  et  de  la  vaccina- 
tion, 1801 ,  in  -  8".  L'auteur  n'est 
point  partisan  de   la   vaccine.    XI. 
Tableau  analytique   de  la  gram- 
maire générale  appliquée  aux  lan- 
gues savantes,  i8o3,  in  -  12.  XIT. 
L'Jrt  d'étudier  et  d'enseigner  les 
langues  française  et  latine  ,  sépa- 
rément et  conjointement.  iFo4,  in- 
12.  XIII.  La  Cranomanie  du  doc- 
teur Gall  anéantie  au  moyen  de 
l'anatomieet  de  la  psychologie  de 
l'ame,  1808.  XIV.  Calendrier  des 
amateurs  de  la  vie  et  de  l'humani- 
té,  on  J  vis  sur  l'asphyxiatrique ,  la 
médecine  des  asphyxiés  ou  trépas- 
sés,  1 8 1 6 ,  in  -  1 2.  XV .  Plan  d'os- 
thautropie ,  nouvel  art  de  traiter 
les  difformités  organiques  par  des 
exercices  appropriés  et  de  nouvelles 
machines    élastiques    et    mobiles^ 
XVI.  Introduction  à  la  connaissan- 
ce des  plantes  ,  à  la  tête  de  plusirurs 
éditions  du  Bon  Jardinier.  XVII.Z?/^' 
cours   sur  l'éducation    nationale, 
physique  et  morale  des  deux  sexes, 
17927  in-S*^.  XVIII.  Système  de  la 


170 


VER 


langue  latine  ,  pour  en  rétablir  l'u- 
sage particulier  par  la  double  tra- 
duction ,  in -12.  XIX.  IjArt  de 
discourir   grammaticalement ,   ou 
Grammaire  générale  du  discours 
purement  grammatical,  in-i  2.  XX. 
Recueils  des  mots  variables  fran- 
çais et  latins ,  in-  12.  XXI.  UArt 
poétique  d'Horace  corrigé  en  cent 
vingt  endroits  du  texte,  avec  une 
nouvelle  traduction,  des  analyses , 
etc.,  t8o4,  in-  12.  XXII.  Poème 
séculaire  d'Horace,  augmenté  d'u- 
ne strophe ,  corrigé  d'après  le  tex- 
te, traduit  en  français  et  comparé 
avec  le  sublime  Cantique  de  Moïse 
sur  le  passage  de  la  mer  Rouge. 
Dans  les  dernières  années  de  sa  vie , 
Verdier  s'était  beaucoup  occupé  de 
la  chronologie  sacrée ,  et  il  avait  dé- 
couvert ,  dit-on ,  «  une  foule  d'er- 
»  reurs  dans  la  traduction  du  livre 
»  sacré,  et  l'existence  de  deux  per- 
»  sonna ges  du  nom  d'Adam  ,  à  deux 
»  époques   différentes.  »  Il   avait  , 
vers    1764,   réuni    des   matériaux 
pour  la  Jurisprudence  particulière 
de  la  médecine  et  de  la  pharmacie  ; 
mais  l'autorité  s'opposa  à  la  publi- 
cation de  ces  ouvrages.     A.  B— t. 
VERDIER -DUCLOS  (  Thomas- 
Denis  ),  frère  de  Jean  Verdier,  et 
oncle  de  Verdier-Heurtin  ,  était  né  à 
la  Ferté- Bernard,  le  3o  septembre 
1 744-  Il  se  livra  aussi  à  l'art  de  gué- 
rir, et  après   avoir  servi ,   comme 
cbirurgien,  dans  les  armées  enCorse  , 
vint  exercer  la  médecine  et  la  chi- 
rurgie dans  sa  patrie,  où  il  fut  méde- 
cin de  l'Hô tel-Dieu,  depuis    1788 
jusqu'à  sa  mort.  Il  remplit  d'autres 
fonctions  publiques  ;  et  il  était ,  en 
1 787  ,  maire  de  sa  ville  natale.  Il 
fut  successivement,  de  1 790  à  î 799, 
juge  de  pais,  juge  au  tribunal  civil 
du  district,  juge  au  tribunal  crimi- 
nel   de   la    Sarthe  ;   directeur  de 


VER 

jury  et  président  de  canton.  Depuis 
1800,  il  renonça  à  ces  places,  et 
s'en  tint  à  son  état.  Il  est  mort  le 
9  février  i8i3.  On  a  de  lui  :  I. 
Rreviarium  medici  clinici.  IL  His- 
toire d'une  sjmphj séotomie  pra- 
tiquée avec  succès  pour  la  mère  et 
pour  r enfant, i']H'],m-S°.  Il  a  laissé 
une  foule  de  Mémoires  sur  des  ob- 
jets d'administration  publique,  dont 
les  uns  ont  été  communiqués  au  co- 
mité de  santé  de  l'assemblée  consti- 
tuante, les  autres  à  l'administration 
départementale.  C'était  lui  qui  avait^ 
en  1789,  rédigé  le  cahier  des  de- 
mandes de  son  bailliage  pour  les 
Etats-Généraux;  et  ses  idées  approu- 
vées par  ses  concitoyens  se  trouvent 
aujourd'hui  consacrées  par  le  droit 
public  français.  A.  B — t. 

VERDIER-HEURTIN  (  Jean- 
François  ) ,  fils  de  Jean  Verdier , 
naquit  à  Paris  le  i4  septembre 
1767.  Après  avoir  servi  en  qualité  ' 
de  chirurgien  dans  les  armées  de  la 
république ,  il  revint  exercer  la  mé- 
decine à  Paris ,  se  fit  recevoir  doc- 
teur en  1 8o4 ,  fut  nommé  médecin 
de  l'un  des  arrondissements  de  celte 
ville  ,  destitué  et  replacé  dans  un  au- 
tre arrondissement.  Il  est  mort  le  24 
mai  1823.  On  a  de  lui  :  I.  Dis- 
cours sur  un  nouvel  art  de  déve- 
lopper la  belle  nature,  et  de  guérir 
les  difformités  au  moyen  d'exerci- 
ces aidés  par  les  machines  mobiles 
de  M.  Tiphaine ,  1784,  in-8°.  II. 
Des  Articles  de  jurisprudence  de  la 
médecine  dans  le  Dictionnaire  de 
médecine  de  l'Encyclopédie  mé- 
thodique, III.  (  Avec  son  père  )  le 
Journal  de  médecine  populaire  , 
etc.  (  F",  ci-dessus  le  n'>  ix  de  l'art. 
J.  Verdier  ).  IV.  Discours  sur  le 
devoir  et  le  besoin  d'aimer ,  1800  , 
in- 12.  V.  Discours  et  essai  aphoris- 
tique  sur  l'allaitement  et  l'éduca- 


VER 

tion  physique  des  enfants ,  et  dis- 
sertation sur  un  fœtus  trouvé  dans 
le  corps  d'un  erfant  mdle ,  1 8o4 , 
in-8o. ,  ouvrage  qui  a  ete  quelquefois 
attribue'  par  erreur  à  son  père.  VI. 
Mémoire  et  réclamation  présentés 
à  M.  Frochot ,  préfet  de  la  Seine  , 
i8o5,in-4''v  ^  l'occasion  de  sa  des- 
titution. Il  obtint,  comme  on  l'a 
dit,  sa  réintégration.       A.  B — t. 

VERDIER  (  SusANNE  Allut 
Dame)  naquit  à  Montpellier  le  19 
janvier  \']l\^.  Son  père  la  conduisit 
à  Paris  à  l'âge  de  douze  ans,  et  lui 
lit  faire  les  mêmes  études  qu'à  son 
frère.  Elle  ne  s'y  distingua  pas  moins 
que  lui,  et  en  rapporta  la  connais- 
sance des  langues  anciennes  et  de  la 
plupart  des  langues  modernes ,  un 
goût  pour  la  littérature,  puisé  dans 
la  lectiu-e  des  ouvrages  classiques  de 
tous  les  âges  et  de  tous  les  pays ,  et  un 
talent  remarquable  pour  la  peinture 
et  pour  la  musique.  Les  fruits  de  ces 
germes ,  développés  ensuite  par  une 
culture  assidue  7  ont  été  recueillis  par 
ses  enfants,  dans  l'ijistruction  à -la- 
fois  solide  et  variée ,  que ,  sans  dis- 
tinction de  sexe ,  elle  voulut  leur  don- 
ner elle-même.  Entraînée  par  un  pen- 
chant inné  pour  la  poésie,  la  jeune 
Allut  bégaya  secrètement  des  vei-s  dès 
l'âge  de  dix  ans  ;  mais  elle  ne  hasar- 
da la  confidence ,  même  à  son  père  , 
des  fruits  de  sa  verve  enfantine ,  que 
deux  ans  plus  tard,  lorsque,  péné- 
trée d'horreur  de  l'attentat  contre  la 
vie  de  Louis  XV ,  elle  exprima  ses 
sentiments  dans  une  petite  Elégie. 
Son  mariage  avec  un  riche  négociant 
d'Uzès  fixa  sa  résidence  dans  cette 
■ville.  Racine  l'avait  habitée  dans  sa 
jeunesse.  On  serait  tenté  de  croire 
qu'elle  l'avait  pris  pour  modèle  , 
quand  on  lit  les  ouvrages  qu'elle  a 
composés  dans  les  mêmes  lieux.  On  y 
retrouve  quelque  chose  de  l'h^armonie, 


VER 


t7r 


de  l'élégance  et  de  la  profonde  sensi- 
bilité du  premier  de  nos  poètes.  Tous 
ces  genres  de  mérite  brillent  surtout 
dans  l'Idylle  de  la  Fontaine  de  Vau- 
cluse ,  placée  par  Laharpe  au  rang 
des  plus  beaux  morceaux  de  la  poé- 
sie française,  et  qui  lui  a  fait  dire  : 

Et  Vcrdier,  dans  l'idylle,  n  vaiucu  DesLoulicies. 

Les  mêmes  caractères  sont  empreints 
dans  celles  des  compositions  de  M'"'^. 
Verdier  qui  se  rapportent  aux  événe- 
ments de  sa  vie  ,  et  reçoivent  un 
charme  tout  particulier  de  l'expres- 
sion des  sentiments  réels  dont  elle 
était  profondément  pénétrée  :  telles 
sont  ses  touchantes  Épîtres  sur  la 
naissance  de  son  premier  enfant  j  sur 
la  vie  religieuse,  embrassée  par  nue 
de  ses  amies  j  sur  la  mort  de  son  ma- 
ri ,  qui  lui  fut  enlcA'é  à  la  fleur  de  l'â- 
ge j  sur  la  mort  de  sa  fille  j  sur  celle 
de  son  frère ,  égorgé  par  le  tribunal 
révolutionnaire  ;  sur  les  malheurs 
de  la  France  pendant  le  règne  de 
la  terreur,  etc.,  etc.  Quelques-unes 
de  ces  pièces  ont  été  imprimées 
dans  les  Almanachs  des  Muses  de 
1775,  1777,  1785,  1786,  1787. 
On  trouve  dans  la  Notice  des  tra- 
vaux de  l'académie  du  Gard,  pour 
1 807  et  1 8 1 0 ,  des  fragments  étendus 
des  Géorgiques  languedociennes , 
poème  en  quatre  chants,  le  plus  con- 
sidérable et  le  dernier  des  ouvrages 
deM»^<=.  Verdier.  Elle  l'eût  sans  dou- 
te perfectionné  si  elle  avait  eu  le 
temps  d'y  mettre  la  dernière  main  ; 
mais  quoique  cette  production  laisse 
beaucoup  à  désirer  ,  sous  le  rapport 
de  l'invention  ,  de  l'ordonnance,  du 
rhythme ,  du  choix  et  de  la  propor- 
tion des  épisodes ,  riche  comme  elle 
l'est  en  descriptions  de  pratiques 
agricoles  particulières  aux  contrées 
méridionales ,  remarquable  par  le 
mérite  de  la  difficulté  vaincue  heu- 


17a  VER 

reusement  dans  la  peinture  des  ob- 
jets les  plus  rebelles  à  la  jioesie  , 
elle  sera  toujours  pour  l'auteur  un 
beau  titre  de  gloire.  La  famille  de 
]\jme^  Verdier  possède  le  Recueil 
complet  de  ses  OEuvies,  colleclion 
précieuse,  qui,  si  elle  était  publiée, 
placerait  l'auteur  au  premier  rang 
des  femmes  célèbres  par  leur  talent 
poétique ,  auisi  que  le  fait  pressentir 
le  petit  nombre  de  morceaux  échap- 
pés de  ce  porte-feuille.  «  Nous  som- 
»  mes  une  foule  de  musettes ,  disait 
»  Mni^  Viot  à  M"".  Dufresnoyj 
»  M™^.  Verdier  seule  estime  muse.» 
Couronnée  trois  fois  aux  jeux  flo- 
raux ,  avant  la  destruction  de  cette 
académie,  elle  eu  fut  nommée  maî- 
tre à  sa  restauration.  M^ie.  Verdier 
appartint  aussi  à  celle  des  Arcades 
de  Rome  et  du  Gard,  et  à  l'athénée 
de  \aucluse.  Cette  femme,  douée  de 
tant  de  goût  pour  les  arts  et  de  si  ra- 
res talents,  était  du  caractère  le  plus 
simple  et  le  plus  modeste.  Jamais  , 
dans  le  monde  ,  elle  ne  fît  parade  de 
ses  avantages  ;  et  loin  d'y  abuser  de 
sa  supériorité,  elle  ne  semblait  occu- 
pée que  du  soin  de  la  cacher.  Rien  ne 
la  distinguait ,  dans  la  société  de  sa 
petite  ville,  de  la  femme  la  plus  vul- 
gaire ,  si  ce  n'est  la  correction  de  son 
langage.  D'ailleurs,  avant  tout,  fem- 
me d'ordre  et  bonne  mère  de  famille, 
elle  ne  craignait  pas  les  entretiens  sur 
les  soins  domestiques  et  sur  les  en- 
fants. C'est  dans  la  lecture  de  ses 
ouvrages  qu'on  sent  la  vérité  du  mot 
de  M''"e.  de  Bourdic  :  M""  .  Fer- 
dier  na  de  froid  que  Vépider- 
me.  Son  ame  s'échauffait  aussi  à  l'as- 
pect du  malheur;  et  sa  vie  fut  plei- 
ne d'actes  de  bienfaisance  ,  de  dé- 
vouement et  de  vertu,  lille  mourut  à 
Uzès ,  le  27  février  i8i3.  V.  S.  L. 
VERDIZZOTI  (Jean-Marie), 
poète    et   liltérateur,    était  né  vers 


VER 

i53o,  à  Venise,  d'une  famille  pa- 
tricienne. Il  fit ,  dans  sa  jeunesse ,  de 
l'art  du  dessin  ,  sou  principal  amu- 
sement; mais  quoique  ses  essais  an- 
nonçassent   des    dispositions     très- 
rcraarquables  ,   il  n'aspira  point  à 
prendre  rang  parmi  les  peintres  dont 
les    talents   répandaient  alors   tant 
d'éclat  sur  l'école  vénitienne.  Plus 
tard  il  devint  l'ami  du  Titien  ,  et  re- 
çut des  leçons  de  ce  grand  maître  , 
auquel  il  servaitde  secrétaire  pour  sa 
correspondance  avec  les  souverains 
qui  se  disjnilaieut  l'avantage  de  pos- 
séder quelques-uns  de  ses  ouvrages. 
Ayant  embrassé  l'état  ecclésiastique, 
\'erdizzoti  fut  pourvu  d'un  bénéfice 
dans  le  Trévisan.   Les  lettres  et  les 
arts   occujièrent  tour-à-tour  ses  loi- 
sirs. Il  peignit  un  gi'and  nombre  de 
tableaux,  de  petite  dimension  ,  re- 
présentant des  paysages  dans  lesquels 
il  introduisit  des  figures  d'hommes  et 
d'animaux,  touchées  avec esprit,et  qui 
rappellent  la  manière  de  son  maître. 
Verdizzoti  mourut  vers  1607  ,  dans 
un  âge  fort  avancé.  Comme  littéra- 
teur on  a  de  lui  plusieurs  opuscules, 
dont  J.  Stringa  ,  chanoine  de  Saint- 
Marc  ,  a  donné  les  titres  dans  ses 
additions  à  la  Fenezia  descrilta  de 
Sansovino  (  F.  ce  nom  ).   Quoique 
fort  longue,  cette  liste  est  incomplète, 
parce  que  l'auteur  a  publié  depuis  de 
nouveaux  opuscules.  Outre  quelques 
petits  poèmes  latins,  un,  entre  autres, 
sur  la  mort  du  Titien  ;   les  Ar§u- 
ments  de  l' Orlando   Furioso  dans 
l'édition  de  Venise,  iStiG,  in-4''. ,  et 
l'édition  des  Rime  de  Jérôme  Mo- 
lino ,  précédées  de  la  Fie  de  l'auteur, 
ibid. ,  1573,  in-8''.,  on  citera  de  Vei- 
dizzoti  :  I.  La  traduction  in  ottai>a 
rima  du  second  livre  de  V Enéide  , 
Venise,  i56o,  in-80.  W.Centofa- 
vole  morali  de'  più  illustri  antichi 
e  nioderni  autori  greci  e   latim  , 


VER 

scelte  e  trattate  in  varie  manière 
diversivolgari ,  etc. ,  Venise ,  1570, 
in-4'^  Chaque  fable  est  oruée  d'une 
jolie  estampe  en  bois  ,  gravée  par 
l'auteur  ,  d'après  ses  propres  des- 
sins. Cette  édition  rare  et  recherchée 
des  curieux  a  été  reproduite  ,  en 
1075,  avec  un  nouveau  frontispice. 
Parmi  les  autres  éditions  de  ce  re- 
cueil ,  les  amateurs  font  encore  quel- 
que cas  de  celle  de  Venise,  \^']'] 
ou  iSgS,  in-4".  III.  Les  Vies  des 
Saints  Pères  avec  le  Pré  spirituel , 
traduites  en  italien,  Venise,  1576  , 
in-4''. ,  souvent  réimprimées.  L'édi- 
tion de  iSBq  est  ornée  de  ligures. 
Verdizzoti  n'a  fait  que  revoir  et  re- 
toucher une  ancienne  traduction  de 
cet  ouvrage.  IV.  Genius^  Veuise, 
167 5  ,  in-4*'.  Ce  poème,  dont  le  sujet 
est  l'enthousiasme  poétique  ,  est  dé- 
dié à  Cl. -Corn.  Frangipane.  V.  Il 
Boemondo  ovvero  deW  yicquisto 
d' Antiochia,poema  eroico  ,  ibid.  , 
1607  ,  in-4*^-  Ce  volume  ne  contient 
que  le  premier  livre,  W  —s. 

VEPvE  (  Le  chevalier  François  ) , 
général  anglais,  petit-  fils  de  Jean 
Verc,  comte  d'Oxford,  naquit  en 
1554.  Destiné  à  la  profession  des 
armes ,  il  servit  d'abord  dans  le 
corps  de  troupes  anglaises  qu'Elisa- 
beth envoya  au  secours  des  Etats- 
Généraux  ,  sous  le  comte  Leicester. 
La  biavoure  que  Vere  montra  ,  en 
i588,  au  siège  de  Berg-op-Zoom  , 
attaqué  par  le  prince  de  Parme  ,  lui 
valut  le  titre  de  chevalier  ,  qui  lui 
fut  conféré  par  lord  Willoughby  , 
successeur  de  Leicester.  L'année  sui- 
vante, d'après  la  demande  des  États- 
Géiiéraux  ,  il  vola  au  secours  de  la 
ville  de  Bergh  vivement  pressée  par 
l'ennemi  ,  et  parvint  à  y  introduire 
les  provisions  dont  elle  manquait.  La 
même  année,  il  tenta  avec  le  même 
succès   une   entreprise    semblable  , 


VER  173 

quoiqu'il  n'eût  qu'un  petit  nom- 
bre de  soldats.  Après  avoir  encore 
secouru,  en  iSgo,  le  château  de 
Lickenhooven  et  repris  la  ville  de 
Butrick  dans  la  principauté  de  Clè- 
ves  ,  il  s'empara  de  Zutphen  par  uq 
stratagème  dont  il  raconte  lui-même 
les  détails  dans  les  Mémoires  qu'il  a 
laissés.  Vere  assista  ensuite ,  avec  le 
comte  Maurice,  au  siège  de  Devcnter, 
et  contribua  à  la  défaite  du  duc  de 
Parme  devant  le  foi't  de  Knodsen- 
burgh,  situé  près  de  Nimègi'.e.  Hu- 
me rapporte  qu'en  i5g6,  Elisabeth 
confia  à  sir  François  Vere  le  com- 
mandement de  la  place  importan- 
te de  Flessingue  ,  le  préférant  à 
Essex  qui  avait  demandé  cet  em- 
ploi pour  lui-même.  Il  quitta  bien- 
tôt les  Pays-Bas,  et  fut  employé 
dans  une  expédition  contre  Cadix. 
De  retour  en  Hollande  ,  en  1597, 
il  se  distingua  à  la  bataille  de  Turn- 
holt  ,  à  la  tête  des  Anglais  auxi- 
liaires qu'il  commandait  avec  sir 
Robert  Sidney  ,  et  contribua  puis- 
samment à  la  victoire.  Il  fut  nommé, 
peu  après  ,  gouverneur  de  Biill  , 
l'une  des  places  qui  restaient  en  dé- 
pôt entre  les  maius  des  Anglais,  et 
conserva  en  même  temps  le  com- 
mandement des  troupes  auxiliaires 
au  service  des  États.  En  iSqq,  Phi- 
lippe II  ayant  menacé  l'Angleterre 
d'une  nouvelle  invasion ,  Vere  reçut 
l'ordre  de  se  rendre  à  Londres  ,  et  il 
y  demeura  jusqu'à  ce  que  les  craintes 
qu'avaient  fait  naître  les  prépara- 
tifs de  l'Espagne  fussent  dissipées. 
Au  commencement  de  l'année  iGoo, 
il  eut  des  discussions  avec  les  Etats- 
Généraux  qui  avaient  ,  en  son  ab- 
sence, diminué  le  nombre  des  hom- 
mes dont  les  compagnies  auxiliai- 
res étaient  composées  :  il  continua 
néanmoins  de  les  commander.  11  se 
trouvait    devant  Nicuport  ,  lorsque 


î7'j 


VER 


l'arcLidiiC  Albert  ,  gênerai  en  clief 
des  troupes  espagnoles ,  entreprit 
d'en  faire  lever  le  siège.  Ce  prince 
avait  de]  à  taille' eu  pièces  un  corps  de 
huit  cents  Écossais  ,  charge  de  lui 
intercepter  les  passages  ,  et  une  ba- 
taille paraissait  inévitable  :  elle  fut 
re'solue  à  la  suite  d'un  conseil  de 
guerre  dans  lequel  Vere  proposa 
d'attendre  l'ennemi  sur  le  terrain  où 
l'on  était.  L'influence  qu'il  exer- 
çait sur  le  prince  Maurice  ,  comman- 
dant en  chef  l'armée  des  États  ,  fît 
adopter  son  avis  ,  et  après  un  com- 
bat sanglant  où  il  fut  blessé  à  la 
cuisse  ,  les  Espagnols  furent  complè- 
tement défaits.  Placé  à  la  tête  des 
troupes  des  États,  qui  se  trouvaient 
aux  environs'  d'Ostende  ,  Yere  s'en- 
ferma dans  celte  place  ^  le  ii  juillet 
1601 ,  et  résolut  de  la  défendre  jus- 
qu'à la  dernière  extrémité ,  quoiqu'il 
n'eût  que  dix -sept  cents  hommes  ,  et 
que  lesEspagnolsfussentplns  de  dou- 
ze mille.  Pendant  le  siège  ,  il  fut  ren- 
forcé par  douze  compagnies  anglai- 
ses ,  et  creusa  un  nouveau  port  qui 
lui  fut  très-utile.  Le  \!\  août  ,  il  fut 
blessé  à  la  tête  ,  et  obligé  de  se  reti- 
rer en  Zélande  ,  où  il  resta  jusqu'au 
19  septembre.  Il  vit  à  son  retour 
à  Ostende  que  la  garnison  avait 
reçu  un  nouveau  renfort  de  troupes 
anglaises.  La  nuit  du  4  décembre , 
les  Espagnols  donnèrent  un  assaut 
terrible  et  si  imprévu  ,  que  Vere  ac- 
courut aux  tranchées  sans  avoir 
eu  le  temps  de  se  vêtir  j  il  repous- 
sa l'ennemi ,  après  lui  avoir  tué 
cinq  cents  hommes.  Les  assiégés 
étaient ,  à  cette  époque,  dans  la  plus 
grande  détresse  :  Vere  ,  sachant  que 
les  Espagnols  se  px'éparaient  à  don- 
ner un  nouvel  assaut ,  feignit,  pour 
gagner  du  temps  ,  de  vouloir  entrer 
en  négociation  ;  mais  ayant  reçu  des 
renforts  dans  l'interA^alle ,  et  l'assu- 


VER 

rance  de  nouveaux  secours ,  il  rom- 
pit brusquement.   L'archiduc  ,  fu- 
rieux,  menaça  de    passer  toute  la 
garxiison  au  fil  de  l'épée,  et  livra  un 
nouvel  asScHit  ,  le  7  janvier  1602  ; 
mais  Vere  le  repoussa  complètement. 
L'ennemi   avait  tiré  ,   ce   jour-là  , 
deux  mille  deux  cents  coups  de  ca- 
non ,    et  cent  soixante  -  trois   mille 
deux    cents    depuis    le    commence- 
ment du  siège  ;  aussi  restait  -  il  à 
peine  quelques  maisons  sur  pied  dans 
toute  la  ville  qui  n'offrait  qu'im  amas 
de  ruiues.  Après  une  résistance  de 
huit  mois  ,  Vere ,  comblé  de  gloi- 
re ,    remit    le    commandement    à 
Frédéric  Dorp  ou  Van  Dorp  ,  que 
les  États-Généraux  avaient  nommé 
pour  lui  succéder  ,  et  il  retourna    en 
Hollande.  Il  se  rendit  ensuite  en  An- 
gleterre pour  obtenir  de  nouveaux 
secours  ,  et  il  venait  de  les  conduire 
lui-même  dans  les  Pays-Bas  ,  lors- 
qu'il apprit  la  mort  d'Elisabeth.  Il 
proclama   Jacques   I'^'".  son  succes- 
seur,, dans  la  place  de  Brill ,  et  revint 
en  Angleterre  ,  où  le  nouveau  roi  le 
confirma  dans  son  gouvernement.  La 
paix  ayant  été  coi?clue  en  1 6o4  5  Vere 
rentra  dans  la  vie  privée  ;  et  il  mou- 
rut le  28  aoîit  1G08.  Elisabeth  fai- 
sait le   plus   grand  cas  des  talents 
et  de  la  bravoure  de  Vere,  qu'elle 
considérait  comme  le  meilleur  géné- 
ral de  son  temps.  Il  s'occupait  aussi 
de  littérature ,  et  il  a  laissé  des  Mé- 
moires ou  Commentaires  sur  les  ac- 
tions auxquelles  il  avait  pris  part  j 
ils   ont  été   publiés   en   1657,   par 
Guillaume  Dillingham ,  Cambridge  , 
in-fol. ,  avec  les  portraits  de  sir  Fran- 
çois Vere,  de  son  frère  Horace,  dont 
l'article  suit,  de  Jean  Ogle,  des  car- 
tes et  plans  ,  etc. ,  et  des  additions 
de  Jean  Ogle ,  de  Henri  Hexham  , 
d'Isaac    Dorislaus    et   de   l'éditeur. 
D— z— s. 


VER 

VERE  (Le  clievalier  Horace), 
frère  cadet  du  procèdent ,  né  en  1 5G5 
à  Kirby-Hall ,  dans  le  comte  d'Essex , 
se  distingua  aussi  dans  la  carrière 
des  armes.  A  l'âge  de  vingt  ans  ,  il 
accompagna  son  frère  dans  les  Pays- 
Bas  ,  où  il  comballit  avec  valeur.  Il 
se  trouvait,  en  1600^  à  la  La  taille 
de  Nieuport ,  où  les  Anglais  et  les 
Hollandais  furent  vainqueurs ,  et  il 
seconda  sir  François  Vere  dans  les 
ope'rations  du  siège  d'Oslende.  H 
commanda  ensuite  les  tronpes  auxi- 
liaires envoyées  par  Jacques  I^'".  a» 
secours  de  l'électeur  palatin.  Vive- 
ment pressé  par  le  célèbre  Spmola  ^ 
il  fit  une  retraite  savante  ,  et  s'em- 
para de  Sluys.  En  récompense  de 
ses  services ,  à  l'avènement  de  Char- 
les I"^r^  ^  sir  Horace  Vere  fut  élevé 
à  la  pairie  ,  sous  le  titi'e  de  baron 
de  Tilbury ,  et  mourut  le  2  mai  1 635. 
H  avait  épousé  la  veuve  de  Jean 
Hoby ,  et  ce  fut  aux  soins  de  cette 
dame ,  aussi  distinguée  par  son  mé- 
rite que  par  sa  piété,  que  le  parle- 
ment confia  la  garde  des  plus  jeunes 
enfants  de  Charles  h^.  Clarke  en  fait 
un  grand  éloge  dans  ses  Vies  publiées 
en  1684.  Sir  Horace  Vere  était  si 
estimé ,  qu'on  publia  ,  après  sa  mort, 
un  Recueil  de  poésies  dédiées  à  sa 
femme  ,  contenant  des  Elégies  des- 
tinées à  célébrer  sa  mémoire  ,  Lon- 
dres ,  1642  ,  in -8°. — Vere  (Robert 
de),  comte  d'Oxford  ,  favori  de  Ri- 
chard II ,  fut  créé, par  ce  souverain, 
marquis  de  Dublin  ,  et  ensuite  duc 
d'Irlande.  Ces  faveurs  excitèrent  con- 
tre lui  la  haine  des  nobles,  et  malgré 
l'appui  de  Richard,  le  duc  d'Irlande 
fut  obligé  de  fuir.  Il  se  retira  dans 
le  Cheshire  ,  où  il  assembla  quelques 
forces  ;  mais  mis  en  déroute  par  le 
duc  de  Gloucester ,  il  se  réfugia  dans 
les  Pays-Bas ,  en  1 388 ,  et  y  mourut 
quelques  années  après.  D — 2 — s. 


VER 


Î75 


VERE  (  James  ),  auteur  anglais , 
fit ,  à  Londres  ,  le  commerce  de  la 
soie  ,  et  acquit  une  fortune  considé- 
rable ,  dont  il  appliqua  une  partie 
au  soulagement  des  malheureux.  Il 
mourut  à  Edmonton  ,  le  29  août 
1779.  On  a  de  lui  un  volume  inti- 
tulé :  Recherche  plijsique  et  morale 
sur  les  causes  de  cette  inquiétude 
et  de  cette  maladie  intérieure  de 
l'homme ,  dont  se  sont  plaints  tous 
les  âges,  1778,  in-8°.  (  et  in-4°.  , 
tiré  à  douze  exemplaires).  Ce  livre  a 
été  réimprimé  récemment ,  dans  le 
format  in- 12.  L. 

VÉRÉLIUS  (Olaus),  Tun  des 
premiers  antiquaires  qu'ait  eus  la 
Suède,  naquit  le  12  février  161 8;,  à 
Raguisdstorp,dans  le  diocèse  de  Lin- 
kœping  (Ostro-Gothie).  Ayant  fait 
ses  études  à  Linkœping  ,  à  Dorpat 
et  à  Upsal ,  il  fut  choisi ,  en  1 648  , 
pour  accompagner  dans  leurs  voya- 
ges deux  jeunes  Suédois  ,  appartenant 
aux  premières  familles  du  royaume,  et 
visita  avec  eux  le  Danemark  et  le 
Holstein.  Il  se  trouvait  à  Munster 
lorsque  !a  paix  fut  signée  entre  la 
Suède  et  l'empire  germanique.  Il  se 
rendit  alors  dans  les  Pays-Bas  ,  en 
Suisse  ,  à  Rome  et  à  Paris ,  où  il 
passa  une  année  entière.  Étant  re- 
venu ,  en  i65 1,  dans  sa  patrie,  avec 
ses  élèves  ,  enrichi  par  les  connais- 
sances qu'il  avait  acquises,  il  fut 
nommé  professeur  d'éloquence  à  l'u- 
niversité de  Dorpat ,  par  la  reine 
Christine  ,  qui  ,  l'année  suivante  , 
l'appela  à  Upsal ,  pour  lui  confier 
la  questure  de  l'université.  En  1662, 
il  obtint  la  chaire  des  antiquités  na- 
tionales ,  et  fut  désigné ,  en  1 QQQ  , 
antiquaire  de  la  Suède  ,  assesseur 
dans  le  collège  royal  des  antiquités 
nationales,  et  enfin  ,  en  1676  ,  nom- 
mé bibliothécaire  de  l'université  , 
place  distinguée  qui  ne  se  donne  qu'à 


176  VER 

d'anciens  professeurs  pour  re'com- 
penser  de  longs  travaux.  Il  mourut 
le  i*^'".  janvier  i68.i,  laissant  un 
grand  nombre  d'ouvrages  savants  , 
qui  attestent  également  son  activité 
et  l'étendue  de  ses  connaissances. 
Les  plus  remarquables  sont  :  I.  Epis- 
tola  ad  Benedictum  Oxenstiejiia  , 
Upsal ,  1644  -,  in-4''«  II-  Monumen- 
tuni  memoriœ  Laurcntii  Paulini, 
archiepiscopi ,  Upsal  ,  1646  ,  in- 
fol.  III.  Oratio paneg/rica  depace 
Sueo-Germanicd ,  Leyde  ,  it)49, 
in-fûl.  IV.  Memoriœ  comitis  Axelii 
Oxenstiema ,  regni  cancellarii  ma- 
gni ,  Upsal,  i655,  iu-fol.  V.  Ad 
illustrem  dominum  Axeliuvi  Posse, 
Stockholm,  i65i  ,  in-fol.  VI.  Go- 
thrici  et  Rolfi  TVestrùgotMce  regiim 
historia  lingud  antiqud  gothicd 
conscripta  ;  quam  è  M.  S.  vetustis- 
simo  edidit ,  et  versione  notisque 
illiistravit  Olaus  Fereîius  antiq.  , 
patr.  prof.  Accedunt  Johannis 
Schefferi  argentcratensis  notœpoU- 
tic^,  Upsal ,  1 66  \ .  Cette  histoire  des 
rois  Gothrick  et  Rolf  est  tirée  d'un 
ancien  manuscrit  islandais,  en  re- 
gard duquel  Vérélius  a  placé  la  tra- 
duction suédoise.  Après  le  texte 
viennent  ses  observations  ,  celles  de 
Scheffcr,  un  Glossaire  par  Vérélius 
pour  l'intelligence  du  texte  islandais, 
et  quelques  monuments  runiques  , 
avec  quarante  huit  planches  ,  par 
Barée  ,  un  des  amis  de  Vérélius.  VII. 
Jlerraiids  och  Bosa  saga  ,  hoc  est 
Herraudi  et  Bosce  historia  ,  cum 
novd  interprelatione  juxta  anti- 
quum  textum  gothicum ,  è  veteri 
M,  S.  édita  et  nolis  illustrata , 
Upsal,  1666.  Comme  dans  l'ou- 
vrage précédent,  en  regard  du  texte 
islandais  ,  Vérélius  a  aussi  mis  la 
version  suédoise  ,  avec  un  Glossaire 
à  la  fin.  VIII.  Fragmentum  histo- 
riœ  Olai  Tryggiasonii  per  Oddum 


VER 

Miinck ,  lingud  veteri  gothicd  cons- 
criptum ,  publicatnm  cum  notisbre- 
vibus ,  Upsal,  i665,  in-8".  IX. 
Historia  Hervorœ  ,  lingud  veteri 
gothicd  seu  islandicd  ,  cum  inter- 
pretationesuecicdetannotationibus, 
Upsal,  16-]^  ,  in-fol.  ,  dédié  au  roi 
Charles  XI  etàlareine  HedwigeÉléo- 
nore.  Dans  un  Glossaire  placé  à  la 
fin ,  Vérélius  explique  en  latin  les  ex- 
pressions difficiles  du  texte  islandais. 
X.  Auctarium  notarum  inHervarar 
saga ,  Olao  Budbeckio  inscriptum  , 
Upsal,  1674,  in-fol.  XI.  Z>/5/wf«- 
tiuncula  de  Fanin^  ad  Olaum  Rud- 
beckium,  Upsal,  1674,  in-fol. XII. 
Manuductio  compendiosa  ad  Ru- 
nographiam  scandicam.  antiquam 
reclè  intelligendam ,  Upsal,  \ijn5. 
Cet  ouvrage  élémentaire  sur  la  Ru- 
nographie  Scandinave  est  en  latin, 
avec  la  version  suédoise  en  regard. 
Trente  monuments  runiques  y  sont 
expliqués  ,  et  les  alphabets  grec  , 
gothique  ou  ulphilanien  et  Scandi- 
nave, sont  placés  l'un  à  côté  de  l'au- 
tre et  comparés  entre  eux.  XIII.  In 
obitum  Johannis  Stiemhok  ,  Stock- 
holm ,  1676  ,  in-fol.  XIV.  Notœ 
in  epistolam  dej'ensoriam  Johannis 
Schefferi  argentoratensis  de  situ  et 
vocabulo  Upsaliœ  ,  anno  1677  , 
mense  Julio  scriptœ ,  et  per  profes- 
sores  binos  ipsi  oblatœ  ,  Upsal  , 
168 1 ,  in  fol.  Cet  ouvrage  polémique 
fut  sévèrement  censuré,  et  la  lecture  en 
fut  défendue  sous  peine  de  mille  tha- 
1ers  d'amende.  XV.  Annotationes 
scriptis  Caroli ,  episcopi  arosiensis , 
excerptce ,  ex  Mss.  membranaceo  ve- 
tusto  y  mine  primùm  in  lucem  pro- 
latœ  ,  Upsal,  1678,  in-fol.  Ces 
Notes  ont ,  ainsi  que  les  précédentes , 
rapport  aux  discussions  qui  s'élevè- 
rent entre  Vérélius  et  Schefîér,  au  sujet 
de  la  situation  du  temple  qui  a  donné 
son  nom  à  la  ville  d'Upsal .  Voyez,  sur 


VER 

cela  :  Prolegomena  monumentorum 
ecclesice  veteris  sueo-gothicœ  ,  par 
Éricli  Beuzel  ,  archevêque  d'Upsal. 
Les  amis  de  Ve'rélius  virent   avec 
peine  le  peu  de  mesure  qu'il  mit  dans 
ses  attaques  contre  ini  ancien  ami  , 
pour  un  sujet  si  peu  important.  Les 
contemporains  de  ^  érélius  ,   pleins 
de    respect   pour    l'clendue   de   ses 
connaissances  ,  l'appelaient  :  Filum 
Ariadnœum    antiquitatum    patriœ 
et  patreni  eloquentiœ  ;  mais  ce  sa- 
vant tenait  à  ses  opinions,  sans  vou- 
loir faire  une  concession.  Il  préten- 
dait que  les  Goths ,  qui  prirent  et 
saccagèrent  Rome  dans  le  cinquiè- 
me  siècle,  n'étaient  autres  que  des 
Suédois ,  et  que  le  gouvernement  de- 
vait chasser  honteusement  tout  Sué- 
dois qui  userait  nier  un  fait  histori- 
que aussi  clairement  démontré.  Les 
ouvrages    suivants   ont   été   publiés 
après  la  mort  de  Ve'rélius.  XVL  In- 
dex  lij2guœ  veteris  scjtho-scandicœ , 
sive  goihicœ ,  ex  vetusii  œvi  monu- 
mentis  ad niaxùnam  partent  manu- 
scriptis  collectus  atque  operd  Olavi 
Rudbeckii  e<it7«5,Upsal ,  1 69 1 ,  in-fol . 
XViL  Disseriaduncula  de  Hierar- 
cliid  ,  quani  edidit ,  sudque  prœj'a- 
tiunculd    omari    curavit  Andréas 
Gœding ,  Joenkoping  ^  i  -j  22 ,  in-8°., 
et  traduit  en  suédois  ,  Revel ,  1724  , 
in-8°.   XVin.  Epitomanan  histo- 
riœ  sueo-gothicœ  libri  quatuor  et 
Gothorum    reruni   extra  patriam 
gestarum  libri  duo  ,    è  manuscrip- 
tis ,  unà  cum  auctoris  F'itd  ac  ca- 
talogo  scriptorum  ,    nec  non  hy- 
pomnematibus  ac  prœfatione  Rhj- 
zelii ,  eruti ,  Stockholm  ,  1780,  in- 
4".  XIX.  Fereliana,  seu  Verelii  va- 
ria opuscula,  Lmkoeping ,  i  -jSo ,  in- 
8°.  On  a  trouvé  dans  les  manuscrits 
de  Ve'rélius  trois  volumes  de  Lettres, 
et  des  Traités  sur  différents  sujets. 
G— V. 

XLVIII. 


VER  J77 

VEREIMOND.  Foy.  BERMtmE. 

VEREYCKEN  (  Godefroy  ) ,  né  à 
Anvers  en  i558,  fit  de  bonnes  étu- 
des dans  sa  patrie ,  vint  à  Paris  , 
obtint  un  emploi  dans  l'enseigne- 
ment ,  et  se  livra  lui  -  même  avec 
beaucoup  d'ardeur  à  l'étude  de  la 
philosophie  et  de  la  médecine.  II  se 
rendit  ensuite  à  Toulouse,  y  fut  re- 
çu docteur  en  i586  ,  et  retourna 
bientôt  à  Anvers ,  où  il  pratiqua  \x 
médecine  avec  succès,  pendant  plus 
de  quai'ante  ans.  Il  contribua  à  ré- 
tablissement du  collège  des  médecins 
de  cette  ville  j  et  vers  la  fin  de  sa  vie 
il  se  relira  chez  son  fils  ,  à  Malines  , 
où  il  mourut  en  i635.  On  n'a  de  lui 
qu'un  ouvrage  intitulé  :  De  cogni- 
tione  et  conservatione suî ,  Malines, 
i6255ibid.,  i633,  in-12.  Dansce 
Traité^  de  peu  de  valeur  aujour- 
d'hui, l'auteur  signale  un  singulier 
usage  observé  de  son  temps  par  le 
peuple,  dans  l'intention  de  préser- 
ver les  enfants  des  maladies  aux- 
quelles avaient  succombé  leurs  pa- 
rents. Si,  par  exemple,  ceux-ci 
étaient  morts  poitrinaires  ,  on  enle- 
vait le  poumon  et  on  le  plaçait  sur 
les  pieds  du  cadavre  que  l'on  enter- 
rait ainsi.  R — d — n. 

VERGARA  (  Nicolas  de  ),  sur- 
nommé le  Vieux ,  né  à  Tolède  vers 
i5fo,  se  distingua  comme  peintre 
d'histoire ,  peintre  sur  verre  et  sculp- 
teur. Quoiqu'il  ne  paraisse  pas  qu'il 
ait  jamais  quitté  sa  patrie,  son  gi-anJ 
goût  de  dessin ,  la  délicatesse  de  ses 
accessoires  ,  la  beauté  de  ses  formes, 
tout  décèle  dans  ses  ouvrages  un  ar- 
tiste nourri  des  préceptes  des  écoles 
de  Florence  et  de  Rome.  En  1 54'-» , 
le  cha])itre  de  la  cathédrale  de  Tolè- 
de le  nomma  son  peintre  et  son  sculp- 
teur; et,  pendant  trente-deux  ans,  il 
dirigea  ,  à  ce  double  titre  ,  les  tra- 
vaux de  peinture  et  de  sculpture  de 
12 


17^5 


VER 


ce  monument.  Il  exécuta  lui-même 
une  partie  des  peintures  des  vitraux 
qui  étaient  tous  à  refaire  j  le  reste 
fut  continué  et  terminé  par  ses  deux 
iils  ,  Nicolas  et  Jean.  11  mourut  à 
Tolède,  le  ii  août  1574.  —  Nico- 
las DE  Vergara  ,  dit  le  Jeune ,  né 
à  Tolède  vers  i54o,  fds  et  élève 
du  précédent ,  se  distingua  ainsi  que 
lui  comme  peintre,  sculpteur  et  ar- 
chitecte. Il  aida  sou  père  et  son  frère 
Jean  à  peindre  les  vitraux  de  la  ca- 
thédrale de  Tolède ,  vaste  opération 
dont  l'exécution  dura  près  de  qua- 
rante ans ,  et  qu'ils  terminèrent  d'une 
manière  satisfaisante  pour  le  chapi- 
tre ,  et  glorieuse  pour  eux.  Sou  père 
avait  obtenu  qu'il  le  remplaçât  dans 
l'emploi  que  le  chapitre  lui  avait 
confié;  la  manière  dont  il  dirigea 
tous  les  travaux,  tant  de  peinture 
que  de  sculpture,  justiila  complélc- 
ment  un  pareil  choix.  II  avait  con- 
tracté une  étroite  amitié  avec  Fernan- 
dez  Navarrète  el  Mudo;  et  loisque 
ce  célèbre  artiste  vint  à  Tolède  pour 
recouvrer  la  santé ,  ce  fut  dans  la 
maison  de  Vergara  qu'il  descendit , 
et  ce  fut  entre  ses  bras  qu'il  rendit  le 
dernier  soupir.  Vergara  mourut  à 
Tolède,  le  11  décembre  1606. — 
Joseph  Vergara  ,  peintre  ,  ué  à  Va- 
lence en  1726,  n'était  âgé  que  de 
sept  ans  lorsqu'il  concourait  d'après 
le  modèle  vivant  dans  l'école  d'Eva- 
riste  Muiioz.  11  se  forma  aussi  en 
copiant  les  estampes  de  l'Espagno- 
let.  Il  prit  ensuite  du  goût  pour  la 
manière  de  Coypel ,  et  mit  tant  d'ar- 
deur dans  ses  études  qu'il  tomba 
dangereusement  malade.  Revenu  à  la 
santé,  il  étudia  la  manière  de  Paul 
de  Mateis  avec  la  même  application 
et  le  même  succès.  Doué  d'une  ar- 
deur infatigable  pour  sou  art,  il  ten- 
ta tous  les  genres ,  il  essaya  tous  les 
procédés  ;  peignant  à  l'huile,  à  fres- 


VER 

que,  en  dclrcmpc.  Le  nombre  de  ses 
portraits  est  immense,  et  la  plupart 
des  villes  de  la  province  de  Valence, 
et  toutes  les  églises  de  cette  ville  pos- 
sédaient quelques-unes  de  ses  produc- 
tions. Parmi  les  plus  remarquables  , 
on  cite  les  peintures  à  l'huile,  dont 
il  a  décoré  sa  propre  maison  ;  sou 
tableau  de  Mentor  et  Télémaque  , 
dont  il  fit  hommage  à  l'académie  de 
Sainte-Barbe  de  Valence ,  fondée  par 
ses  soins  en  17  5a,  et  qui  depuis  a 
été  transféré  à  l'académie  de  Saint- 
Fernand;  et  une  Conception  de  la 
Vierge ,  placée  dans  la  bibliothèque 
du  couvent  de  Saint-François.  Ses 
tableaux  se  font  remarquer  en  géné- 
ral par  une  excellente  couleur  et  un 
desiin  correct ,  mais  qui  manfuie  de 
style  j  défaut  qui  provient  du  goût 
régnant  de  l'époque  ,  de  sa  première 
éducation  ,  et  de  l'âge  avancé  auquel 
il  connut  et  put  étudier  l'antique.  II 
a  laissé  sur  les  peintures  de  son  pays 
quelques  notes  qui  ne  sont  pas  sans 
intérêt.  A  sa  mort ,  arrivée  le  9  mars 
1799,  il  était  directeur  de  l'acadé- 
mie de  Saint-Charles  de  Valence. 
P— s. 
VERGARA  (Cesar-Antoine),  nu- 
mismate, était  né,  vers  1680,  dans 
le  royaume  de  Naples ,  d'une  famille 
d'origine  espagnole.  Ayant  embrassé 
l'état  ecclésiastique ,  le  cardinal  J.-B. 
Spinola  le  nomma  son  chapelain,  et 
lui  lit  obtenir  quelques  bénéfices.  Les 
autres  caconstances  de  la  vie  de  Ver- 
gara ne  nous  sont  pas  connues.  On  a 
de  lui  :  Le  Monete  del  régna  di  Na- 
poli  dà  Raggerio  a  C'arolo  VI,  rac- 
colte  e  spiegate ,  Rome ,  1 7  1 5  ,  gr. 
in-4''.  Quelques  bibliographes  citent 
ime  seconde  édition,  Rome,  17 16, 
pet.  in-fol.  ;  mais  il  est  probable  que 
les  exemplaires  avec  cette  date  ne 
diiTèrentdcs  prcmiersque  parle  fron- 
tispice. Cet  ouvrage  est  assez  rare  en 


VER 

France.  Fontanini  en  parle  avec  peu 
d'estime,  prétendant  que  l'aulciu- 
n'avait  pas  fait  des  recherches  suiii- 
santes  pour  se  procurer  les  rousei- 
j^nements  nécessaires  (  Voy.  la  Bibl. 
cVélcq.,  II,  3o5);  mais  Apostolo 
Zeno  prouve  que  la  mauvaise  hu- 
meur de  Fontanini  contre  Vergara 
vient  de  ce  que  celui-ci  n'a  point  ad- 
mis le  droit  de  suzeraineté  des  papes 
dans  Je  royaume  de  Naples.  W — s. 
VERGECE  (Ange),  habile  cal- 
ligraphe,  était  né  dans  l'île  de  Crète. 
Son  écriture  grecque  était  si  belle , 
qu'elle  servit  de  modèle  à  ceux  qui 
gravèrent  les  caractères  de  cette  lan- 
gue, pour  les  impressions  royales, 
sous  François  I'^''.  Ce  monarque  qui 
avait  fait  venir  Vergèce  de  Venise, 
lui  fit  dresser  le  Catalogue  des  ma- 
nuscrits de  sa  bibliothèque,  dont  le 
nombre  n'allait  pas,  en  i544>  a^i- 
dclà  de  deux  cent  soixante.  Les 
poinçons  et  matrices,  ouvrages  de 
Garamond,  après  avoir  été  regar- 
dés long  -  temps  comme  perdus  , 
ont  été  retrouvés,  depuis  quelques 
années,  à  l'imprimerie  royale,  par 
le  savant  de  Guignes.  Henri  II  fit 
copier  par  Vergèce  le  Cynegeticon 
ou  poème  de  la  chasse,  d'Oppien, 
pour  Diane  de  Poitiers.  L'exemplai- 
re, relié,  portait  d'un  coté  les  armes 
du  roi ,  de  l'autre  le  poitrait  de  sa 
maîtresse.  C'est  d'après  les  caractè- 
res de  cet  Oppien  que RobertEstienne 
lit  graver  les  siens.  On  dit  que  le  pro- 
verbe écrire  comme  un  ange  fut 
fait  pour  Vergèce,  qui  vécut  jusque 
sous  le  règne  de  Charles  IX.  Au  ta- 
lent de  si  bien  écrire,  Vergèce  joi- 
gnait quelques  connaissances.  Il  tra- 
duisit du  grec  en  latin  le  Traité  de 
Plutarque  :  De  flimorum  et  mon- 
tium  nominibus ,  Paris ,  Ch.  Esticn- 
ne,  i556,  in-8".  Voy.  le  Dict.  de 
Baylc ,  qui  a  écrit  Vergerius ,  et  ce- 


VER 


179 


lui  de  Prosper  Marchand  ,  au  mot 
VergÈce.  Z. 

VERGEN.  Foy.  Nauclerus. 

YERGENNES  (Charles  Gra- 
vier ,  comte  de)  ,  né  à  Dijon  le  28 
décembre  1717  ,  était  fils  d'un  pré- 
sident à  mortier  au  parlement  de 
cette  ville,  et  sortait  d'une  famille  du 
barreau  qui  était  entrée  assez  récem- 
ment dans  la  magistrature.  Un  on- 
cle de  sa  belle-sœur,  M  de  Chavigny , 
qui  fut  successivement  envoyé  de 
France  à  Gênes,  en  Espagne,  en 
Angleterre  ,  puis  ambassadeur  en 
Portugal ,  à  Venise  et  en  Suisse  , 
protégea  son  début  dans  la  même 
carrière  ,  et  l'emmena  avec  lui  à 
Lisbonne  en  1740-  Lorsqu'en  1743, 
la  France  voulut  placer  la  couronne 
impériale  sur  le  front  de  l'électeur 
de  Bavière  ,  elle  envoya  M.  de  Cha- 
vigny  à  Francfort ,  auprès  de  la 
diète  d'élection.  Le  chevalier  de  Ver- 
geunes  l'y  accompagna.  Les  revers  de 
nos  armes  en  Bohême  ,  la  défection 
de  Frédéric  II ,  mirent  Charles  VII 
et  l'ambassade  de  France  dans  une 
situation  fort  critique.  Enfin  cet  em- 
pereur mourut,  et  RL  de  Chavigny 
fut  envoyé  à  Lisbonne  avec  son  élè- 
ve. Les  deux  cours  de  la  Péninsule 
étaient  en  discussion  relativement  à 
IMontevideo  et  à  la  colonie  du  Saint- 
Sacrement,  et  elles  avaient  soumis 
ces  différends  à  l'arbitrage  du  cabi- 
net de  Versailles.  De  volumineux 
mémoires  embrouillaient  la  question  : 
chargé  de  l'éclaircir ,  le  chevalier  de 
Vergenncs  la  résuma  en  quatre  pa- 
ges; et  son  travail  plut  singulière- 
ment au  marquis  d' Argenson ,  par  sa 
clarté  et  sa  simplicité.  Peu  d'années 
après  (en  1760),  le  jeune  diplo- 
mate fut  nommé  ministre  du  roi  au- 
])rès  de  l'électeur  de  Trêves.  Par  un 
enchaînement  de  circonstances ,  ce 
poste  était  devenu  un  des  pivots  de 
11.. 


ï8o  VER 

la  polili(|ue,  l'électeur  étant,  comme 
évêque  de  Worms  ,  co-directeur  du 
cercle  du  Haut-Rhin ,  et  comme  pré- 
vôt d'Elhvarjj^en ,  le  premier  du  banc 
des  prélats  du  cercle  de  Souabe. 
L'impératrice-reiue  travaillait,  des  ce 
moment,  à  faire  élire  roidesPxomains 
son  fils  Joseph,  encore  enfant,  et  elle 
comptait  sur  le  suffrage  de  l'éicclcur 
pour  avoir  la  majorité.  Le  chevalier 
de  Vergcnncs  parvint  à  rendre  ce 
prince  indécis  dans  ses  i-ésolutions* 
et  les  lenteurs  qui  s'ensuivirent  lii'cnt 
échouer  ce  projet  pour  l'instant.  Cet 
e'chec  ne  rebuta  point  la  cour  de 
Vienne j  et,  à  son  instigation  ,  le  duc 
de  Newcastle,  premier  ministre  du 
roi  d'Angleterre  ,  qui  desirait  main- 
tenir la  dignité  impériale  dans  la  mai- 
son d'Autriche,  profita  d'un  voyage 
de  Georges  II ,  dans  ses  états  d'Al- 
lemagne, pour  y  rassembler  les  mi- 
nistres de  tous  les  électeurs,  ce  qui 
fit  donner  à  cette  réunion  le  nom  de 
congrès  de  Hanovre.  Frédéric  II  re- 
commanda instamment  à  Louis  XV 
de  n'y  envoyer  qu'un  ministre  aussi 
habile  qu'intègre ,  aussi  ferme  dans 
ses  principes  que  réservé  dans  son 
langage.  Le  roi  ayant  choisi  le  che- 
valier de  \  ergennes  ,  Frédéric  ap- 
plaudit à  un  tel  choix  •  et  en  effet  ^ 
ce  ministre  déploya  à  Hanovre  tout 
le  talent  d'un  négociateur  consom- 
me' ,  vis-à-vis  du  duc  de  New- 
castle, qui  tour-à-tour  employait  la 
menace  et  la  ruse.  En  définitive  tout 
se  réduisit  à  des  discussions  sans  ré- 
sultat. Georges  II ,  fatigué  de  débats 
inutiles,  retourna  subitement  à  Lon- 
dres; et  le  congrès  fut  dissous.  Bien 
que  le  chevalier  de  \ergennes  eût 
traversé  le  duc  de  Newcastle  dans  ses 
projets,  celui-ci  ne  put  s'empêclier 
de  rendre  justice  à  sa  capacité.  Le 
duc  espérait  soustraire  la  négociation 
à  sa  vigilance,  en  amenant  l'électeur 


VER 

palatin  à  traiter  secrètement  avec 
Marie-Thérèse.  L'acte  allait  être  si- 
gné à  IManheim,  lorsque  le  chevalier 
de  Vergenucs  y  arriva  (  in 53).  Le  roi 
l'y  envoyait  pour  cojitenir  l'électeur 
et  son  ministre ,  gagnés  par  l'Angle- 
teri'e.  Son  succès  fut  tel ,  qu'il  empê- 
cha la  signature  du  traité ,  et  que  M. 
deWreden,ministrepaIatin,futforcé 
d'aller  à  Versailles,  pour  y  justifier 
sa  conduite.  L'intention  du  roi  était 
de  laisser  le  chevalier  de  Vergeunes 
dans  ce  poste  ,  et  de  rappeler  le 
marquis  de  Tilly,  qui,  dans  ces  cir- 
constances avait  montré  peu  de  fer- 
meté. L'électeur  aimait  Tilly,  et  ne 
le  craignait  pas  :  il  estimait  Vergeu- 
nes ,  mais  il  le  redoutait  ;  il  pria  ins- 
tamment qu'on  lui  laissât  le  pre- 
mier. D'ailleurs,  dans  ces  entrefai- 
tes ,  une  mission  plus  importante 
vint  à  vaquer.  Le  comte  Desall^iirs, 
ambassadeur  en  Turquie,  mourut 
presque  subitement  le  2 1  novembre 
i'j54  :  il  était  initié  dans  !a  corres- 
pondance secrète  que  Louis  XV  en- 
tretenait depuis  quelques  années  avec 
ses  ambassadeurs  à  l'insu  de  ses  mi- 
nistres et  de  son  conseil  ;  et  il  impor- 
tait à  ce  prince  et  aux  directeurs  de 
cette  correspondance  que  les  papiers 
du  comte  Desalleurs  ne  tombassent 
point  en  des  mains  indiscrètes.  Le 
chevalier  de  Vergennes  avait  été  ad- 
mis à  ce  secret,  et  comme  ni  la  du- 
rée de  ses  services  ni  sa  naissance  ne 
semblaient  l'appeler  à  une  ambassa- 
de de  première  classe ,  on  prétend 
que  sou  parent,  Chavigny,  imagina 
un  expédient  pour  faire  agréer  ce 
choix.  Le  comte  Desalleurs  laissait 
en  mourant  des  dettes  considérables , 
dont  à  la  vérité  une  partie  avait  pour 
cause  le  service  du  roi  et  le  désir  de 
soutenir  la  dignité  de  l'ambassade. 
Chavigny  fit  entendre  au  marquis 
de  Puysicux,    ministre   des  allai- 


VER 

rcs    étrangères  ,    que  le  ministère 
pourrait  payer  ces  dettes  sans  auç;- 
meiiter  la   dépense.  II  s'agissait  de 
n'avoir  à  Constaiitinople  qu'un  en- 
voyé' extraordinaire  ou  miiiistro  plé- 
nipotentiaire ,    auquel   on   no   don- 
nerait qu'une   partie  du  trailement 
alFectéà  l'ambassade,  et  d'employer 
ce  surplus  à  l'estinction  des  dettes 
du  comte  Desaileurs;  et  il  proposa 
son  parent  pour  remplir  cette  mis- 
sion à  ces  conditions.  Que  l'anecdo- 
te soit  réelle  ou  qu'elle   soit    sup- 
posée ,  on   fit  partir  eu  toute   hâte 
le  chevalier  de  Vcrgennes  sur  un  bâ- 
timent marchand,  pour  Constanlino- 
ple,  où  il  arriva  dans  le  courant  du 
mois  de  mai  1^55  ,  avec  le  baron  de 
Tott  (  V.  ce  nom  ).  On  avait  laisse 
l'option  entre  le  titre  d'envoyé  ex- 
traordinaire et  celui  de  ministre  plé- 
nipotentiaire. La  Porte  admit  le  se- 
cond de  ces  titres.  Mais  peu  de  mois 
après _,  sur  la  demande  qu'il  en  fit 
faire  au  roi,  au  nom  du  grand-sei- 
gneur liu-mêmc,  et  sur  l'observation 
que  le  caractère  d'ambassadeur  avait 
plus  d'influence  sur  le  succès  des  af- 
faires, le  chevalier  de  Vergennes  en 
fut  revêtu  :  l'alliance  du  roi  avec  Ma- 
rie-Thérèse (  i';56)  ,  et  l'accession 
de  Ja  czarine  à  ces  traités  rendirent 
fort  difficile  la  situation  de  cet  am- 
bassadeur. L'Angleterre  et  la  Prusse 
pressaient  la  Porte  de  se   déclarer 
contre  les  deux  impératrices  ,  dont 
l'union  avec  la    France    fournissait 
aux   envoyés  de  Frédéric  11  et  de 
Georges  III  un  texte  fécond  pour  je- 
ter  l'alarme    dans  les   conseils   du 
grand-seigneur.    M.    de   Vergennes 
réussit  à  lui  faire  garder  la  neutrali- 
té ,  en  lui  persuadant  que  les  liaisons 
des  deux  princesses  avec  Louis  XV 
étaient  de  leur  part  un  engagement 
indirect  de  ne  point  attaquer  la  Por- 
te, qu'elles  savaient  être  l'alliée  de 


VER  ,8i 

la  France.  La  paix  de  i  -yôS  mit  fin 

à  ces  intrigues  et  là  ces  obsessions. 
Mais  la  mort  d'Auguste  III,  roi  de 
Pologne,  et  l'élection  de  Poniatows- 
ki,  firent  naître  de  nouveaux  sujets 
de  troubles.  Catlierine  H  ,  qui  avait 
fait  élire  ce  dernier,  imposa  des  sa- 
crifices  à    sa    reconnaissance.   Une 
partie  delà  nation  exaspérée  s'arma 
pour  s'y  soustraire;  la  czarine,  vou- 
lant défendre  son  ouvrage,  inonda 
la  Pologne  de  ses  troupes.  La  Porte, 
qui  avait  garanti  à  la  république  l'in- 
tégrité de  ses  possessions  ,  était  sans 
doute  intéressée  à  en  empêcher  le  dé- 
membrement; mais  elle  balançait  à 
prendre  un  parti.  Le  duc  de  Choiseul 
accusait  la  timidité  du  chevalier  de 
Vergennes  de  l'incurie  du  divan ,  et 
prétendait  que  le  casus  fœderis  était 
arrivé.  Argent, promesses,  menaces, 
il  voulait  que  cet  ambassadeur  mît 
tout  en  œuvre  pour  faire  déclarer  la 
guerre  à  la  Russie.  Celui-ci  en  calcu- 
lait   les    conséquences    désastreuses 
pour  l'empire  othomaa ,  et  ne  rem- 
plissait qu'avec  répugnance  les  ins- 
tructions du  cabinet.  Un  événement 
imprévu   produisit  ce  qu'il  n'avait 
pas  pu  ou  peut-être  pas  voulu  obtenir- 
L'irruption  de  quelques  cosaques  à 
Ealta  fournit  au  baron  de  Tott,  que 
le  duc  de  Choiseul  aA'^ait  envoyé  en 
Crimée  ,  l'occasion  d'exciter  la  ven- 
geance du  khan  des  Tartares ,  et  força 
le  irrand-seiîîneur  de  lever  l'étendard 
de  la  guerre.  La  déclaration  en  fut 
faite  le  3o  octobre  1768.  La  dépê- 
che ,  qui  en  donnait  la  nouvelle  à 
Versailles,  se  croisa  avec  le  courrier 
porteur    des  lettres    de   rappel    de 
M.  de  Vergennes  ,  qui  fut  remplacé 
par  Saint-Priest   (  T'^oy.    ce  nom_, 
XL  ,  71  ).  Pour  excuser  sa  précipi- 
tation ,  le  duc  de  Choiseul  se  rejeta 
sur  la  déconsidération  qui  devait  ré- 
sulter du  mariage  que  venait  de  faire 


i.Sî 


VEIl 


]\I.  de  Vei'genncs  avec  la  veuve  fl'nn 
chirurgien  de  Péra,  nommé  Testa. 
Néanmoins  en  quittant  Constantino- 
ple,  il  emporta  les  regrets  du  divan 
et  du  commei'ce  français  au  Levant. 
Une  députation  de  la  nation  lui  fit 
hommage  d'une  épée  d'or.  Il  rap- 
porta à  Versailles  l'argent  qu'on  lui 
avait  envoyé  pour  faire  déclarer  la 
guerre  ,  et  dont ,  comme  on  vient  de 
le  voir,  il  n'avait  pas  eu  besoin,  et 
se  retira  en  Bourgogne  dans  sa  terre 
de  Toulongcou.   Ce  ne  fut  qu'à  la 
chute  du  duc  de  Choiseul  qu'il  sortit 
de  cette  retraite  pour  être  envoyé  en 
Suède.  Le  duc  de  La  Vrillière,  qui 
tenait  par  intérim  le  porte-fcuilledes 
affaires  étrangères  ,  le  laissa  maîlrc 
de  rédiger  lui-même  ses  instructions. 
Frédéric-Adolphe  était  mort  le   ï2 
février   177  i  ,  et  avait  laissé  à  son 
fils  Gustave  ITI  un  royaume  agité 
et  divisé  entre  deux  partis  connus 
sous  le  nom   des    Boiinets   et   des 
Chapeaux  ;  le  premier  sous  l'influen- 
ce de  la  Pvussie  et  de  la  Prusse,  et  Le 
second  feignant  de  suivre  les  direc- 
tions de  la  France ,  ou  du  moins  en 
recevant  des  pensions  sous  prétexte 
d'un  attachement  jusque-là  fort  sté- 
rile. Depuis  l'année  1754  .  le  cabinet 
de  Versailles  avait  payé  d'énormes 
subsides  sans  fruit  pour  sa  politique, 
ni  même  pour  l'autorité  royale  sué- 
doise. La  faiblesse  du  feu  roi  avait 
fait  échouer  les  divers  projets  con- 
çus par  la  France  pour  étendre  ses 
prérogatives.    Tous     les    sacrifices 
qu'elle  faisait  dans  ce  but  n'aboutis- 
saient qu'à  substituer  ,  pour  quelque 
temps ,  une  faction  à  une  autre ,  et  à 
protéger  un  gouvernement  plus  que 
républicain.  C'est   dans  cet  état  de 
choses  que  le  chevalier  de  Vcrgenncs 
arriva  à  Stockholm  au  mois  de  juin 
1771.  La  diète  de  cette  année  fut, 
comme  les  précédentes ,  livrée  à  l'in- 


VER 

trigue  et  a  la  corruption;  et  Gustave 
fut  au  moment  de  voir  les  deux  fac- 
tions, bien  que  divisées  entre  elles, 
se  réunir  contre  lui  ^  malgré  les  som- 
mes considérables  que  l'ambassadeur 
de  France  répandait  dans  les  dific- 
rents  ordres  pour  les  lui  concilier. 
Cette  situation  dillicile  ne  fît  que  con- 
tinuer en  1772:  des  quatre  ordres 
de  l'état,  trois,  le  clergé,  les  bour- 
geois et  les  paysans,  étaient  vendus  à 
la  Piussie ,  et  insultaient  publique- 
ment le  monarque ,  tandis  que  les  no- 
bles traversaient  sourdement  tous 
ses  desseins.  D'un  autre  côté,  Ver- 
gennes  le  peignait  à  sa  cour  comme 
un  prince  naturellement  porté  aux 
choses  romanesques  j  et  il  exprimait 
des  doutes  sur  la  sincérité  de  la 
déclaration  par  laquelle  ce  prince 
avait  annoncé  n'être  point  dans  l'iji- 
teution  de  changer  la  forme  du  gou- 
vernement. On  peut  donc  dire  qu'il 
existait  entre  eux  une  sorte  de  ré- 
serve et  même  de  défiance.  Cepen- 
dant le  besoin  de  secours  fit  que  le 
roi  de  Suède  confia  à  l'ambassadeur 
de  France  ses  plans  de  révolution; 
et  toujours  eelui-ci, craignant  de com- 
'proraettre  son  caractère  et  sa  propre 
sûreté,  les  jugea  impraticables,  et 
les  pi'ésenta  comme  tels  au  duc  d'Ai- 
guillon. Le  cabinet  de  Versailles  ne 
l'en  autorisa  pas  moins  à  donner 
au  roi  de  Suède  l'argent  nécessaire 
pour  raccomplissement  de  ses  plans. 
Enfin  Gustave  III  se  hâta  de  frap- 
per le  coup  décisif  ,  le  19  août 
1772.  On  connaît  les  détails  de  cette 
révolution  qui  détrôna  en  Suède  le 
pouvoir  popiiî^iire.  Bien  que  jusqu'à 
i'évéuement  M.  de  Vergennes  eût  re- 
gardé l'aiîàire  comme  un  coup  de 
tête  ^i)^  on  lui  attribua  à  Versailles 

(i'*,  On  prétend  mi'iii':  que,  plusieurs  jours  avant 
le  19  août,  il  avait  mis  sa  vaisselle  et  ses  effets  pré- 
cieux en  dépôt  che*  l'ambassadeur  d'Espagne. 


VER 

le  mérite  de  la  direction ,  et  il  fut,  à 
t-ette  occasion ,  nomme' conseiller-d'c- 
tat  d'épec.  Il  est  juste  de  dire  que  ie 
caractère  mobile  et  impétueux  du 
monarque  autorisait  les  craintes  du 
diplomate,  et  que  ce  dernier  ,  pen- 
dant le  reste  de  sa  mission ,  cliercba 
par  de  sages  conseils  à  aftcrmir  le 
pouvoir  que  Gustave  avait  si  heureu- 
sement ressaisi.  A  l 'avènement  de 
Louis  XVI  au  trône  ,  Vergennes  fut 
appele'au  ministèredes  a'Taires  étran- 
gères (juillet  i7-;4)(^)'Unedes  pre- 
mières négociations  qui  marquèrent 
son  entrée  fut  le  renouvellement  des 
traités  avec  la  confédération  lielvé- 
tique.  Le  roi  de  France  était  allié  de 
quelques  cantons  ,  et  n'était  qu'en 
paix  avec  les  autres.  Ces  distinctions , 
de  même  que  la  conclusion  de  trai- 
tés séparés ,  parurent  vicieuses  au 
nouveau  ministre.  Il  réunit  dans  une 
seule  et  même  alliance  tous  les  can- 
tons, soit  catholiques,  soit  protes- 
tants. Ce  fut  son  frère,  le  marquis 
de  Vergcnues  ,  qui  suivit  celte  négo- 
ciation, dont  les  actes  furent  sigués 
à  Soleure,  le  28  mai  1777-  Des  évé- 
nements d'une  grande  importance  se 
préparaient  dans  l'Amérique  septen- 
trionale ,  et  devaient  féconder  en 
quelque  sorte  l'avenir  des  plus  gra- 
ves résultats.  Le  cabinet  de  Versail- 
les n'y  vit  qu'une  occasion  propice 
pour  humilier  un  empire  rival;  et 
une  jeune  noblesse,  imbue  des  princi- 
pes de  la  philosophie  moderne,  fut 
la  première  à  répondre  aux  cris  de 
liberté  poussés  au-delà  de  l'Atlanti- 
que, et  à  solliciter  comme  une  fa- 


(7.)  Il  dut  cette  brillante  fortune  au  vieux  comte 
de  Maurepas  ,  priiicipal  niiuîàtre  ,  qui  estimait 
SCS  talents  et  qui  le  croyait  bon-lioinme.  Il  lai  dut 
aussi  les  impressioits  favorables,  source  de  l'entiè- 
re coufiauce  nite  le  moaarf|ue  témoigna  plus  tard 
au  comte  de  Vergennes  ,  et  qui  résista  aux  plus 
tories  alta<|ues.  il  disait  plaisamment  qu'il  avait 
appris  dau>  le  strail  à  braver  les  intrigues  <1< 
..Mir.  A— T. 


VER 


i83 


veur  l.i  permission  d'aller  combattre 
dans  les  rangs  des  colons  insurgés 
contre  leur  métropole.  Le  ministère 
de  Louis  XVI  fut,  pom-  ainsi  dire  , 
entraîné  par  l'opinion  même  de  la 
cour  à  signer  une  alUance  avec  les 
députés  des  Etats-Unis  ,  le  6  février 
I  -78.  Sans  doute  le  traité  du  3  sep- 
tembre  1783  effaça  la  tache  de  ce- 
lui de  1763  ;  sans  doute  la  diploma- 
tie française,  en  faisant  établir  la  li- 
gue maritime  du  Nord  connue  soi-s 
Je  nom  de  ^cuttalité  armée ^  en  ar- 
mant l'Espagne  et  la  Hollande  con- 
tre l'Angleterre,  plaça  celle-ci  dans 
une  situation  difficile.  Mais  le  déficit 
causé  par  cette  guerre ,  et  les  prin- 
cipes de  liberté  et  d'égalité  rappor- 
tés d'Amérique  et  eu  peu  de  temps 
inoculés  à  toute  la  nation,  creusèrent 
l'abîme  dans  lequel  la  monarchie  et 
le  monarque  furent  bientôt  engloutis. 
Ou  ne  peut  que  déplorer  l'impré- 
vovance  des  ministres  qui  conseillè- 
rent à  Louis  XVI  de  s'engager  dans 
une  querelle  aussi  contraire  à  la  sai- 
ne politique  et  aux  vrais  intérêts  de 
la  royauté.  La  succession  de  Bavière 
avait  fourni  au  comte  de  Vergemies 
une  occasion  plus  sûre  de  procurer 
au  roi  un  ascendaut  qui  ne  devait 
compromettre  ni  sa  couronne  ni  sa 
conscience.  JMalgré  les  engagements 
qui,  depuis  17 56,  liaient  la  France 
à  l'Autriche  ,  ce  ministre  sut,  par  sa 
marche  habile  et  prudente,  contenir 
l'ambition  de  Joseph  II  ,   garantir 
les  droits  de  l'héritier  légitime,  et 
maintenir   la    balance    germanique 
dans  les  négociations  qui  eurent  lieu 
à  Teschen  ,  sous  la  médiation  du  ba- 
ron de  Breteuil  et  du  priucc  Repniii, 
et  qui  furent  terminées  par  le  traite 
du  i3  mai  1779.  Grâce  aux  mêmes 
soins  ,  deux  ans  après  la  guerre  d'A- 
mérique, des  différends  survenus  en- 
tre l'empereur  et  les  Provinces-Unies 


i84 


VER 


l'iireul  également  soumis  à  rar])itra- 
ge  de  Louis  XVI,  et  arranges  par 
un  traité  signé  à  Fontaincl)lcau  ,  le 
10  novembre  1-^85.  Le  traite  de 
commerce  négocié  avec  l'Angleterre, 
en  i-jSSet  178O,  fut  un  des  derniers 
travaux,  du  comte  de  Vergennes. 
^''ommé ,  après  la  paix  de  i^BS,  pré- 
sident du  conseil  des  finances  (3),  il 
avait  senti  que  cette  place  lui  imposait 
le  devoir  de  surveiller  le  commerce  et 
l'industrie,  et  de  protéger  l'agricul- 
ture :  il  avait  pensé  que  la  continuité 
du  système  prohibitif  perpétuait  les 
haines  nationales ,  et  dépravait  les  po- 
pulations respectives ,  en  offrant  une 
sorte  de  prime  à  la  fraude ,  au  détri- 
ment de  la  perfection  des  fabriques , 
et  au  profit  du  monopole  et  de  la 
routine.  Mais  il  n'avait  pas  calculé 
que  les  immenses  capitaux  de  la 
Grande-Bretagne  lui  permettaient 
momentanément  des  sacrifices  à  l'ai- 
de desquels  elle  pouvait ,  en  peu 
d'années ,  anéantir  notre  industrie  et 
faire  fermer  nos  manufactures.  Ce 
traité,  qui  fut  l'objet  de  si  vives  con- 
troverses tant  en  Angleterre  qu'en 
France,  fut  signé  le  3o  janvier  1 786  j 
et  sou  exécution  a  laissé  encore  inso- 
luble la  question  de  la  possibilité 
d'un  traité  de  commerce  entre  les 
deux  pays.  Celui  que  le  comte  de 
Vergennes  fit  conclure  avec  la  Rus- 
sie ,  le  3o  janvier  1787,  offrait  à  la 
France  des  avantages  moins  problé- 
matiques ,  surtout  dans  la  mer  Noi- 
re. Un  grand  nombre  de  conventions 
relatives  à  l'abolition  du  droit  d'au- 
baine, au  règlement  des  limites  avec 
les  Pays-Bas  et  lesétats  germaniques , 


(3)  Comme  il  conserva  en  même  temps  le  porte- 
feuille des  â flaires  étrangères  ,  son  nouveau  litre 
lui  donna,  en  quelque  sorte  ,  le  rang  de  premier 
ministre;  mais  sans  atlriliulions  spéciales,  el  c'est 
un  bonheur  pour  sa  gloire,  car  oo  l'aurait  accuse 
du  mauvais  état  où  ,  quatre  ans  plus  tiird  ,  se  Irou- 
Mrent  réduites  les  iinauccs  que  Caloune  admi- 
iii^Lrait  sous  lui.  A — T. 


VER 

à  la  punition  réciproque  des  délits  fo- 
restiers ,  et  autres ,  commis  sur  les 
frontières  ,  attestaient  sa  vigilance 
pour  les  intérêts  du  royaume  et  le 
maintien  des  rapports  de  bonne  intel- 
ligenceentre  la  France  et  ses  voisins. 
Peu  de  ministres  ont  été  plus  labo- 
rieux ,  et  ont  porté,  dans  la  conduite 
et  dans  la  discussion  des  affaires,  plus 
de  méthode ,  de  rectitude  et  de  con- 
naissances positives;  et  lorsque  sa 
correspondance ,  ayant  perdu  ce  de- 
gré d'intérêt  politiqîie  qui  force  de  la 
tenir  secrète,  pourra  sans  inconvé- 
nient être  publiée  et  entrer  dans  le 
domaine  de  l'histoire ,  on  ne  craint 
pas  d'assurer  qu'elle  supportera  la 
comparaison  avec  celle  des  d'Ossat, 
des  Jeannin,  des  d'Estrades,  des 
Servien  et  des  Torcy.  Si  le  comte  de 
Vergennes  ne  doit  pas  être  regardé 
comme  un  grand  homme  d'état ,  il 
sera  toujours  considéré  comme  un 
des  hommes  supérieurs  de  cette  épo- 
que ( 4)-  Le  soin  qu'il  eut  de  s'entourer 


^4)  Vergennes  n'avait  pas  reçu  de  la  natnre  un 
génie -extraordinaire  ,  mais  une  physionomie  heu- 
reuse ,  un  caractère  énergique.  Sa  conversation 
n'était  ni  entraînante  ni  persuasive;  mais  il  sup- 
pléait ii  ces  desavantages  par  une  extrême  souplesse, 
pa;-  imc  politesse  froide  ,  une  adroite  circonspec- 
tion ,  inie  grande  austérité  de  principes,  un  goût 
décidé  pour  la  vie  retirée  ,  et  une  excellente 
routine.  Pour  éviter  les  tantes  de  ses  prédéresseurs, 
il  se  lit  un  système  constant  d'abaisser  l'orgueil  et 
la  puissance  des  Anglais  ,  de  ménager  l'Autriche 
et  la  Pru.sse,  de  se  délier  de  la  Russie,  de  soute- 
nir l'Espagne,  de  tenir  Rome  en  respect,  de  sol- 
der la  Suède  et  la  Suisse  ,  de  proléger  la  Turquie , 
d  abandonner  la  Polugiie  comme  ])omme  de  dis- 
corde entre  les  trois  puissances  co-parla,;;eantes  , 
de  gagner  les  Hollandais  ,  et  de  surveiller  les 
colonies.  Sou  usage  ,  son  moyen  de  politique  le 
plus  habituel,  était  de  ue  jamais  repondre  ca- 
tégoriquement, il  cachait  son  défaut  de  sincé- 
rité sous  un  air  de  candeur  et  de  simplicité  ;  jouait 
avec  ses  enfants  ;  dansait  en  petit  comité  ;  racon- 
tait longuement  cl  sans  grâce  les  particularités  de 
son  séjour  en  Turquie  ,  et  affectait  une  extrême 
indifférence  pour  les  satires  et  les  chansons  dirigées 
contre  lui.  Avec  ce  caractère  il  joua  un  rôle  en 
Lurope  ;  mais  sa  réputation  a  déchu  depuis  sa 
mort,  et  sou  nom  ne  sera  jamais  cité  parmi  ceux 
des  grands  minisires.  Toutefois  il  a  laissé  l'idée 
d'un  homme  sage,  probe ,  laborieux  ,  ami  delà 
paix,  religieux  ,  suffisamment  instruit  ;  tout  cela 
ne  fait  pas  un  mérite  supérieur  ;  mais  un  tel  hom- 
me ne  doit  pas  rester  sans  éloge.  A — T. 


VER 

d'hommes  habiles  et  éminemment 
verses  dans  toutes  les  branches  de  la 
science  politique ,  tels  que  les  Rayne- 
val  et  les  PfeJïel ,  prouve  son  discer- 
nement. Il  céda  peut  être  trop  aux 
influences  de  la  cour  dans  les  présen- 
tations qu'il  fit  pour  plusieurs  am- 
bassades ;  et  cependant  il  savait,  il 
avait  même  éprouve  qu'il  suiusait 
d'opposer  aux  recommandations  d'u- 
ne auguste  protectrice  le  bien  de  l'état 
pour  que,  sur-le-champ ,  elle  se  désis- 
tât de  ses  demandes.  Aussi ,  en  gêne'- 
ral,  l'éxecution  ne  répondit  pas  tou- 
jours aux  instructions  émanées  de 
son  cabinet  ;  et  comme  s'il  était  dans 
la  destinée  des  hommes  les  plus  hon- 
nêtes de  payer  le  tribut  à  la  faiblesse 
humaine,  on  prétend  que,  par  un 
sentiment  de  rivalité  trop  commun, 
il  écarta  des  conseils  quelques  sujets 
capables ,  et  qu'il  s'occupa  trop  de 
l'avancement  de  ses  proches  (5). 
Peut-être  se  faisait-il  illusion  sur  le 
degré  d'aptitude  des  uns  et  des  au- 
tres. Les  manières  de  ce  ministre 
étaient  graves, et  semblaient  parfois 
pédantesques.  Il  s'enveloppait  des 
formes  diplomatiques,  même  avec  les 
ambassadeurs  de  famille.  «  Je  cause 
»  avec  M.  de  Maurepas  ,  disait  le 
»  comte  d'Aranda  ;  je  négocie  avec 
»  M.  de  Vergeunes ,  »  mot  qui  ca- 
ractérise bien  Ja  légèreté  du  premier 
et  la  gravité  du  second.  En  général , 
sa  politique  fut  temporisante  :  ser- 
vant un  prince  timide ,  et  n'ayant 
pas  lui-même  cet  ascendant  qui  en- 
traîne, il  avait  probablement  senti 
îa  nécessité  d'une  marche  circons- 
pecte et  systématique.  Lié  par  les 
traités  de  i  -^56 ,  il  sut  contenir  l'am- 


(3)  On  v!t ,  à  la  môme  époque  ,  son  frère  le  mar- 
quis de  Vergeunes,  ambassadeur;  son  Ijeau-frère 
Vivier,  ministre  plt  ni|)Otentiaire  à  Hambourg; 
son  neveu  Cachet  de  Moulezan  ,  ministre  plénipo- 
leiiliairc  h  Munich  ;  cl  son  cousin  le  baron  de  Cor- 
bcrun  ,  Diiuistrc  picnipotcutiaiic  à  Deus-Pouls. 


VER 


i85 


bition  inquiète  de  Joseph  II ,  sans 
manquer  aux  égards  dus  au  frère  de 
la  reine;  il  sut  arrêter  les  effets  du 
système  de  convenances ,  et  ménager 
à  son  souverain  le  noble  rôle  d'arbi- 
tre et  de  médiateur  des  l'ois.  La  seule 
fautepolilique  qu'on  puisse  lui  repro- 
cher est  l'alliance  avec  les  Anglo- 
Américains:  encore  sou  cœur  ne  fut- 
il  pas  complice  de  l'erreur  de  son  es- 
prit; car  il  aimait  sincèrement  le 
monarque  et  la  monarchie  :  aussi 
avait-il  inspiré  une  telle  confiance  à 
Louis  XVI ,  que  long-temps  après 
la  mort  de  ce  ministre ,  qui  pourtant 
lui  avait  conseillé  d'assembler  les 
notables ,  espèce  d'avant-coureur  des 
états-généraux,  le  roi  demeurait  per- 
suadé qu'il  eût  empêché  la  révolu- 
tion. Le  comte  de  Vergeunes  ne  vit 
pas  même  l'ouverture  de  la  pre- 
mière assemblée  des  notables.  11  mou- 
rut le  i3  février  1787  ,  laissant  une 
fortune  de  deux  millions,  après  avoir 
été  vingt-quatre  ans  ambassadeur  et 
treize  ans  ministre.  On  trouve  quel- 
ques écrits  de  Vergeunes  dans  l'ou- 
vrage intitulé  :  Politique  de  tons  les 
cabinets  de  l'Europe  (  F.  Favier  , 
XIV  ,  ai8  ).  Rulhières  a  publié  un 
morceau  assez  curieux  sous  ce  titre  : 
Le  comte  de  Ver  pennes  (  F.  Rul- 
hières ).  On  a  aussi  :  Portrait  du 
comte  de  Vergeunes  ,  i  788 ,  iu-8<^. 
sans  indication  de  ville.  L'auteur 
anonyme  ne  l'a  peint  que  comme 
minisire ,  et  n'a  dit  que  peu  de  mots 
sur  ses  ambassades  en  Turquie  et  en 
Suède.  11  le  traite  d'ailleurs  avec  une 
impartialité  un  peu  sévère.  Lemcme 
autour,  par  une  contradiction  singu- 
lière, se  montre  ennemi  de  La  Cha- 
lotais ,  et  partisan  de  l'indépendance 
américaine.  On  a  une  Vie  ou  plutôt 
un  Eloge  de  ce  ministre ,  par  de 
Mayer,  un  vol.  in-S".,  Paris,  1789. 
G — RD. 


i«G 


VER 


VERGER  D'HAURANNE  (Du). 
V .  Barcos  et  Saint-Gyran. 

VERGERIO ( PierrePavl) ,  l'nii 
des  plus  gradds  littérateurs  de  son 
siècle,  surnomme'  l'ancien  ,  pour  le 
distinguer  de  son  homonyme   dont 
l'article  suit,  était  né,  vers  i349,  à 
Capo  d'Istria  ,  d'une  famille  illustre, 
mais  déchue  de  sa  splendeur.  Il  fit 
ses  premières  études  à  Padoue ,   et 
s'étant  rendu  fort  habile  dans  l'élo- 
quence et  la  philosophie,  il  alla  suivre 
à  Florence  les  leçons  de  Fr.  Zabai-ella 
{V.  ce  nom),  savant  jurisconsulte,  et 
depuis  cardinal.  Vergerio  ,  quoique 
foi't  jeune  encore  ,  trouva  des  res- 
sources dans  cette  ville  par  l'ensei- 
gnement de  la  dialectique.  Ses  talents 
et  sa  docilité  lui  méritèrent  l'affection 
deZabarella  qui  le  conduisit  à  Rome, 
où  il  lui  procura  quelques  emplois 
honorables  ,   mais  peu  lucratifs.   Il 
revint  avec  son  maître  à  Padoue  ,  et 
y  fut  pourvu  de  la  chaire  de  dialecti- 
que, qu'il  remplit  de  iSgS  à  i4oo  , 
avec  beaucoup  de  succès  (  Papado- 
polo  ,    Hist.   gynin.  Patavin.  ,  i  , 
284  ).  Dans  l'intervalle ,  il  avait  fait 
un  voyage  à  Florence  avec  Zabarella, 
chargé  d'une  mission  de  la  cour  de 
Rome.    Il  profita  de  son  séjour  en 
cette  ville  ,  pour  apprendre  du  célè- 
bre   Éman.     Chrysoloras   (    f^.   ce 
nom  )   les   éléments   du   grec  j    et 
il  se  passionna  tellement  pour  cette 
belle  langue  que,  depuis,  il  ne  laissa 
passer  aucun  jour  sans  lire  quelques 
morceaux  de  ses  meilleurs  auteurs. 
De  retour  à  Padoue ,  il  reprit  l'étude 
de  la  jurisprudence ,   et  le  5  mars 
i4o4 ,  il  reçut  le  laurier  doctoral 
dans  les  facultés  de  droit  et  de  philo- 
sophie.  Vergerio    avait  alors   cin- 
quante-cinq ans.  François  de  Carrare, 
seigneur  de  Padoue,  lui  confia  l'édu- 
cation de  ses  enfants  ;  et  ce  fut  pour 
eux  qu'il  composa  le  petit  traité  :  De 


VER 

in^enuis  rnoribus ,  dont  nous  parle- 
rons  bientôt.   La  protection   de  ce 
prince  ne  le  tira  point  de  l'état  de 
gêne  et  de  misère  où  il  avait  toujours 
langui  ;  mais  habitué  dès  l'enfance 
aux  privations ,  il  les  supportait  sans 
se  plaindre:  s'il  desirait  de  la  fortune , 
ce  n'était  que  pour  en  faire  part  à 
ses  parents,  qui  ne  montraient  pas  le 
même  courage  contre  l'adversité.  Il 
accompagna  le  cardinal  Zabarella  , 
légat  au  concile  de  Constance.  Pen- 
dant la  session  de  cette  assemblée ,  il 
eut  la  douleur  de  perdre  son  princi- 
pal protecteur,  qui  voulut  lui  donner 
un  dernier   témoignage  d'affection, 
en  lui  léguant  une  partie  de  sa  bi- 
bliothèque. Vergerio   s'attacha   de- 
puis à  l'empereur  Sigismond ,  suivit 
ce  prince  en  Hongrie  ,  et  y  mourut 
vers  i4ï9-  ^n  ^  de  lui  :  I.  De  in- 
génias moribus.  Cet  opuscule  fut  im- 
primé pour  la  première  fois  (i)avcc 
d'autres  petits  traités  du  même  genre, 
Milan  ,    i474  5  in-4''-  ,    et  dans  la 
même  ville,  en   i477'   Oq  en  cite 
deux  éditions  de  Brescia  ,  de  i485  , 
trois  de  Florence  ,  et  une  de  Venise, 
dans  le  quinzième  siècle  j   et  il  a  été 
réimprimé  plusieurs   autres  fois  en 
Italie  ,  dans  les  premières  années  du 
seizième  siècle  ,  avec  des  commen- 
taires, qui  ne  servent  guère  qu'à  em- 
brouiller le  texte  de  Vergerio.  II. 
Petrarchœ  Vita,  dans  le  Petrarchus 
redivivus  de   J.  Tomasini   (  V.  ce 
nom  ).  III.  Fitœ  principum  Carra- 
riensium  ;  publiées  pour  lapi-emière 
fois ,  dans  le  tome  vi  du  Thésaurus 
antiquitat.  Italiœ  ,  par  Burmann 
(  V.  ce  nom  ) ,  et  depuis  ,  par  Mu- 
ratori  ,  dans  le  tome  xvi  des  Rerum 


(1)  C'est  d'après  Apostol.  Zeno  ,  p.  57  ,  que  nouî. 
doimoDs  celle  éjlt.  pour  la  première.  M.  Briiiicl , 
dans  son  Manuel  du  libraire,  en  cite  deux  shm.s 
date  ,  l'une  snns  fliifTres  ,  réclames  ni  signatures  , 
pnr  Adam  (  de  Amliergau  )  ,  vers  i/jy^  ,  et  l'antre 
de  Rome  ,  vers  l!^-^,  in-/)».  ,  imprimes  par  Laver. 


VER 

itrJicar.  scriptores.  Cette  histoire 
finit  à  l'année  i356.  IV.  Orationes 
et  epislolœ  varice  historicce  ;  à  la 
suite  de  l'histoire  des  princes  de  Car- 
rare, dans  le  Recueil  de  Muratori. 
L'invective  de  Vergcrio  :De  Firgilii 
statua  ,  Mantuce  ei'ersdper  Carol. 
Malatestani ,  avait  été  publiée  par 
Mich.-AngeBiondo  ,  Venise  (i  54 o)  , 
in-8°.  ;  par  Dom  Mnrtenne,  qui  la 
croyait  inédite,  sous  le  nom  de  Gua- 
rino  de  Vérone ,  dans  VAmplissim. 
collectio  ,  m  ,  col.  868  ;  et  par 
Schelhorn,sous  cehii  de  Léon.  Arc- 
tin,  dans  XçsAinœnitates  litterar. , 
III,  225^  mais  enfin  Muratori  resti- 
tua cette  pièce  à  son  légitime  auteur. 
Il  reste  beaucoup  d'ouvrages  manus- 
crits de  Vergerio  :  i**.  une  Trad. 
latine  de  YHisloire  d' Alexandre 
d'Arrien  ,  qu'il  cntrejirit  à  la  de- 
mande de  l'empereur  Sigismond  ,  à 
la  bibl.  du  Vatican.  Apost.  Zeno  en 
a  publie'  la  préface  d'après  un  Mss. 
de  l'abbé  Bruuacci ,  dans  les  Disser- 
ta-.. Fossiane,  i  ,  54  ;  2".  des  Ha- 
rangues ,  des  poésies  latines,  et  cent 
quarante-huit  Lettres  formant  i  vol. 
in-fol.;  3".  des  Notes  sur  son  Histoire 
des  princes  de  Carrare  ;l\°.  un  Re- 
cueil de  Sentences ,  extraites  du  Ti- 
viée  de  Platon  ;  5°.  De  statu  veteris 
et  inclytœ  urhis  Romœ,  dans  la  bibl. 
des  princes  d'Esté;  G**,  une  Comé- 
die latine,  intitulée  Paulus ,  dans  la 
bibl.  Ambroisienne.  Sassi  en  a  pu- 
blié le  pi'ologue  dans  VHistor.  typo- 
graph.  mediolanensis ,  etc.,  3q3  ,  et 
Zeno  l'a  reproduit  dans  les  Dissert. 
Voss.  5'].  Jean  du  Tillet  a  donné  , 
sous  le  nom  de  Vergerio ,  un  Abrégé 
de  Qidntilien  ,  Paris ,  1 564  ,  in-S**.  ; 
mais  il  n'est  pas  certain  qu'il  en  soit 
l'auteur.  Zeno  desirait  que  quelqu'un 
se  chargeât  de  publier  le  Recueil  des 
ouvrages  de  Vergerio  ;  surtout  ses 
Lellres  ,   qui   sont  tics-instnictives 


VER 


187 


et  pleines  de  détails  curieux.  Outre  ' 
Zeno  ,  il  faut  consulter  la  Storia 
letterat.  de  Tiraboschi ,  vi ,  -^23- 
28.  Les  autres  biographes  qui  ont 
parlé  de  cet  écrivain  sont  inexacts 
et  incomplets.  W — s. 

VERGERIO  (Pierre-Paul),  la- 
meux  apostat ,  était  de  la  même  fa- 
mille que  le  précédent ,  et  naquit  à 
Capo  d'Istria  ,  vers  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  Ayant  achevé  ses  étu- 
des à  l'académie  de  Padoue ,  il  y  re- 
çut le  laurier  doctoral  dans  la  fa- 
culté de  droit ,  et,  en  i5"22  ,  y  fut 
pourvu  de  la  chaire  du  notariat.  Il 
remplit  aussi  dans  cette  ville  les  fonc- 
tions de  vicaire  du  Podestat,  et  se  fit 
à  Padoue ,  ainsi  qu'à  Venise  ,  la  ré- 
putation d'un  habile  avocat ,  et  d'un 
très -honnête  homme.  C'est  le  té- 
moignage que  lui  rend  Bembo,  dans 
une  lettre  à  Gabrielli,  du  10  décem- 
bre i526.  Vergerio  s'était  marié  • 
devenu  veuf  au  bout  de  quelques  an- 
nées, il  rejoignit,  à  Rome,  l'un  de 
ses  frères  (  i  ),  qui  joui-^^sait  de  la  fa- 
veur du  pape  Clément  VII ,  et  ayant 
pris  l'habit  ecclésiastique ,  parvint 
bientôt  à  mériter  les  bonnes  grâces 
du  pontife.  La  capacité  qu'il  mon- 
trait pour  les  affaires  détermina  le 
pape  à  l'envoyer  avec  le  titre  de 
nonce  à  la  cour  de  Ferdinand  ,  roi 
des  Romains.  Il  partit,  en  i532  , 
pour  l'Allemagne,  chargé  de  s'oppo- 
ser de  tout  son  pouvoir  aux  progrès 
du  luthéranisme.  Trois  ans  après ,  il 
fut  rappelé  par  le  pape  Paul  III  ,  qui 
desirait  avoir  de  sa  bouche  des  ren- 
seignements certains  sur  la  situation 
des  esprits  en  Allemagne;  et  il  y  re- 
tourna pour  annoncer  la  convoca- 


(1I  Aitrelio  Vergerio ,  mort  à  Rome,  au  mois 
d'août  i532,  dans  u II  âge  peu  avancé,  arnit  un 
talent  remarquable  pour  la  poésie.  Jér.  Mu7,io 
parle  avec  c'Iog  e,  dans  sou  Aile  poetica  ,  d'une 
composition  dramatique  d'j\urelio,  eu  dix  actes 
ou  deux  soirées. 


*8S 


VER 


tlon  proclialne  d'un  concile  gênerai , 
qui  mettrait  fin  aux  dissentions  re- 
ligieuses. Dans  ce  second  voyage, 
étant  passe  à  Wittemberg,  il  eut 
avec  Luther  uneentrevuesur  laquelle 
Fia-Paolo  donne  des  détails  assez  pi- 
quants ,  mais  de  pure  invention  selon 
PailaviciuietBayle.  Il  revint  en  Italie 
en  1 536,  fut  envoyé,  la  même  année, 
près  de  l'empereur  Charles-Quint  , 
alors  à  Napics  ;  et  à  son  retour  de 
cette  nouvelle  mission  ,  fut  nommé 
d'abord  évèque  de  Modiusch  ,  dans 
la  Croatie,  puis  de  Capo  d'Isîria.  Si 
l'on  eu  croit  Vergerio,  lui-même  (  F. 
ses  Retrattazioni  ) ,  il  n'était  point 
encore  dans  les  ordres.  11  reçut  ,  le 
mêmejourjles  quatre  ordres  mineurs; 
le  sous-diaconat ,  le  diaconat  et  la 
prêtrise ,  et  fut  sacré  par  son  frère 
(  Jean-Baptiste  Vergerio  ) ,  évêqiie 
de  Pola.  Dans  les  premiers  temps  de 
son  épiscopat ,  il  en  remplit  tous  les 
devoirs  avec  beaucoup  de  zèle  ,  ins- 
truisant les  peuples  confiés  à  ses 
soins;  et  cherchant,  du  moins  on 
apparence  ,  à  les  prémunir  contre 
les  nouvelles  erreurs.  En  i54o  ,  il 
vint  en  France  avec  le  cardinal  Hip- 
polyte  d'Esté  ;  et  l'année  suivante  , 
il  fut  envoyé  par  François  I^r.  à  la 
diète  de  Worms  ,  où  ,  si  l'on  en  croit 
ses  adversaires  ,  il  tint  une  conduite 
plus  qu'équivoque.  De  retour  en  Ita- 
lie ,  ayant  trouvé  la  cour  de  Rome 
prévenue  contre  lui ,  il  se  retira  dans 
son  diocèse.  L'examen  plus  appro- 
fondi qu'il  lit  alors  des  questions  agi- 
tées par  les  réformateurs  accrut  ses 
préventions  contre  certaines  prati- 
ques condamnées  par  Luther.  II  ins- 
truisit de  son  changement  l'évêque 
de  Pola ,  son  frère ,  qu'il  n'eut  pas  de 
peine  à  séduire  ;  et  tous  les  deux  , 
chacun  dans  son  diocèse,  commen- 
cèrent à  parler  contre  la  vertu  des 
indulgences  ,  etc.    Dénoncé  pour  ces 


VER 

faits  à  Rome ,  il  demanda  la  permis- 
sion de  se  justifier  devant  ie  concile 
de  Trente  ;  mais  les  Pères  refusèrent 
de  l'y  admettre  (  février  1 546  ) ,  et 
il  fut  renvoyé  devant  le  nonce,  Jean 
Délia  Casa  ,  et  le  patriarche  de  Ve- 
nise, chargés  de  lui  faire  son  procès. 
Vergerio,  n'ayant  pas  jugé  prudent 
d'obéir,  erra  dans  ditlerentes  villes, 
d'oîi  il  visitait  secrètement  son  dio- 
cèse et  celui  de  son  frère ,  pour  rani- 
mer le   courage  de  leurs  partisans. 
L'évêque  de  Pola  mourut  subitement 
en  1548:  Vergerio  fut  persuadé  qu'il 
était    mort    empoisonné.     Informé 
d'ailleurs  qu'Annibal  Grisoni ,  soa 
compatriote  et  son  ennemi  le  plus 
acharné  ,  venait  de  recevoir  avec  le 
titre  d'inquisiteur -général   la  com- 
mission de  le  poursuivre ,  il  sortit  de 
l'Italie  le  i^'".  mai  i549,  et  se  retira 
dans  le  pays  des  Grisons,  où  il  rem- 
plit, ainsi  que  dans  la  Valtcline  ,  les 
fonctions  du  ministère  évangélique. 
Il  profita  de  son  crédit  sur  les  habi- 
tants ,  pour  favoriser  les  levées  de 
troupes  que  la   France  y  faisait  à 
cette  époque.  Ce  fut  alors  qu'il  com- 
mença  d'exhaler   son   ressentiment 
contre  la  cour  de  Rome  ,  dans  une 
foule  d'opuscules  ,  empreints  de  tant 
de  fiel  que  Vergerio  fut  désapprouvé 
même  par  les  Protestants.  Appelé  par 
le  duc  de  Wirtemberg  ,  à  Tubingue, 
en  i553  ,  il  en  reçut  un  accueil  plein 
de  bienveillance  ,  quoique  ce  prince 
blâmât    l'amertume    de    son    zèle. 
Il  fit ,  dans  l'intérêt  de  sa  cause , 
plusieurs  voyages  en  Prusse ,  en  Hon- 
grie, en  Pologne,  et  mourut  à  Tu- 
bingue, le  4  octobre  i565,  dans  un 
âge  assez  avancé.    Les  attaques  de 
Vergerio  ,  contre  l'Eglise  romaine  , 
lui  suscitèrent  des  adversaires  ,  dont 
les  principaux  furent  Jérôme  Muzio 
(  F.  ce  nom  au  Supplément  ),  Jean 
Délia  Casa  ,  le  cardinal  Hosius  ,  et 


VER 

lîyppol.  Chizzuola.  Délia  Casa,  uon 
moins  emporté  que  Vergeno  ,  écrivit 
contre  lui  une  invective  (2) ,  dans 
laquelle  il  le  traite  comme  le  dernier 
des  scélérats  ,  l'accusant  mcme  d'a- 
voir empoisonné  sa  femme.  Les  en- 
nemis de  Vergerio  s'accordent  à  lui 
reprocher  d'avoir  ,  eu  secret ,  pro- 
fesse les  principes  de  Luther, depuis 
la  naissance  de  celte  secte  ;  de  sorte 
que  suivant  eux  il  n'aurait  été  , 
trente  ans  de  sa  vie ,  qu'un  fourbe  et 
un  imposteur,  Mais  le  judicieux  et 
impartial  J.-Rcn.  Carli  (  Foj .  ce 
nom),  dans  une  Vie  très-détailiée de 
Vergerio,  composée  sur  des  docu- 
ments authentiques  ,  a  prouvé  que 
ce  prélat  n'embrassa  réellement  le 
luthéranisme  que  lorsqu'il  eut  été 
forcé  par  ses  ennemis  de  s'exiler  de 
l'Italie.  {F.  celte  Vie  dans  les  OEu- 
vres  de  Carli ,  tome  xv,  édition  de 
Milan,  in-8".  ).  Tous  les  opuscules 
de  Vergerio  sont  très-rares ,  parce 
qu'ils  ont  élé  supprimés  rigoureuse- 
ment,  et  que  d'ailleurs  la  plupart 
n'étant  que  de  quelques  feuillets  ,  il 
a  dû  s'en  pcidre  beaucoup  d'exem- 
plaires. Le  P.  Niceron  en  porte  le 
nombre  à  cinquante-cinq  ;  mais  la 
liste  qu'il  en  a  donnée  dans  le  tome 
xxxviii  de  ses  Mémoires  est  incom- 
plète. On  se  contentera  d'indiquer 
ici  ceux  que  recherchent  encore  quel- 
ques curieux.  L  Le  otto  difensioni 
dei  Vergerio  ,  ovvero  trattato  délie 
superstitioni  d'Italia  e  delV  igiio- 
ranza  de'  Sacerdoti  {  Bàle  ) ,  1 55o, 
in-8".  Cette  édition  fut  publiée  par 
Cel.  Curion  (  V.  cenom)  ;  mais  dans 
la  suite  Vergerio  le  dénonça  au  sé- 
nat de  Bâîe,  comme  auteur  d'un  livre 
hérétique,  et  ils  devinrent  ennemis  ir- 


(2)  Celle  pièce  était  restée  eu  manuscrit.  Mé- 
nage ea  avant  obtenu  une  copie  du  savant  Maglia- 
hecclii  la"  fit  imprimer  à  la  suite  de  Y  Anti-Bail- 
Ifl,  Yoj.  i>,  455  de  l'édit.  in-4°. 


VER  ,89 

réconciliables.n.  Il  Vergerio  a  Pa- 
pa Giidio  terzo ,  che  ha  approva- 
to  un  libro  del  Muzio  intilolato  le 
Vergeri&ne  (  i55i  ),  in  8'\  de  igS 
pages,  in.  Concilium  non  modo 
Tridentinum,  sed  omnepapisticum , 
perpetub  fiigiendum  esse  omnibus 
piis  (  Berne  ) ,  1 553  ,  in-4'^.  de  4-7 
pag.  La  réimpression  de  Tnbingue 
n'a  presque  aucime  valeur.  IV.  Jie- 
traltazioni  del  Vergerio  ,  1 556  , 
in-B».  de  55  ])ag.  Dans  cet  écrit 
adressé  aux  habitants  du  diocèse  de 
Capod'Istria,  l'auteur  désavouetout 
ce  qu'il  a  dit  et  enseigné  pendant  son 
épiscopat.  V.  De  oratione  ,  et  usu 
sacramentorwii.  et  cœnœ  Domini , 
Tubiugue,  i559  ,  iu-80.  de  64  pag. 
Le  P.  Niceron  n'a  peint  connu  cet 
opuscule.  VI.  Postremus  Catalo- 
gus  hœrelicoriim  Roniœ  conjlatus 
anno  i55g,  continens  alios  cpiatuor 
Catalogos ,  etc.,Pfortzheien,  i56o, 
in- 8°.  VII.  Primas  tomus  operum 
Vergerii  contra  Papatu m  ,  ibid. , 
i563,in-4°.  de4oi  feuillets.  Ce  pre- 
mier vol.  duRecueil  desOpusculesde 
Vergerio  n'a  pas  eu  de  suite.  L'art, 
donné  par  Baylc  à  Vergerio  ,  dans 
son  Dictionnaire ,  est  inexact.;  mais 
ou  y  trouve  des  détails  et  des  rensei- 
gnements curieux.  AV — s. 

VERGÎ.  Vojez  Vergy. 

VERGIER  (Jacques),  né  à 
Lyon  le  3  janvier   i655   (i),   fut 


(i)  Jusqu'à  pvi'sent  tous  les  Dictionnaires  histo- 
riques, Eloges,  Notices,  eîc,  ont  lait  naître  Ver- 
gier  en  itij-".  Voltaire  seul,  dans  son  Siècle  de 
Louis  A//',  disait  1675 ;  mais  c'était  par  une  trans- 
position de  chiffres,  qui  depuis  la  première  édition 
de  i-5i  a  été  copiée  et  répétée  par  tous  les  édi- 
teurs jusqu'en  183.0.  IVI.  Lequieu,  dans  son  édition 
des  Ohiivres  de  J' oltcire ,  est  le  premier  qui  ait 
mis  16.Î7.  Cette  date  de  iG^-  n'est  toutefois  qu'une 
error  conimunis  ,  mais  elle  ne  fait  pas  droit.  M. 
Brenbot  du  Lut ,  notre  collaborateur,  a  trouvé,  en 
ib-23,  sur  les  registres  de  la  paroisse  Saint-Pierre 
et  Saint-Saturniu  de  Lyon  ,  à  la  date  que  je  donne, 
l'acte  de  baptême  d'un  Jacques  Vergier,  fils  de 
Hugues  Vergier,  maître  cordonnier,  et  c'est  peut- 
être  à  cause  de  cette  circonstance  du  métier  ,  pré- 


IQO 


VER 


envoyé  à  Paris  pour  y  achever  ses 
études  ,  et  fit  son  cours  de  théologie 
à  la  Sorhonne  ,  où  il  prit  le  grade 
de  bachelier.  Ses  parents  le  desti- 
naient à  l'état  ecclésiastique,  et  Ver- 
gier  en  porta  quelque  temps  l'habit  j 
on  l'appelait  l'abbé  Vergier;  mais 
cet  état  n'étant  pas  de  son  goût,  il  se 
lança  dans  le  monde  ,  où  il  eut  bientôt 
des  amis  et  des  protecteurs.  Employé 
dans  l'administration  de  la  marine  , 
il  fut  nommé,  le  2  octobre  1688, 
écrivain  principal  au  Havre  •  il  eut , 
depuis  1690,1e  titre  de  commissaire 
de  la  marine ,  et  remplit  ces  fonc- 
tions à  Dunkerque.  Après  vingt-sis 
ans  d'exercice  ,  il  se  démit  de  sa 
charge  et  vint  se  fixer  à  Paris  ,  en 
1 T  i4;  il  fut  assassiné  dans  cette  ville, 
au  coin  delà  rue  du  Bout-du-Mondc, 
aboutissant  dans  la  rue  Montmartre, 
dans  la  nuit  du  i^  au  18  août  1720 
(2):  il  reçut  un  coup  de  pistolet  dans 
la  gorge  et  trois  coups  de  poignard 
dans  le  cœur.  On  attribua  plusieurs 
causes  à  ce  crime  :  les  uns  prétendi- 
rent qu'il  avait  été  commis  par  oi'dre 
du  duc  d'Orléans ,  régent ,  blessé 
d'une  parodie  de  la  dernière  scène  de 
Mithridate  ,  attribuée  faussement  à 
\  ergier  ;  d'autres  crurent  que  c'était 
une  affaire  de  jalousie,  ou  même  une 


lendu  ignoble,  du  père  de  Vergler  ,  que  le  fils  ne 
]aîssa  pas  de  renseignements  précis  sur  sa  naissance; 
ainsi  Vergier  aurait  eu  la  même  faiblesse  que  son 
ami  J.-B.  Rousseau  ,  de  rougir  de  ce  qu'on  appelle 
bassese  d'extraction. 

(7.)  Les  éditeurs  des  Œuvres  de  P'crt^ier,  de 
1726,  disent  que  Vergier  fut  assassiné  en  1722, 
«ans  indiquer  le  jour;  les  éditeurs  de  1727  et  de 
1731  le  font  mourir  le  iG  aoiit  1720  ;  enfin  les  édi- 
teurs de  1730  et  de  1780  metlent  sa  mort  au  10 
juin  1712.  La  lettre  de  Brossetle  à  J.-B.  Rousseau, 
du  10  septembre  1720,  parait  lever  tous  les  dou- 
tes. Brossette  dit  r/ue  le  jour  de  In  mort  de  mada- 
me Dacier  a  été  un  joui'  malheureux  pour  les 
^ens  de  lettres,  car  M.  f^ergieijiit  e/ilefé  au  monde 
le  même  jour  ou  plutôt  la  nuit  suivante,  W  est  bon 
de  remarquer  que  cette  lettre ,  ou  Brossette  parle 
de  la  peste  de  Marseille  ,  est ,  par  une  siiigulii--re  et 
incoDcevable  faute  d'impression,  datée  de  1717 
(  au  lieu  de  1720  )  dans  le  tome  U  des  Lettres  de 
Foufseau  ,  1750  ,  5  \ol.  petit  in-ii. 


VER 

méprise.  L'im  de  ses  assassins  ,  le 
chevalier  le  Craqueur,  camarade  de 
Cartouche  ,  qui  fut  rompu  le  lo  juin 
i']22  ,  avoua  que  l'intention  de  ses 
complices  était  de  voler  V^ergier  j 
mais  qu'ils  en  fuirent  empêchés  par 
un  carrosse  qui  passa  dans  le  moment. 
La  réputation  que  Vergier  s'était  ac- 
quise par  son  talent  poétique  dé- 
cida à  recueillir  ses  productions  ,  et 
une  édition  de  ses  OEuvres  dii>erses 
parut  à  Amsterdam  (  Genève  (3)  ou 
Rouen),  1726,2  vol.  in- 12;  une 
édition  de  Paris  (  Amsterdam)  pa- 
rut en  1727  ,  2  vol.  in-B".  ;  une  édi- 
tion de  La  Haye,  1781  ,  a  3  vol. 
in-i  vi  ;  c'est  de  la  même  année  qu'est 
l'édition  d'Amsterdam  ,  en  deux  vo- 
lumes iii-i  2 ,  avec  un  Supplément  de 
deux  cents  pages  pour  chaque  vo- 
lume ;  on  y  a  joint  un  petit  cahier  de 
64  pages,  intitulé:  D.  Juan  et  Isa- 
belle,  nouvelle  portugaise ,  par  M. 
F'ergier  ,  173  r,  in- 12.  L'édition 
de  1 7  3 1  ,  des  OEuvres  de  Vergier  , 
reparut  en  1 742 ,  avec  de  nouveaux 
frontispices. En  1750,  onpublia,sous 
la  rubrique  de  Lausanne  ,  celle  en  2 
volumes  in- 12  ,  auxquels  on  mit  de 
nouveaux  frontispices  en  1765.  La 
plus  jolie  édition  est  celle  de  Londres 
(Paris,  Cazin),  3  vol.  in-i8.  C'est 
une  réimpression  fidèle  de  l'édition 
de  Lausanne  ;  comme  toutes  les 
autres  cependant ,  elle  laisse  beau- 
coup à  désirer  :  le  texte  est  souvent 
défiguré;  plusieurs  choses  sont  à  ex- 
pliquer ;  quelques  pièces  admises  et 
conservées  dans  le  Recueil  ne  sont 
pas  de  Vergier ,  entre  autres  le  Rossi- 
gnol, qui  a  pour  auteur  J.-B.  Lan- 
tin,  mort  en  lôgS  (  Voy.  son  arti- 
cle, XXIII,   378).   Vergier  avait 

(3j  D'après  un  jiassage  de  la  Eit'liotltèt/ueJ'raii- 
cuise.  Vin,  332,  il  V  eut  en  1726  deux  cdilions  , 
l'une  de  Rouen,  injdme pour  Vimvression,  l'autre 
de  Genève  ;  cette  dernière  porle  l'indication 
d'Amsterd.5m. 


VER 

fait  ou  fait  faire  de  nombreuses  co- 
pies de  ses  poésies,  et  ea  les  envoyant 
a  chaque  personne  ,  il  y  ajoutait 
une  ëpître.  Brossette  espérait  re- 
cevoir de  la  famille  tous  les  ou- 
vrages de  Vergier,  écrits  de  sa  main 
et  troiwés  chez  lui  après  sa  mort. 
On  ne  sait  ce  qu'est  devenu  ce  manus- 
crit. Vergier  n'a  fait  qu'un  très-petit 
nombre  de  contes  (4);  mais  ce  sont 
ses  principaux  titres  au  souvenir  de 
la  postérité.  Laharpe ,  qui  eu  trouve 
plusieurs  plaisamment  imaginés  et 
narrés  avec  agrément  et  facilité  ,  re- 
proche cependant  à  l'auteur  la  lon- 
gueur ,  la  monotonie  ,  le  prosaïsme. 
Malgré  ces  délauts  ,  Vergier  a  ,  dans 
sou  genre  ,  la  première  place  après 
La  Fontaine  ;  imitateur  faible ,  mais 
naturel .  dit  Voltaire,  il  est  à  l'égard 
de  La  Fontaine  ce  que  Campistron 
est  à  Racine.  Il  excellait  à  faire  des  pa- 
l'odieset  des  chansons  de  table.  J.-B. 
Rousseau,  dans  sa  LettreàBrossetle, 
du  28  oct.  1720,  dit:  Nous  n'a- 
vons peut-être  rien  dans  notre  lan- 
gue où  il  y  ait  plus  de  naïveté' ,  de 
noblesse  et  d'élégance  que  ses  chan- 
sons de  table,  qui  sont  aussi  ce  qu'il 
a  fait  de  meilleur  et  qui  pourraient 
le  faire  passer  à  bon  droit  pour 
V  Anacré on  français  ;  nous  les  chan- 
tons tous  les  jours  ici  avec  milord 
Cadogan,  etc.  On  est  aujourd'hui 
un  peu  plus  diiBcile  ;  on  est  choque, 
à  la  lecture,  de  l'emploi  fréquent  des 
vers  de  neuf  et  de  onze  syllabes  ,  et 
même  de  vers  de  dix  qui  ont  la  cé- 
sure à  la  cinquième.  Les  airs  sur  les- 
quels étaient  faites  les  chansons  de 
Vergier  ont  vieilli etsontpresque tous 
oubliés  ;  tout  cela  est  au  désavantage 
de  Vergiei';  mais  le  jugement  de  J.-B. 


(4)  Ze'da  on  l'.l/ricaine,  conte  en  vers,  que  l'on 
présente  quelquefois  comme  xin  ouvrage  de  Ver- 
gier ,  imprimé  sé^iare'ment,  est  dans  re'ditiou  de 
f^ii  de  ses  teavres ,  tome  II,  pag.  loG-iii}. 


VER  igt 

Rousseau  doit  toujours  être  d'un 
grand  poids.  C'est  à  Vergier  que 
sont4;onsacrces  les  troisième,  neuviè- 
me ,  dixième  ,  onzième,  douzième  et 
treizième  des  Lettres  Bourguignon- 
nes ,  etc. ,  par  M.  Amanton ,  Dijon  , 
1823,  iu-8°. ,  avec  un  fac-simile  de 
la  signature  de  Vergier.  A.  B — t. 
VERGILE  ou  VIRGILE.  Foy. 

POLYDORE. 

VERGINIUS-RUFUS  (Lucas), 
naquit  dans  les  emirons  de  Côme, 
l'an  i/j.  de  J.-G.,  et  la  dernière  an- 
née du  règne  d'Auguste.  Fils  d'un 
simjîie  chevalier  romain,  il  parvint 
par  sa  valeur  et  par  sa  capacité  au 
premier  rang  de  l'armée,  et  fut  nom- 
mé consul  en  l'an  816  de  la  répu- 
blique (  63  de  J.-C.  ),  sous  le  règne 
de  Néron.  Il  commanda  les  légions 
de  la  Germanie  sur  le  Haut-Rhin  , 
lors  de  la  révolte  de  Vindex  (  Foj. 
ce  nom  )  l'an  6g  de  J.-C.  Il 
vainquit  ce  chef  des  Gaulois ,  et 
fut  proclame'  empereur  par  les  lé- 
gions qui  étaient  sous  ses  ordres  ^ 
mais  il  refusa  l'empire,  et  persista 
dans  ce  noble  refus ,  même  lorsqu'a- 
près  la  mort  de  Néron  elles  le  lui  of- 
frirent de  nouveau.  Cependant  Gal- 
ba avait  été  proclamé  en  Espagne^ 
et  Verginius  ne  le  Ht  reconnaître  par 
ses  troupes  que  lorsque  le  nouvel  em- 
pei'eur  eut  été  nomme  par  le  sénat. 
II  se  rendit  alors  à  Rome,  où  il  fut  reçu 
avec  beaucoup  d'égards ,  mais  rete- 
nu en  queiquesorte  comme  otage.  Sous 
Othon  (an  70  de  J.-C.) ,  il  fut  encore 
une  fois  honoré  du  consulat,  et  il 
servit  ce  prince  jusqu'à  ses  derniers 
moments.  Après  sa  mort,  les  légions 
lui  offrirent  de  nouveau  l'empire  ,  et 
il  résista  h  leur  empressement  avec 
la  même  prudence  et  la  même  génc- 
rosif é  ;  mais  ces  mêmes  soldats ,  qui 
l'avaient  proclamé  empereur  ,  se 
croyant  méprisés ,  voulurent  ensuite 


iga 


VER 


l'égorger  sous  les  yeux  de  Viîellius  ; 
et  ils  l'accusèrent  d'avoir  tente'  de  fai- 
re assassiner  ce  prince  par  un  de 
ses  esclaves.  Enfin ,  dit  un  liistorien, 
cet  illustre  Romain  brava  plus  de 
dangers  pour  éviter  !a  puissance  sou- 
veraine que  l'ambition  n'en  a  (Iron- 
ie pour  l'obtenir.  Dans  cette  occasion, 
ce  fut  Vitellius  lui-même  qui  le  dé- 
fendit contre  la  fureur  des  soldats. 
Verginius  vécut  ensuite  dans  la  re- 
traite sous  Vespasien ,  Titus  et  Do- 
mitien,  honoré  des  bons  empereurs, 
souffertdes  mauvais,  et  faisant  tous 
ses  efforts  pour  rester  ignoré.  Il  s'oc- 
cupait beaucoup  de  littérature ,  et  ne 
s'éloignait  de  sa  retraite  que  pour 
des  devoirs  indispensables  ,  jusqu'à 
ce  que  sou  ami  îscrva  ,  devenu  em- 
pereur ,  le  rappela  sur  la  sccue-  Nom- 
nié  encore  une  fois  consul ,  en  l'an 
85o  de  la  république  (  97  de  J.-C.  ), 
il  mourut  dans  la  même  année  à 
l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans. 
Ses  funérailles  se  firent  avec  beau- 
coup de  pompe,  aux  dépens  du  trésor 
public,  et  son  éloge  fut  prononcé  par 
l'historien  Tacite  ,  qui  lui  avait  été 
substitué  dans  le  consulat.  «  La  for- 
»  tune,  toujours  fidèle  à  Vcrginius, 
»  gardait  pour  dernière  grâce  un  tel 
»  orateur  à  de  telles  vertus.  »  Pline 
le  jeune,  de  qui  ces  paroles  sont  ti- 
rées, avait  eu  Verginius  pour  tuteur. 
Il  en  fait  un  grand  éloge  dans  plu- 
sieurs de  ses  lettres ,  où  il  l'appelle 
Firginius.  M — d  j. 

VERONE  (LA  ).  Foj:  Fayette 
et  Tressan. 

VERGNIAUX  (  Pierre -ViCTO- 
BiN  ),  l'un  des  chefs  du  parti  Giron- 
din ,  et  l'un  des  plus  grands  orateurs 
de  nos  assemblées  politiques ,  naquit 
en  1759  à  Limoges,  où  son  père 
était  avocat.  Il  suivit  d'abord  la  mê- 
me profession  dans  cette  ville  ;  mais 
voulant  paraître  sur  un  plus  grand 


VER 

théâtre ,  il  alla  s'établir  à  Bordeaux, 
et  se  plaça  bientôt  par  son  talent  à 
la  tête  du  barreau  ,  alors  si  distingué, 
de  cette  capitale  delà  Guienne.  Doué 
de  cette  extrême  facilité  qui  s'allie 
presque  toujours  à  un  caractère  in- 
dolent (j),  il  ne  devait  qu'à  la  na- 
ture cette  éloquence  passionnée,  cette 
improvisation  brillante,  ce  débit  ejx- 
traîiiant,  qui  plus  tard  lui  valurent 
des  succès  à-la-fois  si  éclatants  et  si  fu- 
nestes. Comme  tous  les  jeunes  avo- 
cats de  sa  province ,  Vergniaux  adop- 
ta avec  ardeur  les  principes  de  la  ré- 
volution, et  fut  nommé  membre  de 
l'administration  du  département  de 
la  Gironde  ,  puis  député  à  l'assem- 
blée législative  en  1791.  La  ville  de 
Bordeaux  ,  qui ,  vingt-cinq  ans  plus 
tard,  devait  donner  l'impulsion  roya- 
liste à  toute  la  France  ,  se  faisait 
alors  lemarquer  par  son  exaltation 
révolutionnaire.  Ses  députés  étaient 
tous  plus  ou  moins  pénétrés  de  l'idée 
d'établir  la  république  :  la  plupart 
étaient  des  orateurs  distingués;  au- 
cun ne  disputait  à  Vergniaux  la  pal- 
me de  l'éloquence  :   eux-mêmes  le 
proclamaient  le  chef  de  leur  parti;  ce- 
pendant il  n'en  fut  jamais  le  meneur. 
Il   avait  toutes  les  qualités  de  l'ora- 
teur ,  mais  aucune  de  celles  qui  font 
l'homme  d'état.  L'amour  des  plai- 
sirs, et  surtout  le  goût  de  la  paresse 
le  tenaient  dans  une  sorte  d'engour- 
dissement, dont  il  ne  sortait  qu'en  se 
faisant  violence  :  sou  réveil  était  ter- 
rible pour  les  adversaires    de  son 
parti;  et,    selon  l'expression  d'im 
contemporain,  la   foudre  de  Mira- 
beau se  rallumait  dans  les  mains  de 
Vergniaux.  M™^.  Rolland,  dans  ses 

(i)  On  cite  un  trait  curieux  de  son  insouciance. 
Uu  client  vint  lui  proposer  une  affaire  importan- 
te. Avant  de  répondre,  Vergniaux  ,  effraye'  de  la 
grosseur  du  dossier,  ouvre  sa  caisse,  reconnaît 
que  pour  le  moment  il  possédait  assez  d'argent  ^  et 
refuse  de  se  charger  de  l'affaire. 


VER 

Mcfinoircs ,  lui  reproche  avec  amer- 
tume cette  indolence  qui  fut  si  pre'jn- 
diciablc  à  la  faction  des  Girondins  ; 
elle  l'accuse  d'égoïsme  philosophi- 
que ,  de  mépris  pousse  trop  loin  pour 
les  hommes;  elle  rep;rette  qu'un  ta- 
lent toi  que  cekii  de  Vergniaux  n'ait 
pas  été  employé  avec  l'ardeur  d'une 
ame  dévorée  de  l'amour  du  bien 
public,  et  la  ténacité  d'un  esprit 
laborieux.  Paganel,  dans  sou  His- 
toire de  la  re'volution,  repre'sente  cet 
orateur  comme  doue'  d'une  ame  ge'- 
nëreisse ,  étranger  à  toute  ambtion 
personnelle,  ne  parlant  jamais  que 
quand  une  conviction  profonde  et 
les  dangers  de  son  parti  lui  en  fai- 
saient une  loi.  «  Représeutez-vous  _, 
»  dit-il,  un  homme  que  d'autres  hcm- 
»  mes  entourent  et  entraînent,  qui 
»  ne  cherche  pas  une  issue  pour  s'é- 
«  chapper,  mais  qui  resterait  là,  si 
)>  le  cerc'e  se  rompait  et  le  laissait 
»  libre.  Tel  était  Vergniaux  parmi 
»  les  Girondins.  Les  meneurs  l'asso- 
»  cièrent  à  leur  ambition ,  et  ne  par- 
»  vinrent  jamais  à  îe  rendre  ambi- 

)>  tieux  pour  lui-même II  som- 

»  raeillait  dans  l'intervalle  de  ses 
»  discours ,  taudis  que  l'ennemi  ga- 
»  gnait  du  terrain ,  cernait  la  ré- 
»  publique  et  la  poussait  dans  l'a- 
»  bîme  avec  ses  défenseurs.  »  Ou 
ne  saurait  dire  aujourd'hui  quelle 
marche  am'ait  prise  la  révolution  si 
les  Girondins  eussent  montré  plus 
d'esprit  de  suite  et  de  prévoyance j 
et  pour  ne  parler  que  de  Vergniaux, 
il  eût  été  appelé  à  jouer  im  rôle  bien  >■■ 
plus  important,  si,  puissant  comme 
il  l'était  par  la  parole,  il  eût  déployé 
autant  d'esprit  de  conduite  que  de 
véhémence  ,  autant  d'habileté  que 
d'exaltation.  Des  les  premières  séan- 
ces de  l'assemblée  législative  ,  il  se 
signala  par  la  violence  de  ses  atta- 
ques contre  la  monarchie.  Couthon 

XLVIIT. 


VER  ,93 

et  Chabot  ayant  demandé,  l'im  que  le 
fauteuil  du  roi  dans  l'assemblée  fût 
abaissé  au  niveau  de  celui  du  prési- 
dent, l'autre  que  les  dénominations 
de  iSire  et  de  Majesté  fussent  abo- 
lies ,  Vergniaux  appuya  vivement 
cette  motion.  Selon  lui,  le  corps  lé- 
gislatif, représentant  la  nation  sou- 
veraine dans  l'exercice  de  ses  droits, 
ne  pouvait  donner  au  pouvoir  exécu- 
tif des  qualifications  qui  emportaient 
l'idée  de  souveraineté.  L'assemblée 
vota  la  proposition  avec  transport; 
)nais  cet  acte  d'hostilité  contre  le 
pouvoir  royal ,  fait  sans  aucun  pré- 
texte et  avec  un  oubli  volontaire  de 
toute  décence ,  excita  des  murmures 
universels,  et  parut  précipité,  même 
à  ceux  qui  voulaient  aller  encore  plus 
loin.  Le  décret  fut  rapporté  dès  le 
lendemain  (  6  octobre  1791  ).  Dans 
la  discussion  importante  qui  s'enga- 
gea quelques  jours  après  (21  octob.  ) 
sur  les  émigrés ,  Vergniaux  et  les  Gi- 
rondins, persuadés  que  le  meilleur 
moyen  de  s'assurer  la  faveur  du  peu- 
ple était  de  l'exalter  dans  ses  crain- 
tes ,  se  livrèrent  aux  déclamations 
les  plus  violentes  contre  les  proscrits. 
Vergniaux  demanda  que,  si  dans  six 
semaines  ils  n'étaient  pas  rentrés  en 
France ,  ils  fussent  irrévocablement 
privés  de  leurs  traitements ,  de  leurs 
])ensions  et  de  leurs  droits  de  cité.  Ce 
fut  surtout  contre  les  princes  fran- 
çais qu'il  dirigea  ses  traits  les  plus 
acérés.  L'assemblée  différa  d'adop- 
ter les  propositions  du  fougueux  ora- 
teur :  ce  triomphe  était  réservé  à 
Guadet  ;  mais  l'élévation  de  Ver- 
gniaux à  la  présidence  au  milieu  de 
cette  discussion  fut,  de  la  part  de  la 
majorité,  une  approbation  tacite  des 
sentiments  qu'il  venait  de  professer 
(  2g  octobre  ).  Les  Girondins ,  enga- 
gés en  quelque  sorte  par  leurs  pre- 
mières démai'ches,  ne  devaient  pas 
i3 


194  VEl^ 

s'arrêter  dans  la  carrière  des  lois 
révolutionnaires.  C'est  de  la  pré- 
sidence de  Verguiaux  que  date  le  dé- 
cret qui  séquestra  ks  Liens  des  prin- 
ces français  ,  et  qui  condamna  à 
mort  les  émigrés.  Le  roi  refusa  de  le 
sanctionner.  Lorsque  le  ministre  Du- 
port-du-Tertre  voulut  exposer  à  l'as- 
semblée les  motifs  de  ce  refus,  Ver- 
gniaux  ,  qui  présidait,  lui  impo- 
sa silence,  en  lui  disant  d'un  ton 
sévère  ,  que  la  constitution  accor- 
dait bien  au  roi  le  veto ,  mais  non 
la  faculté  d'en  développer  les  motifs. 
Bientôt ,  pour  arriver  à  leur  but,  les 
Girondins  crurent  avoir  besoin  de  la 
guerre  contre  les  puissances.  Ce  fut 
Brissot  qui  imprima  ce  mouvement  à 
son  parti,  et  Vergniaux  suivit  avec 
ardeur  cette  direction  :  dans  toute 
occasion,  il  appelait  la  guerre.  Rien 
ne  paraissait  plus  facile  que  de  fami- 
liariser avec  ce  fléau  les  imaginations 
ardentes  des  législateurs  qui  prési- 
daient alors  aux  destinées  de  la  Fran- 
ce! L'assemblée  portait  sans  cesse 
des  regards  curieux  et  inquiets  sur 
toutes  les  démarches  des  puissan- 
ces. Le  ministre  De  Lessart  crut 
calmer  ses  inquiétudes  en  commu- 
niquant les  réponses  faites  par  les 
différentes  cours  de  l'Europe  à  la 
lettre  où  Louis  XVI  leur  notifiait 
qu'il  avait  accepté  la  constitution. 
La  réponse  de  l'empereur  Léopold 
ne  satisfit  point  l'assemblée,  qui  de- 
sirait qu'elle  fût  plus  précise.  On  in- 
vita le  roi  à  faire  des  réquisitions 
aux  princes  allemands ,  au  sujet  des 
rassemblements  d'émigrés  (  29  no- 
vembre ).  L'empereur  les  défendit 
dans  les  provinces  belges,  et  le  roi 
s'étant  rendu  à  l'assemblée,  le  14 
décembre,  prononça  sur  ce  sujet  un 
discours  qui  fut  généralement  ap- 
plaudi :  déjà  l'assemblée  elle-même 
montrait  moins  d'inquiétude.  Le  par- 


VER 

li  de  la  Gironde  réveilla  les  alar- 
mes :  Vergniaux  compara ,  dans  un 
discours  véhément ,  les  dispositions 
actuelles  des  Français  à  celles  des 
Athéniens  au  temps  de  Philippe.  II 
employa  avec  habileté  tous  les  repro- 
ches que  Démosthcnes  avait  adressés 
à  l'indolence  de  ses  compatriotes  dé- 
généi-és.  Le  l'j  décembre^  il  propo- 
sa une  adresse  au  jieuple,  dans  la- 
quelle il  établissait  que  la  nation  ne 
pourrait  se  soustraire  à  l'esclavage 
oii  l'on  voulait  la  replonger,  autre- 
ment que  par  la  guerre.  Cette  adres- 
se fut  envoyée  aux  départements 
pour  accompagner  l'envoi  du  dis- 
cours du  roi.  Dès  ce  moment  fut  dé- 
truit le  salutaire  effet  qu'avait  pro- 
duit cette  démarche  du  monarque. 
Chaque  jour  l'assemblée  exigeait  de 
nouvelles  communications  diploma- 
tiques ,  et  le  ministre  De  Lessart,  qui 
faisait  tous  ses  eflbrts  pour  conser- 
ver la  paix  avec  les  puissances ,  se 
voyait  en  butte  aux  accusations  de 
la  Gironde  et  des  Jacobins.  Sa  cor- 
respondance confidentielle  avec  le 
prince  de  Kaunitz  ,  au  sujet  des  l'as- 
semblements  d'émigrés  ,  devint  une 
arme  que  lui-même  eut  l'imprudence 
de  fournir  à  ses  ennemis  (  janv. 
1792).  Déjà  précédemment  (3  déc), 
l'abbé  Fauchet  avait  porté  contre 
lui  une  dénonciation  très-violente  : 
le  1 7  février ,  ce  député  proposa  un 
décret  formel  d'accusation.  Le  co- 
mité diplomatique  de  l'assemblée  fut 
chargé  de  faire  un  rapport  à  ce  su- 
jet ;  mais  le  professeur  Koch,  ap-  1 
puyé  de  quelques  hommes  modérés  i 
qui  étaient  membres  de  cette  com- 
mission ,  dilïéra  ce  rapport  dont  il 
était  chargé,  sous  prétexte  d'avoir 
besoin  de  quelques  renseignements. 
Il  espérait  éloigner  l'orage  qui  gron- 
dait sur  la  tète  du  ministre  :  mais 
Brissot  ne  le  permit  pas  j  il  se  char- 


VER 

gea  seul ,  et  sans  l'interme'diaire  du 
comité ,  de  faire  passer  le  dccx*et 
d'accusation.  Cependant  son  dis- 
cours n'avait  point  assez  de  ve'- 
hemcnce  pour  entraîner  les  esprits  , 
lorsque  Vergniaux  soutint  que,  pour 
porter  un  décret  d'accusation  ,  les 
preuves  n'eTaient  pas  nécessaires  , 
et  que  des  présomptions  suffi- 
saient. Bientôt  s'abandounant  au 
mouvement  le  plus  violent  et  le 
plus  iiTéfléclii  ;,  «  Ce  n'est  plus 
»  ma  vois ,  s'écria-t-il  ,  que  vous 
»  allez  entendre;  c'est  une  voix  plain- 
»  tive  qui  sort  de  l'épouvantable 
»  glacière  d'Avignon  !  Elle  vous 
»  crie  :  Le  décret  de  réunion  du  Com- 
»  tat  à  la  France  avait  été  rendu  au 
»  mois  de  septembre  dernier  •  s'il 
»  nous  eût  été  envoyé  sur-le-champ  _, 
»  peut-être  qu'il  nous  eût  apporté  la 
»  paix ,  et  qu'il  eût  éteuit  nos  funes- 
»  tes  divisions;  peut-être  qu'en  de- 
»  venant  Français  nous  eussions  ab- 
»  juré  l'esprit  de  haine;  nous  n'eus- 
»  sions  point  été  victimes  d'un  mas- 

»  sacre  abominable ;  mais  M.  De 

»  Lessart  a  gardé  ce  décret  pendant 
»  deuxmois  dans  son  porte-feuille,  et 
»  dans  cet  intervalle  nos  dissentions 
»  ont  continué  ;  dans  cet  intervalle  , 
»  de  nouveaux  crimes  ont  souillé 
»  notre  déplorable  patrie.  C'est  no- 
»  tre  sang ,  ce  sont  nos  cadavres 
»  mutilés  qui  demandent  vengeance 
»  contre ceministre(2). «Rapportant 
ensuite  !a  fameuse  phrase  de  Mira- 


(r>.)  Au  milieu  de  ces  exagérations  ,  il  v  avait 
cjuelque  cliose  de  vrai  dans  l'alléjalion  de  Vei- 
^tiiaiix  contre  le  ministre.  Trenle-deuxjoiirssVcon- 
lèreut  entre  le  i4  septembre  ,  où  fut  prononce  le 
décret  de  rénnion  du  Comtat  à  la  France  ,  et  le 
iG  octobre  ,  époque  des  massacres  de  la  (Tlacièrc. 
Mais  aussi  par  ([uelle  insouciance  ,  par  quelle  fa- 
talité les  commissaires  charges  d'opérer  cette  réu- 
nion ne  i'urent-ils  nommés  que  le  6  octobre  ,  et  ne 
reçurent-ils  leurs  commissions  que  le  ii  ?  t^n  ne 
peut  pas  supposer  que  le  ministre  fût  d'accord 
avec  Vcrninoc  (  f^.  ce  nom  ).  Peut-être  un  peu 
plus  d'activité  dans  les  bureaux  du  ministre  aurait 
jirévenn  une  grande  effusion  de  sani;.  A — T. 


VER  ,95 

beau  sur  la  Saint-Barthélemi,  il  ter- 
minait par  des  iraprécations'et  des 
menaces,  qui  présageaient  les  funestes 
journées  du  20  juin  et  du  10  août: 
«  De  cette  tribune  où  je  vous  parle, 
»  dil-il  ,  on  aperçoit  le  palais  ou 
»  des  conseillers  pervers  égarent  et 
»  trompent  le  roi  que  la  constitu- 
»  tion  nous  a  donné  ,  forgent  les 
»  fers  dont  ils  veulent  nous  euchaî- 
»  ner  et  préparent  les  manœuvres 
»  qui  doivent  nous  livrer  à  la  maison 
»  d'Autriche.  Je  vois  les  fenêtres  du 
"  palais  où  l'on  trame  la  contre-ré- 
»  volution  ,  où  l'on  combine  les 
"  moyens  de  nous  replonger  dans  les 
»»  horreurs  de  l'esclavage.  Le  jour 
»  est  venu  où  vous  devez  mettre  un 
»  terme  à  tant  d'audace ,  àtantd'in- 
»  solence ,  et  confondre  enfin  tous 
»  les  conspirateurs.  L'épouvante  et 
»  la  terreur  sont  souvent  sorties, 
»  dans  les  temps  antiques,  et  au 
»  nom  du  despotisme  ,  de  ce  palais 
»  fameux  :  qu'elles  y  rentrent  enfin 
»  au  nom  de  la  loi;  qu'elles  y  pénc- 
^i  trent  tous  les  cœurs;  que  tous  ceux 
»  qui  l'habitent  sachent  que  notre 
«  constitution  n'accorde  (V inviolabi- 
»  lité quau  roi  {3);  qu'ils  sachent 
»  que  la  loi  y  atteindra  ,  sans  dis- 
»  tinction ,  tous  les  coupables ,  et 
»  qu'il  n'y  a  pas  une  seule  tête  con- 
»  vaincue  d'être  criminelle  qui  puisse 
»  échapper  à  son  glaive.  »  Ce  dis- 
cours fut  applaudi  avec  fureur.  M.  de 
Vaublanc  voulut  en  vain  présenter 
quelques  observations  en  faveur  de 
De  Lessart;  le  décret  d'accusation  fut 
rendu  à  une  immense  majorité  (10 
mars  ).  Les  Girondins,  par  cette 
victoire,  obtinrent  l'avantage  d'im- 
poser au  roi  un  ministère  tout  répu- 
blicain. Dès  ce  moment  ils  poussè- 


(3)  Ces   derniers  mots   désignaient  évid;'mment 
la  reiiie. 


i3.. 


TQÔ 


VER 


rent  plus  que  jamais  à  la  guerre  :  ce 
n'était  pas  seulemeut  l'espoir  d'iiu- 
inilicr  ,  par  des  triomphes  et  des 
couquêtes  ,  les  puissances  protectri- 
ces delà  cause  des  Bourbons,  qui  ins- 
pirait ces  pensées  belliqueuses  aux 
Girondins  :  ils  se  flattaient  d'opérer 
une  icvolution  dans  les  mœurs 
par  le  moyen  de  l'entliousiasme  mi- 
litaire. Ce  fut  le  20  avril  que  Louis 
XVI  ,  dominé  par  ses  nouveaux 
ministres ,  vint  proposer  à  l'assem- 
blée de  déclarer  la  guerre  au  roi  de 
Bohême  et  de  Hongrie.  La  Gironde 
était  à  l'apogée  de  sa  puissance  ;  mais 
la  Montagne  avait  ime  popularité  qui 
s'accroissait  cliaque  jour  par  les  ex- 
cès dont  elle  offrait  l'appât  à  la  mul- 
titude. Pour  ne  pas  perdre  tout  cré- 
dit auprès  des  Jacobins  ,  les  Giron- 
dins étaient  dans  la  nécessité  de 
paraître  approuver  des  crimes  et  des 
fureurs  qui  se  trouvaient  en  opposi- 
tion avec  les  principes  de  Vergniaus 
et  de  la  plupart  de  ses  collègues.  Ce 
fut  par  cette  lâcbe  tt  inhabile  politi- 
que que  le  i  g  mars  on  le  vit  appuyer 
de  tous  les  prestiges  de  son  éloquen- 
ce le  décret  d'amnistie  demandé 
par  le  prctrc  Bassal ,  en  faveur  des 
assassins  d'Avignon.  Vergniaux  ne 
les  défendit  pas  précisément  y  com- 
me l'ont  avancé  quelques  biogra- 
phes •  mais ,  ce  qui  était  à  peu  près 
Ja  même  chose  ,  il  soutint  qu'ils  ne 
pouvaient  être  poursuivis ,  sans  les 
plus  grands  dangers  pour  l'État ,  et 
que  d'ailleurs  il  y  aurait  injustice  à 
punir  ces  malheureux ,  en  ménageant 
les  individus  du  parti  opposé.  Tou- 
jours acharné  à  la  poursuite  des  no- 
bles et  des  prêtres ,  il  soutint  que 
c'étaient  eux  qu'il  fallait  accuser  de 
ces  attentats  et  de  toutes  les  calamités 
qui  désolaient  laFrance.  Les  9  et  23 
avril  il  dénonça  de  nouveau  les  prê- 
tres, et  pressa  le  décret  qui  devait 


VER 

bientôt  les  condamner  à  la  dépor- 
tation. En  appuyant  de  telles  pro- 
positions de  loi,  Vergniaux  et  les 
Girondins  étaient  assurés  d'avan- 
ce que  Louis  XVI ,  prince  reli- 
gieux ,  ne  les  sauctionnei'ait  pas  ; 
mais  c'était  précisément  parce  qu'ils 
comptaient  sur  la  résistance  du  mo- 
narque, qu'ils  cherchaient  à  le  met- 
tre dans  le  cas  d'user  de  la  faible  ar- 
me du  veto,  assurés  qu'elle  tour- 
nerait contre  lui.  De  là  cette  sé- 
rie de  mesures  révolutionnaires  , 
provoquées  ,  réclamées  sans  cesse 
par  les  Girondins ,  et  dont  le  but 
véritable  était  d'environner  Louis 
XVI  de  périls  ,  d'humiliations  et 
d'embarras ,  aCn  de  le  forcer  à  ab- 
diquer une  couronne  chancelante  et 
avilie.  Ils  espéraient  par  là  éviter  le 
danger  d'une  attaque,  à  laquelle  ils 
sei'aiout  contraints  d'appeler  les 
chefs  sanguinaires  d'une  popula- 
tion dangereuse.  Vergniaux  ,  que  , 
dès  l'année  l'jgijOn  avait  entendu 
provoquer  la  déchéance  du  mo- 
narque ,  suivit  avec  ardeur  cette 
tactique  ,  qui,  par  un  effet  tout  con- 
traire à  ce  qu'il  en  espérait  ,  ne 
fit  que  hâter  les  journées  du  20  juin, 
du  lo  août  et  des  2  et  3  septembre. 
Le  29  mai ,  il  vota  j'our  le  licencie- 
ment de  la  garde  constitutionnelle 
du  roi;  et  cette  mesure  fut  décré- 
tée après  une  discussion  des  plus 
orageuses ,  dans  laquelle  les  révolu- 
tionnaires et  les  constitutionnels  se 
renvoyèrent  mille  invectives  et  mille 
menaces.  Après  cette  victoire,  les 
Girondins ,  croyant  n'avoir  plus  qu'à 
frapper  un  dernier  coup  pour  ren- 
verser le  trône  privé  de  tous  ses  dé- 
fenseurs ,  firent  proposer ,  à  l'insu 
du  roi ,  par  le  ministre  de  la  guerre 
Servau^  dévoué  à  leur  parti,  la  for- 
mation d'un  camp  de  vingt  mille 
hommes.  Ils  espéraient, par  le  moyen 


VER 

de  cette  milice  départementale,  ache- 
ver la  révolution  sans  avoir  besoin 
d'appeler  la  populace  de  Paris ,  dé- 
vouée aux  Jacobins.  Ce  décret ,  vi- 
vement combattu  par  ceux-ci  ,  fut 
adoptéle  8  juin.  Les  gardes  nationaux 
de  Paris ,  indignés  de  ce  qu'on  admet- 
tait d'autres  qu'eux-mêmes  à  la  dé- 
fense de  leur  ville  ,  se  prononcèrent 
contre  cette  mesure.  Huit  mille  ci- 
toyens signèrent  uzie  pétition  pour  en 
demander  la  révocation.  Vergniaux 
attaqua  les  pétitionnaires  avec  véhé- 
mence :  il  affecta  de  les  couvrir  de 
mépris  ,  et  représenta  leur  démarche 
comme  ayant  été  dictée  par  la  cour. 
Quelques  jours  après  ,  le  général  La 
Fayette,  qui  commandait  une  armée 
sur  la  frontière,  adressa  à  l'assem- 
blée une  lettre,  dans  laquelle  il  s'ef- 
forçait de  la  faire  rougir  des  atteintes 
qu'elle  avait  portées  ta  la  constitu- 
tion. Il  parlait  avec  mépris  et  avec 
menace  des  Jacobins.  La  lecture  de 
cette  lettre  répandit  dans  l'assem- 
blée une  sorte  d'épouvante.  Guadet 
s'efforça  de  détruire  cette  impres- 
sion ,  en  soutenant  qu'elle  n'était  pas 
du  général  La  Fayette.  «  Il  n'y  a , 
»  dit-il  ,  qu'un  César  ou  un  Crom- 
»  well  qui  ait  pu  l'écrire.  »  Ce  sys- 
tème fut  soutenu  par  Vergniaux. 
Toutefois  les  constitutionnels  obtin- 
rent ,  à  une  assez  faible  majorité,  que 
la  lettre  fût  renvoyée  à  l'examen  des 
comités  ;  mais  elle  ne  contribua  qu'à 
faire  éclater  l'insurrection  du  20  juin, 
pour  laquelle  tout  se  disposait.  Sous 
prétexte  de  présenter  à  l'assemblée 
une  pétition,  la  populacela  plus  abjec- 
te se  présenta  en  armes  à  l'assemblée. 
Des  députés  constitutionnels  ,  entre 
autres  Ramond  et  Dumolard ,  s'indi- 
gnèrent de  ce  qu'on  affectait  de  voir 
des  pétitionnaires  paisibles  dans  un 
ramas  de  séditieux  armés.  Guadet  et 
Vergniaux    parurent   s'offenser    de 


VER  19»^ 

pareils  soupçons  exprimés  sur  les 
ijitentions  du  peuple.  Ce  dernier  con- 
vint qiie  la  manière  dont  se  présen- 
taient ces  pétitionnaires  était  peu  lé- 
gale j  mais  il  ajouta  qu'il  est  des  cas 
où  la  loi  doit  être  violée.  «  C'est  aiu- 
»  si  ,  observe  un  historien  ,  que 
»  le  parti  de  la  Gironde  obtint  de 
»  l'assemblée  législative  qu'un  ras- 
»  semblement  armé  fût  introduit  dans 
»  son  sein.  L'année  suivante ,  et  pres- 
»  que  à  la  même  époque ,  une  armée 
»  de  pétitionnaires ,  composée  en 
»  grande  partie  des  mêmes  hommes, 
»  vint  demander  à  la  Convention  le 
»  supplice  de  Vergniaux ,  de  Guadet 
»  etdetous  les  républicains  lesplusre- 
»  commandables,  et  l'obtint.  »  Les  sé- 
ditieux, au  nombre  de  plus  de  huit  mil- 
le hommes  et  femmes ,  munis  d'arm 
et  d'instruments  de  toute  espèce ,  dé- 
nièrent,  tambour  battant,  dans  la 
salle.  Santerre  marchait  à  leur  tête , 
vomissaat  des  injures  contre  les  émi- 
grés y  contre  les  prêtres  et  contre 
le  roi.  Le  rassemblement  se  porta 
ensuite  aux  Tuileries.  Le  palais  du 
monarque  fut  forcé ,  la  majesté  roya- 
le méconnue.  La  vie  du  roi  et  de  la 
reine  parut  menacée  ;  mais  les  détails 
de  cette  scène  affreuse  ne  peuvent 
trouver  place  ici  (  V.  les  art.  Louis 
X\  I ,  Marie-Antoinette,  Péthion, 
etc.  ).  Aucune  catastrophe  sanglante 
ne  devait  marquer  cette  journée,  que, 
selon  l'expression  de  Santerre,  le 
peuple  avait  choisie  pour  avertir  et 
non  pour  frapper.  L'assemblée,  au 
reste ,  nomma  une  commission  pour 
se  transporter  aux  Tuileries ,  et  pour 
prévenir  des  malheurs  que  l'on  com- 
mençait à  craindre.  Vergniaux  était 
au  nombre  des  commissaires,  avec 
Isnard  et  Merlin  de  Thionville.  Ils 
eurent  beaucoup  de  peine  à  traver- 
ser la  foule,  et  à  pénétrer  jusqu'au 
roi.  Ils  lui  témoignèrent  le  dévoue- 


igS  VER 

ment  de  l'assemblée  nationale.  Ce- 
pendant Vergniaux  n'était  pas  sans 
inquiétude  :  il  entendait  quelques  pro- 
vocations sanguinaires.  Il  voulut  par- 
ler; on  ne  se  montra  point  disposé 
à  l'écouter.  Il  fut  obligé  de  monter 
sur  les  épaules  d'un  homme  pour  se 
faire  entendre.  Sa  harangue  amena 
le  peuple  à  uue  singulière  réflexion  : 
«  Que  venons-nous  faire  ici  ?  »  dit 
cettepopulacestupide.  Bientôt  après, 
sur  l'injonction  du  maire  Pcthion  , 
le  peuple  se  relira.  Le  28  juin  ,  lors- 
que M.  de  La  Fayette  vint  à  la  bar- 
re demander ,  au  nom  de  son  armée, 
la  punition  des  attentats  commis  con- 
tre le  roi ,  jusque  dans  son  palais  , 
Vergniaux,  appuyant  une  motion  de 
Guadet,  attaqua  de  nouveau  le  gé- 
néral avec  une  grande  véhémence.  Il 
le  compara  encore  à  Cromwcll ,  à  Cé- 
sar passant  le  Rubicon.  Le  décretd'ac- 
cusation  proposé  par  les  deux  ora- 
teurs fut  mis  aux  voix  et  rejeté  à  une 
grande  majorité;  raaisie  départ  de  M. 
de  La  Fayette  rendit  inutile  ce  triom- 
phe passager  du  parti  constitution- 
nel. Cependant  les  suites  de  la  jour- 
née du  9.0  juin  furent  en  tous  points 
fatales  au  parti  de  la  Gironde,  qui 
avait  ordonné  ce  mouvement.  On 
peut  même  assigner  à  celte  époque 
la  fia  de  sa  puissance  réelle.  La 
tourbe  des  Jacobins  s'indignait  d'a- 
voir été  appelée  à  une  insurrection 
sans  l'ésultat ,  c'est  -  à  -  dire  sans 
effusion  de  sang.  Les  chefs  de  la 
Montagne  ne  pouvaient  pardonner 
aux  Girondins  d'avoir  monté  ce  coup 
sans  leur  participation.  L'intervalle 
qui  s'écoula  entre  le  20  juin  et  le  10 
août  fut  marqué  par  les  sourdes 
intrigues  de  ces  deux  partis  ,  dont 
chacun  négociait  avec  la  cour  pour 
accabler  ses  adversaires.  C'est  alors 
que  les  trois  chefs  de  la  Gironde  , 
"Vergniaux  ,   Guadet  et  Gensonné  , 


VER 

firent  faire  au  roi  quelques  ouvertu- 
res par  l'intermédiaire  d'un  peintre 
nommé  Boze.  Ils  olfraient  d'arrêter 
l'insurrection  près  d'éclater  ,  si  le 
monarque  consentait  à  rappeler  les 
trois  ministres  de  leur  choix  ,  et  s'il 
se  résignait  à  tenir  sous  eux  une  con- 
duite subordonnée  et  passive.  Ces 
conditions  étaient  formellement  ex- 
primées dans  un  mémoire  signé  par 
ces  trois  députés  :  mais  ceux  qui  les 
ont  accusés  d'avoir  demandé  des 
sommes  considérables  ont,  sans  au- 
cun fondement ,  calomnié  la  mémoire 
de  Vergniaux  et  de  ses  deux  collè- 
gues, qui,  sous  le  rapport  du  désinté- 
ressement, est  inattaquable.  On  a  re- 
marqué qu'à  l'époque  oîi  ces  propo- 
sitions furent  faites  les  discours  et 
les  journaux  des  Girondins  changè- 
rent de  couleur ,  et  parurent  em- 
preints de  doctrines  que  les  cousti- 
tutioimels  n'eussent  pas  désavouées. 
Avant  cette  négociation  ,  Vergniaux 
s'était  surpassé  lui-même  par  la  vio- 
lence de  ses  agressions  contre  la 
cour.  Le  21  juillet,  il  avait  fait 
voter  une  déclaration  au  roi ,  por- 
tant que  le  salut  de  la  patrie  exi- 
geait la  formation  d'un  nouveau  mi- 
nistère. Peu  de  jours  après  ,  il  fît 
naître,  avec  une  perfide  adresse, 
la  question  de  la  déchéance  du  roi  , 
dans  un  des  discours  les  plus  élo- 
quents qu'il  eût  jamais  prononcés. 
Après  avoir  fait  rénumc'ration  des 
atteintes  qu'il  accusait  le  monarque 
d'avoir  portées  à  la  constitution  ,  il 
s'écria  :  «  0  roi ,  qui ,  sans  dou- 
»  te  ,  avez  cru,  avec  le  tyran  Ly- 
»  sandre  ,  qu'il  fallait  amuser  les 
»  hommes  jîar  des  serments,  ain- 
»  si  qu'on  amuse  les  enfants  par 
»  des  hochets  ;  qui  n'avez  feint  d'ai- 
»  mer  les  lois  que  pour  parvenir  à 
»  la  puissance  qui  vous  servirait  à 
»  lesbraverj  la  constitution,  que  pour 


VÎR 

»  qu'elle  ne  vous  précipitât  pas  du 
»  trône  ,    où   vois  aviez,  besoin   de 
»  rester  pour  ladctruire;  la  nation  , 
»  que  ]:)our  assirer  le  succès  de  vos 
»  periidies    er  lui   inspirant  Je   la 
»  confiance  ;  oonsez-vous  nous  abu- 
»  ser   aujourd'hui   avec  d'hypocri- 
î)  tes  ]n-otestations  ?  »  L'ontcur  re- 
produisant .  sous  une  nouvelle  for- 
me,  les  reproches  qu'il  avait  déjà 
faits  au  monarque  ,    terminait  ain- 
si :  a  La  constitution   vous  laissait- 
»  elle  le   choix  des  ministres  pour 
»  notre  bonheur  ou  peur  notre  ruine? 
»  Vous  fit-elie  chef  de  l'armée  pour 
»  notre  gloire  ou  pour  notre  honte? 
»  Vous  donna-t-elle  enfin  le  droit  de 
»  sanction  ,  une  liste  civile  et   tant 
»  de  grandes  prérogatives,  pour  per- 
»  dre  constitutionnellement  la  cons- 
»  titution  et   l'empire?  Non,    non, 
»  homme  que  la  générosité  desFran- 
»  çais  n'a  pu  e'mouvoir,  homme  que 
»  le  seul  aujour  du  despotisme  a  pu 
»  rendre  sensible  ,  vous  n'avez  point 
»  rempli  le  vœu  de  la  constitution  relie 
«  peut  être  renversée  j  mais  vous  ne 
»  recueillerez  point  le  fruit  de  votre 
»  parjure.  .  .  .  Vous  n'êtes  plus  rien 
»  pour  celte  constitution  que  vous 
»  avez  si  indignement  violée,  pour  ce 
')  peuple  que  vous  avez  si  lâchement 
»  trahi.  »  Aucune  des  invectives  de 
Vergniaux  ne   resta   sans  réponse  : 
M.  Dumas  surtout  les  repoussa  avec 
beaucoup  de  talent  et  de  véhémen- 
ce •  mais  il  ne  put  empêcher  que 
la  déchéance  ne  fût  mise  en  question. 
L'assemblée  paraissait  suffisamment 
entraînée  à   prendre    celte    mesure 
décisive  ,  lorsque  les  Girondins  ,  à 
cause  des  négociations  qu'ils  avaient 
engagées  avec  la  cour,  laissèrent  lan- 
guir cette  attaque.  Ils  la  reprirent 
avec  vigueur  lors([u'ils  virent,  à  l'ap- 
proche du  10  août,  que  les  Jacobins 
se  disposaient  à  une  sanglante  insur- 


VER 


»90 


rection  :  ceux  -  ci  espéraient  qu'elle 
irait  jusqu'au  régicide:  les  Girondins 
desiraient  borner  la  victoire  à  la  dé- 
chéance du  nionai-que.  Ce  fut  Ver- 
gniaux qui ,  dans  celte  terrible  jour- 
née, présida  l'assemblée  nationale: 
ce  fut  lui  qui,  lorsque  le  roi  et  sa  fa- 
mille vinrent  chercher  un  asile  au 
sein  de  la  législature,  adressa  au 
monarque  ces  paroles  sinistres  : 
«  L'assemblée  nationale  connaît  tous 
»  ses  devoirs  ;  elle  regarde  comrae 
»  un  des  plus  chers  le  maintien  de 
»  toutes  les  autorités  constituées.  Elle 
»  demeurera  ferme  à  son  poste:  nous 
)'  saurons  tous  y  mourir.  »  Bien- 
tôt le  bruit  se  répand  que  les  dé- 
fenseurs du  château  ,  un  instant  vic- 
torieux ,  vont  se  porter  contre  l'as- 
semblée :  des  coups  de  fusil  viennent 
fi'apper  les  croisées  de  la  salle:  «  Nous 
»  sommes  forcés,  »  s'écrient  plusieurs 
députés.  L'épouvante  est  à  son  com- 
ble :  les  uns  veulent  fuir  ,  d'autres 
aller  au-devant  du  danger  :  V  ergniaux 
seul  conserve  quelque  sang- froid  : 
«  En  place,  en  place  ,  s'écrie -t-il , 
»  nous  devons  mourir  à  notre  poste.  » 
Mais  le  faible  Louis  XVI ,  en  se  lais- 
sant arracher  l'ordre  pour  les  Suis- 
ses de  ne  plus  tirer,  s'est  arraché 
la  victoire  à  lui-même.  La  popu- 
lace entre  dans  la  salle  ,  deman- 
dant à  grands  cris  la  déchéance  : 
Vergniaux ,  qui  n'occupe  plus  le  fau- 
teuil ,  monte  à  la  tribune ,  et  au  nom 
d'une  commission  extraordinaire  dite 
des  vingt-un ,  projwse  de  décréter  la 
suspension  provisoire  du  pouvoir 
exécutif.  La  présence  du  roi  lui  ins- 
pira  quelques  paroles  de  commiseVa- 
lion  ,  qui  plus  lard  devaient  lui  être 
reprochées  comme  un  crime  par  les 
Montagnards  :  «  Je  viens,  dit-il,  vous 
»  présenter  une  mesure  bien  rigou- 
»  reusc  ;  mais  la  douleur  dont  vous 
))  êtes  tous  pénétrés  m'assure   que 


200  VER 

»  vous  jugerez  combien  elle  est  në- 
»  cessaire  au  salut  de  la  patrie.  »  Le 
de'cret  était  en  douze  articles  :  il  fut 
adopté  sans  discussion.  Après  un 
considérant  dans  lequel ,  entre  autres 
griefs  calomnieux,on  imputait  à  Louis 
XVI  une  guerre  entreprise  en  son 
nom  contre  la  coustitutiou  et  contre 
l'indépendance  nationale  ,  les  princi- 
paux articles  portaient  la  foi-mation 
d'une  Convention  nationale  pour  as- 
surer la  souveraineté  du  peuple  ,  le 
règne  de  la  liberté  et  de  l'égalité  ;  la 
suspension  provisoire  du  pouvoir 
exécutif;  la  détention  du  mouar- 
que  et  de  sa  familie  dans  le  château 
du  Luxembourg.  Le  cinquième  ar- 
ticle annonçait  le  projet  de  décret 
sur  la  nomination  du  gouverneur  du 
jjrince  royal  ;  ce  qui  prouve  que 
les  Girondins ,  satisfaits  d'avoir  dé- 
truit le  pouvoir  de  Louis  XVI  ,  ne 
voulaient  pas  immédiatement  établir 
la  république  ,  comme  ils  s'en  van- 
tèrent après  l'événement  :  il  pa- 
raît qu'ils  voulaient  une  régence  dont 
ils  auraient  été  les  chefs  (  Fof.  Pé- 
THioN  ).  Ils  terminèrent  cette  lon- 
gue et  déplorable  séance  ou  for- 
mant un  ministère  de  leur  choix  , 
et  dans  lequel  furent  compris  Rolland, 
Servan  et  Clavière.  Ils  avaient  l'air 
de  s'assurer  les  fruits  de  la  victoire  : 
mais  les  véritables  triomphateurs 
étaient  les  Jacobins  et  surtout  les 
membres  de  cette  redoutable  Com- 
mune^ qui  s'était  formée  à  l'hôtel-de- 
ville  pendant  que  le  sang  coulait  aux 
Tuileries.  Le  i  î  ,  les  brigands  de  la 
veille  cernaient  l'assemblée  et  deman- 
daient à  grands  cris  la  mort  du  roi , 
qui  était  toujours  placé  dans  la  loge 
du  Logographc  :  à  leurs  clameurs 
répondaient  les  motions  forcenées 
des  rtlontagnards  qui  siégeaient  dans 
l'assemblée.  Vergniaux  ,  qui  prési- 
dait encore  ce  jour-là  ,  ne  put  s'em- 


pêcher  de  s'écrier  plusieurs  fois  avec 
une  profonde  douleir  :  «  GraudDieu  I 
»  quels  cannibales  î  •-  Dès  ce  mcmeuî 
le  parti  des   constitidouuels    cessa 
d'exister  :  les  Gironlins  essayèrent 
vainement  de  coMser\er  quelque  di- 
gnité à  l'assemblée  ,  zt  d'établir  la 
puissance  des  lois;  vainement  ils  s'ef- 
forcèrent d'arrêter  les  usurpations  de 
la  CommuLe  de  Paris.  Cette  Gironde , 
qui  avait  si  souvent  entraîné  l'assem- 
blée contre  son  vœu ,  lorsqu'il  s'agis- 
saitd'attaqueria  cour,  ne  pouvait  plus 
maintenant  obltnir  desmesures  vigou- 
reuses contre  la  Commune  de  Paris, 
que  cette  assemblée  haïssait,   mais 
qu'elle  redoutait  davantage.  Déjà  la 
Commune  aniionçait   l'intention  de 
proscrire  le  ministre  Rolland,  de  faire 
poursuivre  comme  des  ti'aîtrcs  Ver- 
gniaux ,  Guadet ,  Gensonné  et  Bris- 
soî.  La  majorité  de  l'assemblée  était 
plongée  dans  la  stupeur,  et  ses  mem- 
bres ne  songeaient  qu'à  leurs  propres 
périls.  Vergniaux  cependant  s'honora 
par  quelques  motions   courageuses. 
Les  '23  et  'lÔ  août  ,  il  s'opposa  à  la 
déportation  générale  des  prêtres  non- 
assernientés.  Il  combattit  également 
la  formation  d'un  corps  de  tyranni- 
cides ,  proposée  par  Jean  de  Bry. 
Dans  la  séance  du  3o^  appuyé  par 
Henri  Larivière,  il  fit  en  vain  le  ta- 
bleau des  usurpations  de  la  Commu- 
ne :  l'assemblée  se  contenta  de  faii-e 
à  cette  autorité  illégale  l'injonction 
d'êti'e  plus  circonspecte  sur  les  m.an- 
dats  d'amener.  Cet  acte,  en  avertis- 
sant la  Commune  qu'il   était  temps 
de  frapper  des  coups  décisifs ,  hâta 
les  massacres  de   septembre.   Ver- 
gniaux resta  muet  pendant  ces  affreu- 
ses journées.  Au  massacre  des  pri- 
sons de  Paris  succéda  celui  des  pri- 
sons d'Orléans,  oîi   le  ministre  De 
Lessart  trouva  la  mort.  «  Sans  doute, 
w  dit  M.  Lacretelle ,  c'est  une  atroce 


VER 

n  calomnie  que  d'imputer  aux  Giron- 
»  dius  la  moindre  part  à  des  mcur- 
M  très  dont  ils  avaient  horreur  ;  mais 
»  quel  profond  repentir  Brissot,  Giia- 
»  detct  Vergnia>ixmême,  ne  dureut- 
»  ils  pas  avoir  de  la  cruelle  aotivi- 
»  te'  avec  laquelle  ils  avaient  rempli 
»  les  prisons  d'Orléans  ?  »  Le  16 
septembre^  profitant  habilement  de 
l'occasion  que  lui  offrait  une  discus- 
sion ouverte  sur  la  manière  languis- 
sante dont  se  poursuivaient  les  tra- 
vaux du  camp  de  Paris  ,  Vergniaux 
donna  un  libre  cours  à  l'indignation 
que  lui  avaient  inspirée  les  forfaits 
des  septerabz'iseurs.  «  Les  proscrip- 
»  tions  passées,  s'c'cria-t-il  ,  le  bruit 
5)  des  proscripticns  futures  ,  les  trou- 
»  blés  intérieurs ,  ces  haines  particu- 
»  Itères,  ces  arrestations  arbitraires, 
■»  ces  violations  de  la  propriété,  enfin 
»  cet  oubli  de  toutes  les  lois,  ont  ré- 
»  pandu  la  consternation  et  l'effroi. 
»  L'homme  de  bien  se  cache  ,  il  fuit 
»  avec  horreur  ces  scènes  de  sang  ; 
»  il  est  des  hommes ,  au  contrai- 
w  re  ,  à -la -fois  hypocrites  et  fé- 
»  roces ,  qui  ne  se  montrent  que  dans 
»  les  calamités  publiques  ,  comme  il 
»  est  des  mseclcs  malfaisants  que  la 
»  terre  ne  produit  que  dans  les  ora- 
»  ges.  Ces  hommes  répandent  sans 
»  cesse  les  soupçons  ,  les  méfiances  , 
M  les  jalousies _,  les  haines  ^  les  ven- 
»  geauces  ;  ils  sont  avides  de  sang  : 
»  dans  leurs  propos  séditieux  ,  ils 
»  aristocratisent  la  vertu  même  , 
))  pour  acquérir  le  droit  de  la  fouler 
»  aux  pieds;  ils  démocratisent  le 
»  crime,  pour  pouvoir  s'en  rassasier 
»  sans  avoir  à  redouter  le  glaive  de 
»  la  justice ,  etc.  »  L'assemblée  en- 
tendit avec  enthousiasme  ce  dis- 
cours ,  dont  la  haute  éloquence  em- 
pruntait une  nouvelle  force  des  ho- 
norables sentiments  qui  alors  ani- 
maient l'orateur.  Le  parti  girondin 


VER  -aof 

sembla  se  relever  un  instant.  Des  le 
lendemain,   le  vol  du  garde -meu- 
ble fournit    à    Vcrgniaux  un  nou- 
Acau  ju-étexte  de  tonner  contre  la 
Commune  de  Paris ,  dans  un  moment 
où  elle  pouvait  disposer  de  sa  vie. 
11  se  surpassa  lui-même,  et  produi- 
sit surtout  un   elîet  inexprimable, 
lorsqu'il  en  vint  à  ces  paroles  :  «  Les 
»  Parisiens  aveuglés  osent  se  dire  li- 
»  bres  î  Ah  !  ils  ne  sont  plus  esclaves, 
»  il  est  vrai ,  des  tyrans  couronnes  ; 
»  mais  ils  le  sont  des  hommes  les 
»  plus  vils,  des  plus  dc'teslables  ty- 
»  rans  \M  est  temps  de  briser  ces 
»  chaînes  honteuses  ,  d'écraser  cette 
»  nouvelle  tyrannie  !  Il   est  temps 
»  ('[Uc  cous,  qui  ont  fait  trembler  les 
»  hommes  de  bien  tremblent  à  leur 
»  tour!  Je  n'ignore  pas  qu'ils   ont 
»  des  poignards  à  leurs  ordres  :  eh  ! 
»  dans  la  nuit  du -Ji  septembre,  n'ont- 
î)  ils  pas  voulu  les   diriger  contre 
»  plusieurs  d'entre  nous  ?  Dans  leurs 
»  listes  de  proscription ,  n'ont-ils  pas 
»  désigné  au  peuple  plusieurs  d'en- 
»  tre  nous  comme  des  traîtres?  Et 
»  ma  tête  aussi  est  proscrite!  La  ca- 
»  lomnie    veut    étouffer    ma  voix  j 
w  mais  elle  peut  encore  se  faire  en- 
»  tendre  ici  ;   et  je  vous  en  atteste, 
»  jusqu'au  coup  qui  me  frappera  de 
»  mort    elle    tonnera    de    tout    ce 
»  qu'elle  a  de  forces  contre  les  cri- 
1)  mes  et  les  scélérats!  »  Vergniaux 
concluait  en  demandant  que  la  Com- 
mune fût  déclarée  responsable  de  la 
vie  des  prisonniers  j  ce  qui  fut  adop- 
té. Cependant  les  élections  avaient 
lieu  pour  la  Convention  :  si  les  can- 
didats montagnards  eurent  la  majo- 
rité dans  Paris  _,  les  Girondins  obtin- 
rent dans  les  départements  un  grand 
nombre  de  nominations.  Vergniaux 
fut  réélu  par  le  département  de  la 
Gironde  ;  et  à  la  formation  du  bu- 
reau de  Ja  Convention,  il  fut  nomme 


202  VER 

secrétaire   avec   Brissot  ,    Guadet  , 
Condorcet,  etc.  Plus  tard  il  fut  c'iu 
membre  du  comité  de  constitution. 
Toute  la  faveur  de  la  majorité  parut 
d'abord  se  tourner  vers  les  Giron- 
dins. Dès  la  première  séance  ,  la  guer- 
re éclata  entre   eux   et  les   Monta- 
gnards •   mais    ces   derniers    eurent 
presque  toujours  l'avantage.  Ce  n'est 
pas  que  Vcrguiaux  ne  se  fît  encore 
remarquer  par   son  éloquence    en- 
traînante j  mais   la   position  de   la 
Gironde  n'était  plus  la  même  :  sous 
l'assemblée  législative  ,   son   systè- 
me était  d'attaquer  et  de  détruire  ; 
sous  la  Convention  elle  avait  à  dé- 
fendre,  à  conserver;  et  cette  tâche 
était  plus  dillicile.  Les  rapports  ho- 
norables sous  lesquels  Vergniaux  se 
montra  dans  cette  nouvelle  carrière 
auraient  sans  doute  fait  oublier  que, 
dans  sa   lutte  précédente   contre  le 
trône ,  il  avait  été  l'accusateur  im- 
j)lacable    et  perfide   de   l'infortuné 
Louis  XVI ,  si  un  dernier  crime ,  ce- 
lui du  régicide  ,  n'eût  enfin  répandu 
sur  son  nom  une  tache  indélébile.  Il 
importe  de  dire  toute  la  vérité  sur 
les  Girondins  :  trop  lâche  pour  ar- 
rêter les  crimes  des  Jacobins  qu'elle 
condamnait ,   cette  faction  voguait , 
pour  ainsi  dire  ,  à  la  remorque  de  la 
Montagne,  dans  cette  mer  de  sang 
qu'a  fait  couler  la  Convention.  Aussi 
abusés  dans  leur  politique  qu'indé- 
cis dans  leurs  sentiments  généreux , 
Vergniaux  et  ses  collègues  avaient 
commencé  la  révolution  sans  en  pré- 
voir  les    résultats  ;   ils    votèrent  la 
mort  du  roi,  avec  le  projet  de  le  sau- 
ver. Plus  francs  ,   plus  conséquents 
du  moins   étaient  les  Montagnards  , 
qui,  marchant  droit  à  leur  but ,  com- 
mettaient   le    crime    avec   audace  , 
quelques-uns  avec  une  farouche  con- 
viction, et  sans  remords  pcnt-ctrc. 
Mais  les  Girondins  ont  toujours  mar- 


VER 

chc  sans  ordre  et  sans  plan,  sans 
montrer  jamais  aucun  courage  d'ac- 
tion. Toute  leur  énergie  était  en  pa- 
roles, qui  n'avaient  pour  résultat 
que  d'avertir  leurs  adversaires  de  se 
tenir  en  garde.  Inliabiles  à  prévenir 
aucun  des  forfaits  utiles  aux  Jaco- 
bins ,  les  Girondins  eu  ont  assumé  la 
complicité  par  les  faux  calculs  d'une 
politique  pusillanime  :  ils  détestaient 
les  excès  ;  mais  la  peur  les  retenait 
dans  la  carrière  du  crime.  En  arri- 
vant à  la  Convention ,  Vergniaux  et 
ses  amis  avaient  espéré  vaincre  leurs 
adversaires  en  popularité  ,  par  la 
proclamation  de  la  république  ;  le 
jacobin  Collot -d'Herbois  les  pré- 
vint en  la  faisant  décréter  des  la  pre- 
mière séance.  Ce  coup  de  parti  dé- 
concerta les  Girondins;  mais  ils  n'en 
furent  que  plus  animés  à  saisir  tous 
les  prétextes  d'attaquer  Robespierre 
et  SCS  complices.  Dès  le  25  se])tem- 
bre,  le  même  Vergniaux  ,  qui  avait 
fait  amnistier  les  assassins  d'Avi- 
gnon, poursuivit  avec  la  plus  grande 
énergie  les  égorgcurs  de  septembre  , 
et  surtout  le  sanguinaire  Marat.  Une 
profonde  indignation  prêta  de  nou- 
velles armes  à  son  éloquence.  Occu- 
pant la  tribune  api'ès  Marat ,  il  pa- 
rut eji  ressentir  une  honte  que  par- 
tageait toute  l'assemblée  :  «  Qu'il  est 
»  pénible  pour  moi ,  dit-il ,  de  rem- 
»  placer  à  celte  tribune  un  liommc 
»  tout  dégouttant  de  calomnies  ,  de 
»  fiel  et  de  sang  !  »  Malgré  tout  l'ef- 
fet que  produisit  le  discours  de  Ver- 
gniaux ,  sa  motion  fut  écartée  par 
l'ordre  du  jour.  La  majorité  de  la 
Convention  était  toujours  disposée 
à  écouter  les  Girondins ,  elle  les  ap- 
prouvait; mais  rarement  ils  emj)or- 
taient  ses  délibérations.  Ou  se  dé- 
fiait avec  raison  de  leur  force  réelle  ; 
et  eux-mêmes  n'en  auraient  pu  trou- 
ver que  dans  les  décrets  de  cette  as- 


VER 

semblée.  De  là  le  rejet  tle  la  propo- 
sition faite  par  Biizot,  et  appuyée 
par  Veri^niaux,  tendant  à  appeler  au- 
tour de  la  Convention  un  corps  char- 
ge' spécialement  de  sa  garde ,  et  com- 
posé de  jeunes  gens  que  les  départe- 
ments eussent  choisis  avec  l'attention 
la  plus  sévère.  Ce  projet  se  discuta 
lentement  :    les   Jacobins  l'atlaquè- 
rent,  et  voici  comment  un  historien, 
témoin  de  ces  débats,  résume  cette 
discussion  :   «  Paris  est  aujourd'hui 
»  trauquilie ,  disait  Robespierre.  — 
»  Le  sang  versé  au  2  septembre  fu- 
»  me  encore  ,  répondait  Verguiaus. 
»  — Tout  respecte  l'autorité  de  la 
»  Convention.  —  Vous,  vous  la  dé- 
M  noncez  chaque  jour  dans  vos  sédi- 
»  tieuses  assemblées  ,  dans  vos  feuil- 
»  les  sanguinaires.  —  Le  peuple  de 
»  Paris  est  calomnié  par  un  tel  dé- 
»  cret.  —  Il  gémit  comme  nous  sous 
»  les  assassins  qui  l'oppriment.  — 
»  Vous  voulez   créer  une  tyrannie. 
«  —  Nous  voulons  nous  soustraire 
»  à  la  vôtre.  —  Vous  établissez  une 
))  garde  prétorienne.  —  Mais  vous, 
»  vous  commandez  à  une  borde  de 
»  brigands.  —  La   Convention  est 
»  gardée  par  l'amour  du  peuple.  — 
»  La  Commune  de  Paris  est  entre  elle 
»  et  le  peuple.  »  Ce  peu  de  paroles  , 
extraites  des  discours  des  orateurs , 
fait  assez  connaître  la  situation  res- 
pective des  deux  partis.  Jusqu'aux 
débats    fameux   qui   précédèrent   le 
])rocès   de  Louis  XVI ,  la  Conven- 
tion offrit  cbaque  jour  l'aspect  d'une 
arène  où  les  deux  partis  se  dispu- 
taient avec  fureur.  Les  ])lus  petits 
objets   comme  les   plus   importants 
donnaient  lieu  à  ces  discussions  ora- 
geuses. Il  serait  trop  long  de  rappe- 
ler les  circonstances  qui  inspirèrent 
quelques  beaux  discours  à  Vergniaux. 
On   peut  lui  reprocher   de  n'avoir 
pas  ,   malgré  les  fréquentes  inter- 


VER  .203 

pellations  de  Louvet ,  appuyé  l'ac- 
cusation de  ce  député  oonïrc  Ro- 
bespierre (  '.19  octobre).  Voici  com- 
ment Louvet  s'exprime,  à  ce  sujet, 
dans  ses  Mémoires.  «  Salles  ,  Bar- 
»  baroux ,  Buzot  et  moi  ,  nous  ne 
»  cessions  de  dénoncer  la  faction 
»  d'Orléans.  Guadet  ,  Pétbion  et 
»  Vergniaux  ne  nous  secondaient  que 
»  faiblement....  Digne  et  malheureux 
»  Vergniaux,  dit  encore  ce  député, 
))  pourquoi  n'as-tu  pas  plus  souvent 
»  surmonté  ton  indolence  naturelle? 
»  et  surtout  pourquoi ,  lorsqu'ils  en- 
»  vironnaient  la  représentation  de 
«mille  embûches  mortelles,  pour- 
»  quoi  tes  yeux  ont-ils  refusé  de  voir? 
»  Après  le  1 0  mars ,  ils  se  fermaient 
»  encore  j  ils  ne  se  sont  ouverts  que 
»  le  3i  mai,  hélas  ,  et  trop  tard!  » 
Il  retrouva  cependant  son  énergie 
pour  appuyer  la  proposition  de  Sal- 
les {V.  ce  nom  ) ,  qui  demandait  que 
le  roi  eût  la  faculté  d'appeler  au  peu- 
ple du  jugement  à  intervenir  contre 
lui  (  Si  décembre  ).  Le  discours  que 
Vergniaux  prononça  en  cette  cir- 
constance est  sans  contredit  son  chef- 
d'œuvre.  Il  lit  d'autant  plus  d'im- 
pression ,  qu'il  fut  entièrement  im- 
provisé, k  travers  quelques  conces- 
sions qu'exigeait  l'esprit  du  temps, 
on  y  démêle  l'intention  évidente  de 
sauver  les  jours  du  roi.  Il  était  im- 
possible de  le  défendre  plus  habile^ 
ment  dans  la  position  oii  il  se  trou- 
vait. Vergniaux  annonçait  les  évé- 
nements qui  suivraient  la  mort  de 
Louis,  comme  si  le  livre  de  cette 
terrible  histoire  eût  été  ouvert  sous 
ses  yeux.  Jamais  il  n'avait  déployé 
avec  plus  d'éclat  ces  images  qui 
donnent  à  son  éloquence  un  carac- 
tère tout  particulier.  Après  avoir 
montre  la  guerre  avec  tous  ses  11  eaux , 
épuisant  la  France,  si  la  Conven- 
tion ,  par  la  mort  de  Louis  XVI ,  at- 


1A04 


VER 


tirait  sur  îa  patrie  la  vengeance  des 
rois  de  i'Euruj'e ,  il  ajoutait  :  «  Crai- 
»  guez  qu'au  milieu  de  ces  triomphes, 
»  la  France  ne  ressemble  à  ces  mo- 
»  numents  fameux  qui ,  dans  l'Egyp- 
»  te,  ont  vaincu  le  temps  :  l'étranger 
»  qui  passe  s'ctorme  de  leur  gran- 
»  deur;  s'il  veut  y  pe'ne'lrer,  qu'y 
»  trouvcra-t-il?  des  cendres  iuani- 
»  me'es  et  le  silence  des  tombeaux  I  » 
Mais  tout  ce  que  le  génie  du  Dante  a 
pu  concevoir  de  plus  sombre  semble 
au-dessous  de  la  terrible  image  par 
laquelle  Vergniaux  terminait  son  ad- 
mirable improvisation.  S'adressant 
aux  citoyens  de  Paris,  qui,  après 
avoir  été  les  instruments  de  l'élé- 
vation de  Robespierre,  allaient  de- 
venir les  esclaves  et  les  victimes 
d'une  poignée  de  brigands,  il  s'é- 
criait :  a  Quelles  seraient  vos  rcs- 
»  sources  ?  quelles  mains  essuie- 
»  raient  a'os  larmes  et  porteraient 
»  des  secours  à  vos  familles  désespé- 
»  rées?  Iriez-vous  trouver  ces  faux 
»  amis ,  ces  perfides  flatteurs,  qui 
»  vous  auraient  précipités  dans  l'a- 
»  Mme?  Ah  î  fuyez-les  plutôt  I  re- 
»  doutez  leur  réponse  :  je  vais  vous 
»  l'apprendre.  Vous  leur  demande- 
»  riez  du  pain  :  ils  vous  diraient  : 
»  Allez  dans  les  carrières  disputer 
y>  àla  terre  quelques  lambeaux  san- 
»  glants  des  ■victimes  que  nous 
»  avons  égorgées  !  Ou  :  Voulez- 
»)  vous  du  sang?  Prenez,  en  voici! 
»  Du  sang  et  des  cadavres ,  nous 
»  n'avons  pas  d'autre  nourriture  à 
■»  vous  q/jriri  »  Quelques  j ours  après, 
Vergniaux  vota  la  mort  de  Louis 
XVI.  Une  faible  et  illusoire  modifi- 
cation accompagnait  ce  vote.  Il  de- 
mandait ,  aiusi  que  l'avait  fait  le  dé- 
puté Mailhe,  que  la  Convention  exa- 
minât, après  le  jugement  ,  s'il  n'é- 
tait pas  de  l'intérêt  public  que  l'exé- 
cution en  fût  différée  ;  mais  il  dé- 


VER 

clarait  son  vote  pour  la  mort  in- 
dépendant de  cette  demande  (4).  Il 
présidait  l'assemblée  le  jour  de  la 
condamnation,  et  ce  fut  lui  qui  pro- 
nonça la  sentence.  11  le  fit,  il  est 
vrai ,  d'une  voix  émue ,  et  après  avoir 
engagé  ses  collègues,  au  nom  de 
l'humanité,  à  garderie  plus  px-ofond 
silence.  Il  avait  voté  pour  l'appel  au 
peuple ,  il  vota  contre  le  sursis  à 
l'exécution,  dernier  moyen  qui  eût 
pu  produire  le  même  résultat  que 
l'appel  au  peuple.  Cette  lâcheté  tar- 
dive ne  put  laire  oublier  aux  Jaco- 
bins la  courageuse  harangue  dans 
laquelle  Vergniaux  les  avait  démas- 
qués. Aussitôt  après  le  supplice  de 
Louis  XVI ,  ils  mirent  autant  d'a- 
charnemeut  à  poursuivre  les  Gi- 
rondins ,  que  ceux  -  ci  en  avaient 
mis  ,  avant  le  lo  août,  à  poursuivre 
l'infortimc  monarque.  Vergniaux  , 
durant  cette  lutte,  sortit  plus  d'une 
fois  de  sou  apathie  par  des  mouve- 
ments d'une  éloquence  sublime  ;  mais 
ni  lui ,  ni  ses  amis  ne  surent  jamais 
agir.  Le  lo  mars,  des  pétitionnaires, 
excites  par  les  Montagnards  de  l'as- 
semblée, vinrent  demander  sa  tête 
ainsi  que  celle  de  Gensonné  et  de 
Guadet.  La  veille ,  les  Girondins 
auraient  été  assassinés  sur  leurs  bancs 
par  les  brigands  des  tribunes  ,  si , 
avertis  à  temps  de  ce  complot ,  ils 


(4)  L'embarras  qui  règne  dans  la  rédaction 
de  son  Tote  dcnole  une  conscience  troublée. 
«J'ai  TOle,  disait -il,  pour  que  le  décret  fiit 
«  soumis  à  la  sanction  du  peuple.  Dans  mon  opi- 
»  uiou  ,  les  principes  et  les  considérations  poljti- 
>>  ques  de  l'inlcrèt  le  plus  majeur  en  faisaient  un 
»  devoir  àla  Convention.  La  Convention  nationale 
»  eu  a  décidé  autrement.  J'obéis  :  ma  conscience 
»  est  acquillée.  Il  s'agit  maintenant  de  statuer  sur 
»  la  peine  à  infliger  a  Louis.  J'ai  déclaré  hier  que 
«  je  le  reconnaissais  coupable  de  conspiration  con. 
»  Ire  la  liberté  et  la  surelé  nationales.  Il  ne  m'est 
j)  pas  permis  aujourd'bui  d'hésiter  sur  la  peine.  La 
»  loi  parle  !  c'est  la  mort  :  mais  eu  prononçant  ce 
>>  mot  terrible  ,  inquiet  sur  le  sort  de  ma  patrie  , 
»  sur  les  dangers  qui  menacent  même  la  liberté, 
»  surtout  le  sang  qui  peut  être  versé,  j'exprime  le 
«  même  vceu  que  Mailhe ,  etc.  » 


VER 

ne  s'étaient  abstenus  de  se  rendre  à 
la  séance  du  soir.  Trois  jours  après, 
Vergniaux  dénonça  cette  conspira- 
tion à  l'assemblée  et  obtint  nn  dé- 
cret portant  nomination  de  douze 
membres  pour  défendre  la  Com-en- 
tion  dans  ses  périls.  C'est  dans  ce 
discours  qu'il  comparait  la  révolu- 
tion à  Saturne  dévorant  successive- 
ment tous  ses  enjaiits.  C'est  là  en- 
core qu'on  trouve  cette  suite  de  belles 
images  :  «  Un  tyran  de  l'antiquité 
»  avait  un  lit  de  fer  sur  lequel  il 
»  faisait  étendre  ses  victimes  ,  muti- 
»  lant  celles  qui  étaient  plus  grandes 
»  que  le  lit,  disloquant  douloureuse- 
»  ment  celles  qui  l'étaient  moins  pour 
»  leur  faire  atteindre  le  niveau.  Ce 
»  tyran  aimait  l'égalité ,  et  voilà 
»  celle  des  scélérats  qui  te  déchi- 
))  rcnt  (o  peuple)  par  leurs  fureurs  î 
«  L'égalité  pour  l'homme  social  n'est 
»  que  celle  des  droits  ;  on  te  la  re- 
»  présente  sous  l'emblème  de  deux 
»  tigres  qui  se  déchirent;  vois-la  sous 
))  l'emblème  plus  consolant  de  deux 
»  frères  qui  s'embrassent  I  Celle  que 
»  l'on  veut  te  faire  adopter  ,  fille  de 
»  la  Laine  et  de  la  jalousie ,  est  tou- 
»  joursarmée  de  poignards.  La  vraie 
»  égalité,  fille  de  la  nature  ,  au  lieu 
i>  de  les  diviser ,  unit  les  hommes 
w  par  les  liens  d'une  fraternité  uni- 
M  versellc. ...  Ta  liberté  I  des  mons- 
»  ti'es  rétouffent  et  offrent  à  ton  culte 
»  égaré  la  licence.  La  licence,  comme 
»  tous  les  faux  dieux,  a  ses  druides, 
1)  qui  veulent  ia  nourrir  de  victimes 
)>  humaines.  ...»  Mais  c'était  en 
vain  que  Vergniaux  avait  pour  la 
centième  fois  recommandé  à  la  ma- 
jorité de  renoncer  à  cette  faiblessequi 
perd  tous  les  gouvernements  ,  pour 
s'armer  de  l'énergie  qui  les  sauve. 
Ses  efforts  ne  firent  encore  cette  fois 
qu'accélérer  les  coups  des  Jacobins. 
Par  décret  rendu  le  8  avril ,  la  Con- 


VEU  io5 

vention^  sur  la  proposition  de  Ma- 
rat .  (Jte  à  ses  membres  le  privilège 
de  l'inviolabilité.  Robespierre  s'em- 
presse de  faire  usage  de  l'arme  que 
ce  décret  lui  fournit  contre  les  Gi- 
rondins :  il  accuse  Vergniaux ,  Gua- 
det,  Brissot,  etc.,  comme  complices 
de  Dumouriez  et  d'Orléans.  Ver- 
gniaux fit,  à  cette  accusation ,  une 
réponse  si  vive  et  si  lumineuse  ,  que 
les  tribunes  elles-mêmes  restèrent  in- 
terdites et  n'osèrent  soutenir  le  dé- 
nonciateur. Quelques  jours  après,  des 
jiétilionnaires  se  présentent  de  nou- 
veau à  l'assemblée  et  demandent,  au 
nom  des  sections  de  Paris  ,  la  pros- 
cription de  vingt-deux  députés  ,  à  la 
tète  desquels  se  trouve  Vergnianx. 
Cette  pétition  fut  improuvée  par  la 
Convention;  mais  la  Montagne  n'en 
avait  pas  moins  désigné  ses  ennemis 
à  la  fureur  du  peuple  (  20  avril). 
Dès  ce  moment,  les  vingt-deux  dépu- 
tés ne  virent  plus  passer  un  jour 
sans  entendre  leur  proscription  ré- 
clamée par  de  nouveaux  pétition- 
naii'es.  Le  parti  girondin  reçut  le 
dernier  coup  dans  la  journée  du  3i 
mai ,  où  Ton  vit  les  Jacobins  des 
sections  demander  à  la  Convention 
la  mise  en  accusation  des  vingt-deux, 
et  la  suppression  de  la  commission 
des  douze.  Vergniaux  ,  dans  cette 
occasion  ,  ne  montra  ni  la  même 
éloquence  que  Guadet,  ni  le  même 
courage  que  Rabaud-Saint-Elienn?. 
En  présence  des  brigands  qui  assié- 
geaient toutes  les  parties  de  la  salle, 
il  proposa  que  tous  les  membres  prê- 
tassent le  sermeut  de  mourir  à  leur 
poste.  Cette  insignifiante  motion  fut 
adoptée  d'enthousiasme  ;  mais  le  sci'- 
ment  fut  à  peine  prêté,  que,  sous  dif- 
férents prétextes,  une  foule  de  députés 
quittèrent  la  salle.  Cependant  les 
adresses  sanguinaires  des  sections 
et  les  motions  des  Montagnards  se 


206 


VER 


succédaient  sans  interruption  ,  aux 
applaudissements  tumultueux  des  tri- 
bunes. Vergniaux  demanda  plusieurs 
fois,  mais  inutilement,  qu'elles  fussent 
e'vacuécs.  Lui- même  sortit  de  la  salle 
pour  reconnaître  les  dispositions  de 
la  multitude.  11  rentra,  peu  de  temps 
après ,  avec  un  air  de  confiance  ,  et 
annonça  que,  parmi  les  citoyens  dont 
la  Convention  était  entourée  ,  le  plus 
grand  nombre  se  montrait  plein  de 
respect  pour  elle.  Il  proposa  ,  au 
grand  étounement  des  deux  partis  , 
que  l'assemblée  décrétât  que  Paris 
avait  bien  mérité  de  la  patrie.  Les 
Jacobins  accueillirent  ce  décret  avec 
une    insolente  allégresse  ;  mais  rien 
ne  put  désarmer  Icir  fureur.  Le  pro- 
cureur de  la  Commune  (L'Huillier) 
vint  encore  demander  la  proscription 
des  vingt-deux.  Valazé  et  Vergniaux 
s'opposèrent  en  vain  à  ce  que  l'assem- 
blée délibérât  sur  cette  pétition  :  en 
vain  il  sortit  un   instant  de  la  salle 
avec  plusieurs  de  ses  amis  ,  pour  ne 
point  prendre  part  à  une  telle  délibé- 
ration ,  et  pour  aller  se  mettre  sous  la 
protection  de  la  force  armée  ;  Robes- 
pierre ,  qui  avait  demandé  la  parole 
pour  appuyer  la  pétition,  n'était  pas 
d'humeur,  comme  il  le  dit  lui-même, 
à  perdre  ce  jour  en  vaines  clameurs 
et  en  mesures  insignifiantes.  Cepen- 
dant son  discours,  qui  se  prolonge  en 
phrases  embarrassées,  fatigue  l'audi- 
toire. «  Concluez  donc  »  ,  s'écrie  Ver- 
gniaux, qui  venait  de  rentrer  au  mi- 
lieu des  vociférations  des   tribunes. 
Alors  Robespierre  reprenant,  «  Oui, 
»  dit-il ,  et  je   vais  conclure  contre 
>)  vous  ;  »  puisildemandequel'assem- 
blée  décrète  d'accusation  tous  ceux 
qui  ont  été  désignés  par  les  pétition- 
naires.  La  journée  se  termina  sans 
rpi'aucunc  mesure  eût  été  prise  con- 
tre les  Girondins.  Mais  le  i  juin,  une 
nouvelle  insurrection   arrache  à   la 


VER 

Convention  un  décret  d'arrestation 
contre  eux  (  F.  Coutdon).  Insou- 
ciant pour  son  existence  comme  il 
l'avait  été  pour  les  plus  grands  in- 
térêts politiques,  Vergniaux  ne  cher- 
cha point  à  fuir  comme  plusieurs  de 
ses  collègues  (5);  il  fut  d'abord  détenu 
chez  lui  sous  la  garded'un  gendarme. 
Le  5  juin  il  adressa  au  Comité  de 
salut  public  une  lettre  par  laquelle  il 
le  pressait  ,  dans  les  termes  les  plus 
énergiques  ,  d'accélérer  son  rapport, 
et  demandait  la  poursuite  des  auteurs 
des  événements  des  Si  mai  ,  i^r.  et 
2  juin.  Il  demeura  plusieurs  mois 
dans  son  domicile  sous  la  surveillan- 
ce de  son  garde ,  ayant  même  la  per- 
mission de  sortir  avec  lui.  Un  jour, 
cet  homme  lui  témoignait  ses  inquié- 
tudes sur  la  possibilité  où  il  était  de 
s'évader.  A  ergniaux  répondit  que  s'il 
en  avait  l'intention  ,  il  le  dédomma- 
gerait des  pertes  qu'il  lui  causerait  ; 
«  mais  ,  ajouta -t- il  ,  je  ne  veux 
»  point  m'écbapper  :  si  je  l'avais 


(5)  Vergniaux  ne  fut  point  arrêté  dans  la  salle 
de  la  Convention,  comme  on  l'a  dit  (art.  DUCOS). 
Voici  ,  à  ce  sujet  ,  quelques  détails  dont  nous  j;a- 
raiilissous  l'authenlicife.  Vergniaux,  qui  était  cé- 
libataire, demeurait  dans  la  rue  de  (^iichy,  avec 
Ducos  et  Buver-Foufrède  ses  collègues,  et  leurs 
jeunt-s  et  intéressantes  épouses.  Le  ?,  )uin  au  soir, 
un  Avignotiais  ,  qui,  loin  de  jiartager  les  anciennes 
opinions  de  Verifuiaux ,  avait  persouuelleinent  à 
lui  reproclier  l'aïunistie  des  assassins  d'Avignon, 
mais  qui  estimait  ses  talents  qu'il  regardait  couinic 
une  barrière  à  ia  tyrannie  croissante  de  Robes- 
pierre ,  alla  le  trouver  ,  lui  offrit  un  asile  dan* 
sou  appartement,  et  l'y  emmena  presque  de  force. 
Veryniaux  y  passa  la  nuit.  Il  aurait  pu  y  rester  plus 
long-lemps  ,  saus  rraiute  d'être  découvert,  puisqu'il 
n'y  a^ail  aucune  liaison  ,  aucune  intimité  connue 
entre  lui  et  son  bote.  I\Iais  inquiet,  irrésolu  ,  ta- 
citurne, il  était  dans  un  état  d'abattement  et  de 
consternation  ,  indigue  du  grand  caractère  qu'il 
avait  déployé  en  tant  d'occasions  ;  et  loin  de  rap- 
peler l'audacieux  tribun  ,  reloqucut  orateur,  il  ne 
montrait  que  la  pusillanimité  d'un  bomrae  Irès-oi- 
dînaire.  Le  lendemain  ,  il  voulut  absolumerit  re- 
tourner cbex  ses  deux  amis  ,  qui  n'avaient  pas  en- 
core été  compris  dans  le  décret  d'accusation.  L'A- 
vignonais  ,  im  peu  revenu  de  la  haute  opinion 
qu'il  avait  conçue  du  personnage  ,  insista  fai- 
blement pour  le  lelenir  ,  et  le  fit  reconduire  par 
son  fils  dans  la  rue  de  Clichy  ,  où  il  fut  arrêté  le 
lendemain  ;  c'est  le  fils  de  l'Aviguonais  lui-même 
qui  rédige  aujourd'hui  cette  note  ,  et  qn:  en  atteste 
la  vérité.  A — ^T. 


VER 

»  voulu  ,  j'en  aurais  trouve  dix  fois 
»  le  moven.  »  Drouet  et  Couthoii  , 
daus  la  séance  du  8  juillet  ,  présen- 
tèrent celte  réponse  comme  une  ten- 
tative de  séduciion  envers  le  gendar- 
me ,  et  demandèrent  que  Vergniaux 
tut  déclare  traître  à  la  patrie  j  mais 
cette  proposition  fut  rejelëe.  Le  mê- 
me jour,  Saint  -  Just ,  au  nom  du 
Comité  de  salut  public  ,  avait  lu 
im  rapport  ,  par  lequel  il  con- 
cluait à  la  mise  en  accusation  de 
Vergniaux  ,  de  Gensonne  et  de  Gua- 
det.  Il  est  curieux  de  voir  eu  quels 
termes  et  pour  quels  motifs  on  les 
accusait  de  royalisme.  Le  grand  cri- 
me de  Vergniaux  était  de  n'avoir 
fait  suspendre  le  roi,  au  lo  août, 
que  pour  le  soustraire  à  la  fureur 
populaire.  Saint  -  Just  lui  repro- 
chait surtout  la  douleur  qu'il  avait 
manifestée  dans  sou  maintien  et  dans 
ses  paroles  ,  en  prononçant  cetle  sus- 
pension. «  Vergniaux,  qui  tenait  ce 
»  langage,  ajoutait  le  rapporteur,  a-t- 
»  il  deux  cœurs  ?  l'un  qui  s'afflige  de 
))  l'abaissement  du  trône, l'autre  qui 
»  est  l'ami  de  la  république?  »  Quel- 
ques jours  après  ,  cette  discussion 
ayant  étéreprise(i5  juillet),  Billaud- 
Varennes  prononça ,  contre  les  Gi- 
l'oudins,  un  long  discours,  qu'on  peut 
regarder  comme  un  nouvel  acte 
d'accusation.  Il  insistait  principa- 
lement sur  les  négociations  qu'ils 
avaient  entamées  avec  la  cour.  «  Ce 
»  qui  démontre  leur  royalisme  ùi- 
»  vétéré ,  dit-il ,  c'est  la  proposition 
»  faite  le  lo  août  ,  par  Vergniaux  , 
»  d'envoyer  à  Louis  XVI  une  dé- 
»  putation ,  d'abord  de  soixante 
»  membres ,  puis  de  deux  cents,  » 
Au  milieu  de  déclamations  absurdes 
ou  furibondes  ,  on  trouve  cependant 
ce  passage,  qui  caractérise  assez  bien 
la  politique  indécise  des  Girondins  , 
et  particulièrement  de  Vergniaux  : 


VER  207 

«  Telle  est  la  fausseté  de  ces  hom- 
»  mes,  qu'après  avoir  employé  tou- 
»  tes  les  ressources  de  l'éloquence 
»  pour  soustraire  Louis  le  dernier  à 
»  l'échafaud  ,  ils  ont  eux-mêmes  voté 
»  la  plupart  pour  son  supplice.  .  .  . 
»  Vergniaux  oublie  ses  peintures  dé- 
»  goûtantes  de  proscriptions  et  de 
»  cadavres  entassés  dans  des  fossés  , 
»  pour  y  précipiter  le  tyran  de  sa 

»  propre  main »  Cependant 

Vergniaux  avait  été  incarcéré  a^'ec 
Brissotdans  le  palais  du  Luxembourg, 
au  grand  scandale  des  Jacobins ,  qui 
auraient  voulu  qu'ils  fussent  jetés 
dans  un  cachot ,  et  qui  prétendaient 
que ,  dans  celte  superbe  }!rison ,  ils  se 
reposaient  et  jouissaient  presque 
du  fruit  de  leurs  crimes  (6).  Malgré 
les  réclamations  continuelles  des  Mon- 
tagnards, le  procès  des  Girondins  ^ 
qu'on  avait  retardé  jusqu'à  Torgani- 
sation  du  nouveau  tribunal  révolu- 
tionnaire ,  ne  commença  qu'après 
le  procès  de  la  reine.  Les  Monta- 
gnards gardaient  Vergniaux  et  ses 
collègues  comme  otages  ,  jusqu'à 
ce  que  les  mouvements  contre -ré- 
volutionnaires de  Lyon ,  de  Tou- 
lon et  de  Bordeaux  fussent  apai- 
sés. Enfin  leur  acte  d'accusation ,  ré- 
digé par  Amar,  fut  présenté,  le  i5  oc- 
tobre, à  la  Convention.  Celte  pièce 
offre  encore  des  détails  bien  remar- 
quables. Là  se  renouvelle  à  chaque 
paragraphe  l'accusation  de  royalis- 
me ;  c'est  surtout  la  présidence  du 
10  août ,  qui  fournit  les  principaux 
griefs  contre  Vergniauxj  son  émotion 
à  la  vue  du  roi  captif ,  son  opposi- 
tion à  ce  que  les  membres  des  as- 
semblées constituante  et  législative 
fussent  exclus  de  la  Convention ,  les 
registres  de  la  liste  civile  déposés  sur 


(6)  Ce  propos  atroce  Tut  tenu  à  la   société   des 
Jacobins. 


2o8 


VER 


Je  bureau ,  la  déchéance  définitive 
du  roi ,  prononcée  au  lieu  de  sa  sus- 
pension; on  l'accusait  encore  d'avoir 
parle  en  faveur  de  Dumouriez  ;  d'a- 
voir, ainsi  que  les  aulres  Girondins , 
faitbattreles  soldats  de  la  république 
par  Valence,  et  massacrer  les  repu- 
îjlicains  dans  la  Vendée.  On  lui  re- 
prochait, à  lui  particulièrement,  de 
s'être  de'chaîné  à  la  tribune  contre 
Paris  ;  d'avoir  annoncé  que  les  dé- 
partements feraient  scission  avec 
cette  capitale  ;  d'avoir  professé  la 
doctrine  du  fédéralisme ,  en  décla- 
rant que  les  députés  n'étaient  que  les 
ambassadeurs  de  leurs  départements, 
etc.  Le  procès  des  Girondins  com- 
mença le  i5  octobre.  Les  accusés  se 
défendirent  avec  autant  d'habileté 
que  d'énergie.  Vergniaux  ,  siu'tout , 
prenait,  eu  répondant  ta  ses  accusa- 
teurs ,  un  ton  d'indiiférence  dédai- 
gneuse, qui  fit  la  plus  profonde  im- 
pression sur  l'auditoire.  Lorsque  , 
dans  sa  déposition  ,  Fabre  d'Eglan- 
tine  imputa  aux  Girondins  le  vol  du 
garde-meuble,  il  s'écria  :  «  Je  ne  me 
»  crois  pas  réduit  à  l'humiliation  de 
»  me  justifier  d'un  vol.  »  Litcrpellé 
sur  quelques  lettres  qu'il  avait  écrites 
à  Bordeaux  :  «  Depuis  mon  arresta- 
»  tion ,  répondit -il,  j'ai  écrit  pki- 
»  sieurs  lettres  :  dire  que ,  dans  ces 
»  lettres  ,  je  fis  l'éloge  de  la  journée 
»  du  3î  mai,  serait  une  lâcheté;  et 
»  pour  sauver  ma  vie,  je  n'en  fei'ai 
»  point.  Je  n'ai  pas  voulu  soulever 
»  mon  pays  en  ma  faveur;  j'ai  fait 
»  le  sacrilice  de  ma  personne.  »  Cet 
intérêt  général  qu'excita  Vergniaux 
ne  laissait  pas  que  d'alarmer  les  Ja- 
cobins. On  en  voit  la  preuve  dans  ces 
paroles  qu'Hébert  prononça,  le  27  oc- 
tobre, à  la  société  des  Jacobins,  en 
parlant  des  autres  Girondins  :  «  Ceux- 
»  là  n'en  peuvent  échapper;  mais 
))  il  n'en  est  pas  de  même  d'un  phé- 


VER 

»  nix  qu'on  veut  faire  renaître  de  ses 
»  cendres  :  c'est  Vergniaux.  Déjà 
»  plusieurs  dames  aimables  s'inté- 
»  ressent  à  lui ,  publient  qu'il  se  dé- 
»  fend  comme  un  ange  ,  et  qu'il  op- 
»  pose  de  bonnes  raisons  à  ses  accu- 
»  satcurs  (  7  ).  »  Vergniaux  et  ses 
collègues  avaient  tellement  effrayé 
l'odieux  tribunal  par  l'énergie  de 
leurs  réponses,  qu'il  eut  la  lâcheté 
de  s'en  plaindre  à  la  Convention  ;  et 
sur  la  proposition  de  Billand-Varen- 
nés ,  cette  assemblée  décréta  qu'ils 
seraient  jugés  révolutionnairement. 
Dans  la  même  séance,  une  dëputa- 
tion  de  la  société  des  Jacobins  était 
venue  demander  que  les  jurés  du  tri- 
bunal révolutionnaire  pussent ,  pen- 
dant le  procès  ,  déclarer  être  assez 
éclairés  ,  et  par  suite  clore  les  dé- 
bats. Osselin  avait  converti  celte  de- 
mande en  une  motion  qui  fut  adop- 
tée. En  conséquence  ,  le  3o  octo- 
bre ,  les  débats  furent  fermés  ,  et 
la  sentence  de  mort  prononcée.  Tan- 
dis que  Valazé  se  perçait  d'un  poi- 
gnard, les  autres  condamnés  firent 
entendre  les  cris  de  vwe  la  répu- 
blique !  Les  juges ^  effrayés  ,  quittè- 
rent précipitamment  leurs  sièges.  On 
ramena  les  accusés  en  prison  :  ils  fu- 
rent exécutésle  lendemain  .Vergniaux 
s'était  muni  d'un  poison  sûr;  il  refu- 
sa de  s'en  servir ,  pour  accompagner 
son  jeune  ami  Ducos  à  l'échafaud. 


(7)  Les  débats  ne  révélèrent  aucune  circonslance 
nouvelle  sur  la  direction  secrète  de  la  politique 
des  Girondins.  Aucun  d'eux  ne  nia  la  ucgociatiou 
entamPC  avec  la  cour  ,  par  l'entremise  du  peintre 
Bo'ie.  Les  dépositions  étaWireul  que  ,  darant  l'as- 
semblée législative ,  Guadet,  Gensonué et  Brissot  al- 
laient, avant  l'ouverture  de  la  téance,  se  concerter 
chez,  Vergniaux,  Un  l'ait  assez  singulier  qui  fut  dé- 
posé par  le  témoin  Desfieux  ,  infâme  jacobin  de 
Bordeaux,  c'est  que,  dans  une  fête  brillante  donnée 
chez  Talma  ,  les  Girondins  avaient  voulu  assassi- 
ner Marat,  qui  avait  osé  s'y  présenter  sans  être  in- 
vité. Vergniaux  repoussa  cette  calomnie  ;  mais  il 
ajouta  qui;  l'imprcs.,,ion  d'horreur  qu'avait  répan- 
due dans  cette  réunion  l'arrivée  subite  de  ce  mons- 
tre, avait  causé  une  grande  inquiétude  aux  femmes. 


VER 

C'est  ainsi  qu'il  termina  ,  le  3 1  oc- 
tobre 1793,  sa  brillante,  mais  ora- 
geuse carrière,  à  l'âge  de  trente-cinq 
ans.  Doue  de  l'éloquence  du  tribun , 
il  était  dépourvu  des  connaissances 
du  pubîiciste  et  des  vues  de  l'homme 
d'ëtat.  Son  cœur  n'était  point  fait 
pour  le  crime;  mais,  comme  tous 
les  caractères  faibles  qui  ont  l'ambi- 
tion de  la  puissance,  il  s'était  laissé  en- 
traîner à  des  attentats  politiques  qu'il 
voulut  ensuite  et  ne  put  pas  réparer. 
Il  passait  pour  faire  des  vers  très- 
agréablement  (8).  D — R — R. 

VERGY  (  Antoine  de  ) ,  comte 
de  Dammartin  ,  s'attacha  à  Jean- 
Sans-Peur  (  Voj.  ce  nom  ) ,  duc  de 
Bourgogne ,  et  fut  blessé  en  1 4 1 9  ? 
lors  de  l'assassinat  de  ce  prince,  qu'il 
accompagnait  à  l'entrevue  de  Mon- 
lereau-fault-Yonne.  11  suivit  le  parti 
des  Anglais  contre  le  Dauphin  ,  et  fut 
créé  maréchal  de  France  par  le  roi 
d'Angleterre,  qui,  pendant  la  maladie 
de  Charles  YI,  prenait  le  titre  de 
régent  du  royaume.  Il  devint  ensuite 
capitaine-  général  de  la  Bourgogne 
et  du  Charolais ,  et  chevalier  de  la 
Toison-d'Or.  En  1 4*23  ,  il  délit  les 
troupes  de  Charles  VII ,  à  Crevant 
près  d'Auxerre  ,  et  se  trouva  ,  en 
i43'2_,  à  la  bataille  de  Bulgneville, 
où  René  d'Anjou  (  Vof.  ce  nom  ) 
succomba  et  fut  fait  prisonnier  par 
Antoine  de  Lorraine,  comte  de  Vau- 
deniont,  son  compétiteur,  doutVer- 
gy  avait  embrassé  la  cause.  Il  mou- 
rut en  1439,  sans  laisser  de  posté- 


(8)  La  société  d'agricullure ,  des  sciences  et  des 
arts  de  Limoges  ayant  proposé  pour  sujet  de  prix 
d'éloquence  l'éloge  deVcrgnîaux,  la  médaille  d'or 
fut  donnée  ,  107,4  "■*•  i80f),  à  M.  Gédéon  Genty- 
de-Laborderie,  alors  étudiant  à  l'école  de  droit  de 
Poitiers.  Son  ouvrage  a  «té  imprimé  à  Limoges  , 
clie?.  Dalesracs.  Il  n'existe  point  de  collection  des 
discours  de  Vergniaux.  Ou  en  trouve  quelques- 
«lus  daus  le  Choix  de  rapports  ,  opinions  et  dis- 
cours prononcés  à  la  trihnne  nationale^  etc.,  pre- 
mière série  ,  Paris,  1818-1825  ,  7.4  volumes  iu-S"., 
y  compris  la  table.  A.  B — T. 

XLVUI. 


VER 


Û05 


rite  ,  quoiqu'il  eût  été  marié  deux 
fois.  —  Guillaume  de  Vergy  ,  séné- 
chal de  Bourgogne,  mort  après  l'an 
1272  ,  était  l'époux  de  Laurc  ,  fdle 
de  Mathieu  I^' . ,  duc  de  Lorraine. 
Cette  dame  ,  supposée  veuve  avant 
même  qu'elle  fût  mariée ,  est  l'hé- 
roïne du  roman  de  la  Comtesse  de 
Ferg,y  ^àonl  l'auteur  (  Foy.  Adrien 
de  ViGNAcouRT  )  place  les  aven- 
tures rà  la  cour  d'Eudes  III ,  duc  do 
Bourgogne ,  qui  avait  épousé  ,  en 
1 1 99  ,   Alix  de  Vergy  ,   morte  en 

I25l.  P RT. 

VERGY  (Antoine  de),  arche- 
vêque de  Besançon,  était  de  la  même 
famille  que  les  précédents  ,  l'une  des 
plus  illustres  du  comté  de  Bourgo- 
gne (  I  ■).  Conduit ,  dans  son  enfance  , 
en  Espagne  ,  il  y  fut  placé  près  de 
l'srchiduc  Charles  (2),  et  sut  se 
concilier  la  faveur  de  ce  prince  ,  qui 
depuis  tenta  de  le  rappeler  à  sa 
cour,  par  l'olTre  des  plus  brillants  em- 
plois. Il  n'avait  que  quatorze  ans, 
quand  il  fut  postulé  par  le  chapitre 
de  Besançon,  le  10  octobre  i5o2; 
et  en  attendant  qu'il  eût  atteint  l'âge 
fixé  par  les  canons  ,  le  haut- doyen 
fut  chargé  de  l'administration  du 
diocèse.  Il  fit  son  entrée  solennelle  à 
Besançon  ,  en  1 5 1 3  ,  et  reçut  l'onc- 
tion épiscopale  le  jour  de  la  Pente- 
côte, iSi^.  Dès  qu'il  eut  pris  pos- 
session de  son  siège ,  il  s'occupa  de 
défendre  les  privilèges  de  son  église , 
attaqués  en  même  temps  et  par  les 
citoj'ens  de  la  ville  et  par  le  par- 
lement de  la  province.  Les  gouver- 
neurs de  Besançon  ayant  refusé  de 


(i)  La  Généalogie  de  cette  illustre  maison  a  été 
publiée  par  Ducliesue  (?^.  ce  nom  )  ,  infol.  Elira 
fourni  un  cardinal,  plusieurs  prélats,  un  maréclial 
de  France  (  Voy.  l'art,  précédent),  des  gouver- 
neurs de  Bourgogne  ,  six  chevaliers  de  la  Toison 
d'Or  ,  etc.  Elle  s'est  éteinte  en  1607.  ,  par  la  moi  t 
de  Claude  de  Vergy,  gouverneur  et  capitaine-géné- 
ral du  comté  de  Bourgogne. 

(7.)  Depuis  aiarles-Quiul. 


i4 


210  VER 

reconnaître  l'indépendance  des  tribu- 
naux   ccclcsiasliques  ,   l'archcvcque 
mit  la  ville  eu  interdit,  et  se  retira 
dans  son  cbàteau  de  Gy,  où  il  tint, 
en  i5:io  ,  un  synode  dont  les  statuts 
ont  etc  publies.  En  iSag,  il  choisit 
pour  coadjuteur  Pierre  de  La  Baume 
(  Foj-.  ce  nom  ) ,  que  les  protestants 
avaient  forcé  d'abandonner  le  siège 
épiscopal  de  Genève  ;  et  avec  l'aide 
de   ce    prélat,    il  réussit  à  arrêter 
les  progrès  de    l'bérésie  dans    son 
diocèse.  Le  parlement  de  Dole  s'étant 
élevé  contre  l'abus  que  les  tribunaux 
ecclésiastiques  faisaient  de  l'exconi- 
municalion (3), l'archevêque  dénonça 
le  premier  président  Hugues  de  Mar- 
inier ,   dans  les  termes  les  plus  vio- 
lents i  et  fit  parvenir  sa   plainte  à 
l'empereur,  alors  à  Tolède.  Charlcs- 
()Mint  approuvait  la  conduite  de  son 
])arlement:  mais  ,  par  suite  de   son 
alïèction  pour  Antoine  de  Vergy  ,  il 
tenta    des    moyens   de   conciliation. 
Des  commissaires  furent  nommés  de 
part    et   d'autre  ;    leurs  prétentions 
léciproques  éloignèrent  tout  rappro- 
chement ;  et  ce  r.e  fut  qu'après   la 
jnort  de  l'archevêque  et  de  Pieri'ede 
La  Baume,  que  cette  grande  querelle 
fut  terminée  par  un  concordat  du  i'2 
août  i558  ,  inséré  dans  les   oi'don- 
uances  du  comté  de  Bourgogne,  liv. 

^jj  Les  deux  (ireials,  clil  Ferdinand  Lanipiiu'l  , 
culrt;rcut  eu  grand.s  deuièics  avec  le  pai-!cnienL  de 
Dole,  au  sujet  de  leurs  iusiires  ecclésiastiques, 
d.jnl  ces  prélats  voulaient  que  les  jugements  s'evc- 
etilasseut,  sous  peine  d'excouiniunication  ;  à  quoi 
le  narlemeut  s'opposait ,  reujontraut  qiie  Vexcuui- 
iuunication  ,  qui  nous  prive  de  la  communion 'des 
ildèles  et  de  l'usage  des  sacrements,  est  la  plus 
t;rande  de  toutes  les  peines;  et  néanmoins  ,  qu'on 
l'encourait  pour  une  somme  de  trois  livre  s  ,  et  en- 
core moindre,  quand  après  une  seutencc  Je  l'olii- 
cialitc  l'on  n'en  avait  pas  fait  le  paiement  :  d'où 
suivaient  de  si  grands  abus  dans  cette  province, 
cnie  l'on  y  avait  vu,  dans  le  même  temps,  quarante 
mille  excommuniés  ;  et  dans  les  villages,  des  feui- 
mcs  portant  le  gonfanon  dans  la  procession  ,  parce 
que  tous  les  hommes  se  trouvaient  excommuniés 
pour  des  affaires  de  néant.  SiOl.  sèqunn .  iUtt.  ,  in- 
4".,  Il  ,fol.f)9. ,  verso.  Dunod  ne  s'explique  pas 
aussi  clairement,  dans  son  Histoire   ecclé.<Uisli:/iie 


VER 

VI  ,  ch.  G  (  /^.  J.  Petbemand).  Aiif. 
de  Vergy  était  mort  le  29  décernbrtr 
i54i  ,  laissant  la  réputation  d'un 
prélat  plein  de  zèle  et  très-charitable. 
Son  épitaphe  ,  que  l'on  voyait  dan.*^ 
l'église  Saiut-Étiemie,  le  qualifie  :  Re- 
medium  pauperuin.  W — s. 

VERHEYDEN    (  François» 
Pierre  ) ,  peintre  et  sculpteur,  na- 
quit à  la  Haye    en    1657.    Ayant 
perdu  son  père  de  bonne  heure ,   il 
fut   placé  chez   Jacques   Noraans  , 
sculpteur  et  architecte  du  roi  Guil- 
laume m  ,  qui   se  plut  à  cultiver 
les  rares  dispositions  que  cet  enfant 
montrait  pour  le  dessin.   H  ne  tarda 
pas  à  se  distinguer  comme  sculpteur; 
et,  en  1671 ,  il  modela  unepartie  dos 
figures  et  des  ornements  destinés  aux 
arcs  de  triomphe  qu'érigea  la  ville 
de  la  Haye  pour  célébrer  l'entrée  du 
roi  Guillaume  dans  ses  murs.  H  fut 
ensuite  chargé,  avec  le  sculpteur  Le- 
coq  et  un  grandnombre  de  peintres,  de 
l'embellissement  de  la  maison  royale 
de  Breda.  Les  relations  continuelles 
qu'il  avait  avec  ces  peintres  lui  firent 
naître  l'idée  de  s'essayer  dans  leur 
art  :  après  avoir  quelque  temps  tra- 
vaillé eiî  secret ,  il  leur  communiqua 
ses  ouvrages ,  qui  excitèrent  leur  ad- 
miration. Verheyden  laissa  alors  le 
ciseau  pour  s'adonner  exclusivement  à 
la  peinture.  On  le  blâma  de  vouloir 
exercer,  k  l'âge  de  quarante  ans,  un 
artqu'il  n'avait  jamaiscultivé,  et  d'en 
abanilouner  un  dans  lequel  il  avait  ob- 
tenu de  véritables  succès.  Sans  se  lais- 
ser détourner  par  ces  reproches,  il  se 
mit  à  copier  les  plus  belles  produc- 
tions de  Sneyders  et  d'Hondekœter  ; 
puis,  5€  livrant  à  son  propre  talent , 
il  surprit  tous  les  artistes  en  exécu- 
tant et  en  composant  lui-même  des 
tableaux  d'une  vaste  dimension  ,  re- 
jr.ésenlant  des  chasses  an  cerf,   au 
sanglier  ,   animées   par   une  multi 


VER 

tilde  de  cil ien s,  et  reudues  avec  an 
feu  extraoï'dinaire.  Il  ne  rëussit 
pas  moins  à  peindre  les  volatiles  , 
dans  la  manière  d'Hondekaler.  Peu 
de  peintres  ont  su  rendre  avec 
autant  do  vëritc  et  de  légèreté  les 
poils  et  les  plumes  des  animaux  , 
ainsi  que  leurs  habitudes  ,  leurs  al- 
lures et  leurs  mouvements  ;  et  l'on 
ne  peut  douter  qu'il  n'eût  surpasse 
les  peintres  les  plus  habiles  en  ce 
cenre ,  s'il  fût  entré  plus  tôt  dans  la 
carrière.  A  ce  mente  il  ]omt  celui, 
non  moins  grand  ,  d'une  bonne  cou- 
leur et  d'une  parfaite  harmonie.  11 
mourut  à  la  Haye ,  le  23  septembre 
I  >]  1 1  ^  laissant  ,  d'un  premier  ma- 
riage, six  enfants  ,  dont  l'aîné,  pein- 
tre et  sculpteur ,  mourut  cinq  jours 
après  sou  père  ,  etdont  le  plus  jeune, 
nomme  Mathieu ,  exerça  la  pein- 
ture avec  succès.  P — s. 

VERÏiEYEN  (Philippe),  l'un 
des  plus  célèbres  anatomistes  de  son 
siècle  ,  naquit  en  i648  dans  le  Ura- 
bant ,  et  travailla  jusqu'à  l'àgc  de 
vingt-deux  ans  avec  son  père  qui 
était  laboureur.  Le  curé  du  lieu ,  re- 
marquant en  lui  d'heureuses  disposi- 
tions pour  les  sciences  ,  l'engagea  à 
commencer  ses  études.  Verheyeu  s'y 
livra  avec  tant  d'ardeur,  qu'en  iQ']'] 
il  était  en  théologie  ,  se  disposant  à 
embrasser  l'état  ecclésiastique.  Mais 
une  inflammation  qui  survint  à  une 
de  ses  jambes  ayant  forcé  les  méde- 
cins à  l'amputer ,  il  se  vit  par  là 
exclu  de  l'état  auquel  il  aspirait,  et 
s'appliqua  à  l'étude  de  la  médecine, 
où  il  eut  des  succès  si  remarquables, 
qu'en  1689  il  obtnit  à  l'université 
de  Louvain  la  chaire  d'anatomie ,  à 
laquelle  on  joignit,  en  lôgB,  celle  de 
chiriugie.  Il  mourut,  dans  ces  fonc- 
tions, le  28  janvier  1710.  Ses  princi- 
]iaux  ouvrages  sont  :  I.  Compendii 
theoricepracticœpars  i  et  2,  quarum 


VER  211 

nia  prœcipuos  affectus  capitis  ,  hœc 
thoracis  hrei>iter  expUcat ,\jon\A\ïi. , 
i683,  iu-8'^.  II.  Corporis   humani 
analomia  ,    in  qud  tant   veterum 
quàm   rccentiorum  aiiatomicoriim 
inventa   methodo  novd   describiin- 
tur  ,    ac   tablais  œneis   reprœsen- 
tantur,  Louvain,  1698,  in-4<». j  se- 
conde édition  ,  avec  de   nouvelles 
observations  et  figures ,  Bruxelles , 
1710,  in-4".  ',  S'',  édit. ,  Amsterdam, 
1781.  Ce  iVlanuel  d'anatomie,  classi- 
que  dans  son  temps  ,  eut  un  grand 
succès.  On  y  trouve  les  opinions  des 
anciens  et  les  découvertes  des  mo- 
dernes, expliquées  avec  plus  de  soin 
que  n'avaient  fait  ses  prédécesseurs. 
IjC  style  est  clair  et  parfois  élégant. 
Ce  livre  ,  traduit  en  allemand  ,    et 
publié  à  Kônigsberg,  1741 ,  in-8='. , 
a  long-  temps  servi  de  manuel  pour 
les   commençants  dans   les   univer- 
sités d'Allemagne.   Néanmoins  il  a 
été    l'objet   de    plusieurs   critiques 
souvent  fondées  •    mais  Haller  y  a 
loué  l'exactitude  de  la  plupart  des 
descriptions.    III.    Supplementum 
anatomicum ,   sive  anatomiœ  cor- 
poris humani  liber   secundus ,  in 
que  parlium  solidaruni   libro  pri- 
mo descriptarum  usas   et   munia 
explicantur.  Accedit  descriptio  ana- 
tomica  partium  fœtus  et  recenter 
nato  propriarum.  Item  controversia 
de  foramine  ovali  inter  auctorem 
et  D.  Mery  ,  Bruxelles  ,  1 7  i  o  ,  in- 
4°.  Ces  trois  ouvi'ages  ont  été  réim- 
primés à  Naples  ,  17 17  ,  iu-4''.  IV. 
FeraUistoria  de  horrendo  sanguinis 
fiuxu  ex  oculis ,  naribus ,  auribus  et 
ore  R.  P.  Joan.  B.   Onraet ,  Soc. 
Jesu,  et  de  miraculosd  ejusdem  sa- 
natione  per  intercessionem  S.  Fran- 
cisai Xaverii ,  cum  annotationibus 
brevique  discursu  de  essentiâ  mira- 
culi  et  de  cultu  sanctorum  ,  Lou- 
vain, 1708,  in-i2.  Vof.  l'Élogede 

14.. 


212  VER 

Verlieyen  dans  le  Journal  des  sa- 
vants ,  année  1710,  p.  109.       Z. 

YERHOEK  (Pierre),  peintre  et 
poète  hollandais  ,  à  peu  pics  égale- 
ment médiocre  dans  ces  deux  arts 
(  ut  pictura  poesis  ) ,  naquit  à  Bode- 
grave  le  4  septembre  iG33,  et 
j)assa  la  plus  grande  partie  de  sa 
vie  à  Amsterdam  ,  oi^i  il  mourut  le 
20  septembre  i70.i.  Brouerius  Van 
Niedek  a  publié  le  Recueil  de  ses 
Poésies  ,  en  i  voi.  in-4". ,  Amster- 
dam ,  1726.  Dans  le  nombre  on  dis- 
lingue sa  tragédie  de  Charles  le  Té- 
méraire. M ON. 

VERINE,  impératrice  d'Orient, 
femme  de  Léon  I'^'.^  e'tait  sœur  de 
Basiiisque,  dont  l'ambition  séditieu- 
se remplit  de  troubles  le  règne  de  Ze- 
non. Verine  parut,  sous  celui  de  Léon, 
uniquement  occupée  de  ses  devoirs  5 
mais  après  la  mort  de  son  époux, 
elle  sortit  tout-à-coup  de  ce  rôle  ho- 
norable, conspira  contre  son  gendre 
Zenon,  après  l'avoir  appuyé  de  tous 
ses  efforts  pour  lui  ouvrir  le  chemin 
du  trône  •  dévoila  ses  vices  et  sa  fai- 
blesse, et  enfin  le  força  de  prendre  la 
fuite  :  mais  elle  n'avait  causé  tant  de 
désordres  que  pour  faire  couronner 
Patrice,  son  amant j  et  ce  fut  avec 
uue  extrême  fureur  qu'elle  se  vit 
trompée  dans  ses  espérances.  Basiiis- 
que ,  son  frère ,  fut  couronné.  Elle 
servit  alors  secrètement  Zenon  ,  qui 
parvint  à  remonter  sur  le  trône,  mais 
qui,  fatigué  de  ses  intrigues ^  la  fit 
enfermer  dans  le  château  de  Papyre 
en  Isaurie,  où  elle  mourut  en  4Ô4. 
Ariadne,  sa  fdle  ,  mariée  à  Zenon, 
fut  presque  toujours  complice  de  ses 
fureurs  et  de  ses  intrigues.     L-s-e. 

VERINO  (Ugolin  ),  poète  latin, 
né  à  Florence  en  144*^  7  ^  composé 
divers  ouvrages  médiocres,  quoique, 
au  témoignage  d'Auge  Poîiticn,  il  fût 
un  des  liliéraleurs  les  plus  instruits 


VÈR 

de  son  temps.   Ces  ouvrages  sont  : 
les  Expéditions  de  Charlemagne , 
la  Prise  de  Grenade ,  une  Sylve  en 
l'honneur  de  Philippe  Benita,  et  trois 
Livres  à  la  louange  de  sa  pairie:  De 
illustratione  Florentice ,  1 483,  in-4*'. 
Ce  dernier  ouvrage  est  le  plus  estimé. 
L'auteur  mourut,   en  iSoS^âgéde 
soixante-trois  ans.  —  Verino  (  Mi- 
chel ) ,  son  fils ,  que  quelques  biogra- 
jihes  font  naître  aussi  à  Florence,  et 
mourir  en    i5i4,  c'est-à-dire  neuf 
ans  après  la  mort  de  son  père,  na- 
quit réellement  dans  l'une  des  îles 
Baléares ,  à  Minorque ,  et  fut  amené 
fort  jeune  à  Rome,  où  son  père  fai- 
sait de  fréquents  voyages.  Son  édu- 
cation y  fut  confiée  à  Paul  Saxe,  de 
Ronciglione,  bon  grammairien  et  ex- 
cellent rhéteur,  auquel  il  dédia  de- 
puis les  prémices  de  sa  muse  latine, 
ses  Distiques  moraux,  où  il  a  su  ren- 
fermer les  plus  belles  sentences  des 
philosophes  de  l'antiquité,  et  j'arti- 
culièrcment  celles  de  Salomon.  Il  se 
montra  tellement  supérieur   à   tous 
ses  condisciples,  par  les  agréments  de 
son  esprit  et  la  force  de  son  génie , 
que,  s'il  eût  fourni  une  longue  car- 
rière, il  auraitpeut-êtreégalé  la  renom- 
mée des  meilleurs  poètes  latins.  Son 
caractère  était  mélancolique,  sa  pro- 
nonciation dilïicile-  et  il  était  natu- 
rellement silencieux.  Il  eut  pour  amis 
Dino,  Ridolfi,  Pierre  et  Simon  Cani- 
siani ,  avec  lesquels  il  entretint  des 
correspondances,  c"  dont  il  fait  sou- 
vent mention  dans  ses  Distiques.  Il 
paraît  qu'il  se  voua  ,  vdès  l'adolescen- 
ce, à  une  virginité  perpétuelle;   et 
l'on  rapporte  qu'étant  tombé  dange- 
reusement malade ,  les  mc'decins  lui 
conseillèrent  de  se  marier  s'.il  voulait 
recouvrer  la  santé  j  mais   il  refusa 
de   suivre  leur   avis ,  et  mourut  à 
l'âge  de  dix  -  neuf  ans  ,    sacrifiant 
ainsi  son   existence    à    l'amour  de 


VER 

la  cliastetë.  Presque  tous  les  poètes 
ses  contemporains  déplorèrent  sa  fin 
précoce.  Ivarra  lui  fait  dire  : 

l'er  senos  Lachesi  rapior puer  allas  in  annos  , 
JJàm  yenciifj'ugio,  i/nam  mala  fcrrel ,  vpeiii. 

Geraldino  (  Ant.  )  l'appeile  Decus 
iininortale  pudoris.  Le  distique  sui- 
vant, de  Bern.  Miclielotti ,  prouve 
que ,  loin  de  survivre  à  son  père,  com- 
me ou  l'a  prétendu ,  celui-ci ,  au  con- 
traire, eut  à  pleurer  sa  mort  : 

i\'ey/e/  vivo i  fntor  tandem  ^  pater  optime y  veris 
Deliciis:  ccrlo,  posleritaie ,  Dec. 

Nous  citei'ons  encore  le  témoignage 
d'Ange  Polilien,  intime  ami  de  son 
père  Ugolin ,  qui ,  dans  huit  vers ,  a 
renferme  l'histoire  de  sa  vie  et  celle 
de  ses  ouvrages  : 

VERINUS  Michaeljlorentibus  occidit  annis  : 

Morihus  ambi^iLuni  major  an  ins^enio. 
Dislicha  coniposuit  docto  niirantla  parenti, 

Quœ  ciauduni  gyro  grnndia  sensa  brcvi. 
Sola  yenus  paierai  lenlc  surcurrere  morbo ; 

Ne  se  poUueret,  maluit  ille  mori, 
Ilicjacet,  heu!  patri  dolor ,  et  decus;  indèjuventus 

Exempluni  ;  vates  materiam  cupianL 

La  versification  de  Michel  Verino 
est  facile  et  cle'gaute.  Ses  Distiques 
(  Disticha  ethica  ) ,  au  nombre  de 
trois  cent  vingt-sept ,  ont  été  impri- 
més en  France ,  traduits  en  vers  fran- 
çais et  en  prose.  L'édition  la  plus 
complète  et  la  plus  correcte  est  celle 
d'Ant.-Aug.  Renouard ,  dans  son  Re- 
cueil intitulé  :  Cannina  ethica,  ex 
diversis  auctoribiis ,  Paris,  I7g5, 
gr.  in-i8.  M-G-R. 

VERJUS  (Louis  de),  comte  de 
Crécy,  habile  négociateur  ,  naquit  à 
Paris  ,  en  1629  ,  d'un  conseiller  au 
parlement.  Pendant  les  guerres  de  la 
Fronde,  il  entra  dans  les  vues  du  car- 
dinal de  Retz ,  auquel  il  se  montra  fort 
dévoué.  Plus  tard ,  il  obtint  la  charge 
de  secrétaire  du  cabinet  du  roi.  Louis 
XIV,  ayant  deviné  sa  capacité  pour 
les  affaires ,  lui  conlia  une  mission 
en  Portugal.  Avec  l'aulorisatiou  de 


VER 


2l3 


son  souverain,  il  accepta  la  place  de 
secrétaire  des  commandements  de  la 
reine  Isabelle  de  Savoie;  et  il  la  rem- 
plissait encore  en  16G8.  Rappelé  en 
France  l'année  suivante,  il  fut  envoyé 
sur-le-champ  en  Allemagne, pourtrai- 
ter  avec  lesprincesopposés  à  la  maison 
d'Autriche.  11  eut  des  démêlés  très- 
vifs  avec  le  baron  de  Lisola,  ambas- 
sadeur de  celte  puissance^  mais, 
suivant  Bayle ,  personne  ne  répon- 
dit d'une  manière  plus  piquante  à 
ce  redoutable  adversaire  (  Foyez 
Lisola  ).  En  iÔ'^q  ,  il  fut  nom- 
mé plénipotentiaire  à  la  diète  de  Ra- 
tisbonne ,  où  il  montra  beaucoup  de 
dextérité  et  de  ressources  dans  l'es- 
prit. 11  concourut,  en  1697 ,  au  trai- 
té de  Riswyck ,  qui  rendit  la  paix  à 
l'Europe ,  déchirée  depuis  dix  ans 
par  une  guerre  sanglante  et  générale. 
Cette  paix,  tant  désirée  ,  fut  reçue  à 
Paris  comme  l'aurait  été  la  nouvel- 
le d'un  affront  à  l'orgueil  national. 
Les  mécontents ,  n'osant  pas  s'en 
prendre  au  roi,  firent  le tomber  leur 
mauvaise  humeur  sur  Verjus  et  ses 
collègues.  «  Ils  n'osaient,  dit  Voltai- 
re {Siècle  de  Louis  XI F) ,  se  mon- 
trer ni  à  la  cour  ni  à  la  ville  :  on  les 
accablait  de  reproches  et  de  ridicu- 
les ,  comme  s'ils  eussent  fait  un  seul 
pas  qui  n'eût  été  dirigé  par  le  souve- 
rain. »  Ce  traité,  tant  blâmé  par  les 
pohliques  ,  prépara  cependant  la  suc- 
cession d'un  fils  de  France  à  la  mo- 
narchie espagnole.  Dans  le  tumulte 
des  affaires,  Verjus  n'avait  pas  cessé 
de  cultiver  les  lettres.  Versé  daiis 
l'histoire  et  le  droit  public  ,  il  écri- 
vait avec  élégance  et  politesse.  Il 
remplaça  l'abbé  Cassagnes  à  l'acadé- 
mie française,  en  1679  ;  et  ce  choix 
reçut  l'approbation  publique.  Verjus 
mourut, le  1 3  décembre  1709,  à  l'âge 
de  quatre-vingts  ans.  On  lui  attribue  : 
Réfutation  d'un  libelle  adressé  à 


2i4  VER 

M.  le  prince  iV  Osnahruck ,  sur  une 
lettre  qu'on  suppose  faussement  lui 
avoir  cte'  écrite  par  Verjus,  Paris ^ 
1674»  in- 12.  C'est  une  re'ponse 
à  la  Sauce  au  verjus  de  Lisola  ; 
—  quelques  Pièces  daus  les  Recueils 
du  temps.  Le  P.  Verjus,  son  frère, 
dont  l'article  suit,  peut  y  avoir  eu 
quelque  part.  VEloge  du  comte  de 
Cre'cy,  par  d'Alembert,  se  trouve 
dans  le  tome  11 ,  383-90,  de  Vlfis- 
toire  des  membres  de  l'académie 
française.  On  a  le  portrait  de  ce 
négociateur,  grand  in-fol. ,  grave  par 
Ant.  Masson.  W — s. 

VERJUS  (  l'abLé  de  ),  frère  du 
précèdent  ,  né  vers  i63i  ,  an- 
nonça dès  sa  plus  tendre  enfance  du 
goût  pour  les  lettres;  à  l'âge  de  six 
ans  l'étude  avait  plus  de  charmes 
pour  lui  que  tous  les  plaisirs  de  son 
âge.  Il  apprit  les  principes  de  la 
langue  latiuc  ,  au  collège  des  Jésui- 
tes ,  avec  une  rare  facilité.  Son  ar- 
deur pour  le  travail  fut  telle  que  sa 
santé  en  souflrit.  On  attribua  à  ses 
veillesune  Ibixion  sur  le  genou  ,  qui  le 
força  pendant  deux  ans  de  renoncer 
à  ses  classes.  Il  les  reprit  à  treize  ans, 
et  en  même  temps  s'adonna  à  la  lan- 
gue grecque.  Il  étudia  ensuite  la 
théologie,  fut  reçu  docteur  en  Soi- 
bonne ,  et  ne  cessa  de  chercher  à 
.s'instruire.  Les  pères  grecs  et  latins 
devinrent  ses  lectures  habituelles  , 
sans  qu'il  négligeât  pour  cela  les  au- 
teurs profanes,  philosophes  ou  poè- 
tes. Il  ne  lisait  rien  sans  en  faire  des 
analyses  ou  des  extraits.  Il  s'exerça 
aussi  dans  la  coraposiliou ,  soit  en 
vers  ,  soit  en  prose;  il  paraît  que  sa 
correspondance  était  1res -étendue. 
I/.  Holsténius,le  P.  Waddiug recher- 
chaient des  lettres  latines  que  Verjus 
avait  écritesà  Rome  vers  iG56.  .Jeu- 
ne encore  il  avait  obtenu  des  succès 
dans  la  chaire;  mais  sa  sanlc  ne  fut 


VER 

Jamais  bonne.  Il  souffrait  depuis 
long-temps  lorsqu'il  mourut  en  i603, 
âgé  de  trente-trois  ans.  On  a  de  lui: 
Fauégjriques  de  M.  Verjus,  i6(34, 
in-4°. ,  contenantles  Panégyriques  de 
la  Sainte  Vierge  ,  de  la  Croix ,  de 
la  Vie  religieuse  ,  des  Saints  pour  la 
fêle  de  la  Toussaint,  de  saint  Au- 
gustin ,  de  la  Profession  religieuse, 
de  saint  Matthieu ,  de  saint  Faul  ; 
un  Discours  pour  la  vesture  d'une 
religieuse  y  un  Discours  sur  l'humi- 
lité,  une  pièce  latine  en  prose  ,  inti- 
tulée :  Divo  Ludovico  PanegjricuSy 
et  une  autre  ayant  pour  titre  :  De  re- 
giorum  theologorum  i/i  regem  chris- 
tianissimum  ofliciis  oratio{  1  ).  L'édi- 
teur du  volume  fut  François  Verjus, 
prêtre  de  l'Oratoire,  puis  évè(|ue  de 
Grasse  ,  qui  mourut  en  17  lo.  C'était 
le  frère  de  l'auteur,  auquel  le  ])rivi- 
Ic'ge  du  roi  donne  les  titres  d'abbé  , 
conseiller  et  aumônier  du  roi.  Une 
longue  jnéface  contient  de  grands  dé- 
tails sur  différents  travaux  entiepris 
par  l'abbé  Verjus  ;  on  y  annonce 
(page  27  )  que  quelqu'un  se  propo- 
sait de  donner  un  Recueil  de  ses 
Lettres.  A.  B — T. 

VERJUS  (  Le  P.  Antoine  ),  frère 
des  jîrécédents,  et  le  premier  direc- 
teur des  missions  françaises  dans  les 
Indes  -  Orientales  ,  naquit  à  Paris 
le  24  janvier  1682.  Dès  qu'il  eut 
terminé  ses  études  ,  il  embrassa  la 
règle  de  saint  Ignace  ,  et  fut  envoyé 
par  ses  supérieurs  en  Bretagne  , 
011  il  professa  les  humanités  dans 
différents  collèges.  Sa  politesse  et 
son  goût  pour  les  lettres  l'avaient 
déjà  fait  connaître ,  et  il  était  en 
correspondance  avec  les  littérateurs 


(i)  Outre  ces  Jeux  morceaux  en  l'honneur  Je 
Loiiis  XIV  ,  l'abbé  Verjus  avait  rompose'  un  autre 
panégyrique  ou  apologie  du  mpiue  roi.  S'il  ne  fut 
pas  imprirué  en  iti64  ,  il  <aut  s'en  prendre,  dit  l'é- 
diteur, à  r aversion  du  monarque  pour  la  Jlallerie 
tl  à  sa  iKodeslic. 


VER 

ïes  plus  (lislingiics.  Mcu.igc  cilc  avec 
elogtf  «ne  lettre  que  le  P.  Verjus  lui 
écrivit  de  Quimper.,  pour  le  remer- 
cier de  sou  Recueil  de  poésies  (  V^oy. 
Menagiana  ,  m,  129  ).  Dédaignant 
tous  les  avantages  qu'il  pouvait  es- 
pérer en  France,  le  P.  Verjus  nour- 
rissait le  désir  de  se  consacrer  aux 
missions  étrangères,  et  il  ne  cessait 
de  demander  à  ses  supérieurs  la  per- 
mission de  passer  aux  Indes.  Mais  le 
comte  deCre'cy,  son  frère,  combattit 
cette  résolution  avec  tant  de  force  et 
par  de  si  bonnes  raisons ,  qu'il  fut 
contraint  d'y  renoncer.  En  i6'j2,  il 
accompagna  son  frère  en  Allemagne, 
par  ordre  du  roi ,  et  se  cliargea  , 
pour  le  soulager,  de  rédiger  plusieurs 
manifestes  français  et  latins ,  en  fa- 
veur des  princes  ,  et  contre  les  pre'- 
tcntions  de  la  cour  de  Vienne.  Ses 
talents  et  la  douceur  de  son  caractère 
lui  méritèrent  l'estime ,  même  des 
protestants;  et  quoiqu'il  ne  ménageât 
guère  leurs  opinions,  il  y  en  eutjjlu- 
sieurs  qui  lui  restèrent  altaclie's  sin- 
cèrement, et  avec  lesquels  il  conti- 
nua d'entretenir  une  coirespondance 
suivie.  La  place  de  procureur  des  mis- 
sions du  Levant  e'tant  venue  à  vaquer^ 
elle  fut  donnée  au  P.  Verjus,  et  pen- 
dant tout  le  teinps  qu'il  la  remplit, 
il  signala  son  zèle  pour  ces  e'tablis- 
sements,  dont  l'utilité  ne  saurait  être 
contestée.  Il  se  servit  du  crédit  qu'il 
avait  à  la  cour  pour  obtenir  l'envoi  de 
nouveaux  missionnaires  dans  les  In- 
des-Orientales et  à  la  Chine  ,  et  ne 
cessa  de  les  favoriser  par  tous  les 
moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir. 
Ses  infirmités,  toujours  croissantes, 
l'ayant  obligé  de  se  démettre  de  cet 
emploi ,  il  se  disposa  ,  par  la  prière 
et  les  bonnes  œuvres ,  a  sa  fin  pro- 
chaine ,  et  mourut  presque  subite- 
ment ,  le  16  mai  1706,  à  l'âge  de 
soixante- quatorze  ans.  Le  P.  Verjus 


VER  2i5 

est  l'éditeur  du  Recueil  intitulé  :  Se- 
hctœ  oratiojiespanegyricœPP.  soc. 
Jesu,  Lyon  ,  1667,  '■*  vol.  in-i'i.  Il 
eut  beaucoup  de  part  à  Y  Académie 
de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  élo- 
quence ,  Lyon,  i6G(),  1  vol.  petit 
in-i2  •  ouvrage  reproduit  sous  le  titre 
de  Traduction  des  Harangues  des 
historiens  grecs  et  latins  ,  Lyon  , 
1669,  2  vol.  in-i2.  Il  a  traduit  du 
P.  Ant.  Vieira  (  Voyez  ce  nom  ) 
Discours  historique  pour  le  jour  de 
la  naissance  de  la  reine  de  Portu 
gai,  Paris,  1669,  in-4",  ;  et  Dis- 
cours sur  la  naissance  de  Vinfanie 
de  Portugal,  ibid.  ,  1671,  'in-4°. 
On  lui  attribue  une  Apologie  du 
cardinal  de  Furstemberg  (1),  Les 
autres  ouvrages  du  P.  Vorjus  sont  : 
I.  Vie  de  Michel  Le  Nohletz,  prêtre 
et  missionnaire  en  Bretagne,  Paris, 
1666,  in-8o.  Il  la  j)Mblia  sous  le  nom 
de  l'abbé  de  Saint-André.  IL  Fie 
de  saint  François  de  Borgia ,  ibid., 
1672,  in-40.  et  in-12  ;  elle  est  inté- 
ressante et  écrite  avec  soin.  Le  P. 
Verjus  a  revu  la  traduction  française 
du  Catéchisme  de  (ianisius  (  F.  ce 
nom),  édition  de  Paris,  1688,  in- 12. 
On  a  la  Fie  abrégée  du  P.  Verjus  , 
dans  une  Lettre  du  P.  Legobien 
(  ^"07-.  cenom,  XXIII,  570);  elle 
est  ornée  de  son  portrait ,  qu'on  a 
dans  les  formats  in-4".  et  in-i  j. 
W~s. 
VERKOLIE  (Jean),  peintre,  na- 
quit à  Amsterdam,  en  i65o,  d'un  pè- 
re, serrurier,  qui  voulait  lui  faire  em- 
brasser son  état.  II  n'était  âgé  que 
de  dix  ans  ,  lorsqu'une  blessure  qu'il 
se  lit  au  pied,  et  qui  menaçait  de 
lui  faire  perdre  la  jambe  et  la  vie, 
le  retint  au  lit  pendant  trois  ans. 
Pour  se  distraire,  son  seul  plaisir 

(1)  GesL  peul-îlic  l'ouviagc  iutiluie  :  Prinr'ip. 
T'i^nnis  FursteinbergU  violenta  deductio  et  iHJUit-.i 
dclentio,  Am-ers  f  Paris  ),  1G74  >  iu-i». 


3l(î 


VKR 


était  de  copier  des  images  et  des 
estampes.  C'est  ainsi  qu'il  devint 
peintre.  Rendu  à  ia  santé'  .  il  se 
mit  à  lire  tous  les  livres  qui  trai- 
tent de  la  perspective  ;  et  en  moins 
d'un  mois,  il  acquit  les  cçnnaissan- 
ces  qui  lui  étaient  nécessaires.  Alors 
il  forma  le  projet  de  peindre  jet 
s'étant  procuré  quelques  ouvrages 
de  Guérard  Van  Zeil ,  il  sut  si  bien 
en  saisir  le  style  et  la  manière  ,  que 
ses  copies  trompèrent  des  amateurs. 
Cependant  le  jeune  Yerkolie  sentit 
combien  il  perdait  de  temps  à  vou- 
loir apprendre  de  lui-même  ce  qu'un 
maître  pouvait  lui  enseigner  en  peu 
de  leçons  j  et  il  pria  Jean  Liévens  de 
l'aider  des  siennes.  Ce  peintre  reçut 
avec  empressement  un  pareil  élève  j 
et,  mettantà  proUt  le  talent  qu'il  pos- 
sédait déjà,  lui  donna  à  terminer 
plusieurs  tableaux  que  Guérard  , 
avant  sa  mort ,  avait  seulement  ébau- 
chés ,  et  dont  il  était  devenu  l'acqué- 
reur. Verkolie  fît  alors  une  tentative 
plus  hardie ,  en  composant  de  lui- 
même  un  tableau  dans  la  manière  de 
ce  maître.  11  y  réussit  si  parfaite- 
ment ,  que  plusieurs  connaisseurs  , 
étant  venus  le  voir  sans  savoir  qu'il 
lût  de  lui ,  dirent  en  sa  présence  que 
Liévens  lui-même  n'avait  jamais  si 
bien  fait ,  et  qu'ils  ne  concevaient  pas 
comment  il  se  trouvait  en  possession 
de  ce  tableau,  puisque  Guérard  était 
mort.  Verkolie  apprit  ainsi  ce  qu'il 
valait,  et  quitta  Liévens  au  bout  de 
six  mois^  instruit  dans  ton  tes  les  par- 
ties de  son  art.  En  1672  ,  il  se  maria, 
peignit  un  nombre  considérable  de 
beaux  portraits ,  et  essaya  aussi  quel- 
ques morceaux  d'histoire  ,  qui  firent 
l'étonnement  de  tous  les  connaisseurs, 
en  raison  du  peu  de  secours  qu'il 
avait  eus  pour  parvenir  à  ce  degré 
de  perfection.  On  remarqua  particu- 
lièrement les  tableaux  de  Féniis  et 


VER 

adonis;  d'une  Pénitente  à  genoux, 
éclairée  par  une  lampe  ;ài  un  Berger 
et  d'une  Bergère ,  et  d'un  Trompeta 
te ,  qu'il  a  gravés  lui-même  en  ma- 
nière noire.  11  possédait  une  bonne 
couleur  et  un  pinceau  plein  de  dou- 
ceur; son  dessin ,  quoique  sans  fines- 
se ,  ne  manque  pas  de  correction  :  ses 
compositions  sont  ingénieuses  ;  et  les 
sujets  qu'il  aimait  à  peindre  de  pré- 
férence sont  des  assemblées ,  des  fes- 
tins ,  des  scènes  galantes.  Après  Vail- 
lant et  Walck,  il  est  un  des  artistes 
qui  se  sont  le  plus  distingués  dans  la 
gravure  en  manière  noire.  11  l'avait 
apprise  sans  maître,  comme  la  pein- 
ture. 11  a  exécuté  de  cette  manière 
son  Portrait  et  ceux  à' Etienne  Wol- 
ters ,  amateur;  de  Josias  Van  Ca- 
pelle ,  pasteur  à  Lejde  ;  de  Cor- 
neille Van  Acken ,  pasteur  à  Delft  ; 
de  Guillaume  -  Henri ,  prince  d'O- 
range ,  et  dJ Hortense  Mancini  _, 
duchesse  de  Mazarin.  Les  compo- 
sitions qu'il  a  gravées  ,  outre  les  pré- 
cédentes sont  :  I.  Jupiter  et  Ca- 
listo ,  d'api'ès  Gaspard  Nelscher.  II. 
VénusetV  Amour. \\\. Pan  et  Flore. 
IV.  Un  Jeune  homme  qidrit ,  tenant 
d'une  main  un  verre ,  et  caressant 
de  l'autre  une  jeune  Jille.  V.  Veux 
chiens  barbets ,  l'uji  aboyant  sur 
une  table ,  l'autre  à  terre.  VI.  LTne 
Chatte  avec  son  petit ,  dormant  sur 
un  coussin.  Le  Musée  du  Louvre 
possède  de  ce  maître  un  tableau  qui 
représente  une  femme  ttiiant  sur  ses 
genoux  un  enfant  enveloppé  de  lan- 
ges. Une  servante  lui  apporte  une 
tasse  ;  à  droite  une  table  couverte 
d'un  tapis  ;  à  gauche  un  chien  et  le 
berceau  de  l'enfant.  Vei'kolie  a  for- 
mé un  assez  grand  nombre  d'élèves 
distingués  ,  et  il  est  mort  à  Delft ,  en 
1693. — Nicolas  Verkolie  ,  son  fils 
et  son  élève,  naquit  dans  la  même 
ville  en    1673.  Ayant  perdu  son  pè- 


VER 

re  à  l'âge  de  vingt  ans,  et  lorsque 
son  éducation  pittoresque  n'était 
point  eneore  terminée ,  il  tàclia  de 
reparer  cette  perte  en  redoublant 
d'assiduité'  dans  ses  éludes.  Il  ne 
tarda  pas  à  se  faire  connaître  par 
2)lusieiirs  beaux  portraits:  mais  bien- 
tôt il  se  hasarda  à  peindre  l'histoire; 
et  le  succès  avec  lequel  il  se  livra  à 
ce  genre  de  peinture  lui  acquit  l'es- 
time de  tous  les  connaisseurs ,  qui  ne 
balancèrent  pas  à  le  préférer  à  sou 
père.  Ses  ouvrages  se  firent  remar- 
quer par  la  composition  et  un  excel- 
lent goût  de  dessin  ,  auxquels  se  joi- 
gnaient une  couleur  et  un  pinceau 
ferme ,  quoique  délicat.  Ses  scènes 
de  nuit,  d'un  effet  extraordinaire, 
sont  un  ornement  ,  même  pour 
les  collections  les  mieux  choisies. 
Les  ouvrages  qui  ont  le  plus  con- 
tribué à  sa  réputation  sont  :  Beth- 
sabée  au  bain  ;  le  Reniement  de 
saint  Pierre  ;  Moïse  exposé  sur  les 
eaux  ;  une  Salle  d'une  maison  d'Ams- 
terdam ,  qu'il  a  ornée  de  Sujets  tirés 
du  Pastor  Fido ,  de  Guariui  ;  et  une 
jolie  couturière  ,  à  laquelle  un  jeune 
homme  fait  la  cour;  scène  de  nuit, 
éclairée  par  une  bougie  ,  dont  l'effet 
est  très-piquant,  et  le  dessin  et  l'har- 
monie supérieurement  rendus.  Outre 
la  peinture  a  l'huile ,  il  possédait  un 
autre  talent,  qui  lui  a  mérité  une 
grande  réputation  :  c'était  celui  avec 
lequel  il  dessinait ,  à  l'encre  de  la  Chi- 
ne, de  petits  sujets  qu'il  terminait 
ensuite  à  la  plume ,  avec  un  soin  ex- 
trême ,  et  qui  ont  acquis  dans  les 
ventes  un  prix  tiès-élevc,  qu'on  doit 
attribuer  à  leur  perfection  encore 
plus  qu'à  leur  rareté.  Le  Musée  du 
Louvre  possède  un  tableau  de  ce  maî- 
tre, représentant  Proserpine  occu- 
pée à  cueillir  des  jleurs  avec  ses 
compagnes  dans  les  prairies  d'En- 
na  en  Sicile^  sans  apercevoir  Plu- 


VER 


217 


ton,  qui  attend  un  instant/avoralle 
pour  l'enlever.  11  en  renfermait  un 
autre,  dont  le  sujet  était  un  Vieil- 
lard assis  à  son  bureau  et  taillant 
une  plume,  qui  a  été  rendu ,  en  1 8 1 5, 
au  roi  des  Pays-Bas.  Verkoîie,  com- 
me son  père ,  a  cultive  avec  un  grand 
succès  la  gravure  en  manière  noire  ; 
mais  il  lui  est  de  beaucoup  supérieur. 
Ses  estampes  sont  des  portraits  et  des 
sujets  historiques,  d'après  ses  propres 
compositions  et  celles-  de  dillérents 
maîtres.  Ses  Portraits ,  selon  Huber 
et  Ro5t,  sont  au  nombre  de  six;  et 
ses  Sujets  historiques  au  nombre  de 
quatorze,  parmi  lesquels  Deux  pe- 
tits chiens  de  race ,  qui  jouent  à 
terre ,  sont  très  -  recherchés  pour 
l'extrême  délicatesse  du  travail.  Ver- 
koîie mourut  à  Delft  le  21  janvier 
1746.  P— s. 

V  E  R  L  A  C  (  Bertrand  )  ,  né  à 
Montpellier  ou  dans  les  environs  ,  eu 
1757  ,  eut  une  vie  plus  agitée  que 
brillante  :  avocat  au  présidial  de 
Nîmes,  eu  1781  ,  il  était  quelques 
années  après  professeur  d'anglais  à 
l'école  de  la  Marine  de  Vannes. 
Monge  qui  l'avait  connu  dans  ces 
dernières  fonctions  ,  étant  devenu 
ministre  de  la  marine,  l'appela  à  Pa- 
ris, et  le  nomma  commis  principal 
au  bureau  des  colonies  orientales. 
Verlac  quitta  celte  place  pour  suivre 
les  afl'aires  d'un  de  ses  amis.  Il  était, 
en  1797  ,  professeur  à  l'école  cen- 
trale du  département  de  Vaucluse. 
Revenu  à  Paris  ,  il  desirait  être  em- 
ployé à  l'université  impériale  ;  mais 
il  ne  put  rien  obtenir  ,  et  malgré  la 
haine  violente  qu'il  portait  à  l'em- 
pereur, contre  lequel,  en  iSio  ,  il 
avait  composé  six  satires  ,  il  ac- 
cepta ,  à  la  fin  de  cette  même  année, 
les  fonctions  de  commissaire  de  po- 
lice à  Bois-le-Duc ,  puis  à  Anvers. 
Des   tracasseries    l'empêchèrent    de 


3l8 


VER 


prendre  possession  de  ces  emplois  ; 
il  habitait  les  environs  de  Paris  lors- 
qu'il fut  arrête  pour  des  satires  ma- 
nuscrites ,  dont  il  avait  parle'  à  un 
de  ses  prétendus  amis.  Aucune  copie 
de  l'ouvrage  n'ayant  été  trouvée,  on 
se  contenta  d'exiler  l'auteur  à  quel- 
que distance  de  la  capitale.  Ce  fut  à 
Arras  et  à  Mailly  qu'il  se  réfugia  j 
mais  aussitôt  après  les  événements 
de  mars  i8i4  ,  Vei'lac  vint  à  Paris 
cbercher  fortune  ,  et  fit  imprimer 
ses  Satires  contre  Buonaparte.  II 
n'en  retira  ni  gloire,  ni  profit.  Se 
croyant  exposé  à  quelque  danger  ,  en 
i8i5,  au  retour  de  l'usurpateur  ,  il 
alla  à  Gand,  revint  à  Paris  à  la  suite 
des  armées  étrangères,  et,  toujours 
solliciteur,  ne  fut  pas  plus  heureux. 
Il  était  compromis  dans  un  procès 
criminel  ^lorsqu'il  mourut  à  Thopital 
de  la  Charité  ,  le  20  octobre  1 8 1 9. 
On  a  de  lui  :  I.  Poèmes  et  Poésies , 
Nîmes,  1782  ,  in-80.  5  la  Haye, 
1786,  in-Ô*^.  j  nouvelle  édition  re- 
vue et  corrigée,  1802  ,  in-80.  II. 
Moyens  de  se  perfectionner  dans  la 
connaissance  de  la  langue  fran- 
çaise,  Amsterdam,  1786,  in-8°. 
III.  Discours  sur  les  dei>oirs  ,  les 
qualités  et  les  connaissances  du 
médecin ,  trai.  de  Gregory,  1787  , 
iu-S''.  {Foj.  Gregory,  XVIII  , 
439  ).  IV.  Observations  sur  les 
princes  ,  par  Aikin ,  avec  une  Let- 
tre à  V auteur ,  sur  le  même  sujet  , 
du  docteur  Percival,  trad.  de  l'an- 
glais, 1787,  in-i2.  V.  La  voix  du 
citoyen  ,  1789.  VI.  Hammon  et 
Corbett ,  1789,  2  vol.  in-12  {F.S.- 
J.  Pratt  ,  XXXVI  ,  i4  ).  VII. 
Mémoire  présenté  à  nosseigneurs 
de  V Assemblée  nationale,  1790, 
in-80.  W\\.  Nouveau  plan  d'édu- 
cation pour  toutes  les  classes  de 
citoyens ,  avec  un  Traité  de  la  li- 
berté  civile  ,   traduit  du  docteur 


VER 

Price  ,  Rennes,  1790  ,  in-8*>.  IX. 
Mémoire  a  V Assemblée  nationale , 
Paris,  1790,  in-8°.  Y,.^ Second  Mé- 
moire { en  forme  de  dialogue  )  j  ces 
deux  Mémoires  ont  ensemble  94  pag. , 
et  sont  relatifs  au  PZrt/i  d'éducation. 
XI.  Mémoire  sur  les  écoles  de 
marine ,  et  opinion  sur  le  décret  du 
21  et  du  "50  juillet  1791  ,  relatif  à 
ces  écoles  ,  aux  concours  et  exa- 
mens,  1791  ,  in-8".  XII.  Observa- 
tions sur  le  meilleur  système  moné- 
taire ,  et  réfutation  du  Mémoire  de 
l' ex-ministre  Clavière ,  relatif  à 
son  projet  d'une  nouvelle  refonte 
des  monnaies ,  février,  1793,  in-80. 
L'Opuscule  de  Clavière  que  Verlac 
combattait  a  pour  titre  :  Du  Mo- 
nétaire métallique  ou  de  la  Néces- 
sité d'une  prompte  refonte  des 
monnaies  ,  en  abolissant  l'usage 
d'en  fixer  la  valeur  en  livres  tour- 
nois,  fragment  tiré  de  la  Chronique 
du  mois.  Xllt.  La  Morale  natu- 
relle ramenée  aux  principes  de  la 
physique  par  Bruce  ,  professeur  de 
philosophie  à  Édinbourg  ,  traduit 
de  l'anglais  ,  Paris  ,  an  II  (  1 794  ) , 
in-8°.XIV.  La  connaissance  de  soi- 
même  ,  traduit  de  l'anglais  de  Ma- 
son.  XV.  Abus  de  confiance  ,  avis 
à  la  crédulité  ,  1S02  ,  in-8°.  de  7 
feuilles.  Opuscule  relatif  à  des  discus- 
sions avec  un  de  ses  amis  ou  clients. 

XVI.  Relation  de  mes  voyages  , 
Poitiers,   Catineau  ,    i8i4  ;,  in-8''. 

XVII.  Règne  de  Buonaparte  , 
quatorze  Satires  en  vers  fran- 
çais,  par  un  imitateur  de  Juvé- 
nal,  quatre  cahiers  iu-8".  ,  qui  ne 
contiennent  que  sept  satires  ;  les 
sept  dernières  n'ont  pas  vu  le  jour. 

XVIII.  Histoire  de  mes  voya- 
ges en  France  ,  en  Hollande ,  en 
Belgique  et  en  Angleterre  ,  avant 
mon  arrestation  à  Paris ,  sous  la 
tyrannie  de  Napoléon ,  et  après  ma 


VER 

mise  en  liberté  sons  le  règne  de 
Louis  XV III ,  pour  servir  d'intro- 
duction à  la  nouvelle  Satire  Me- 
nippée  en  vers  et  en  prose  ,  Bruxel- 
les, :8i5,  in-8".  On  a  quelque- 
fois attribue  à  Berlraud  Verlac  les 
ouvrages  d'un  Verlac  La  Bastide, 
publiés  de  1758  à  1766  :  l'erreur 
est  évidente.  Il  est  probable  que  c'est 
aussi  par  erreur  qu'on  lui  attribue 
les  Gradations  de  V Amour ,  1772  , 
in-8'\  A.  B— T. 

VERMANDOIS  (  Héribert  ou 
Herbert  ^  comte  de  ) ,  descendait  de 
Pépin,  roi  d'Italie,  le  second  fils  de 
Cliarlemagne ,  et  par  conséquent  était 
de  la  maison  royale  de  France.  Il  an- 
nonça, dès  sa  jeunesse,  les  inclina- 
tions guerrières  qui  devaient  le  ren- 
dre si  redoutable  à  ses  voisins  ,  et 
remplir  sa  vie  de  guerres  continuel - 
les ,  presque  toujours  funestes  à  ses 
propres  sujets.  Le  premier  usage 
qu'il  fit  de  sa  puissance  fut  pour  ven- 
ger la  mort  de  sou  père  ,  nommé 
comme  lui  Héribert,  que  le  comte 
de  Flandre  avaitfait  assassiner  (902). 
Il  entra  dans  la  conjuration  des 
grands-vassaux  de  la  couronne  con- 
tre le  maUieureux  Charles-le-Simple, 
et  contribua  beaucoup  à  faire  monter 
sur  le  trône  Robert  (  Foy.  ce  nom  , 
XXXVIII,  1H7),  et  ensuite  Raoul 
ou  Rodolphe,  duc  de  Bourgogne  {V. 
ce  nom,  XXXVII,  86).  Informé 
qu'après  la  perte  de  la  bataille  de 
Soissons  ,  Charles ,  abandonné  de 
presque  tous  ses  partisans,  s'était 
enfui  de  l'autre  côté  de  la  Meuse  ,  il 
engagea  ce  prince  à  se  retirer  dans 
le  Vermandois ,  lui  promettant ,  par 
serment ,  de  l'aider  à  reconquérir  son 
royaume.  Héribert  accueillit  Charles 
de  manière  à  dissiper  ses  soupçons, 
s'il  en  avait  pu  conserver.  Il  poussa 
la  dissimulation  au  point  de  se  jeter 
a  SCS  pieds;  et  voyant  que  son  fils 


VER  219 

était  resté  debout  devant  le  monar- 
que, il  le  força  de  s'agenouiller,  en 
lui  disant  :  a  Est-ce  ainsi  qu'on  re- 
çoit son  seigneur  et  son  maître?  »  Le 
reste  de  la  journée  se  passa  dans  les 
festins  et  dans  les  fclesj  et  pendant 
la  nuit ,  Héribert  s'étant  assuré  de  la 
personne  de  Charles,  le  conduisit 
prisonnier  à  Château  -  Thierry.  Le 
comte  de  Vermandois  se  hâta  d'ins- 
truire Raoul  du  succès  de  sa  perfidie. 
11  rendit  de  grands  services  à  ce  prin- 
ce ,  dans  les  guei-res  qu'il  eut  à  sou- 
tenir contre  les  Lorrains  et  les  Nor- 
mands; mais  ce  ne  fut  pas  sans  en 
exiger, le  prix.  S'étant  emparé  de  la 
ville  d'Eu  ,  le  boulevard  des  Nor- 
mands, il  en  fit  passer  les  habitants 
au  fil  de  l'épée  (925),  et  obtint,  en 
récompense ,  l'archevêché  de  Reims 
pour  Hugues  ,  son  fils,  âgé  de  cinq 
ans.  Il  exigea  ensuite  de  Raoul  le 
comté  de  Laon  ;  et  sur  son  refr.s  ,  il 
le  menaça  de  tirer  Charles  de  prison. 
Il  conduisit  en  effet  ce  prince  à  Saint- 
Quentin  ,  puis  au  château  d'Eu ,  où 
les  seigneurs  normands  vinrent  lui 
prêter  hommage;  mais  Raoul  effraye 
lui  accorda  enfin  l'investiture  du  com- 
té de  Laon;  alorsHéribert  renferma 
son  royal  prisonnier  à  Péronne ,  où 
il  mourut,  en  929  (  Voy.  Charles, 
VIII ,  I  o5  ).  Raoul ,  ne  redoutant  plus 
les  menaces  d'Héribert ,  fit  annuler 
l'élection  de  son  fils  à  l'archevêché 
de  Reims,  et  pourvoir  cette  église 
d'un  prélat  capable  de  l'adnnnis- 
trcr. Héribert,  furieux ,  se  ligue  avec 
Henri,  roi  de  Germanie,  pour  faire 
la  guerre  à  Raoul  :  mais  il  perd  suc- 
cessivement toutes  ses  places  fortes  ; 
et  obligé  de  fuir  au-delà  du  Rhin  il 
n'obtient  que  par  l'intervention  du 
roi  de  Germanie,  avec  la  paix,  la 
restitution  d'une  partie  du  Verman- 
dois. Après  la  mort  de  Raoul  (936) , 
les  grands  ayant  rappelé  Louis  dit 


^20  VER 

d'Outremer  (  Fq/.  ce  nom  ,  XXV , 
102  ),  ce  prince  eut  la  générosité  de 
pardonner  à  Héribert  sa  trahison  en- 
vers son  père.  Oubliant  cette  j;;race  , 
le  comte  de  \  ermandois  s'allia ,  en 
Ç)3Sy  à  Hugues-le-Grand,  pour  com- 
battre sou  souverain  et  ravager  la 
Champagne.  L'excommunicationlan- 
cée  contre  lui ,  pour  s'être  emparé 
de  quelques  forts  ou  domaines  ap- 
partenant à  Saint- Rémi,  ne  l'arrêta 
point  dans  l'exécution  de  ses  projets. 
Il  assiège  Reims ,  en  940  ,  force  l'ar- 
cbevèque  établi  par  Raoul  de  se  dé- 
mettre ,  et  fait  confirmer  la  première 
élection  de  son  fils  Hu^rues ,  alors  dia- 
cre.  ioutenu  par  1  empereur  Otliou  , 
il  se  proposait  de  rentrer  dans  les 
■v'illes  du  Vermandois  dont  il  restait 
dépouillé,  quand  une  maladie  de  lan- 
gueur l'arrêta.  A  sa  dernière  heure  , 
il  était,  dit  R.  Glaber,  entouré  de 
ses  proches,  qui  le  pressaient  de  son- 
ger au  salut  de  sou  ame,  et  de  régler 
ses  affaires  domestiques  j  mais  on  ne 
put  obtenir  de  lui  que  ce  peu  de  mots  : 
JS'ous  étions  douze  qui  avions  juré 
de  trahir  Charles.  Il  répétait  encore 
ces  paroles  ,  qui    prouvent  ses  re- 
mords, quand  il  expira,  l'an   94^ 
(i)  (  Voy.  la  Chroniq.  de  Glaber  ,  i , 
ch.  3  )  (2).  Il  fut  enseveli  par  ses  en- 
fants dans  l'église  collégiale  de  St.- 
Quentiu.  Il  eut  pour  successeur  Al- 
bert dit  le  Pieux ,  son  fils  aîné.  Voy. 
la     descendance    d'Héribert ,    dans 
l'Histoire  généalogique  du  P.  An- 
selme, I,  48.  La  Chronique  de  Flo- 
doard  ou  Frodoard  est  l'ouvrage  qui 


(  1}  Jeau  de  Serres .  et  quelques  autres  hi^torieiu, 
«3'après  lui,  ont  dit  que  Héribert  avait  été  pendu 
par  les  ordres  de  Louis  d'Outremer,  Cette  erreur 
a  été  signalée  par  dom  Liron,  dans  les  Singulari- 
tés fiUloriijuei ,  lu,  237. 

(i)  La  Chroni//ue  de  Kaoul  Glaber,  et  celle  de 
Flodoard ,  ont  été  traduites  en  fr.tncais  par  31. 
Guizot.  Llles  fout  partie  on  tome  VI  de  la  Collec- 
lion  tie  "Mcmoires  relatifs  à  l^histoire  de  France  j 
Paris,  Briifre,  i8z4,  et  années suivanles,  in-8". 


VER 

renferme  le  plus  de  détails  sur  Héri- 
bert, sa  trahison  et  ses  guerres. 
V^^— s. 

VERMANDOIS  (Raoul  (i), 
comte  de',  surnommé  le  Faillant , 
était  fils  de  Hugues-le-Gi'and  (  P^.  ce 
nom,  XXI .  35  )  et  petit-fils  de  Hen- 
ri I«''. ,  roi  de  France  (2).  11  naquit 
vers  1094.  Sa  trop  grande  jeunesse 
ne  put  lui  permettre  de  prendre  part 
aux  exploits  des  premiers  croisés  j 
mais  enflammé  par  le  récit  de  leurs 
hauts  faits ,  dès  qu'il  sut  manier  un 
cheval  et  une  lance ,  il   s'appliqua 
sans  relâche  à  tous  les  exercices  ré- 
servés alors  aux  preux ,  et  s'y  rendit 
bientôt  fort  habile.  Louis  -  le  -  Gros 
i^yant  formé  le  projet  d'abaisser  la 
puissance  des  grands  -  vassaux ,  qui 
yresiac  te  uj  ours  ligués  contre  l'au- 
torité royale  la  contraignaient  sou- 
vent à  des  sacrifices,  Raoul  le  ser- 
vit dans  cette   entrepi'ise  avec  une 
fidélité  qui  ne  se  démentit  jamais. 
II   se   signala    dans  la   guerre    que 
Louis  eut  à  soutenir  contre  Gui  de 
Rochcfort  et  Thibaut ,  comte  de  Blois 
et    de   Champagne.    Blessé    devant 
Gournay  (  1 1 1 0  ) ,  il  ne  voulut  pas 
quitterle  combat,  ni  permettre  qu'on 
arrêtât  le  sang  qui  rougissait  ses  ar- 
mes ,  avant  d'avoir  achevé  la  dérou- 
te des  ennemis.  En  1 1 12 ,  il  assiégea 
le  Puiset ,  défendu  par  le  comte  de 
Blois  :  une  bataille  fut  livrée  sous  les 
murs  de  la  forteresse.  Thibaut,  ayant 
aperçu  Raoul  dans  la  mêlée,  le  joignit, 
et  l'attaquant  avec  fureur ,  le  força 
de  s'arrêter.  Raoul,  plus  calme  que  son 
adversaire  ,  lui  plongea  son  épée  au 

(1)  En  latin  Radulphu!  :  de  là  vient  que  quelques 
auteurs  le  nomment  Rodolphe. 

(2)  L'intervalle  de  prés  de  deux  siècles  qui  sé- 
pare Eaoul  d'Héribert,  u'a  pas  empécbé  les  compi- 
lateurs de  dire  et  de  répéter  que  Raoul  était  HIs 
d'Héribert  Celte  faute  si  visible  se  retrouve  dans 
le  Diction,  universel,  et  même  dans  le  Diction,  de 
Feller ,  édit.  de  i8i4 ,  pour  l.iquelle  ou  a  copié 
partout  sans  choix  et  sans  disceruemeut. 


VER 

défaut  de  la  cuirasse,  et  le  renversa 
sur  le  sable.  Les  gens  du  comte  de 
Biois,  le  croyant  mort  ,  prirent  la 
fuite  5  et  le  château  du  Puiset  ouvrit 
ses  portes  au  vainqueur.  De  nouvel- 
les guerres,  excitées  par  les  grands- 
vassaux,  secourus  tantôt  par  les  Al- 
lemands et  tantôt  par  les  Anglais , 
en  occupant  Raoul ,  lui  fournirent  de 
nombreuses  occasions  de  signaler  sa 
valeur  et  sa  fidélité.  En  i  i3o ,  il  eut 
l'œil  percé  d'une  flèche,  à  l'assaut 
du  château  de  Livry.  Il  reçut,  l'an- 
née suivante ,  la  récompense  de  ses 
services,  par  sou  élévation  à  la  di- 
gnité de  grand-sénéchal ,  dont  Gar- 
lande  (  V.  ce  nom  )  fut  forcé  de  se 
démettre.  Dès  -  lors  il  partagea  les 
soins  du  gouvernement  avec  le  ver- 
tueux abbé  Suger  [F.  ce  nom) ,  et  il 
mérita  l'estime  de  ce  grand  bomrae. 
Raoul  accompagna  Louis-le-Jeune  à 
Bordeaux ,  lors  de  son  mariage  avec 
Éléonore  de  Guienne.  Il  y  vit  la 
belle  Alix  ou  Adélaïde  (3),  sœur  ca- 
dette d'Éléonore,  et  ne  put  résister  à 
ses  charmes.  Ayant  fait  annuler,  sous 
le  prétexte  de  parenté,  son  union 
avec  la  sœur  (4^  du  comte  de  Blois , 
il  obtint  la  main  d'Adélaïde.  Thi- 
baut, ennemi  de  Raoul,  n'eut  pas  be- 
soin d'être  excité  par  sa  sœur  pour 
se  venger  d'un  affront  qui  lui  deve- 
nait personnel.  Sur  sa  demande,  le 
pape  fit  excommunier  Raoul  par  un 
de  ses  légats.  Louis-le-Jeune,  em- 
brassant Ja  cause  de  son  beau-frère  , 
ravagea  les  terres  de  Thibaut,  le  me- 
naçant de  le  dépouiller  de  ses  do- 
maines, s'il  ne  faisait  pas  lever  l'ex- 
communication. Thibaut  fut  ob!i;:é 


VER  29.  t 

de  se  soumettre  •  mais  ayant  renou- 
velé ses  plaintes  contre  Raoul,  le  roi 
rentra  dans  la  Champagne,  prit  Vi- 
try  d'assaut,  et  en  fit  égorger  les  ha- 
bitants. Ce  fut  pour  expier  cet  acte 
de  barbarie  que  Louis,  à  la  soUici- 
tationde  saint  Bernard,  prit  la  croix. 
Il  établit  Suger  régent  du  royaume  , 
pendant  son  absence  ,  et  laissa  le 
commandement  des  armées  ;ï  Raoul, 
sous  les  ordres  du  régent.  L'histoire 
ne  reproche  à  Raoul  d'autres  défauts 
que  sa  parcimonie;  mais  nous  n'a- 
vons pas  assez  de  détails  pour  sa- 
voir s'il  ne  faudrait  pas  au  con- 
traire regarder  comme  une  qua- 
lité ce  goût  pour  l'économie  dont 
on  lui  fait  un  crime.  Il  est  plus  dif- 
ficile d'excu>er  Raoul  d'avoir  dé- 
pouillé sa  sœur  du  comté  d'Amiens, 
qu'elle  avait  porté  en  dot  à  son  mari, 
et  cela  par  le  seul  motif  d'agrandir 
son  comté  de  Vermandois.  Sur  la  fm 
de  sa  vie,  Raoul  répara,  par  des  dons 
aux  abbayes  ,  le  scandale  de  son  di- 
vorce, et  mourut,  regretté  de  ses  vas- 
saux et  de  son  souverain,  le  i4  oc- 
tobre I  i5i,ou  .  suivant  quelques  au- 
teurs, dans  les  premiers  mois  de 
1 102  (5).  Il  fut  inhumé  dans  l'église 
de  Saint  -  Arnoul,  à  Crespy  dans  le 
Valois.  Il  avait  eu,  de  son  second 
mariage,  deux  filles  et  un  fils  \Q)  , 
nommé ,  comme  lui ,  Raoul .  et  qui  lui 
succéda.  Raoul  le  jeune  étant  mort, 
en  1 167,  sans  postérité,  le  Verman- 
dois revint  à  sa  sœur  Elisabeth  ou 
Isabelle,  mariée  à  Philippe  d'Alsa- 
ce ,  comte  de  Flandre  (  Voy.  VHist. 
généalogicj .  du  P.  Anselme,  i,  534% 
On  trouve  une  Fie  de  Raoul  le  T'a/Z- 


(3)  Celle  princesse  avait  nom  Pèlronille  :  mais 
elle  le  changea  coutre  celui  à' Alix  ou  dCAdétaiic. 

,^4"  D'Auvignv  dit  que  la  première  fenuue  de 
Kaoul  clail  tille  de  'l'iiibaut.  C'est  une  erreur. 
Velly  se  contente  de  dire  qu'elle  était  pareule  du 
comte  de  blois. 


f  ï^  D'AuvignT  recule  la  mort  de  Raoul  jusqu'en 
Il  55. 

(G)  V'ellv  ,  croyant  que  Knoul  était  mort  sans 
enfLiuts,  fait  d'Elîsabelli  sa  sa?ur.  Ou  voit  q»e 
la  roiiforiuite'  du  nom  lui  a  fait  confondre  le  prre 
et  le  llls.  Hisl.  de  Francs ,  II,  p.  (j(j,  tdit.   10-4". 


111  VEB 

lant  parmi  celles  des  Jloinmes  illus- 
tres de  France  ,  par  d'Auvigny  , 
VII,  56-q4.  W— s. 

VERMANDOIS  (Louis  DE  Bour- 
bon ,  comte  DE  ) ,  fils  naturel  de  Louis 
XIV  et  de  la  duchesse  de  La  Valliè- 
re,  naquit  en  1667,  et  fut  légitime 
eu  i6()y.  Il  fut  nommé  amiral  la  mê- 
me année.cn  remplacement  du  duc  de 
Beaufort  -,  et  lorsque  le  roi  termina 
la  disputepour  le  rang  entre  les  prin- 
ces cl  les  ducs  de  sa  cour ,  ce  fut  le 
comte  de  Vermandois  qui  obtint  le 
pas  ,  après  les  princes  du  sang. 
Au  retour  de  sa  première  campagne 
en  iG'S3,  et  après  quelques  e'carts 
de  jeunesse  qui  avaient  fortement  de'- 
plu  au  monarque  son  père,  et  affli- 
ge' M>"<=.  de  La  Vallière,  il  mourut  à 
iiourtrai ,  d'une  fièvre  maligne ,  le 
1 8  novembre  de  cette  anne'e  (  F.  La 
ValliÈre  ,  XLVII ,  38i  ).  II  fut  en- 
terre' dans  le  chœur  de  la  cathédrale 
d'Arras,  et  on  lui  fit  des  obsèques 
ïnagniOques.  ]^*alg^e'  les  éloges  que 
lui  donne  la  présidente  d'Onsem- 
bray  ,  entre  autres  dans  une  lettre 
insérée  parmi  celles  deBussy-Rabu- 
tin  (  tome  v  ,  p.  4^4  ),  et  malgré 
les  vifs  regrets  qu'excita  la  perte  pré- 
maturée de  ce  jeune  prince,  on  n'au- 
rait presque  rien  k  dire  de  lui, si  l'on 
n'avaitdébitésur  son  compte  une  anec- 
dote tout-à -fait  singulière.  Elle  est 
tirée  des  Mémoires  secrets  pour  ser- 
vir à  l'histoire  de  la  cour  de  Perse, 
(Amsterdam,  1745)  ,  libelle  oîi, 
sous  des  noms  supposes,  se  trouve 
l'histoire  du  masque  de  fer,  et  où 
l'auteur  a  voulu  faire  croire  que  ce 
personnage  mystérieux  n'était  autre 
que  le  comte  de  Vermandois,  réputé 
coupable  d'avoir  osé  donner  un  souf- 
flet au  dauphin ,  fils  de  Louis  XIV. 
La  réfutation  de  ce  rêve  historique 
ou  romanesque  se  trouve  dans  bien 
des  ouvrages.  Saiute-Foix  en  a  insé- 


VER 

ré  une  très-longue  dans  le  dernier 
volume  de  ses  Essais  historiques 
sur  Paris.  Il  y  publie  l'extrait  mor- 
tuaire de  Marcliialy ,  décédé  à  la 
Bastille  le  19  novembre  1708,  et 
inhumé  le  10  ,  dans  l'église  parois- 
siale de  Saint-Paul ,  à  Paris.  C'était 
le  nom  donné  au  prisonnier  qui  a 
été  l'objet  de  tant  de  recherches j 
nom  dont  on  a  voulu  faire  une  ana- 
gramme :  Hic  amiral (c'estV amiral). 
Cette  désignation  ,  arrangée  comme 
à  plaisir  ,  conviendrait  autant  au 
duc  de  Beaufort  qu'au  comtede  Ver- 
mandois j  mais  tout  le  monde  au- 
jourd'hui abandonne  la  double  con- 
jecture. Pouren  démontrer  l'absurdi- 
té quant  au  fils  de  M'"'^.  de  La  Val- 
lière  ,  il  sufîit  de  rapprocher  l'épo- 
que et  le  lieu  de  sa  mort ,  de  l'année 
où  le  masque  de  fer  termina  sa  dé- 
plorable carric're,  et  de  l'endroit  où 
il  reçut  la  sépulture.  L — p — e. 
VERME  (  Jacob)  ,  condottiere  il- 
lustre du  quinzième  siècle ,  était  de 
Vérone  _,  et  d'une  famille  Gibeline.  Il 
fit  ses  premières  armes  vers  l'an 
1876  ,  dans  la  compagnie  de  Saint- 
George  ,  sous  Albcric  de  Basbiano  ; 
il  entra  ensuite  au  service  de  Jcaa 
Galeaz  Visconti,  auquel  il  demeura 
attaché  toute  sa  vie.  Jean  Galeaz  le 
désigna  par  son  testament  pour  en- 
trer au  conseil  de  régence  de  ses  fils  • 
mais  Jacob  de  Verme,  demeuré  fidèle 
à  la  duchesse  -  mère  ,  ne  tira  point 
parti  de  l'autorité  qui  lui  était  confiée, 
pour  se  former  ,  comme  tous  ses 
collègues  y  une  petite  j^rincipauté. 
Après  la  mort  de  la  ducbesse  de  Mi- 
lan, il  passa  ,  en  i^oi ,  ausei'vice  des 
Vénitiens  :  il  commanda  leurs  ar- 
mées dans  la  guerre  contre  François  de 
Carrare  j  et  à  la  fin  de  cette  guerre  , 
il  sollicita  le  conseil  des  dix  de  faire 
périr,  avec  toute  sa  famille,  ce  prin- 
ce, qui  était  son  ennemi  personnel. — 


VER 

Taddcc  de  Verme,  fils  de  .Taeob  , 
suivit  la  même  carrière  que  son  père, 
et  acquit  aussi  quelque  reputaliou 
dans  les  armes.  S.   S — i. 

VERMEIL,  ne  à  Montpellier 
vers  la  fin  du  seizième  siècle ,  se 
livra  dès  sa  jeunesse  à  l'étude  des 
sciences  militaires ,  et  se  rendit  en 
Hollande,  où  il  s'instruisit  dans  la 
défense  des  places.  Revenu  dans  sa 
patrie  ,  il  trouva  occasion  de  signaler 
ses  talents  au  siège  de  Montpellier  , 
en  1622.11  se  rendit  ensuite  au  Caire 
et  à  Constautinople,  où  il  fît  le  com- 
merce; mais  n'ayant  pas  réussi ,  il 
passa  en  Ethiopie,  et  parvint  dans 
cette  contrée  à  s'introduire  dans  la 
maison  de  l'empereur  des  Abyssins  , 
au  moyen  de  la  connaissance  qu'il 
avait  des  pierreries.  Il  s'y  servit 
aussi  de  ses  connaissances  en  artil- 
lerie ,  et  obtint  le  commandement 
d'une  armée  de  dis.  mille  hommes, 
avec  laquelle  il  attaqua  et  mit  en 
fuite  celle  d'un  prince  voisin.  A  son 
retour  l'empereur,  son  maître,  le  fît 
son  principal  ministre  ,  et  le  ch.ef  de 
toutes  ses  armées  qui  étaient  compo- 
sées de  plusieurs  centaines  de  mille 
hommes.  Vermeil  mourut  en  Abys- 
sinie  vers  le  milieu  du  dix-septième 
siècle.  Z. 

VERMETREN  (  Augustin  ),  né 
en  iGSô  à  Dendermonde  ,  eu  Flan- 
dre ,  entra  fort  jeune,  sous  le  nom 
du  P.  Augustin  de  Saint-Gommer  , 
au  couvent  des  carmes  de  l'ancienne 
Observance,  dans  sa  ville  natale  ,  et 
mourut  prieur  d'un  couvent  de  son 
ordre,  à  Bruges  ,  le  6  janvier  i'jo3. 
11  est  auteur  du  Fabuliste  moral , 
en  vers  flamands  ,  avec  des  notes  , 
vol.  in-4".^  1710J»  publié  à  Gueldre, 
par  le  P.  Marc  de  Sainte-Elisabeth  , 
autrement  Hcrraans (d'Anvers) ,  cure 
de  Gueldre  ,  et  ancien  provincial  de 
l'ordre  des  carmes.  Ce   Recueil  se 


VER  223 

compose,  on  grande  partie,  de  fables 
imitées  d'Esope  ,  de  Phèdre  et  de 
La  Fontaine. Douze  Élégies  flamandes 
du  P.  Augustin  de  Saint-Gommer  , 
sur  les  souilrancesde  J.-C.  (  le  f^en- 
drcdi  sanglant  ) ,  n'ont  jamais  vu  k 
jour;  le  manuscrit  se  trouvait  encore 
dans  la  bibliothèque  des  carmes  d'An- 
vers, à  l'époque  de  leur  suppression, 
en  1795.  St — T. 

VÈRMEULEN   (  Couneille  )  , 
dessinateur  et  graveur  au  burin ,  né  à 
Anvers  en  i644i  vint  se  perfection- 
ner à  Paris,  qui  était  la  première  école 
de  gravure  de  l'Europe  :  il  ne  tarda 
pas  à  s'y  faire  distinguer  par  le  ta- 
lent avec  lequel  il  grava  le  portrait. 
Le  désir  de  revoir  son  pays  le  ramena 
dans  sa   ville  natale  ,  où  il  se  fixa 
sans  oublier  toutefois  la  France,  à  la- 
quelle il  devait  sa  célébrité  ,  et  où  il 
fit  d'assez  fréquents  voyages. Peu  d'ar- 
tistes ont  gravé  le  portrait  avec  au- 
tant de  perfection  ;  ou  estime  moins 
ses  sujets  historiques  :  il  manque  de 
certaine  correction   dans  le  dessin. 
Parmi  ses  nombreux  portraits,  on  cite: 
L  Marie-Louise  d' Orléans,  duchesse 
de  Montpensier ,   ovale  eu  hauteur, 
d'après  Rigaud.  IL  Le  maréchal  de 
Luxembourg ,  d'ajirèsle  même.  ÎÎI. 
Le  maréchal  de  Catinat ,  d'après 
Vivier.  IV.  Anne  de  Boulen,  fem- 
me de  Henri  VIII.    V.  Catherine 
Howard ,    autre   femme  de  Henri 
VIIT.  VI.  Olivier  Crom^yelL  VII. 
La  reine  d' Angleterre  Elisabeth  ; 
ces  quatre  portraits  d'après  V  ander- 
Werff.  VIII.  Jean  de  la  Qidnlinie, 
ordonnateur   des  jardins  du  Boi  , 
grande  pièce  d'après  Richard.   IX. 
Mezzetin  en  pied ,  d'après  Detroy 
fîls,  pendant  du  Crispin  d'Édelinek. 
Ses  pièces  historiques  sont  :  Marie 
de  Médicis  se  sauvant  de  la  ville 
de  Blois  ,  d'après  le  tableau  de  Ru- 
bcns  de  la  galerie  du  Luxembourg  ; 


2>4 


VER 


et  Érigove  amoureuse  de  Bacchus 
et  métamorphosée  en  raisin  ,  demi- 
figiire,  d'après  le  Guide.  Ce  graveur 
mourut  à  Anvers,  en  1702.    P-s. 

VERMEYN  (  Jean-Cobnelis  ) , 
peintre  liollaudais,  natif  de  Berwick, 
lut  ëlcvede  son  père,  nomme,  com- 
me lui ,  Cornelis.  Ses  progrès  furent 
si  grands  que  Cliarles-Quint  le  prit 
enafïèction,  et  voulut  toujours  l'a- 
voir avec  lui  dans  ses  voyages.  Il  le 
mena  même  à  Tunis,  où  les  talents 
de  Vermcyn  ,  comme  ingénieur  et 
comme  architecte  militaire  ,  furent 
d'un  grand  secours  pour  l'armée  de 
l'empereur.  Ces  occupations  ne  l'em- 
pOchaicntpas  de  cultiver  la  peinture  ; 
il  représenta  diverses  actions  de  cette 
guerre ,  notamment  le  siège  et  la 
vue  de  Tunis,  tableaux  estimes, 
que  Charles-Quint  fit  depuis  exécu- 
ter eu  tapisserie.  II  avait  orne  l'ab- 
bave  de  Saint- Vast,  en  Flandre,  de 
belles  compositions.  A  Bruxelles  ,  on 
voyait  de  lui ,  dans  l'église  de  Sainte- 
Gudule  ,  plusieurs  tableaux  remar- 
quables ,  qui  ont  été  détruits  ou 
transportés  en  d'autres  lieux.  Dans 
celle  de  Saint-Gorccks,il  avait  peint 
une  Nativité  et  un  Christ  ayant  une 
main  sur  la  poitrine ,  que  l'on  esti- 
mait beaucoup.  Ilavait  faitdisposcr, 
dans  cette  même  église  ,  sa  propre 
sépulture  ,  et  l'avait  ornée ,  dans  le 
liaut,d'uneimage  de  Dieu  le  Père.  Ce 
tombeau  fut  transporté  depuis  à  Pra- 
gue, dans  la  demeure  d'un  de  ses 
frères  ,  nommé  Jean,  habile  orfèvre 
et  savant  modeleur,  que  Charles- 
Quint  honora  également  de  sa  pro- 
tection. La  fille  de  Jean-Cornelis  con- 
servait plusieurs  ouvrages  de  son 
père,  notamment  un  portrait  où  il 
s'était  représenté  peignant.  Dans  le 
lointain ,  on  voyait  la  ville  de  Tunis, 
<^t  les  diffcrents  postes  de  l'armée  as- 
siégeante. Il  fut  marié  deux  fois  ,  et 


VER 

n'eut  qu'une  fille  dont  il  fit  le  por- 
trait en  habit  de  turque.  Son  plaisir 
était  de  la  voir  dans  ce  costume  ;  et 
chaque  année  ,  il  la  conduisait  ainsi 
vêtue  à  la  fête  principale  de  Bruxelles. 
Il  était  lié  d'une  étroite  amitié  avec 
Scoorel,  et  de  l'argent  que  leur  pro- 
curèrent  leurs    ouvrages    ils    ache- 
tèrent conjointement  des  biens  con- 
sidérables dans  la  Nort -Hollande. 
V^ermeyn   avait   adopté  un  costume 
particulier  :  sa  barbe  était  tellement 
longue  ,  que  lorsqu'il  la  détachait  il 
pouvait  marcher  dessus,  ce  qui  lui 
avait  fait  donner  le  sobriquet  de  Jean 
de  la  Barbe.  Cet  artiste  mourut  à  Bru- 
xelles, en  i55g.  Son  portrait,  grave' 
par  Thomas  Galle,  parmi  ceux  des  cé- 
lèbres peintres  flamands ,  fut  imprimé 
vers  l'année  1 600 ,  avec  des  vers  latins 
de  Dominique  Lampsonius.    P — s. 
VERMIGLI.  Foj.  Martyr. 
VERMINA  ,  fils  de  Syphax  ,  roi 
de  Numidie ,  signala  sa  valeur  contre 
Masinissa  ,  autic  roi  numide  ,  qu'il 
chassa  de  ses  états  héréditaires;  mais 
battu  à  son  tour  par  ce  prince  réuni 
aux  Romains  ,  il  fut  fait  prisonnier 
avec  son   père  Syphax,  et  conduit 
à  Albe  pour  servir   d'ornement  au 
triomphe  de  Scipion  l'Africain,  l'an 
iio3  avant  J.-C.  Cependant ,  soit  par 
la   protection   des  vainqueurs  ,   soit 
par  un  eiret  de  leur   politique  ,  ce 
prince  ,  après  la  mort  de  son  père , 
fut  remis  en  possession  de  la  partie 
de  la   Numidie  qui  n'avait  pas   été 
annexée   au  royaume^  de  Masinissa. 
Voilà  tout  ce  qu'on  sait  sur  le  fils  du 
malheureux  Syphax  ,  dont  la  pos- 
térité régnait  encore  dans  une  petite 
partie  de  l'Afrique,  à  l'époque  de  la 
destruction  de  Carthage  par  Scipion. 
B— p. 
VERMOND  (  L'abbé  de  )  ,  fils 
d'un  chirurgien  de  village ,  était  doc- 
teur de  Sorbonue  ^  et  bibliothécaire 


VER 

au  collège  Mazarin  ,  lorsque  ses 
liaisons  avec  le  fameux.  Lorae'nie  de 
Brienne  (  J^oj.  Lomenie  ,  XXIV, 
653  )  le  firent  sortir  de  l'obscnrité. 
Le  mariage  du  Dauphin  .  depuis 
Louis  XVI  ,  arec  l'archiducliesse 
Marie-Antoinetle  ,  ayant  e'te'  arrête' 
en  1769^  l'impëratrice  Marie-Thé- 
rèse désira  que  la  jeune  princesse  se 
perfectionnât  dans  la  langue  fran- 
çaise. Elle  lui  avait  donné  pour 
lecteurs  deux  comédiens  nommés 
Aufresne  et  Saiuville.  Ce  choix 
déplut  au  cabinet  de  Versailles  :  le 
marquis  de  Durfort,  alors  ambassa- 
deur à  Vienne,  fit  des  représenta- 
tions :  les  deux  comédiens  furent 
congédiés  ,  et  l'impératrice  deman- 
da qu'on  lui  envoyât  pour  les  rem- 
placer un  ecclésiastique  mstruit 
et  qui  fût  au  fait  des  usages  du 
grand  monde.  Le  duc  de  Choiseul  se 
trouvait  embarrassé  du  choix  :  dé- 
j  à  plusieurs  sujets  très  -  capables 
avaient  refusé  d'accepter  un  em- 
ploi aussi  délicat  ,  lorsque  Lome- 
nie de  Brienne  proposa  au  ministre 
l'abbé  de  Vermond,  comme  un  hom- 
me d'un  caractère  ferme  et  sûr.  Les 
relations  de  celui-ci  avec  le  parti 
philosophique  parurent  au  duc  de 
Choiseul  une  garantie  suffisante.  Ver- 
mond fut  envoyé  à  \  ienne,  avec  tous 
les  éloges  faits  pour  inspirer  une 
confiance  illimitée.  La  nature  lui 
avait  refusé  les  avantages  extérieurs 
qui  rendent  facile  le  rôle  de  courti- 
san :  son  regard  sombre  et  farou- 
che ,  ses  yeux  perçants  offraient 
l'empreinte  de  son  caractère;  mais 
comme  il  savait  joindre  la  finesse 
à  la  brusquerie  ,  il  tirait  parti  de 
cet  extérieur  repoussant  ,  pour  se 
donner  l'air  de  la  franchise  et  de 
l'originalité.  Il  parvint  d'autant  plus 
facilement  à  se  faire  aimer  de  la  jeu- 
ne princesse,  que  lui-même  conçut 
XLvm. 


VER 


225 


d'abord  pour  elle  mi  dévouement 
qui  allait  jusqu'à  l'adoration.  Vi- 
ve et  aimante  ,  Marie  -  Antoinette 
se  laissa  bientôt  dominer  par  un 
instituteur  qui ,  au  caractère  res- 
pectable d'ecclésiastique ,  joignait  la 
brusquerie  impérieuse  d'un  ami  dé- 
sintéressé. On  a  inème  accusé  l'abbé 
de  Vermond  de  n'avoir  cherché  qu'à, 
se  faire  aimer  de  son  élève  ,  et  par 
un  calcul  adroit ,  mais  coupable ,  de 
s'être  très-peu  occupé  de  perfection- 
ner son  instruction.  Marie-Antoinette 
parlait  la  langue  française  avec  beau- 
coup d'agrément;  mais  elle  l'écrivait 
moins  bien;  et,  quand  elle  fut  en 
France,  son  ancien  instituteur  lui 
était  surtout  nécessaire  pour  revoir 
les  lettres  qu'elle  envoyait  à  Vienne. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  dès  les  premiers 
moments ,  la  princesse  contracta  l'ha- 
bitude de  rendre  l'abbé  de  Vermond 
confident  et  arbitre  de  ses  pensées,  et 
jusqu'à  la  révolution ,  il  ne  cessa  d'a- 
voir sur  elle  le  racine  ascendant.  Pour 
lui  donner  du  créditsur  l'esprit  de  l'ar- 
chiduchesse ,  autant  que  pour  s'en 
faire  un  serviteur  dévoué,  l'impéra- 
tricelui  avait  permis  de  serendre  tous 
les  soirs  au  cercle  de  la  famille  impé- 
riale ;  et  voici  comment  il  obtint  cet 
honneur.  L'impératrice,  l'ayant  ren- 
contré chez  sa  fille,  lui  demanda  s'il 
avait  formé  quelques  liaisons  à  Vien- 
ne :  a  Aucune,  Madame,  répondit- 
»  il  ;  l'appartement  de  Madame  l'ar- 
»  chiduchesse ,  et  l'hôtel  de  l'ambas- 
))  sadeur  de  France,  sont  les  seuls 
»  lieux  que  doive  fréquenter  l'hom- 
»  me  honoré  du  soin  de  l'éducation 
»  de  la  princesse.  »  Un  mois  après  , 
Marie  -  Thérèse  ayant  reçu  la  mê- 
me réponse  à  la  même  question ,  lui 
donna  l'ordre  de  se  rendre  tous  les 
soirs  à  son  cercle.  L'abbé  de  Ver- 
mond, qui  n'avait  encore  approché 
d'aucun  prince ,  fut  enivré  de  cet 
i5 


226  VER 

honneurj  il  n'admirait  que  les  usa- 
ges delà  cour  de  Vienne.  Tel  etail 
l'homme  que  l'étoile  funeste  de  Ma- 
vie-Antoiuette  lui  avait  réserve'  pour 
guider  ses  premiers  pas  sur  un  théâ- 
tre aussi  dangereux  que  la  cour  de 
Versailles.  Dis  son  début,  l'abbé 
de  Vermond  fit  ccouduire  l'histo- 
riographe de  France  ÎMoreau  {Voy. 
MoREAtr,  XXX,  8i  ),  que  ses  ta- 
lents avaient  fait  choisir  pour  être 
bibliothécaire  de  la  Dauphine.  Exci- 
tée par  son  instituteur  ,  Marie-An- 
toinette tourna  en  dérision  la  com- 
tesse de  Noailles  ,  qui  lui  rappe- 
lait sans  cesse  les  règles  de  l'é- 
tiquette. La  Dauphine  témoignait 
beaucoup  de  tendresse  à  Mesdames, 
filles  de  Louis  XV.  Madame  Victoi- 
re, surtout ,  répondit  avec  empres- 
sement à  ces  avances  :  elle  ne  négli- 
geait rien  pour  l'attirer  dans  sa  so- 
ciété et  dans  celle  de  JMadamc  Adé- 
laïde, sa  sœur;  car  elle  sentait  com- 
bien leurs  avis  et  leur  expérience  pour- 
raient être  utiles  à  la  jeune  princesse  : 
elle  lui  donna  même  plusieurs  fêtes  ; 
mais  Vermond  ,  craignant  de  perdre 
son  influence,  s'opposa  bientôt  à  ces 
réunions.  On  le  vit  sans  cesse  pren- 
dre part  a  des  intrigues  ,  qui  eurent 
pour  résultat  de  donner  des  torts  ap- 
parents à  Marie-Automette  ,  et  d'in- 
'  disposer  contre  elUi  des  familles  puis- 
santes. Ainsi ,  il  lui  attira  l'inimitié, 
depuis  si  fatale  ,  de  toute  la  maison 
de  Rohan  ,  en  dépréciant  l'instruc- 
tion de  Madame  Clotilde,  l'aînée  des 
sœurs  de  Louis  XVI ,  qui  avait  pour 

Cfouvernante  la  comtesse  de  iMarsan. 
... 

Cette  dame  et  ses  arais  repondirent 
à  ces  critiques  par  des  réflexions  dé- 
favorables sur  l'éducation  que  l'im- 
pératrice Marie-Thérèse  avait  don- 
née à  ses  filles.  Dès  ce  moment,  se- 
lon l'expression  de  M""*^.  Campan  , 
il  s'établit  un  foyer  de  comme'rage 


VER 

contre  Marie- Antoinette ,  dans  la  so 
ciétédeM""*^.  de  Marsan  :  ses  moin- 
dres actions  y  étaient  mal  interpré- 
tées; et  le  prince  Louis  de  Rohan 
(  F.  ce  nom,  XXVIII,  436  ) ,  am- 
bassadeur à  \  ienne ,  s'y  rendit  l'é- 
cho de  ces  propos  injurieux.  Vers  la 
fin  du  règne  de  Louis  XV,  les  prin- 
ces, frères  du  Dauphin,  et  les  prin- 
cesses^ voulant  varier  les  plaisirs  de 
leur  société  ,  commencèrent  à  jouer 
la  comédie.  L'abbé  de  Vermond^  qui 
évitait  toujours  de  prendre  le  ton 
sévère  d'un  instituteur ,  ne  s'op- 
posa pas  d'abord  à  ce  nouveau  genre 
de  distraction.  11  laissait  la  Dauphine 
ne  s'occuper  que  de  musique  et  de 
lectures  frivoles.  Jamais  il  ne  lui  pré- 
senta un  livre  d'histoire.  A  l'avéne- 
meut  deLouisXVI,  il  ne  tint  pas  à  lui 
que  la  nouvelle  reine  ne  se  jetât  dans 
le  tourbillon  des  affaires  publiques.  Il 
engagea  cette  princesse  à  demander  le 
rappel  du  duc  dcGhoiseul;  mais  elle 
n'y  réussit  pas  :  le  roi  avait  puisé  , 
dans  les  papiers  du  Dauphin  son  pè- 
re ,  d'invincibles  préventions  contre 
cet  homme  d'état.  Louis  XVI ,  dont 
l'amc  droite  et  pure  devinait  comme 
parinstuict  les  intrigants  ,  ne  se  sen- 
tait pas  moins  d'éloignement  pour 
^  crmond  ,  qu'il  connaissait  pour 
une  créature  de  Choiseul,  et  pour 
un  partisan  des  encyclo])édistes.  Ja- 
mais ,  étant  Dauphin ,  ce  prince  ne 
lui  avait  adressé  une  parole  ,  cl 
très-souvent  il  ne  lui  avait  répondu 
que  par  un  haussement  d'épaulo*. 
Vermond ,  dont  le  secret  pour  con- 
server sa  position  à  la  cour  con- 
sistait à  -savoir  offrir  sa  retraite  à 
pi'opos,  voyant  que  Louis,  devenu 
roi,  ne  changeait  pas  de  procédé  à 
son  égard,  prit  le  parti  de  lui  écrire, 
pour  lui  m  il! lier  que,  tenant  unique- 
ment de  la  confiance  du  feu  roi  l'hon- 
neur d'être  admis  dans  l'intérieur  le 


VER 

plus  intime  chez  la  reine ,  il  ne  pou- 
vait continuer  de  rester  auprès  d'elle, 
sans  en  avoir  obtenu  le  consentement 
de  son  époux.  Louis  XVI  lui  renvoya 
sa  lettre  ,  après  y  avoir  écrit  ces 
mots  :  «  Je  consens  à  ce  que  l'ah- 
hé  de  Fermond  continue  ses  fonc- 
tions auprès  de  la  reine.  »  Dès- 
lors  ,  la  faveur  dont  il  jouissait  fut 
assurée.  Des  ministres  ,  des  pré- 
lats lui  faisaient  assidûment  la 
cour  :  il  les  recevait  dans  son 
bain ,  les  accueillant  avec  une  brus- 
querie à-Ia-fois  respectueuse  et  fami- 
lière. Il  eiitpu,dcs-lors,  aspirer  aux. 
plus  liauts  em]>lois  ;  mais  satisfait  de 
dominer  dans  l'intérieur  de  la  reine , 
assez  riche  en  biens  ecclésiastiques  , 
il  bornait  là  son  ambition.  Il  disait 
que  le  cardinal  Dubois  avait  cte'  un 
sot  5  et  qu'il  fallait  qu'un  homme  de 
sa  sorte  ,  pài'venu  au  crédit ,  fît  des 
cardinaux  et  refusât  cle  l'être.  Chez  la 
reine  ,  il  ne  souffrait  aucun  partage 
dans  la  confiance  de  cette  princesse. 
Elle  n'avait  pas  dédaigné  de  con- 
fier à  Campau  ,  secrétaire  de  son 
cabinet ,  le  regret  qu'elle  avait  de 
n'avoir  pu  faire  rappeler  le  duc  de 
Choiseul.  L'abbé  de  Vermond ,  qui , 
jusqu'alors,  avait  vécu  avec  ce  ser- 
viteur de  la  reine  dans  la  plus 
étroite  intimité,  le  menaça  de  tou- 
te sa  haine ,  s'il  continuait  à  proli- 
ter  de  la  bienveillance  de  sa  maîtres- 
se pour  s'initier  dans  les  seci-ets  de 
l'état.  «  Comme  instituteur  et  comme 
>^  ami,  lui  dit-il,  j'ai  dû  faire  à  la 
»  reine  les  représentations  les  plus 
»  sévères  sur  le  tort  cpi'elle  avait  eu 
»  de  vous  communiquer  les  détails 
»  qui  sont  à  votre  connaissance.  La 
»  reine  ne  doit  avoir  que  moi  pour 
»  confident  des  choses  qui  doivent 
»  être  ignorées.  »  L'abbé  de  Ve»'- 
mond  n'était  sans  doute  pas  blâma- 
ble d'empêcher  cette  jeune  souverai- 


VER  227 

ne  de  parler  d'affaires  d'état  à  un 
des  moindres  ofliciers  de  sa  maison; 
mais  il  y  avait  de  sa  part  plus 
que  de  l'inconvenance  à  annoncer 
qu'il  serait  initié  dans  les  secrets  les 
plus  intimes  de  la  reine.  Il  n'était 
pas  moins  jaloux  de  ses  fonctions 
de  lecteur  ,  bien  qu'il  ne  les  exerçât 
point  :  il  s'opposa  toujours  à  ce  que 
la  lectrice  en  titre  s'acquittât  des 
siennes  :  il  trouvait  bon  cependant 
que  les  femmes  de  chambre  de  la 
reine,  entre  autres  M'"'^.  Campan, 
fissent  la  lecture  à  cette  princesse. 
Dans  ses  entretiens  journaliers  avec 
Ma  rie- Antoinette  ,  il  encourageait 
l'éloigneraent  qu'elle  avait  pour  les 
gênes  de  l'étiquette  ,  il  ne  cessait 
de  lui  vanter  la  simplicité  de  Ma- 
rie-Thérèse ,  qui ,  sans  gardes  et 
sans  escorte,  allait  visiter  les  per- 
sonnages qu'elle  honorait  de  ses 
bonnes  grâces.  Entrait-il  chez  la  rei- 
ne au  moment  où  elle  se  disposait  à 
sortir  :  «  Pour  qui  donc,  lui  disait- 
»  il  d'un  ton  moqueur,  pour  qui  ce 
»  détachement  de  guerriers  que  j'ai 
»  trouvé  dans  la  cour?  Est-ce  quel- 
»  que  général  qui  sort  pour  inspec- 
»  ter  son  armée  ?  Tout  cet  étalage 
»  militaire  ne  convient  point  à  une 
»  jeune  reine  adorée  de  ses  sujets,  w 
Tout  ce  qui  était  autrichien  excitait 
l'engouement  de  cet  imprudent  con- 
seiller. Intimement  lié  avec  le  comte 
de  Mercy-d' Argent  eau,  ambassadeur 
de  l'empire  auprès  de  Louis  XVI;, 
Vermond  passait  pour  rendre  cer- 
tains services  à  la  cour  de  Vienne  : 
il  est  constant  du  moins  qu'il  a  quel- 
quefois déterminé  ia  reine  à  des  dé- 
marches dont  elle  n'appréciait  pas 
les  conséquences.  En  1775,  l'archi- 
duc Maximilien,  frère  de  cette  prin- 
cesse ,  vint  en  France ,  et  voulut 
avoir  le  pas  sur  les  princes  du  sang. 
La  reine  appuya  cette  prétention , 
i5.. 


iviB 


VER 


d'autant  plus  déplacée  que  l'arclii- 
duc  voyageait  incognito  ;  et  si  elle 
commit  cette  faute  ,  ce  fut  à  l'insti- 
gation de  l'abbé  de  Veruiond.  Le 
crédit  de  ce  dangereux  mentor  parut 
fléchir  un  instant  devant  l'influence 
naissante  de  la  comtesse  Jules  de  Po- 
lignac,quidevint  l'intime  amie  d'une 
reine  trop  portée  à  cherclier  sur  le 
trône  les  plaisirs  de  la  vie  privée.  Il 
prit  alors  le  parti  de  se  retirer  de  la 
cour,  a  On  lui  fit  l'honneur  de  croi- 
»  re ,  dit  M*"".  Campan ,  qu'il  s'était 
»  permis  des  représentations  sur 
»  l'emploi  trop  frivole  du  temps  de 
»  son  auguste  élcA'e ,  et  qu'il  avait  ju- 
»  gé  que  par  son  double  caractère 
»  d'ecclésiastique  et  d'instituteur  il 
»  était  désoi'mais  déplacé  à  la  cour  : 
»  on  se  trompait  :  son  mécontcnte- 
»  ment  portait  uniquement  sur  la  fa- 
»  veur  accordée  à  la  comtesse  Jules. 
»  Après  une  absence  d'une  quinzaine 
»  de  jours,  nous  le  vîmes  reparaître 
')  à  Versailles ,  et  reprendre  ses  fonc- 
»  tions  accoutumées.  »  La  reine  l'a- 
vait fait  inviter,  par  le  comte  de 
Mercy,  à  revenir  près  d'elle;  et  l'ab- 
bé n'y  avait  consenti  qu'à  deux  con- 
ditions ,  la  prejnière,  qu'il  ne  recevrait 
d'ordres  que  de  la  reine  en  personne; 
la  seconde,  qu'elle  lui  ferait  donner 
quatre-vingt  mille  livres  de  revenus 
en  biens  ecclésiastiques.  Il  avait  eu 
le  crédit  de  faire  nommer  accoucheur 
de  la  reine  Charles-Thomas  Ver- 
mond,  son  frère ^  homme  grossier 
dans  son  langage,  mais  praticien  ha- 
bile ,  et  qui ,  lors  de  la  naissance 
de  Madame  royale  ,  l'aînée  Aes  en- 
fants de  Louis  XVI,  sauva  la  vie 
de  Marie-Antoinette,  par  une  saignée 
faite  à  propos.  On  a  remarqué  que 
lorsque  le  chirurgien  Vermond  était 
au  château  ,  pour  son  service  ,  son 
frère  l'abbé ,  qui  affectait  avec  lui  le 
tonde  la  supériorité,  ne  l'appelait 


VER 

jamais  que  M.  l'accoucheur.  L'im- 
pératrice Marie-Thérèse  étant  morte 
en  1780,  Louis  XVI  envoya  l'ordre 
à  l'abbé  de  Vermond  d'annoncer  à  la 
reine  cette  triste  nouvelle.  Celui  -  ci 
s'étant  acquitté  de  cette  commission 
avec  la  prudence  convenable ,  le  roi 
lui  adressa  ces  mots  :  Je  vous  re- 
mercie,  Monsieur  l'abbé ,  du  servi- 
ce que  vous  venez  de  me  rendre. 
C'est  la  seule  fois,  pendant  l'espace 
de  dix-neuf  ans ,  que  ce  monarque  lui 
ait  adressé  la  parole.  Le  rôle  de  l'ab- 
bé de  Vermond  ,  pour  le  malheur  de 
la  France,  ne  devait  pas  se  borner  à 
ces  intrigues  d'intérieur.  Il  aspirait 
à  voir  la  reine  s'immiscer  dans  le 
gouvernement  ;  mais  tant  que  le  com- 
te de  Maurepas  vécut ,  tous  ses  ef- 
forts furent  inutiles.  Néanmoins  le 
maréchal  de  Castries,  ministre  de 
la  marine,,  sans  s'écarter  des  formes 
de  déférence  qu'il  était  obligé  de  gar- 
der envers  le  mentor  du  roi ,  mar- 
quait publiquement  sa  soumission 
aux  volontés  de  la  reine.  Les  autres 
ministres ,  sans  manquer  aux  égards 
dus  à  l'épouse  du  souverain  ,  ne 
croyaient  pas  cependant  devoir  lui 
subordonner  leurs  décisions.  Quand 
elle  desirait  quelque  grâce  pour  uu 
de  ses  protégés  ,  elle  en  pariait  aux 
ministres, qui  proposaient  au  roi,  ou 
donnaient  un  refus  respectueux.  Cet- 
te dépendance  de  la  reine  envers  les 
ministres  parut  inconvenante  à  l'ab- 
bé de  Vermond.  Selon  lui,  les  désirs 
de  leur  souveraine  devaient  être  des 
ordres  pour  eux.  Cette  doctrine  était 
trop  séduisante  et  trop  commode 
pour  ne  pas  être  du  goût  d'une  jeune 
reine  habituée,  aux  adorations  des 
courtisans  :  elle  l'adopta  sans  peine; 
et  si  pendant  les  premières  années  du 
règne  de  son  époux  elle  eut  peu  d'in- 
fluence sur  le  choix  des  ministres,  du 
moins  le  roi  eut-il  l'atlenîioa  de  vor.- 


VER" 

loir  qu'aucun  n'arrivàtmalgré elle  au 
pouv^oir.  Ainsi ,  quand  il  fut  question 
d'élever  le  comte  de  Saint- Germain 
au  département  de  la  guerre ,  l'abbé 
de  Vermond  fut  chargé  de  rédiger  , 
pour  être  mis  sous  les  yeux  de  la  rei- 
ne ,  un  mémoire  en  faveur  de  cet 
homme  d'état,  contre  lequel  elle  avait 
d'assez  justes  préventions.  A  la  mort 
du  comte  de  Maurepas ,  Vermond  se 
fit  l'instrument  d'une  cabale  secrète , 
qui ,  sans  que  le  roi  s'en  doutât ,  vi- 
sait à  mettre  l'action  du  gouverne- 
ment entre  les  mains  de  Marie- Antoi- 
nette. Personne  n'était  plus  propre 
que  lui  à  un  pareil  rôle.  Doué  d'une 
ténacité  à  toute  épreuve ,  il  suivit , 
pendant  vingt  années ,  le  même  plan, 
sans  jamais  s'en  écarter.  Peu  suscep- 
tible de  bienveillance  ,  avare  de  son 
crédit,  il  disait  du  mal  de  tout  le 
monde-  etl'habitudeoùil  étaitde  tout 
improuver  donnait  un  grand  poids 
à  son  suffrage  (i).  Ce  fut  ainsi  qu'il 
contribua  à  faire  arriver  Loménie  de 
Brienne  au  contrôle  -  général  et  à  la 
présidence  du  conseil.  Il  avait  fait 
précédemment ,  en  faveur  de  son  an- 
cien protecteur,  plusieurs  tentatives 
inutiles  ,  dans  lesquelles  il  s'était  bien 
gardé  de  persister  j  car  personne  n'u- 
sa plus  finement  de  son  crédit.  Les 
notables  étaient  très  -  mécontents 
du  contrôleur  -  général  Galonné  , 
qui  les  avait  fait  convoquer  pour 
approuver  ses  opérations  de  linan- 
ce.  La  reine  confia  à  Vermond  l'em- 
barras du  roi.  «  Madame ,  lui  dit- 
»  il ,  il  est  un  homme  que  tout  le 
»  monde  désire  j   vous   ne   pouvez 


VER 


229 


»  mieux  faire  que  d'engager  le  roi  à 
»  le  remettre  à  la  tête  des  finances  : 
)'  c'est  M.  Necker.  »  La  reine  lui  fit , 
contre  ce  dernier ,  des  objections  que 
l'abbé  avait  prévues  ;  et  comme  de 
guerre  lasse,  il  proposa  de  nouveau 
Loménie  de  Brienne.  L'élévation  de 
ce  ministre  fut  un  triomphe  pour 
l'instituteur  de  la  reine.  Il  y  avait 
travaillé  dix-sejit  ansj  et  lui  -  même 
disait  que  ce  n'était  pas  nn  terme 
trop  long  pour  réussir  dans  une  cour. 
Dès-lors  il  devint  un  personnage  im- 
portant à  Versailles.  Il  obtint  de  la 
reine  que  sou  appartement  au  grand- 
commun  fût  agrandi ,  afin  de  donner 
d'une  manière  plus  décente  ses  au- 
diences à  des  ministres ,  à  des  cardi- 
naux et  à  des  évoques.  Marie- Antoi- 
nette lui  montra  encore  plus  d'égards 
que  par  le  passé.  Le  mot  de  Mon- 
sieur précéda  désormais  celui  d'ab- 
bé, quand  elle  lui  adressait  la  paro- 
le ;  et  l'influence  de  sa  faveur  fut  telle, 
que  dès  cet  instant,  par  un  mouve- 
ment spontané,  les  personnes  qui  com- 
posaient l'intérieur  de  la  reine  se  \e- 
vaient  au  passage  de  7l/oH5/e!/rZ'atZ>É?'. 
Il  était  réservé  au  ministre  que  Ver- 
mond avait  en  quelque  sorte  créé  de 
hàterle  moment  fatal  de  notre  l'évolu- 
tion. La  reine,  entraînée  par  son  insti- 
tuteur à  se  mêler  des  affaires  de  l'état, 
protégea  de  son  influence  les  mesures 
violentes  que  Brienne  appelait  au  se- 
cours de  son  incapacité.  L'exil  du 
parlement  à  Troyes  souleva  l'opi- 
nion jniblique.  Les  ennemis  de  Ma- 
rie-Antoinette firent  circuler  d'infâ- 
mes caricatures ,  dans  lesquelles  fi- 
gurait l'abbé  de  Vermond  (2).  L'o- 


(1)  Dans  la  lettre  du  marquis  de  Caraccioli  à 
d'Alembert,  écrite  !o  ^" .  mai  1781  ,  sur  le  pre- 
mier minislère  de  Necker  ,  on  \oiL  que  l'abbé  de 
Vermond  soutiut  peiidaiU  un  temps  ,  par  ses  insi- 
nuations auprès  de  la  reine  ,  le  crédit  de  Necker  , 
dans  la  vue  de  coiilrc-miner  l'influence  de  M™^. 
dp  Polignac  qui  s'clail  prcnoucce  contre  le  minis- 
tre genevois. 


(9J  L'une  d'elles  faisait  allusion  au  cbcval  de 
bois,  par  le  moyen  duquel  les  Grecs  prirentTroie  : 
ou  voyait  un  clieval  monté  par  la  reiue;  des  oreil- 
les du  quadrupède  sortaient  l'édit  du  timbre  et 
celui  de  l'impôt  territorial.  La  ducliesse  de  Poli- 
gnac teuL'it  l'élrier  de  la  ijaucbe  ;  l'abbé  de  Ver- 
mond ,   l'cirier  de  la  droite  :  l«  garde-des-sceaux 


aSo 


VER 


pinion  publique  s'était  déclarée  con- 
tre cette  infortunée  princesse ,  surtout 
depuis  la  fameuse  affaire  du  collier  , 
clans  laquelle  Vermond  lui  avait 
conseille,  ainsi  que  Breteuil  ,  mi- 
nistre de  la  maison  du  roi ,  de  don- 
ner de  l'éclat  à  sa  juste  vengeance 
contre  le  cardinal  de  Rohan.  Selon  les 
Mémoires  de  l'abbé  Georgel,  le  baron 
de  Breteuil  fut,  dans  celte  occasion, 
aveuglé  par  sa  haine  contre  le  cardi- 
nal j  etVcrmond,  qui  ne  semblait , 
dit -il,  respirer  que  pour  Vhonneur 
de  sasoui'eraine  ,  se  laissa  seulement 
emporter  par  Timpétuosité  de  son 
zèle.  Mme.  Campan  ne  !e  traite  pas, 
à  bicaucoup  près ,  avec  autant  d'in- 
dulgence. Elle  ne  sépare  pas  le 
baron  de  Breteuil  et  l'abbé  de  Ver- 
mond  dans  ses  reproches.  Selon 
elle,  ces  deux  conseillers  ,  égale- 
ment animés  d'une  haine  implaca- 
ble contre  le  cardinal  ,  ne  virent 
dans  cette  affaire  que  ler.r  enne- 
mi perdu  à  la  cour  et  déshonoré  aux 
yeux  de  l'Europe  entière.  Ils  ne  ju- 
gèrent pas  avec  quel  ménagement 
il  fallait  étouffer  une  affaire  d'escro- 
querie, dans  laquellele  nom  de  Marie- 
Antoinette  se  trouvait  si  gravement 
compromis  par  d'obscurs  intrigants, 
dont  le  cardinal  de  Rohan  était  la 
dupe.  On  sait  quelle  fut  l'issue  du 
procès.  Vermond  eut  l'adresse  de 
rejeter  tous  les  torts  sur  le  baron  de 
Breteuil.  Lors  de  la  convocation  des 
Etats-généraux  ,  la  rage  des  révo- 
lutionnaires se  dirigea  avec  vio- 
lence contre  Marie  -  Antoinette  , 
et  contre  ceux  qui  possédaient  sa 
confiance.  M'^'^.  de  Polignac  ajaut 
émigré,  tous  les  dangers  attachés  à 


Lamoignon  tenait  la  bride.  On  voyait  sortir  âe 
la  liuuche  du  chev:il  Lcinienie  de  Urieuuc,  elle 
baron  de  liretpuil ,  du  côte'  oppose.  An  bas  on  lisait 
cette  inscription  :  liassiirez-vous,  ce  ne.  sorti  pas 
des  Grec. 


VER 

la  faveur  de  cette  princesse  retom- 
bèrent sur  Vermond.  Il  devint  l'ob- 
jet de  l'exécration  publique;  et  ceux 
qui ,  sans  être  les  ennemis  de  la  reine, 
lui  supposaient  des  torts  ,  les  attri- 
buaient principalement  à  la  fatale 
direction  que  lui  avait  donnée  son 
ancien  instituteur.  Dans  les  pam- 
phlets ,  dans  les  journaux  ,  on  le  si- 
gnalait comme  un  autre  Narcisse:  on 
appelait  sur  lui  la  justice  du  peuple, 
qui  aurait  voulu  le  voir  à  côté  de 
Launay  et  de  Flesselles.  La  reine , 
alarmée  des  dangers  qui  menaçaient 
le  plus  ancien  de  ses  serviteurs  ,  lui 
conseilla  de  se  rendre  à  Valcnciennes, 
où  commandait  le  prince  d'Ester- 
hazy  :  il  partit  de  Versailles  le  1 7  juil- 
let 1789;  mais  il  ne  put  rester  long- 
temps en  sûreté  à  Valcnciennes  ,  et 
partit  pourCoblentz.  Après  y  avoir  ré- 
sidé quelques  mois,  il  se  rendit  à  Vien- 
ne ,  où  il  mourut.  Les  Mémoires  du 
temps  s'accordent  à  le  peindre  com- 
me un  intrigant  dangei'eux ,  particu- 
lièi'ement  ceux  du  baron  de  Bezenval 
et  de  M™e.  Campan.  Cette  dernière 
cherche  à  s'excuser  d'avoir  traité  si 
sévèrement  un  homme  avec  leqr.el 
elle  vécut  ,  pendant  vingt  ans  ,  dans 
des  rapports  d'intimité  :  «  mais  , 
»  observe-t-elle  ,  comment  pourrais- 
»  je  voir  sous  des  couleurs  i'avora- 
»  blés  un  homme  qui ,  après  s'être 
»  arrogé  le  rôle  important  de  con- 
»  seiller  unique  et  de  confident  de  la 
»  reine  ,  la  dirigea  avec  si  peu  de 
»  ]irudence ,  et  nous  donna  la  don- 
»  leur  de  voir  cette  princesse  mêler 
»  à  des  qualités  qui  faisaient  le  char- 
»  me  de  tout  ce  qui  l'environnait 
»  des  torts  qui  nuisaient  à  sa  gloire 
»  et  à  son  bonheur?  »  Proyart,  dans 
ses  divers  écrits  sur  Louis  XVI  ,  et 
l'abbé  de  Baruel  dans  ses  Mémoires 
sur  le  Jacobinisme ,  accusent  Ver- 
mond d'incrédulité,  et  cependant,  si 


VER 

fou  en  croit  M"'®.  Cam|)au ,  il  teuait 
plus  qu'aiicim  antre  ecclésiastique  à 
la  hiérarchie  du  cierge.  L'abbé 
Gcorgel  est  le  seul  qui  le  traite  avec 
quelques  ménagements  :  mais  il 
faut  considérer  qu'il  devait  de  la  re- 
coLnaissance  à  Vcrmond ,  qui  lui 
avait  toujours  montré  de  l'amitié. 
Et  même  dans  l'aflaire  du  collier,  ce 
fut  le  confident  de  la  reine  qui  sauva 
de  la  Bastille  le  confident  du  cardi- 
nal ,  par  son  intercession  auprès  de 
cette  princesse.  D — r — r. 

VERNAGE  (  Michel -Louis  ), 
médecin  ,  que  Voltaire  a  célébré  en 
beaux  vers  dans  un  de  ses  discours 
philosophiques,  naquit  à  Paris,  en 
i6g'^.  Avant  lui  ,  son  père  s'était 
fait  un  nom  dans  la  médecine.  Le 
jeune  Vernagc ,  ayant  terminé  d'ex- 
cellentes études  ,  ([ui  ne  s'étaient  pas 
bornées  à  l'art  de  guérir ,  fut  reçu 
docteur-régent  de  la  faculté  à  l'âge 
de  vingt-un  ans,  se  lança  dans  la 
pratique,  fut  très-cousidéré  de  ses 
confrères  et  recherché  dans  le  grand 
monde.  Helvétius  ,  père  de  l'auteur 
du  livre  de  V Esprit  ^  ne  coutvijjua 
pas  peu  à  lui  procurer  irae  nom- 
breuse et  brillante  clientelle  ;  mais  il 
ne  dut  iDienlôt  plus  qu'à  son  projne 
mérite  la  confiance  qu'il  inspirait.  11 
était  encore  fort  jeune  médecin ,  lors- 
qu'il fut  ajipelé  auprès  du  roi  de 
Pologne  Stanislas  ,  malade  à  Cham- 
bord,  et  il  eut  le  bonheur  de  l'arra- 
cher à  la  mort.  En  1702  ,  il  prit  part 
au  traitement  de  la  petite  vérole  du 
dauphin  ,  fils  de  Louis  XV,  qui  était 
l'objet  des  vives  alarmes  de  toute  la 
France  j  et  à  la  suite  d'un  heureux 
succès  ,  il  reçut ,  ainsi  que  ses  con- 
frères ,  des  lettres  de  noblesse.  On 
l'avait  accusé  d'être  trop  partisan  de 
la  saignée,  dans  im  temps  oîi ,  comme 
aujourd'hui ,  on  attribuait  presque 
toutes  les  maladies  à  l'inflammation 


VER  23 1 

du  saugj  mais  il  ne  tarda  pas  à  évi- 
ter l'excès  d'employer  trop  ou  trop 
peu  ce  moyen  curatif.  Vernage  n'a 
publié  qu'un  seul  écrit ,  et  encore 
sans  y  attacher  son  nom  :  Obser- 
valions  sur  la  Petite  Vérole  na- 
turelle et  artificielle ,  Paris ,  1 77^  , 
in-i'J!.  Il  était  favorable  à  l'ino- 
culation ;  mais  il  voulait  que  l'on 
n'en  fît  usage  qu'avec  des  précau- 
tions qui  furent  trop  souvent  négli- 
gées à  la  première  époque  de  l'intro- 
duction de  cette  méthode.  Doué  d'une 
ame  sensible  et  délicate ,  il  ne  lais- 
sait échapper  aucune  occasion  d'èlre 
utile  à  ses  jeunes  confrères  et  aux 
gens  de  lettres  peu  favorisés  de  la 
fortune.  Le  dérangement  de  sa  santé 
lui  ayant  rendu  nécessaire  l'habita- 
tion de  "la  campagne  pendant  plu- 
sieurs étés  ,  il  eut  occasion  de  con- 
naître ,  en  Touraine  ,  chez  le  mar- 
quis d'Argenson  ,  qui  était  alors 
exilé  dans  sa  terre  des  Ormes ,  une 
jeune  personne  de  qualité,  Mi'<=.  de 
Quinemont,  dont  la  main  avait  déjà 
été  recherchée  par  le  président  Hé- 
iiault,  autre  habitué  de  la  maison 
de  l'ancien  ministre.  Vernage  eut  la 
préférence  :  la  disproportion  d'âge 
n'effraya  point  la  jeune  compagne 
qu'il  avait  choisie,  et  qui  joignait 
aux  agréments  de  la  figure  ,  à  des 
grâces  extérieures,  toutes  naturelles, 
un  caractère  aimable  et  enjoué.  Le 
mariage  eut  lieu  en  1761.  Ver- 
nage reprit  son  état,  dont  il  avait 
suspendu  l'exercice  d'autant  plus 
facilement  qu'il  était  loin  d'eu 
avoir  besoin  pour  sa  fortune.  L  u- 
nion  qu'il  aA^ait  contractée  fut  pour 
lui  une  source  de  bonheur  pendant 
les  dernières  années  de  sa  vie ,  dont 
le  terme  arriva  le  11  avril  1773.  Il 
laissa  à  sa  femme  trente  mille  livres 
de  rente  ,  et  à  l'aîné  de  ses  beaux- 
frères  une  jolie  terre  dans  le  Vendo- 


a3i 


VER 


mois ,  sans  toutefois  abandonner  ses 
he'iiticrs  naturels.  Il  était  devenu  , 
depuis  1770,  l'ancien  de  sa  com])a- 
gnie  •  il  remplissait  de  plus  les 
fonctions  de  censeur  royal.  Le  doc- 
teur Maloet  a  publie,  en  1776  ,  un 
Eloge  historique  de  M.  de  Veniage, 
où  il  parle  beaucoup  des  vertus  de 
M""^,  de  Vernage  ,  qui  est  morte  à 
Banay,  près  Vendôme,  en  janvier 
1816.  L — P — E. 

VEKNAZZA.  (  Joseph  ,  baron  de 
FreneyJ,  antiquaire  et  philologue, 
naquit  à  Albe  (  J.lha  Pompela  ),  le 
10  janvier  1 745  ,  d'Antoine  Vernaz- 
za ,  me'decin  distingue.  Le  jeune  Ver- 
nazza  fit^  avec  un  succès  remarqua- 
ble, ses  études  littéraires  à  Turin; 
et,  à  l'âge  de  vingt  ans,  il  fut  gra- 
dué docteur  en  di^oit  à  l'université  de 
cette  ville.  Employé  ensuite  dans  di- 
vers ministères ,  il  sut  faire  appré- 
cier son  mérite  par  les  hommes  d'é- 
tat qui  les  remplissaient  et  surtout 
par  le  célèbre  Bogino  (  J^.  ce  nom) , 
dont  il  s'acquit  l'estime.  En  1773, 
lors  de  la  suppression  des  Jésuites , 
on  lui  confia  la  garde  des  archives 
de  cette  compagnie.  Ce  fut  lui  qui  ré- 
digea l'édit  du  recensement  ordonné 
par  Victor-Amédée  III,  pour  procé- 
der à  une  égale  répartition  de  l'im- 
pôt. \j  Adélaïde  illustrata  de  Jean- 
Thomas  Terraneo ,  îe  premier  histo- 
rien qui  ait  répandu  quelque  lumière 
sur  la  généalogie  des  princes  de  la 
maison  de  Savoie  ,  fut  l'ouvrage  qui 
détermina  Yernazza  à  diriger  ses  re- 
cherches sur  les  antiquités  de  son 
pays.  Il  écrivit  à  ce  sujet  plusieurs 
mémoires  remarquables  par  la  saga- 
cité de  l'auteur  dans  l'examen  de  ces 
monuments.  11  ne  borna  pas  là  son 
activité  :  les  antiquités  romaines  de- 
vinrent bientôt  l'objet  de  ses  tra- 
vaux. La  découverte  d'un  monu- 
ment sépulcral ,  trouvé  dans  lelit  du 


VER 

Tanaro ,  près  de  la  ville  d'Aine,  cl 
portant  les  noms  de  Germanus  et  de 
Marcella^  lui  lit  composer  un  opus- 
cule latin  sur  ces  personnages  et  sur 
le  temps  où  ils  vivaient.  Ce  savant 
mémoire  offre  le  caractère  qui  distin- 
gue toutes  ses  productions,  savoir, 
une  brièveté  qui  laisse  au  lecteur  le 
soin  de  suppléer  les  détails  accessoi- 
res ou  secondaires ,  et  s'attache  aux 
points  principaux.  Le  laconisme  de 
Vernazza  avait  son  principe  dans  les 
vues  qui  le  dirigeaient  :  son  dessein 
était  de  ne  produire  que  ce  qui  lui 
appartenait  en  propre  ;  et  il  s'abste- 
nait de  ce  qui  avait  été  traité  avant 
lui.  Dans  cet  esprit ,  il  recherchait 
avec  soin  les  sources  historiques  en- 
core intactes  ;  et  il  était,  par  exem- 
ple, tellement  versé  dans  la  généalo- 
gie des  familles  dont  il  s'était  ins- 
truit ,  qu'il  y  signalait  toujours  quel- 
que chose  d'inconnu.   Il  en  donna 
des  exemples  dans  plusieurs    Vies 
qu'il  écrivit  ,   telles  que  celles   de 
George  Beuvenuti,  de  Pietrino  Belli , 
de  Macrino  ,  de  Joflredi ,  etc. ,  mais 
surtout  dans  ses  recherches  sur  les 
peintres  anciens.  On  lui  doit ,  sur  ce 
dernier  point,  la  connaissance  des 
véritables  origines  de  la   peinture  à 
l'huile  en  Piémont,   sous  Amé  V. 
Les  commencements  de  l'art  typo- 
graphicfue  furent  aussi  l'objet  de  re- 
cherches spéciales  et  analogues  à  ses 
goûts.  On  a  observé  que  la  connais- 
sance des  premiers  livres  imprimés 
était  propre  à  fournir  des  lumières 
utiles  à  l'histoire  littéraire  et  à  la 
critique ,  soit  parce  que  le  temps  a 
détruit  des  exemplaires  d'après  les- 
quels certains  livres  ont  été  décrits  , 
soit  à   cause  des  intercalations  que 
des  modernes  se  sont  permises  dans 
quelques   ouvrages    anciens  ,   qu'ils 
ont  ainsi  dénaturés.  Les  op'isculcs  de 
Vernazza  sur  la    typographie    ont 


VER 

laissé  loin  derrière  lui^  dans  la  par- 
tie qu'il  a  traitée,  les  travaux  de 
Meerman  et  de  IMaittaire.  Mais  c'est 
dans  la  connaissance  approfondie  des 
anciennes  inscriptions,  et  dans  l'art 
d'en  imiter  le  génie  et  le  style,  qu'il 
s'est  particulièrement  distingué.  On 
connaît  les  dilllcultés  attacliées  à  ce 
genre  :  outre  la  forme  antique  que 
l'on  recherche  avec  tant  de  soin  dans 
les  inscriptions  ,  on  veut  y  trouver , 
comme  l'a  ohscrvé  judicieusement 
l'auteur  de  son  Eloge  ,  un  style 
qui  tienne  à-la-fois^e  la  poésie 
et  de  la  prose  ,  et  qui  ,  dans  sa 
gravité  simple ,  ou  dans  son  énergi- 
que brièveté,  ofiic  plus  de  justesse 
et  de  naturel  que  de  linesse  et  de  re- 
cherche. Les  inscriptions  de  Vei'naz- 
za  sont  éminemment  remarquables 
par  la  beauté  ;,  la  force  et  la  proprié- 
té des  termes.  Toutefois  il  serait  à 
désirer  que,  dans  les  inscriptions 
sépulcrales  oîi  l'on  déplore  la  per- 
te de  quelque  personne  chérie ,  il 
eût  donné  à  ses  expressions  cette 
teinte  de  douceur  qui  leur  man- 
que souvent ,  et  qui  parle  au  cœur  en 
même  temps  qu'à  l'esprit.  Mais  l'une 
des  principales  dilllcultés  du  genre 
est  dans  les  choses  pour  lesquelles  il 
existe  peu  de  modèles  j  or  ,  Yernazza 
réussissait  à  rendre  heureusement  en 
latin  des  objets  et  des  circonstances 
que  les  Latins  avaient  rarement  ex- 
primés. 11  savait  surtout  dépemdre 
avec  fidélité  ce  qui  tient  aux  mœurs 
et  aux  divers  caractères j  et  c'est  en 
quoi  la  lecture  réfléchie  de  Cicéron 
et  de  Pline  l'Ancien  lui  avait  beau- 
coup servi.  Quoique  la  plupart  des 
inscriptions  de  Veniazza  nous  soient 
connues  ,  leur  grand  nombre  ne  nous 
permet  pas  d'en  faire  l'énumération. 
Pendant  plus  de  trente  années  il  s'est 
attaché  à  consacrer  ainsi  tous  les  évé- 
nements un  peu  remarquables  de  son 


VER 


'ii5 


pays ,  et  la  mémoire  de  tous  ses  com- 
patriotes distingués.  Il  trouvait  dans 
ce  travail  un  adoucissement  aux  pei- 
nes d'une  vie  laborieuse  et  souvent 
troublée  par  les  événements.  Ne  pos- 
sédant qu'une  fortune  médiocre,  il 
avait  encore  augmenté  sa  gêne  par 
ses  acquisitions  de  livres  rares  et  de 
monuments  relatifs  à  ses  études.  Sa 
position  devint  surtout  pénible,  lors- 
que le  Piémont  tomba  au  pouvoir 
des  Français.  Ayant  fait  alors  un 
voyage  à  Rome  et  à  Naples ,  il  ne 
put,  à  son  retour  ,  éviter  la  persécu- 
tion. Déclaré  suspect,  il  fut  mis  en 
surveillance  et  sous  la  garde  d'un 
soldat.  Mais  ,  par  les  soins  généreux 
de  quelques  amis ,  rendu  enfin  à  la 
liberté,  il  fut  préposé,  sous  l'empire, 
à  la  bibliothèque  publique  de  Turin, 
avec  la  charge  d'enseigner  l'histoire 
et  les  lettres.  11  remplit  avec  soin  les 
fonctions  de  bibliothécaire,  et  ren- 
dit de  grands  services  à  des  savants 
étrangers,  par  d'exactes  descriptions 
de  manuscrits  qu'il  leur  procura.  On 
n'en  citera  ici  qu'un  exemple.  Le  fa- 
meux manuscrit  de  V Imitation  de 
Jésus-Christ ,  d'Arone,  sans  date, 
mais  sous  le  nom  d'un  abbé  Jean 
Gessen  ou  Gersen ,  se  trouvait  alors 
à  la  bibliothèque  de  Turin.  Non-seu- 
lement il  concourut  à  la  description 
qu'en  donna  M.  le  comte  Napione  ; 
mais,  d'après  la  lecture  des  Consi- 
dérations sur  l'auteur  de  l'Imita- 
tion (  en  faveur  de  J.  Gerson  ),  par 
M.  Gence,  il  fit  calquer  et  graver 
six  pages  de  ce  manuscrit,  et  envoya 
les  planches  àxxfac  simile  à  celui- 
ci,  pour  en  joindre  le  Spécimen  à 
l'édition  latine  (i)  deV Imitation,  et 


(i)  Celle  édilion  avec  des  iinli's  critiqiirs  sur  li- 
texte  a  paru  cliez  Treultel  et  Wùrtv. ,  oîi  se  trouve 
aussi  la  IrKtlartion  française  de  M.  Geiicc. — M.  de 
Grc'goi-y  vient  de  publier  un  meinoire  daus  lequel 
il  reproduit  le  personnage  de  «ierscu  ,  eu  pcrscvc- 
rani  a  lui  altribuer  le  livre  de  ^/)^((^l^'o/;. 


234  VER 

mettre  ainsi  les  bibliographes  à  por- 
tée de  juger  définitivement  de  l'anti- 
quité du  manuscrit  d'Arone.  Dans 
son  enseignement,  Vernazza,  plein 
de  zèle  pour  la  science ,  mais  d'un 
caractère  seVèrc ,  réussit  néanmoins 
à  se  concilier  l'alTection  de  ses  e'iè- 
ves.  Remplace',  ajirès  la  restauration, 
dans  son  emploi  de  bibliotliëcaire  ,  il 
fut  rappelé'  à  l'enseignement  par  le 
ministre  de  l^intericur  Balbe,  pro- 
tecteur éclaire'  des  arts  et  des  scien- 
ces. A  ernazza  se  livra  dès-lors  avec 
une  ardeur  nouvelle  à  ses  travaux 
che'ris,  et  publia  des  e'crits  nom- 
breux ,  parmi  lesquels  on  distingue 
son  mémoire  concernant  une  lettre 
militaire  de  l'empereur  Adrien,  écri- 
te sur  une  table  d'airain  ,  découverte 
peu  auparavant  dans  l'île  de  Sardai- 
gne.  La  dernière  communication  qu'il 
iit  à  l'académie  des  sciences  de  Tu- 
rin est  une  dissertation  sur  Laure 
et  sur  Ardenli ,  peintre  du  duc  de  Sa- 
voie Éraanucl- Philibert ,  et  sur  l'in- 
terprétation de  l'ingénieux  symbole 
par  lequel  Le  Tasse  a  célébré  l'union 
de  ces  deux  personnages.  On  croit 
(p'.e  cette  dissertation  était  un  frag- 
ment d'un  travail  étendu  sur  le  rè- 
gne de  Cliarles-Kmaniiel  I'' .  Le  sur- 
lendemain de  sa  lecture,  Vernazza 
se  mit  au  Ht,  affligé  d'une  dysurie 
qui  fît  de  rapides  progrès ,  et  à  la- 
quelle il  succomba  le  i3  mai  1822, 
après  avoir  mis  ordre  avec  calme  à 
ses  affaires ,  et  s'être  muni  des  se- 
cours de  la  religion,  qu'il  n'avait 
cessé  de  pratiquer  dans  le  cours  de  sa 
vie.  Il  avait  été  nommé  en  l'ySo  se- 
crétaire d'état  jîour  les  affaires  inté- 
rieures. En  l 'jQo ,  il  fît,  par  ordre  du 
roi ,  un  voyage  en  Savoie,  pour  re- 
chercher dans  les  diverses  archives 
les  documents  relatifs  à  l'origine  et  à 
l'histoire  de  la  maison  de  Savoie, 
dont  il  avait  e'té  chargé.  En  i8i6,  il 


VER 

fut  créé  conseiller  du  roi  et  du  prince 
de  Cariguan.  Des  qualités  extérieures, 
une  démarche  noble,  des  traits  à  la 
romaine  ,  un  regard  sévère,  tempéré 
par  sa  gravité  douce,  le  distinguaient, 
et  il  portait  de  même  dans  la  culture 
des  lettres,  qu'il  aimait  par  goût, 
beaucoup  de  décence  et  de  dignité.  Il 
n'avait  cessé,  malgré  les  événements, 
d'être  en  correspondance  épistolaii-e 
avec  les  hommes  les  plus  instruits  de 
son  temps ,  et  il  fut  lié  d'amitié  avec 
tout  ce  que  Turin  renfermait  de  per- 
sonnages rcnfarquables  par  leur  mé- 
rite et  leurs  connaissances.  A  l'âge  de 
35  ans ,  il  avait  épousé  M^l*^  Hya- 
cinthe Faussoni ,  de  condition  noble, 
dont,  entre  autres  enfants,  il  a  laissé 
un  fils.  Les  décurions  de  la  capitale 
du  Piémont  ont  fait  ériger  un  monu- 
ment  ta  sa  mémoire  ;  et  son  buste  a 
clé  gravé  par  un  de  ses  élèves ,  M. 
Louis  Costa  (  Voy.  ce  nom  dans 
la    Siographie    des    hommes   vi- 
vants). Il  serait  difficile  de  donner 
une  liste  complète  des  productions  de 
Vernazza  ,  fruits  de  soixante  ans  de 
travaux  soutenus  :  nous  en  avons  in- 
diqué les  principales  dans  le  cours 
de  cet  article^  il  suffira  de  désigner 
ceux  de  ses  autres  écrits  qui  offrent 
le  plus  d'intérêt;  tels  sont  les  sui- 
vants :   —  Éloges  du  comte   Tana 
et  du  P.  Pacciaudi.  —  Dissertation 
sur  les  monnaies  de  Suze.  —  Divers 
Mémoires  communiqués  à  Tirabos- 
chi  et  au  P.  Afto.  —  Les  articles 
historiques  du  Piémont ,  insérés  dans 
le  Dictionnaire  géographique  impri- 
mé à  Turin.  —  Catalogue  des  ma- 
nuscrits en  parchemin  des  archives 
des  Dominicains  de  Sainte-Marie- 
Madeleine,  à   Albe.  —  Recherches 
sur  le  'culte  de  saint  Théobald.  — 
Vie  du  comte   Gamerano.  —  Essai 
sur  les  anciens  peintres  à  l'huile,  du 
Piémont.  —  De  Tanliquité  du  siège 


VER 

èpiscopal  d'Albe,   avec  les  vies  de 
quelques-uns   des    e'vêques  de   cette 
ville,  au  nombre  desquelles  est  celle 
du  poète  Vida.  —  Éloge  du  comte 
d'Orbassau.  —  Éléments  de  ge'ogra- 
pLie  à  l'usage  du  Piémont.  — Disser- 
tation sur  la   patrie  de  Christophe 
Colomb.  —  Vie  de  Jean-Baptiste  de 
Savoie.  —  Histoire  des  ordres  re'unis 
des  SS .  Maurice  et  Lazare.  —  Mémoi- 
re sur  l'ordre  de  l'Annonciade,   et 
explication  de  la  devise  F.  E.  R.  T. 
—  Enfin  ,   un  très  -  grand   nombre 
d'inscriptions  latines.  Au  moment  où 
ce  laborieux  écrivain  a   été  enlevé 
aux  lettres,  il  s'occupait  de  la  publi- 
cation d'une  Histoire  typogra])hique 
du  Piémont.  Le   savant  professeur 
Boucheron  a  ki,  en  langue  latine,  à 
l'académie  des   sciences  de  Turin , 
dans  la  séance  du  aS  juin  iSaa,  un 
Éloge  historique  de  Vernazza  ,  où 
nous  avons  puisé  une  grande  partie 
des  détails  dans  lesquels  nous  som- 
mes entrés.     G — ce  et  R — m — r». 

VERNE  (  Léger-Marie-Philip- 
pe Tranchant  ,  comte  de  La  ) ,  tra- 
ducteur et  auteur  de  plusieurs  ou- 
vrages de  tactique,  naquit  en  1769 
au  château  de  Borrey,  bailliage  de 
Vesoul  ,  d'une  famille  ancienne  (i) , 
et  qui  a  fourni  un  grand  nombre 
d'ofliciers  distingués.  Sonaïeul,  après 
la  conquête  de  la  province,  étant 
entré  au  service  de  la  France,  fut 
nommé  gouverneur  du  château  de 
Clerval,  et  ensuite  ambassadeur  en 
Prusse  ;  son  bisaïeul ,  chevalier  de 
l'ordre  d'Alcantara  ,  commandait 
un  régiment,  en  i636,  et  contribua 
beaucoup  à  faire  lever  le  siège  de 
Dole  {F.  J.  BoYviN  ).  Philippe  ,  qui 
fait  le  sujet  de  cet  article,  fut  en- 
voyé de  bonne  heure  à  l'université 


(1)  On  trouve  la  généalogie  de  celte  famille  dans 
VHisUnic  des  iiref  de  Salint  ,  par  l'abbé  Guil- 
laume ,  I .  Ç)o. 


VER 


235 


de  Gottingue,  où  il  se  disposa  par 
l'étude  de  l'histoire  et  du  droit  pu- 
blic à  suivre  la   carrière  de  la  di- 
plomatie ;  mais ,  en  même  temps ,  il 
y  puisa  le  goût  des  idées  philosophi- 
ques qui  dominaient  alors  dans  les 
écoles  de  l'Allemagne.   A  quatorze 
ans  ,  il  entra   sous -lieutenant  dans 
un   régiment    de    dragons  ,    et    se 
concilia  l'estime  de  ses  chefs  par  la 
douceur  de  son  caractère  et  son  atta- 
chement à  ses  devoirs.  Dans  l'âge 
de  la  dissipation  ,  il  était  sans  cesse 
occupé  de  lectures  sérieuses  ,  et  ne 
fréquentait  que  des  personnes  avec 
lesquelles  il  pût  s'entretenir  de  ma- 
tières politiques.  Comme  tant  d'au- 
tres bons  esprits  ,  il  ne  vit  dans  la 
révolution  qu'un  moyen  d'opérer  les 
réformes  jugées  indispensables  ;  mais 
effrayé  bientôt  de  la  marche  des  évé- 
nements ,  il  donna  sa  démission  de 
capitaine,  et  rejoignit  l'armée  des 
princes ,  qui  s'organisait  à  Coblentz. 
Il  fit  la  campagne  de  1792  ,  en  Alle- 
magne, et,  après  le  licenciement  des 
émigrés  ,  rejoignit  sa  famille  à  Fri- 
bourg,  où  il  se  maria.  Dans  le  cou- 
rant de  l'année  1 795  ,  il  partit  avec 
son  épouse  pour  Saint-Pétersbourg; 
et  il  y  fut  placé  dans  les  bureaux  du 
prince  Alexandre  Kourakin ,   alors 
ministre  et  vice-chancelier  de  l'em- 
pire {J^oj.  ce  nom  ,  Biographie  des 
hommes  vivants,  m,    SaS  ).   Le 
calme  paraissant  se  rétablir  en  Fran- 
ce ,  il  se  hâta  d'y  revenir  ;   mais  à 
son  arrivée ,  il  apprit  la  nouvelle  de 
la  journée  du  18  fructidor  (  4  sept. 
1 797  ) ,  dont  le  premier  résultat  fut 
l'expulsion  des   émigrés  ;  et ,  man- 
quant d'argent ,  sans  ressources  pour 
s'en  procurer  ,  il  se  vit  obligé  de  ga- 
gner ,   aA'ec  sa  femme   malade  ,  la 
Suisse,  seul  asile  qui  lui  restât  dans 
le  monde.  Le  directoire  ayant  exigé 
des  Cantons  l'éloigneraeut  des  émi- 


a36 


VER 


grés,  La  Yeriie  se  rendit  à  Vienne, 
et  y  demeura  jusqu'en  1800  ,  époque 
où  il  lui  fut  eui'in  permis  de  rentrer 
en  France.  La  révolution  l'avait  en- 
tièrement dépouillé  de  sa  fortune, 
ainsi  que  sa  femme;  mais  il  lui  res- 
tait, avec  du  courage,  le  goût  et  l'ha- 
bitude du  travail.  Par  le  crédit  de 
quelques  amis ,  il  obtint  successive- 
ment divers  emplois  dans  l'adminis- 
tration de  la  guerre;  et  ses  talents 
l'ayant  fait  connaître  d'une  manière 
avantageuse,  il  fut,  en  1808,  atta- 
cbé  comme  traducteur  pour  la  lan- 
gue allemande  (2)  au  dépôt  général 
de  la  guerre.  Il  remplissait  encore 
ce  modeste  emploi ,  quand  il  mourut, 
le  26  avril  1 8 1 5  ,  à  quarante-sis. 
ans ,  et  au  moment  de  recueillir  le 
fruit  de  tous  ses  sacrifices.  La  Vei'- 
ne  possédait  des  connaissances  très- 
variées  ;  il  a  pu  quelquefois  se  lais- 
ser entraîner  par  l'esprit  de  systè- 
me; mais  tous  ceux  qui  l'ont  connu 
rendent  justice  à  la  droiture  de  sou 
cœur  et  à  la  pureté  de  ses  intentions. 
Doué  d'une  grande  indépendance  de 
caractère,  i!  n'a  jamais  fait  plier 
son  opinion  à  des  vues  d'intérêt.  Em- 
ployé par  le  gouveincment  de  Buo- 
ïiaparle,  et  écrivant  sur  des  matières 
militaires  ,  il  ne  l'a  nommé  dans  au- 
cun de  ses  ouvrages.  On  a  de  La 
Verne  :  I.  Théorie  de  la.  pure  reli- 
gion morale ,  considérée  dans  ses 
rapports  avec  le  pur  christianisme, 
trad.  de  l'allemand  de  Kant  (  F.  ce 
nom  );  augmentée  d'éclaircissements 
et  de  considérations  générales  sur  la 
pbilosopuie  critique  :  insérée  dans  le 
Conservateur  de  jNL  François  de 
Neufcbàteau  ,  II,  92-226.  L'auteur 
s'est  caché  sous  le  nom  de  Phil. 
Jïuîdiger.    IL   Le    Calomniateur , 


7.1  Et  non   pas  comme  ndacleur  d'histoire   ou 
liistoriographc. 


VER 

drame  en  quatre  actes  et  en  prose, 
imité  de  l'allemand  de  Kotzebue  ,  Pa- 
ris, 1 802,  in-B^.  Cette  pièce  fut  jouée 
à  Paris  sur  le  tbéàtre  du  INIarais , 
mais  elle  n'eut  que  quelques  repré- 
sentations, m. Esprit  du  système  de 
guerre  moderne ,  par  un  officier 
prussien  (  V.  Bulow  ,  vi ,  260  )  , 
Paris  ,  i8o3  ,  in-80.  de  256  pag. 
avec  5  pi.  Cet  ouvrage  fut  utile ,  en 
ce  qu'il  força  les  jeunes  militaires  à 
s'occuper  davantage  de  théorie.  La 
traduction  de  La  Verne ,  à  l'époque 
où  elle  parut,  était  un  véritable  ser- 
vice. Elle  est  devenue  rare.  IV. 
Voyage  d'un  observateur  de  la  na- 
ture et  de  l'homme ,  dans  les  monta- 
gnes du  canton  de  Fribourg  ,  et  dans 
diverses  parties  du  pays  de  \aud, 
en  1793,  Paris  ,  1804,  in-8°.  de  287 
pag.  L'auteur  s'y  représente  (  p.  5  ) 
ardent ,  curieux  ,  recherchant  avide- 
ment les  occasions  de  réfléchir  et 
même  celles  de  rêver.  La  description 
des  pays  qu'il  parcourt  tient  peu  de 
place  dans  sou  voyage;  mais  on  y 
trouve  des  digressions  sur  le  déluge, 
sur  la  musique,  sur  les  femmes  au- 
teurs, sur  la  philosophie  de  Kant, 
sur  la  vaccine ,  sur  l'amour  ,  sur 
Voltaire  et  Rousseau ,  sur  l'esclava- 
ge des  nègres ,  et  enfin  sur  la  politi- 
que anglaise.  V.  Lettre  à  Ch.  Vil- 
lers ,  relativement  à  son  Essai  sur 
l'esprit  et  l'influence  de  la  réfor- 
mation  de  Luther,    Paris,    1804, 

in-  8'.     (   Fof.      VlLLERS^    VI. 

h'Art  militaire  chez  les  nations  les 
plus  célèbres  de  V antiquité  et  des 
temps  modernes ,  analysé  et  com- 
paré,  ou  Recherches  de  la  vraie 
théorie  de  la  guerre  ,  et  des  principes 
essentiels  de  l'institution  militaire, 
Paris ,  1 8o5 ,  in-80.  de  494  pag-  C'est 
le  résultat  des  réflexions  de  La  Ver- 
ne, sur  l'ouvrage  de  Bulow,  dont 
on  vient  de  parler.  Son  plan  est  va:>- 


VER 

te ,  mais  il  ne  l'a  point  rempli.  Les 
questions  les  plus  importantes,  telles 
que  la  composition  de  l'armëe,  son 
organisation ,  elc.^  sont  à  peine  effleu- 
rées. L'idée  qui  domine  l'auteur ,  c'est 
la  nécessité  de  former  des  militaires 
une  classe  entièrement  séparée  du 
reste  de  la  société.  En  somme,  l'ou- 
vrage n'offre  que  peu  de  vues  utiles, 
mais  il  est  intéressant  pour  l'histoire 
de  l'art.  VU.  Traité  de  la  grande 
tactique  prussienne ,  ses  défauts  et 
soninsu£Iisance,et  proposition  d'une 
méthode  meilleure  et  plus  siue  ,  par 
C.-F.  de  Lindenau ,  ci-devant  aide- 
dc-camp  du  roi  de  Prusse  Frédé- 
ric II,  trad.  de  l'allemand,  Paris, 
1808,  in-80.  de  322  pag.  avec  Sa 
pi.  Cette  édition  est  annoncée  comme 
la  seconde  ;  on  n'a  pas  pu  découvrir 
la  première.  On  ne  trouve  pas  dans 
cet  ouvrage  la  méthode  meilleure  et 
plus  sûre,  annoncée  sur  le  frontispi- 
ce; mais  tel  qu'il  est,  on  peut  le  con- 
sulter utilement.  \I1I.  Ânnibal fu- 
gitif ,'\h\à. ,  1808,  2  vol.  in-12, 
roman.  IX.  Histoire  du  feld-ma- 
réchal  Souwarow ,  liée  à  celle  de 
son  temps ,  avec  des  observations 
sur  les  principaux,  événements  poli- 
tiques et  militaires  auxquels  la  Rus- 
sie a  pris  part  pendant  le  dix- 
huitième  siècle^  ibid. ,  1809  ,  in- 
8°.  Cet  ouvrage  n'est,  il  faut  en  con- 
venir, qu'un  panégyrique  outré  du 
général  russe.  La  partie  militaire  est 
incomplète  et  inexacte;  mais  on  y 
trouve ,  sur  le  caractère  et  les  habi- 
tudes de  Souwarow ,  des  anecdotes 
intéressantes  et  peu  connues.  X. 
Esquisse  d'une  nouvelle  encjclopé- 
die  ou  introduction  à  laphilosophie 
du  XI x'^.  siècle ,  ouvrage  dédié  aux 
penseurs;  pi'emier  aperçu  (  i8i3), 
in  -  8".  XL  Au  mois  de  février 
181 5  ,  La  Verne  publia  le  prospec- 
tus d'une  Histoire  générale  de  l'art 


VER  a37 

militaire  en  Europe ,  depuis  l'intro- 
duction des  armes  à  feu ,  en  trois 
volumes.  La  première  partie  finis- 
sant au  traité  de  Westphalie  était 
sous  presse ,  mais  la  mort  de  l'au- 
teur en  arrêta  l'impression,  et  elle 
n'a  point  été  reprise.  On  a  trouvé 
dans  ses  papiers  une  Introduction  à 
l'histoire  de  Gustave-Adolphe ,  et 
le  Plan  d'une  vie  dufeld-maréchal 
Romanzow.  La  Verne  a  relouché  la 
traduction  ,  par  Bourgoin  (  Foy.  ce 
nom  ),  de  la  Vie  du  comte  de  Mu- 
nich, par  Gérard  Ant.  de  Halem , 
Paris ,  1 808 ,  in-80.  On  a  quelquefois 
attribué  à  La  Verne  la  Fie  du  prin- 
ce Potemkin  et  la  Grotte  de  West- 
hurf  ;  mais  le  premier  de  ces  ouvra- 
ges est  de  Mme.  ^g  Cérenville  {Foy. 
Ce'ri-nville  au  Supplément  )  ,  et  le 
second  est  de  Mli<^.  sa  fille  ,  actuel- 
lement existante.  Barbier  ,  dans  son 
Dictionnaire  des  anonymes  ,  n». 
7  1 16  ,  avait  présenté  le  nom  de  Cé- 
remnlle  comme  un  pseudonyme  de 
La  Verne;  mais  il  s'est  rectifié  au 
n».  19034,  oii  il  reconnaît  M"^'^^  (jg 
Cérenville  pour  auteur  de  la  Fie  du 
prince  Potemkin ,  et  n'accorde  que 
la  révision  à  La  Verne.      ^N — s. 

VERNEREY  (Jean),  en  latin 
Ferneretus ,  littérateur,  sur  lequel 
on  n'a  que  peu  de  x-enseignements , 
était  né  vers  i54oà  Passonfonlaine, 
bailliage  de  Pontarlier  (r.  Il  avait 
cinq  frères,  qui  tous  fréquentaient  , 
en  même  temps  que  lui,  les  écoles 
pidîliques.  Après  avoir  fait  ses  études 
à  Dole ,  il  vint  à  Paris ,  qu'il  nomme 
Universœ  sapientiœ  imperium  prœ- 
stantissimum  ,  et  s'y  perfectionna 
dans  l'éloquence  et  la  philosophie. 
Il  se  rendit  ensuite  en  Italie  ,  et  pen- 
dant sept  ans  il  fréquenta  les  cours 


(i)  C'est  pour  cette  raison  que,  suivant  l'usage 
<les  savants  de  son  temps ,  il  prend  le  titre defon- 
latiianus. 


238 


VER 


des  plus  célèbres  professeurs  de  Bo- 
logue ,  de  Pavie  et  de  Padoue.  Dans 
le  temps  qu'il  était  k  Pavie  ,  il  arj^ti- 
menta  contre  Micli.  Polet ,  profes- 
seur au  gymnase  Émiliea ,  et  l'em- 
barrassa SI  bien  qu'il  le  réduisit  au 
silence.   Polet ,  honteux  d'être  vain- 
cu par  un  jeune  homme,  encore  assis 
sur  les  bancs  de  l'école ,  se  permit 
contre  Vernerey  des  propos  outra- 
geants ;  mais  celui-ci,  dont  le  carac- 
tère n'était  rien  moins  qu'endurant , 
l'accabla  d'injures  dans  un  pamphlet 
qu'il  ne  manqua  ])as  de  distribuer 
avec  profusion.  Vernerey  était  encore 
à  Padoue  ,  en  i  S-j  i  ;  mais  il  annon- 
çait le  désir  de  revenir  dans  sa  pro- 
vince ,  et  de  s'y  consacrer  à  l'ensei- 
gnement des  lettres.  Ou  peut  conjec- 
turer qu'il  accomplit  cette   résolu- 
tion,  au  plus  tard  ,  en  i5-5;  mais 
on  ignore  les  autres  particularités  de 
sa  vie ,  et  il  est  probable  qu'il  mourut 
peu  après  son  retour ,  avant  l'âge  de 
quarante^  ans.  On  a  de  lui  :  I.  ^iii- 
madi'ersiones  in   Mich.   Poletum , 
Pavie,  1 565  ,  in-4*'.  de  i3  pag.  IL 
Compendiosa  instilutio  in  iiniversam 
Dialecticam  ex  dristotcle  ,  Rivio  , 
aliisque auctorihus  recentioribiis  col- 
lectam  ,  ibid. ,  1 565,  même  format. 
Cet  ouvrage  et  le  précédent  ont  été 
réimprimés   à  Lyon,  iD-jS,  in-S**. 
II  l.  Dispulatio  adversùs  Marium 
Nizolium  ,   Lyon  ,    lO-^S  ,    in-8°. 
Cette  édition  n'est  peut-être  pas  la 
première  ,    puisque    la   dédicace  à 
Marc  de  Rye  est  datée  de  Padoue , 
sept.  iS^ï.  C'est  une  critique  trcs- 
violente   de  l'ouvrage   de    Nizzoli: 
De  veris  principiis  et  verd  ratione 
philosophandf  (  F^.  Nizzoli  ,  XXXI, 
3o4;.  W— s. 

VERNES  (  Jacob  ) ,  pasteur  de 
GencA^e,  était  né  dans  cette  ville 
en  i-jsS.  Après  avoir  terminé  ses 
ctudes  ,  il  fut  admis  au  ministère 


VER 

évangélique  ;  mais  se  trouvant  sans 
emploi,  il  résolut  de  consacrer  ses 
loisirs  à  la  culture  des  lettres.  Lié  , 
depuis  plusieurs  années,  avec  Rous- 
seau ,  il  le  consulta  sur  l'idée  qu'il 
avait  conçue  de  publier  un  Recueil 
périodique  :  «Ce  projet,  lui  répondit 
»  J.-J.,  ne  me  ritpas  autant  qu'à  vous  : 
»  j'ai  du  regret  de  voir  des  hommes 
»  faits  pour  élever  des  monuments 
5)  se  contenter  de  porter  des  maté- 
»  riaus  ,  et  d'architectes  se  faire  ma- 
»  nœuvres  (i).  »   Verncs  n'en  per- 
sista pas  moins  dans  le  dessein  de  de- 
venir journaliste  ;  et  Rousseau  finit 
par  s'engager  à  lui  fournir  des  articles; 
mais  il  s'excusa  ensuite  de  ne  pas  lui 
en  envoyer  ,  sur  son  métier  de  co- 
piste, qui  ne  lui  laissait  pas  le  temps 
d'écrire  (a).  U Emile  ayant  été  con- 
damné par  les  pasteurs  de  Genève  , 
Vernes,  se  rangeant  pai'mi  les  ad- 
versaires de  son  ancien  ami ,  attaqua 
dans  plusieurs    écrits  ses  opinions 
religieuses  :  mais  ce  fiU  à  tort   que 
Rousseau   le  soupçonna  d'être  l'au- 
teur d'une  brochure  intitulée  :  Senti- 
menls  des  citoyens  [2>).  Vernes  s'em- 
pressa de  désavouer  ce  libelle ,   que 
Rousseau  ,   dans    son    indignation  , 
avait  fait  réimprimer  sous  le  nom  de 
celui  qu'il  en  croyait  l'auteur  ,  en  y 
ajoutant  des  notes.  Il  écrivit  là-dessus 
à  Rousseau  ;  et  celui-ci  offrit  de  con- 
tribuer, autant  qu'il  lui  serait  possible, 
à  répandre  son  désaveu  (4);  mais  il 
ne  voulut  pas  entendre  parler  de  ré- 
conciliation  avec  un  homme   qu'il 
avait  ]n^éfaux  (5).  En  eflet,  Ver- 
nes, qui  venait  de  se  montrer  si  sus- 
ceptible à  l'égard  du  christianisme 
de  Rousseau  ,  restait  lié  de  la  ma- 

(i}  Lcllrc  de  Kousseati,  du  ■>.  a\'rll  i-55. 
(9.)  Lettre  dit  fi  juillet ,  môme  anuec. 

(3)  Ce  libelle  était  de  Voltaire. 

(4)  Lettre,  da  7  février  17G5  ,  à  Moultoii. 
'5)  Lettre  à  Monltou  ,  5.4  iiiillet  17G2. 


VER 

nière  la  plus  intime  avec  Voltaire^. 
Dans  sa  Correspondance ,  Voltaire 
ne  le  nomme  que  mon  cher  prêtre , 
mon  prêtre  aimable  ,  etc.  ;  et  Ver- 
nes  composait  alors,  contre  les  philo- 
sophes, un  ouvrage,  dont  nous  par- 
lerons plus  bas ,  qui  l'a  fait  placer, 
par  Sabatier,  parmileurs  adversaires 
les  plus  vi^^oui'eux  et  les  plus  adroits 
(  F.  les  Trois  Siècles  de  la  Littéra- 
ture). Vernes  eut  l'occasion  de  voir, 
à  Ferney ,  Palissot ,  qui  lui  confia  le 
manuscrit  de  ses   Mémoires  litté- 
raires ,  eu  le  priant  d'en  surveiller 
l'impression.  Depuis  dix  ans,  il  était 
pasteur  îi  Seligny  ;  raais  ses  talents 
le  firent  rappeler^à  Genève  en  1771. 
Il  partagea  le  sort  de  Senebier  (  V. 
ce  nom  )  et  des  autres  citoyens  qui 
furent  exiles,  eu    1782,  pour  leur 
opposition  à  tout  changement  dans  la 
constitution   genevoise.    En    1789, 
ayant  obtenu  l'autorisation  de  rentrer 
dans  S'a  patrie  ,  il  y   mourut  le  ai 
octobre  1791,  regrette  de  ses  con- 
frères et  de  ses  nombreux  amis.  Ou- 
tre des  éditions,  corrigées  et  amélio- 
rées, du  Catéchisme  à' OiXcY\A\à,  on 
a  de  lui  :  I.  Choix  littéraire  ,  Ge- 
nève ,   1755-60,  24   vol.  in -8°.  ; 
c'est  moins  un  journal  qu'un  recueil 
de  pièces  en  prose  et  en  vers.  II. 
Lettres    sur   le  Cliristianisme   de 
J.-J.  Rousseau  ,ihid. ,  17G3,  in-S". 
—  Dialogues  sur  le  Christianisme 
de  J.-J.  Rousseau,  ibid. ,   1763, 
in-8".  —  Réponses  à  quelques  Let- 
tres de  J.-J.  Rousseau ,  ibid. ,  1768, 
in-S".  Ces  trois  brochures  sont  rela- 
tives à  la  Profession  de  foi  du  Vi- 
caire savoyard.  Rousseau,  presse'  d'y 
répondre  ,  refusa  très-durement  (6). 
III.  Examen    de   cette  question  : 
Convient-il  de  diminuer  le  nombre 
des  sermons  qui  se  font  à  Genève  ? 

ifi)  Lettre  à  Moultoii ,  i«r.  août  ':C3. 


VER  i3g 

ibid. ,  1775,  in-80.  IV.  Confidence 
philosophique, i ']']  \ ,  m-8'^.;  4>\  cdit.^ 
Genève  ,  1788,  2  vol.  in-8".  ,  trad. 
en  allemand  et  en  anglais.  Dans  cet 
ouvrage  ,   dit  Palissot,  îa  nouvelle 
philosophie  est  écrasée  sous  le  poids 
de  ses  propres  maximes  mises  en  ac- 
tion, etrapportées  avec  la  plus  scrupu- 
leuse fidélité.  V.  Des  Sermons,  Lau- ^ 
sanne,  1792,  2  voLin-B». ,  précédés 
de  la  vie  de  l'auteur  (  par  son  fils  ). 
Vernes  a  laissé  manuscrit  un  Traité 
sur  l^ éloquence  de  la  chaire,  que  Se- 
nebier regardait  comme  un  ouvrage 
très -utile  aux  prédicateurs    (  Voy. 
Hist.  littér.  de  Genève,  111,57  ). 
On  sait    qu'il  s'était  occupé,  avec 
Roustan  {f.  ce  nom),  de  V Histoire 
de  Genève  :  «  Je  souhaite  ,   leur 
écrivait  J.-J.  ,  que  vous  fassiez  un 
ouvrage    assez  vrai,   assez  beau  et 
assez  utile  pour  qu'il  soit  impossible 
de  l'imprimer  (  Lettre  du    18  nov. 
1759  ).  »  Cette  histoire  n'a  point 
paru.  —  Dans  son  catéchisme  cà  l'u- 
sage des  jeunes    gens  de  toutes  les 
communions  chrétiennes ,  qui  a   été 
imprimé  à  Paris  en  1796  ,  in- 12, 
Vernes  se  montre  socinien  prononcé. 
Il  élague  les  dogmes  du  péché  ori- 
ginel ,  de  la  Trinité,  de  l'Incarnation, 
des  Sacrements  :  sur   l'éternité  des 
peines  il  prétend  que  dans  la  Bible 
on  trouve  le  pour  et  !e  contre.  Jésus- 
Christ  est  le  Messie  ^  le  fils  de  Dieu 
(  on  sait  que  les  sociniens  de  Ti'ans- 
silvanie  emploient  les  mêmes  expres- 
sions ).  Rabaud  nous  apprend  que  ce 
Catéchisme  est  celui  que  M.  Marron  a 
adopté  (Grégoire,  Sectes  relig. ,  11. , 
20T  ),  —  M.  Vernes  ,  fils  du  précé- 
dent ,  est  auteur  d'un  f^oj  âge  sen- 
timental ,  dans  le  genre  de  Sterne,  oii 
se  trouve  un  Éloge  de  son    2^<^re. 
W— s. 
VERNET  (  Jacob  ) ,   professeur 
de  théologie  à  Genève  ,  naquit  dans 


a4o 


VER 


cette  ville  le  39  août  1698.  Peu 
d'hommes  ont  fourni  une  carrière 
aussi  longue  et  aussi  bien  remplie  :  il 
prêcha  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt- 
deux  ans  ,  enseigna  jusqu'à  quatre- 
viugt-huil,  et  en  avait  quatre-vingt- 
dix  lorsqu'il  publia  son  dernier  vo- 
lume. Prive  fort  jeune  de  son  père  , 
il  fut  dirigé  par  les  soins  de  son  oncle, 
Daniel  Leclerc  ,  le  savant  auteur  de 
l'Histoire  de  la  médecine  (  Foj.  son 
article ,  XXIII ,  5i5  ).  Ses  délasse- 
ments furent  de  bonne  heure  des  étu- 
des sérieuses.  Le  hasard  le  rendit  un 
jour  témoin  des  consolations  qu'un 
pasteur  adressait  à  une  femme  mou- 
rante. Les  discours  touchants  du 
pasteur  (  c'était  Bénédict  Pietet  ) 
(  Foy.  ce  nom,  XXXIV,  290)  , 
l'impression  qu'ils  produisirent  sur 
la  malade  ,  frappèrent  le  jeune  Ver- 
net  ,  et ,  dès  ce  moment ,  il  se  sen- 
tit appelé  à  une  vocation  où  il  pour- 
rait répandre  des  bienfaits  si  pré- 
cieux. Quoiqu'il  ait  cultivé  d'autres 
études,  qu'il  ait  embrassé  une  grande 
variétcde  connaissances,  qu'il  ait  mê- 
me professé  la  littérature  ancienne  , 
depuis  l'année  i'j39  jusqu'au  moment 
où  il  passa  à  la  chaire  de  théologie  en 
i-j^O ,  il  rapportait  tous  ses  travaux 
à  sou  étude  favorite ,  celle  de  la  reli- 
gion et  de  l'Ecriture  sainte  qui  était , 
selon  lui ,  la  seule  base  authentique  de 
la  foi.  Ce  fut  à  la  lecture  approfondie 
des  écrivains  grecs  et  latins  qu'il 
dut  celle  finesse  de  tact^  cette  saga- 
cité, ce  savoir  qu'il  porta  dans  l'ex- 
plication des  livres  sainis.  Les  ré- 
sultats de  ses  recherches  ont  pu  ne 
pas  satisfaire  également  tous  les  es- 
prits j  quelques-unes  de  ses  opi- 
nions théologiques  ont  pu  s'écar- 
ter des  systèmes  les  plus  généra- 
lement leçus  avant  lui  ;  mais  on 
ne  peut  lui  refuser  la  sagesse  du 
raisonnement ,    l'exactitude    et    la 


VER 

bonne  foi  des  recherches,  une  sa- 
vante et  judicieuse  interprétation 
des  livres  saints  ,  l'amour  sincère 
et  profond  de  la  religion,  la  véné- 
ration la  mieux  sentie  pour  l'Evangi- 
le et  pour  son  divin  auteur  :  jamais 
il  n'avança  rien  qu'ilne  vît  ou  ne  crût 
voir  enseigué  dans  l'Ecriture  ,  dont 
il  connaissait  également  la  lettre  et 
l'esprit.  Personne  n'a  plus  fortement 
repoussé  le  système  qui  ne  fait  de 
l'Envoyé  céleste  qu'un  simple  pro- 
phète ,  et  du  christianisme  qu'une 
sanction  nouvelle  et  plus  imposante 
de  la  religion  naturelle ,  sans  aucun 
dogme  particulier  :  enfin ,  il  se  mon- 
tra le  digne  successeur  de  J.-Alph. 
Turrettini ,  qui  avait  été  son  maître 
et  qui  devint  son  guide  et  sou  ami 
(  Fof.  ce  nom ,  XLVII ,  112). 
Vernct  passa  quelques  années  de  sa 
jeunesse  à  Paris ,  où  il  vit  les  hom- 
mes les  plus  distingués  ,  entre  autres 
le  P.  Hardouin,pour  lequel  il  fît  plus 
tard  l'uigénieuse  épitaphe  qu'on  a 
rapportée  à  son  article  (  XIX  , 
4o8  ).  Une  guérison  miraculeuse  , 
dont  on  parla  beaucoup  à  Paris , 
en  1725  ,  et  qui  fut  aflirmée  par  un 
mandement  de  l'archevêque ,  le  car-  ■ 
dînai  de  Noailles  ,  attira  l'attention 
de  \ernet,  et  il  publia  ,  en  1726 
et  1 727  ,  deux  brochures  où  il  com- 
bat la  réalité  de  ce  miracle.  Il 
voyagea  pendant  quelques  années  en 
Italie  ,  en  Allemagne  ,  en  Angleterre, 
et  partout  il  fut  accueilli  non-seule- 
ment comme  un  savant  ,  mais  com- 
me un  homme  aimable  et  spirituel  ; 
il  compta  des  amis  parmi  les  cardi- 
naux et  plusieurs  hommes  éminents 
de  l'Eglise  catholique.  Ce  fut  lui  , 
suivant  quelques  biographes  ,  qui  re- 
trouva à  Turin  la  Table  Isiaque  , 
qu'on  croyait  perdue  depuis  le  sac 
de  Mantoue,  en  i63o.  A  Rome  ^  il 
vit  Montesquieu,  et  depuis  lors  resta 


VER 

toujours  lié  avec  lui  :  ce  fut  à  Vcrnet 
que  Montesquieu  confia  le  soin  de 
faire  imprimer ,  à  Genève  ,  la  pre- 
mière édition  de  V Esprit  des  lois  , 
en  1747-  On  a  dit  que  l'éditeur  s'é- 
tait permis  d'y  faii'e  quelques  cor- 
rections de  style-  rien  n'est  plus 
faux  ;  mais  ce  qui  est  vrai,  c'est  que, 
sur  l'invitation  de  l'auteur ,  il  lui 
soumit  des  observations  toujours 
Lien  accueillies;  et  entre  autres  il 
l'engagea  à  supprimer  une  invocation 
aux  Muses  ,  qui  lui  paraissait  char- 
mante ,  mais  peu  conforme  au  tonde 
l'ouvrage.  Ce  morceau  a  été'  imprimé 
à  part  dans  quelques  éditions.  Vcrnet 
soigna  aussi  la  première  édition  de 
la  Théorie  des  sentiments  agréa- 
bles,  par  Levesque  de  Pouilly  {F". 
ce  nom,  XXIV,  877  ) ,  et  y  joignit 
une  préface  ,  conservée  en  partie 
dans  l'édition  de  Paris.  Quelques 
années  auparavant,  il  s'était  fort 
attaché  à  Giannone  ,  lorsqu'il  se 
réfugia  à  Genève  en  1735.  Il  fit 
imprimer  Y  Histoire  de  Naples  de 
cet  auteur  ,  et  mit  en  tète  du  second 
volume  ,  en  1740  ,  une  préface 
qui  contient  des  détails  histori- 
ques sur  ce  célèbre  et  infortuné  Na- 
politain. Vernet  eut  aussi  des  re- 
lations avec  Voltaire  et  Rousseau. 
Il  n'eut  pas  à  se  plaindre  de  ce  der- 
nier; mais  il  n'en  fut  pas  de  même 
de  Voltaire ,  qu'il  avait  vu  à  Paris  en 
1733.  Pendant  plus  de  vingt  ans,  ils 
eurent  une  correspondance, rare,quoi- 
que  toujours  sur  un  ton  d'estime  et 
de  politesse  réciproque.  Lorsque  Vol- 
taire vint  se  fixer  dans  les  environs 
de  Genève,  Vernet ,  qui  ne  pouvait 
s'empêcher  de  craindre  son  voisina- 
ge, lui  écrivit ,  à  ce  sujet,  une  lettre 
pleine  de  franchise  et  d'égards ,  da- 
tée du  8  février  1755.  Il  alla  quel- 
quefois chez  lui;  mais  lorsqu'il  vit 
que  Voltaire  ne  se  servait  de  la  faci- 
XLvni. 


VER 


241 


lité  de  ce  séjour  que  pour  répandre 
des  principes  dangereux ,  avec  une  li- 
cence toujours  croissante,  il  cessa  de 
le  fréquenter , et  ne  lui  en  cacha  pas  le 
motif,  llécrivit^au  sujet  dedeux cha- 
pitres de  V Essai  sur  l'histoire ,  une 
Lettre  insérée  dans  la  Nouvelle  bi- 
bliothèque germanique ,  tome  xxi , 
et  imprimée  ensuite  séparément.  Vol- 
taire n'essaya  pas  delà  réfuter;  il 
se  vengea  _,  comme  ce  fut  trop  sou- 
vent sa  manière ,  par  des  calomnies, 
des  libelles,  des  injures,  en  vers  et 
en  prose.  On  trouve  des  détails  cu- 
rieux sur  ces  querelles  et  sur  d'autres 
objets,  dans  un  Mémoire ,  fort  inté- 
ressant, sur  la  vie  et  les  cuivrages 
de  Fernet ,  Genève,  1790,  in -8". , 
donné  par  M.  Saladin  ,  son  petit-fils 
par  alliance.  Les  attaques  de  Voltaire 
contenaient  des  faits  faux  :  Vernet 
crut  devoir  rétablir  la  vérité ,  dans 
un  Mémoire  présenté  à  M.  le  pre- 
mier sjndic  ,  et  imprimé  en  17  60. 
Quant  aux  injures,  il  s'en  reposait  sur 
l'estime  des  gens  de  bien;  mais  il  mit 
plus  d'intérêt  à  défendre  l'Eglise  et  le 
cleigéde  Genève ,  mal  représentés  par 
d'AIembert,  dans  un  article  de  l'En- 
cyclopédie ,  et  surtout  la  religion ,  at- 
taquée chaque  jour  par  de  nouveaux 
écrits.  C'est  ce  qui  donna  lieu  à  ses 
Lettres  critiques  d'uji  voyageur  an- 
glais sur  l'article  Genève  de  l'En- 
cyclopédie, qui  parurent  à  dilïéren- 
tes 'époques,  depuis  1761  ,  et  furent 
augmentées  dans  une  seconde  édi- 
tion de  I  7G3  _,  contenant  six  lettres  , 
et  complétées  par  une  nouvelle  édi- 
tion ,  en  2  volumes  in-8°.,  Utrecht, 
1766  ,  contenant  treize  lettres. 
Dans  ce  hvre ,  écrit  tour-à-tour  avec 
finesse  et  avec  force,  on  remarque  le 
talent  que  l'auteur  aurait  eu  pour  la 
polémique  s'il  avait  voulu  s'y  livrer. 
Un  ministre  anglais,  M.  Brown,  en 
fut  l'écliteur ,  et  passa  d'abord  pour 
16 


1^1 


VER 


en  être  l'auteur.  Mais  quaud  Vernet 
vit  les  iujuies  qu'il  attirait  sur  son 
ami ,  il  se  hâta  de  mettre  l'ouvrage 
sous  son  nom.  11  donna  unepreuvede 
sa  sagacité  critique  à  l'occasion  de 
VExamen  des  apologistes  de  la  re- 
ligion chrétienne ,  que  l'on  essaya  , 
par  une  fraude  très -peu  philosophi- 
que, de  faire  passer  sous  le  nom  de 
Fréret.  Vernet  trouva  ,  dans  une  lec- 
ture attentive  du  livre  .   la  preuve 
qu'il  ne  pouvait  pas  être' de  cet  illus- 
tre savant;  et  cette  conjecture  a  e'te' 
pleinement  justifiée.  Entre  un  grand 
nombre  d'écrits  de  Vernet,  impri- 
més à  part   ou   dispersés  dans   des 
recueils  (  F".  Vabioopj),  et  dont  on 
trouvera  la  liste  complète  dans  le  Mé- 
moire cité  plus  haut  et  dans  Séne- 
bier  ,  nous  indiquerons  les  plus  inté- 
ressants :  I.  Traité  de  la  vérité  de 
la  relig^ion  chrétienne  ,  tiré  en  jiar- 
lie  du  latin  ,deJ.-Alph.  Tiirrettini, 
Genève,  i  o  vol.  in-8".Ce  fut  l'ouvrage 
de  toute  sa  vie ,  puisque  le  premier 
volume  parut  en  1780,  puis  relouché 
dans  une  nouvelle  édition  ,  en  1  74B , 
et  le  dernier  en  1 7  88.  Vernet  avait  d'a- 
bord eu  le  projet  de  traduire  les  Thè- 
ses de  Turrcttini  :  De  veritate  reli- 
gionis  christiance ,  avec  quelques  dé- 
veloppements; mais  ce  travail  s'é- 
tendit sous  sa  main ,  et  peut-être  trop 
dans  les  derniers  volumes.  Cependant 
si  Ton  y  reconnaît  le  vieillard,  ce 
n'est  qu'à  quelques  digressions,  d'ail- 
leurs savantes  et  judicieuses  ,  sur  di- 
vers points  intéressants  de  critique 
et  d'histoire  ecclésiastique,  comme 
sur  les  gnostiques,  sur  le  passage  de 
Josèphe  ,  touchant  Jésus-Christ,  etc. 
On  estime  particulièrement  le  tome 
quatrième ,  sur  rexcelleuce  de  la  doc- 
trine chrétienne  (i).  II.  Dialogues 


(>".  I.es  dFiiT    Toliimes  sur  Ip"!  Miracles  ont  été 
réiiiiprimn  à  Paris,  en  J753  ,  par  les  soin»  d'an 


VER 

socratiques  ou  Entreliens  sur  di- 
vers sujets  de  morale ,  compo- 
sés pour  donner  une  idée  de  la  mé- 
thode de  Socrate  ,  et  publiés  à  Paris, 
en  1745,  et  avec  des  additions,  en 
1755.  «  Ils  sont  écrits,  dit  Palissot, 
avec  une  pureté  remarquable  dans 
un  étranger,  et  remplis  d'intérêt.  »III. 
Un  Discours  latin  sur  l'influence  des 
arts  et  des  sciences,  pour  combattre 
celui  de  Rousseau.  Il  se  trouve  dans 
le  Muséum  helveticuni  de  1752.  IV. 
Lettres  sur  la  coutume  moderne 
d'employer  le  rovs  au  lieu  du 
TU  {^) ,  et  sur  la  question  :  Doit- 
on  employer  le  tutoiement  dans  les 
versionsdela  Bible  .^lallave,  1752  , 
iu-i  '2.  Il  défend  le  tutoiement  par  des 
raisons  et  par  les  autorités  de  Montes- 
quieu, de  Voltaire,  de  Fonlenelle  et 
d'aiitresbons  juges  qu'il  avait  consul- 
tés. \  .  Instruction  chrétienne,  impri- 
mée d'abord  à  Neufchatel ,  en  \']5'i, 

4  vol.  in-8". ,   et  ensuite  à  Genève  , 

5  volumes  in-12,  1756,  1771 
et  1807  :  ouvrage  excellent,  vé- 
ritable cours  de  théologie  bibli- 
que, mis  à  la  portée  de  toutes  les 
classes  de  lecteurs.  On  regrette  seu- 
lement que  l'auteur  l'ait  écrit  par 
demandes     et    réponses.    VI.    Bé- 

J! exions  sur  les  mœurs ,  la  reli- 
gion  et  le  culte,  Genève,  176g, 
in-8''.,  où  l'on  montre  la  liaison  né- 
cessaire de  ces  trois  bases  fondamen- 
tales de  la  société.  VII.   Opuscula 


Ibi-ologien  catholique,  qui  y  a  Tait  quelques  chnn» 
gciuculs  et  a  supprimé  un  exanieu  des  préleudus 
miracles  de  l'abbê  Paris. 

(il)  Cet  opuscule  a  été  l'occasion  d'nue  singulière 
faute  tvpijgrapliique  qui  se  trouve  dans  Sénehicr 
{  Hisl.  lin.  de  Oenei'e,  m,  9.6),  dans  Ersrh 
(  l-'runce  1,11..  m,  3-;  )  et  peut-être  ailleurs  :  on 
y  ntiribue  à  Vernet  uue  Lcltie  sur  la  coutume 
i/'cm/ilorer  les  \iiis  un  lien  du  thé,  i^Sî  ,  in-S". 
Ce  dernier  ouvrage  n*existe  pas.  Les  mots  vous 
cl  tu,  mal  lirs  à  une  impression  da  titre,  ont 
causé  l'erreur;  mais  ce  qu'il  v  a  de  remarq>jahle, 
c'est  qu<i  les  deux  titres,  l'un  fiacl  et  l'autre  fautif 
sont  donnés  à  la  suite  l'un  de  l'autre  par  MM. 
StnehitT  el  Erich.  A.  B — T. 


VER 

iheolo^ica  selecta ,  Genève,  17^4, 
in-8°.  Yernet  a  réuni  dans  ce  volume 
ses  principales  thèses  tlièologiques. 
Parmi  tant  de  qualités,  il  lui  manqua 
quelques-unes  de  celles  qui  font  l'o- 
rateur. Il  n'a  pas  laisse  de  réputation 
sous  ce  rapport,  et  l'on  n'a  imprimé 
aucun  de  ses  sermons.  Après  avoir 
parlé  du  savant  et  de  l'homme  de 
lettres  ,  il  faudrait ,  pour  achever  de 
le  faire  connaître  ,  peindre  l'homme, 
ses  vertus   publiques  et  privées ,  la 
douceur  de  sa  société  ,  sa  conversa- 
tion instructive  ,  agréable,  assaison- 
née d'une  gaîté  piquante  et  d'une  fou- 
le de  faits  et  d'anecdotes  dont  sa  mé- 
moire était  enrichie.  Il  conserva  jus- 
qu'à la  fin  l'usage  de  ses  facultés. 
Quand  il  eut  cessé  d'enseigner  en  pu- 
blic, il  aimait  à  recevoir  chez  lui  les 
jeunes  étudiants,  qu'il  instruisait  en- 
core par  ses  entretiens ,  qu'il  intéres- 
sait surtout  vivement  par  la  chaleur 
avec  laquelle  il  leur  parlait  de  la  re- 
ligion et  du  bonheur  qu'elle  répan- 
dait sur  sa  vieillesse.  Quinze  jours 
avant  sa  mort,  à  quatre-vingt-onze 
ans,  il  s'occupait  encoi'e  de  lectures 
savantes.  Il  termina  doucement  une 
vie  honorable   et   heureuse  ,  le  '26 
mars  178g.   Il   envisagea  la  fin  de 
sa    carrière  avec  la   confiance   du 
chrétien  ;   et  ses  dernières   paroles 
furent  celles  de  saint  Paul  :  Je  sais 
en  qui  j'ai  cru.  On  peut  consulter, 
outre  le  Mémoire  cité  plus  haut , 
V Histoire  littéraire  de  Séuebier,  les 
Mémoires  de  Palissot,  et  deux  Noti- 
ces placées  en  tête  des  deux,  éditions 
de  V Instruction  chrétienne  qui  ont 
paru  à  Genève  en  1807.     M-n-d. 

VERNET  (Claude- Joseph), 
peintre  célèbre,  né  à  Avignon  en 
I  7 1 4 ,  fut  élève  de  son  père  Antoine, 
qui  peignait  assez  habilement.  Il 
ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que 
d'autres  leçons   lui  étaient    néces- 


VER 


243 


saircs  ,  et  il  forma  le  projet  d'al- 
ler   se    perfectionner  en    Italie.   Il 
n'avait  alors   que  dix-huit  ans.  Il 
s'embarqua ,    pour    parvenir    plus 
promptement  au  but  de  son  voyage. 
Le  spectacle  de  la  mer ,  la  vue  des 
vaisseaux,  le  soin  avec  lequel,  pen- 
dant la  traversée ,  il  se  plut  à  dessi- 
ner l'aspect  des  cieux  et  des  eaux  , 
détei'miuèrent  la  direction  de  son  ta- 
lent^ et  lorsqu'il  arriva  en  Italie,  il 
n'avait   déjà  plus  de  rival  comme 
peintre    de   marine.    Établi    à    Ro- 
me _,    il   s'empressa    d'entrer   dans 
l'école  de  Bernardin  Fergioni ,  qui 
cultivait  avec  un  grand  succès  ce  der- 
nier genre,  et  il  ne  tarda  pas  à  sur- 
passer  son   maître.   Cependant    ses 
commencements  furent  quelque  temps 
obscurs  et  pénibles.  Réduit  aux  fai- 
bles ressources  qu'il  avait  apportées 
de  France,  il  fut  obligé  de  tirer  par- 
ti de  son  pinceau  pour  subvenir  aux 
besoins  les  plus  pressants  de  la  vie  : 
on  cite  un  de   ses    petits   tableaux 
qui ,  à  la  vente  du  cabinet  de  M.  de 
Julienne,  fut  vendu  mille  ccus  ,  et 
qu'il  avait  peint  à  Rome  pour  un  ha- 
bit ,  une  veste  et  une  culotte.  Mais  il 
ne  tarda  pas  à  se  faire  connaître  par 
une  foule  de  tableaux  qui  affermirent 
sa  réputation ,  et  qui  lui  méritèrent 
l'estime  des  amateurs  les  plus  éclai- 
rés. Parmi  celles  de  ses  productions 
qui  réunirent  tous  les  suffrages ,  ou 
cite  les  paysages  dont  il  orna  la  ga- 
lerie Borghèse  et  le  palais  Rondaui- 
ni.  Il  s'est  plu  ,  dans  ces  derniers,  à 
imiter  le  style  de  Salvator  Rosa;  etil 
a  l'eudu  avec  habileté  la  manière  fiè- 
re  et  sauvage  de  cet  artiste.  Les  agré- 
ments de  sa  société  lui  avaient  procuré 
un  grand  nombre  d'amis  ,  parmi  les- 
quels  ou  distinguait  Pergolèse.  Ce 
musicien ,  doué  d'un  génie  si  sensi- 
ble ,    venait   passer   une  partie  de 
ses  loisirs  dans  l'atelier  de  l'artis-^ 
iG.. 


544  VER 

le,  auquel  il  dut  maintes  fois  d'heu- 
reuses inspirations.  C'est  auprès  de 
lui  qu'il  composa  un  des  plus  beaux 
versets  du  Stahat.  Vernet  en  conser- 
vait précieusement  le  brouillon ,  qu'il 
apporta  avec  lui  à  Paris ,  lorsqu'il  fut 
appelé  eu  France.  Il  sut  mettre  à  pro- 
fit sa  longue  résidence  eu  Italie,  pour 
dessiner  tous  les  monumcuts  pitto- 
resques que  renferme  cette  ten-e 
classique  des  arts  ;  mais ,  non  content 
des  richesses  qu'elle  offrait  à  ses  pin- 
ceaux ,  il  parcourut  les  mers  de  ce 
pays ,  ainsi  que  les  diverses  plages  de 
la  Grèce  ;ct  c'est  après  avoir  recueil- 
li toutes  les  beautés  de  ces  deux  célè- 
bres contrées  qu'il  sut  reproduire 
avec  tant  de  charme  et  de  vérité  leurs 
sites  les  plus  remarquables.  Pendant 
son  séjour  à  Rome,  il  fut  reçu^  en 
1743  ?  membre  de  l'académie  de 
Saint -Luc,  et  il  épousa  M'^^^  p^,.. 
ker ,  fille  d'un  Anglais  catholique, 
officier  dans  la  marine  du  pape. 
Absent  de  sa  patrie,  depuis  \ingt- 
deux  ans ,  il  ne  l'avait  point  oubliée, 
malgré  les  succès  qu'il  obtenait  loin 
d'elle;  et  ce  fut  avec  le  plus  vif  em- 
pressement qu'il  se  hâta  d'y  revenir, 
sur  l'invitation  que  lui  fit  ÎNI.  de  Ma- 
rigny ,  de  la  part  de  Louis  XV ,  qui 
voulait  le  charger  de  peindre  les 
principaux  ports  de  France.  Pour 
obéir  plus  promptement  à  une  invi- 
tation aussi  honorable,  il  se  rend  à 
Livourne,  et  s'embarque  dans  une 
petite  felouque.  Pendant  la  traver- 
sée ,  une  violente  bourrasque  s'élève, 
et  menace  de  briser  le  frêle  bâtiment 
sur  les  rochers.  Au  milieu  des  vives 
alarmes  de  l'équipage  et  des  passa- 
gers ,  Vernet,  tout  entier  à  l'enthou- 
siasme de  son  art,  et  voulant  obser- 
ver sans  obstacle  le  spectacle  d'une 
mer  agitée  par  la  tempête,  se  fait 
attacher  au  mât  du  vaisseau  j  et  tan- 
disque  tout  tremble  autour  de  lui,  il 


VER 

ne  s'occupe  qu'à  retracer  sur  sou  li- 
vre de  souvenirs  la  scène  qu'il  a  sous 
les  yeux.  Les  seules  exclamations 
qu'elle  peut  lui  airacher  sont  cel- 
les du  plaisir  et  de  l'admiration.  Ce 
trait,  qui  ne  fait  pas  moins  d'hon- 
neur au  courage  de  l'artiste  qu'à  son 
amour  pour  son  art ,  a  été  représenté 
avec  beaucoup  de  talent, dans  un  ta- 
bleau placé  au  salon  du  Louvre  , 
en  1 82'ji ,  par  M.  Horace  Vernet ,  son 
petit-fils.  En  arrivant  à  Paris  ,  où  sa 
réputation  l'avait  devancé,  \ernct 
fut  reçu  membre  de  l'académie  de 
peinture.  Son  tableau  de  réception 
représente  un  port  de  mer ,  par  un 
soleil  couchant.  A  gauche  est  un 
rocher  ombrage  par  quelques  grou- 
pes d'arbres  ;  à  droite  s'élève  une 
tour  surmontée  d'un  drapeau.  Parmi 
les  ligures  qui  ornent  le  premier 
plan  ,  on  voit  un  homme  et  deux 
femmes  dans  le  costume  oriental.  Ce 
HKirceau  ,  digne  eu  tout  de  la  répu- 
tation de  son  auteur  ,  lui  ouvrit  par 
acclamation  les  portes  de  l'académie. 
Il  fait  aujourd'hui  partie  du  Musée 
du  Louvre.  Après  sa  réception  ,  il 
commença  la  grande  entreprise  dont 
le  gouvernement  venait  de  le  char- 
ger. Il  visita  successivement  les  dif- 
férents ports  qu'il  devait  représenter; 
entreprise  ingrate  ,  en  apparence  , 
comme  toutes  celles  qui  mettent  des 
entraves  au  génie  des  artistes  ,  mais 
dans  laquelle  il  sut  rendre  pittoresques 
et  piquantes  la  plus  scrupuleuse  pré- 
cision et  la  plus  fidèle  exactitude. 
Après  avoir ,  dans  un  espace  de 
moins  de  dix  années,  lempli  cette  tâ- 
che importante  avec  la  supériorité' 
que  l'on  était  en  droit  d'attendre  de 
son  talent ,  il  revint  à  son  premier 
genre;  et,  doué  de  la  plus  heureuse 
facilité,  il  continua,  par  une  foule  de 
nouveaux  chefs-d'œuvre,  à  prolester 
pour  ainsi  dire  ,  à  lui  seul  ,  par  son 


VER 

exemple,  contre  le  mauvais  goût  qui, 
à  cette  époque  ,  avait  envahi  toutes 
les  branches  des  arts  du  dessin  :  lors- 
que Vien  donna  une  meilleure  di- 
rection à  l'école  française  ,  dans  le 
genre  historique,  Vcrnet,  dans  le  sien, 
n'eut  point  à  revenir  sur  ses  pas.  11 
avait  obtenu,  pour  recompense  de  ses 
ports  de  France  ,  un  logement  au 
Louvre.  En  i  -jëô ,  il  fut  élevé  au 
rang  de  conseiller  de  l'académie ,  et 
en  l'jS'j  il  eut  le  plaisir  d'y  recevoir 
son  (ils  Carie  sur  son  beau  tableau 
représentant  le  Triomphe  de  Paul- 
Emile.  Userait  trop  long  de  rappe- 
ler tous  les  tableaux  dus  à  son  pin- 
ceau. On  porte  à  plus  de  deux  cents 
ceux  qu'il  a  exécutés  seulement  de 
i']5'2  à  17^9.  Le  Musée  du  Louvre 
possède  à  lui  seul  quarante- huit 
Eioi"ceaux  de  ce  maître,  parmi  les- 
quels la  collection  des  ports  de  Fran- 
ce, au  nombre  de  quinze^  occupe  un 
rang  distingué.  Ce  sont  :  L  La  P^ue 
de  l'eiitrée  du  port  de  Marseille  , 
prise  de  la  montagne  appelée  Tète- 
de-More.  Vernet  s'y  est  représenté 
dessinant  ,  et  entouré  de  sa  famille 
qui  lui  fait  remarquer  Aunibal ,  vieil 
invalide  âgé  de  cent  dix  ans,  tableau 
peint  en  1754-  II.  La  Vue  de  l'in- 
térieur du  port  de  Marseille  ,  prise 
du  pavillon  de  l'horloge  du  Parc  , 
1754.  III.  Vue  du  golfe  de  Ban- 
dol.  On  voit  sur  le  devant  la  madra- 
gue ou  la  pêcheduthon,  1755.  IV. 
Vue  de  la  rade  d'Antihes ,  prise  du 
côté  de  la  terre ,  1756.  V.  Vue  du 
port  neuf  de  Toulon  ,  prise  de 
l'angle  du  parc  d'artillerie,  1756. 
VI.  Vue  de  la  rade  de  Toulon.  Elle 
offre  l'aspect  des  belles  campagnes 
des  environs^  1756.  VII.  Vue  du 
vieux  port  de  Toulon ,  prise  du 
côté  du  magasin  aux  vivres,  itSG. 
VIII.  Vue  de  la  ville  et  du  port 
de  Bordeaux  _,  prise  du  côté  des  Sa- 


VER 


245 


liuièrcs,  1758.  IX.  Vue  de  la  ville 
et  du  port  de  Bordeaux ,  prise  du 
côté  du  Château  -  Trompette  ,  1759. 
X.  Vue  du  port  de  Cette,  en  Lan- 
guedoc ,  prise  du  côté  de  la  mer , 
derrière  la  jetée  isolée,  1761.  XI. 
Vue  de  la  ville  et  du  port  de 
Baïonne ,  prise  de  la  mi-côte  des  Sa- 
linières,  1761.  XII.  Vue  de  la  ville 
et  du  port  de  Baïonne ,  ])rise  de 
l'allée  de  Boufflers,  près  !a  porte 
de  Mousserole,  1761.  XIII.  Vue 
du  port  de  la  Rochelle  ,  prise  de  la 
Petite-Rive,  \'fii.  XIV.  Vue  du 
port  de  Rochefort ,  prise  du  maga- 
sin des  colonies,  17G2.  XV.  Vue 
de  la  ville  et  du  port  de  Dieppe , 
1765.  C'est  dans  cette  superbe  col- 
lection ,  unique  en  son  genre  ,  qu'on 
ne  se  lasse  point  d'admirer ,  et  qui 
peut  supporter  l'examen  le  phis  ri- 
goureux, que  l'on  voit  se  reproduire 
sous  mille  formes  diverses  les  res- 
sources du  pinceau  le  plus  fécond  cl 
le  plus  ingénieux.  XVI.  Marine  , 
vue  du  soleil  couchant  par  un  temps 
brumeux.  XVII.  Vue  d'un  port  de 
mer,  du  même  effet  que  le  tableau 
précédent.  XVllI.  Le  Matin  ou  la 
Pèche ,  effet  du  soleil  levant.  XIX. 
Le  Midi  ou  V Orage,  marine  avec 
figures.  XX.  Le  Soir  ,  ou  le  Retour 
au  village,  marine  par  un  temps  cal- 
me, effet  de  soleil  couchant.  Wl.La 
Nuit,  marine,  effet  de  lune.  Ces  quatre 
tableaux  de  forme  octogone,  et  peints 
en  l'i^yi. ,  sont  connus  sous  le  nom 
des  Quatre  partie  s  du  jour,  et  ay  aient 
été  faits  pour  servir  de  dessus  de  porte 
dans  un  des  appartements  du  châ- 
teau de  Choisy. XXII.  Porf  de  mer, 
effet  de  soleil  couchant  ;  tableau  de 
réception  de  l'auteur  à  l'académie  de 
peinture,  en  irj^S.UXlU. Paj  sage 
représentant  la  construction  d'une 
grande  route.  On  voit  sur  le  devant 
l'ingénieur  Pcrronet  donnant  des  or- 


ai6 


VER 


(Ires ,  1774-  C'est  le  plus  faible  de  la 
collection.  XXIV.  iTue  des  environs 
de  Rome  ;  morceau  d'étude  ,  connu 
sous  le  nom  du  Torrent.  XXV.  Fue 
du  pont  et  du  chdteau  Saint- Ange, 
construits  sur  les  ruines  du  mausolée 
de  l'empereur  Adrien.  XXVI.  Fue 
du  Ponte-Rotto  à  Rome ,  dit  ancicn- 
ncmejit  P ons-Senatorius .  XXVII. 
Marine.  XXVIII.  Paysage,  elTet 
de  clair  de  lune.  XXIX.  Marine , 
effet  de  clair  de  lune.  XXX.  Autre 
Marine,  effet  de  clair  de  lune.  A 
droite  ,  sur  le  devant ,  un  feu  près 
duquel  des  matelots  apprêtent  leur 
repas.  XXXI.  Paysage ,  vue  des 
environs  de  Rome^  morceau  d'étude. 
XXXII.  Le  Naiifrage.  On  voit  sur 
le  devant  une  chaloupe  dans  laquelle 
des  hommes  et  des  femmes  cherchent 
à  gagner  le  rivage.  A  gauche  ,  des 
matelots  se  hasardent  sur  la  pointe 
d'un  rocher  et  yont  leur  porter  des 
secours.  Au  milieu  du  tableau  ,  et  sur 
un  plan  plus  éloigné ,  on  aperçoit  un 
vaisseau  brisé  contre  un  écueil  sur 
lequel  une  partie  de  l'équipage  est 
parvenue  à  se  sauver.  XXXIII.  Fue 
des  Cascatelles  de  Tivoli.  XXXIV. 
\]nt  Marine ,  où  l'on  voit  une  casca- 
de et  le  château  Saint-Ange.  XXXV. 
La  Rergère  des  Alpes.  XXXVI. 
Les  Baigneuses.  XXXVII.  Le  Ma- 
tin. XXXVIII.  Le  3Iidi  ou  le  Cal- 
me. XXXIX.  Le  Soir.  XL.  Le  Soir 
ou  la  Tempête.  Ou  aperçoit  au  mi- 
lieu des  flots  les  restes  d'uubâtiment 
que  les  vagues  ont  brisé  contre  un 
rocher  ,  et  sur  le  devant  une  barque 
à  moitié  submergée,  dans  laquelle 
des  naufragés  cherchent  leur  salut  j 
à  droite,  des  matelots  secourent  une 
femme  demi-nue  et  évanouie  ;  dans  le 
lointain ,  à  gauche  ,  un  vaisseau  bat- 
tu des  vents  cherche  à  gagner  la 
f)leine  mer.  On  voit,  du  même  côté, 
a  foudre  éclater  au  milieu  des  nna- 


VER 

ges.  Ce  tableau ,  que  l'on  peut  re-r 
garder  comme  le  chef  -  d'œuvre  de 
Vernet ,  a  été  gravé  d'une  manière 
admirable  par  Balechou.  XLI.  Le 
Coup  de  tonnerre ,  paysage.  XLII. 
Un  iV^oM/r^g-e.  Sur  le  devant,  on  voit 
quatre  figures,  dont  une  femme  éva- 
nouie que  l'on  secourt.  XLIII.  Un 
Clair  de  lune.  Sur  le  devant,  des  pê- 
cheurs retirent  leurs  filets.  XLIV. 
Marine,  par  un  clair  de  lune.  XLV. 
Le  Retour  de  la  pèche. ^hVl.  Port 
de  mer  au  soleil  couchant;  sur  la 
jetée  qui  est  en  avant ,  on  voit  des 
canons  et  plusieurs  personnages  en 
costume  levantin.  XLVII.  Port  de 
mer ,  par  un  brouilhard.  XLVIII. 
Pécheurs  remettant  une  barque  sur 
la  grève,  tandis  que  d'autres  vident 
leur  s  filet  s. Ces  huitderniers  tableaux 
avaient  été  peints  par  Vernet  pour 
M.  de  La  Borde,  banquier  de  la 
courj  en  i8'i5  ,  ils  ont  été  acquis  de 
ses  héritiers  pour  le  Musée.  Vernet 
a  aussi  gravé  à  l'eau-forte  ,  de  la 
manière  la  jjIus  spirituelle  ,  quelques 
petits  paysages  de  sa  composition, 
qui  font  regretter  qu'il  n'ait  pas  mul- 
tiplié ses  productions  en  ce  genre;  ce 
sont  :  I.  Un  Paysage  avec  un  bout 
de  village  et  un  petit  pont  qui  tra- 
verse un  ruisseau.  II.  Un  Berger 
assis  à-  côté  de  sa  bergère,  et  jouant 
de  la  musette.  III.  La  Pue  d'uii 
marché  dajis  une  ville.  IV.  Un  Ca- 
nal occupé  par  des  pêcheurs ,  et 
bordé  de  rochers  escarpés.  Son 
OEuvre  gravé  est  très-considérable , 
et  d'une  variété  extrcmemeut  pi- 
quante. Les  graveurs  qui  l'ont  rendu 
avec  le  plus  de  succès  sont  Bale- 
chou ,  Lcbas  ,  Aliamet  et  Flipart. 
On  porte  le  nombre  de  ses  pièces  à 
plus  de  deux  cents,  marines  ou  pay- 
sages. Userait  diliicile  d'apprécier  le 
mérite  de  ce  grand  peintre  mieux 
qucnel'afait  Diderot  dans  le  passage 


VER 

suivant,  enparlant  de  vingt-cinq  ta- 
bleaux que  Vernet  avait  exposes  au 
salon  de  1-^65.  «  Il  n'y  a  presque  pas 
«  une  de  ces  compositions  ,  dit- il, 
»  à  laquelle  un  peintre  qui  aurait 
»  bien  employé  son  temps  n'eût 
»  donne'  les  deux  années  qu'il  a  mises 
»  à  les  faire  toutes.  Quels  effets  in- 
»  croyables  de  lumière  !  les  beaux 
»  ciels  !  quelles  eaux  !  quelle  ordon- 
»  nance  I  quelle  prodij^ieuse  variété 
»  de  scènes  !  Ici, un  enfant  échappé 
»  du  naufrage  est  porté  sur  les  épau- 
»  les  de  son  père 5  là,  une  femme 
»  étendue  morte  sur  le  rivage,  et  son 
»  époux  qui  se  désole.  La  mer  mu- 
«  git  ;  les  vents  sifflent  ;  le  tonnerre 
»  gronde;  la  lueur  sombre  et  pâle 
')  des  éclairs  perce  la  nue  ,  montre  et 
»  dérobe  la  scène.  On  entend  le  bruit 
»  des  flancs  d'un  vaisseau  qui  s'en- 
«  tr'ouvre  ;  ses  mâts  sont  enlevés ,  ses 
»•  voiles  déchirées;  les  uns  sur  le  pont 
»  ont  les  bras  levés  au  ciel;  d'autres 
»  se  sont  élancés  dans  les  eaux.  Ils 
»  sont  portés  par  les  flots  contre  des 
»  roches  voisines ,  où  leur  sang  se 
»  mêle  à  l'écume  qui  les  blanchit. 
»  J'en  vois  quiflottent;  j'en  vois  qui 
»  sont  près  de  disparaître  dans  le 
»  gouffre;  j'en  vois  qui  se  hâ^ut 
»  d'atteindre  le  rivage,  contre  le- 
M  quel  ils  seront  brisés.  La  même  va- 
»  riété  de  caractères  ,  d'actions  et 
»  d'expressions  règne  sur  lesspecta- 
»  teurs  ;  les  uns  frissonnent  et  dé- 
»  tournent  la  vue;  d'autres  secou- 
»  rent;  d'autres,  immobiles,  regar- 
»  dent.  Il  y  en  a  qui  ont  allumé  du 
»  feu  sous  une  roche  ;  ils  s'occupent 
»  à  ranimer  une  femme  expirante. 
»  Tournez  vos  yeux  sur  un  autre  ta- 
»  bleau  _,  et  vous  verrez  le  calme 
»  avec  tous  ses  charmes.  Les  eaux 
»  tranquilles,  aplanies  et  riantes s'é- 
»  tendent  en  perdant  insensiblement 
5)  de  leur  transparence,  et  s'éclairent 


"VER  347 

»  insensiblement  à  leur  surface  ,  de- 
»  puis  le  rivage  jusqu'où  l'horizon 
»  confine  avec  le  ciel.  Les  vaisseaux 
»  sont  immobiles  ,  les  matelots  ,  les 
»  passagers  ont  tous  les  amusements 
»  qui  peuvent  tromper  leur  irapa- 
»  tience.  Si  c'est  le  matin ,  quelles 
»  vapeurs  légères  s'élèvent  !  Comme 
»  ces  vapeurs  éparses  sur  les  objets 
«  de  la  nature  les  ont  rafraîchis  et 
»  vivifiés!  Si  c'est  le  soir,  comme  la 
»  cime  de  ces  montagnes  se  dore! 
»  De  quelles  nuances  les  cieux  sont 
»  colorés  I  Gomme  les  nuages  mar- 
»  chent,  se  meuvent  et  viennent  dé- 
»  poser  dans  les  eaux  la  teinte  de 
»  leurs  couleurs  I  Allez  à  la  campa- 
»  gue ,  tournez  vos  regards  vers  la 
»  voûte  des  cieux,  observez  bien  les 
»  phénomènes  de  l'instant ,  et  vous 
»  jurerez  qu'on  a  coupé  un  morceau 
»  de  la  grande  toile  lumineuse  que  le 
»  soleil  éclaire,  pour  le  transporter 
»  sur  le  chevalet  de  l'artiste  ;  ou 
»  fermez  votre  main  et  faites-en  un 
«  tube  qui  ne  vous  laisse  apercevoir 
»  qu'uu  espace  limité  de  la  grande 
»  toile,  et  vous  jurerez  que  c'est  un 
»  tableau  de  Vernet ,  qu'on  a  pris 
»  sur  son  chevalet^  pour  le  trans- 
»  porter  dans  le  ciel....  Ses  nuits 
»  sont  aussi  touchantes  que  ses  jours 
»  sont  beaux  ;  ses  ports  sont  aussi 
»  beaux  que  ses  morceaux  d'imagi- 
»  nation  sont  piquants.  Également 
»  merveilleux  y  soit  que  son  pinceau 
»  captif  s'assujétisse  à  une  nature 
»  donnée  ^  soit  que  sa  muse,  dégagée 
»  d'entraves,  sôit  libre  et  abandonnée 
»  à  elle-même  ;  incompréhensible, 
»  soit  qu'il  emploie  l'astre  du  jour 
»  ou  celui  de  la  nuit ,  la  lumière 
»  naturelle  ou  les  lumières  artificiel- 
»  les  ta  éclairer  ses  tableaux  ;  tou- 
»  jours  vigoureux  ,  harmonieux  et 
«  sage,  tel  que  ces  grands  poètes, 
»  CCS  hommes  rares  en  qui  le  juge- 


248  VER 

»  ment  balance  si  parfaitement  la 
»  verve  qu'ils  ne  sont  jamais  ni  exa- 
»  ge're's  ni  froids.  Ses  fabriques ,  ses 
»  édifices ,  les  vêtements ,  les  actions, 
»  les   hommes,  les  animaux,    tout 
»  est  vrai.  De  près,  il  vous  frappe j 
»  de  loin,  il  vous  frappe  pins  cnco- 
»  re.  C'est  un  grand  magicien  :  on 
»  dirait  qu'il  commence  par  créer  le 
»  pays,  et  qu'il  a  des  hommes,  des 
»  femmes  ,  des  enfants  en  réserve , 
»  dont  il  peuple  sa  toile,  comme  on 
»  peuple  une  colonie  ;  puis  il  leur 
»  fait  le  temps,  le  ciel ,  la  saison,  le 
»  bonheur,  le  malheur  qu'il  lui  plaît. 
»  C'est  le   Jupiter  de  Lucien ,  qui , 
»  las  d'entendre  les  cris  lamentables 
»  des  humains,  se  lève  de  table  ,  et 
»  dit  :  De  la  grcle  en  Thrace  ;  et 
»  l'on  voit  aussitôt  les   arbres  dé- 
»  pouillés  ,  les  moissons  hachées,  et 
»  le  chaume  des  cabanes  dispersé  : 
»  La  peste  en  Asie  j  et  l'on  voit  les 
»  portes  des    maisons  fermées ,  les 
w  rues   désertes  et  les   hommes   se 
»  fuyant  :  Ici  un  volcan  ;  et  la  terre 
»  s'ébranle  sous  les  pieds,  les  édili- 
»  ces  tombent,  les  animaux  s'effa- 
»  Touchent,  et  les  habitants  des  vil- 
"  'es  gagnent  les  campagnes  :  Une 
»  guerre  là  ;  et  les  nations  courent 
»  aux  armes  et  s'entr'égorffent  :  En 
»  cet  endroit  une  disette;  elle  vieux 
»  laboureur  expire  de  besoin  sur  sa 
»  porte.  Jupiter  appelle  cela  gouvcr- 
»  ner  le  monde ,  et  il  a  tort.  Yernet 
w  appelle  cela  faire  des  tableaux,  et 
»  il  a  raison.  »  Malgré  sa  supériori- 
té sur  tous  ses  contemporains.  Ver- 
net  n'en  était  pas  moins  modeste.  Il 
disait  de  lui-même  :  Me  demandez- 
vous  si  je  fais  les  ciels  comme  tel 
maître  ?  Je  vous    répondrai  que 
non  ;  les  figures  comme  tel  autre  ? 
Je  vous  répondrai  que  non  ;  les  ar- 
bres et  le  paysage  comme  celui-ci  ? 
même  réponse;  les  brouillards,  les 


VER 

eaux,  les  vapeurs  comme  celui-là? 
même  réponse  encore  :  inférieur  à 
chacun  d'eux ,  dans  une  partie ,  je 
les  surpasse  dans  toutes  les  autres. 
Cependant,  il  est  juste  aussi  de  con- 
venir que  ce  peintre  a  eu  ,  dans  sa 
carrière  ,  deux  manières  tout-à-fait 
différentes  et  presque  opposées  l'une 
à  l'autre.  Dans  la  première ,  qu'il  se 
forma  au  commencement  de  son  sé- 
jour à  Rome,  il  se  rapproche  de  Sai- 
vator  Rosa  :  il  eu  a  la  vigueur  et  la 
fierté.  Dans  la  seconde  ,  qu'il  adopta 
quelque  temps  avant  son  retour  en 
France,  et  qu'il  conserva  jusqu'à  la 
lin  de  sa  carrière,  il  a  su  éclaircir 
SCS  teintes  ,  les  varier ,  les  rendre 
plus  aimables  ,  mettre  dans  son 
exécution  la  facilité  la  plus  mer- 
veilleuse ,  sans  s'écarter  jamais  de 
la  nature.  Cependant  quelques  per- 
sonnes lui  ont  reproché  d'abuser 
de  cette  facilité,  au  point  de  com- 
mencer un  tableau  dans  la  matinée 
et  de  l'avoir  fini  avant  d'aller  dîner  j 
et  il  faut  convenir  que  cette  promp- 
titude l'a  forcé  quelquefois  d'adopter 
un  style  qui  sent  la  manière  ;  mais 
ce  défaut  est  racheté  par  les  plus 
émincntes  qualités.  Ses  contempo- 
rains se  plurent  à  reconnaître  sort 
mérite  transcendant  ;  et  rien  ne  trou- 
bla la  gloire  que  ses  ouvrages  lui  ac- 
quirent de  son  vivant.  Passionné  pour 
son  art,  il  n'était  heureux  qu'en  tra- 
vaillant ;  et  il  tenait  encore  le  pin- 
ceau quand  la  mort  le  fiappa ,  en 
1 789.  En  1 826 ,  l'Athénée  de  Van- 
cluse,  jaloux  de  consacrer  la  mé- 
moire d'un  artiste  dont  le  génie  fait 
tant  d'honneur  à  la  ville  d'Avi- 
gnon y  qui  l'a  vu  naître  ,  décida 
qu'il  serait  donné  un  prix  au  meilleur 
Eloge  eu  vers  de  Joseph  Vernet.  Le 
prix  fut  décerné ,  le  20  oct.  de  cet- 
te année ,  à  M.  Bignan;  et  V accessit 
fut  partagé  entre  MM.  Paul  Lacroix 


VER 

et  Jouvct  Desmarand.  Une  circons- 
tance qui  ajouta  infiniment  à  l'inté- 
rêt de  cette  soleimitë,  c'est  qu'elle 
eut  lieu  eu  présence  de  MM.  Carie  et 
Horace  Vernet ,  fils  et  petit  -  fils  du 
célèbre  artiste ,  qui ,  pour  tëmoiguer 
leur  reconnaissance  à  la  ville  d'Avi- 
gnon ,  firent  présent  au  musée  de  cet- 
te ville  de  deux  tableaux  de  leur 
composition  :  le  premier,  de  M. 
Carie  ,  repre'sente  une  Course  de 
chei'aux  à  Rome;  et  le  second^  de 
M.  Horace,  représente  le  Supplice 
de  Mazeppa ,  emporté  par  un  che- 
t>al  sauvage.  Le  conseil  municipal 
et  le  musée  ont  offert,  en  retour^ 
à  ces  deux  artistes  qui  soutiennent 
d'une  manière  si  éclatante  la  gloi- 
re de  leur  nom ,  deux  grandes  ur- 
nes d'argent,  dont  la  ciselure  re- 
trace le  sujet  d'un  tableau  de  chacun 
d'eux.  P — s. 

VERNEUIL  (Catherine- Hen- 
riette DE  Balzac  d'Entraigues  , 
marquise  de),  était  fille  de  François 
d'Entraigues.,  gouverneur  d'Orléans , 
et  de  Marie  Touchet  ,  sa  seconde 
femme,  qui  avait  été  la  maîtresse  de 
Charles  IX.  Sans  être  une  beauté 
parfaite,  elle  joignait  à  beaucoup 
d'agréments  ,  de  l'esprit ,  de  la 
grâce  et  de  l'enjouement.  Après  la 
mort  de  la  duchesse  de  Beaufort(Ga- 
brielle  d'Estiées  )  ,  les  courtisans 
vantèrent  tant  à  Henri  IV  les  char- 
mes de  M^ie_  d'Entraigues  ,  qu'il  eut 
la  curiosité  de  la  voir  ,  et  bientôt  il 
en  devint  éperdument  amoureux. 
Plus  ambitieuse  que  tendre ,  elle  ac- 
crut la  passion  du  roi  par  tous  les 
manèges  de  la  coquetterie ,  et  en  ob- 
tint, avec  cent  mille  écus,  la  promesse 
de  l'épouser ,  si  ,  dans  l'année ,  elle 
lui  donnait  un  fils.  Henri  IV  ayant 
communiqué  cette  promesse  à  Sully , 
le  ministre  indigne  la  déchira  (  Voy. 
Sully  ,  XLIV,  '20^)5  mais  aveuglé 


VER 


249 


par  son  amour  ,  le  roi  la  récrivit  et 
se  hâta  de  la  porter  à  sa  maîtresse. 
Le  tonnerre  étant  tombé  dans  la 
chambre  de  M^^*-'.  d'Entraigues, pen- 
dant sa  grossesse,  la  frayeur  la  fit  ac- 
coucher avant  terme.  Dès  qu'elle  fut 
rétablie ,  elle  se  rendit  à  Lyon ,  pour 
être  plus  rapprochée  de  son  royal 
amant  j  et  elle  y  reçut  l'hommage 
des  drapeaux  conquis  par  Henri  IV 
dans  la  Maurienne,  sur  les  troupes 
du  duc  de  Savoie.  Informée  que  le 
mariage  de  ce  prince  avec  Marie  de 
Médicis  venait  d'être  conclu  ,  elle 
quitta  brusquement  Lyon  pour  ne 
point  se  trouver  à  l'entrée  de  la  nou- 
velle reine.  Lorsque  Henri  IV  la 
rejoignit ,  elle  l'accabla  d'injures,  et 
il  ne  réussit  à  l'apaiser  qu'en  lui 
donnant  le  marquisat  de  Verneuil. 
Ce  prince  s'élant  chargé  de  la  ré- 
concilier avec  la  reine,  elle  consentit 
à  venir  habiter  le  Louvre,  où  elle  ac- 
coucha d'un  fils  (i) ,  un  mois  après 
la  naissance  du  dauphin  ;  l'année 
suivante,  elle  eut  une  fille,  qui  fut 
mariée  à  Bernard ,  duc  d'Espernon. 
L'austère  probité  de  Sully  ne  pou- 
vait manquer  de  déplaire  à  la  mar- 
quise de  Verneuil  ,  naturellement 
avare  et  exigeante  ;  plus  d'une  fois 
elle  fut  obligée  d'entendre  de  la  bou- 
che du  ministre  de  dures  vérités  ,  et 
malgré  son  ascendant  sur  l'esprit  du 
roi ,  elle  ne  put  le  faire  renvoyer.  Il 
était  impossible  que  la  reine  etla  mar- 
quise de  Verneuil  vécussent  en  bonne 
intelligence.  C'étaient  sans  cesse  de 
nouvelles  tracasseries  ,  et  Henri  IV, 
malgré  tout  son  amour ,  ne  trouvait 
pas  que  la  marquise  eût  toujours  rai- 
son. La  reine  ayant  exigé  de  Henri 
qu'il  retirât  la  promesse  de  mariage 
qu'il  avait  eu  i'imprvidence  de  faire 


(1)  Gasion-Henri  ,    d'abord   ëvèque   de  Mel7.  ^ 
puis  duc  de  Verneuil,  inorl  fnus  eiifaiils  en   i6il»v 


35o 


VER 


à  sa  maîtresse  ,  celle-ci  refusa  de  la 
rendre.  Le  roi,  pique',  lui  reprocha 
les  liaisons  plus  que  suspectes  qu'elle 
entretenait  avec  plusieurs  courtisans; 
mais  au  lieu  de  chercher  à  se  justi- 
fier ,  la  njarquise  prit  à  sou  tour  le 
ton  du  reproche  ,  et  alla  jusqu'à  lui 
dire  qu'en  devenant  vieux,  il  devenait 
déûant  et  soupçonneux  ;  qu'elle  ne 
pouvait  pas  vivre  plus  long- temps 
avec  lui;  et  elle  se  permit  ensuite  des 
mots  si  piquants  contre  la  reine,  que 
Henri  fut  sur  le  point  de  la  souffleter 
{F.  les  Ment,  de  Sulfy,  liv.  xvii).  La 
marquise  dissimula  son  ressentiment  ; 
mais  quelque  temps  api^ès  elle  fit  de- 
mander au  roi  la  permission  de  se 
retirer  en  Angleterre  avec  ses  enfants. 
Il  y  consentit ,  mais  sous  la  condi- 
tion qu'elle  luirendiait  cette  promes- 
se de  mariage  «  qu'elle  faisait ,  dit 
»  Mëzeray ,  sonner  bien  haut ,  la 
»  montrant  à  quiconque  voulait  la 
»  voir.  »  La  marquise  finit  par  la 
donner,  moyennant  vingt  mille  ecus 
qui  lui  furent  compte's  sur-le-champ  , 
et  l'espérance  de  la  dignité  de  mare'- 
chal  pour  son  père.  Quoiqu'elle  n'eût 
jamais  aime  dans  Henri  IV  que  le 
souverain^  elle  s'était  toujours  flattée 
d'amener  ce  prince  à  l'épouser  ;  for- 
cée d'y  renoncer ,  elle  osa  conce- 
voir l'idée  de  détx'ôner  son  amant  , 
et  devint  l'ame  d'une  conspira- 
tion, dont  son  père  et  le  comte 
d'Auvergne  {Foy.  Angoulème,  II, 
173  )  ,  son  frère  utérin  ,  étaient  les 
principaux  agents.  Cette  trame  ayant 
été  découverte  ,  le  roi  lui  fit  ôter  ses 
enfants ,  et  la  fit  garder  dans  son 
hôtel  par  le  chevaher  du  guet.  Henri, 
toujours  bon  ,  lui  envoya  un  de  ses 
gentilshommes  pour  lui  offrir  sa  grâ- 
ce; mais  elle  répondit  :  qu'elle  n'a- 
vait jamais  offensé  le  roi ,  et  que 
quand  il  n'y  avait  point  d'offense  il 
n'y  échéait  point  de  pardon.  Cepen- 


VER 

dant  l'affaire  s'instruisait  au  parle- 
ment. Ayant  été  mandée  devant 
les  commissaires  ,  le  même  jour  que 
le  comte  d'Auvergne^  elle  s'excusa 
d'obéir  ,  sous  le  prétexte  qu'elle  ve- 
nait d'être  saignée ,  afin  de  savoir  ce 
que  son  frère  aurait  répondu.  Lors- 
que la  marquise  de  Verueuil  sut  qu'il 
avait  tout  rejeté  sur  elle,  elle  dit 
qu'elle  ne  demandait  au  roi  que  trois 
choses  :  une  corde  pour  son  frère,  un 
pardon  pour  son  père  et  une  justice 
pour  elle  (  Voy.  Hist.  de  de  Thou  , 
liv.  i32  et  i33  ).  D'Entraigues  et  le 
comte  d'Auvergne  furent  condamnés 
à  mort.  Quant  à  ce  qui  concernait  la 
marquise  de  Yerneuil  ,  la  cour  or- 
donna un  plus  ample  informé  ,  pen- 
dant lequel  elle  resterait  détenue  à 
l'abbaye  de  Beaumont  -  les  -  Tours. 
Elle  recourut  alors  à  la  clémence  du 
roi  qui  lui  fit  grâce  entière ,  et  à  sa 
considération  commua  la  peine  des 
deux  coupables  en  une  détention. 
Henri  IV  eut  encore  la  faiblesse  de 
renouer  avec  la  marquise  ,  et  ne  se 
guérit  de  l'amour  qu'elle  lui  avait 
inspiré  qu'en  formant  une  nouvelle 
intrigue.  Oubliée  dès  ce  moment ,  elle 
passa  le  reste  de  ses  jours  tantôt  à 
Verueuil ,  et  tantôt  à  Paris  ,  où  elle 
mourut  le  9  février  i633 ,  à  l'âge  de 
cinquante  ans.  La  demoiselle  Co- 
man  ,  attachée  à  la  reine  Margue- 
rite ,  chargea  beaucoup  madame 
de  Verneuil  dans  sa  déposition , 
après  l'assassinat  de  Henri  IV;  mais 
ayant  été  condamnée  pour  faux  té- 
moignage à  une  réclusion  perpé- 
tuelle ,  on  ne  peut  tirer  de  sa  décla- 
ration aucune  preuve  contre  la  mar- 
quise. Dreux  du  Radier  a  recueilli 
des  détails  sur  la  marquise  de  Ver- 
neuil ,  tirés  des  auteurs  contempo- 
rains ,  dans  les  Anecdotes  des  reines 
et  régentes  de  France ,  iv,  274- 
3o3,  édition  de  1764,  in- 12.  Le 


VER 

portrait  de  cette  dame  a  e'té  gravé 
dans  divers  formats.  W — s. 

VERNEY  (Pierre),  médecin,  était 
né  vers  la  fin  du  quinzième  siècle  à 
Semur  dans  l'Auxois.  A  la  tète  des 
deux  opuscules  dont  on  va  parler  , 
il  prend  le  titre  de  professeur  en 
médecine  et  d'astropbilc  (  astrolo- 
gue ).  On  sait  aussi  qu'il  résidait  à 
Metz.  Les  bibliotliécaires  de  Bour- 
gogne et  de  Lorraine  n'en  font  au- 
cune mention.  On  a  de  lui  :  L  Em- 
manuel ;  pronostication  aphoristi- 
que  ,  personnelle  et  perpétuelle  du 
divin  et  maître  des  médecins ,  Hy~ 
pocras  (  sic  ) ,  compilée  et  translatée, 
etc.,  Lyon,  Leprince,  sans  date  (vers 
1 520  ) ,  in-4°.  gotli.  de  huit  feuillets, 
très-rare.  U.  Le  livre  des  principes, 
prévisions  ou  pronostiques  du  divin 
Hypocras ,  divisé  en  trois  parties  ou 
particules  ;  avec  la  protestation  et 
serment  que  ledit  Hypocras  faisait 
faire  à  ses  disciples,  traduit  du  latin , 
Lyon,  P. de  Sainte-Lucie,  iSSg,  in- 
8°,  de  dix-neuf  feuillets,  non  cbilfrés^ 
ibid. ,  Dolet,  i542  ,  in-S»,  de  38  p. 
Le  traducteur  l'a  fait  précéder  d'une 
vie  abrégée  d'Hippocrate  ,  qu'il  ter- 
mine par  ces  mots  :  Priez  pour  lui 
et  pour  moi.  Le  style  de  la  seconde 
édition  a  été  retouché ,  sans  doute , 
par  Dolet.  — Verney  (  Pierre  ) ,  mé- 
decin ,  que  l'on  a  confondu  quelque- 
fois avec  le  précédent,  était  né  vers 
1577  à  Dole  ;  pendant  quelques 
années  ,  il  suivit  les  cours  de  la  fa- 
culté de  Paris ,  où  il  reçut  ses  pre- 
miers degrés ,  et  revint  ensuite  ache- 
ver ses  études  dans  sa  ville  natale , 
où  il  prit  le  doctorat.  Il  fut  député  , 
vers  i(3o6,  à  Venise,  pour  y  voir  con- 
fectionner la  thériaque  ,  regardée 
alors  comme  un  prései'vatif  assuré 
contre  la  pesle.  De  retour  à  Dole ,  il 
partagea  son  temps  entre  la  pratique 
de  son  art  et  l'étude  de  ranatoniie  et 


VER  a5i 

de  la  botanique.  Il  fit  plusieurs  voya- 
ges pour  se  perfectionner  dans  la 
connaissance  des  plantes.  Dans  une 
de  ses  excursions,  il  rencontra  le  bo- 
taniste P.  Pcna  (T.  XXXIII,  307  )j 
et  il  assure  lui  avoir  entendu  dire  : 
«  Qu'il  n'avait  trouvé  contrée  où  il 
»  y  eût  plus  de  remèdes  et  simples 
»  qu'en  cette  petite  province  du  com- 
»  té  de  Bourgogne  (i).  »  Pourvu  de 
la  chaire  de  langue  grecque  à  l'aca- 
démie de  Dole,  il  l'échangea  bientôt 
contre  celle  d'anatomie;  et  il  se  char- 
gea de  faire  en  même  temps  des 
cours  de  matière  médicale  et  de  bo- 
tanique. On  ignore  l'époque  de  sa 
moi'tj  mais  il  paraît  certain  qu'elle 
eut  lieu  en  1 53o  ;  puisqu'on  le  voit 
remplacé  ,  dès  l'année  suivante,  dans 
la  chaire  d'anatomie  par  Claude 
Laurens  (2).  Le  seul  ouvrage  que  l'on 
connaisse  de  lui  est  :  V Antidote  apo- 
logétic  de  la  peste  ;  suivi  d'un  pe- 
tit Traité  latin  :  JDe  recto  sjrupi 
de  cassid  usu  epilogismus  ,  Dole  , 
1629,  in  -  8°.  de  174  pages.  Il 
a  laissé  en  manuscrit  des  Observa- 
tions médicales (3) , et  im  gros  Trai- 
té de  botanique  ,  iu-fol.  (  Voy.  le 
Parangon  du  lys  sacré ,  par  le  P. 
Rousselet ,  p.  65  ).  W — s. 

VERNIER  (Pierre)  est  l'inven- 
teur de  l'instrument  astronomique 
qui  porte  son  nom.  Né,  vers  i58o, 
à  Ornans  dans  le  comté  de  Bourgo- 
gne ,  il  fut  initié  de  bonne  heure  dans 
les  sciences  exactes,  par  Claude  Ver- 
nier,  sou  père,  mathématicien  très- 
instruit.  «  Dès  mes  plus  jeunesans,  dit- 
»  il  (  I  ) ,  à  l'imitation  de  feu  mon  père, 
»  je  me  suis  étudié  particulièrement 
»  à  examiner  toutes  sortes  d'instru- 

(:)  ylntidote  apologélic  ,  p.  Ç)5. 

(2)  rieg.  Ms.  de  l'université  de  Dole. 

(3)  Dans  le  Traité  apologélic,  p.  gî  ,  Verney 
renvoie  à  la  décade  de  ses  observations  De  Vomi- 
lione. 

(i)  Dédicace  à  l'infanl»  l.'abclle-Clairc-Euge'nie. 


ibi 


VER 


»)  ments,  non  -  seulement  par  spé- 
»  culation  ,  mais  par  pratique.  »  Ses 
talents  l'ayant  fait  connaître ,  il  fut 
employé,  tant  enFlandre  qu'en  Bour- 
gogne ,  à  diverses  commissions  qu'il 
remplit  d'une  manière  honorable. 
Nomme'  capitaine  -  commandant  du 
château  d'Ornans ,  il  fut ,  en  outre  , 
fait  conseiller  du  roi  d'Espagne  _,  et 
directeur-go'ne'ral  des  monnaies  au 
comte' de  Bourgogne.  Lors  de  l'inva- 
sion de  cette  province  par  les  Fran- 
çais, en  i636,  il  fut  adjoint  au  con- 
seiller Petrey  (  F.  ce  nom  ) ,  et  char- 
gé de  mettre  la  ville  de  Gray  en  état 
de  défense.  Étant  tombé  malade  peu 
de  temps  après,  il  fut  remplacé, 
dans  cette  commission,  par  J.-Maur. 
Tissot  (  F.  ce  nom) ,  son  beau-frère. 
Il  se  fit  transporter  à  Ornans;  et  il  y 
mourut  le  i4  septembre  1637  ,  dans 
un  âge  peu  avancé.  On  a  de  lui  :  La 
Construction ,  l'usage  et  les  pro- 
priétés du  quadrant  nouveau  de 
mathématiques  ;  comme  aussi  la 
construction  de  la  table  des  sinus,  de 
minute  en  minute  successivement^ 
par  une  seule  maxime;  de  plus  un 
abrégé  desdilcs  tables  ,  en  une  petite 
demi-page,  avec  son  usage;  et  fina- 
lement la  méthode  de  trouver  les  an- 
gles d'un  triangle ,  par  la  connais- 
sance des  côtés,  et  les  côtés  par  les 
angles  ,  sans  l'aide  d'aucune  table  , 
Bruxelles,  i63i ,  in- 8^.  de  122  p., 
avec  une  fig.  Cet  ouvrage  est  très- 
rare;  mais  Delambre  en  a  donné  l'a- 
nalyse détaillée ,  dans  son  Histoire 
de  V astronomie  jnoderne ,  11,  119- 
125.  «  Ce  traité,  dit  l'auteur,  ex- 
»  plique  la  construction,  l'usage  et 
»  les  propriétés  d'un  instrument  en 
»  tout  admirable,  de  mon  invention, 
»  et  qui  n'a  jamais  été  vu.  Il  est  tel- 
5)  lement  nécessaire  à  la  perfection 
»  des  sciences  mathématiques  ,  et 
»  principalement  à  l'observalion  des 


VER 

»  mouvements  du  ciel  (2)  ,  à  la  cor- 
»  rection  des  longitudes  et  latitu- 
»  des  des  régions  et  aux  mesures  de 
»  la  terre ,  que  sans  l'aide  d'iceluy  , 
»  la  science  demeure  manque  (3j , 
»  comme  elle  a  été  jusqu'à  présent 
»  (4).  »  Cet  instrument  se  compose 
d'un  quart  de  cercle ,  divisé  en  qua- 
tre-vingt-dix degrés  égaux ,  placé  sur 
un  secteur  mobile,  partagé  en  trente 
parties  égales ,  et  enfermé  dans  deux 
lignes  de  foi ,  qui  servent  à  vérifier 
la  justesse  de  la  machine  et  l'exac- 
titude des  opérations.  Quelques  as- 
tronomes avaient  donné  à  cet  in- 
strument ingénieux  le  nom  de  No- 
nius  (  Foj.  ce  nom,  XXXI  ,354); 
mais  les  réclamations  de  Lalande  en 
ont  fait  restituer  la  gloire  au  vérita- 
ble inventeur.  «  Les  améliorations  , 
dit  Delambre,  faites  à  cet  instru- 
ment, sont  une  conséquence  toute  na- 
turelle des  inventions  plus  modernes. 
Elles  se  réduisent  à  l'addition  du  mi- 
croscope ,  et  à  la  substitution  d'une 
lunette  avec  deux  alidades.  Ainsi  il 
doit,  en  toute  justice,  porter  à  ja- 
mais le  nom  de  Fernier.  »  En  termi- 
nant son  ouvrage,  Vernier  dit  «  que 
»  si  ce  petit  traité  est  bien  reçu  par 
»  les  amateurs  de  la  science ,  il  s'é- 
»  vertuera  à  mettre  au  jour  quelque 
»  chose  de  plus  relevé.  »  Mais  ses 
occupations  l'empêchèrent  sans  dou- 
te de  tenir  sa  promesse.  On  lui  attri- 
bue un  Traité  de  l'artillerie ,  resté 
manuscrit.  On  n'en  connaît  aucune 
copie.  W^ — s. 

VERNIER  (ThÉodobe)  naquit, 
le  28  juillet  1731 ,  à  Lons-le-Saul- 
nier,  d'une  famille  de  bourgeoisie. 
Après  avoir  achevé  ses  humanités  à 


(7.)  Ce  passage  semble  prouver  que  c'est  à  tort 
que  Delambre  dit  que  Tinventeiir  n'a  poiut  cii 
en  vue  les  astronomes. 

(3)  C'est-à-dire  uianchute  ,  mcoinplcte. 

(^)  yivii  au  îcctcitr. 


VER 

Besançon ,  avec  beaucoup  de  succès, 
il  se  décida  pour  la  profession  d'a- 
vocat; mais  ses  parents  le  destinant 
à  l'état  ecclésiastique ,  il  se  vit  forcé 
de  suivre  en  même  temps  les  cours 
de  droit  et  de  théologie.  Ayant  com- 
battu long-temps  le  dcsir  que  son 
père  avait  de  le  faire  prêtre  ,  pour 
ne  lui  laisser  aucun  espoir,  il  entra 
dans  le  corps  de  la  petite  gendarme- 
rie à  Lunéville.  Quoiqu'il  n'eût  pas 
une  vocation  prononcée  pour  les 
armes ,  il  sut  concilier  son  goût  pour 
l'étude  avec  ses  devoirs ,  et  mériter 
l'estime  de  ses  chefs.  Après  quelques 
campagnes ,  il  revint  à  Lous-le-Saul- 
nier;  et  dès  son  début  dans  la  car- 
rière du  barreau ,  il  se  fit  la  réputa- 
tion d'un  habile  jurisconsulte.  Le 
ministre  Saint-Germain  ,  son  parent, 
l'attira  alors  à  Paris  ;  mais  ne  trou- 
vant aucun  avantage  aux  places  qui 
lui  furent  offertes,  il  se  hâta  de  re- 
tournera Lous-le-Saulnier  pour  y  re- 
prendre ses  travaux  de  cabinet.  Dé- 
puté par  le  bailliage  d'Aval ,  en  i  -jSc), 
aux  Etats-généraux ,  il  devint  mem- 
bre de  l'assemblée  constituante,  dont 
il  fut  élu  président  au  mois  de  sep- 
tembre 1791.  Pendant  toute  la  durée 
de  cette  assemblée,  il  s'occupa  spé- 
cialement des  moyens  propres  à  ré- 
tablir l'ordre  dans  les  finances  ;  lit , 
au  nom  des  comités,  un  grand  nom- 
bre de  rapports  sur  cette  matière , 
ainsi  que  sur  les  subsistances ,  et  dut 
à  la  droiture  de  ses  intentions  ,  l'es- 
time et  les  égards  de  tous  les  partis. 
Le  département  du  Jura  l'élut  à  la 
Convention.  Lors  du  procès  de  Louis 
A  VI ,  il  déclara  qu'il  ne  se  regardait 
pas  comme  juge ,  et  vota  pour  le 
bannissement  et  pour  l'appel  au  peu- 
ple. Resté ,  par  son  caractère  ,  étran- 
ger aux  factions  qui  divisèrent  bien- 
tôt la  Convention  ,  il  rompit  enfin  le 
silence  ,  lorsque  les  chefs  de  la  Mou- 


VER  253 

tagne  eurent  dévoilé  le  projet  d'ex- 
pulser de  l'assemblée  tous  ceux  qui 
ne  paraissaient  pas  disposés  à  secon- 
der leurs  projets  sanguinaires;  et^ 
montant  à  la  tribune  (  1 3  avril  1 798), 
après  avoir  rappelé  son  vote  dans  le 
procès  du  roi,  il  ajouta  :  «  Je  suis  un 
de  ces  scélérats  avec  qui  l'on  ne  veut 
ni  paix  ni  trêve;  et  comme  je  crains 
d'échapper  à  cette  noble  proscrip- 
tion ,  je  viens  me  dénoncer  jniblique- 
ment.  »  Dans  la  discussion  qui  s'ou- 
vrit, quelques  jours  après,  sur  l'éta- 
blissement du  tribunal  révolutionnai- 
re ,  il  s'opposa  de  tout  son  pouvoir 
à  sa  formation.  Cependant  il  ne  fut 
point  proscrit ,  au  3 1  mai ,  avec  les 
députés  de  la  Gironde  (  Fo;^\  Ver- 
GNiAux);  mais  ayant  protesté  con- 
tre cette  journée  j  il  fut  décrété  d'ar- 
restation ,  avec  soixante-douze  de  ses 
collègues.  Vernier  se  réfugia  d'abord 
dans  le  Jura.  Craignant  de  compro- 
mettre les  amis  qui  lui  donnaient 
asile,  il  se  retira  dans  le  canton  de 
Zurich,  dont  les  magistrats  conçu- 
rent tant  d'estime  pour  lui ,  qu'ils  lui 
firent  l'offre  de  lettres  de  bourgeoi- 
sie. C'est  alors  que ,  cherchant  à  se 
distraire  ,  par  l'étude,  des  malheurs 
qui  pesaient  sur  la  France,  il  écrivit 
son  Traité  des  Passions ,  ouvrage 
d'une  philosophie  douce ,  et  entre- 
pris uniquement  dans  la  vue  d'être 
utile  aux  hommes,  mais  qui  se  res- 
sent malheureusement  de  l'âge  de 
l'auteur.  Rappelé  dans  le  sein  de  la 
Convention ,  par  le  décret  du  8  dé- 
cembre 1794?  il  ^t  adopter  diverses 
mesures  propres  à  rétablir  le  crédit 
public  et  à  diminuer  les  désastres  de 
la  famine.  Il  présidait  la  Convention 
dans  les  fameuses  journées  de  prai- 
rial (mai  1795),  où  quelques  fac- 
tieux ,  soutenus  d'une  partie  des  sec- 
tions de  Paris,  tentèrent  de  rétablir 
le  régime  de  la  terreur  {F.  Feraud). 


254 


VER 


lixposé  pendant  plusieurs  heures  aux 
insultes  d'une  populace  furieuse ,  il 
lui  résista  courageusement,  et  ne  quit- 
ta le  fauteuil  que  quand  ses  forces  fu- 
rent épuisées  par  cette  terrible  lutte. 
Il  remit  alors  la  présidence  à  Bois- 
sy-d'Anglas  (  V.  ce  nom ,  au  Supplé- 
ment )  ;  mais  il  ne  voulut  point  sortir 
de  la  salle ,  malgré  les  instances  de 
ses  collègues;  et  dès  qu'il  fut  en  état 
de  le  reprendre,  il  réclama  le  fauteuil, 
et  l'occupa  tant  que  dura  le  danger. 
A  la  clôture  de  la  Convention ,  Yer- 
nier  fut  élu  membre  du  conseil  des 
anciens  pour  son  département.  Il  en 
était  président  en  1796^  le  jour  an- 
niversaire du  21  janvier;  et  en  cette 
qualité,  il  prononça  le  serment  de 
haine  à  la  royauté ,  qu'il  dut  faire 
précéder    d'un    discours    analogue. 
Après  la  journée  du  18  brumaire,  à 
laquelle   il  eut  beaucoup  de  part , 
il  fut  nommé  sénateur.  Appelé  par 
Buonaparte  dans  un  de  ses   conseils 
privés  ,     Vernier    y    montra    tant 
d'opposition  à   ses  projets,  que  le 
premier  consul  ne  jugea  pas  à  propos 
de  lui  demander  à  l'avenir  son  avis. 
Aimant  avec  passion   la  vie  de  la 
campagne,  il  profita  des  loisirs  que 
lui  laissait  sadisgi-acepour  se  retirer 
à  Villeneuve- Saint-George,  près  de 
Paris  ;  et  il  y  partagea  son  temps  en- 
tre l'étude  et  la  société  de  quelques 
amis.   Ayant  appris  que  la  maison 
qu'il  habitait  était  celle  qu'avait  oc- 
cupée Le  Peletier  (  Voy.  ce  nom, 
XXXIII  ,    273  )  ,    contrôleur   des 
finances    sous    Louis  XIV  ,    il   fit 
réimprimer  la  Lettre  de  Le  Pele- 
tier  àRollin,  qui  contient  la   des- 
cription de  cette  maison,  avec  la 
traduction  et  une  nouvelle  descrip- 
tion de  ce  site  enchanteur.  Nommé, 
lors  de  son  institution,  commandant 
de  la  Légion  -  d'Honneur,  il  fut  fait 
comte,  à  l'époque  de  la  création  de 


VER 

la  nouvelle  noblesse.  Tous  ces  titres 
durent  le  flatter  d'autant  moins ,  que 
veuf  depuis  long-temps,  il  n'avait 
pas  d'enfants,  et  qu'il  ne  pouvait  es- 
pérer de  les  transmettre.  A  la  ren- 
trée du  roi,  en  18 14,  il  fut  appelé 
à  la  chambre  des  pairs.  N'ayant 
point  siégé  pendant  les  cent  jours, 
il  reprit  son  rang  au  second  retour 
du  roi  ,  et  mourut  à  Paris  le  6 
février  1818,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-sept  ans.  Depuis  quelques  an- 
nées il  avait  perdu  la  vue  ;  mais 
d'ailleurs  il  jouissait  de  toutes  ses 
facultés  morales.  Peu  d'hommes  ont 
poussé  plus  loin  que  Vernier  l'exer- 
cice de  la  bienfaisance.  Sa  fortune 
était  cependant  médiocre;  mais  il 
trouva' constamment,  dans  une  sage 
économie ,  les  moyens  d'être  utile.  Il 
était  membre  d'un  grand  nombre  de 
sociétés  littéraires,  On  a  de  lui  :  I. 
Eléments  de  finances ,  Paris,  1791, 
in-8°.  II.  Caractères  des  passions , 
au  physique  et  au  moral,  ibidem  , 
1796  ,  in-8".;  20.  éd.,  revue  et  aug- 
mentée ,  ibid. ,  1807,  2  vol.  in -8''. 
(t  C'est,  dit-il ,  le  résultat  de  mes  ré- 
flexions ,  et  plus  encore  de  ma  pro- 
pre expérience;  »  mais  il  convient 
qu'il  a  beaucoup  emprunté  à  ses  de- 
vanciei's.  III.  Sur  l'éducation,  no- 
tions générales  qui  peuvent  et  doi- 
vent être  adaptées  à  tous  les  degrés 
d'instruction,  ibid. ,  1802  ,  iu-8°.  de 
4i  pag.  ;  petit  écrit  très-substantiel, 
et  qui  pourrait  être  médité  utile- 
ment par  les  instituteurs.  V.  Châ- 
teau de  Beaure^ard  à  Villeneuve- 
Saint- Geor  ge ,  ibid.,  1807,  in -8°. 
de  48  pages  V.  Description  de  la, 
maison  de  Montorient  et  de  ses 
points  de  vue ,  par  son  propriétaire , 
Lons-le-Saulnier,  1807  ,  in  -8°.  de 
60  pag.  Vernier  avait  habité  cette 
maison  pendant  sa  jeunesse  ;  et  il  n'y 
retournait  jamais  sans  éprouver  une 


VER 

vive  émotion  de  plaisir.  Quand  il  fui 
revêtu  du  titre  de  comte,  il  y  joignit 
le  nom  de  IMontorient,  qui  lui  rap- 
pelait les  plus  doux  souvenirs.  VI. 
lies  Délices  de  la  vie  champêtre, 
ibid. ,  1807  j  in  -  S*'.  C'est  un  choix 
très-bien  fait  des  morceaux  les  plus 
agréables  en  vers  et  en  prose  sur  la 
vie  delà  campagne.  W\.  Lettre  écri- 
te du  château  de  Beauregard  à 
M.  ,  in- 12  ,  de  'II 

pag.,  Paris,  1807.  VIII.  Notices  et 
obseri>ations  pour  préparer  et  faci- 
liter la  lecture  des  Essais  de  Mon- 
taigne ,  ibid. ,  1810,2  vol.  in-8°.  ; 
ouvrage  fort  utile  aux  jeunes  gens  et 
le  seul  de  l'auteur  qui  paraisse  desti- 
né à  lui  survivre  long -temps.  IX. 
Du  bonheur  individuel ,  considéré 
au  physique  et  au  moral,  dans  ses 
rapports  avec  les  facultés  et  les  con- 
ditions humaines,  ibid.,  181 1,  in- 
8°.  L'auteur  place  le  bonheur  dans 
la  modération  et  dans  l'accomplisse- 
ment de  nos  devoirs.  X.  Abrégé 
analytique  de  la  Fie  et  des  ouvra- 
ges de  Se  Ile  que ,  ibid.,  181 2,  in-8°. 
V' Eloge  de  Vernier ,  prononcé  par 
le  comte  de  Richebourg ,  à  la  cham- 
bre des  pairs ,  est  imprimé  dans  le 
Moniteur  du  16  février  1818.  Son 
portrait  a  été  gravé  in-4''-  etin-8'. 
V^— s. 

VERNIER  (  Jean  ).  F.  Menes- 
TRiER    (Perrenin) ,  XXVIII ,    291. 

VERNINAC  DE  SAINT -MAÙR 
(  Raimond),  né  à  Gourdon  ,  dans  le 
Querci,  en  1762,  vint  de  bonne 
licure  à  Paris  ,  où  il  suivit  la  car- 
rière du  barreau  ,  cherchant  en  mê- 
me temps  à  se  faire  connaître  par 
des  pièces  de  vers  insérées  dans  les 
journaux.  Une  ligure  agréable,  une 
tournure  distinguée  ,  une  mise  élé- 
gante accompagnée  d'une  certaine 
dose  de  fatuité  ,  pouvaient  lui  ser- 
vir à  se  pousser  dans  le  monde  j 


VER  255 

mais  sans  la  révolution,  il  est. pro- 
bable qu'il  n'aurait  jamais  pu  ,  com- 
me avocat  ,  ni  comme  littérateur  , 
s'élever  au-dessus  de  la  médiocrité. 
Zélé  partisan  des  idées  nouvelles  ,  il 
ne  joua  cependant  qu'un  rôle  obs- 
cur jusqu'au  i^^"".  juiu  1791,  épo- 
que où  le  ministre  Duport-Dutertre  , 
son  ami,  le  fît  nommer,  parle  roi , 
l'un  des  trois  commissaires  -  média- 
teurs envoyés  dans  le  comtat  Vé- 
naissin  pour  y  rétablir  la  tranquil- 
lité (  Foy.  LescÈne  des  Maisons  et 
Mulot  ).  Ces  commissaires  parvin- 
rent à  mettre  fin  à  la  guerre^  non 
moins  atroce  que  ridicule ;,  qui  avait 
lieu  entre  Avignon  et  Carpentras  ,  et 
à  faire  rentrer  dans  leurs  foyers  les 
détachements  de  gardes  nationales  , 
fournis  par  les  diverses  communes 
qui  avaient  pris  parti  dans  cette  dé- 
plorable querelle;  mais  les  efforts  des 
médiateurs  échouèrent  à  Avignon.  Ils 
ne  purent  empêcher  les  brigands  de 
Vaucluse,  aux  ordres  des  Jourdan  , 
des  Duprat,  des  Mainvielle  et  des  Ro- 
vère,  d'y  rentrer  en  triomphe  et  d'y 
braver  la  municipalité  qui  s'était  op- 
posée à  leur  départ,  et  qui  avait  refusé 
de  favoriser  leurs  pillages  et  leurs  dé- 
vastations. C'est  à  Verninac  et  à  sa 
dissidence  avec  ses  collègues  ,  qu'on 
a  généralement  attribué,  et  non  sans 
raison  ,  l'ascendant  que  la  faction  ré- 
volutionnaire piit  dès-lors  sur  le  parti 
de  la  municipalité,  composé  d'hom- 
mes modérés  et  bien  intentionnés, qui 
ne  desiraient  la  réunion  de  leur  pays 
à  la  France  que  comme  un  terme 
à  l'anarchie  qui  le  désolait.  Jeune  et 
dans  la  force  des  passions ,  il  paraît 
que  Verninac  se  laissa  séduire  par 
les  charmes  de  la  femme  de  Du- 
prat ,  et  que ,  des  ce  moment ,  il  ap- 
puya les  prétentions  des  révolu- 
tionnaires contre  la  numicipalité , 
que  les  deux  autres  médiateurs  sou- 


256 


VER 


tenaient  par  ces  faibles  moyens   et 
ces   demi  -  mesures    qui    manquent 
toujours    leur    effet    dans  les   cir- 
constances difliciles.  Les  mesures  des 
anarchistes  furent  plus  promptes  et 
plus  de'cisives.  Ils  parvinrent  à  dé- 
sarmer leurs  adversaires.  Vei'ninac 
ne  rougit  pas  de  compromettre  son 
caractère  ,  en  ligurant  en  personne 
dans  cette  ope'ration.  Il  fit  plus  ;  et 
lorsque  les  démagogues  eui-ent assuré 
leur  domination  dans  Avignon  après 
la  fuite  ou  l'arrestation  des  citoyens 
qui  leur  portaient  ombrage,  il  accom- 
pagna leurs  députés  à  Paris  ;  et  dans 
un  rapport  lu  ,  le  lo  sept.  1791  , 
à  l'assemblée  constituante,  il  défen- 
dit ses  amis,  pallia  les  crimes  qu'ils 
avaient  commis  ,  rassura  sur  leurs 
projets  ultérieurs  ,  sur  les  malheurs 
qui  devaient  en  résulter  ,  et  affaiblit 
ainsi    l'impression   que    venait    de 
produire  le  compte   rendu  par  son 
collègue  Lescène  des   IMaisons,  au 
nom  de   la  commission.   L'ellet  de 
son  rapport  ayant  été  de  retarder 
l'envoi  des  nouveaux  commissaires  , 
chargés  de  mettre  à  exécution  le  dé- 
cret  qui   réunissait   Avignon   et   le 
Gomtat  à  la  France,  il  assuma  ,  en 
quelque  sorte,  la  responsabilité  des 
massacres  de  la  Glacière,  qui  ensan- 
glantèrent cette  ville  ,  les   16   et  17 
octobre  suivant.  Cette  mission  ,  dé- 
but peu  honorable  de  Verainac  dans 
les  affaires  publiques  ,  fut  le  premier 
échelon  de  sa  fortune  diplomatique^ 
tandis  que  ses  deux   collègues  ,  qui 
du  moins  l'avaient  remplie  loyale- 
ment, furentvoués  à  l'obscuritéetà  la 
persécution. Nomméchargéd'affaires 
de  France  en  Suède ,  eu  aviùl  1 7  92  ,  il 
arriva  à  Stockholm,  le  16  mai,  deux 
jours  après  les  funérailles  de   Gus- 
tave III.  Quoique  la  mort  de  ce  prin- 
ce eût  rendu  la   nouvelle    cour   de 
Suède  moins  défavorable  à  la  révo- 


VER 

lution  française ,  Verninac  n'y  fut 
pas  bien  accueilli  d'abord,  et  il  eut 
à  lutter  contre  de  justes  préventions 
qui  lui  étaient  personnelles.  Il  en 
triompha  par  sa  fermeté,  et  parvint 
à  y  faire  reconnaître  le  nouveau  pa- 
villon français.  Mais  le  scandale  que 
causa  en  Europe  l'arrivée  d'un  am- 
bassadeur de  Suède  en  France  (  Voy. 
Staël  ) ,  six  semaines  après  le  sup- 
phce  de  Louis  XVI ,  obligea  les  deux 
gouvernements  à  rappeler  respective- 
ment leurs  ministres  ,  vers  le  milieu 
de  i7f)3  ,  sans  avoir  terminé  les  né- 
gociations d'un  projet  d'alliance, 
Verninac  fut  alors  nommé  envoyé' 
extraordinaire  auprès  de  la  Porte- 
Othomane  ,  où  il  remplaça  Descor- 
ches  de  Sainte -Croix,  et  fit  son  en- 
trée à  Constantinople  le  26  avril 
1 795.  A  sa  première  audience ,  il  fut 
précédé  d'une  musique  militaire  ,  et 
escorté  d'un  détachement  de  troupes 
françaises  ,  la  baïonnette  au  bout  du 
fusil  ,  jusque  dans  la  seconde  cour 
du  sérail,  oîi  elles  présentèrent  les 
armes  au  grand-vézir  et  aux  divers 
membres  du  divan;  cérémonial  inu- 
sité jusqu'alors.  D'autres  innova- 
tions signalèrent  encore  cette  am- 
bassade. Verninac  est  le  premier 
étranger  qui  ait  fait  imprimer  et 
distribuer  une  gazette  dans  sa  lan- 
gue à  Constantinople.  Le  grand- 
vézir  lui  donna  le  titre  de  citoyen 
qu'il  prononça  en  français  ;  le  mot 
n'ayant  pu  être  traduit  en  turc.  Cet 
envoyé  notifia  à  la  Porte  les  traités 
conclus  avec  la  Prusse,  la  Hollande, 
l'Espagne  ,  etc. ,  et  détermina  l'en- 
voi d'un  ambassadeur  permanent  à 
Paris  ,  dans  la  personne  de  Séid- 
Aly-EHendi  ;  mais  traversé  dans  ses 
négociations  par  les  ministies  d'An- 
gleterre ,  de  Russie  et  d'Autriche  ,  il 
ne  put  faire  entrer  Sélim  III  dans  une 
alliance  avec  la  république  française. 


VER 

Ayant   sollicite  son  rappel ,    il  eut 
pour  successeur  Aujjert  -  Dubayct , 
et   quitta    Consfanlinople    dans    les 
premiers  jours  de  uovcuibre  1790. 
Arrêté  à  INaples  ,  et  gardé  à  vue  pen- 
dant    quelques    mois  ,    il   n'arriva 
eu   France  qu'en  mai    1797.    l^e  9 
juin  suivant,  il  fut  reçu  en  grande 
audience  par  le  Directoire  exécutif, 
auquel  il  présenta  un  étendaid  otlio- 
raan  et  un  diplôme  de  Selim  III.  Ce 
fut  peu  de  temps  a])rès  qu'il  épousa 
M'I*^.  de  Lacroix,  iille  du  ministre  des 
relations  extérieures.  Dès  la  création 
des  préiectu.res  ,  sous  le  gouverne- 
ment consulaire,  en  février   1800, 
il  fut  appelé  à  celle  du  Rhône  ,  qu'il 
administra  avec  sagesse  et  modéra- 
tion. Nommé,  au  mois  d'août  180  i  , 
ministre   plénipotentiaire  en  ilelvé- 
tie,  Verninac  fut  rappelé  à  Paris  ,  en 
octobre  1802,  sous  prétexte  d'v  as- 
sister aux  séances  de  ÏJCOJisulta  h.cX- 
vétiqne  ,  réunie  par  les   ordres   de 
Buonaparte.  Mais  comme  en  favori- 
sant l'indépendance  du  Valais  qui 
s'était  organisé  en  ré|niblique  ,  sous 
la  protection  de  la  France ,  il  avait 
contrarié   les    projets    du   premier 
consul  qui  aurait  voulu  faire  de  ce 
pays  un  nouveau  département  ,   il 
tomba   dans  la  disgrâce,   et  cessa 
d'exercer    des  fonctions    publiques. 
En   i8o5  ,    les    Valaisans    déclarè- 
rent que  Verninac  avait  bien    mé- 
rité de  leur  république, et  lui  accor- 
dèrent à  lui  et  a  sa   famille  le  titre 
et  les   droits  de    citoyens  du  Va- 
lais :  ce  témoignage  de  leur  recon- 
naissance acheva  de  lui  nuire  dans 
l'esprit  du  dominateur  de  la  Fran- 
ce. Verninac  fut  élu  ,  en  181 6,  par 
l'arrondissement  de  Gourdon,  can- 
didat à  la  seconde  chambre  légis- 
lative;    mais  il  ne  lit  point  partie 
de  la  députation.  L'âge  avait  mûri 
ses  idées  •  et  la  vérité  nous  oblige  de 

XLVIII. 


VER 


2b' 


dire  qu'ayant  eu  occasion  de  le  voir 
chez  lui,  il  nous  fit  l'aveu  sincère  de 
ses  anciens  torts  dans  sa  mission 
d'Avignon,  et  ne  témoigna  pas  moins 
de  regrets  d'avoir  coopéré  à  une  ré- 
volution qui  n'avait  abouti  qu'à  met- 
tre la  France  sous  un  joug  plus  dur 
que  celui  dont  elle  avait  voulu  s'af- 
franchir. Verninac  est  mort,  !e  i'^'". 
juin  1822  ,  dans  une  terre  qu'il  pos- 
sédait, à  Mansie  ,  près  d'Angou- 
lême.  On  a  de  lui  :  I.  Un  Re- 
cueil de  poésies  fiig;itwes ,  Paris, 
1787  ,  in- 18.  II.  Recherches  sur  les 
cours  et  les  procédures  criminelles 
d' Angleterre  ,  extraites  des  Com- 
mcutaires  de  Blackstone  sur  les  lois 
anglaises,  Paris,  1790,  in-S".  III. 
Description  physique  et  politique 
du  département  du  Rhône  ,  Paris  , 
1 8.-12,  in-80.  M.  J. -B.Dumas,  se- 
crétaire perpétuel  de  l'académie  de 
Lyon  ,  Y  a  lu^  le  29  mai  1826  ,  un 
Eloge  historique  de  R.  Fcrninac  , 
quia  été  imprimé  dans  le  tome  iv 
des  Archis^es  historiques  et  sta- 
tistiques du  département  du  Rhô- 
ne. Ce  n'est  point  lui  ,  comme 
on  l'a  dit  dans  quelques  biogra- 
phies ,  mais  un  de  ses  frères  ou  sou 
oncle  ,  l'abbé  Verninac  de  Saint- 
Maur  ,  vicaire  général  de  Rhodez  , 
qui  prononça  à  Paris  ,  le  17  février 
178(5,  V  Oraison  funèbre  de  Louis- 
Philippe  ,  duc  d' Orléans ,  dans  l'é- 
glise du  Val-de- Grâce  ,  oij  ce  prin- 
ce avait  été  enterré.  Ce  discours 
fut  analysé  avec  éloge  dans  le  Mer- 
cure Se  France  du  29  juillet  1786. 

A T. 

VERNIQUET  (Edme),  archi- 
tecte, né  le  9  octobre  1727  à  Chà- 
tillùn-sur-Seii!C,  acheva  ses  études  à 
Dijon.  Ses  talents  le  firent  prompte- 
mcnt  connaître,  et  lui  méritèrent  la 
confiance  de  ses  compatriotes.  La 
Bourgogne  lui  dut  une  foule  d'égii- 


a.îS 


VER 


ses,  des  châteaux,  des  pnnts  ,  des 
usines ,  etc. ,  et  cette  ])i-ovince  n'offre 
aucune  construction  de  la  même  épo- 
que qui  réunisse  au  même  degré 
rélégancc,  le  bon  goût  et  la  solidité. 
Appelé  successivement  dans  le  Mai- 
ne, le  Poitou,  rile-dc-France,  etc.  , 
Verniquet  y  lit  exécuter  des  travaux 
importants.  Laborieux  et  intègre,  la 
fortune  qu'il  acquit  péniblement  fut 
le  fruit  de  son  esprit  d'ordre  et  de 
son  économie.  Ses  amis  le  détermi- 
nèrent en  l'jn^.  à  se  fixer  ii  Paris  , 
où  il  acheta  la  charge  de  commissai- 
re-voyer.  Devenu  par  cette  place  ar- 
chitecte du  jardin  du  Roi,  il  réalisa 
les  projets  que  Buffon  avait  conçus 
ponrportercetétablissementau  point 
de  msgnilicence  où  nous  !e  voyons 
maintenant  Verniquet  entreprit  de 
dresser  un  plan  de  Paris  ,  sur  une 
éclielle  d'une  demi-ligne  prour  toise. 
Ce  travail  immense  lui  coûta  vingt- 
huit  ans  de  soins  et  d'applications. 
]N'e  pouvant  opérer  que  la  nuit  sur  le 
terrain ,  à  raison  des  embarras  qui 
obstruent  les  rues  pendant  le  jour,  il 
employa  pour  l'aider  jusqu'à  soixan- 
te ingénieurs ,  et  plus  de  quatre-vingts 
aides.  Ce  pian ,  composé  de  soixante- 
douze  feuilles  grand-atlas,  y  compris 
les  cartouches  et  les  cartes  des  opé- 
rations tr;gonométriques ,  parut  en 
i-j^G.  «  Aucun  plan  de  ville,  dit  La- 
»  iaiide  ,  n'a  jamais  approché  de  la 
»  perfection  de  ce  grand  et  beau 
»  plan  »  {Bibîiogr.  astronomique , 
C)(^f\  ').  C'est  celui  dont  on  s'est  servi 
pour  tracer  les  alignements*  nou- 
veaux ,  et  pour  déterminer  les  chan- 
gements et  les  embellissements  qui 
s'exécutent  dans  la  capitale  avec  tant 
de  succès.  Verniquet  s'occupait  en- 
core de  perfectionner  ce  travail ,  qui 
suffiiait  pour  lui  assurer  une  gloire 
durable,  quand  il  mourut,  le  26  no- 
vembre 1804.  Vv' — s. 


VER 

VERNON  (Edouard),  amiral  an- 
glais, d'une  ancienne  familledu  comté 
de  StaO'ord,  naquit  à  Westmms- 
tcr  le  12  novembre  i684-  Son  père, 
qui  était  secrétaire  d'état  sous  le  rè- 
gne de  Guillaume  et  Marie  ,  lui  fit 
donner  une  bonne  éducation  ;  mais 
il  ne  voulait  pas  qu'il  entrât  dans  la 
marine.  Il  y  consentit  cependant 
lorsque  le  jeune  Vernon  en  eut  té- 
moigné le  désir;  celui-ci  s'occupa 
dès -lors  avec  ardeur  de  l'étude  des 
sciences  qui  ont  rapport  au  service 
naval  et  à  l'artillerie  ,  et  d  y  fit  des 
progrès  rapides.  Il  commença  sa  car- 
rière en  1702,  sous  l'amiral  Hopson, 
àl'époque  où  la  flotte  française,  char- 
gée d'escorter  en  Europe  les  galions 
du  Mexique ,  fut  forcée  de  se  réfugier 
dans  le  port  de  Vigo  (  Foj'.  Cha- 
teau-Regnaud,  VIII ,  272  ).  II  ser- 
vit la  même  année  dans  une  expédi- 
tion qui  fut  envoyée  aux  Indes  Occi- 
dentales, sous  le  Commodore  Walker; 
et  il  se  trouvait ,  en  i  704 ,  sur  la  flotte 
de  sir  George  Rooke  qui  conduisait 
à  Lisbonne  l'archiduc  Charles ,  rival 
dePhilippe  V.  Ce  prince  donna,  de  sa 
propre  main  ,  à  cette  occasion  ,  une 
bague  de  prix  et  cent  guinées  au  jeu- 
ne oflicier  de  marine.  Après  avoir 
pris  part  à  la  bataille  navale  de  Ma- 
laga,  et  commandé  \cDelphin{  1 7o5), 
le  Royal  Oak  {l'jo']) ,  el  h  Jersey 
(1708),  il  fut  envoyé  aux  Indes 
Occidentales ,  comme  contre-amiral, 
sous  sir  Charles  Wager ,  fit ,  selon 
les  écrivains  anglais ,  des  prises 
importantes ,  et  nuisit  considérable- 
ment au  commerce  des  Français. 
¥m  1715  ,  il  commanda  dans  la 
Baltique  le  vaisseau  de  guerre  Vy4s- 
sistance  ,  et  en  1 7  26  ,  le  Grafton 
dans  les  mêmes  mers.  A  l'avènement 
de  George  II ,  en  1727  ,  Vernon 
fut  nommé  membre  du  parlement  , 
et  bientôt  après  envoyé  à  Gibraltar  , 


VER 

pour  se  réunir  à  sir  Charles  Wager. 
Ce  fut  eu  1789  qu'il  se  fit  particu- 
lièremeut  remarquer.  Il  était  dans 
son  lit  à  Ghatham ,  lorsqu'un  cour- 
rier arriva  à  deux  heures  du  matin. 
Ayant  appris  que  cet  homme  appor- 
tait des  dépêches  de  la  plus  haute 
importance ,  il  se  leva ,  ouvrit  le  pa- 
quet qui  lui  était  adressé,  y  trouva 
une  commission  de  vice-amiral,  et 
l'ordre    d'aller ,   avec   une   escadre 
dont  il  était  nommé  commandant, 
détruire  les  établissements  espagnols 
dans  les  Indes  Occidentales  ,  et  de 
se  rendre  immédiatement  auprès  du 
roi.   Après    aA^oir    reçu  ses  instruc- 
tions ,  il  mit  à  la  voile  le  23  juillet, 
et  arriva  le  20  novembre  suivant  en 
vue  de  Porto-BcUo  ,  avec  six  vais- 
seaux de   guerre.  Il  commença  ,  le 
lendemain^  l'attaque  de  la  ville,  dont 
il  s'empara  le  22  ,  après  avoir  éprou- 
vé  une    vigoureuse   résistance  :    un 
nombre  considérable  de  canons  et 
de  mortiers ,  des  munitions  et  deux 
vaisseaux  de  ligne  espagnols  tombè- 
rent également  en  son  pouvoir.  L'a- 
miral Vernon  fit  sauter  les  fortifica- 
tions ,  abandonna  la  ville ,  n'ayant 
pas  des  forces  de  terre  sutiisantes 
pour  la  garder,  et,  avant  de  partir, 
distribua  à  ses  équipages  dix  mille 
dollars   qui  avaient   été  envoyés  à 
Porto-Bello  pour  payer  les  troupes 
espagnoles.  Réuni,  eu  174^  ?  ^^  g^" 
néral  Wentworth  ,  il  fit  une  attaque 
infructueuse  contre  Carthagène(i) , 


(1)  On  lit,  dans  le  Siècle  de  f.ouh  XIV  ^  4"^  7 
lorsque  l'amir.il  Vernon  alla  mellre  le  siège  devant 
Cartbagèue,  les  Anglais  ,  qui  crurent  que  rien  ne 
lui  résisterait,  se  bâtèrent  de  célébrer  la  prise  de 
celteplace  :  de  sorte  que  ,  dans  le  temps  même  que 
Vernon  en  levait  le  siège,  ils  firent  frapper  une 
médaille  où  l'on  voyait  le  port  et  les  environs  de 
Cartbagène,  avec  cette  légende  :  Il  a  jiiis  Carllia- 
gène.  Le  revers  représentait  l'amiral  Vernon,  et 
on  y  lisait  ces  mots  :  ,-Iu  itîn^eitr  de  sa  patrie^  Il  y 
a,  ajoute  l'auteur,  beaucoup  d'exemples  de  ces 
médailles  prématurées  mii  tromperaient  la  postéri- 
té ,  si  l'histoire,  plus  fidèle  et  plus  exacte,  ne  pré- 
venait pas  de  telles  erreurs.  M — G — B. 


VER 


25g 


et,  lorsque  la  révolte  de  1745  écla- 
ta ,  il  fut  employé  à  garder  les  cotes 
des  comtés  de  Kent  et  de  Sussex  ,  et 
à  empêcher  les  vaisseaux  français 
de  pénétrer  dans  la  Manche.  Bientôt 
après,  des  plaintes  ayant  été  portées 
contre  lui ,  pour  avoir  désobéi  aux 
ordres  des  lords  de  l'amirauté  ,  et 
pour  avoir  forcé  les  hommes  qu'il 
commandait  à  un  service  trop  péni- 
ble ,  il  fut  rayé  de  la  liste  des  ami- 
raux :  s'étant  retiré,  il  ne  se  mêla  plus 
des  alïaires  publiques  qu'en  sa  qua- 
lité de  membre  de  la  chambre  des 
communes, où  il  représentaitlpswich. 
Il  mourut  subitement  dans  sa  terre 
de  Nacton,  dans  le  SuiFolk ,  le  29 
octobre  1757.  L'amiral  Vernon  , 
dont  Charnock,  dans  sa  Biog.  jia- 
i'aL,iaille  plus  grand  éloge,  comme 
marin  brave  et  habile,  et  comme 
homme  plein  d'honneur  ,  a  écrit 
plusieurs  Mémoires  pour  sa  propre 
défense  ou  pour  soutenir  ses  opinions 
particulières.  Une  Vie  de  ce  marin  , 
publiée  en  1758,  le  présente  comme 
profondément  versé  dans  la  connais- 
sance des  classiques.       D — z — s. 

VERNON  (  Gay  de).  F.  Gay  de 
Vernon  au  Supplément. 

VERNULiEUS  (  Nicolas  de 
VERNULZ, en  latin),  littérateur  es- 
timable ,  était  né  le  i  o  avril  1 583  à 
Robelmout,dans  le  duché  deLuxem- 
bourg.  Ayant  achevé  ses  études  avec 
succès  à  Trêves  et  à  Cologne  ,  il  ré- 
solut de  consacrer  sa  vie  à  l'ensei- 
gnement. En  1608  ,  il  fut  nommé 
professeur  de  rhétorique  à  Louvain. 
Trois  ans  après ,  il  joignit  à  cette 
chaire  celle  d'éloquence  à  l'école  pu- 
blique des  arts  ,  dont  le  titulaire  était 
en  même  temps  chanoine  du  chapitre 
de  Saint-Pierre.  Malgré  les  soins 
qu'exigeait  de  sa  part  ce  double  em- 
ploi ,  il  trouva  le  loisir  d'étudier  la 
^  théologie  ,  et  ,  en  1618  ,  il  se  lit  re- 

17.. 


iGo 


VER 


cevoir  iic€ncié.  L'année  suivante  ,  le 
coLie'gc  dit  de  Luxembourg  ,  fondé 
par  le  docteur  J.  Myi  ou  IMyliiis  , 
ay<iiit  élc  ouvert,  VcniuLuiis  eu  fut 
iiumijié recteur  le  pieraicr.  En  lô'jG, 
il  remplaça  le  savant  Erjcius  Pu- 
tcanus  (  Henri  Dupuy  ) ,  dans  la 
chaire  latine  du  oollege  des  trois  lan- 
gues. L'empereur  Ferdinand  111  le 
nomma  son  historiographe  ,  avec  le 
titre  de  conseiller  aulique.  Il  mo-arut 
le  6  janvier  1649,  a  l'âge  de  soixante- 
six  ans,  et  fut  inhumé  sans  épitaphe 
dans  une  des  chapelles  de  l'église 
Saint  -Pieri'e ,  à  côté  de  Puteaims , 
son  prédécesseur  et  son  ami.  Ant. 
Dave  jirononça  son  oraison  funèbre. 
Vernuheus  est  un  des  professeurs  qui 
ont  le  plus  contribue  cà  la  réputation 
de  l'univer-iité  de  Louvaln  dans  le 
dix-septième  siècle.  Il  joignait  à  des 
connaissances  très -variées  le  talent 
de  mettre  les  idées  les  plus  abstraites 
à  la  portée  des  élèves  ;  et  il  s'expri- 
mait avec  une  telle  élégance  ,  qu'il 
faisait  oublier  le  vice  de  sou  organe 
naturellement  rauque  et  désagréable. 
Ou  assure  que  Ve-imdîeus  avait  le 
travail  si  facile  ,  qu'ii  ne  retouchait 
jamais  ses  ouvrages.  Le  nombre  en 
est  très-grand;  Paquot  donne  les  ti- 
tres de  cinquautc-un  imprimés  ,  et  de 
sept  manuscrits.  On  doit  se  conten- 
ter de  citer  ici  les  principaux  :  I. 
Oratioiies ,  Loiivain,  i6i4  et  an- 
nées sniv. ,  3  vol.  in- 12.  biles  eurent 
beaucoup  de  succès,  mais  elles  sont 
complélemeut  oubliées.  II.  De  arie 
dicendi  libri  1res  ,  ibid.  ,  1629  ,  iu- 
1 2.  Ce  traité  de  rhétoi-ique  ,  suivi 
long-temps  dans  les  collèges  des 
Pays-Bas  ,  a  été  souvent  réimprimé. 
III.  Institutionuin  poUticaruvi  li- 
bri ir ,  ibid.,  1624»  in- 12.  IV. 
InstiliUiunum  invralium  libri  ir  , 
ibid.  ,  iG25j  in-12.  Cetouviagc, 
suivant  Paquot ,  est  un  des  meilleurs 


VER 

que  l'on  ait  dans  ce  genre.  V.  Insli" 
tiitinnum  œconomicarum  libri  duo  y 
ibid. ,  1626.  in-12.  Ces  trois  ouvra- 
ges ont  été  réimprimés  avec  des  no- 
tes in-fol.,  en  1G47  et  1649.  ^I* 
AcadcmiaLovaniejisis  ;  ejus  origo, 
incrementiim  ,  forma  ,  magistra- 
tus ,  facidtates ,  etc. ,  ibid.,  ''''-^-V? 
in-4".  ,  revue  et  continuée  par  Chr. 
deLangendonch,ibid. ,  1667,  in-4°. 
Cette  Histoire  de  l'académie  de  Lou- 
vain  est  moins  estimée  que  les  Fasti 
Lovanieincs  de  \  alère  André  (  V. 
ce  nom  ,  II ,  1 20  ).  VII.  Tragœdiœ^ 
ibid.,  i65f),  2  vol.  iu-12.  Cette 
édition  est  la  plus  complète  •  elle  con- 
tient quatorze  pièces,  la  pluparttirées 
de  l'Histoire  Sainte  ,  ou  des  légen- 
des pieuses  du  moyen  âge.  L'édition 
de  i63i  ,  citée  par  M.  Brunct,  n'en 
renferme  que  dix  (  J^.  le  Manuel  du 
Libraire  ).  Les  curieux  doivent  donc 
donner  la  préférence  à  celle  qu'on 
vient  d'indiquer  ;  le  second  volume 
est  précédé  d'une  Vie  de  l'auteur. 
La  tragédie  de  Jeanne  d'Arc  {Joan- 
nes  Darda  )  ,  de  Vernnlœus ,  fait 
partie  des  diïïe'rentes  éditions  de  son 
Théâtre;  elle  a  été  imprimée  sépa- 
rément, Louvain,Dormalius ,  1^29^ 
petit  in-8".  ;  cette  pièce  seule  est  l'c- 
cherchée  en  France  plus  que  tout  le 
Théâtre  de  l'auteur.  On  peut  consul- 
ter pour  plus  de  détails  ,  outre  les 
Mémoires  de  ISiceron,  tom.  xxxiii, 
38'j-9T  ,  VHistoire  littéraire  des 
Pays-Bas  ,  par  Paquot _,  i,  328-33  , 
édit.  in-fol.  W — s. 

VERNY  (Charles  (i)  ,  poète 
français  ,  né  à  Besançon  le  10  jan- 
vier 1753,  avait  fait  d'exccilcnles 
études  au  collège  de  sa  ville  natale. 
La  lecture  des  meilleurs  auteurs  ,  et 
surtout  des  poètes  ,   développa  de 


rr.  :i  ><•  iioiMm..ii  chmics-ri 

jam.iis  pris  qui;  le  premier  non 


VER 

îionne  heure  son  goût  pour  les  lettres. 
Il  apprit,  sans  maître,  l'anglais  et 
l'italien  ,  et  se  rendit  familiers  les 
chefs-d'œuvre  écrits  dans  ces  deux 
langues.  Oblige  de  prendre  un  e'tat  , 
il  entra  dans  les  aides;  mais  indigne' 
des  vexations  dont  il  était  temom  , 
sans  pouvoir  les  empêcher  ,  il  se 
démit  de  son  emploi ,  et  revint  dans 
sa  famille.  Quoique  sou  revenu  fût 
trcs-bornc,  la  simplicité  de  ses  goûts 
l'empccha  de  connaître  les  priva- 
tions ,  et  il  sut  trouver  ,  au  milieu 
de  ses  livres,  et  entouré  de  ses  amis, 
un  bonheur  que  ne  donne  pas  l'opu- 
lence. Sou  attachement  sincère  aux 
2)rincipes  du  christianisme  l'avait 
garanti  de  la  contagion  des  idées 
nouvelles  (2);  cependant  il  se  mon- 
tra favorable  à  la  révolution  ,  parce 
qu'il  n'y  vit  que  la  réforme  des  abus 
dont  il  avait  gémi.  Lors  de  la  guerre 
avec  l'empereur  d'Autriche,  il  fut 
employé  dans  les  fourrages  à  l'ar- 
mée du  Rhin.,  et  il  le  fut  ensuite  à 
Paris  dans  les  bureaux  de  l'adminis- 
tration. Etranger  à  l'intrigue  ,  et 
satisfait  de  son  modique  traite- 
ment ,  il  ne  songea  jamais  aux 
moyens  d'accroître  sa  fortune.  La 
culture  des  lettres  avait  fait  le 
charme  de  sa  vie.  Dans  ses  loisirs,  il 
s'occupait  à  revoir  ,  à  retoucher  les 
productions  de  sa  jeunesse,  et,  cé- 
dant aux  désirs  de  ses  amis  ,  il  se 
disposait  à  les  publier  ,  quand  il  fut 
atteint  de  la  maladie  à  laquelle  il  suc- 
comba le  12  janvier  1811,  âgé  de 
cinquante-huit  ans.  Verny  fut  le  meil- 
leur des  hommes.  Ses  ouvrages  res- 
pirent la  morale  la  plus  pure ,  les 
sentiments  les  plus  vertueux  ,  et  sa 
conduite  fut  constamment   eu  har- 


{-?.]  il  ne  crai^uU  pas  de  montrer  son  aversion 
pour  les  drsolanles  dooU'iiies  de  Diderot  et  des  au- 
tres philosnjilies  ,  dans  les  notes  de  son  poi  me  des 
f'  œux .  et  dans  la  première  e'ditiou  de  lioxauc. 


VErx  261 

monie  avec  ses  écrits.  On  a  de  lui  .- 
\.  Idylles  sentimentales ,  suivies  de 
mes  vœux  ,  Genève  (  Besançon  )  , 
1787  ,  in-80.  On  trouve  dans  les 
Idylles  de  la  sensibilité,  de  la  grâce, 
du  naturel.  En  lisant  ses  descrip- 
tions ,  on  devine  que  le  poète  avait 
sous  les  yeux  les  objets  qu'il  a  dé- 
peints. Mes  Fœux  sont  un  petit 
poème  en  vers  de  dix  syllabes,  dont 
il  a  puisé  l'idée  dans  Horace,  son 
auteur  favori.  IL  Roxane  ,  poème 
héroï-comique ,  en  cinq  chants ,  suivi 
de  Pièces  fugitives  (  Besançon  )  , 
ï  788  ,  in-8".  Le  sujet  de  ce  poème 
est  l'enlèvement  d'un  épagueul,  ob- 
jet de  toutes  les  alFectious  de  la  belle 
Zémis.  Il  y  a  de  l'imagination  ,  des 
détails  heureux  ;  mais  la  critique 
pourrait  y  relever  des  incorrections 
et  des  traits  de  mauvais  goût.  Cette 
édition  ne  s'étant  pas  débitée  ,  l'au- 
teur la  reproduisit  en  1795  avec 
un  nouveau  frontispice  ;  mais  il  la 
supprima  •  et  ayant  profité  des  con- 
seils qu'il  avait  reçus ,  pour  retou- 
cher et  rajeunir  quelques  détails  de 
son  poème  ,  il  le  fit  réimprimer  sé- 
parément, Paris,  1809,  in-i8.  III. 
Des  Stances  sur  le  i^  Juillet,  1 789, 
in-8t>.  et  in- 12.  IV.  Le  Départ  d'un 
volontaire  du  Jura ,  idylle  ,  Besan- 
çon ,  1792,  b\-%o.  V.  Des  Dia- 
logues, dans  le  genre  de  ceux  de 
Lucien  ,  insérés  dans  V Almanach 
des  prosateurs.  Il  a  laissé  manus- 
crite une  Traduction  en  vers  des 
Odes  d'Morace,  terminée  en  1787 
(3)  ;  —  les  Quatre  Saisons ,  poème 
en  vers  de  huit  syllabes  ;  —  un  Re- 
cueil à' Elégies  ;  —  un  Recueil  de 
Pièces  fugitives  ,  dont  quelques-unes 
ont  paru  dans  V Almanach  des  Mu- 
ses ;  —  Mes  Promenades  a  la  iriUc 
et  aux  champs ,  ^  vol.  ;  —  des  Dia- 

(3)  Voy.  liles  f^cciix  ,   note  16. 


362 


VER 


logues  en  prose,  2  vol.  j  — une  Tra- 
duction du  Voyage  sentimental  de 
Sterne;  —  quelques  Comédies  en 
prose,  non  représentées  ;  et  enfin  les 
Deux  Portraits,  ope'ra  comique, 
dont  un  auteur  connu  a  compose' 
avec  de  le'gers  changements  une  peti- 
te comédie  qu'il  a  fait  jouer  sous  son 
nom.  Voy.  une  ^courte  Notice  sur 
Vcrny ,  par  M.  Agniel ,  dans  leiVbw- 
vel  Àlmanach  des  Muses  ,  année 
i8i2,pag.  254-56.  W — s. 

VERON  (  François),  conlrover- 
siste  très  -  distingué ,  naquit  à  Paris 
vers  1575.  Sa  famille  tenait  à  des 
magistrats  de  la  chambre  des  comp- 
tes ,  et  à  des  officiers  de  la  maison 
du  roi.  Il  fît  ses  études  dans  le  col- 
lège des  Jésuites  ,  dont  il  embrassa 
l'institut  en  lôgS,  à  l'âge  de  vingt 
ans.  Dans  son  cours  de  théologie  ,  il 
s'appliqua  principalement  à  la  con- 
troverse et  y  réussit  parfaitement.  A 
peine  revêtu  du  sacerdoce ,  il  par- 
courut différentes  provinces  du  royau- 
me en  qualité  de  missionnaire.  Les 
conversions  se  multiplièrent  à  sa  voix  : 
des  grands  ,  des  savants ,  des  minis- 
tres abjurèrent  leurs  erreurs  et  re- 
tournèrent au  sein  de  l'unité.  Il  eut 
des  conférences  publiques  avec  les 
plus  célèbres  ministres  de  l'Église  ré- 
formée, les  confondit  par  ses  raison- 
nements ,  et  les  contraignit  souvent 
de  s'avouer  vaincus.  Il  sortit  de  la 
société  en  iG'20,  pour  travailler  avec 
plus  de  liberté  à  la  conversion  des 
protestants  ,  et  se  livra  à  toute  l'ar- 
deur de  son  zèle  ,  prêchant ,  dispu- 
tant, écrivant  sans  cesse.  Par  lettres- 
patentes  du  19  mars  1622,  le  roi 
l'autorisa  à  faire  ses  prédications 
dans  les  places  publiques ,  et  à  dis- 
}nitcr  avec  tous  ceux  qui  se  présen- 
teraient ,  sans  pouvoir  en  être  empê- 
ché. Différentes  assemblées  du  clergé 
de    France  joignirent   à  l'autorisa- 


VER 

tiou  royale  la  juridiction  spirituelle 
dont  il  avait  besoin ,  et  lui  allouèrent 
une  pension  de  six  cents  livres ,  s'en- 
gageant ,  en  outre,  à  payer  les  frais 
d'impression  de  ses  livres.  Il  obtint 
d'abord  la  cure  de  Saint  -  Brice  , 
mais  on  crut  bientôt  qu'il  serait  plus 
utile  dans  celle  de  Charenton ,  et  le 
chapitre  de  Saint-Marcel  la  lui  don- 
na ;  ou  bien  il  permuta  l'une  contre 
l'autre  ,  comme  l'a  dit  dans  le  temps 
un  de  ses  antagonistes.  Les  fonctions 
pastorales  ne  l'empêchèrent  pas  de 
voyager ,  de  tenir  des  conférences  à 
Saint-Germain-des-Prés  ,  au  collège 
de  Cambrai ,  et  de  publier  divers  ou- 
vrages. Lorsque  les  querelles  du  jan- 
sénisme commencèrent,  le  curé  de 
Charenton  se  prononça  avec  beau- 
coup de  chaleur  contre  les  disciples 
de  l'évêque  d'Yjîres.  Il  écrivit  à  cette 
occasion  le  Bâillon  des  jansénistes  , 
comme  il  avait  écrit  dans  sa  jeunesse 
X  Abrégé  de  Vartet  méthode  nouvelle 
pour  bâillonner  les  ministres  ;  ce 
qui  a  fait  dire  que  l'auteur  méritait 
le  bâillon  qu'il  voulait  mettre  aux 
autres  {F.  Drelincoxjrt  et  Jansse). 
Véron  mourut  à  Charenton  le  6 
décembre  1649.  Ses  principaux 
ouvrages  sont  :  I.  Traité  de  la 
puissance  du  pape ,  Paris,  1626, 
in-8'\  On  y  trouve  le  passage  sui- 
vant :  «  Bien  que  l'Église  ait  juri- 
•n  diction  sur  les  rois,  cette  puissance 
»  ne  s'étend  pas  sur  les  royaumes. 
»  Les  rois  sont  dans  l'Église  et  non 
»  le  royaume  :  il  est  donc  hors  du 
»  pouvoir  de  l'Église  et  du  pape. 
»  C'est  l'Église  qui  est  dans  le  royau- 
»  me.  Que  s'ensuit -il  de  là  ?  C'est 
»  (\nc  tant  s'en  faut  que  le  pape  ni 
»  l'Église  aient  rien  à  voir  sur  les 
»  royaumes ,  qu'au  contraire  les  rois 
»  ont  puissance  sur  l'Église,  parce 
»  qu'elle  est  dans  le  royaume.  »  II. 
De  la  primauté  de  l'Eglise ,  ou  de 


VER 

la  hiérarchie  en  icelle,  Paris,  1 64 1 , 
in-8".  L'auteur  s'exprime  véritable- 
ment dans  ce  Traite'  en  bon  théolo- 
gien. \\\.  Abrégé  et  résolution  ana- 
lytique de  toutes  les  controverses , 
Paris,  i63o,  in-24.  IV.  Actes  de 
la  conférence  entre  Véron  et  M. 
Isaac  Lecomte ,  d'une  part,  et  MM. 
Samuel  Bochart  et  Jean  Baille- 
hache,  ministres,  de  l'autre ,  Caeii, 
1629  ,  in- 12,  Un  protestant  deman- 
dait à  lin  catholique  ,  après  cette 
conférence,  ce  qu'il  en  pensait  •  celui- 
ci  re'poudit  :  «  Pour  vous  dire  la  ve- 
»  rite  ,  on  ne  peut  pas  assurer  que 
»  notre  savant  soit  pins  savant  que 
»  votre  savant;  mais  en  recompense 
»  notre  ignorant  est  dix  fois  plus 
1»  Ignorant  que  votre  ignorant.  »  V. 
Le  mojen  de  la  paix  chrétienne  , 
Paris,  lôip,  in-8".  ;  ouvrage  très- 
curieux.  VI.  Lumières  éi'ajigéli- 
ques,  Paris  ,  1646,  in- 16.  VII.  Mé- 
thode de  traiter  les  controverses  de 
religion,  Paris,  i638,  in -fol.  Ce 
livre  ,  un  des  plus  forts  qui  puissent 
être  opposes  aux  protestants  ,  avait 
été'  imprimé  vingt  fois  auparavant  , 
à  dater  de  161 5  ,  en  différents  for- 
mats ,  en  divers  pays ,  en  trois  ou 
quatre  langues ,  avec  des  additions 
plus  ou  moins  considérables  ,  et 
sous  des  titres  un  peu  modifiés.  La 
plupart  des  livres  du  P.  Véron,  com- 
posés avant  163-7  ,  ont  été  refondus 
dans  sa  Méthode  ,  ou  n'en  sont  que 
des  analyses  et  des  abrégés.  VI tl. 
Règle  générale  de  la  foi  catholi- 
que,  Paris,  1645,  in-fol.  ;  Lyon  , 
i6']4,in-i2;  Paris,  1826  ,  in- 16. 
Cette  édition  contient  une  Notice  dé- 
taillée sur  le  P.  Véron  et  sur  ses  ou- 
vrages ,  par  l'auteur  de  cet  article. 
La  Bègle  générale  de  la  joi  catho- 
lique fut  traduite  en  latin  par  les 
jésuites  d'Ingolstadt.  Les  frères  Wa- 
lerabourg  y  firent  de  très-légers  chau- 


VER 


263 


gements  de  forme  ,  et  la  donnèrent  , 
en  I G8 1 ,  à  la  fin  du  second  volume  de 
leurs  Controverses.  Elle  fut  réimpri- 
mée à  Louvain,  en  l'^oij  à  Paris , 
par  les  soins  de  Godescard,  en  i  -^68, 
in-i2;et,  eu  1774^  dans  le  tome 
troisième  des  Principes  de  la  reli- 
gion naturelle  et  révélée  ,  du  doc- 
teur Hoock.  L'original  est  préférable 
à  la  traduction.  L — b — e. 

VÉRON  (  Pierre-Antoine  ) ,  as- 
tronome ,  né  aux  Authieux-sur-Bu- 
chy,  en  1736,  de  parents  peu  fa- 
vorisés de  la  fortune ,  manifesta  de 
bonne  heure  des  dispositions  pour  les 
mathématiques.  Destiné  par  sou  père 
à  l'état  de  jardinier,  il  se  sentit 
au-dessus  d'une  telle  profession  ,  et 
se  rendit  à  Rouen ,  chez  un  oncle  , 
qui ,  frappé  de  son  excellent  juge- 
ment ,  et  approuvant  son  goût  pour 
la  navigation  ,  le  fît  inscrire  dans  les 
classes  de  la  marine  ,  en  1757  ,  puis 
lui  donna  un  maître  de  mathématiques 
et  d'iiydrograpliie.  Satisfait  de  ses 
progrès ,  il  l'envoya  suivre  un  cours 
au  collège  royal  à  Paris ,  sous  La- 
lande.  Après  avoir  terminé  ses  études , 
Véron  s'embarqua,  en  1762,  sur  le 
vaisseau  le  Diadème ,  d'où  il  passa 
sur  le  Sceptre  ,  et  fut  mis  enfin, 
comme  pilote,  en  1765  ,  à  bord  de 
la  Capricieuse ,  oii  son  savoir  le  fit 
rechercher  par  M.  de  Charnières  qui 
remplissait  sur  ce  bâtiment  le  grade 
de  garde-marine.  Il  inspira  à  cet  offi- 
cier le  goût  des  observations  astro- 
nomiques appliquées  à  la  navigation  • 
et  celui-ci  eut  la  franchise  de  recon- 
naître les  obligations  qu'il  avait  à 
Véron,  dans  le  Mémoire  qu'il  publia 
depuis  (1767)  sur  un  instrument 
propre  à  mesurer  la  distance  de  la 
lune  aux  étoiles ,  et  qu'il  nomma  le 
Mégamètre.  Lorsqu'en  1766,  Bou- 
gainville,  se  disposant  à  faire  le  tour 
du  monde ,  manifesta  le  désir  d'à- 


V.64 


VEK 


voir  avec  lui  un  astronome  pour 
observer  les  longiludcs  ,  le  jeuiie 
Yeron  lui  l'ut  propose'  et  il  l'accepta  j 
mais  on  ne  put  obtenir  pour  lui  y 
du  duc  de  Praslin  ,  alors  ministre  , 
que  le  titre  de  pilote  avec  une  mo- 
dique somme  de  douze  cents  francs 
])our  acheter  des  instruments.  Eu 
février  1 76"],  Véron  partit  de  Roche- 
fort,  sur  la  ilûte  V Étoile  qui  mouilla, 
le  10  juin  suivant,  à  Rio- Janeiro,  et 
de  là  il  passa  à  bord  de  la  fre'j^ate  la 
Soudeuse  qnemoutait  Bougainville. 
Ce  navigateur ,  appréciant  tout  le 
mérite  du  jeune  astronome  ,  l'admit 
dans  son  intimité'.  Ils  cnlicrcnt,  le 
5  décembre  1 767  ,  dans  le  détroit  de 
Magellan,  et  eu  sortirent  le  26  jan- 
vier, au  bout  de  cinquante-  quatre 
jours  de  navigalioii  ;  passage  d'au- 
tant plus  remarquable,  qu'avant  lui 
des  marins  avaient  attendu  huit  mois 
sans  pouvoir  le  franchir.  Après  di- 
verses relâches  ,  ou  aborda  ,  le  8 
novembre  1768  ,  à  rUe-de-Francc. 
lîougaiuville  ,  charmé  des  services 
de  Véron  ,  lui  fil  présent  d'une  ])en- 
dulc  à  secondes  et  d'un  graphomètre 
pour  lever  des  plans.  Quelque  mo- 
deste (pie  fût  ce  jeune  homme,  sou  ta- 
lent le  rccomma!:dait  partout  :  il  plut 
par  ses  connaissances  à  M.  Poivre , 
intendant  de  la  colonie,  qui  l'engagea 
à  rester  auprès  de  lui  pour  faire  des  ob- 
servations aslronomiqr.es,  dans  le  but 
de  déterminer  lapos'tion  de  quelques 
îles  de  la  mer  des  Indes ,  et  de  suivre 
inie expédition  dans  laqueiieil  lui  se- 
rait utile,  ainsi  (|ue  pour  l'observa- 
tion (lu  passage  de  Venus  sous  le 
disque  du  suJeil  ,  (pii  devait  arriver 
le  5  juiu  1769.  Bougaiiiville  permit 
à  Véron  d'accepter  ces  oliies  ,  et  le 
jeune  astronome  jirolila  de  ces  cir- 
constances afin  de  leudre  sou  voya- 
ge encore  plus  utile  aux  progrès 
des  sciences.  Il    lui    fut  cependant 


VER 

inijiossilile  de  partira  temps  de  l'IIe- 
dc-t'rance  pour  aller  observer  le  pas- 
sage de  Vénus;  mais,   ne  pouvant, 
rester  inactit",  il  fit  voile  avec  M.  de 
Trémignou  pour  les  Moluques ,  sur 
la  corvette  le  Diligent.  Avant  son 
départ ,  il  adressa  au  duc  de  Praslin 
une  lettre  détaillée  ,  contenant    les 
observations  qu'il  avait   faites    sur 
le  dë.'roit  de  Magellan  et   dans  la 
mer  du  sud  ,  à  l'île  de  Cythère,  ainsi 
que  les  résultats  de  l'éclipsé  de  soleil 
du  1 3  juillet  17O8,  qu'il  avait  ob- 
servée au  sud  de  la  partie  de  l'est 
de  la  Nouvelle  -  Bretagne;   ce    qui 
iixait  la  largeur  de  la  Mer  Pacifique 
dans  cette  partie.  11  s'appliqua  conti- 
nuellement, dans  le  cours  de  ce  grand 
vovage  ,  à  l'observation  des  longi- 
tudes en  mer,  par  le  moyen  de  l'oc- 
tant à  réflexion,  auquel  il  com]itait 
faire    des  additions    qui   l'auraient 
perfectionné.  11  détermina  aussi,  par 
le   même   moyen  ,  la   longitude   de 
toutes  les  terres  ;  mais  son  zèle  ne 
tarda  pas  à  lui  devenir  funeste.  M. 
de  Trémignou  était  allé  beaucoup 
plus  loin  qu'il  n'avait  d'abord  l'csolu. 
Véron  ,  qui  l'avait  suivi,   après  de 
nombreuses   observations    dans    les 
îles  de  Miudanao  et  de  Lucon  ,  abor- 
da avec  lui  à  Timor.  Là ,  il  voulut 
descendre  à  terre  pour  faire  des  o!>- 
servations  plus  suivies  ;  vainement 
on  lui  représenta  le  danger  au{juei  il 
s'exposait;   il   était   dans    toute  la 
vigueur  de  l'âge ,   et  crut   pouvoir 
braver  la  maladie  du  pays  ;  mais  il 
en  fut  atteint  et  il  y  succomba  dans 
les  premiers  jours  de  mai   1770,  à 
peine  âgé  de  trente-quatre  ans.  Vé- 
r(jn  méritait  de  sortir  de  l'oubli  où 
l'ont   laissé  tous    les  biographes,  à 
l'exception  de  M.  Guilhert,  son  com- 
patriote, à  qui  nous  devons  la  con- 
iiaissancedcs  faits  consignés  dans  cet- 
te Notice  j  et  uoîaiuuicnt  de  la  lettre 


VER 

originale  au  duc   de    PrasHn  ,  que 
nous  avons  citée.  M — g — r. 

VÉRON.  F.  FORBONNAIS. 

YÉRONÈSE(Paul).  V.  Caliari. 
'  VERPOORÏENN  (Guildaume), 
ne  à  Lubecli ,  dans  le  commencement 
du  dix-septième  siècle  ,  appartenait 
à  une  famille  protestante  ,  qui  avait 
quitté  les  Pays-Bas^  pour  se  sous- 
traire aux  jiersécutions  du  duc  d'Al- 
Le.  En  i632  ,  il  était  surintendant 
à  Lubeck ,  d'où  il  fut  appelé  à  Co- 
bourg  ,  pour  y  remplir  les  fonctions 
de  surmtcndant -général.  Comme  il 
avait  toute  la  confiance  du  duc  Er- 
nest ,  il  lui  insinua  qu'il  serait  im- 
portant pour  le  bien  de  la  religion 
réformée,  quel'on  établît  un  tribunal 
de  don/.e  théologiens  qui  fût  cbargé 
d'examiner  les  questions  difficiles, de 
les  décider  j  etd'éfouflér  ainsi  les  dis- 
sentions qui  agitaient  les  différentes 
sectes  de  la  réforme.  On  aurait  ainsi 
ï'établi,  dans  les  communions  réfor- 
mées ,  Iti  principe  de  l'autorité  qui 
cependant  avait  fourni  des  motifs 
apparents  pour  abandonner  l'Église 
catholique.  Le  prince  goûta  beau- 
coup le  projet;  mais  voulant,  sur  un 
objet  si  imjiortant,  consulter  le  Da- 
nemark et  la  Suède ,  il  envoya  à 
Copenhague  et  à  Stockholm  son 
iils  ,  le  prince  Albert,  accompagné 
de  Verpoortenn ,  pour  proposer  et 
discuter  la  mesure.  Elle  fut  accueillie 
àja  cour  de  Stockholm;  mais  elle  dé- 
plut à  celle  de  Dresde  ,  (|ui  y  trouva 
de  grandes  dilficultés.  La  plus  forte 
élaitquc  ce  tribunal n'auraitrcça son 
autorité  que  des  puissances  terrestres 
imxqueUes  Jésus -Ciirist  n'a  point 
conlié  la  mission  de  décider  les  ma- 
tières qui  tiennent  à  la  foi.  Verpoor- 
tenn mourut  à  Cobourg  ,  en  iG85  , 
sans  avoir  vu  ré;:ss!r  son  projet. — 
ViiRrooRTENN  (  Pliilippc-Théodore  ) , 
iils  du  précc'deut,  prcfciscurdc  lan- 


VER 


•iGT) 


gue  grecque  et  de  poésie ,  à  l'univer- 
sité de  W^ittemberg  et  à  Altdorf ,  né 
à  Cobourg,  le  4  mai  iGS-y ,  mourut 
à  Altdorf,  le  3o  décembre  1712.  11 
a  publié  :  L  Bcgnum  Salaminiuni 
in  Cypro  ,  Cobourg,  17041  in-4". 
IL  De  ducatihus  in  veleri  Gcrma- 
niœ  re^no  hœreditariis , ibid.,  1 707, 
in-4".  IlL  De  peregrinonim  apud 
Grcpcos  veteres  conditioue  ^  ibid., 

1708,  in-4°.  IV.  Discrepantia  Dei 
et  hominum  de  scholis  judicia  ^  ib. , 

1709,  in -4".  V.  Ovidii  Nasonis 
Tristiimi  Lihri  V ,  et  Epistolarum  ex 
Ponto  Lihri  IV ,  scholiis  perpetuis 
explanati,  ibid.,  17  12,  in-8°.  Voy. 
Vita  Philip ,  Theod.  Ferpoortennii, 
par  Fischer  ,  Cobourg ,  1731,  in-8"^'. 
—  Verpoortenn  (  Albert-Menon  ) , 
frère  du  précédent  ,  né  à  Gotlia  le 
12  octobre  167^*,  a  rempli  des  fonc- 
tions honorables  dans  l'instrnclioa 
pubhque  à  Cobourg  et  à  Dantzig.  Il 
mourut  dans  cette  dernière  ville  ,  le 
3  juin  1752  ,  n'ayant  que  depuis 
quelques  mois  pris  congé  du  collège 
dont  il  était  le  recteur.  Il  parlait  la 
plupart  des  langues  vivantes  ;  mais 
û  s'était  surtout  attaché  à  la  littéra- 
ture grecque.  I!  a  publié  :  I.  Com- 
mentatio  historica  de  Martino  Bu- 
cero  ,  Cobourg  ,  1709  ^  iii-8*^.  IL 
Histoire  de  la  ne  forme ,  dans  le 
duché  de  Cobourg  (allem.)  ,ibid.  , 
1722  ,  iu-8'^.Dans  cet  ouvrage  , l'au- 
teur remonte  jusqu'au  siècle  où  le 
christianisme  fut  introduit  en  Frau- 
conie.  lîL  Dissertationcs  ad  theo- 
logiam  ,  maxime  exegeticam  ,  et 
philologiam  sacram pertinentes ,  ad 
illustranda  varia  velcris  et  7iovi 
Testamenti  loca  ,  ib. ,  1738.  G-Y. 

VERRES  (  C.  LiciNius) ,  le  plus 
célèbre  concussior.naire  dont  l'his- 
toire fasse  mention  ,  naquit  à  Rome 
d'une  branche  peu  connue  de  l'an- 
cienne et  illustre  famille  Licinia.  Il 


26(5  VER 

est  probable,  quoique  les  monuments 
à  l'appui  nous    manquent,   que   sa 
naissance  doit  être  portée  à  l'an  1 1  g 
avant  J.-C.  ,  peut-être  même   aux 
années    121  ou  i'i7..    Sa  jeunesse, 
ainsi  que  celle  de  presque  tous  les  fils 
de  patriciens,  se  passa  au  milieu  d'in- 
fâmes débauches  ,  et  au  sein  d'une 
mollesse  dont  on  commençait  à  faire 
gloire  ,  et  qu'on  nommait  philoso- 
phie. Verres  se  fit  épicurien  et  ama- 
teur de  beaux  tableaux  ,  de  statues  , 
de  bas-reliefs  ,   etc.    Arrivé  à  l'âge 
viril  ,  il  se  mit  sur  les  rangs  pour 
briguer  les  charges  publiques  ,  et  à 
la  faveur  des  troubles  et  de  l'enthou- 
siasme qu'il  manifesta  pour  la  cause 
du  peuple  et  la  mémoire  de  Marius  , 
il  fut  nommé  questeur  de  Carbon , 
qui  avait  été  consul  deux  ans  aupara- 
vant ,  et  qui  alors  avait  un  comman- 
dement dans  la  Gaule  cisalpine  (86 
avant  J.-C.  ).  Mais  au  bout  de  quel- 
ques mois  ,  feignant  un  grand  zèle 
pour  la  cause  des  optimates,  il  aban- 
donna son  général ,  et  passa  dans  les 
rangs  ennemis ,  emportant  la  caisse 
militaire.   Ce   crime   était    d'autant 
plus  horrible  ,  que ,  d'après  la  dis- 
cipline romaine ,  il  y  avait  un  lien  en 
quelque  sorte  paternel  entre  le  con- 
sul et  son  questeur.  Aussi,   tout  en 
profitant  de  l'infamie  de  Verres,  Syl- 
la  ne  lui  témoigna  ni  estime  _,  ni  con- 
fiance ;    il    lui   laissa    seulement    la 
jouissance    des    sommes    immenses 
qu'il  venait  de  s'approprier  ,    et  lui 
abandonna  ,  lors  des  proscriptions  , 
les  biens  de  quelques-unes  de  ses  vic- 
times (84  avant  J.-C.) ,  faveur  que 
sans  doute  Verres  mérita  ou  reconnut 
par   quelque  insigne  atrocité.  Deux 
ans  après,  sous  le  consulat  du  dicta- 
teur et  de  Q.  Métellus  Pius  ,  il  passa 
en  Asie  à  la  suite  du  proconsul  Dola- 
bella,  avec  le  titre  de  son  lieutenant, 
et  fut  chargé  de  conduire  la  guerre 


VER 

contre  les  pirates.  Pirate  raille  fois 
plus  audacieux  que  ceux  qu'il  était 
chargé  de  poursuivre,  il  abusa  de  tous 
les  droits  et  de  toutes  les  prérogatives 
que  lui  conférait  sa  charge,  pour  pil- 
ler impunément  la  province.    A  Si- 
cyone ,  il  exige  du  premier  magistrat 
une  somme  considérable ,   et  sur  son 
refus  il  le  fait  brûler  à  demi  dans  un 
brasier  j  à  Milet,   il  s'empare  d'un 
vaisseau  magnifique  ,  le  vend  et  en 
garde  le  prix  ;  à  Délos ,  à  Samos  ,  à 
Ténédos ,  Athènes  ,  Aspende  ,  il  dé- 
pouille les  temples  de  leurs   orne- 
ments, alléguant  les  besoins  de  l'é- 
lat  ,  mais  se  gardant  bien  de  rien 
faire   entrer  dans    les    coffres    pu- 
blics ;    partout    enfin    il    fait    des 
réquisitions  de  cordages  ,  d'armes , 
de  vivres ,  et  permet  à  chaque  ville 
d'acheter  ,   moj^ennant  un  don  con- 
venable ,  l'exemption  du  tribut  qu'on 
lui   impose.   S'il  se  fût  borné  à  ces 
déprédations  ;,  les  alliés  qu'il  volait 
impudemment  lui  eussent  peut-être 
pardonné.  Mais  à  une  insatiable  cu- 
pidité il  joignait  une  horrible  disso- 
lution  de   mœurs   et  une  inflexible 
cruauté.  Reçu  à  Lampsaque  ,  ville 
hors  du  département  de  Dolabella  , 
il  y  devient  éperdument  amoureux 
de  la  fille  d'un  riclie  citoyen  nommé 
Philodamus  ,   et  donne  ordre  à  ses 
licteurs  de  l'enlever.   La  jeune  fille 
résiste  ;  son  père ,  son  frère ,  leurs 
esclaves  repoussent ,  les  armes  à  la 
main  ,  les  satellites  du  lieutenant  ;  le 
peuple  s'ameute  ;  un  licteur  est  tué  j 
déjà  la  foule  court  à  la  maison  qu'oc- 
cupe Verres  ,  l'investit ,  l'entoure  de 
bois  ;  la  flamme  va  s'élever  ,  et  nulle 
force    humaine   ne   peut  le  sauver 
quand  les  sollicitations  des  chevaliers 
et  des  négociants  romains  apaisent 
la  multitude ,  et  permettent  au  trem- 
blant   général  de  s'enfuir  par  une 
ports  secrète.  Qui  le   croirait  ?  au 


VER 

bout  de  quelques  jours  ou  informe 
contre  Philodamus  j  et  Verres,  avec 
DolabcUa  et  tous  ses  officiers ,  siège 
au  banc  des  juges.  L'innocence  des 
accuse's  est  reconnue  par  une  pre- 
mière sentence  :  Verres  s'indigne, 
exige  un  second  jugement ,  intimide 
le  gouverneur  de  Bitliynie  ,  Néron  , 
et  enfin  extorque  la  condamnation  à 
mort  des  deux  hommes  qui  ont  ose' 
l'arrêter  dans  ses  tentatives    crimi- 
nelles, et  tous  deux  subissent  la  peine 
capitale  au  milieu  de  la  place  publi- 
que de  Laodicée.   Tant  de  forfaits 
n'empêchèrent  pas  que  quelques  an- 
nées après  (  'jQ  avant  J.-C.  ) ,  il  ne  fût 
nomme'  prêteur  ,   et  n'obtînt  le  plus 
beau  département,  celui  que  les  Ro- 
mains nommaient  la  prëture  de  la 
ville.    Cette  charge  cminente  qui  le 
mettait  à  la  tcte  de  toute  la  justice 
civile  de  Rome ,  et  qu'il  remplit  sous 
le  consulat  de  Lucullus  et  de  Pompée 
(  75  avant  J.-C),  ne  fut  pour  lui 
qu'une  occasion  de  commettre   de 
nouvelles  exactions.  Une  courtisane 
grecque ,  nommée  Chélido,  le  gouver- 
nait à  son  cré  et  décidait  d'avance  , 
d  après  son  caprice  ou  son  mteret , 
l'issue  de  toutes  les  procédures.  Ainsi 
il  vendit  la  justice ,  depuis  le  commen- 
cement jusqu'à  la  fin  de  sa  préture: 
sans    cela  eût  -  il   suffi   aux  désirs 
d'une  femme  encore  plus  insatiable 
de  richesses  que  de  pouvoir  ?  Après 
avoir  donné,  pendantun  an,  à  Rome 
et  à  l'Italie  cet  odieux  spectacle  ,  il 
fut   envoyé  en  Sicile  avec  le  même 
titre  ,  et  succéda  à  Caïus  Sacerdos. 
Il  ne  devait  d'abord  rester  qu'un  an 
en  charge  ;  mais  des  circonstances 
particulières  firent  qu'il  obtint  à  deux 
reprises  une  prorogation  ,  et  que  la 
durée  totale  de  son  administration 
fut  de  trois  ans.   Il  en  profita  pour 
multiplier  les  excès  de  tout  genre  ,  et 
exécuter  en  grand  ce  qu'il  avait  huit 


VER  267 

ans    auparavant  ébauché   en    Asie. 
Si  à  Rome  ,  ni   les  lois ,  ni  la  pu- 
blicité, ni  les  surveilla  iices  rivales  du 
sénat  et  du  peuple ,  ne  pouvaient  ar- 
rêter les  prévarications  d'un  magis- 
trat éhonté  ,    que  devait-il   arriver 
dans  une  province  où  le  proconsul  , 
le  préteur  possédaient  plus  de  préro- 
gatives et  d'autorité  que  des  rois  ,  où 
non-seulement  la  justice ,   mais  en- 
core les    finances  ,  les   troupes  de 
terre  et  de  mer  ,  les  approvisionne- 
ments, l'administration  entière  étaient 
concentrés  dans  ses  mains?  Il  n'est 
pas  d'acte  d'aA^arice ,  de  libertinage  , 
de  barbarie  et  d'extravagance  que  le 
maître  éphémère  de  la  Sicile  ne  se 
plût  à  commettre.  Les  villes  soumi- 
ses  à  d'énormes  contributions  ,  les 
sommes  détournées  de  leur  destina- 
tion ,  les  vaisseaux  de   guerre  vi- 
des de  soldats  et  de  munitions ,  les 
exemptions    de  tout    genre  prodi- 
guées à  ceux  qui  pouvaient  les  ache- 
ter, les  flottes  romaines  prises  par 
suite   de    sa   négligence  ,    le  pavil- 
lon des  pirates  arboré  en  triomphe 
dans  les  ports  de  Syracuse  ;  les  in- 
fortunés capitaines  qui  avaient  été 
vaincus  ,  faute  de  soldats  et  faute  de 
vivres ,  exécutés  impitoyablement  au 
milieu  de  la  place  publique j  un  ci- 
toyen romain  ,  un  chevalier,  crucifié 
au  bord  de  la  mer ,  à  la  vue  du  dé- 
troit et  de  la  terre  d'Italie  ;  enfin 
les  maisons  et  les  temples  dépouillés 
de    tous   les  ouvrages   en    or ,    en 
argent  ,  en   marbre  ,    en  ivoire  et 
en  bronze  ,  et  deux  vaisseaux  expé- 
diés à  Rome  d'année  en  année  pour 
y  transporter  les  richesses  ravies  à  la 
Sicile  :   tels   sont   les  traits  carac- 
téristiques d'un  gouvernement  dont 
la  seule  pensée  suffirait  pour  dégoû- 
tera jamais  de  tout  ce  qui  se  nomme 
conquête,  protectorat  ou  occupation. 
Cependant   le   préteur   se  vit  enfin 


aG8 


VER 


Remplacé,  et  fut  contraint  de  revenir 
à  Rome.  Des  accusaleiirs  y  étaient 
arrives  avant  lui ,  et  suliicilaiciit  sa 
puiiitiun,  au  nom  de  toute  la  Sicile 
cl  de  toutes  les  [jrovinccs.  Mais  les 
plaintes  isole'es  de  ces  provinciaux 
ne  produisaient  que  peu  d'cflét.  Le 
peuple  n'e'tait  rien  alors  ;  et  les  no- 
bles, qui  voulaient  piller  ,  chacun  à 
son  tour  ,  ces  Lellcs  contrées  ,  et 
qui  les  rej^ardaient  comme  autant 
de  inine3  inépuisables,  se  souciaient 
peu  de  voir  condamner  celui  qu'ils 
brûlaient  d'imiter.  D'ailleurs  i'au- 
dacieux  concussionnaire  avait  pour 
lui  ses  richesses  et  la  cupidité  pu- 
blique. II  savait  que  Rome  était 
])leine  de  consciences  à  vendre ,  et 
il  avait  de  quoi  les  acheter.  Il  le 
répétait  partout ,  au  Forum  ,  au 
théâtre  et  à  ses  ennemis  comme 
à  ses  amis.  II  se  moquait  de  ces  vo- 
leurs timides  qui  volent  à  peine  de 
quoi  vivre.  Il  se  vantait  d'avoir  as- 
sez amasse'  par  ses  brigandages  pour 
ne  pas  être  juridiquementdcclarë  bri- 
gand. 11  avait  divise  ses  trois  années 
de  larcins  en  trois  parts ,  une  pour 
son  avocat,  une  pour  ses  jnges  et  une 
])our  lui.  Ces  propos,  souvent  lances 
dans  le  public ,  n'indignaient  que  quel- 
ques h  ommcs  de  bien  ;  et  Verres  pou- 
vait  se  promettre,  non  -  seulement 
l'absolution ,  mais  encore  le  consulat, 
si  les  Siciliens  n'eussent  choisi  pour 
leur  défenseur  Cicéron.  Cet  orateur 
était  déjà  connu  par  quelques  plai- 
doyers regardes  comme  des  œuvres 
d'éloquence  et  des  actes  de  courage. 
Animé  par  l'amour  de  la  gloire, 
par  la  haine  du  crime  et  de  la 
lâcheté,  par  l'espoir  des  honneurs 
auxquels  la  faveur  du  peuple  sem- 
blait l'appeler ,  mais  qu'il  ne  pou- 
vait et  ne  voulait  acquérir  qu'en 
les  méritajjt  par  de  grandes  ac- 
tions ,  Cicéron  jura  de  venger  la  Si- 


VER 

cile.  Cependant  des  obstacles  de  toute 
espèce  s'élevaient.  Le  premier  fut 
l'apparition  d'un  certain  Q.  Cteci- 
lius,  autrefois  questeur  de  Verres, 
qui  contestaità  Cicéron  les  fonctions 
d'accusateur,  ou  quidu  moinsvoulait 
les  exercer  concurremment  avec  lui. 
Cette  question  préjudicielle  donna 
matière  à  un  procès  préliminaii'e;  et 
le  défenseur  de  la  Sicile  fut  obligé  de 
plaider  pour  faire  valoir  le  choix  des 
clients  qui  s'étaient  adressés  à  lui ,  et 
pour  écarter  cet  homme  de  paille, 
qui  ne  demandait  à  accuser  Verres 
que  pour  lui  donner  les  moyens  de 
se  faire  absoudre.  A  force  d'adresse 
et  de  talent  oratoire,  il  parvint  à  ga- 
gner ce  premier  point;  et  les  juges 
lui  déférèrent  le  titre  d'accusateur.  Il 
s'agissait  ensuite  de  recueillir  des 
jireuv^es  légales.  Pour  cet  eiTet ,  il  fit 
un  voyage  en  Sicile;  et  grâce  à  son 
activité,  en  cinquante  jours  il  par- 
courut la  province  ,  et  en  revint  avec 
une  ample  collection  de  pièces  et  de 
mémoires ,  qu'il  se  hâta  de  rapporter 
à  Rome.  Verres  alors  commença  à 
craindre  ,  et  réj)andit  sourdement  le 
bruit  qu'enfin  Cicéron  s'était  laissé 
gagner,  et  qu'il  n'accuserait  que  pour 
la  forme;  mais  celui-ci  détruisit  sur- 
le-champ  ce  soupçon  injurieux  ,  par 
le  soin  qu'il  mit  à  ne  récuser  parmi 
les  juges  que  ceux  dont  la  réputation 
était  équivoque;  de  sorte  que  le  tri- 
bunal fut,  sinon  formé  d'hommes 
incorruptibles,  du  moins  le  mieux 
composé  qu'on  eût  vu  depuis  la  dic- 
tature de  vSylla.  Cependant  un  événe- 
ment important  ranima  les  espéran- 
ces de  Verres.  Hortensius,  sou  dé- 
fenseur, fut  Jionimé  consul  avec  Q. 
Mélellus  ,  à  cpii  Verx'ès  avait  acheté 
un  grand  nombre  de  suHiages  ;  et 
jicrsomie  ne  doutait  que  si  l'on  pou- 
vait traîner  raiiair^;  eu  longueur  jus- 
qu'à l'cnlréc  eu  charge  des  nouveaux 


VER 

magistrats,  il  ne  fût  absous.  Aussitôt 
(accronpreiitl  sa  résolution  ;  et  renon- 
çant à  traiter  avec  étendue  au  Forum 
une  cause  dont  les  détails  ollraient  le 
plusbeaucliauipà  l'éloquence,  il  pro- 
duit ,  après  un  court  exorde  ,  les  té- 
moins et  les  pièces ,  disant  seulement 
de  temps  en  temps  un  mot  pour  ex- 
pliquer les  faits  et  en  tirer  des  induc- 
tions. De  cette  manière,  l'a'.ftire  fut 
bientôt  instruite  ;  et  la  multitude 
des  témoins,  jointe  à  l'atrocité  des 
faits ,  produisit  une  telle  impression 
snr  l'auditoire,  qu'Horlensius  renon- 
ça à  prendre  la  parole  pour  répon- 
dre, et  donna  à  son  client  !e  conseil 
d'aller  en  exil.  Verres  obéit ,  et  par- 
tit, après  avoir  rendu  aux  Siciliens  , 
comme  donnnages  et  intérêts,  qua- 
rante-cinq millions  de  sesterces  (en- 
viron neuf  millions  de  notre  mon- 
naie ).  Gicéron  en  réclamait  au  reste 
cent  vingt.  Lorsqu'il  eut  satisfait  ain- 
si à  ce  qu'il  devait  à  ses  clients  et  à 
la  république,  l'orateur  triomphant 
songea  à  sa  propre  gloire  ;  et  ne  pou- 
vant consentir  à  perdre  un  sujet  aussi 
magniliquc  que  l'énumération  ,  l'ex- 
posé et  la  j)rcuve  des  crimes  de  Ver- 
res ,  il  rédigea  les  cinq  Mémoij-es 
connus  sous  le  nom  de  secundii  Ac- 
tio  in  Fcrrem,  par  opposition  au 
discours  où  il  l'avait  accablé  de  preu- 
ves testimoniales  et  écrites ,  et  que  l'on 
nomme  prima  Actio.  Ces  cinq  ha- 
rangues sont  intitulées  :  De  prœtiird 
urhand ,  De  Jurisdictione  Siciliensi 
ou  Siciliensis ,  Frumetttaria ,  De 
signis  et  De  siippîiciis.  Elles  traitent, 
la  première  ,  des  prévarications  de 
Verres  pendant  qu'il  exerçait  la  pré- 
ture  à  Rome  ;  la  seconde,  de  ces  mê- 
mes prévarications  pendant  les  trois 
années  qu'il  passa  en  Sicile  ;  la  troi- 
sième ,  des  approvisionnements  qu'il 
avait  négligé  de  faire,  suit  pour  Ro- 
me même,  scit  pour  les  flottes  j  la 


VER  ufjg 

quatrième,  des  tableaux  et  statues 
ravis  en  Sicile;  la  dernière  enfin ,  des 
condamnations  capitales  infligées 
par  le  préteur.  Les  deux  dernières 
sont  particulièrement  remarquables 
par  la  richesse  des  expressions ,  la 
variété  des  tours  et  l'énergie  du 
style.  La  quatrième  est  du  plus 
haut  intérêt  pour  l'histoire  de  l'art. 
Elle  a  fourni  à  un  auteur  moder- 
ne (  l'abbé  Tréguier  )  le  sujet  d'un 
Mémoi'e  très-curieux,  intitulé  Ga- 
lerie de  Ferres.  Exilé  en  -js  avant 
J.-G.  ,  Verres  ne  revint  à  Rome 
qu'au  bout  de  vingt  -  quatre  ans  , 
lors  delà  loi  de  César,  qui  rappela 
tous  les  bannis;  mais  il  ne  jouit  pas 
long-temps  de  son  bonheur.  L'an  43, 
sous  le  consulat  d'Hirtius  et  de  Vi- 
bius  ,  Antoine  ,  triumvir  et  tout- 
puissant  ,  le  pria  de  lui  céder  de 
magnifiques  vases  de  Corinthe.  Ver- 
res ayant  eu  l'imprudence  de  \fs 
refuser  fut  proscrit.  Le  nom  de 
Verres  ,  en  latin  ,  signifie  porc  , 
pourceau;  ce  qui  a  donné  lieu  à  Gi- 
céron de  faire  ou  de  rapporter  d'as- 
sez mauvais  calembourgs,  auxquels, 
au  reste,  il  faut  avouer  que  le  rap- 
prochement entre  le  nom  et  les  mœurs 
du  personnage  prêtait  merveilleuse- 
ment. P — OT. 

VERRI  (Pierre),  naquità  Milan^ 
leiadéc.  I7'i8,  d'une  famille  noble, 
et  contribua  beaucoup  avec  ses  frè- 
res à  en  augmenter  l'illustration  (i). 


(i)  Ce  nom  appartient  en  Italie  à  uu  assez  grand 
nombre  de  familles  sans  ilhislratioii;  mais  il  lant 
eu  excepter  celie-ri  ,  établie  en  LouibarJie  dès  le 
seizième  siècle.  Gabriel  Verri  y  père  de  Pierre  , 
était  nn  des  membres  les  plus  recommandables 
du  se'uat  milanais.  Il  joignait  aux  vertus  du  magis- 
trat les  talents  de  Tbomme  de  lettres.  Il  a  laisse' 
plusieurs  ouvrages,  dont  l'objet  et  le  litre  prou- 
vent qu'il  ne  séparait  point  ces  deux  qualités  dans 
le  choix  de  ses  compositions  littéraires,  toutes  re- 
latives aux  intérêts  de  son  pays.  On  a  de  lui  deux 
traites  que  les  légistes  italiens  consultent  avec  fruit: 
le  premier.  Sur  Vori^iiic  el  les  dévAcpjfineiilt  du 
droit  public  dans  le  Milaniiis  ;  le  second  ,  Sur  la 
réjbrntalion  des  litres  et  des  armoiries.  Ou  cite  ca- 


270 


VER 


Parini ,  dont  riroiiie  sublime  ^uait 
au  ridicule  et  au  mépris  l'oisive  mol- 
lesse des  nobles  milanais  ,  désignait 
Pierre  Verri  comme  le  modèle  de  la 
vraie  noblesse.  Élève  aux  collèges  de 
Monza  ,  de  Rome  et  de  Parme,  lors- 
qu'il revint  dans  sa  patrie ,  il  hésita 
quelque  temps  sur  le  chois  de  la 
carrière  qu'il  devait  parcourir.  Son 
père,  voulant  lui  faue embrasser  celle 
des  lois,  ce  fut  pour  s'y  soustraire 
que  le  jeune  ^  erri  entra  au  service 
d'Autriche,  comme  capitaine  dans 
le  régiment  Clérici.  Il  se  trouva  à  la 
bataille  de  Sorau  ,  en  Saxe.  Il  quitta 
bientôt  les  armes,  et  revint  dans  sa 
patrie.  Ftant  militaire,  il  avait  com- 
posé à  Vienne  des  vers  inartellia- 
m  (  alexandrins  )  qui  se  ressentaient 
im  peu  de  l'harmonie  du  tambour 
sur  lequel  ils  avaierii  été  écrits. 
Il  avait  aussi  composé  les  Eléments 
de  commerce.  A  son  l'Ctour  ,  il 
continua  de  s'occuper  d'économie 
politique  et  d'administration.  Il 
proposa  des  réformes  sur  les  mon- 
naies et  sur  les  droits  qui  se  per- 
cevaient. Élu  conseiller  du  gouverne- 
ment, en  17G3  ,  il  s'occupa  de  déli- 
vrer sa  pairie  des  fermiers-généraux. 
I!  attaqua  de  front  ce  mode  de  per- 
cevoir l'impôt,  si  onéreux  au  pu- 
blic ;  il  fallait  du  courage  pour  l'en- 
treprendre ,  à  une  époque  où  les 
trois  fermiers  du  duché  de  Milan 
étaient  si  puissants  (  a  ).  Verri 
dressa  un  Mémoire  ,  où  il  expo- 
sait cette  funeste  dilapidation  et 
les  moyens  d'y  remédier  ,  et  il  l'en- 


corc  soiï  Histoire  de  la  Lonibardie ,  ouvrage  qu'il 
n'avait  pjs  cru  devoir  publier,  et  doutle  maittis- 
crit  existe  d:ins  les  papiers  de  sa  famille  ;  trait  de 
modestit!  ou  île  prudence  que  l'on  a  vu  renouveler 
par  ses  entants  ,  Pierre  et  Alexandre. 

{1)  Us  gardèrent  pendant  vingt  ans  le  bail  des 
fermes,  parant  cinq  millions  par  an  au  gouverne- 
meut,  et.  gaguant  eux-mêmes  trente-six  millions. 
Nous  tirons  cette  évaluation  des  Ecrits  inédits  de 
Vauteur,  publiés  à  Lugaiio   en  i8i5. 


VER 

voya  au  prince  de  Kaunitz ,  ministre 
de  Marie-Thérèse.  Cette  souveraine 
cherchait  alors  à  tirer  du  duché  de 
Milan  les  moyens  d'y  entretenir  une 
cour.  Le  Mémoire  de  Verri  vint  très 
à  propos  eu  offrir  d'une  nature  très- 
économique  ,  et  qui,   n'augmentant 
en    rien    l'impôt ,  auraient   obtenu 
l'approbation    publique.    Verri   fut 
chargé   de  faire  le  bilan  des  reve- 
nus et  des  dépenses  de  l'état.  Ce  nou- 
veau trava^  confirma  ce  qu'il  avait 
avancé  dans  son  écrit.  Il  fut  nommé 
conseiller  (  1^65  )  au  conseil  suprê- 
me d'économie,  qui  approuva  cette 
réforme.  Elle  sulïit  à  l'entretien  de 
la   cour  de  l'archiduc  Ferdinand  , 
qui  vint   s'établir  à  Milan.   Ce  fut 
là    le     principal   titre    que    Verri 
eut  à  la  reconnaissance  de  ses  conci- 
toyens. Il  ne  put  s'empêcher  d'en 
éprouver  de  l'orgueil,   et  peut-être 
ne  s'en  cachait-il  pas  assez.  On  l'en- 
tendait répéter  :  J'ai  délivré  ma  pa- 
trie  du  joug  des  fermiers  ,  aussi 
souvent    que  Cicéron   disait  :  J^ai 
sauvé  Borne  de  la  conjuration  de 
Catilina.  Pierre    Verri  était  l'aine 
d'une  société  choisie  ,  dans  laquelle 
on  remarquait  les  Beccaria  ,  les  Fri- 
si,  les  Carli  et  son  frère  Alexandre. 
Pendant  deux   ans  ils  publièrent  en- 
semble le  Café  (3),  journal   litté- 
raire, que  Zimmermann  (4)  préfé- 
rait au  Spectateur  anglais  d'Addi- 
son ,  et  qui  en  effet  était  fort  supé- 
rieur à  l'état  de  la   civilisation  ita- 
lienne rà  cette  époque.  Sans  les  con- 
seils de  son  ami  Verri  et  ceux  d'A- 
lexandre ,   frère   de  celui-ci  (  P^oj'. 
ci  -  dessous  )    ,    Beccaria    n'aurait 
point    écrit   son  traité  Des    délits 
et  des  peines  (5).   Ces   occupations 

(3)  Bresoia  ,  1765-66  ,  2  vol.  in-4''.  Ou  en  d(nina 
ensuite  deux  autres  éditions  à  Milan. 

(4)  De  l'orgueil  national. 

(5)  L'état  déplorable    des    loi»  criminelles   dans 
la  Lombardie  était  souvent  la   matière  des  entre- 


VER 

étaient  pour  Verri  un  délasse- 
ment des  travaux  plus  sérieux 
qu'exigeaient  les  différentes  magis- 
tratures dont  il  fut  revêtu.  En  1 77  i , 
il  fut  élu  vice-président  de  la  cham- 
bre des  comptes ,  et ,  en  i  -^  83  ,  con- 
seillcr-d'cîat.  Il  reçut  la  décoration 
de  l'ordre  de  Saint-Étienne  ,  et  fut 
nommé  conservateur  de  la  société 
patriotique  fondée  à  Milan,  par  Ma- 
rie-Thérèse ,  pour  encourager  l'a- 
griculture,  les  arts  et  les  manufac- 
tures. L'activité  qu'il  déploya  dans 
toutes  ces  charges ,  et  l'esprit  de  ré- 
forme qu'il  y  porta,  excitèrent  con- 
tre lui  la  mauvaise  humeur  de  cette 
foule  de  gens  qui  n'aiment  point  à 
être  troublés  dans  leurs  habitudes. 
Ils  taxèrent  son  zèle  de  tracasserie  et 
de  soif  de  popularité.  Il  triompha 
de  ces  attaques  ;  mais  en  1 786 ,  par 
suite  d'une  nouvelle  organisation  du 
duché  de  Milan,  il  perdit  tous  ses 
emplois,  et  n'en  obtint  pas  d'au- 
tres. Il  se  retira  à  la  campagne  , 
où  il  passa  tranquillement  son  tersps, 
au  sein  de  l'étude  et  d'une  nombreu- 
se famille  ,  que  deux  femmes  lui 
avaient  donnée.  Dix  années  s'écou- 
lèrent ainsi  jusqu'à  l'entrée  des 
Français  à  Milan  ,  en  i  796.  Il  fut 
alors  appelé  à  faire  partie  de  la  mu- 


tiens  de  ciètts  société  philantropique.  Alexan- 
dre Vei-ri  ,  qui  était  Protecteur  des  prison- 
niers ,  rapportait  des  iatts  affligeants.  Ou  enga- 
gea Reccaria  à  méditer  sur  un  tel  sujet,  et  il 
le  promit  sans  peine.  La  seule  difficulté  elait 
pour  lui  de  rédiger  ses  pensées.  Verri  employa 
le  moyen  suivant  pour  l'y  forcer.  Après  les  pro- 
menades du  soir  qu'ils  avaient  coutume  de  faire 
ensemble,  Verri  conduisait  la  société  chez.  lui.  Là 
chacun  se  livrait  à  ses  propres  travaux.  lieccaria 
ne  pouvant  plus  causer  avec  personne,  se  raeltait 
à  écrire  sur  le  sujet  qui  l'occupait.  Bientôt  excédé 
de  fatigue,  il  interrompait  son  travail ,  et  lisait  à 
ses  amis  ce  qu'il  venait  de  composer.  Pierre  Ver- 
ri,  avant  de  se  coucher,  mettait  au  net  tous  les 
soirs  ce  que  Bcccaria  avait  écrit;  et  c'est  ainsi  que 
fut  compose  le  traité  J^es  ttélits  ci  des  peines.  Bec- 
caria  écrivait  lui-même  à  Verri ,  que  si  le  besoin 
d'entretenir  son  amitié  par  le  sentiment  de  l'esti- 
me ne  l'eût  jias  soutenu ,  l'amour  de  la  gloire 
seul  n'aurait  jamais  snlli  à  vaincre  son  extrême 
paresse.  Verri  fit  publier  le  traité  de  sou  ami  ,  eh 
il   en  prit  la  d.éfease  lorsqu'il  fiit  nttaqué. 


VER  U71 

nicipalité,  et  mourut  d'apoplexie,  a 
l'hôtel-de-ville,  le  '2S  juin  1797., Ses 
principaux  ouvrages  sont  :  I.  Dis- 
corso sulV  indole  del  piacere  e  del 
dolore.  Verri  établit,  dans  cet  ou- 
vrage, que  le  plaisir  n'est  qu'une 
cessation  rapide  de  la  douleur.  Quoi- 
que cette  définition ,  énoncée  d'une 
manière  aussi  générale  ,  soit  fausse, 
on  trouve  dans  ce  livre  des  aperçus 
ingénieux  et  des  vérités  d'observa- 
tion que  l'auteur  présente  comme  des 
corollaires  de  son  ])rincipe  (6).  Ou 
lit  ,  à  la  lin  ,  un  autre  Discours  sur 
le  bonheur.  II,  Meditazioni  sulV 
economia  politica.  Milan,  i'77i, 
Turin  ,1801  jin-S'^.  Cet  ouvrage  eut 
sept  éditions  en  moins  de  deux  ans , 
etfuttraduit  en  français  (7)  et  en  alle- 
mand. C'est  le  chef-d'œuvre  de  l'au- 
teur, lia  obtenu  les  suffrages  des  éco- 
nomistes de  tous  les  pays.  M.  Say  , 
qui  le  cite  souvent  dans  son  Traité 
d' économie  politique ,  dit  que  Verri 
s'est  approciié  plus  que  personne  , 
avant  8mith  ,  des  véritables  lois 
qui  dirigent  la  production  et  la 
consommation  des  richesses.  M.  Mac- 
culloch  en  parle  aussi  avec  éloge , 
dans  ses  écrits  et  dans  ses  Leçons 
d'économie  politique.  III.  Riflessio- 
id  sulle  Icggi  vincolanti  principal- 
mente  il  commercio  de'  grani^  Mi- 
lan ,  1  -jgG ,  in-  8°.  IV.  Osservazioni 
sulla  tortura  e  singolarmente  su  gli 
ejfetti  che  produsse  ail'  occasions 
délie  unzioni  maie  fiche ,  aile  quali 
si  attrihui  la  pestilenza  che  dévas- 
ta Milano  l'anno   i63o.  V.  Storia 


(6)  Couret  de  Villeneuve  a  donné  une  traduc- 
tion de  l'opuscule  /Je  la  douliur  et  du  plaisir, 
in-17..  Mingard  a  publié  en  français  Pensées  sur 
le  twnlieiir ,  trad.  de  l'italien/i'j66,  in-i!>..  A.  B-T. 

(7)  Les  Béflexions  sur  ^économie  politique 
ont  été  traduites  en  français  par  Ch.  Mingard,  1773. 
in-i?. ,  et  avec  un  nouveau  frontispice  ,  1779  ,  in  - 
12.  Browne  Dignan  ,  qui  donna  ,  en  1776  ,  mi 
Essai  sur  les  principes  politiques  de  l^éononiie  pu- 
blique ,  u'a  fait  que   copier  la  fraduction  de  Min- 


27^ 


VER 


tli  Milano,  Milan,  1783,  in  -  4"- 
L'auteur  n'a  publie  que  le  premier  vo- 
lume de  cette  Histoire;  le  second  l'a 
été  après  sa  mort,  m  1 798.  \  I.  Me- 
inorie  avpartenenti  alla  vita  edap;li 
scritti  di  Paoh  Frisi ,  Milan.  VII. 
Scritti  inediti  del  conte  Pietro  Ver' 
ri  Milanese  ,  Londres  (  Lugano  ) , 
i8u5,  in -8".  Ces  écrits  contiennent 
des  documents  précieux  sur  l'admi- 
nistration de  la  Lombardie  et  sur  les 
bommcs  à  qui  elle  l'ut  successivement 
couliée.  Ou  trouve  dans  ce  recueil  un 
Dialogue  entre  Frédéric  II  et  Vol- 
taire,  sur  la  révolution  irançînsc. 
\  erri  a  publié  une  foule  d'autres 
écrits  ,  la  plupart  anonymes.  Ils  ont 
presque  tous  pour  objet  de  signaler 
des  abus.  Voyez,  pour  plus  de  dé- 
tails ,  Délia  letteratura  ilaliana 
nella  seconda  rnetà  del  secolo  xyin, 
Ijrescia,  i8cii ,  vol.  11.  Ug — i. 
VERRI  (le  comte  Alexan- 
dre), frère  du  précédent,  naquit 
à  Milan  en  1741?  et  lit  ses  pre- 
mières études  au  collège  de  iMurate, 
tenu  par  les  pères  Barnabites.  I! 
passa  ensuite  au  collège  impérial 
de  Saint- Alexandre,  sous  la  con- 
duite du  père  Sacchi ,  connu  dès-lors 
par  plusieurs  productions  estima- 
bles, et  profondément  versé  dans  la 
connaissance  des  littératures  grecque 
et  latine  ,  dont  il  inspira  facilement 
le  goût  à  son  élève.  Ce  goût  devint 
une  passion  qu'il  fallut  modérer  ou 
plutôt  distraire  par  les  exercices  du 
corps ,  pour  lesquels  le  jeune  Verri 
ne  montrait  ni  moins  de  zèle  ni 
moins  d'aptitude  que  pour  les  let- 
tres. Doué  d'une  constitution  ro- 
buste et  d'un  caractère  ardent,  qui 
en  rendait  les  développements  plus 
dangereux  ,  il  eut  néanmoins  le  bon- 
heur de  franchir  les  orages  de  la  jeu- 
nesse sans  se  livicr  aux  désordres 
trop  ordinaires  des  passions  de  cet 


VER 

âgcj  et  il  a  conservé  cette  modé- 
ration pendant  toute  sa  longue  car- 
rière. Chez  lui  les  impressions  les 
plus  violentes  semblaient  remonle-r 
du  cœur  à  l'imagination  _,  pour  s'y 
calmer.  Il  sut  constamment  en  faire 
plier  la  tyrannie  sous  la  modéra- 
tion de  ses  principes.  Sans  être 
doué  au  même  degré  de  l'impassibi- 
lité philosophique,  Verri  fut,  à  beau- 
coup d'égards  ,  le  Fontcnelle  de  l'I- 
talie. Entré  dans  la  carrière  du  bar- 
reau ,  moins  par  sa  détermination 
personnelle  ,  que  par  déférence  aux 
volontés  de  son  père ,  il  s'y  montra, 
dès  le  début,  avec  beaucoup  d'éclat. 
Au  lieu  du  latin  barbare  et  souvent 
burlesque  dont  ses  confrères  al'li- 
geaient  les  oreilles  des  juges  et  du 
public^  le  jeune  avocat  lit  entendre 
un  iangagepur, correct ,  etdout l'.in- 
cien  Forum  n'eût  point  dédaigné  la 
force  et  la  noblesse.  IM écoutent  de  la 
législation  civile  et  criminelle  de  son 
pays,  il  entreprit,  par  un  plan  mé- 
thodique et  largement  tracé,  de  re- 
monter aux  véritables  sources  du 
droit  public  chez  les  dilîerents  \i(ti\- 
ples.  A  l'étude  de  Grotius^  de  Puf- 
fendorf  et  de  iMontesquicu  ,  il  joignit 
celle  de  quelques  encyclopédistes  , 
dont  l'école  exerça  de  bonne  heure 
sur  lui  une  sorte  de  séduction ,  par 
les  principes  généreux  qu'il  croyait 
y  apercevoir.  Celte  illusion  lui  élaiî 
commune  avec  Renaud  Carli ,  Pierre 
Veni ,  son  frète ,  Paul  Frisi  et  le 
marquis  César  Beccaria  ,  qui  com- 
posaient sa  société  habituelle  ,  pre- 
mier berceau  d'un.cci'cle  philoso- 
phique, connu  dans  le  temps  sous  le 
nom  du  Café.  De  concert  avec  ses 
principaux  memlires,  Verri  publia  , 
sous  le  même  titre,  une  feuille  pério- 
dique ,  qui  fît  quelque  bruit  eu  Eu- 
rope. On  s'y  proposait  de  réaliser  , 
pour  l'Italie,  !e plan  si  heureusement 


I 


VER 

exécute  eu  Angleterre ,  par  Steele  , 
Swift,  Pope  et  Addisoii  {T''oj.  ces 
noms).  Outre  des  articles  trcs-remar- 
qiiables  sur  le  Bonheur  des  anciens 
Romains,  surV  Esprit  de  société,  sur 
Carnéade  et  Grotiiis  ,  sur  quelques 
Sj sternes  de  droit  public ,  etc. ,  Ver- 
ri  s'attacha  ,  dans  beaucoup  d'au- 
tres, à  combattre  cette  classe  de  pé- 
dants,  qui,  a  toujours  prêts,  dit-il, 
»  à  sacrifier  l'énergie  de  ia  pensée  à 
»  la  pureté  grammaticale  de  la  phra 
»)  se,  condamnent  sans  pitié,  pour 
»  quelque  inexactitude  de  syntaxe, 
»  un  ouvrage  rempli  d'ailleurs  de 
»  pensées  neuves  et  utiles.  »  Lancé 
dans  la  polémique  littéraire,  Verri 
repoussa  les  attaques  de  l'Inferrigni 
contre  le  Tasse,  et  prit  la  défense 
d'Annibal  Caro  contre  Castelvetro, 
quoique  celui  -  ci  eût  eu  pour  défen- 
seur Muratori ,  à  l'égard  duquel  Verri 
jH'ol'cssait  la  plus  haute  estime  j  tant 
il  est  vrai  que  dans  la  Bépuhlique 
des  lettres ,  plus  que  partout  ailleurs, 
l'irritation  des  amours -propres  et  le 
hasard  des  positions  brouillent  sou- 
vent des  hommes  faits  pour  s'esti- 
mer. Tout  eu  faisant  la  guerre  au  ri- 
gorisme importun  de  quelques  gram- 
mairiens ,  Verri  poursuivait  sans 
relâche  ses  travaux  philologiques  , 
dans  le  but  de  rendre  familières  à  la 
prose  italienne  l'énergie,  la  conci- 
sion, la  sublimitéqu'elle  avait  rencon- 
trées par  exception,  sous  la  plume  de 
Machiavel, de Boccace,  de  Muratori 
et  de  quelques  autres  écrivains  ,  qui 
semblaient  en  avoir  emporté  le  se- 
cret. C'est  dans  leurs  ouvrages,  étu- 
diés avec  soin  et  savamment  combi- 
nés avec  ceux  des  anciens ,  qu'il 
puisa  cette  éloquence  vive  et  pom- 
peuse qui  caractérise  les  productions 
de  son  âge  mûr.  Vers  l'an  1-^66  ,  il 
suivit  à  Paris  le  marquis  de  Becca- 
ria ,  dont  les  liaisons  avec  le  baron 


VER  273 

d'Holbach  fournirent  à  Verri  l'occa- 
sion de  coimaître  les  principaux  mem- 
bres de  cette  coterie,  alors  si  célèbre. 
«  Diderot ,  dit-il  dans  une  de  ses  let- 
»  très ,  est  la  simplicité  même  et  le 
»  meilleur  des  humains.  Sa  conver- 
»  sation  est  brûlante  commesesécrits. 
»  D'Alembert  vise  à  des  succès  de 
»  salon.  Il  est  ouvert ,  sublime  et  bon 
»  homme  tout  à-la -fois.  Helvétius 
»  offre  sur  son  front  l'empreinte  du 
»  génie.  Athlète  robuste  dans  ses 
))  écrits ,  il  a ,  dans  la  société ,  la  dou- 
»  ceur  d'une  femme.  Marmontel  et 
»  Morellet  sont  continuellement  aux 
»  prises.  En  général  ,  ces  savants 
»  préfèrent  une  discussion  franche, 
»  ouverte  et  sans  cérémonie.  On 
»  crie  y  on  hurle  comme  des  posse'- 
»  dés  ',  mais  au  fond  on  est  de  bonne 
»  foi ,  et  d'une  douceur  admirable.  » 
On  voit  par  cet  échantillon  de  sa  cor- 
respondance que  le  jeune  voyageur 
était  sous  le  charme  philosophique. 
Ce  contact  avec  les  chefs  des  ency- 
clopédistes n'eut  cependant  d'au- 
tre résultat  pour  lui  que  d'aug- 
menter sou  penchant  naturel  pour 
l'indépendance,  sans  l'entraîner  dans 
aucun  écart  blâmable.  Beccaria  vou- 
lut bientôt  retourner  à  Milan  ;  mais 
Verri  ,  avide  de  nouvelles  connais- 
sauces,  se  rendit  à  Londres  ,  oiî 
il  se  perfectionna  dans  la  langue 
anglaise,  par  la  lecture  approfon- 
die de  Shakespeare  ,  dont  il  tra- 
duisit en  prose  plusieurs  tragédies. 
Rentré  en  Italie  par  Gênes,  Livourne 
et  la  Toscane ,  il  en  étudia  les  monu- 
ments ,  et  se  dirigea  vers  Rome,  qu'il 
n'avait  point  encore  vue.  C'est  en 
découvrant,  du  sommet  des  Apen- 
nins ,  les  murs  de  la  ville  éternelle , 
qu'il  éprouva  l'enthousiasme  dont  il 
s'est  plu  à  décrire  les  transports  dans 
la  préface  des  Nuits  romaines.  Il  se 
lia ,  dans  cette  capitale^  avec  tous  les 
18 


1^94  VÊR 

hommes  de  mérite  dans  les  sciences 
et  dans  les  arts ,  et  y  contracta ,  sous 
des  auspices  plus  tendres ,  une  liaison 
dont  la  mort  seule  devait  rompre  les 
nœuds.  Par  ses  rapports  avec  la  mar- 
quise de  Boccapaduli ,  femme  d'un 
esprit  orne'  et  d'un  caractère  aimable, 
la  maison  du  comte  de  Verri  devint  et 
n'a  pas  cesse  d'être,  pendant  cinquan- 
te ans,  le  rendez-  vous  d'une  société 
choisie,  que  ne  manquaient  pas  de 
visiter  les  étrangers  de  distinction  et 
les  princes  mêmes  qui  faisaient  quel- 
que séjour  dans  Rome.  C'est  dans  le 
charme  prolongé  de  cette  existence 
douce  et  brillante  tout  à-la-fois,  qu'il 
poursuivit  jusqu'à  la  mort  ses  tra- 
vaux littéraires.  La  tragédie  eut  son 
premier  hommage.  Sur  les  plans  de 
Shakespeare  et  les  récits  de  Machia- 
vel ,  il  composa  sa  Conjuration  de 
Milan,  dont  la  catastrophe  est  ter- 
rible ,  et  dans  laquelle  l'auteur  trace 
avec  une  grande  vigueur  de  pinceau 
le  caractère  de  Galéas  Sforce.  Le  mé- 
rite principal  de  cette  tragédie  con- 
siste dans  une  fidélité  de  mœurs  ,  de 
caractères  et  de  discours,  que  l'on 
pourrait  appeler  vérité  historico  -  po- 
litique j  mais  elle  pèche  par  la  dureté 
de  la  versification  et  par  la  roideur 
du  style.  Ces  défauts  frappent  moins 
dans  Panlhée y  autre  tragédie,  se- 
mée de  belles  scènes  et  de  situations 
touchantes,  dont  l'edét  se  trouve  mal- 
heureusement aftaibli  par  des  lon- 
gueurs et  des  incidents  déplacés.  D'a- 
bord imprimées  sous  le  titre  dJ Es- 
sais dramatiques .,  ces  deux  pièces 
furent  ensuite  jouées  sur  difïérents 
théâtres  d'Italie^  où  elles  n'obtinrent 
qu'un  succès  équivoque.  Verri  eut  le 
bon  esprit  de  passer  condamnation 
sur  son  insuffisance  dramatique,,  et 
tourna  ses  efforts  vers  la  littérature 
grecque.  Il  s'exerça  à  traduire  et  à 
commenter  les  classiques ,  eu  ccm- 


VER 

mençant  par  Homère.  Son  jugement 
sur  ce  père  de  l'cpopée,  plein  d'aper- 
çus nouveaux ,  tient  autant  de  la  cri- 
tique que  del'enthousiasme,  trait  re- 
marquable pour  une  imagination  aus- 
si naturellement  poétique  que  la  sien- 
ne. «  La  superstition,  dit-il,  domine 
»  trop  dans  V Iliade  ;  la  morale  en 
»  est  détestable.  C'est  un  poème  uni- 
»  que  au  monde,  j'en  conviens;  mais 
»  pourquoi  n'en  soutient  -  on  pas  la 
»  lecture  sans  fatigue?  Pourquoi  ne 
»  l'achève-t-on  pas  sans  quelque  plai- 
»  sir  ?  »  C'est  d'après  ces  disposi- 
tions que  Verri  conçut  et  qu'il  exé- 
cuta la  malheureuse  idée  d'abréger 
Homère.  Qu'on  tente  un  pareil  es- 
sai sur  un  auteur  vulgaire;  mais 
livrer  au  public  V Iliade  mutilée, 
n'est-ce  pas  dégrader  l'ensemble 
d'un  chef  -  d'œuvre ,  sous  prétexte 
d'en  réduire  les  dimensions?  Aussi  sa 
traduction  en  prose  italienne ,  d'ail- 
leurs estimable  par  les  notes  dont  il 
l'a  enrichie,  n'a-t-elle  pas  trouvé 
plus  de  lecteurs  que  ses  blasphèmes 
anti-homériques  ,  renouvelés  des  La- 
mothe  et  des  Perrault ,  n'ont  trouvé 
de  partisans.  C'est  avec  plus  de  suc- 
cès que  Verri  commenta  la  Cjropé- 
die  de  Xénophon,  dont  il  avait  tiré 
le  sujet  de  sa  Panthée,  et  qui  par- 
mi nous  a  fourni  à  Fénélon  le  mo- 
dèle de  sou  Téléniaque.  Après  avoir 
étudié  la  Vie  de  Cyrus  ,  il  passa  à 
celle  d'Alexandre  -  le  -  Grand  ,  et 
prit  pour  guide  Arrien,  disciple 
d'Épictète,  écrivain  plus  judicieux 
que  Quinte  -  Curce ,  quoique  par  une 
imitation  trop  marquée  du  style 
d'Homère  il  ait  jeté  sur  ses  tableaux 
une  teinte  romanesque.  Verri  conti- 
nuait en  même  temps  ses  travaux  sur 
Eschine  et  sur  Déraosthcne.  «  V^oilà , 
»  dit-il  à  l'occasion  des  Philippi- 
»  ques,  voilà  de  l'éloquence.  J'aime 
»  cette  manière  simple  de  traiter  les 


VER 

«  grandes  affaires.  Dans  l'orateur  se 
»  montre  le  bon  citoyen.  Je  place 
»  ces  liaranpjiics  ,  dans  mon  opinion, 
»  bien  au-dessus  de  celles  de  la  cou- 
M  ronne  et  de  lu  fausse  amhassade , 
)'  parce  qu'elles  roulent  sur  de  plus 
V  grands  intérêts,  et  qu'on  n'y  trouve 
»  rien  debas.  »  Verri  ne  jeta  pour  ain- 
si dire  en  passant  qu'un  coup-d'œil  sur 
Isocrate.  Donnant  plus  de  temps  à 
Lucien  ,  il  traduisit  et  commenta  un 
assez  grand  nombre  de  dialogues. 
C'est  dans  les  études  de  la  littérature 
grecque  qu'il  puisa  l'idée  du  roman 
de  Sapho,   ouvrage  judicieusement 
conçu ,  semé  de  scènes  gracieuses  et 
de  tableaux  de  mœurs  pleins  de  vé- 
rité ,  mais  où  se  font  remarquer  trop 
souvent  la   rcclierche  des  idées  et 
l'affectation   du  style  j   défauts   qui 
tiennent  à   la   manière  générale  de 
l'auteur ,  et  qu'on  reti'ouve ,  quoique 
plus  rarement ,  dans  les  Nuits  ro- 
maines.  L'idée  de  faire  parler  les 
morts  entre  eux  et  celle  de  les  mettre 
eu  contact  avec  les  vivants  ne  sont 
pas  nouvelles  :    mais   en  emprun- 
tant l'une  à  Lucien,  et  l'autre  au 
Dante,  qui  lui-même  l'avait  prise  à 
Virgde,  Verri  a^  le  premier,  dans 
un  cadre  brillant  d'imagination  et  de 
poésie ,  traité  avec  toute  la  sévérité 
de  l'histoii'e  l'un    des  tableaux  les 
plus  imposants  qu'on  puisse  offrir 
aux  méditations  de  l'esprit  humain. 
C'est  aux  bords  du  Tibre  que   l'au- 
teur évoque  les  ombres  des  anciens 
Romains.  Il  les  met  en  présence  les 
mis   des   autres  pendant  Six  Nuits , 
divisées  chacune  en  autant  à' Entre- 
tiens, que  l'on  peut  regarder  comme 
les  scènes  d'un  grand  drame  histori- 
que dont  Rome  est  le  théâtre  ;  ses 
destinées ,  le  sujet;  et  ses  grands  hom- 
mes, les  acteurs.  Les  discussions  so- 
lennelles du  sénat ,  les  délibérations 
du  peuple,  les  orages  des  comices, 


VER  275 

la  marche  des  conspirations ,  la  lutte 
entre  les  ordres  de  l'état,  les  brigues 
publiques,  l'art  et  le  but  des  conquê- 
tes, les  ressorts  cachés  de  la  politi- 
que, les  moj'ens  de   corrujition   et 
d'intrigue  ,  tout   reprend  dans  des 
discussions  animées  une  seconde  vie, 
dont  le  rapprochement  des   divers 
âges  rend  la  singularité  plus  piquan- 
te et  le  résultat  plus  instructif.  On 
respire  dans  ces  discussions  l'air  des 
temps  héroïques  ,   tempéré  par  les 
influences   d'une   sage  philosophie. 
On  y  vit  en  quelque  sorte  avec  les 
antiques  habitants   de  Rome,   tant 
l'auteur  possède  l'art  de  nous  mettre 
dans  la  confidence  de  leurs  mœurs , 
de  leurs  caractères ,  de  leurs  préju- 
gés, de  leurs  passions  •  de  nous  faire 
descendre  dans  le  détail  de  leurs  ha- 
bitudes  domestiques  ,   et    de    nous 
insinuer  dans  leurs  secrets  de  famille. 
Pour  avoir  le  droit  de  les  faire  agir 
etparleravecce  ton  soutenu  de  vrai- 
semblance locale,  qui  prête  à  l'illu- 
sion tout  l'empire  de  la  vérité  ,  l'au- 
teur avait  surtout  étudié  les  Romains 
dans  la  partie  la  plus  pure  de  leur 
gloire ,  dans  cette  belle  littérature  la- 
tine, dont  l'existence  seule  ,  en  re- 
gard de  celle  des  Grecs ,  qui  semblait 
la  rendre  impossible,  est  un  des  ef- 
forts les  plus  prodigieux  de  l'esprit 
humain.  Verri  savait  par  cœur  tous 
les  ouvrages   de  la   haute  latinité. 
Pour  tout  autre,  César,  Tite-Live  , 
Salluste,  Cicéron,  Tacite,  peuvent 
n'être  que  des  livres  que  l'on  consul- 
te; pour  lui  c'étaient  des  personna- 
ges avec  qui  l'on  converse.  On  sent,  à 
la  lecture  de  son  ouvrage,  que  son 
imagination  ,  sans  cesse  occupée  des 
Romains ,  l'avait  insensiblement  ac- 
coutumé à  confondre  l'h^-pothèse  in- 
génieuse-de  leur   résurrection  avec 
la  conviction  habituelle  de  leur  exis- 
tence. Il  mêlait  au  sentiment  actuel 
18,. 


9.-6  VER 

de  son  être  l'impression  de  cette 
vie  éteinte  depuis  deux  mille  ans, 
dont  il  s'était  fait  d'abord  une  étude, 
puis  un  plaisir,  et  enfin  un  Lesoin  de 
rajeunir  les  détails,  Notre  grand  Cor- 
neille n'a  pas  mieux  saisi  la  ressem- 
blance ,  n'a  pas  reproduit  plus  no- 
blement la  dignité  de  ses' héros.  Le 
caractère  dominant  des  Nuits  ro- 
maines est  une  certaine  poésie  de 
sentiments  et  de  pensées ,  soutenue 
par  une  diction  noble,  riclie,  liar- 
mcnicuse  ,  qui  prête  à  l'histoire  le 
pouvoir  et  les  charmes  de  l'éloquence. 
Sous  la  plume  de  l'auteur  ,  la  raison 
s'anime  par  la  vivacité  des  images  , 
et  par  la  justesse  des  comparaisons. 
Il  montre  pour  les  dernières  un  pen- 
chant îout-à-fait  homérique  j  mais 
l'abus  tient  de  près  à  ce  penchant 
dans  un  auteur  moderne.  Vcrri  n'au- 
rait fait  qu'ajouter  au  mérite  de  son 
travail  en  se  montrant  plus  avare 
de  ces  comparaisons  ,  très-justes  eu 
général,  mais  tirées  du  fond  trop 
uniforme  de  quelques  objets  de  la 
nature.  L'auteur  trop  souvent  aussi 
sacrifie  à  son  goût  pour  le  ton  so- 
lennel de  la  phrase,  pour  l'imitation 
de  la  période  cicéronienne,  et  pour 
l'harmonie  ,  un  peu  tourmentée,  du 
style.  Il  n'a  pas  su  non  plus  se  tenir 
assez  en  garde  contre  sa  prédilection 
ultramontaine  pour  les  épithètes  , 
qui  le  phis  souvent  bourdonnent  à 
l'oreille,  sans  rien  dire  à  l'erprit.  Sin- 
cère admirateur  de  Démosthène  et 
fait  pour  l'imiter  ,  il  appartenait  à 
Verri  de  del)arrasser  son  meilleur 
ouvrage  d'un  faux  embonpoint  de 
diction  ,  et  de  s'affranchir  le  pre- 
mier des  liens  de  la  coutume.  Ce 
qui  peut  au  reste  le  justifier  en  partie 
à  cet  égard,  c'est  le  but  grammatical 
de  sa  composition, destinée,  comme  il 
le  disait  lui-même,  à  donner  la  robe 
virile  à  la  jirose  italienne^cn  la  ma- 


VER 

riant  avec  la  vigueur  ,  la  fermeté  , 
l'abondance  ,  les  tours  et  les  expres- 
sions même  de  la  langue  latine.  Sous 
le  rapport  philologique  ,  cet  essai 
n'a  pas  réuni  ,  à  la  vérité ,  les  suf- 
frages de  tous  les  gens  de  lettres  en 
Italie.  Si  les  uns  ont  applaudi  à 
cette  union  des  deux  idiomes  ,  un 
assez  grand  nombre  n'y  a  vu  qu'un 
mariage  forcé  ,  et  presque  un  adul- 
tère grammatical.  Il  n'en  est  pas 
moins  résulté,  pour  la  littérature  en 
général  ,  un  très-bel  ouvrage  que  la 
France  et  les  autres  pays  de  l'Europe 
se  sont  empressés  de  naturaliser  par 
de  nombreuses  traductions.  C'est 
sur  le  ton  grave  des  Nuits  ro- 
maines que  Y  er  ri  aéciit  sa  belle  pré- 
face des  Dits  mémorables  de  Socra- 
te  ,  parGiacomelli  (F.  ce  nom).  Là  , 
dans  son  adoration  afTectueuse  pour 
la  langue  italienne ,  ii  s'indigne  de  sa 
complaisance  à  se  laisser  envahir  par 
le  français,  qu'il  ne  manque  pas  , 
néanmoins,  par  une  contradiction 
manifeste,  d'accuser  de  pauvreté, 
selon  le  préjugé  de  routine  dont  en 
France  même  on  a  peine  à  secouer  le 
joug.  Au  reste  ou  ne  voit  pas  trop 
corament,dansson  système  de  puris- 
me exagéré  ,  Yerri  pourrait  à  son 
tov\Tini.hiierV anarchie  latine,  qu'on 
lui  reproche,  et  les  éloges  que  dans 
la  même  préface  il  donne  au  célèbre 
Alfieri ,  l'infracteur  le  plus  audacieux 
des  règles  ,  qui  crut  pouvoir  en 
briser  le  frein  pour  élever  la  poésie 
italienne  à  une  sublimité  d'énergie 
qu'elle  n'avait  pas  encore  connue. 
La  découverte  d'un  nouveau  frag- 
ment des  amours  de  Daphnis  et 
Chloe\  faite,  en  1810,  par  M.Paul 
Courrier ,'  T^.  ce  nom  au  Supplément) 
dans  la  bibliothèque  de  Florence ,  en- 
gagea le  comte  Verri  à  cntreprendi'e 
la  traduction  entière  de  l'ouvrage.  Il 
s'appliqua  à  la  rendre  plus  fidèle  que 


VER 

celle  d'AiinibalCaro,  qui  semble  avoir 
pris  à  tàclie  d'amplifier  Longiis , 
daus  le  ])ut  très-blâmable  de  le  reu- 
drc  licencieux.  Le  même  Lougiis 
avait  vraisemblablement  fourni  à 
Verri  l'idée  de  sou  roman  A'Eros- 
trate  ,  dont  l'autenr  de  cet  article  a 
donne  une  traduction  française.  Là  , 
s'olfrent,  comme  dans  les  Nuits  ro- 
maines ,  le  luxe  des  epithètes,  la 
recherche  affectée  des  tours  poéti- 
ques,  et  le  jeu  un  peu  trop  fréquent 
des  antithèses  et  des  contrastes.  Mais 
à  côté  de  ces  défauts  ,  ou  retrouve 
aussi  les  qualités  particulières  au  ta- 
lent de  i'autenr  :  un  plan  bien  dessi- 
ne, une  mai'che  rapide,  des  épisodes 
natui'ellement  amenés  et  pleins  d'in- 
térêt j  des  pensées  profondes, et ^  par- 
dessus tout,  une  raison  fenne ,  une 
morale  pure  et  une  sage  indépcn- 
danced'opinions.  Recherchera  l'aide 
d'une  fable  iugénieuse  les  causes  qui 
ont  porté  un  homme  obscur  à  s'en- 
flammer de  la  passion  de  la  célé- 
brité ,  pour  se  lancer  par  un  grand 
attentat  dans  la  région  des  exis- 
tences historiques  ,  tel  est  le  pro- 
Ijlèrae  que  Verri  s'est  proposé  de  ré- 
soudre daus  la  Vie  d'Erostrale.  Il 
y  a  procédé  avec  tout  le  charme  de 
son  talent ,  non  par  l'hypothèse  ex- 
péditive  de  la  monomanie ,  à  l'aide 
de  laquelle  ,  sans  les  expliquer  ,  on 
voudrait  aujourd'hui  excuser  tous  les 
crimes  ,  mais  par  le  développement 
philosophique  du  désordre  moral. 
Pourquoi  l'étude  de  l'homme  ,  con- 
sidéré dans  ses  passions  ,  même  les 
plus  absurdes  ,  n'aurait  -  elle  pas 
aussi  son  scalpel  et  ses  autopsies  ? 
En  rapprochant  de  la  Vie  d'Eros- 
trate  l'eflrayant  épisode  du  parri- 
cide dans  les  Nuits  romaines ,  on 
peut  saisir  les  vues  de  l'auteur  dans 
cette  auatomie  intellectuelle ,  à  laquel- 
le il  soumet  le  cœur  humain.  Toujours 


VER 


•^77 


philosophe  lors  même  qu'il  paraît 
n'être  que  romancier  ,  Verri  indi- 
que,  sans  la  montrer,  la  part  que 
les  intluences  sociales  peuvent  avoir 
dans  les  crimes  des  individus  :  ques- 
tion délicate,  qui  touche  à  l'action 
morale  du  gouvernement  sur  les  peu- 
ples. On  ne  sait  si  c'est  k  ce  genre 
d'appréciation  philosophique  qu'il 
faut  attribuer  l'espèce  de  déconvenue 
qui  survint  à  VÉrostrate ,  en  1810. 
Composé  ou  plutôt  ébauché  par  Ver- 
ri ,  dès  1780,  cet  ouvrage  dormait 
depuis  trente  ans  dans  son  porte- 
feuille ,  lorsque  sur  l'annonce  d'un 
prix  de  cinq  cents  écus  romains,  pro- 
posé, au  nom  de  Buonaparte,  par 
l'académie  de  la  Crusca  y  l'auteur 
acheva  son  ouvrage  et  l'envoya  à 
Florence.  Les  académiciens  se  pro- 
noncèrent en  sa  faveur.  Il  fallait 
le  couronner ,  ou  retirer  le  prix  j 
le  prix  fut  retiré.  Si  VErostra- 
te revint  tête  nue  à  son  auteur , 
il  échappa  du  moins  aux  mutila- 
tions que  vers  la  même  époque  la 
censure  faisait  subir  en  France  à  la 
première  édition  de  la  traduction  des 
Nuits  romaines.  On  ne  se  fût  pas 
sans  doute  montré  plus  généreux 
pour  deux  autres  ouvrages  de  Verri, 
qui  par  leur  sujet  étaient  de  nature  à 
armer  contre  lui  toutes  les  suscepti- 
bilités du  despotisme.  Nous  voidons 
parler  d'une  Histoire  de  la  Révolu- 
tion française,  depuis  l 'y 89  jusqu'au 
consulat,  et  d'un  Essai  sur  l'His- 
toire générale  d'Italie ,  depuis  la 
fondation  de  Rome  jusqu'à  nos 
jours.  Son  but ,  dans  ce  dernier  ou- 
vr.ise  ,  est  moins  de  raconter  les 
faits  que  de  remonter  a  leurs  cau- 
ses, et  d'indiquer  leui-s  résultats  ,  en 
suivant  la  marche  de  l'esprit  humain 
pendant  une  période  de  vingt  sicciOs. 
Daus  sa  préférence  pour  l'histoire 
particulière  d'Italie,  Verri  croyaii 


278  VER 

obéir   bien  moins  à  un  entraînement 
naturel  de  patriotisme  qu'à  une  con- 
viction raisonnable  delà  supériorité' 
que  semblait  lui  offrir  cette  histoire 
sur  celle  des  autres  peuples. îl  voyait 
là  plus  qu'ailleurs  une  certaine  unité 
de  principes  ,  d'actions  et  de  con- 
duite politique  ,  d'où  sortaient  une 
foule  d'événements  encbaîne's  les  uns 
aux  autres  par  l'influence  générale 
tle  causes  et  d'effets  réciproques.  En 
cliercliant  les  raisons  qui  avaient  pri- 
ve l'Italie  d'une  histoire  générale  , 
il  croyait  la  trouver  dans  la  crainte 
long-temps  imprimée  aux  esprits  par 
l'inquisition  ;  dans  les    préjugés  du 
peuple  ,  et  plus  encore  dans  i'inîérct 
des  grands,  presque  Joujoursen lutte 
n\ec  la   liberté  publique.  A  l'appui 
de  ces  observations  ,  il  citait  les  per- 
sécutions dirigées  contre  les  écrivains 
<{ui  avaient  tcn'.é  avant  lui  de  rem- 
plir le  vide  où  se  perdent  les  tradi- 
tions italiennes.  Il   rappelait  Gian- 
none    banni   de   Pergame  ,    Serpi , 
poursuivi  dans  Venise,  Muratori  lui- 
même  ,  dans  un  siècle  plus  éclairé  , 
ne  devant  qu'à  Benoît  XIV  le  repos 
de   ses   derniers  jours.  C'est  après 
avoir  dévoré  et  pour  ainsi  dire  fondu 
dans  sa  propre  substance  les  pro- 
ductions de  ces  écrivains  ,  que  Verri 
mit  la  main  à  son  Essai;  il  employa 
cinq  ans  à  l'écrire.  On  y  trouve  par- 
tout un  vif  amour  pour  la  patrie  , 
un  goût  passionné  pour  la  liberté,  et 
ime  grande  indépendance  d'opinion. 
Ces  trois  caractères    de    l'ouvrage 
font  assez  présumer  'es  motifs  qui , 
<lu  vivant  de  l'auteur  ,  ont  dû  s'op- 
poser à  sa  publication.  Sous  des  rap- 
ports divers  ,  elle  n'eût  pas  manqué 
d'exciter    contre  Verri   l'attention  , 
la  sévérité ,  peut-être  même  la  persé- 
'^'ition  des  gouvernements  qui  se  sont, 
de  nos  jours,  succédé  dans  Rome. 
Fier  dans  ses  écrits ,  vrai  dans  ses 


VER 

sentiments ,  mais    circonspect  dans 
sa  conduite ,  Veiri  ne   manqua  ja- 
mais de  subordonner ,  pour  l'intérêt 
de  sa  position  personnelle  ,  l'orgueil 
de  l'écrivain  au  repos  de  l'homme  , 
et  les  prétentions  du  réformateur  aux 
devoirs  du  sujet.  Gardons-nous  pour- 
tant de  croire  que  sa  modestie  ne  fût 
qu'un  calcul  d'égoïsme  ;  il  a  prouvé 
plus  d'une  fois  qu'elle  faisait  partie 
de  son  mérite  ,  puisqu'elle  ne  se  dé- 
mentait pas  même  dans  l'éclat  des 
succès.    Il  ne   mit  jamais  son  nom 
à  aucun  de  ses  ouvrages.  Les  suf- 
frages   dont    toute    l'Italie  honora 
la  publication  de  Sapho ,  en  1774  î 
ceux  plus  brillants  encore  qu'obtin- 
rent les  Nuits  romaines  ne  purent 
le  décider  à  déchirer  le  voile  qui  cou- 
vrait le  nom  de  leur  auteur.  Enor- 
gueillie de  ces  nouvelles  richesses  , 
l'Italie  promenait  un  soupçon  hono- 
rable sur  ses  meilleurs   écrivains  , 
sans  pouvoir  le  fixer  sur  aucun.  La 
sagacité  du  poète  Monti  mit  fin  à  ces 
incertitudes.  Convaincu  de  cette  dou- 
ble paternité,  Verri  ne  balança  point 
à  confier  à  son  spirituel   révélateur 
le  manuscrit  du  second  volume  des 
Nuits  romaines,  circonstance  qui  fit 
naître  entre  eux  une  baison  dont  rien 
n'altéra  jamais  les  rapports.  Par  un 
privilège  qui  prouve  à  -  la-  fois  la 
bonté  de  son  caractère  et  le  bonheur 
de  sa  vie  ,  Verri  conserva  toujours 
les  amis  qu'il  s'était  faits.  Quoique 
plus  jjcune  que  Beccaria  ,  c'est  à  ses 
conseils ,  ainsi  qu'à  ceux  de  son  frè- 
re ,   Pierre  Verri   (  F.   ce  nom  ci- 
dessus),  que  le  marquis  philosophe 
dut  le  courage  de  publier  son    ia.- 
mciwTvaitédcs  délits  et  despeineSj 
qui  lui  valut  quelques  tracasseries  et 
une  grande  célébrité.  Impassible  à 
toutes  les  attaques,  Verri  ne  répon- 
dait à  la  critique  que  par  l'usage  de 
ses  conseils  ,   quand  il  les  trouvait 


VER 

bons,  et  par  le  mépris  de  ses  iu- 
j lires,  quelque  peu  me'ritc'es  qu'elles 
lassent.  D'une  réserve  extrême  en  ce 
([ui  touche    l'appréciation   person- 
nelle de  ses  contemporains ,   ce  n'est 
que  dans  le  portrait  d'Alfieii  que 
la   vérité'  a  paru  prendre  une  seule 
fois,   sous  sa  plume,  les  traits   de 
l'épigramme.  En  accusant  ce  grand 
poète,  dont  il  admire   d'ailleurs  le 
génie  ,  d'avoir  été  le  tjran   de  la 
meilleure  des  femmes  ,  il  s'est  at- 
tiré de  la  part  de  la  comtesse  d'AI- 
baui  une  réclamation  formelle  ,  qui 
place  le  public  entre  l'assertion  d'un 
galant  homme,  qui  gémit  sur  le  sort 
d'une  femme  malheureuse  ,  et  le  dé- 
menti de  cette  même  femme ,  qui  re- 
pousse un   pareil   intérêt ,  et  traite 
son  malheur  de  chimère.  Facile  dans 
ses    habitudes  ,  constant   dans  ses 
liaisons  ,    modéré    dans    ses    juge- 
ments ,  mais  ferme  dans  ses  prin- 
cipes _,   Verri   a  glissé  avec  un  ra- 
re bonheur  à  travers  les  troubles  de 
sa  patrie,  sans  y  prendre  part.  Pen- 
seur libre  ,  mais  sujet  fidèle  sous  les 
papes-  spectateur  immobile,   mais 
résigné ,  dans  les  agitations  d'ime  ré- 
publique éphémère ,  Verri  se  montra 
tout  Romain  devant  les  usurpateurs 
de  Rome;  il  échappa  toujours  aux 
séductions   de    Buonaparte  ;   et    le 
dominateur  du  Capitole  ne  put  ajou- 
ter à  ses  conquêtes  l'auteur  des  Nuits 
romaines.   Depuis  le  rétablissement 
du  gouvernement  pontifical^  Verri 
poursuivait ,  dans  les  loisirs  de  l'é- 
tude ,  et  presque  sans  infirmités ,  sa 
paisible  carrière.  Il  la  termina  avec 
la  résignation  d'un  philosophe  et  la 
piété  d'un  chrétien ,  le  a3  septembre 
1816,  à  l'âge  de  soixante  -  quinze 
ans.  Comme  écrivain,  Verri  s'ollie 
avec  des  défauts  que  nous  avons  si- 
gnalés, et  avec  des  qualités  qui  lui 
assurent  les  suffrages  de  la  postérité. 


VER 


279 


iSa  morale ,  toujours  pure,  se  pré- 
sente à  l'esprit  avec  une  teinte  reli- 
gieuse et  poétique  ;  elle  s'imprime 
dans  le  cœur,  comme  un  sentiment  de 
consolation  et  d'espérance.  Sa  pen- 
sée ,  parfois  neliuleuse  et  un  peu  for- 
cée ,  n'a  rien  de  bas    et  garde  tou- 
jours l'empreinte  de  l'esprit  élevé  qui 
l'a  conçue.  Son  expression  brille  de 
hardiesse  et  de  verve,  lors  même 
qu'elle  blesse ,  ce   qui   est  rare ,  la 
délicatesse  du  goût.  Son  style  est,  en 
général ,  ce  que  le  sujet  exige.  Ce 
style  est   à  lui  :   c'est  son    œuvre. 
Entraîné   par  l'ambition    de  servir 
de  modèle ,  il  a  dédaigné  d'en  pren- 
dre un   lui  -  même  ,    ou  du   moins 
il  l'a  choisi  hors  des  temps  moder- 
nes. C'est  à  Cicéron  qu'il  sacrifle  -y 
c'est  sous  ses  auspices  qu'il  a  voulu 
fonder  sa  nouvelle  école,  en  intro- 
duisant dans  la  langue  italienne  les 
mots,  les  tournures,  le  nombre  et  la 
pompe  de  la  période  latine  ;  innova- 
tion courageuse ,  qui  a  pour  elle  le 
succès  de  ses  propres  ouvrages ,  mais 
qui  ne  peut  recevoir  que  du  temps  seul 
le  sceau  d'une  approbation  générale. 
On  a  du  comte  Verri  :  I.  Uu  grand 
nombre  d'articles  philosopliiques  et 
littéraires  ,  réunis  dans  un  volume 
in-i2,  ayant  pour   titre  :  Bibliote- 
ca    scella    di   opère    italiane  an- 
tiche  e  moderne ,   volume   unico , 
in -12,    Milan,    1818.   II.  Essai 
sur  r histoire  géne'rale  d' Italie  ^  de- 
puis la  fondation  de  Rome  jusqu'à 
nos  jours.  L'auteur   de    cet  article 
prépare  une  traduction  française  de 
cet  ouvrage.  III.  Une  Traduction  en 
prose  italienne  delà  tragédie  à'Ham- 
let ,  de  Shakespeare  (inédite).  IV. 
La  Conjuration  de  Milan,  Panthée, 
tragédies  imprimées  à  Milan,  sous 
le  titre  à'Essais  dramatiques.  V. 
17 Iliade  d'Homère ,  abrégée ,  avec 
des  notes,  pour  l'intelligence  du  tex- 


a8o 


VER 


te  et  la  liaison  des  parties.  VI.  Ana- 
lyse et  Commentaire  de  la  Cyropé- 
die  de  Xénophon.  VII,  Commentai- 
res ,  analyses  et  critiques  des  prin- 
cipaux orateurs  grecs.  Vlll.  Le 
roman  de  Sapho ,  un  vol.  in  -  H**.  II 
existe  une  traduction  française  de 
cet  ouvrage  par  IM.  Joly  de  Sa- 
lins. IX.  Les  Nuits  romaines  au 
tombeau  des  Scipions.  Cet  ouvra- 
ge ,  depuis  sa  première  publica- 
tion, en  i'^ 80,  a  eu,  en  Italie  et  en 
France,  plus  de  dix  éditions  en  dif- 
férents formats.  Il  en  existe  des  tra- 
ductions en  allemand  et  en  anglais , 
et  des  paraphrases  partielles  en  vers 
italiens.  Une  première  traduction 
française  parut  à  Lausanne,  eu  1796. 
La  troisième  édition  de  celle  qu'a  pu- 
bliée l'auteur  de  cet  article  a  paru  , 
en  1826,  à  Paris,  2  vol.  in  -  8°. , 
avec  gravures.  X.  La  préface  des 
Dits  mémorables  de  Socrate ,  par 
Giacomelli.  XI.  La  Traduction  ita- 
lienne des  Amours  de  Daphnis  et 
Chloé.  XII.  La  Vie  d'Érostrate, 
que  l'on  trouve  réunie,  dans  quel- 
ques éditions  italiennes,  avecles  Nuits 
romaines.  Il  y  a  deux  traductions 
françaises  de  ce  roman  :  l'une  par 
l'auteur  de  cet  article ,  l'autre  par  un 
anonyme.  On  peut  consulter,  pour 
les  particularités  de  la  vie  littéraire 
de  Verri ,  son  Éloge  funèbre  ,  par 
Ambroisc  Levati ,  professeur  au  col- 
lège impérial  de  Milan  ,  imprimé 
dans  cette  ville  en  1818,  et  V Essai 
mis  en  tête  de  la  troisième  édition 
française  des  Nuits  romaines,  h-mz. 
VERRI  (Charles)  ,  frère  des  pré- 
cédents, né  à  Milan  le  21  février 
1743  ,  fit  ses  études  cliezles  Jésuites 
à  Parme.  Sorti  du  collège ,  il  s'a- 
donna avec  beaucoup  d'ardeur  aux 
sciences  naturelles ,  et  surtout  à  l'a- 
griculture. Sa  réputation  ,  comme 
agronome  y  lui  ouvrit  les  portes  de 


VER 

la  société  des  géorgophiles  de  Flo- 
rence, de  celle  d'agriculture  de  îh-c- 
scia,  etc.  Son  goût  pour  la  musiqr.e 
et  pour  la  peinture  lui  fit  donner  la 
présidence  de  l'académie  des  beaux- 
arts  dans  sa  patrie.  Passionné  pour 
le  séjour  de  la  campagne,  il  pas- 
sa la  moitié  de  sa  vie  dans  ses 
terres  ,  méditant  sur  les  moyens 
d'améliorer  l'agiiculture.Son  exem- 
]de  et  ses  ouvrages  contribuèrent 
beaucoup  à  réveiller  dans  la  classe 
opulente  de  la  capitale  de  la  Lom- 
bardie  l'envie  de  diriger  par  elle- 
même  l'administration  de  sa  fortune, 
livrée  auparavant  à  des  agents  igno- 
rants ou  infidèles.  Charles  Verri  n'au- 
rait pas  renoncé  à  ces  paisibles  oc- 
cupations ,  si  Melzi ,  vice-président 
de  la  république  italienne  ,  n'eût  em- 
ployé toute  l'influence  que  l'amitié 
et  la  parenté  lui  donnaient  sur  Verri, 
pour  qu'il  acceptât ,  en  1802  ,  la 
préfecture  du  département  du  Mêla 
(  Brescia  ).  Il  exerça  cette  fonction 
pendant  trois  ans,  et  s'en  acquitta 
de  manière  à  mériter  en  même  temps 
l'approbation  du  gouvernement ,  et 
l'estime  de  ses  administrés.  Toute  la 
population  de  Brescia  lui  témoigna 
de  Ails  regrets  ,  lorsqu'en  i8o5  il 
fut  appelé  au  conseil  d'état.  Dans  ce 
nouvel  emploi  il  s'occupa  surtout 
de  l'administration  des  communes  et 
desétablissemeuts  de  bienfaisance.  En 
1808  ,  le  vice-roi  Eugène  lui  confia 
une  mission  délicate,  celle  d'organiser 
les  trois  départements  de  la  Romagne, 
qui  venaient  d'être  réunis  au  royau- 
me. Sa  conduite  ne  fut  pas  moins  sa- 
ge ,  ni  moins  modérée  dans  cette  cir- 
constance, qu'elle  ne  l'avait  été  dans 
les  charges  précédentes. En  1809  ,  il 
fut  nommé  sénateur ,  et  put  jouir  du 
repos  qui  lui  était  d'autant  plus  né- 
cessaire qu'une  maladie  de  poitrine 
le  tourmentait  de  plus  en  plus.   A  la 


VER 

chute  de  Napoléon ,  Charles  Verri 
fut  arrache'  à  sa  retraite,  et  proclame' 
président  du  gouvernement  provi- 
soire qui  se  forma  à  Milan.  Il  (it  tout 
pour  apaiser  les  troubles  qui  sur- 
vinrent dans  cette  capitale  le  20 
avril  i8i4 ,  et  se  flatta  un  instant  de 
pouvoir  rendre  l'indépendance  à  sa 
patrie  ;  mais  ce  bonheur  ne  lui  était 
pas  réservé  ;  et ,  peu  de  jours  après  , 
son  autorité  fut  remplacée  par  celle 
du  maréchal  de  Beilegarde.  Rentré 
dans  la  vie  privée  ,  il  s'y  livra  de 
nouveau  à  l'agriculture.  N'ayant  plus 
qu'une  vie  languissante  ,  il  se  rendait 
aux  eaux  de  Recûaro  ,  lorsqu'il  mou- 
rut à  Vérone,  au  mois  de  juillet  1823, 
à  l'âge  de  quatre-vingts  ans.  Les  pay- 
sans de  ses  terres ,  lorsqu'ils  apprirent 
sa  mort^  voulurent  aller  chercher 
son  corps  pour  l'ensevelir  au  milieu 
d'eux  ;  mais  les  neveux  du  comte 
Verri  lui  élevèrent  un  monument  dans 
l'église  de  Saint  -  Bernardin  ,  à  Vé- 
rone. Ses  ouvrages  sont  :  I.  Sag- 
gio  sul  modo  di  pj-opagare ,  ai- 
levare  e  regolare  i  geisi.  Après 
les  deux  premières  éditions  de  cet 
essai ,  ^  ilvestri  en  donna  une  troi- 
sième ,  revue  et  corrigée  par  l'au- 
teur ,  Milan",  1818  ,  et  une  quatriè- 
me, en  1828,  toutes  les  deux  dans  la 
Bihliot.  sccltadi  opère  italiane.  C'est 
sur  cette  dernière  édition  que  la  tra- 
duction française  a  été  faite  et  pu- 
bliée sous  ce  titre  :  V  Art  de  culti- 
ver les  mûriers ,  traduit  de  V  italien, 
avec  des  notes ,  par  F.  Philibert 
Fontaneilles,  Lyon  ,  i8a6,in-8o.  La 
méthode  que  l'auteur  a  suivie  dans  SCS 
ouvrages  d'agricaltuiT  est  celle  des 
anciens.  Il  donne  d'abord  des  pré- 
ceptes très -concis  ,  comme  des  api;  0- 
rismesj  ensuite  il  entre  dans  des  ex- 
plications j  tous  ses  avis  sont  fondés 
sur  sa  propre  expérience.  On  doit  à 
Verri  l'invention  des  haies  de  mù- 


VER 


281 


ricrs entrelacés.  Cellenouvel'e  espèce 
de  clôture  qui  entoure  les  champs 
de  la  Haute -Lorabardie  est  d'un 
produit  extraordinaire  ,  et  elle  leur 
prête  un  aspect  très  -  agréable.  II. 
Sulla  coltivazione  délie  viti  :  Sag-^ 
gio  di  agricoltura  pratica.  Tandis 
que  Dandolo  enseignait  aux  Italiens 
à  faire  de  meilleur  vin ,  Verri  leur 
apprenait  à  en  faire  une  plus  grande 
quantité.  Cet  Essai  eut  autant  d'édi- 
tions, et  il  est  maintenant  aussi  clas- 
sique en  Lombardie  que  le  précédent. 
III.  Osservazioni  sul  volume  intito- 
lato  :  Del  cenacolo  diLeonabdo 
D.4  Vinci ,  LiB.ir,  di  Luigi Bossi 
piTTORE  ,  scritte  etc.  dal  conte  se- 
natore  Carlo  Ferri ,  Milan  ,  1812. 
Bossi  fit  une  réponse  à  ces  Observa- 
tions,  par  des  Lettere  confidenziali 
di  B.  S.,  etc.,  Milan,  1812,  et 
Verri  fit  encore  une  réplique.  Cet 
agriculteur  a  aussi  écrit  sur  la  culture 
de  la  luzerne  ,  et  il  a  pris  la  défense 
de  son  frère  Alexandre ,  critiqué  à 
outrance  dans  !a  Bibl.  ital.  au  sujet 
des3iFied'Erostrale.  Voy.  Leltcra 
dcl  conte  Carlo  Ferri ,  datée  de 
Nizza,  2  décembre  1816,  dans  la 
Bill.  ital. ,  février  ,  1817,  n".  xiv. 
—  Gabriel  Vlrri  ,  quatrième  frère 
des  précédents  ,  actuellement  vivant, 
est  auteur  d'une  Histoire  de  l'Or- 
dre de  Malte.  Ug— i. 

VERRINA  (  Jean  -  Baptiste  ) , 
associé  à  Jean  -  Louis  de  Fiesque  , 
dans  sa  conjuration  contre  les  Doria, 
était  un  homiiie  d'un  esprit  ai'dent , 
qui  jouissait  d'un  grand  crédit  dans 
le  parti  popr.laire ,  a  Gênes ,  et  qui , 
fort  riche  lui-même  ,  avait  procuré 
à  Jean-Louis  de  Fiesque  des  sommes 
immenses,  pour  acheter  des  galères 
et  easrner  des  partisans.  C'est  encore 
lui  qui  avait  rattache  a  Fiesqu.e  tout 
le  parti  populaire ,  jaloux  aupara- 
vant des  nobles  de  toule  dcnomina- 


282 


VER 


tion.  Mais  pour  lui  rendre  ces  ser- 
vices, Verrina  s'était  attire'  la  haine 
de  toute  la  noblesse,  dont  plusieurs 
membres  l'avaient  traité  d'une  raa- 
nièi'e  injurieuse.  Eu  même  temps 
il  s'était  endetté  au  -  delà  de  ses 
moyens;  et  pour  se  tirer  d'affaii'e,  il 
avait  besoin  d'une  révolution  dans 
l'état.  Ce  fut  Verriua  qui  engagea 
Fiesque  dans  les  entreprises  les 
plus  hasardeuses,  et  qui  traça  pour 
lui  tout  le  plan  de  la  conjuration 
contre  les  deux  Doria  ,  en  1547; 
mais  lorsqu'en  montant  sur  sa  galère 
Fiesque  se  fut  noyé,  Verrina,  qui  le 
cherchait  en  vain,  perdit  courage. 
li  resta  sur  sa  galère,  au  lieu  de  se 
mettre  à  la  tête  des  conjurés ,  au  mo- 
ment ou  il  fallait  agir,  et  il  causa 
ainsi  la  ruine  de  tous  ses  associés. 
Après  s'être  retiré  à  Montobbio,avec 
les  deux  frères  de  Jean  -  Louis  de 
Fiesque ,  il  y  fut  assiégé ,  fait  prison- 
nier, et  il  eut  la  tête  tranchée. 

VERRIUS  FLACCUS  (  M.  ) ,  fa- 
meux grammairien  du  siècle  d'Au- 
guste, llorissait  vers  l'an  10  de  l'ère 
chrétienne  {Chroniq.  d'Eusèhe).\{ 
était  de  très-basse  naissance ,  et  avait 
été  long  -  temps  l'esclave  de  ce  Ver- 
rius  Flaccus,  connu  par  son  habileté 
dans  la  science  du  droit  pontifical  et 
par  l'amitié  de  Cicéron  ,  qui  fait 
mention  de  lui  dans  sa  Divination , 
liv.  II,  ch.  21  et  22.  Quelques-  uns 
prétendent  même  qu'il  fut  esclave  et 
ensuite  affranchi  de  l'empereur  :  mais 
cette  opinion  est  peu  plausible;  et 
le  nom  seul  de  Verrius  indique  assez 
que  l'affranchi  avait  appartenu  à  un 
membre  de  la  famille  Verria.  De- 
venu libre  ,  il  ouvrit  à  Rome  une 
école  de  grammaire,  qui  fut  bientôt 
la  plus  célèbre  de  la  ville.  11  se  dis- 
tingua surtout  par  son  mode  d'ensei- 
gnement et  par  l'iiisiitutiou  des  cou- 


VER 

cours  littéraires  entre  ses  disciples. 
Le  vainqueur  recevait,  ainsi  qu'au- 
jourd'hui, un  prix,  qui  était  or- 
dinairement un  ouvrage  rare  ou 
curieux  (  Voyez  Suétone  ,  De  il- 
lustr.  grammat.  ,  cap.  xvii).  Au- 
guste nomma  Verrius  précepteur  de 
ses  petits-fils  (Caïuset  Lucius  Agrip- 
pa ,  césars  ) ,  et  lui  permit  de  s'éta- 
blir dans  son  palais ,  avec  toute  sa 
classe ,  mais  à  condition  qu'il  n'accep- 
terait plus  de  nouveaux  élèves.  Ver- 
rius enseigna  donc  dans  l'atrium  de 
la  maison  de  Catilina,  qui  alors  fai- 
sait partie  du  palais.  Il  recevait  an- 
nuellement de  l'empereur  cent  mille 
sesterces  (environ  i9,ooofr.).llmou- 
rut  extrêmement  avancé  en  âge, sous 
l'empire  de  Tibère.  Suivant  Suétone, 
on  lui  éleva  une  statueàPréneste  ,au 
bas  du  Forum,  dans  un  bâtiment  hé- 
micyclique ,  oîi  étaient  incrustées 
douze  tables  de  marbre,  sur  lesquel- 
les était  sculpté  un  Calendrier  ro- 
main ,  sous  le  titre  de  Fastes.  Ce  Ca- 
lendrier, que  Macrobe  et  Suétone  ci- 
tent quelquefois  ,  avait  été  rédigé 
par  Verrius  lui  -même,  sur  l'ordre 
d'Auguste.  Quatre  des  tables  ou  plu- 
tôt des  fragments  de  tables  qui  le  com- 
posent ont  été  découverts  en  1770, 
et  publiés  par  Foggini  en  1779. 
On  trouve  aussi  ces  fragments  dans 
le  Suétone  de  Wolf,  Leipzig,  1802, 
4  vol.  in -8°.  Ils  contiennent  la  plus 
grande  partie  des  mois  de  janvier , 
mars  ,  avril  et  décembre  ,  et  répan- 
dent un  grand  jour  sur  les  Fastes 
d'Ovide.  Au  lieu  de  Préneste,  quel- 
ques ci'itiques  ont  lu ,  sur  les  manus- 
crits, Paravesle ,  et  d'autres  Prœ- 
vesta.  Ces  derniers  en  ont  fait 
pro  Veslœ  ,  et  ont  conclu  que 
la  statue  de  Verrius  était  à  Rome, 
près  du  temple  de  Vesta.Voy.Fune- 
cius ,  De  virili  œtate  linguœ  la- 
tines ,  Marspurg,  1727  ,  in-4°.  On  a 


VER 

aussi,  mais  à  tort,  attribué  à  Verriiis 
la  rédaction  des  marbres  Capitolins, 
trouvés  à  Ivome,  en  l547,  «lu  Fo- 
rum ,  et  qui  contiennent  la  liste  des 
consuls,  depuis  l'an  de  Rome  270 
jusqu'à  rannce  ^65  (de  notre  ère  la 
12*=.  )•  Mais  on  est  revenu  de  celte 
opinion^  témérairement  avancée  par 
Onuplire    Panviaio ,    et   qui  n'avait 
d'autre  base  qu'une  fausse  interpré- 
tation d'un  passage  de  Suétone  (  ib., 
cil.  xvii),  où  il  est  question  du  Ca- 
lendrier de  Vcrrius.  Onuplire  avait 
confondu  les  Fastes  consulaires  avec 
les  Fastes  calendaires.  Yerrius  avait 
encore  composé  plusieurs  ouvrages  , 
les  uns  sur  l'histoire  ,  les  autres  sur 
la  grammaire.  Les  plus  connus  sont  : 
Lihri  rerum  mcmorid  dignarum; 
—  Saturnalia  ;   —  De   orthogra- 
phia;—  De  ohscuris  (  il  faut  sup- 
pléer sans  doute  vocahulis  ou   lo- 
cis),  —  et  De  vcrborum  significa- 
tione.  Celui-ci   était  le  plus  considé- 
rable de  tons.  Il  nous  en  reste  un  ex- 
trait fait  vers  le  troisième,  ou  ,  se- 
lon quelques-uns  ,  vers  le  cinquième 
siècle,   par  le  grammairien   Julius 
Pompeius    (  ou    Pomponius  )  Fes- 
tus  ,  extrait  qui  a  encore  été  réduit  à 
de    plus  maigres  proportions    par 
Patd  le  diacre ,  dans  le  troisième  siè- 
cle (^^. Festus,  Jul.  Pompeius).  Ces 
fragments  ont  été  recueillis  par  De- 
nis Godefroy,  dans  ses  ^iictores  lin- 
guœlatinœ,  p.  109.     P-ot  et  W-s. 
VERROCHTO  (André),  sculpteur, 
né  à  Florence  vers  l'an  1423  ,  culti- 
va d'abord  les  sciences  ,  et  particu- 
lièrement la  géométrie-  mais  désespé- 
rant de  tirer  de  cette  étude  les  moyens 
d'exister  ,  il  s'adonna  à  l'orfèvrerie, 
art  dans  lequel  il  acquit  bientôt  une 
telle    réputation    que  le  pape  Sixte 
IV  l'appela  à  Rome,  et  le  chargea 
d'exécuter  plusieurs  ligures  d'apô- 
(.res  en  argent ,  dont  il  voulait  déco- 


VER 


s83 


rcr  la  chapelle  pontificale.  La  vue  des 
statues  antiques  découvertes  à  cette 
époque    excita     l'enthousiasme    de 
Verrochio  pour  la  sculpture,  dont  il 
avait  reçu  les  premiers  éléments  de 
Donatello  ,  et  il  commença  à  s'exer- 
cer dans  cet  art.  Ses  premiers  essais 
furent  quelques  figurines  eu  bronze  , 
dont  le  succès  fut  si  grand   qu'il  se 
hasarda  à  travailler  le  marbre.  Fran- 
çois Tornabuoni  lui  confia  l'exécu- 
tion du  mausoléequ'il  voulait  ériger  à 
sa  femme.  L'artiste  y  représenta  cette 
dame  au  moment  de  sa  mort,  accom- 
pagnée de  trois  figures  ,   exécutées 
avec  une  grande  habileté  ,  et  repré- 
sentant les  trois  vertus  tliéologales. 
De  retour  à  Florence  ,  il  lit  une  sta- 
tue en  bronze  de  David ,  qui  existe 
encore  aujourd'hui  dans  une  des  sal- 
les du  palais  Pitti ,  et  nne  statue  de 
la  Fiergc  placée  sur  le  tombeau  de 
Leonardo  Bruni  d'Arezzo.  Ilexécuta 
ensuite  le  mausolée  en  bronze  de  Jean 
et  de  Pierre  de  Médicis  ,  que  l'on 
voit  dans  l'église  de  Saint- Laurent. 
Parmi  les  ouvrages  dus  à  son  ciseau, 
on  distingue  les  deux  excellentes  sta- 
tues en  bronze ,  représentant  Jésus- 
Christ  et  saint  Thomas  qui  lui  tou- 
che  ses  plaies ,  placées   dans  l'é- 
glise d'Orsanraichcle   de  Florence. 
Le  seul  reproche  qu'on  leur  fait,  c'est 
que  les  draperies  offrent  des  plis  un 
peu  durs  et  trop  multipliés.  On  avait 
envoyé  de  Rome  à  Laurent  le  Ma- 
gnifique un  très-beau  torse  antique 
avec  une  tête  deMarsyas.  Verrochio 
y  vit  une   occasion    de  faire   bril- 
ler son  habileté  dans  l'arl  de  restau- 
rer les  ouvrages  des  anciens  ;  il  res- 
titua les  bras  ,  les  cuisses  et  les  jam- 
bes qui  manquaient  ;  et  son  ouvrage 
ne  fut  pas  jugé  inférieur  à  ce  qu'il 
avait    réparé.     Il   exécuta    quelque 
temps   après  deux  têtes  de  bronze 
de  demi-relief,  représentant  Alexan- 


384  VER 

dre-le-Grand  et  Darius;  et  ces  deux 
ouvrages  furent  jugés  dignes  de  fi- 
gurer parmi  plusieurs  objets  d'art 
que  Laurent  de  Mëdicis  envoya  au 
fameux  Matîiias  Corvin  ,  roi  de  Hon- 
grie. Mais  son  œuvre  capital  fut  la 
statue  équestre  en  bronze  de  Barto- 
lommeo  GoUeoni  ,  que  la  seigneurie 
de  Venise  fit  élever  sur  la  place  de 
Saint- Jean  et  Saint- Paul.  Quelques 
gentilshommes  vénitiens  qui  favo- 
risaient Vellauo  de  Padoue  avaient 
obtenu  que  ce  dernier  fondît  la  sta- 
tue. Verrocbio  qui  avait  déjà  dispose 
son  modèle  ,  indigné  de  cette  injus- 
tice ,  brisa  la  tête  et  une  des  jambes 
du  cheval,  et  quitta  furtivement  Ve- 
nise. La  seigneurie  lui  fit  dire  que 
s'il  remettait  le  pied  sur  le  territoire 
de  la  république  il  aurait  la  tête 
tranchée.  Il  répondit  qu'il  se  gar- 
derait bien  de  s'y  exposer  ,  attendu 
qu'on  ne  lui  raccommoderait  jamais 
la  tête  aussi  bien  qu'il  pourrait  répa- 
rer celle  de  son  modèle ,  qu'il  se  sen- 
tait capable  de  reproduire  d'une  ma- 
nière plus  parfaite  encore.  Cette  ré- 
ponse plut  au  sénat  qui  lui  permit  de 
revenir.  11  s'empressa  de  profiter  de 
la  permission,  et  s'occupa  avec  tant 
d'activité  de  la  fonte  de  sa  statue  , 
qu'il  gagna  une  fluxion  de  poitrine 
dont  il  mourut ,  en  1 488;  avant  d'a- 
voir achevé  de  nettoyer  son  ouvrage. 
Verrocliio  ne  se  borna  pas  à  la  sculp- 
ture ,  il  cultiva  aussi  la  peinture. 
Vasari  possédait  de  lui  plusieurs 
dessius  représentant  des  têtes  de 
femmes  ,  dont  les  principes  se  recon- 
naissent dans  LéonarddcViuci,  qui  fut 
son  élève.  On  connaît  un  tableau  qu'il 
a  peint  pour  les  religieux  de  Saint- 
Dominique  de  Florence  ,  et  un  Bap- 
tême de  Jésus-Christ ,  qu'il  fit  pour 
l'église  de  San-Salvi.  Léonard  de 
Vinci  ayant  peint  entièrement  dans 
ce  tableau  un  ange  qui  l'emportait  en 


VER 

beauté  sur  tout  le  reste  du  tableau  , 
Verrochio  ne    put  supporter  de  se 
voir  surpasser  par  un  jeune  homme 
à  ses  premiers  pas   dans  la  carriè- 
re, et  abandonna  les  pinceaux  pour 
i.e   plus  se  livrer  qu'à  la  sculplui'e. 
Cet  habile  artiste  était  aussi  un  des 
meilleurs  musiciens  de  son  temps. 
Sou  corps  fat  transporté  à  Floren- 
ce par  Loreuzo  di  Credi ,  son  élè- 
ve ,  qui  lui  fit  donner   une    sépul- 
ture honorable  dans  l'église  deSaiut- 
Ambroise.    S'il   ne  donna  point  au 
marbre  la  morbidesse  que  cette  ma- 
lièie  reçut  du  ciseau  de  Donatello^ 
il  surpassa  tous  ses  contemporains 
dans  l'art  de  travailler  le  bronze,  et 
les  siècles  postérieurs  peuvent  dilti- 
cilement  lui  opposer  un  artiste   qui 
l'ait  égalé.  Mais   n'eîit-il  point  été 
aussi  habile,  il  mériterait  d'échapper 
à  l'oubli  pour  avoir  initié  dans  l'art 
de   la    peinture  Loreuzo  di   Credi, 
Pierre   Perugin,  le  maître   de  Ra- 
phaël ,  et  Léonard  de  Vinci.     P — s. 
VERRUE  (Jeanne  d'Albert  de 
LuYNES,  comtesse  de)  ,  née  le  1 8  sept. 
lô-jOjSe  fit  une  réputation  par  sou  es- 
prit, par  son  goût  pour  les  curiosités, 
etpar  ses  soupers.  Son  mari  fut  tué 
à  la  bataille  de  Hochstet,  en   1704,; 
sa  fille  épousa  le  prince  de  Carignau. 
Victor-Amédée  II ,  duc  de  Savoie  et 
premier  roi  de  Sardaigue  ,   ne  put 
voir  la  comtesse  de  Verrue  sans  l'ai- 
mer. Bientôt  ,  favorite  du  prince  , 
elle   gouverna   la  cour  et  l'état  :  il 
paraît  que  le  roi  ne  s'en  trouva  pas 
mieux;  et ,  pendant  les  orages  de  son 
règne,  M"*-,  de  Verrue  vint  s'éta- 
blir à  Paris.  Riche ,  et  amie  des  plai- 
sirs ,  de  la  philosophie  et  des  arts  , 
elle  voulut  avoir  uue  bibliothèque , 
un  cabinet  de  tableaux  et  une  cour 
épicurienne  de  beaux  -  esprits.  Elle 
touchait  au  terme  de  sa  vie ,  loi-squc 
Voltaire  publia  (1736)  le  Mondain 


VER 

et  ['apologie  du  luxe.  Melon,  qui 
avait  eîc  secrétaire  du  régcut,  et 
qui  dans  son  Essai  politique  sur 
le  commerce  {\']'à!^)  avait  sérieu- 
sement établi  en  système  l'ingé- 
nieux badinage  de  l'auteur  d'Aizire  , 
écrivit  à  la  comtesse  de  Verrue  :  «  Je 
M  vous  regarde  ,  Madame,  comme 
»  un  des  grands  exemples  de  cette 
»  vérité. Combien  de  familles  snbsis- 
»  tent  uniquement  par  la  protection 
»  que  vous  donnez  aux  arts  I  Que 
))  l'on  cesse  d'aimer  les  tabieau'i ,  les 
«  estampes ,  les  curiosités  en  toute 
»  sorte  de  genres  y  voilà  A'ingt  mille 
»  hommes  au  moins,  ruinés  tout  d'un 
»  couj)  dans  Paris  ,  et  qui  sont  for- 
»  ces  d'aller  chercher  de  l'emploi 
5)  chez  l'étranger,  w  M"^*".  de  Verrue 
pensait  comme  Voltaire  : 

Le  luxe  a  des  cliarracs  puissants; 
îl  encourage  les  laleiiLs, 

11  esl  la  gloire  d'un  euipire 

Le  liche  esl  îié  pour  beaucoup  dépenser. 

Elle  dépensait ,  tous  les  ans  ,  cent 
mille  francs  en  curiosités  ,  et  c'est 
ce  qui  lui  valait  l'admiration  et  les 
compliments  de  Melon.  Elle  fut  l'a- 
mie de  Lafaye ,  dont  Voltaire  a  dit 
trop  légèrement  qu'il  réunissait  le 
mérite  d'Horace  à  celui  de  Pollion. 
Un  goût  extrême  pour  les  plaisirs  , 
qui  ne  vieillit  pas  avec  M'"*=.  de  Ver- 
rue ,  l'avait  fait  surnommer  Dame 
de  volupté.  Elle  laissa,  par  son  tes- 
tament ,  des  legs  à  plusieurs  philo- 
sophes ,  et  se  composa  elle-même 
celte  épitaphe  : 

Ci  gU,  dans  une  paix  profonde  , 
Celte  dame  de  volupté , 
Qui ,  pour  |>lus  grande  sûreté  , 
Fit  son  paradis  dans  ce  monde. 

Elle  mourut  leiSuov.  1736,  la  mê- 
me année  où  avait  paru  Xe  Mondain. 
La  marquise  de  iSimiane  écrivait,  le 
3  déc. ,  à  M.  d'Héricourt ,  en  par- 
iant de  la  mort  peu  chrétienne  de  la 
oori:(esr.e  de  Verrue  .  de  celle  du  duc 


VER  285 

d'Antin  et  de  celle  de  Eussy-Rabu- 
tin  ,  evêque  de  Luçon  ,  qui  avait  lé- 
gué, par  son  testament,  cent  actions 
du  Mississipi  à  diverses  personnes  : 
«  Tant  y  a  que  nous  n'en  savons  que 
»  trop, et  quand  onsait  leurvie,  on  ne 
))  se  dit  que  trop  les  circonstances  de 
»  leur  mort ,  à  moins  de  ces  grâces 
»  finales  de  bon  larron  qui  sont  si 
»  rares  qu'on  ne  doit  pas  y  compter.  » 
M'"e.  de  Simiane  ajoutait  :  «  Saisie 
»  d'effroi  à  la  nouvelle  de  toutes  ces 
»  morts,  j'ai  mal  reçu  la  pièce  de  M. 
»  do  Voltaire  peu  chaste  et  peuchré- 
»  tienne  (  le  Mondain  )  j  je  ne  l'ai 
»  non-seulement  pas  lue  ,  mais  sur- 
))  Ic-champ  je  l'ai  jetée  au  feu.  »  Le 
Catalogue  des  livres  de  la  comtesse 
de  Verrue  ,  rédigé  par  Gabriel  Mar- 
tin ,  1737,  in-8^\  ,  contient  les  suites 
de  pièces  de  théâtre  et  de  romans 
les  plus  considérables  qu'un  particu- 
lier eût  réunies  avant  le  comte  de 
Pont  de  Vesie  et  la  marquise  de 
Pompadour.  Lorsque  l'abbé  Lenglet- 
Dufresnoy  fit  paraître  ,  en  1 734  ,  la 
Bibliothèque  des  romans  ,  la  com- 
tesse de  Verrue  s'était  déjà  occupée 
d'un  travail  du  même  genre,  ou  elle 
voulut  compléter  celui  d'un  écrivain 
qui  grossissait  trop  le  nombre  de  ses 
publications  pour  leur  donner  le  degré 
d'intérêt  et  d'utilité  qu'elles  auraient 
pu  recevoir.  Le  manuscrit  de  la  com- 
tesse de  Verrueavait  étéretrouvépar 
le  savant  auteur  du  Dictionnaire  des 
anonymes ,  et  il  se  proposait  de  s'en 
servir  pour  donner  une  édition  re- 
fondue et  corrigée  de  la  Bibliothèque 
des  romans  (  i  ).  —  Verkue  (  Barbe 
DE  ) ,  poète  du  treizième  siècle  ,  qui 
vivait  sous  le  règne  de  saint  Louis. 


(i)  L'abljé  Campion  de  Tcrsau  avait  aussi  fait, 
sur  des  caries,  un  supplément  considérable  au 
catalogue  donné  par  Lenglct-Dufresnoy.  Je  con- 
serve ce  travail,  ainsi  que  l'exemplaire  de  la  liibl. 
des  romain  ,  qu'il  avait  préparé  pour  une  nouvelle 


286  VER 

Des  Stances  de  cette  dame,  tirées 
(l'un  manuscrit  de  rancitiine  Liljlio- 
thcque  de  Saint-Germain-des-Pres  , 
out  ete  publiées da us  la  Décade  phi- 
losophique (an  x)j  on  y  trOi'.\'e  des 
tours  auacre'ontiques  ,  et  des  grâces 
naïves,  qui  ont  reru  quelque  altéra- 
tion ,  quand  Me'rard  de  Saint-Just  et 
Giraud  ont  voulu  les  traduire  en  lan- 
gage moderne.  MM.  Roujauxet  No- 
dier ont  donne  une  notice  sur  BarLe 
Verrue ,  dans  la  dernière  édition  des 
Poésies  de  Clotilde.  V — ve. 

VERSCHAFFELT  (  le  chevalier 
Pierre  de  ) ,  sculpteur  ,  connu  eu 
Italie  sous  le  nom  de  Pietro  Fiam- 
min^o  ou  Pierre  le  Flamand^  na- 
quit en  1710,  à  Gand  ,  de  parents 
pauvres.  Placé  fort  jeune  chez  un 
sculpteur  en  bois,  et  ayant,  en  peu 
de  temps,  surpasse'  son  maître,  il  vint 
à  Paris  ,  où  il  e'tudia  sous  BoucLar- 
don.  De  là  il  se  rendit ,  en  173-;,  à 
Rome,  où  Benoît  XIV  lui  confia 
plusieurs  travaux  importants,  et  lui 
lit  faire  son  buste  ,  puis  sa  statue  en 
marbre  de  grandeur  naturelle.  On 
trouve  à  Rome,  à  Bologne,  à  Na- 
ples  et  à  Ancône,  des  productions  de 
Pietro  Fiammingo  ,  que  les  Italiens 
placent  parmi  les  chefs-d'œuvre  de 
la  sculpture  moderne.  De  Rome  , 
Pierre  passa  à  Londres  ,  puis  à 
Mauheim  pour  y  occuper  la  place 
de  directeur  de  l'académie  des  beaux- 
arts  ,  et  celle  de  premier  scidpteur 
de  la  cour  ,  auxquelles  l'électeur 
l'avait  nommé.  Pendant  les  quarante 
dernières  années  de  sa  longue  car- 
rière ,  il  a  enrichi  Manheim  et 
Schwetzingen  des  œuvres  de  son 
génie  créateur.  Comme  il  avait  des 
connaissances  en  architectui'e ,  il  di- 
rigea les  constructions  que  l'éieclcur 
fit  élever  dans  ces  deux  villes.  Il 
mourut  à  Manheim  ,  eu  1793  ,  âgé  de 
quatre-vingt-trois  ans  ,  laissant^  à  ce 


VER 

que  l'on  assure,  des  manuscrits  pré- 
cieux sur  son  art.  Voyez  la  Fù^  du 
chei'alier  P.  de  Ferschajfell  (ail.), 
Manheim,  17O7  1  in-8".      G — y. 

VERSCHUURING  (Henri), pein- 
tre ,  né  à  Gorcum  ,  était  d'une  com- 
plexion  si  faible  qu'il  ne  put  suivre 
la  carrière  des  armes  dans  laquelle 
son  père  s'était  distingué*  mais  pres- 
que au  sortir  duberccau,  il  manifesta 
pour  le  dessin  de  rares  dispositions, 
que  Govertz  se  plut  à  développer. 
De  chez  ce  maître ,  le  jeune  Henri 
passa  dans  l'école  que  Jean  Both 
tenait  à  Utrecht ,  et  ne  tarda  pas  à 
s'y  distinguer.  Il  se  rendit  ensuite  en 
Italie-  il  habita  successivement  Ro- 
me ,  Florence  et  Venise ,  dessinant 
tout  ce  qui  pouvait  fortifier  son  ta- 
lent ,  et  il  s'était  déjà  fait  un  nom 
comme  peintre  d'histoire  ,  lorsqu'on 
le  vit  abandonner  ce  genre  pour  s'oc- 
cuper exclusivement  de  peindre  des 
batailles.  Il  s'adonna  particulière- 
ment alors  à  l'étude  des  chevaux,  et 
après  un  séjour  de  cinq  années  en 
Italie ,  parfaitement  employées  ,  il 
se  mit  en  route  pour  revenir  en 
Hollande.  Arrivé  à  Paris ,  il  y  ren- 
contra le  lils  du  bourgmestre  Mar- 
seveen  ,  qui  l'engagea  à  retourner 
avec  lui  à  Rome.  Après  un  nouveau 
séjour  de  deux  ans  dans  cette  ville  , 
il  revint  définitivement  en  Hollande. 
En  1672,  jaloux  de  se  perfectionner, 
il  suivit  l'armée  hollandaise,  dessi- 
nant les  campements  ,  les  armées  en 
bataille,  les  attaques,  les  sièges  ,les 
marches  ,  etc.  ;  c'est  ainsi  qu'il  par- 
vint à  donner  à  ses  tableaux  cette 
vérité  ,  cette  exactitude  ,  qui  en  font 
le  plus  grand  prix.  Comme  il  tra- 
vaillait avec  assiduité ,  il  a  beau- 
coup produit.  Tous  ses  ouvrages  rap- 
pellent les  études  qu'il  avait  faites  en 
Italie.  II  en  retrace  les  monuments 
et  les  sites  avec  un  rare  bonheur. 


VER 

Mais  les  compositions  clans  lesquelles 
il   excelle   sont   les  BalaiUcs  ,    les 
Attaques  de  voleur  s,  le  Pillage  des 
villages  par  des  soldats  :  elles  bril- 
lent par  la  vivacité  ;  les  figures  et 
les   animaux  en   sont  correctement 
dessine's  et  touches  avec  esprit.  Le 
plus  remarquable  de  ses  ouvrages  re- 
pre'sente   un  Parti  bleu  qui  pille  un 
château  :  le  maître  de  ce  château  est 
lie'  et  garrotte'  comme  un  criminel  j 
plusieurs   chariots  suivent  avec  des 
meubles  •  la  dame  offre  aux  pillards 
ses  bijoux   et  son  argenterie  pour 
sauver  son  mari.  Tous  les  détails  en 
sont  finis  avec  autant  d'art  que  de 
vérité.  Ses  dessins  ne  sont  pas  moins 
précieux  que  ses  tableaux ,  et  se  dis- 
tinguent par  l'intelligence  et  la  faci- 
lité  du   travail.   Les    habitants  de 
Gorcum  ,  pleins  d'estime   pour  son 
talent  et  son  caractère  ,  le  nommè- 
rent bourgmestre  de  leur  ville  ;  dans 
cette  place ,  il  se  fit  chérir  de  tousses 
administrés.  Ayant  été  obligé  d'en- 
treprendre un  petit  voyage  par  mer, 
une  violente  tempête  submergea  son 
navire  à  deux  lieues  de  Dordrecht; 
personne  n'échappa  à   ce  naufrage 
qui  eut  lieu  le  26  avril  1690.  On  a 
de   ce  peintre  quatre  eaux  -  fortes 
gravées  avec  un  sentiment  et  un  es- 
prit qui  les    rendent  extrêmement 
précieuses j  mais  elles  sont  d'une  si 
grande  rareté,  que  Huber  et  Rost , 
dans  le  Manuel  des  amateurs  de 
l'art ,  n'ont  pu  en  spécifier  aucune. 
Ce  sont  :  L  Une  Déroute  de  cava- 
lerie.W.  Un  Voyageur  en  manteau. 
IIL  Le  Dogue  couché.  IV.  Le  Lé- 
vrier debout.  Ce  sont  des  ébauches 
très-spirituelics  :  les  premières  éprcu- 
vesde  la  Déroute  sont  avant  les  tail- 
les sur  le  cou  du  cheval  du  cavalier 
portant  un  écusson.  P — s. 

VERSÉ  (  Noël  Aueert  de  ) ,  lit- 
térateur et  controversiste  médiocre  , 


VER  287 

était  né,  vers  le  milieu  du  dix-septiè- 
me siècle  ,  aw  Mans  ,  de  parents  qui 
ue  négligèrent  rien  pour  lui  ju-ocurer 
les  avantages  d'une  bonne  éducation. 
Il  se  décida  pour  la  profession  de 
médecin,  et  prit  ses  grades  à  la  fa- 
culté de  Paris.  Dès  qu'il  eut  achevé 
ses  études  y  entraîné  par  son  carac- 
tère ardent  et  volage  ,  il  se  rendit  en 
Hollande ,  et  ayant  embrassé  le  cal- 
vinisme ,  il  fut  établi  pasteur  dans 
les  environs  d'Amsterdam.  S'étaut 
lié,  peu  de  temps  après,  avec  Chris- 
tophe Saud  (  F.  ce  nom  )  ,  fameux 
socinien  ,  alors  correcteur  d'impri- 
merie ,  il  ne  larda  pas  à  partager  les 
principes  de  son  nouvel  ami.  Le  con- 
sistoire ,  sur  les  plaintes  qui  lui  par- 
vinrent, le  suspendit  de  ses  fonc- 
tions. Loin  de  reconnaître  ses  torts  , 
Aubert  fit  profession  de  socinianis- 
mc  _,  et ,  ayant  été  reçu  bourgeois 
d'Amsterdam,  obtint  d'être  agrégé  au 
collège  de  médecine.  La  pratique  de 
son  art  ne  lui  fournissant  que  de  fai- 
bles revenus  ,  il  se  mit  aux  gages 
d'un  libraire,  et  concourut  à  la  ré- 
daction de  divers  j ournaux  (  i  ).  Ayant 
attaqué ,  dans  quelques  -  uns  de  ses 
écrits ,  l'intolérance  et  les  visions  du 
minisire  Jurieu  (  Voy.  ce  nom  )  , 
celui-ci  le  dénonça,  dans  un  Factum, 
à  tous  les  souverains  de  l'Europe  , 
comme  un  homme  dangereux,  con- 
vaincu de  blasphèmes  et  d'impureté. 
Il  est  vrai  que  les  mœurs  d'Aubert 
n'étaient  pas  très-régulières  j  mais 
c'était  la  première  fois  que  les  prin- 
ces et  les  rois  étaient  invités  solennel- 
lement à  sévir  contre  des  écarts  de  ce 
genre.  Aubert  répondit  vertement  à 
son  adversaire  (2) ,  et  ne   craignit 

(i)  D'Hpris  le  Icimoignage  de  lla^le  ,  on  esl  cer- 
tain fjue  Veisé  travaillait  eu  it)84  «t  itiSf)  aux  iV<i«- 
i'c/Z<-!  solittes  et  choisies  ,  feuille  pciiudicjue  d'Ams- 
terdam, 

(7.)  Voiei  le  litre  de  sa  réponse  :  Manifeste  de 
maille  JS'oil  Auhcil  de  Verse ,  docteur  en  inédeei- 


u88 


VEU 


pas  (l'aller  le  braver  jusque  dans 
Rotterdam.  A  cette  époque  ,  i!  s'était 
»!ejà  séparé  des  sociniens;  et  l'on  pou- 
vait prévoir  qu'il  n'attendait  qu'une 
circonstance  favorahie  pour  rompre 
ouvertement  avec  les  protestants. 
Ayant  obtenu,  vers  i6f)o  ,  la  per- 
mission de  revenir  en  France  ,  il 
rentra  dans  le  sein  de  l'Eglise  ro- 
maine, et  reçut  une  pension  du  clergé 
pour  écrire  contre  ses  co-religionnai- 
res.  Aubert  passa  les  dernières  années 
d'une  vie  presque  constamment  agi- 
tée ,  à  Paris,  et  y  mourut,  eu  17  14, 
sur  la  paroisse  Saint-Benoît.  Outre 
une  traduction  française  du  premier 
volume  des  Acta  eriiditorum  Lip- 
siens. ,  qui  n'a  point  été  continuée,  et 
une  version  latine  de  V Histoire  cri- 
tique de  l'Ancien-  Testament^,  par 
llich.  Simon  (3).  on  cite  de  lui  :  I. 
Réponse  au  Traité  de  M.  de  Me  aux 
(Bossuet),  touchant  la  communion 
des  deux  espèces  ,  Cologne  (  Ams- 
terdam), t683  ,  in-i2.  II.  Le  Pro- 
testant pacifique  ,  ou  Traité  de  la 
paix  de  l'Église  ,  dans  lequel  on  fait 
voir,  par  les  principes  des  réformés  , 
que  la  foi  de  l'Eglise  catholique  ne 
choque  point  les  fondements  du  sa- 
lut, et  qu'ils  doivent  tolérer  dans 
leur  communion  tous  les  chrétiens 
du  monde  ,  les  socinicus  et  les  qua- 
kers mêmes,  dont  on  explique  la 
religion,  Amsterdam,  1684,  in-12. 
Cet  ouvrage  parut  sous  le  nom  de 
Léon  de  la  Guitonière  ;  il  est  di- 
rigé principalement  contre  le  Frê- 


ne ^  et  ci-devanl  niinistre  de  la  religion  réformée  ^ 
/roiirgeois  d'Amsterdam,  contre  Vauteur  anonyme 
d'un  libelle  intitulé  :  Pactum  pour  denmnder  jus- 
lice  aux  puissances  contre  Noël  Aubert.  dit  de 
Versé,  etc.,  7  janvier  1687,  10-4°.  de  a4  pages. 
Cette  pièce  doit  être  fort  rare. 

(3)  Cette  version,  imprimée  à  Amsterdam,  1681, 
in-4".  1  fnt  faite  sur  rédition  fautive  d'Elzevier, 
Pt  d'ailleurs  elle  est  défigurée  par  des  additions  du 
traducteur.  Voy.  la  Vie  de  llich.  Simon,  r-u  lèle 
iles  Lrttreu  choisies ,  p.  44- 


VER 

servatij  àe  Jurieii.  L'auteur,  suivant 
Bayle,  y  montre  beaucoup  d'esprit,  et 
il  n'est  pas  facile  de  détruire  ses  rai- 
sonnements. III.  h' Impie  convaincu, 
ou  dissertation  contre  Spiuosa,  dans 
laquelle  on  réfute  les  fondements  de 
son  athéisme  ,  etc. ,  Amsterdam  , 
1684,  in-8".,  livre  singulier  et  re- 
cherché des  curieux.  L'auteur  pré- 
tend y  prouver  que  le  système  de 
Spiuosa  n'est  qu'une  conséquence 
des  principes  de  Descartes  ,  du  P. 
PJalebranche ,  etc.  IV.  Histoire 
du  papisme  ,  ibid.  ,  i685  ,  i  vol. 
iu-i2.  Cet  ouvrage,  traduit  du  latin 
de  J.-H.  Heidegger  (  V.  ce  nom), 
est  une  réponse  à  V Histoire  du  cal- 
vinisme du  P.  Maimbourg.  V.  Le 
Nouveau  jusioiinaire  de  Rotterdam, 
ou  examen  des  parallèles  mystiques  de 
Jurieu  ,  Cologne  (  Amsterd.  ) ,  i636, 
in- 12,  sous  le  nom  de  Théognoste  de 
Bérée.  C'est  l'ouvrage  qui  .mit  en 
fureur  Jurieu.  Il  a  été  réimprimé  , 
avec  le  suivant  :  VI.  Le  Tombeau 
du socinianisme{[Ç)  ,o\\  nouvelle  mé- 
thode d'expliquer  le  mystère  de  la 
Trinité  ,  Francfort  (  Amsterdam  ) , 
1687,  in- 1 '2.  VII.  Traité  de  la  li- 
berté de  conscience ,  ou  de  l'auto- 
rité des  souverams  sur  la  religion 
des  peuples ,  Cologne  (  Amsterdam  ), 
1687  ,  in- 16  ,  sous  le  nom  de  Léon 
de  la  Guitonière.  VIII.  IJ Avocat 
des  protestants ,  ou  Traité  du  schis- 
me ,  dans  lequel  on  justifie  la  sépa- 
ration des  protestants  d'avec  l'É- 
glise, contre  Nicole,  Brueys  etFer- 
rand  ,  Amsterdam,  1687  ,  in  -  12. 
IX.  Les  Trophées  de  Port-Royal, 
renversés ,  ou  défense  de  la  foi  des 
six  premiers  siècles  de  l'Église,  tou- 
chant la  Sainte-Eucharistie  j  contre 


(4)  Par  une  faute  d'impression  inconcevable , 
dans  le  Dictionnaire  de  Feller ,  cdit.  de  Paris , 
1SÏ4  ,  tom.  XIII ,  p.  276  ,  cet  ouvrage  est  désigné 
son»  le  titre  de  Tombeau  du  christianisme. 


VER 

les  sophismes  d'Ar uauld ,  ib. ,  1 088, 
iii  -  i'2.   X.    La  rentable  clef  de 
l' yi pocaljpse  ;  ouvrage  où  en  ict'u- 
tant  les  systèmes  qu'on  a  Làtis  dessus 
jusqu'ici  l'on  indique   le  A'éritable  ; 
et  où  l'on  découvre   en   particulier 
l'illusion  des  prédictions  de  J.  F. 
P.  D,  R.  (  Jurieu ,  fans  prophète  de 
Rotterdam) ,  Cologne  (Amsterdam), 
1690,  in-i 2.  L'auteur  annonce  cet 
ouvrage  comme  l 'abrège  d'un  grand 
travail  qu'il  publiera  plus  tard.  XL 
IJAnti-socinien,  ou  nouvelle  apo- 
logie de  la  foi   catholique,   Paris  , 
1G9.2,  m- 12.  XII.  La  Clef  de  V Apo- 
calypse de  saint  Jean ,  ou  histoire 
de  l'Église  chrétienne  sous  la  qua- 
trième monarchie^  ibid. ,   i^oi,  2 
vol.  in- 12.  C^est  le  Traité  qu'il  pro- 
mettait dans  la  préface  de  l'ouvrage 
indiq.ué  sous  le  n°.    x.  On  attribue  , 
mais  sa  us  preuve,  à  Aubert  de  Versé, 
le   Mémoire   sur   Vinspiration  des 
livres  sacrés ,  inséré  dans  les  Senti- 
ments des  théologiens  de  Hollande 
contre  V Histoire  critique  de  l'An- 
cien- Testament  de  Rich.  Simon  ; 
et  le  Platonisme  dévoilé,  livre  rare 
et  curieux  ,  dont  l'auteur  est  Souve- 
rain ,    ministre    calviniste ,  sur   le- 
quel on  n'a  pas  de  renseignements. 
"W— s. 
VERSOIS  ouVEESOR1S(Fau- 
RE  DE).  F.  Louis  XI  ,  XXV,  i38  , 
note  I. 

VERSORIS  (  Pierre  de  ) ,  avocat, 
né  à  Paris  ,  le  10  février  i528  ,  de 
Guillaume  de  Versoris  ,  seigneur  de 
Garge  ,  fut  un  des  premiers  orateurs 
de  son  temps.  Sa  famille ,  noble  et 
originaire  de  Normandie,  avait  quit- 
té la  province  environ  quatre-vingts 
ans  auparavant,  et  s'était  fixée  à 
Paris,  en  la  personne  de  Jean  Le 
Tourneur,  frère  de  son  bisaïeul,  au- 
teur de  plusieurs  ouvrages  écrits  en 
latin ,  et  un  des  premiers  docteurs  de 

XLVIII. 


VER 


289 


l'uniATi-sité.  Celui-ci  appela  près  de 
lui   Frédéric ,  son  neveu  ,  le  plaça 
dans  le  barreau ,  et  lui  lit  épouser 
Jeanne  Fournier,  proche  parente  du 
lieutenant-civil  Charmolue.  De  Fré- 
déric naquit  Guillaume,  père  de  celui 
qui  nous  occupe  en  ce  moment. Tous, 
suivant  l'usage  en  vogue  à  cette  épo- 
que, avaient  substitué  à  leur  nom  de 
Le  Tourneur  celui  de  Versoris  _,  du 
mot  latin  versor ,  qui  en  est  la  tra- 
duction. Guillaume  de  Versoris  étant 
mort  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans ,  son 
fils ,  quoique  destiné  à  être  officier 
en  cour  souveraine  ,   fut  élevé  avec 
trop  peu  de  soin,  ou  du  moins  de  sé- 
vérité ;  aussi  dépensa-t-il  en  frivoli- 
tés  presque  tout  son   bien  ,   avant 
d'avoir  été  reçu  avocat.  Mais  sitôt 
qu'il  se  vit  presque  dénué  de  ressour- 
ces pécuniaires ,  il  se  livra  avec  ar- 
deur au  travail  ,  et  répara ,  par  une 
persévérance  opiniâtre^  le  temps  qu'il 
avait  perdu.  Ses  connaissances  et  son 
talent  pour  la  parole  le  rendirent,  en 
peu  d'années,  un  des  oracles  du  bar- 
reau. Il  était  recherché  surtout  dans 
les  causes  difficiles  ou  gâtées  pari'im- 
péritie  des  autres  avocats ,  et ,  il  faut 
le  dire ,  dans  les  mauvaises  causes. 
Telle  fut  celle  dont  les   Jésuites  le 
chargèrent    en    i564.   L'université 
avait  accordé  à  ces  religieux  le  droit 
d'enseigner,  mais  à  condition  qu'ils 
se  conformeraient  à  ses  lois  ,  coutu- 
mes et  règlements  ,  ce  qu'ils  négligè- 
rent ou  omirent  bientôt  de  faire.  De 
là   un   procès   entre  l'université  et 
les  pères  de  la  compagnie  de  Jésus  , 
tenant  le  coUégede  Clermont  à  Paris. 
Le  célèbre  Etienne  Pasquier ,  ennemi 
juré  du  nouvel  institut ,  plaida  con- 
tre eux  ,  et ,  entre  plusieurs  accusa- 
tions ,   appuya  sur    le   point  qu'ils 
étaient  hors  de  l'université  ,  et  n'as- 
piraient qu'à  se  faire  les  rivaux  de 
l'institution   où  ils  s'étaient   glissés 

^9 


i()o  VEB 

comme  affiliés.  «  Notre  université  , 
disait  l'orateur  ,  est  composée  de  se'- 
culiers  et  de  religieux  :  il  faut  être 
tout  uu  ou  tout  autre  ;  nous  n'y  ad- 
mettons point  de  métis S'ils 

veulent  vivre  comme  nos  régents  sé- 
culiers ,  pourquoi  donc  font-ils  des 
vœux  ?  S'ils  se  publient  religieux  , 
qu'ils  se  tiennent  comme  les  autres  , 
clos  et  couverts  dans  leurs  monas- 
tères?. . .  Davantage ,  il  n'est  permis 
à  tous  régents  séculiers  de  tenir  classe, 
qu'ils  n'aient  fait  preuve  de  leurs 
suiîisauce  et  capacité.  S'est-il  jamais 
ti-oiivé  un  seul  de  nos  jésuites  qui  ait 
subi  l'examen  de  notre  université.^  » 
Versoris  ,  après  avoir  détruit  les  allé- 
gations de  médiocre  importance,  sut 
glisser  si  adroitement  sur  le  point  oij 
gisait  toute  la  discussion  ,  que  la 
cause  fut  appointée  (avril  i565), 
ce  qui  était  une  véritable  victoire 
pour  ses  clients  ,  puisque  les  choses 
demeuraient  in  statu  quo,  et  que  les 
Jésuites  i-estaicnt  en  possession  de 
leur  collège.  Peu  après  ce  triomphe^ 
Versoris  quitta  le  barreau  ,  ali  il 
avait  acquis  d'assez  grandes  riches- 
ses qui,  jointes  aux  domaines  hérités 
de  ses  pères,  lui  formaient  un  revenu 
considérable.  Cependant  on  avait  en- 
core recours  à  ses  lumières  pour  les 
consultations  j  et  l'allluence  des  plai- 
deurs autour  de  lui  était  si  grande  , 
que  son  antichambre  était  toujours 
remplie  de  clients.  Il  devint ,  vers  la 
même  époque,  chef  du  conseil  des 
Guises  et  garde  de  leurs  sceaux  ;  mais 
il  paraît  qu'il  s'occupait  seulement 
de  leurs  aflaires  domestiques  et  civi- 
les ^  sans  prendre  part  aux  cabales 
au'ils  formèrent  et  aux  trames  qu'ils 
!  iirdirent  pour  renverser  les  Valois 
.:  repousser  les  Bourbons;  ce  qui, 
au  rc'ste  ,  n'empêchait  pas  qu'il  ne 
prévît  et  sans  doute  ne  désirât  se- 
cre'tement  une  révolution  qui  avait 


VER 

pour  elle  tant  de  chances  de  proba- 
bilité. Eu  iS'jô  ,  il  fut  député  aux 
états-généraux  qui  se  tinrent  à  Blois, 
et  porta  la  parole  pour  le  tiers -état. 
11  mourut  le  ^5  décembre  i588  , 
quelques  heures  après  avoir  appris 
la  nouvelle  de  l'assassinat  du  duc  de 
Guise.  Il  laissa  ,  de  Marg.  Coi- 
gnet  sa  femme  ,  deux  fils  et  deux 
lilles.  Frédéric  ,  l'aîné  ,  fut  con- 
seiller au  parlement  de  Paris  ,  le 
second  fut  seigneur  de  Coulomiers  , 
conseiller  et  secrétaire  du  roi.  Son 
petit  -  fils  vivait  à  Orléans  ,  an 
commencement  du  dix-huitième  siè- 
cle. On  peut  consulter,  sur  Pierre  de 
Versoris ,  Ant.  Loisel  ,  Opuscules , 
pag.  -75 1  ,  752J  Blanchard  ,  Cata- 
logue des  conseillers  de  Paris;  iMor- 
nay ,  Feriœ  foreuses ,  p.  -^  5 2, qui  en 
fait  un  éloge  détaillé  ;  Duvair,  Traite' 
d'éloq.  (  celui-ci  le  compare  avec 
Meugot);  Bayle,  tome  m  ,  p.  800 
(  édit.  i-jiS),  et  surtout  De  Thou  , 
et  VHist.  latine  de  Vuniv.  de  Paris, 
sous  les  années  1 5(S3  ,  64  ,  65.  On  y 
trouvera  le  plaidoyer  de  Versoris  en 
faveur  des  Jésuites,  monument  d'au- 
tant plus  pxécieux  que  c'est  le  seul 
des  ouvrages  de  l'auteur  qui  ait  été 
imprimé.  Il  en  existe  une  édition  par- 
ticulière sous  ce  titre  ;  Plaidoyer 
de  feu  maistre  Pierre  Fersoris  , 
aduocat  en  parlement  ,  pour  les 
prehstres  et  écoliers  du  collège  de 
Clermont  ,  fondé  en  Vuniv.  de  Pa- 
ris, demandeurs  contre  ladite  unii^. 
deffenderesse ,  mdxcijii  ,  sans  nom 
de  lieu  ,  ni  d'imprimeur.     P — ot. 

VERvSTEGAN  (Richard),  issu 
d'une  ancienne  famille  de  la  Guel- 
dre,  transplantée  en  Angleterre,  sous 
le  règne  de  Henri  Vil  ,  naquit  à 
Londres  vers  le  milieu  du  seizième 
siècle.  Il  fut  élevé  à  Oxford ,  oij  il 
s'appliqua  spécialement  à  l'étude  des 
antiquités  saxones  et  gothiques.  Le 


VER 

refus  qu'il  fît  de  prêter  le  nouveau 
serinent ,  lors  du  changement  de 
religion  ,  l'obligea  de  se  réfugier  à 
Anvers.  Il  y  publia^  en  1587,  Tliea- 
irum  crudelitatum  hœrelicorum 
nostri  temporis,  douze  feuilles  ni-4''., 
avec  des  gravures ,  trad.  en  français^ 
ibid. ,  1 5b8  ,  in-4'*.  On  voit  dans 
cet  ouvrage  de  quelle  manière  ceux 
qui  se  plaignaient  de  la  sévérité  du 
duc  d'Âlbe  avaient  traite  les  catho- 
liques. Il  fut  bien  reçu  des  catholi- 
ques, mais  suscita  à  son  auteur  denom- 
breux  ennemis  parmi  les  nouveauxrë- 
formateurs.  Verstegau  seretii'a  alors 
à  Paris  ,  et  n'y  fut  pas  plus  tran- 
quille. L'ambassadeur  d'Angleterre 
l'y  dénonça  ,  à  cause  du  portrait 
odieux  qu'il  avait  fait  de  la  reine 
Elisabeth  ,  dans  son  ouvrage.  11  fut 
mis  en  prison  par  ordre  du  roi ,  et 
ne  recouvra  sa  liberté  qu'à  la  solli- 
citation des  chefs  de  la  Ligue.  Re- 
venu à  Anvers  ,  il  y  continua  ses 
travaux  qui  le  mirent  en  corres- 
pondance avec  les  ])lus  savants  an- 
tiquaires du  temps  ,  entre  autres 
avec  Robert  Cotton.  On  ne  sait  pas 
plus  l'année  de  sa  mort  que  celle  de 
sa  naissance.  Outre  l'ouvrage  ci- 
dessus  ,  on  a  de  Verstegan  ,  en  an- 
glais :  L  Recherches  pour  retirer  de 
l'oubli  tout  ce  qui  concerne  la  na- 
tion anglaise ,  Anvers ,  1 6o5, in-4°.  ; 
Londres  ,  i653  et  -^4  ?  in-8°.  ,  avec 
des  gravures  d'une  grande  beauté'  ; 
l'ouvrage  était  d'un  très-haut  prix. 
IL  Les  divers  gouvernements  qui 
se  sont  succédé  en  Angleterre  , 
1G20  ,  en  une  grande  feuille,  avcjc 
des  gravures.  III.  Odes  imitées  des 
sept  psaumes  de  la  pénitence ,  avec 
différents  poèmes  ,  1601.  IV.  Dialo- 
gue sur  la  m,anière  de  bien  mourir, 
Anvers,  i6o3  ,  in-S».  C'est  une  tra- 
duction de  don  Pierre  de  Luna. 

T-D. 


VER 


291 


VERT  (  Dom  Claudk  de  ) ,  sa- 
vant liturgiste  ,  ne  à  Paris  le  4  octo- 
bre 1645  ,  fit  ses  humanités  à  Nan- 
terre  ,  sous  les  chanoines  réguliers  , 
et  à  l'âge  de  seize  ans  embrassa  la 
règle  de  saint  Benoît ,  au  monastère 
de  Li  -  Huns  en  Santerre  ,  diocèse 
d'Amiens  ,  de  l'ordre  de  Cluny.  Ses 
supérieurs  l'envoyèrent  à  Avignon 
faire  ses  cours  de  philosophie  et  de 
théologie  ;  et  lorsqu'il  les  eut  termi- 
nés il  visita  l'Italie  ,  sans  autre  but 
que  de  satisfaire  sa  curiosité.  Pen- 
dant son  séjour  à  Rome  ,  il  fut  frap- 
pé de  l'éclat  et  de  la  pompe  des  cé- 
rémonies du  culte  catholique,  et  il 
forma  le  projet  d'en  rechei'cher  l'o- 
rigine. De  retour  à  Li-Huns  ,  il  s'ap- 
pliqua sans  relâche  à  l'étude  et  lit 
de  rapides  progrès  dans  la  connais- 
sance des  anciens  monuments.il  con- 
tribua beaucoup  au  rétablissement 
des  chapitres  généraux ,  fit  l'ouver- 
ture de  celui  de  1676,  par  un  dis- 
cours ,  y  fut  élu  trésorier ,  et  chargé 
avec  D.  Paul  Rabusson  de  préparer 
une  édition  du  Bréviaire  de  l'ordre  j 
elle  parut  en  1G86,  et  devint  bientôt 
l'objet  des  plus  violentes  attaques 
(  Foj.  Thiers)  ;  mais  ce  travail  va- 
lut à  D.  de  Vert  de  nouvelles  marques 
d'estime  de  la  part  de  ses  confrères, 
qui  le  renommèrent  visiteur  ,  puis 
dédniteur  de  l'ordre  dans  la  province 
de  France,  Les  divers  emplois  dont 
il  fut  constamment  revêtu  ne  laleuti- 
rent  point  son  ardeur  pour  l'étude. 
En  1689,  il  publia  la  Traduction 
de  la  règle  de  saint  Bejioît  ,  par 
l'abbé  dcRancé,  ornée  d'une  préface 
et  de  courtes,  mais  savantes  notes.  Il 
en  avait  fait  un  Commentaire  plus 
étendu  ,  dont  l'impression  était  déjà 
fort  avancée  j  mais  le  bruit  de  sa  mort 
s'étant  répandu  pendant  son  absence, 
l'imprimeur  ,  jugeant  que  l'ouvrage 
ne  serait  jamais  achevé ,  en  détruisit 

ï9- 


292 


VER 


toutes  les  fenilks  ;  et  D.  de  Vert,  qui 
n'avait  pas  conserve  de  cojàe  de  son 
travail ,  n'eut  pas  le  courage  de  le 
recommencer.   Le    ministre    Jurieu 
(  For.   ce  nom  )    ayant  cile  D.  de 
Vert  comme  partageant  ses  opinions 
sur  l'origine  de  quelques-unes  des  cé- 
rémonies de  la  messe ,  celui-ci  se  vit 
force  d'expliquer  ses  ve'ritabies  sen- 
timents. C'est  le  sujet  de  sa  Lettre  à 
Jurieu^  Paris,    1690,  in-12.   Elle 
reçut  l'approbation  des  plus  savants 
prélats  ,  entre  autres  de  Bjossuet  qui 
pressa  I).  de  Vert  d'exe'^îiier  enîin 
le   projet  qu'il  annonçait  depuis  si 
long-temps,  d'éclaircir  l'origine  des 
cérémonies  de  l'Église.  11  s'en  occupa 
dès-lors  avec  autant  d'assiduité  que 
ses  devoirs  purent  le  lui  permettre. 
Nommé   vicaire -général  de  l'ordre 
en  it)g4,  il  fut  élu,  l'année  suivante, 
prieur  de  Saint  -  Pierre  d'Abbeville. 
Il  passa  dans  cette  maison  ses  der- 
nières années  ,  partageant  son  temps 
entre  l'étude,  la  prière  et  les  soins 
du  gouvernement.  Il  venait  de  met- 
tre la  dernière  main  à  son  grand  ou- 
vrage ,  quand  il  mourut  subitement 
d'ime   colique    le    i/^"".    mai     1708. 
Ou  a  de   lui  :  ï.  Eclaircissements 
sur  la  réformation  du  Bréviaire  de 
Clunj- ,  piemière  Lettre  { 1  ) ,  Paris  , 
i6go  ,  in-i2.  Ce  petit  ouvrage  ,  di- 
visé en  trois  parties  ,  contient  l'ex- 
plication des  cérémonies  de  l'Eglise 
dans  la  semaine  siinte.  II.  Explica- 
tion du  chap.  48   de  la  règle  de 
saint  Benoit ,  pour  servir  d'éclair- 
cissement à  la  question  des  études 
monastiques,   par  frère  Colomban 
(1693),  in-ia   (2).  Il  s'y  déclare, 
avec  l'abbé  de   Rancé  ,  contre  les 


(i)  La  suite  n'a  point  paru. 

(a)  n  en  existe  des  exemplaires  avec  le  titre  sui- 
vant :  Réponse  aux  lellres  écrites  à  M,  l'xblié  de 
La  Trappe^  pour  servir  fVé<  laircifsemenl  à  la  qu^f- 
lion  des  fiiides  moHOStiijuefi 


VER 

étiules  monastiques  ;  mais  on  voit 
cependant  qu'il  serait  assez  disposé 
à  approuver  cette  dérogation  à  la 
règle.  111.  Dissertation  sur  les  mots 
de  messe  et  de  communion ,  Paris  , 
i6g4,  in-12.  C'est  une  réponse  à 
l'opuscule  de  D.MabilIon:  Traité  où 
Von  réfute  la  nouvelle  explication 
que  quelques  auteurs  donnent  aux 
mots  de  messe  et  de  communion  , 
qui  se  trouvent  dans  la  règle  de 
saint  B eyioit ,  ^^lis  ,  i6go,  in-12. 
D.  de  Vert  y  soutient,  avec  Saint-Cy- 
ran  et  Lancelot,  que  le  mot  de  messe 
s'y  ])rend  pour  tout  l'office  ,  et  que 
celui  de  communion  n'y  signilie  pas 
toujours  la  manducation  réelle  du 
corps  de  J.  -  C.  IV.  Explication 
simple  ,  littérale  et  historique  des 
cérémonies  de  l'Eglise ,  Paris ,  1 709- 
i3  ,  4  vol.  in-S**.,  fîg.  Les  deux  pre- 
miers volumes  ,  publiés  en  1706  et 
1707  ,  furent  réimprimés  en  1709  , 
avec  des  corrections  et  additions  ; 
les  deux  autres  ne  parurent  qu'en 
1718  ,par  les  soins  du  P.  Desmolets, 
qui  les  lit  précéder  d'un  Eloge  his- 
torique de  l'auteur  ,  et  joignit  au 
quatrième  volume  trois  opuscules  de 
D.de  Vert  :  la  Lettre  à  Jurieu;  les 
Éclaircissements  sur  la  réformation 
du  Bréviaire  de  Cluny ,  dont  on  a 
parlé  ;  et  enfin ,  V Explication  des 
cérémonies  de  la  bénédiction  d'une 
ahhesse.  Ce  dernier  écrit  ,  im[)rimé 
séparément  à  Amiens,  d'une  manière 
furtive  ,  avait  ensuite  paru  dans  les 
Mémoires  de  Trévoux  ,  septembre 
1708.  Le  but  de  D.  de  Vert ,  dans 
son  grand  ouvrage  ,  est  de  montrer 
que  toutes  les  cérémonies  de  l'Eglise 
ont  une  origine  simple  et  naturelle  , 
et  qu'il  n'est  point  nécessaire  pour 
les  expliquer  de  recourir  à  l'allégo- 
rie. Ce  sentiment  a  été  combattu  vi- 
vement ])ar  l'évêque  de  Soissons  , 
dans  un  écrit  intitulé:  Du  véritable 


VER 

esprit  de  l'Eglise  dans  l'usage  de 
ses  cérémonies  (  Voj.  Languet  , 
XXTII  ,  3-0  ).  L'ouvrage  de  D.  de 
Vert  manque  d'oidre ,  mais  il  y  a 
beaucoup  d'érudition  et  de  reclier- 
cLes  curieuses.  Voy.  son  Éloge  dans 
les  Mémoires  de  Trévoux  ,  août 
1708  ;  et  sa  Vie  dans  les  Mémoires 
de  Niccron  ,  tome  xi.  Sou  portrait 
a  été  gravé  in-8".  W — s. 

VERTOT  (René  AuBERT  de)  na- 
quit, le  i5  novembre  1655,  au  châ- 
teau de  Benetot  dans  le  pays  de  Caux. 
îl  étaitle second  fils  d'un  gentilhom- 
me assez  pauvre,  mais  allié  à  toutes 
les  grandes  maisons  de  Normandie. 
Son  frère  aîné,  qui  mourut  jeune, et 
sans  laisser  d'enfants,  était  cham- 
bellan de  Monsieur  ,  frère  de  Louis 
XIV.  René  de  Vertot  embrassa  l'é- 
tat ecclésiastique ,  non  point  par  ar- 
rangement de  famille  ,  mais  par  une 
vocation  A^éritable.  Il  avait  fait  ses 
études  au  collège  des  Jésuites  ,  à 
Rouen.  Une  piété  ardente,  comme 
les  passions  de  cet  âge,  le  détermina 
à  entrer  au  séminaire ,  du  consente- 
ment de  ses  parents.  II  y  était  depuis 
deux  ans  ,  lorsque  lout-à-coup  il  dis- 
parut. Sa  famille  ,  ses  amis  le  cher- 
chèrent avec  de  vives  inquiétu- 
des. Au  bout  de  six  mois ,  on  décou- 
vrit qu'il  s'était  enfermé  au  cou- 
vent des  Capucins  à  Argentan.  On  fit 
de  vains  efl'orts  pour  le  détourner  de 
son  dessein  :  il  fit  profession,  et  prit 
le  nom  de  frère  Zacharic.  En  se  li- 
vrant à  son  zèle  pieux,  il  ne  risquait 
pas  moins  que  sa  vie.  Il  avait  eu , 
quelques  années  auparavant,  un  ab- 
cès à  la  jambe  :  l'os  avait  été  en  par- 
tie carié.  Une  opération  cruelle  avait 
été  nécessaire;  un  régime  exact  et  des 
précautions  lui  avaient  été  prescrits. 
La  règle  sévère  de  l'ordre  de  S. -Fran- 
çois, les  jambes  nues,  le  frottement 
de  la  robe  de  bure ,  eui  rut  bientôt  cn- 


VER  U93 

venimé  de  nouveau  son  mal.  Il  con- 
sentit à  aller  recevoir  les  soins  de  sa 
famille.  A  forced'enpi'endre  on  le  gué- 
rit. Ses  parents  renouvelèrent  alors 
toutes  leurs  instances  pour  qu'il  sor- 
tît de  l'ordre  des  Capucins.  Des  rap- 
ports de  médecins,  des  consultations 
de  Sorbonne,  réussirent  enfin  à  cal- 
mer les  scrupules  du  jeune  religieux. 
On  obtint  son  consentement ,  et ,  ce 
qui    fut   plus    facile  ,   un  bref   du 
pape ,  pour  l'autoriser  à  passer  sous 
une  règle  moins  austère.  Il  entra  dans 
l'abbaye  des  Prcniontrés  à  Valscry. 
Il  avait  alors  vingt-deux  ans.  L'abbé 
Colbert  était  à  ce  moment  général 
des  Prcniontrés.  Il  entendit  parler 
de  l'esprit  et  des  talents  du  jeune 
abbé  de  Vertot,  l'appela  près  de  lui, 
le  nomma   son   secrétaire ,  et  peu 
après    lui    conféra    le    prieuré    de 
Joyenval.  Une  règle  de  droit-canon 
interdisait  à  tout  religieux  qui  avait 
obtenu  la  permission  de  passer  d'un 
ordre  dans  un  autre  la    faculté  d'y 
posséder  aucune  charge  ni  bénéfice. 
Les  faveurs  que  le  général   venait 
d'accorder  à  son  protégé  excitèrent 
de  grands  murmures  parmi  les  Pré- 
montrés. Vainement  un  bref  du  pape 
avait  spécialement  autorisé  celle  no- 
mination. Le  conseil   provincial  se 
pourvut  juridiquement  contre  le  bref; 
ctsansdes  lettres  du  roi,  il  eût  été  dé- 
claré nul  et  non  avenu.  Soit  par  un 
scrupule  que  ne   pouvaient  dissiper 
des  actes  d'autorité  ,  soit  ])ar  amour 
du  repos  ,  qu'il  n'aurait  ]ias  trouvé 
dans  une  abbaye  où  les  moines  l'au- 
raient regardé  comme  un  supérieur 
imposé  par  force,  l'abbé  de  Vertot  se 
démit  sans  délai  de  son  prieuré,  et 
demanda  une  simple  cure  dépendante 
de  }'•  rdrc,  celle  de  Croissy -la -Ga- 
renne ,  près  de  Marly.  La  enfin  il 
trouva  le  repos  et  le  loisir.  Sans  né- 
gliger en  rien  les  devoirs  d'un  pas- 


^94 


VER 


leur  de  canipa^ue,  il  se  livra  avec 
goût  à  l'étude  des  lettres.  Il  e'tait  en- 
core peu  connu  ;  mais  il  avait  pour 
amis  Fontenelle  et  l'abbe  de  Saint- 
Pierre  ,  ses  compatriotes.  Leurs  entre* 
tiens  et  leur  sufiraç;e  l'encourageaieutj 
2t  ce  fut  d'eux  qu'il  reçut,  à  ce  qu'on 
assure ,  !e  conseil  d'écrire  l'histoire. 
En  1689  il  fit  imprimer  son  premier 
ouvrage  :  Histoire  de  la  conjuration 
de  Portugal.  Ce  livre  eut  tout  aussi- 
tôt nn  grand  succès,  a  Nous  avons 
lu,  avec  mon  fils,  la  Conjuration 
de  Portugal ,  qui  est  fort  belle,  » 
e'crivait  M™e,  de  Sévigné  peu  après 
la  publication.  Le  P.  Bouhours  , 
le  plus  fameux  critique  du  temps  , 
assurait  qu'il  ne  connaissait  pas 
en  français  un  plus  beau  style. 
«  C'est  une  plume  taillée  pour  écrire 
la  Vie  de  M.  de  Turenne,  »  disait 
Bossuet  au  cardinal  de  Bouillon.  La 
révolution  d'Angleterre  ,  dont  cha- 
cun s'entretenait  alors  ,  et  qui  était 
toute  récente ,  jetait  sur  la  Révolu- 
tion de  Portugal  une  sorte  d'intérêt 
du  moment.  Chacun  trouvait  des 
allusions ,  bien  que  l'auteur  n'y  eût 
nullement  songé.  Le  succès  ne  l'eui- 
vra  point.  Tout  voisin  qu'il  était  de 
Paris ,  il  n'en  recherchait  ni  le  bruit 
ni  les  flatteries.  Après  avoir  écrit 
son  livre,  si  quelque  chose  l'occupait 
encore,  disait-il,  c'était  le  désir  de 
retourner  dans  sa  province ,  dont  il 
regrettait  le  séjour.  11  sollicita  et  ob- 
tint bientôt  une  autre  cure ,  dans  le 
pays  de  Caux  ;  il  en  eut  ensuite  une 
troisième,  d'un  assez  gros  revenu  , 
aux  portes  de  Rouen  ,  qui,  n'appar- 
tenant pas  aux  Prémontrés,  le  tirait 
complètement  des  liens  du  clergé  ré- 
gulier. Libre,  riche  et  content,  il 
n'en  travailla  qu'avec  plus  d'ardeur. 
Il  aimait  les  livres,  et  maintenant 
pouvait  en  acheter.  Sept  ans  après 
son  premier  ouvrage ,  il  publia  l'His- 


VER 

toire  des  révolutions  de  Suède  ,  dont 
les  récits  avaient  plus  de  variété  et 
d'intérêt  encore  que  la  Révolution  dp 
Portugal.  Gustave  Wasa,  proscrit  , 
cachédansles  mines  de  Suède,  remon- 
tant sur  le  trône  par  l'enthousiasme 
qu'il  iuspire  à  de  pauvres  paysans  , 
était  im  tout  autre  personnage  que 
le  secrétaire  Pinto  gagnant  la  cou- 
ronne pour  un  maître  irrésolu  et  in- 
dolent. Le  succès  de  ce  second  ouvra- 
ge fut  aussi  très-grand.  Cinq  éditions 
parurent  coup  sur  coup  ,  avec  la  mê- 
me date.  Il  fut  traduit  en  plusieurs 
langues.  La  cour  de  Stockholm  char- 
gea son  envoyé,  qui  partait  pour  la 
France ,  de  faire  conuaissance  avec 
l'auteur,  et  de  l'engager  à  composer 
une  Histoire  générale  de  Suède.  Cet 
envoyé  croyait ,  en  arrivant  à  Paris, 
trouver  l'abbé  de  Vertot  mêlé  à  tous 
les  gens  de  lettres  ,  et  répandu  dans 
le  plus  grand  monde.  Il  fut  sux-pris 
d'apprendi-e  que  c'était  un  curé  de 
campagne ,  vivant  eu  province  ,  et 
dont  les  ouvrages  seuls  étaient  con- 
nus. Il  advint  de  là  que  la  négocia- 
tion n'eut  point  de  suite  ,  et  que  l'ab- 
bé de  Vertot  ne  fit  point  l'office 
d'historiographe  de  Suède.  En  1701, 
le  roi  donna  une  forme  nouvelle  à  l'a- 
cadémie des  inscrijîtions  et  belles- 
lettres ,  et  augmenta  le  nombre  de 
ses  membres.  L'abbé  de  Vertot  fut 
nommé  académicien  associé.  Il  fut 
flatté  ,  mais  embarrassé  de  cette 
faveur.  Le  règlement  exigeait  rési- 
dence :  il  aurait  donc  fallu  quitter  sa 
cure;  et  l'abbé  de  Vertot  n'avait  pas 
d'autre  revenu  que  les  trois  mille 
francs  qu'il  eu  relirait.  On  lui  faisait 
bien  espérer  quelque  grâce  du  roi  j 
mais  il  voulait  une  ressource  plus  as- 
surée. Deux  ans  plus  tard  ,  il  eût  ac- 
cepté volontiers  ,  disait  -  il ,  parce 
qu'alors  il  aurait  eu  le  temps  d'exer- 
cice nécessaire  pour  obtenir  une  peu- 


VER 

sioQ  sur  sa  cure.  Ou  ne  devait  donc 
pas  s'etonrier  si ,  maigre'  tout  le  désir 
qu'il  avait  de  se  consacrer  entière- 
ment aux  lettres ,  il  cberchait  à  s'as- 
surer le  nécessaire .,  non  par  faveur , 
mais  par  droit  et  selon  la  rigueur  des 
lois.  Au  reste,  il  promettait  d'en- 
voyer à  l'académie  des  ouvrages  qui 
vaudraient  mieux  que  sa  personne. 
Le  ministre  et  l'académie  se  relâchè- 
rent volontiers  de  la  rigueur  du  rè- 
glement. L'abbé  de  Vertot  ne  vint 
siéger  qu'en  1708.  Ce  fut  le  terme 
d'une  carrière  qui,  dans  un  cercle 
e'troit  et  modeste,  avait  cependant 
e'té  diverse  et  agitée.  Là  finit  ce 
que,  par  allusion  au  titre  de  ses  OEu- 
vres  historiques  ,  on  nommait  les  ré- 
volutions de  l'abbé  de  Vertot.  En 
1705  ,  il  fut  nommé  académicien 
pensionnaire;  et  dès  -  lors  nul  ne  se 
montra  plus  assidu  ni  plus  zélé. 
L'Histoire  et  les  Mémoires  de  l'aca- 
démie en  font  foi.  Ils  renferment 
beaucoup  de  dissertations  toutes  re- 
latives aux  études  habituelles  de  l'au- 
teur ,  et  surtout  à  l'histoire  de  Fran- 
ce. Dans  un  des  voyages  qu'il  faisait 
parfois  en  Normandie,  il  fut  amené 
par  un  de  ses  amis  au  couvent  de 
Saint-Louis  à  Rouen ,  et  il  y  vit  Mll*^. 
de  Launay ,  qui  fut  depuis  M»^*^.  de 
Staal.  Cette  jeune  personne  n'était 
point  belle;  mais  son  caractère  et 
son  esprit  avaient  beaucoup  de  char- 
me. Elle  était  sans  nulle  fortune  ;  et 
sa  situation  intéressait  tous  ceux  qui 
la  connaissaient.  L'abbé  de  Vertot  se 
prit  d'une  vive  amitié  pour  elle. 
Il  avait  près  de  soixante  ans;  et 
son  imagination  était  encore  ardente 
comme  aux  jours  de  sa  jeunesse.  Il 
s'en  allait  parlant  à  cbacun  du  mé- 
rite de  Mil '^.  de  Launay  ,  et  en  entre- 
tenait jusqu'à  ses  libraires.  Il  voulait 
placer  sa  petite  fortune  sur  leurs 
deux  têtes.  Enfin  son  empressement, 


VER  295 

quoique  respectueux  et  retenu  par  les 
bienséances  de  son  âge  et  de  sou  état, 
ne  pouvait  se  cacher.  MH"^ .  de  Launay 
en  fut  plus  embarrassée  que  flattée. 
Toutefois  il  ne  cessa  point  de  lui 
montrer  constamment  le  plus  tendre 
intérêt.  Elle  rajiporte ,  dans  ses  Mé- 
moires ,  une  lettre  de  l'abbé  de  Ver- 
tot ,  écrite  du  ton  d'un  homme 
du  monde,  mais  avec  plus  de  légère- 
té qu'on  n'en  supposerait  en  son- 
geant à  la  pieuse  ferveur  de  sa  jeu- 
nesse. «  L'espérance  de  vous  voir  , 
dit-il ,  me  fera  passer  par-dessus  une 
certaine  pudeur  de  philosophie.  »  En 
1710,  il  fit  paraître  un  Traité  de  la 
viouvance  de  Bretagne.  Bien  que  no- 
tre droit  public  n'empruntcit  dès-lors 
presque  aucune  autorité  véritable  aux 
origines  de  la  monarchie  française , 
par  une  sorte  de  tradition ,  la  plu- 
])art  des  écrivains  s'attachaient  à  re- 
présenter le  pouvoir  royal  comme 
ayant  toujours  été  central  et  univer- 
sel. C'était  un  reste  de  la  tendance 
des  communes  à  chercher  auprès  du 
trône  leur  recours  contre  les  domina- 
tions féodales.  Au  contraire  ,  le  désir 
de  défendre  leurs  privilèges  et  un 
cei'tain  amour-  propre  de  pays  don- 
naient à  quelques  provinces  un  es- 
prit différent.  Les  Bretons  ,  plus 
que  d'autres ,  aimaient  à  se  présenter 
plutôt  comme  liés  que  comme  con- 
fondus avec  la  monarchie  française. 
Leurs  historiens  se  plaisaient  à  ra- 
conter l'ancienne  indépendance  de 
leur  pays  ,  et  renouvelaient ,  pour 
ainsi  dire,  les  querelles  que  l'on  avait 
jadis  vues  s'élever  à  chaqueprestation 
de  foi  et  hommage  des  ducs  de  Bre- 
tagne. Ce  fut  d'abord  dans  le  sein  de 
l'académie  que  Vertot  entreprit  de  ré- 
futer les  prétentions  bretonnes.  Sa 
Dissertation  ayant  acquis  quelque 
publicité ,  il  lui  donna  plus  d'étendue. 
La  querelle  s'anima.  D'autres  ccri- 


a(j6 


VER 


vaiiîs  y  prirent  part  :  les  Bretons  rc- 
])li(juèrcnt.  L'abbe'  de  Vertot  porta  , 
dans  cette  question,  sa  vivacité  or- 
dinaire. C'était  à  ses  yeux  comme 
une  rébellion  de  la  Bretagne;  d'au- 
tant qu'il  s'y  éleva ,  à  celte  époque  , 
et  cela  n'était  pas  rare  ,  quelques 
troubles  contre  des  agents  royaux. 
De  tout  cela  résulta,  plusieurs  an- 
nées après,  une  Histoire  complète  de 
l'établissement  des  Bretons  dans  les 
Gaules.  On  examinerait  aujourd'hui 
la  question  plus  froidement  et  avec 
une  critique  plus  éclairée  ;    ou  n'y 
porterait  pas  non  plus  cette  habitude 
de  vouloir  absolument  trouver  clans 
les  temps  anciens  les  idées  de  droit, 
d'ordre  et  de  légitimité  qui  ne  sont 
guère  d'usage  à  l'origine  des  empi- 
res. C'est  ainsi  que  l'abbé  de  Vertot , 
conti'C  tous  les  témoignages  et  toutes 
les  apparences  y  a  voulu  établir  l'u- 
nion de  la  Bretagne  avec  la  France 
sous   la  première  race  ;   mais   alors 
le  livre  parut  à  l'académie  des   ins- 
criptions ne  rien  laisser  à  désirer: 
et  les  Bretons  passèrent  pour  bien  et 
dûment  convaincus  d'avoir    été  de 
tout  lenips  sous  la  souveraineté  du  roi 
de  France  (  i  ).  Ce  n'était  pas  la  prin- 
cipale occupation  de  l'abbé  de  Ver- 
lot.  Son  œuvre  favorite,  à  laquelle 
il  travaillait  avec  le  plus  de  goût  et 
de  chaleur,  c'était  V Histoire  des  ré- 
volutions de  la  république  romaine. 
Il  ne  faisait  point  de  recherches  nou- 
velles sur  l'histoire  de  Rome.  Il  ne 
.s'efl'orçait   point ,   comme    on    fait 
maintenant,  de  découvrir  à  travers 
la  couleur  épique  dont  la  poésie  ,  les 
traditions  ,  les  historiens  eux-mêmes 
ont  revêtu  les  annales  de  la  maîtresse 


(i)  On  ne  doit  pas  passer  sous  silence  la  rdiiduile 
inexplicable  de  Veilol .  à  l'ëgard  de  Fiinl  ,  ij^'il 
crut  devoir  dénoncer  à  l'autorité  souveraine  ,  pour 
ilfs  opinions  émises,  par  cet  écrivain,  dans  nu 
<iisc(>iirs  sur'l'C>,7g/;if  des  Français  (  V.  Kp.KnrT. 
XVi  ,  ,f|  }.  D-/,~s. 


VER 

du  monde,  quelles  furent  ses  vérita- 
bles origines ,  son  état  social ,  sou 
gouvernement  et  ses  lois  aux  diverses 
époques.  Il  prit  pour  véritable  cette 
Rome  telle  que  nos  études  classiques 
l'ont  créée  dans  notre  imagination.  De 
plus  grands  esprits  que  l'abbé  de  Ver- 
tot l'ont  bien  aussi  adoptée  pour  base 
de  leurs  vues  politiques.  D'ailleurs  il 
aimait  à  raconter  et  à  peindre  ;  l'his- 
toire lui  apparaissait  sous  son  aspect 
dramatique.  Il  écrivit  les  révolutions 
de  Rome  comme  Corneille  composait 
ses  tragédies,  et  il  prenait  la  chose  si 
fort  à  cœur  ,  qu'on  le  voyait  fondre 
en  larmes  à  l'académie,  en  lisant  le 
discours  de  Véturie  à  Coriolan.  Ain- 
si c'est  surtout  le  talent  du  récit  qu'il 
faut  chercher  dans  son  livre.  Encore 
ne  doit- on  pas  espérer  d'y  retrouver  ' 
la  couleur  clu  temps  et  des  lieux.  Les 
sentiments ,  les  mœurs ,  les  relations 
sociales ,  tout  prend  un  aspect  mo- 
derne, ainsi  que  dans  une  tragédie 
du  Théâtre- Français.  C'était  de  la 
sorte  qu'on  représentait,  à  cette  épo- 
que, soit  l'antiquité,  soit  les  contrées 
étrangères.    Les  traductions  étaient 
même  écrites  dans  ce  système.  De 
nos   jours  ,  l'imagination    se    p'qît 
aux   tableaux    qui    ont    toutes   les 
nuances  locales,  le  costume  original, 
la  naïveté  des  sentiments  et  du  lan- 
gage. Plus  les  objets  sont  représen- 
tés différents  de  ce  qui  nous  entoure , 
plus  le  peintre  réussit  à  nous  char- 
mer. Il  y  a  cent  ans  qu'il  en  était 
tout  autrement.  Alors  il  semblait  aux 
auteurs  qu'ils  ne  pourraient  se  faire 
comprendre  qu'en  cherchant  les  ana- 
logies qui  rapprochaient  les  mœurs 
antiques  ou  étrangères  des  mœurs  de 
leur  temps  et  de  leur  pays.  Ils  tra- 
duisaient en  français  ,  non  pas  seule- 
ment les  mots ,  mais  les  pensées  et  les 
sentiments.  Ils  cherchaient  à  trans- 
porter sur  la  scène  moderne  les  pcr- 


VEPx 

sonuagcs  antiques ,  tandis  qu'à  pré- 
sent le  spectateur  moderne  demande 
à  être  conduit  sur  la  scène  antique. 
Ces  remarques  ne  sont  donc  jias  une 
critique  des  histoires  de  l'abbe'  de 
Vertot.  Il  fat  conforme  h  son  temps; 
encore  aujourd'hui  ,  la  vérité'  de 
SCS  impressions  ,  le  naturel  et  la  cha- 
leur de  sou  langage  ,  l'honorable  in- 
dépendance de  ses  jugements  ,  nous 
jbnt  ccnoevoir  les  grands  succès  de 
l'abbé  de  Vertot ,  et  nous  portent  à 
les  ratifier.  Les  Révolutions  romai- 
nes, lorsqu'elles  parurent,,  en  17 iQ, 
obtiment  un  applaudissement  gé- 
néral. Nous  voyons  qu'il  ne  fut 
jias  moindre  en  Angleterre  qu'en 
France.  Lord  Stanhope,  ministre  du 
roi  George  I^r.  ^  écrivit  à  l'abbé  de 
Vertot  de  la  manière  la  plus  flatteu- 
se, et  s'adressa  à  lui,  comme  à  l'é- 
crivain qui  pourrait  le  mieux  éclair- 
cir  les  doutes  qu'il  avait  sur  la  for- 
mation du  sénat  de  Rome.  La  répon- 
se donne  peu  de  lumières  sur  cette 
question;  mais  une  telle  correspondan- 
ce atteste  la  place  que  l'auteur  avait 
prise  dans  le  monde  littéraire.  Aussi 
ne  doit-on  pas  s'étonner  si  l'ordre  de 
Malte,  dont  les  annales  sont  si  glo- 
rieuses et  chevaleresques,  s'adressa 
à  lui  pour  le  prier  de  les  rédiger  en 
un  corps  complet  d'histoire,  il  y 
consentit.  Ce  devint  le  travail  de  sa 
vieillesse  et  son  ouvrage  le  plus  éten- 
du. 11  a  beaucoup  d'intérêt;  mais  cette 
fois  l'intérêt  appartient  peut-être  plus 
au  sujet  qu'à  l'auteur.  Cette  imagi- 
nation si  vive  et  si  brillante  avait 
vieilli.  Sa  facilité  était  devenue  de  la 
])ratique,et  l'inspiration  s'était  chan- 
gée en  habitude.  D'ailleurs  le  goût 
du  temps  n'avait  pas  encore  déserté 
la  préoccupation  classique  des  Grecs 
et  des  Romains  pour  les  souvenirs 
du  moyen  âge  et  de  la  chevaîei'ie, 
et  l'alibé  de  Vertot  ne  se  complut  pas 


VER 


3<)7 


dans  oe  récit  autant  que  le  ferait  un 
écrivain  d'aujourd'hui.  Toutefois 
l'Histoire  de  l'Ordre  de  Malte  est 
bien  si'.jiérieure  aux  ouvrages  de 
commande  imposés  à  un  historien  , 
à  titre  d'ofîice.  Elle  est  écrite  avec 
une  liberté  d'esprit  également  éloi- 
gnée de  cette  complaisance  ser- 
vile  pour  toutes  les  puissances ,  si 
commune  parmi  les  historiens  de 
la  fin  du  dix  -  septième  siècle  ,  et 
du  dénigrement  dédaigneux  de  l'éco- 
le philosophique.  Pendant  que  l'ab- 
bé de  Vertot  achevait  ce  long  ouvra- 
ge ,  il  vit  encore  s'améliorer  sa  si- 
tuation. Le  duc  d'Orléans  j  fils  du  ré- 
gent, le  nomma  secrétaire-interprè- 
te ,  puis  secrétaire  des  commande- 
ments de  la  princesse  de  Bade  ,  qu'il 
venait  d'épouser.  L'abbé  de  \ertot 
eut  un  revenu  considérable^  un  loge- 
ment au  Palais-Royal  ;  et  la  dernièi'e 
part  de  sa  vie  put  se  passer  dans  l'ai- 
sance et  le  repos.  Il  n'avait  jamais 
songé  à  la  fortune  :  elle  vint  le  trou- 
ver lorsqu'il  eut  atteint  le  seul  but 
que  jamais  il  eût  ambitionné,  les 
honneurs  de  l'esprit  ;  mais  arrive 
ainsi  au  terme  de  ses  désirs,  le  sort 
refusa  à  sa  vieillesse  la  jouissance 
de  la  santé.  Depuis  1726  ,  époque  où 
il  publia  l'Histoire  de  Malte,  il  fut 
accablé  et  alfaibb  par  de  cruelles  iu- 
firmités.  Les  facultés  de  son  es])rit 
diminuèrentprogi'cssivemcnt.  Il  avait 
bien  encore  le  goût  et  la  volonté  de 
se  livrer  aux  travaux  historiques. 
Souvent  il  parlait  des  projets  qu'il 
avait  conçus  dans  sa  force  et  sa  san- 
té. Tantôt  c'étaient  les  révolutions  de 
Pologne,  d'autres  fois  les  révolutions 
de  Carthage  qu'il  voulait  écriic  ; 
mais  il  était  trop  languissant  pour 
se  livrer  à  une  occupation  suivie. 
On  lui  représentait  qu'il  ne  pou- 
vait plus  ni  lire  ni  écrire  ;  il  ré- 
pondait  que  dicter  lui  serait  faci- 


29»  VEU 

le ,  et  que  d'ailleurs  il  eu  savait  as- 
sez pour  n'avoir  pas  de  nouvelles  re- 
cherches à   faire.  Effectivement  sa 
manière  de  composer  n'avait  jamais 
dû  lui  donner  le  goût  et  le  besoin  d'u- 
ne érudition  minutieuse.  L'histoire 
e'tait  pour  lui ,  avant  tout ,  une  œu- 
vre littéraire.  Le  scrupuleux  détail 
des  faits  lui  importait  moins  que  leur 
effet  dramatique  ',  il  ne  cherchait  pas 
non  plus  la  vérité  de  couleur.  Ainsi 
il  avait  bien  pu  répoudre  à  ceux,  qui 
lui  offi'aient  des  documents  curieux  sur 
le  siège  de  Rhodes  :  «  Mon  siège  est 
fait.  »  C'est  ainsi  que  lorsque  les  fa- 
cultés s'affaiblissent  ,   elles   laissent 
apercevoir  plus  à  plein  ce  qui  leur 
manquait ,  même  lorsqu'elles  étaient 
fortes  et  actives.  L'abbé  de  Vcrtot 
mourut,  le  i5  juin  1735  ,  au  Pa- 
lais-Royal ,  âgé  de  près  de  80  ans. 
Sa  Conjuration  de  Portugal  n'avait 
d'abord  été  qu'une  composition  his- 
torique, conçue  sur  le  modèle  des 
nombreuses  Conjurations  qui  avaient 
été  à  la  mode  dans  le  commencement 
du  règne  de  Louis  XIV.  Toutefois  elle 
était  d'un  ton  plus  simple ,  et  sentait 
moins  le  roman  que  la  Conjuration 
de  Venise ,  par  Saint-Réal.  Encoura- 
gé par  le  succès ,  l'abbé  de  Vertot 
chercha  dans  la  suite  à  lui  donner 
entièrement  la  forme  d'un  livre  d'his- 
toire. Il  y  ajouta  quelques  détails  fort 
abrégés  sur  la  monarchie  portugaise 
et  le  règne  d'Alphonse  IV,  fils  de 
Jean ,  duc  de  Bragance.  Cette  suite  , 
où    l'auteur   rapporta    des    événe- 
ments tout  récents ,  est  écrite  sur  un 
ton  de  grande  sincérité,  sans  pré- 
caution ni  ménagement  pour  un  prin- 
ce contemporain;  cet  Alphonse  IV 
n'était  mort  qu'en  i683.  Vingt  ans 
après   la  mort  de    l'abbé   de  Ver- 
tot ,  on  publia,  sous  son  nom ,  deux 
Traités  ,  l'un  sur  l'origine  de  la  cour 
de  Rome,  l'autre  sur  l'élection  auv 


VER 

évèchés  et  aux  abbayes.  Dans  son 
éloge  ,   prononcé  à  l'académie   des 
inscriptions ,  où  mention  détaillée  fut 
faite  de  tous  ses  travaux,  il  n'est 
point  question  de  ces  deux  Mémoires. 
Néanmoins    leur    authenticité   n'est 
pas  contestée.  On  n'y  trouve  rien  qui 
ne  puisse  se  lire  partout  où  l'on  a 
traité  de  ces  matières.  Il  semblerait 
que  ce  sont  des  notes  demandées  ou 
commandées  par  un  ministre  ,  dans 
le   moment  de    quelque   brouillerie 
passagère  avec  la  cour  de  Rome.  Du 
reste ,  l'abbé  de  Vertot  ne  dérogeait 
point  à  ses  opinions  accoutumées  eu 
écrivant  contre  les  prétentions  pon- 
tificales. Souvent ,  dans  son  Histoire 
de  Malte  et  dans  ses  autres  livres 
d'histoire  moderne,   on  trouve  des 
passages  assez  vifs  contre  la  politi- 
que et  les  usurpations  du  saint  -  siè- 
ge. Dans  le  Mémoire  sur  les  élec- 
tions ,  non  -  seulement  il  sacrifie  le 
pouvoir  papal  à  l'autorité  des  rois 
de  France,  mais  il  est  tout  aussi  peu 
favorable  à  la  liberté  d'élection  ,  et 
la  regarde,  soit  comme  une  conces- 
sion royale ,  soit  comme  une  usurpa- 
tion. Les  Dissertations  de  l'abbé  de 
Vertot ,  insérées  dans  le  Recueil  de 
l'académie    des  inscriptions  ,    sont 
écrites  dans  un  esprit  judicieux  et 
éclairé ,  mais  sont  peu  curieuses  au- 
jourd'hui ,  qu'on  a  progressivement 
poussé  beaucoup  plus  loin  les  recher- 
ches sur  l'histoire  de  l'ancienne  Fran- 
ce. Toutes  s'y  rapportent,  hormis 
un  morceau  sur  Auguste ,  Agrippa 
et  Meceuas.  Il  avait  rédigé,  d'après 
les  documents  que  lui  avait  remis  la 
maison  de  Noallles ,  l'Histoire  des 
négociations  d'Antoine  -  François  et 
de  Gilles  de  Noailles  ,  sous  les  règnes 
des  derniers  Valois.  L'abbé  Millot , 
dans  ses  Mémoires  du  maréchal  de 
Noailles,  dit  qu'il  a  eu  connaissance 
de  ce  travail,  qui  était ,  dit- il,  pré- 


VER 

cédé  d'une  Introduction  historique  ; 
mais  il  n'a  pas  été  publie'  (i).  A. 
VERTRON  (  Claude  -  Charles 
GUYONNET  de  ) ,  littérateur  mé- 
diocre _,  était  né  vers  le  milieu  du 
dix- septième  siècle.  Son  père  eut 
l'honneur,  en  sa  qualité  de  maire  de 
Nemours ,  de  complimenter  et  de 
loger  la  reine  Christine  de  Suède,  à 
son  passage  dans  cette  ville,  en  i658 
(  Nouv.  Pandore  ,  i  ,  265  )  ;  mais 
depuis  il  acquit  une  charge  de  rece- 
veur-général des  tailles  dans  la  géné- 
ralité de  Paris.  Destiné  par  ses  pa- 
rents à  la  carrière  delà  magistrature, 
Vertron  ,  après  avoir  fréquenté  quel- 
que temps  le  barreau  ,  acheta  de 
Bergeret  (  i  )  la  place  d'avocat-géné- 
ral au  parlement  de  Metz  ;  mais  il 
ne  put  exécuter  les  conditions  du 
traité.  «  Ma  mauvaise  santé ,  dit-il , 
»  et  ma  méchante  fortune  se  sont 
1)  opposées  à  l'ardeur  que  j'avais  de 
»  parler  en  public  (Préf.  de  la  Pan- 
T>  dore).  »  Dès  sa  première  jeunesse , 
il  s'était  fait  connaître  dans  le  monde 
par  son  goût  pour  la  littérature  et 
pour  les  arts  d'agrément.  «  Je  danse 
»  et  touche  le  luth  jolimentj  je  m'ex- 
»  plique  quand  il  le  faut  en  plusieurs 
»  langues  •  j'ai  un  grand  défaut  , 
»  celui  de  n'aimer  pas  le  jeu  :  en  un 


(i)  n  n'existe  pas  d'édition  complète  des  OEu- 
vres  do  Vertot.  L'édition  la  plus  complète  de  ses 
OEiwres  choisies  a  été  publiée  à  Paris  de  1819  à 
i8îi ,  en  12  vol.in-8°.  ,  qui  comprennent  :  les  trois 
premiers  ,  V Histoire  des  léi'oliitions  de  la  répu- 
Idiijue  romaine  ;  le  tome  iV  ,  V Histoire  des  révolu- 
tions 'le  Suède  ;  le  tome  V,  V Histoire  des  résolu- 
tions de  Portugal  ,  et  cinq  Discours  ou  morceaux 
Acadéniitfues  qui  n'avaient  point  encore  été  rf-u- 
nis  en  corps  d'ouvrages  ;  les  tomes  VI  à  XII,  V His- 
toire de  l'ordre  des  clievaliers  de  Malte.     A.  li — T. 

(i)  Jean-Louis  Bergeret  vendit  sa  place  d'avo- 
cat-général au  parlement  de  Metz  ,  pour  occuper 
celle  de  commis  de  Croissv,  minislre-d'état.  La 
protection  de  toute  la  maison  Oolbert  le  fit  entrer 
à  l'académie  française,  en  i685  ,  au  préjudice  de 
Ménage.  11  mourut  le  Ç)  octobre  i6q4  i  «t  t'it  pour 
successeur  à  l'académie  le  bon  abbé  de  Saint- 
Pierre.  Voy.  VHisl.  de  l'acnd.  frant.  ,  p.ir  l'abbé 
d'Olivet,  II,  3a6,édil.  in  iî.' 


VER  299 

»  mot ,  je  suis  aimable,  mais  je  plais 
»  plus  de  loin  que  de  près  {Nouv. 
»  Pandore ,  ii ,  i25  ).  »  Recherché 
dans  les  cercles  et  les  bureaux  d'es- 
prit ,  il  sut  mériter  la  protection  du 
duc  de  Saint-Aignan  (  F.  ce  nom  , 
XXXIX ,  5o8  )  ,  qui  le  fit  admettre 
dans  l'académie  d'Arles  ,  dont  il  était 
le  fondateur.  L'académie  de  Nîmes 
et  celle  des  Ricovrati  de  Padoue  sui- 
virent cet  exemple  ,  et  lui  firent  ex- 
pédier des  diplômes  d'associé.  Un 
discours  qu'il  composa  sur  le  Mérite 
des  dames  vint  ajouter  bientôt  à 
sa  réputation.  «  Mes  amis  ,  dit-il , 
»  tous  galants  (  je  n'en  connais  pas 
»  d'autres  ) ,  publièrent  ce  petit  ou- 
»  A^rage  que  je  n'avais  fait  que  pour 
»  divertir,  pendant  une  demi-heure, 
»  une  grande  princesse ,  et  auquel 
»  j'avais  donné  d'abord  pour  titre  : 
»  LaMinen>e  dauphine  ,  que  j'ai 
»  changé  en  celui  àtPandore ,  après 
»  la  mort  de  cette  héroïne ,  qui  ne 
»  devait  jamais  mourir  (  Averlis- 
»  sèment).  »  Ce  discours  trouva  des 
partisans  et  des  antagonistes ,  et  dans 
la  lutte  qui  s'engagea  ,  Vertron 
montra  tant  de  galanterie  ,  que  des 
dames  de  province  lui  offrirent,  en 
témoignage  de  leur  satisfaction  ,  une 
médaille  d'argent  portant  une  Mi- 
nerve ,  et  au  revers  une  double  cou- 
ronne de  laurier  et  d'olivier  ,  avec 
cette  devise  :  Au  protecteur  du  beau 
sexe.  Vertron  nous  apprend  qu'il 
avait  eu  l'honneur  de  parler  plusieurs 
fois  dans  les  plus  célèbres  académies, 
et  particulièrement  à  l'académie 
française  ;  et  l'on  voit  que  sa  sur- 
prise est  grande  de  n'avoir  pas  été 
appelé  à  siéger  dans  notre  premier 
corps  littéraire.  Un  opuscule  à  la 
louange  de  Louis  XIV  lui  valut  le 
titre  de  son  historiographe  ,  tt  il 
assure  qu'il  ne  perdit  point  de  temps 
pour  entrer  en  fonctions.   «  Je  fais  , 


3oo 


VER 


»  dit  il  ,  toute  ma  joie  d'employer 
»  mon  esprit  et  mon  peu  de  snnlc  à 
»  continuer  en  prose  latine  l'adrai- 
»  rab!e  histoire  de  notre  incompara- 
»  ble  monarque.  »  11  travaillait, dans 
ses  loisirs  ,  avec  l'abbé  Saurin  ,  à  la 
traduction   en  vers  des  hymnes  de 
Santeul  (  Pandore  ,  ii ,  349  )•  S'<^" 
tant  marié  sur  le  retour  de  l'âge  avec 
une  femme  jeune  et  coquette  ,  il  fut, 
malgré  sa  galanterie  ,  l'époux  le  plus 
insupportable.    On   assure   (  V.    le 
Parnasse  français  de  Titon  du  Til- 
let,  558)  qu'il  était  sur  le  point  de 
plaider  en  séparation  quand  il  mou- 
rut septuagénaire,    à  Paris,  le  3o 
novembre  1 7  i5.  11  avait  été  nommé, 
depuis  peu ,  chevalier  des  Ordres  du 
Mont-Carmel  et  de  Saint- Lazare.  On 
connaît  de  lui   :   I.    Parallèle    de 
Louis  -  le  -  Grand  avec  les  princes 
qui  ont  été  nommés  grands  ,  Paris  , 
i685,  in- 12.  Ce  n'est  pas,  suivant 
Bayle  ,  la  première  preuve  que  Ver- 
tron  ait  donnée  de  son  éloquence  et 
de  son  esprit  {  Nouv.  de  la  Répuh. 
des  Lettres  ,  septembre  y  même  an- 
née ).  Cet  ouvrage  reparut  en  1686  , 
sous  ce  titre  :  Le  Nouveau   Pan- 
théon ,ou  le  Rapport  des  divinités  du 
paganisme,  des  héros  de  l'antiqui- 
té et  des  princes  surnommés  grands 
aux   vertus   et  aux  actions  de  Louis 
XIV.  IL  La  Nouvelle  Pandore  , 
ou  les  Femmes  illustres  du  règne  de 
Louis-le-Grand,  Paris ,  1 698 ,  a  vol, 
in- 12;  il  n'existe  qu'une  seule  édi- 
tion de  cet  ouvrage  ;  mais  les  librai- 
res, pour  tâcher  de  la  débiter,  l'ont 
fait  repai'aître  ,  en  l'joi  ,  sous  le  ti- 
ti'c  de  :  Recueil  de  pièces   acadé- 
miques   en   prose  et  en  vers ,  des 
personnes  illustres  du  règne  de  Louis- 
le-Grand  y    sur    la    préférence  des 
sexes  ;  et  en  1721  ,  sous  celui  de  : 
Les  Femmes  illustres  du  rèpie  de 
Louis-le-Grand  y  et  sur  la  diU'érencc 


VEll 

des  se:xes,  avec  des  Lettres  tendres 
et  des  réponses  sur  divers  sujets. 
Cet  ouvrage  contient  une  foule  de 
sonnets  ,  de  devises ,  d'acrostiches  y 
de  madrigaux ,  de  lettres  et  de  dis- 
cours à  la  gloire  des  femmes  y  et  à 
la  louange  du  roi.  Toutes  les  pièces 
ne  sont  pas  de  Vcrtron  ;  il  en  est  un 
assez  grand  nombre  de  plusieurs  da- 
mes, inconnues  aujourd'hui ,  si  l'on 
en  excepte  M"^'^'.  Deshoulières ,  Mli'=. 
de  Scudéry  et  M"^^.  de  la  Suze.  Il 
est  impossible  de  rien  imaginer  de 
plus  fade  et  de  phis  monotone  que 
cette  suite  presque  interminable  de 
compliments.  Quant  au  goûtde  Ver- 
tron  ,  on  peut  l'apprécier  par  ces 
deux  vers  : 

Despréaiix ,   Pratlon  el  Perrault 
Snnt  tous  trois  favoris  des  neuf  doctes  Pucelles. 

Quiconque  peut  placer  ces  trois  écri- 
vains sur  la  même  ligne  donne  la 
mesure  de  sou  goiit  et  de  son  esprit. 

III.  Prières  et  ajfeclions  pour  ser- 
vir d'exercice  pendant  la  Sainte- 
Messe  ,  etc.,  Paris,  1728,  in-J2, 
lig.  L'abbé  Goujet  fut  l'éditeur  de  ce 
volume  ,  et  l'enrichit  d'une  Préface. 

IV.  Des  Vers  latins,  dans  le  Recueil 
des  OEuvres  de  Santeul.  Il  a  laisse' 
en  manuscrit  Nouv.  trad.  en  vers 

français  d'une  hymne  en  l'honneur 
de  saint  Louis  ,  des  instructions  de 
ce  prince  à  son  fils  ,  et  des  Litanies 
royales.  L'abbé  de  Rothelin  en  pos- 
sédait une  copie  in-4".  sur  vélin.  Ou- 
tre une  Histoire  de  Louis  XIF  en 
latin  et  en  français  ,  il  promettait  le 
Dictionnaire  historique  des  con- 
quêtes de  ce  prince,  et  quelques  au- 
tres ouvrages  ;  mais  on  ignore  s'il  les 
a  terminés.  W — s. 

VERTUE  (  George  ) ,  graveur  et 
antiquaire  anglais,  né  à  Londres,  en 
168+  y  de  parents  catholiques  ,  com- 
mença par  dessiner  et  graver  pour 
l'ornement  des  livres.  La  mort  de 


VER 

son  père  fit  peser  sur  lui  le  soin 
d\nni  famille  assez  nombreuse.  Heu- 
reusement ses  premiers  ouvrages 
trouvèrent  de  l'encouragement.  Le 
talent  distingue  qu'il  déploya  en 
gravant  un  portrait  de  l'arclievèque 
Tillotson  lui  mëriia  un  protecteur 
dans  lord  Somers.  Le  célèbre  sir 
Godfrey  Kneller  lui  ouvrit  l'entrée 
de  l'académie  de  peinture  qu'il  venait 
d'instituer ,  et  ce  fut  d'après  un  ta- 
bleau de  cet  artiste  que  Vertue  exe'- 
ciita  le  portrait  du  roi  George  I'^'".  ; 
cette  production  eut  un  débit  consi- 
dérable. L'auteur  joignait  à  l'amour 
de  sa  pi'ofession  iin  vif  pencliant 
pour  la  recherche  des  monuments 
antiques  :  dans  cette  vue  ,  il  ])aicou- 
rut  plusieurs  provinces  de  l'Angle- 
terre ,  souvent  dans  la  compagnie  de 
quelque  opulent  seigneur  ou  d'un  ami 
qui  partageait  ses  goûts  ,  notam- 
ment avec  fïarley ,  comte  d'Ox- 
ford ,  Horace  Walpole ,  lord  Gole- 
raine  ,  l'historiographe  Stephens  , 
le  comte  de  Leicester ,  l'antiquai- 
re Roger  Gale.  Une  ample  mois- 
son de  dessins  ,  d'observations  ,  de 
faits  historiques  ,  était  le  fruit  de  ces 
excursions  ,  car  le  voyageur  consi- 
gnait tout  sur  ses  tablettes. H. Finch, 
comte  de  Winch elsea ,  étant  prési- 
dent de  la  société  des  antiquaires  ,  le 
nomma  graveur  de  ce  corps  savant , 
dont  il  était  déjà  membre.  On  cite 
parmi  les  portraits  sortis  alors  de 
son  burin  Mat.  Prior ,  Cortez  ,  l'ar- 
chevêque Warham  d'après  Hol- 
bein  ,  Marie  Sluart  d'après  Zuc- 
chero.  En  i'j3o  parurent  ses  douze 
portraits  de  poètes  distingués  ;  et 
cette  série  estimée  fut  suivie  des  por- 
traits de  Charles  I'^'".  et  des  royalis- 
tes qui  périrent  pour  sa  cause  ;  avec 
leurs  caractères  d'après  Claren- 
don.  Le  grand  succès  de  V His- 
toire d' Angleterre  de  Rapin-Thoy- 


VER 


3oi 


ras  ,  succès  auquel  l'esprit  de  parti 
ne  fut  pas  étranger  ,  ayant  engagé 
les  libraires  à  en  publier  une  édition 
nouvelle  par  livraisons  hebdoma- 
daires ,  Vertue  se  chargea  de  l'enri- 
chir des  images  des  rois ,  et  d'autres 
ornements.  Ce  travail  l'occuj^a  pen- 
dant trois  années.  La  mort  de  Fré- 
déric ,  prince  de  Galles  ,  devenu  ré- 
cemment son  Mécène ,  lui  porta  un 
coup  sensible.  L'affaiblissement  de 
sa  vue  et  d'autres  infirmités  attristè- 
rent encore  sa  vieillesse.  Il  mourut 
en  1756,  et  fut  inhumé  dans  le  cloî- 
tre de  l'abbaye  de  Westminster.  La 
manière  de  ce  graveur  est  un  peu 
froide ,  mais  elle  est  vraie  et  correcte  ; 
dans  des  portraits  historiques  ,  il  se 
serait  fait  scrupule  de  laisser  prendre 
le  moindre  essor  à  son  imagination. 
H.  Walpole  a  donné  un  catalogue 
de  ses  estampes  ,  au  nombre  de  près 
de  cinq  cents;  après  sa  mort,  cet 
écrivain  sj)irituel  acheta  la  collec- 
tion des  notes  et  observations  ma- 
nuscrites (en  quarante  volumes),  ras- 
semblées parVertue,  dans  la  vue  d'en 
former  une  histoire  de  l'art ,  et  il  en 
composa  un  livre  à-la-fois  utile  et 
intéressant,  piquant  surtout  par  cette 
teinte  de  philosophie  qui  le  distingue. 
Cet  ouvrage  parut  en  i^ôa  ,  5  vol. 
in-4°.  ,  sous  ce  titre  :  Anecdotes  of 
paiuting  ,  etc.  (  Anecdotes  sur  la 
peinture  en  Angleterre  ,  avec  un 
précis  sur  les  principaux  artistes  , 
et  des  notes  sur  les  autres  arts  ^ 
recueillies  par  M.  George  Vertue  )  ; 
il  fut  réimprimé  en  17^2  ,  5  vol. 
in-8°.  Nous  en  avons  sous  les  yeux 
une  quatrième  édition,  1786,  4  vol- 
in-8''. ,  où  se  trouve  aussi  une  His- 
toire du  goût  moderne  dans  l'art 
des  Jardins.  L. 

VÉRUS  {Aetius),  césar,  était 
petit-fils  de  Ceïonius  Commode,  qui 
fut  consul  l'an  78.  Dans  sa  jeunesse , 


302 


VER 


il  portait  les  noms  de  Luclus  Aurë- 
lius  Ceïouius  Commode.  II  acquit  des 
connaissances  assez  étendues  dans  les 
lettres  ;  mais  la  faiblesse  de  sa  com- 
plexiou  ne  lui  permit  pas  de  s'ap- 
pliquer aux  exercices  militaires.  On 
ignore  les  motifs  qui  décidèrent  l'em- 
pereur Adrien  à  le  choisir  pour  son 
successeur  ,  en  l'adoptant.  Cette  cé- 
rémonie eut  lieu  en  i35,  et  fut  célé- 
brée par  des  jeux  daus  le  cirque  ,  et 
par  des  distributions  abondantes  au 
peuple  et  aux  soldats.  Le  jeune  prin- 
ce reçut  alors  les  noms  d'Aetius  Vé- 
rus.  Nommé  d'abord  préteur,  il  fut, 
peu  de  jours  après,  créé  césar,  et 
envoyé  gouverneur  dans  la  Panno- 
nie.  il  paraît  que  Vérus  s'y  conduisit 
avec  prudence  ;  et  suivant  Spartien  , 
s'il  n'acquit  pas  la  réputation  d'un 
grand  général ,  il  obtint  du  moins 
celle  d'un  bon  ofticier.  Il  avait  été 
désigné  consul  pour  l'an  i36,  et  il 
fut  continué  dans  cette  charge  pour 
l'année  suivante.  Etant  revenu  à  Ro- 
me pour  complimenter  l'empereur , 
il  mourut  subitement  le  i'^'".  janvier 
i38,  et  fut  inhumé  dans  le  tombeau 
d'Adrien,  avec  la  pompe  réservée 
aux  obsèques  des  membres  de  la  fa- 
mille impériale.  On  dit  qu'Adrien , 
prévoyant  la  mort  prématurée  de 
Vérus,  se  repentit  de  l'avoir  adopté. 
Cependant  ii  lui  décerna  les  honneurs 
de  l'apothéose,  lui  fit  dresser  partout 
des  statues  colossales  et  bâtir  des 
temples  daus  quelques  villes.  Vérus 
joignait  à  tous  les  avantages  exté- 
rieurs une  éloquence  mâle  ,  de  la 
facilité  à  faire  des  vers  ,  et  des  ta- 
lents qui  ,  s'il  eût  vécu  ,  n'auraient 
pas  été  inutiles  à  l'état.  Mais  il  ai- 
mait la  parure ,  plus  qu'il  ne  con- 
vient à  un  homme  ,  et  il  porta  trop 
loin  le  goût  de  la  table  et  des  plai- 
sirs. On  lui  attribue  différents  raffine- 
ments de  luxe,  et  rintroduction,  dans 


VER 

l'art  culinaire  des  Romains  ,  d'une 
sorte  de  pâté  ,  nommé  tetrapharma- 
que  ou  penlapharmaque,  parce  qu'il 
était  composé  de  quatre  ou  cinq  sor- 
tes de  viandes.  Ses  auteurs  favoris 
étaient  Ovideet  Martial,  qu'il  appelait 
sou  \irgile,  ce  qui  semble  prouver 
qu'il  n'avait  pas  le  goût  très-pur. 
Vérus  avait  épousé  la  fille  de  Nigri- 
nus  ,  mis  à  mort  ,  en  i  tq  ,  par  or- 
dre d'Adrien;  il  en  eut  im  fils  qui  le 
remplaça  dans  la  faveur  de  ce  prince 
(  F^oj-.  l'article  suivant  ).  On  a  la 
Vie  d'Aet.  Vérus ,  par  Spartien ,  l'un 
des  auteurs  de  V Histoire  Auguste. 
W— s. 
VÉRUS  (  Lucius  -  AuEELius  ) , 
empereur  ,  naquit  à  Rome  le  i5  dé- 
cembre i3o  ,  pendant  la  questure  de 
son  père.  Adrien,  ayant  adopté  T. 
Antonin  (  V.  ce  nom) ,  l'obligea  d'a- 
dopter lui-même  Marc  -  Aurèle  et  le 
fils  de  Vérus,  alors  âgé  de  huit  ans. 
Ce  jeune  prince  était  bien  fait  de 
corps;  il  avait,  avec  de  la  douceur, 
beaucoup  de  franchise  et  de  simpli- 
cité; mais  il  tenait  de  son  père  un 
goût  très -vif  pour  les  plaisirs  et  la 
dissipation.  Antonin  lui  donna  les 
maîtres  (  i  )  les  plus  habiles  dans  tous 
les  genres.  Cependant  il  fit  peu  de 
progrès  dans  l'étude  des  lettres  et  de 
la  philosophie.  Il  prit  en  i45  la 
robe  virile  ;  et  en  i53  il  fut  nommé 
questeur ,  quoiqu'il  n'eût  pas  encore 
atteint  l'âge  fixé  par  les  lois.  Pen- 
dant son  exercice  ,  il  donna  des  jeux 
au  peuple,  et  parut  dans  le  cirque  , 
assis  entre  Antonin  et  Marc  -  Aurèle. 
Désigné  consul  en  1 54  ,  il  le  fut  une 
seconde  fois  en  i6i.  Après  la  mort 


(i)  Caj)itolin  nous  a  donné  les  noms  des  person- 
nes chargées  de  IV'ducalîou  de  Vérus.  Nicomède 
fut  son  instituteur.  Il  eut  pour  niaitre  de  latin, 
Scaurus  ;  de  grec,  Tclèphe,  Hephcstion  et  Harpo- 
cration  ;  pour  la  rhétorique,  Apollonius-Discole  , 
Celer  Caninius,  Hérode  Altîcus  et  Cornel.  Fron- 
ton ;  enfin  pour  la  philosophie ,  Apollonius  de 
Chalcis  ,  et  Sextus,  neveu  de  Plu!  arque. 


VER 

d'Antonîn  ,  le  sénat  déclara  Marc- 
Aurèle  seul  empereur  j  mais  ce  bon 
prince  s'empressa  de  créer  son  frère 
adoptif  ce'sar  et  auguste  ,  et  se  l'as- 
socia. Ve'rus  ,  ëlevé  dans  le  respect 
pour  Marc-Aurèle,  lui  montra  d'a- 
bord la  plus  grande  déférence  ,  et 
parut  vouloir  le  pi-endre  pour  modè- 
le. Cachant  sous  une  apparente  gra- 
vité son  goût  effréné  pour  les  plaisirs 
(2) ,  il  affecta  de  rechei'cher  la  so- 
ciété des  savants  et  des  philosoplies^ 
au  point  qu'il  voulait  toujours  en 
avoir  quelques  -  uns  près  de  lui.  Il 
déclara  qu'il  se  regardait  moins  com- 
me le  collègue  de  Marc  -  Aurèle  que 
comme  son  lieutenant,  et  qu'il  serait 
toujours  prêt  à  le  seconder  dans  ses 
vues  pour  le  bien  public.  De  son  cô- 
té, IMarc  -Aurèle  témoignait  la  plus 
grande  affection  à  Vérus  j  et  pour  res- 
serrer les  nœuds  qui  les  unissaient , 
il  lui  promit  sa  fille  Lucile  en  ma- 
riage. Vologèse  ,  roi  des  Partlies, 
ayant  déclaré  la  guerre  aux  Romains, 
il  fut  convenu  que  Marc-Aurèle  reste- 
rait à  Rome,  et  que  Ve'rus  irait  pren- 
dre le  commandement  de  l'armée 
destinée  à  combattre  un  ennemi  re- 
doutable. Marc-Aurèle  accomjîagna 
Ve'rus  jusqu'à  Capoue;  mais  dès  que 
celui-ci  fut  délivré  de  la  surveillance 
importune  de  son  collègue  ,  il  s'a- 
bandonna aux  plaisirs  de  la  table  avec 
un  tel  excès ,  qu'il  tomba  malade  à 
Canusium  ( Canossa ) ,  où  Marc-Au- 
rèle vint  le  visiter.  Après  son  réta- 
blissement, il  s'embarqua  pour  la 
Grèce  y  visita  Corinthe  et  Athènes, 
et  suivant  les  côtes  de  l'Asie  ,  s'arrê- 
ta dans  toutes  les  villes,  pour  se  li- 
vrer à  tous  les  divertissements.  Lais- 
sant à  ses  généraux  le  soin  de  la 
guerre ,  il  fixa  sa  résidence  dans  Au- 


(i)  Cependant,  suivant  Capitolin,  il  avait  tant 
de  franchise  dans  le  caractère  qu'il  ne  pouvait  en 
aucune  manière  se  déguiser. 


VER 


3o3 


tioche,  où  il  demeura  quatre  ans, 
passant  l'hiver  à  Laodicée  et  la  saison 
des  chaleurs  à  Daphné,  célèbre  lieu 
de  prostitution.  Deux  fois  seulement, 
poussé  par  les  conseillers  que  Marc- 
Aurèle  lui  avait  donnés ,  il  s'avança 
jusqu'au  bord  de  l'Euphrate;  mais 
il  revint  aussitôt  à  Antioche,  préten- 
dant que  de  cette  ville  il  pouri-ait 
plus  facilement  veiller  aux  besoins 
de  l'armée.  Marc-Aurèle,  instruit  de 
sa  conduite,  jugea  convenable  de  fai- 
re partir  Lucile  pour  l'Orient,  ima- 
ginant sans  doute  qu'une  femme  ai- 
mable et  jeune  viendrait  à  bout  de 
captiver  Ve'rus  et  de  le  ramener  de 
ses  égarements.  Vérus  alla  au-devant 
de  sa  femme  jusqu'à  Éphèse  (en  164), 
moins  par  l'empressement  de  la  voir 
que  par  la  crainte  que  Marc  -  Aurèle 
n'eût  accompagné  sa  fille.  L'année 
suivante  (  i65  ) ,  la  guen-e  ayant  été 
terminée  par  la  soumission  des  Par- 
thes,  Vérus,  quittant  à  regret  l'O- 
rient, revint  à  Rome ,  triompher  pour 
des  victoires  qu'il  n'avait  pas  rempor- 
tées. Le  sénat  lui  confiz-ma  les  titres 
de  Parthique ,  d'Arménique  et  de 
Médique ,  qui  lui  avaient  été  donnés 
par  les  soldats;  mais  on  doit  dire,  à 
la  louange  de  Vérus,  qu'il  voulut  les 
partager  avec  Marc-Aurèle.  Il  ne  ra- 
menait de  la  Syrie  qu'une  troupe 
d'histrions  et  de  bateleurs;  et  on  l'ac- 
cusa d'en  avoir  rapporté  le  germe  de 
la  peste  qui  de  l'Italie  étendit  bien- 
tôt ses  ravages  dans  tout  l'empire. 
Depuis  son  retour,  Vérus  cessa  de 
montrer  la  même  condescendance 
pour  son  collègue.  En  quittant  la  ta- 
ble modeste  de  Marc  -  Aurèle ,  il  ve- 
nait s'asseoir  à  un  festin  somptueux 
qu'il  avait  fait  préparer  pour  ses  af- 
franchis ,  compagnons  ordinaires 
de  ses  débauches  (3);  et  il  passait  les 

(3)  Capitolin  a  décrit  un  festin  de  douze  convi- 
ves ,  donne  par   Ve'rus  ,  et  qui   coilta  six  millions 


3o4  VER 

uuils  à  jouer  aux  clés  ou  à  courir  les 
rues  ,  dc'guisé  ,  pour  chercher  des 
aventures.  Passionné  pour  les  cour- 
ses de  chars,  il  se  déclara  pour  la 
faction  des  Verts ,  avec  tant  de  par- 
tialité ,  qu'un  jour  les  Bleus  lui  en  fi- 
rent des  reproches,  sans  être  retenus 
par  la  présence  de  Marc- Aurèle.  Il 
avait  un  cheval  qu'il  nomma  Voi- 
seau  ,  sans  doute  à  cause  de  sa  légè- 
reté. 11  le  nourrissait  de  raisins  secs 
et  de  pistaches  ;  et  il  portait  toujours 
sa  figure  en  or.  Ce  cheval  étant  mort, 
Vérus  lui  fit  élever  un  magnifique 
mausolée.  Sur  la  iin  de  l'année  i6G, 
les  peuples  du  Nord  ayant  fait  une 
irruption  dans  la  Panuonie  ,  Marc- 
Aurèle  ne  voulut  pas  laisser  à  sou 
collègue  la  conduite  de  cette  guerre. 
Les  deux  empereurs  se  rendirent  à 
Aquilée  j  mais  à  leur  arrivée ,  les 
barbares,   effrayés  ,  demandèrent  la 
paixj  et  Vérus  revint  en  hâte  à  Ro- 
me ,  abandonnant  à  Marc  -  Aurèle  le 
soin  de  pourvoir  à  la  sûreté  de  l'em- 
pire. Vérus  fut  désigné  consul,  pour 
la  troisième  fois,  l'an  167.  Deux  an- 
nées après,  les  barbares  ayant  re- 
nouvelé leurs  incursions  dans  la  Pan- 
nonie,  les  empereurs  retournèrent  à 
Aquilée  :  mais  la  peste  les  chassa  de 
cette  ville;  et  ils  prirent  le  parti  de 
revenir  à  Rome  passer  l'hiver.  Ils 
étaient  près  d'Altinum  (4),  assis  dans 
le  même  char,  lorsque  Vérus  fut  frap- 
pe' d'une  apoplexie ,  dont  il  mourut 
au  bout  de  trois  jours  ,  vers  la  fin  de 
l'année  169  ,  à  l'âge  de  trente  -  neuf 
ans.  Ses  restes ,  conduits  à  Rome  , 
furent  déposés  dans  le  tombeau  d'A- 
drien. Ce  prince  dut  être  peu  regretté 
de  Marc  -Aurèle  ;  mais  les  bruits  qui 
coururent  que  ce  dernier  avait  hâté  sa 
mort  n'ont  pas  besoin  d'être  démen- 

<le  sesterces  ,    ou   sept  cent  ciuqaante  mille  livres 
Je  notre  loonuaie. 

^'l)  AUiuii ,  <faiu  la  piarcbeTrévisaue, 


VER 

tis.  Vérus  ,  par  la   licence    de  ses 
mœurs,  égala  peut-être  les  empereurs 
les  plus   débauchés  (5).  Cependant 
ou  ne  doit  point  le  comparer  à  Cali- 
gula  ,  à  Néron ,  puisque  l'histoire  ne 
lui  reproche  aucun  acte  de  cruauté. 
On  a  des  médailles  de  ce  prince  dans 
tous  les  métaux.  Sa  Vie ,  par  J.  Ca- 
pitolin^Tun  des  auteurs  de  l'Histoire 
Auguste,  est  écrite  sans  ordre ,  et  pré- 
sente des  contradictions  frappantes. 
W— s. 
VERVILLE.  Voy.  Bekoalde. 
VERWEY  (  Jean  )    ou  Puok- 
BjEUs   (  I  ),  savant  humaniste ,  na- 
quit, à  Delft ,  en   164b.  Il  acheva 
ses  études  à  Utrecht ,  sous  le  célèbre 
J.  -  G.  Graevius ,  qui  l'aima  comme 
un  fils  ,  et  dont  il  reçut,  dans  la  suite, 
des  preuves    multipliées  d'attache- 
ment.   Étant  entré  dans  la  carrière 
de  l'enseignement ,  il  fut  nommé  rec- 
teur du  gymnase  de  Goude  j  mais  il 
ambitionnait  de  passer  sur  un  plus 
grand  théâtre.  Ou  sait  que,  dès  1678, 
il  lit  des  démarches  pour  obtenir  le 
rectorat  de  Leyde  ;   sa  demande  fut 
appuyée  vivement  par  Nicolas  Hein- 
sius  ,  son  ami  ;  ce  ne  fut  qu'eu  )  687 
qu'il  quitta  Goude  pour  aller  occu- 
per à  la  Haye  la  place  de  recteur  , 
et  la  chaire  de  langue  grecque.   Il 
remplit  ce  double  emploi  d'une  ma- 
nière brillante,  et  mourut  en  1692. 
On  a  de  lui  :  I.  Medidla  Aristarchi 
Vossiarii,  Goaàe,  1670,  in-8°.;  sou- 
vent réimprimé.  C'est  un  bon  abrégé 
de  grammaire  latine ,  tiré  des  ouvra- 
ges deVossius ,  de  Sanchez,  deSciop- 
pius,   et  de  la   méthode  de  Port- 
Royal  {V.  Lancelot).  II.   IVoi'a 


[5)  C'est  le  jugement  qu'on  eu  doit  porter  après 
avoir  lu  Capitolin.  Cependant  le  même  historien 
dit  en  commençant  la  Vie  de  Vérus  :  Ce  prince  ne 
fut  ni  bon  ,  ni  mauvais;  s'il  ne  brilla  pas  par  des 
■vertus ,  il  ne  se  souilla  pas  non  plus  par  des  crimes. 

(1)  C'est  la  traduction  de  son  nom  en  grec. 


VER 

via  docendi  grceca  ,  etc.,  Goiide  , 
1684  ou  1691  ,  in-8°.  j  ibid. ,  1703, 
avec  V Index  nomin.  gnvcorum  de 
R.  Kettel  •  Amsterdam  ,  1710.  Cette 
Grammaire  a  long-temps  e'te'  suivie 
dans  les  écoles  de  Hollande.  Verwey 
préparait,  dès  1678  ,  une  édition  du 
Lexique  d'ilcsycliius  ,  pour  laquelle 
il  avait  reçu  des  secours,  notamment 
de  Nicolas  Heinsius  et  de  Henri  de 
Valois.  Quelques  -  unes  de  ses  re- 
marques ont  ctc  publie'es  par  Al- 
berti  dans  son  édition  d'Hesychius 
(  P^oy.  ce  nom  ).  Dans  le  même 
temps ,  il  s'occupait  de  la  rédac- 
tion d'un  Lexique  s;rec ,  latin  et 
flamand  ,  sur  le  plan  de  Vlndi- 
culus  universalis  du  P.  Poraey  (  V. 
ce  nom  )  ;  mais  il  ne  paraît  pas  qu'il 
l'ait  terminé.  On  trouve  trois-  Let- 
tres de  Verwey  à  Nicoi.  Heinsius, 
dans  le  Sylloge  epistolarum  de  Bur- 
mann  ,   11  ,  83o.  W — s. 

VERZASGÎIA  (Bernard),  ori- 
ginaire (l'une  famille  deLocarno  réfu- 
giée pour  cause  de  religion  à  Bâle  , 
naquit  dans  cette  ville  en  1629,  et 
y  mourut  en  1680.  H  étudia  la  mé- 
decine à  Bàle  ,  en  Allemagne  ,  en 
Angleterre  et  en  France ,  et  il  exerça 
son  art  avec  succès  dans  sa  patrie , 
recherclié  de  plusieurs  princes  voi- 
sins. H  occupa  des  places  de  ma- 
gistrature ,  ainsi  que  celle  de  pre- 
mier médecin  dans  sa  ville  na- 
tale. Il  se  fit  connaître  par  son 
Herbier  ou  Description  des  plantes, 
avec  fig. ,  publié  en  allemand  à  Bâle , 
en  J678.  On  a  encore  de  lui  :  I.  Ri- 
verius  contractus  ,  i663.  II.  Obsen>. 
medicar.  centuria ,  ^678,  et  plu- 
sieurs Traités  sur  l'apoplexie  et  la 
paralysie.  U — i. 

VERZOSA  (i)  (Jean  ),  littérateur 


(1)  Ou  Berzosn,  II  est  inscrit  sous  ces  deux  noms 
dans  la  table  du  Catalogue  de  la  Bibliothèque  du 
roi. 

XLVIII. 


VER 


3o5 


et  poète  distingue,  naquit  en  iSaS, 
à  Saragosse  ,  d'une  famille  honorable. 
A  l'âge  de  quinze  ans  il  vint  à  Paris, 
et  y  donna  des  leçons  de  langue  grec- 
que avec  un  tel  succès,  qu'il  avait, 
dit-on  ,  jusqu'à  mille  auditeurs.  La 
guerre  entre  l'Espagne  et  la  France 
ayant  été  déclarée ,  tous  les  Espa- 
gnols reçurent  l'ordre  de  sortir  du 
royaume  ;  et  Verzosa  se  rendit  à 
Louvain  ,  où  ses  talents  le  fireiit 
promptemen  t  connaître.  Peu  de  tem ps 
après  ,  Charles-Quint  le  fît  venir  à 
Ratisbonne  et  le  chargea  de  di- 
verses commissions  dont  il  s'acquitta 
très-bien.  Il  accompagna  _,  comme 
secrétaire  ,  Diego  Hurtado  de  Men- 
doza  ,  l'un  des  ambassadeurs  de 
Charles-Quint  au  concile  de  Trente 
(2).  Mendoza  ayant  été  nommé 
gouverneur  de  Toscane ,  il  le  suivit 
à  Sienne ,  et  ne  négligea  rien  pour  le 
détourner  de  prendre  des  mesures 
rigoureuses  ,  qui  finirent ,  comme  il 
l'avait  prévu ,  par  soulever  les  habi- 
tants (  Fqy.  Mendoza  ,  XXVHI  , 
284  ).  Verzosa  se  trouvait  en  An- 
gleterx'e ,  à  l'époque  de  la  conclusion 
du  mariage  de  Philippe  II  et  de 
Marie  (  i554).  De  retour  en  Espa- 
gne ,  il  y  fut  employé  par  le  ministre 
Gonzale  Pérez,  puis  attaché  à  l'am- 
bassade de  Rome.  On  lui  donna  !a 
commission  de  rechercher  dans  les 
archives  du  Vatican  les  titres  cons- 
tatant les  droits  de  Philippe  sur  les 
divers  états  qui  formaient  son  im- 
mense apanage.  Il  était  occupé  de 
ce  travail  quand  il  mourut  le  24  fé- 
vrier i574>  à  l'âge  de  cinquante-i;n 
ans.  L'historien  de  Thon  (  ZiV.  Sq  ) 


(9.)  Le  Dict.  universel  dit  qu'il  parut  avec  éclat 
au  concile  de  Trente  ;  mais  il  n'est  point  nommé 
dans  la  liste  des  orateur.':  de  cette  cclcbrc  assem- 
blée ;  il  y  prononça  seulement  une  harangue  au 
nom  de  Mendo7,a,  et  cet  ambassadeur  était  Irop 
instruit  pour  qu'on  l'ait  soupçonné  d'avoir  fni[ 
composer   cette  pièce  par  sou    secrélaire. 

20      ^ 


3o6 


VER 


loue  la  prudence  et  la   capacité  de 
Verzosa.  Il  joignait  à  la  connaissance 
des  langues  anciennes  et  de  plusieurs 
langues  modernes  beaucoup  de  ta- 
lent pour  la  poésie  ,  et,  ce  qui  n'est 
pas  aussi  rare  chez  les  gens    de  let- 
tres   qu'on   ne    cesse  de    le   répé- 
ter ,  une  grande  habileté  pour   les 
affaires.  On  cite  de  lui  :  I.  De  lau- 
dibus  B.  Pétri  Jrbuesi ,  magistri 
Epilce  ,  carmen  heroicum ,  Paris  , 
1 544  ;  Saragosse  ,    1 6 1 3.  11  n'avait 
que  seize  ans  quand  il  publia  ce  poè- 
me sur  le   martyre  de   Pierre   d'E- 
pila.  II.  Liber  de  prosodiis   grec- 
cœ  linguœ ,  Louvain,  i544i  in-8o., 
très-rare.  La  Bibliothèque  du  roi  en 
possède  un  exemplaire.  III.  Carmen 
epicinium    in  navalem    vicioriam 
JoannisAustriaci ,  devicid  ad  Eclii- 
nadas  Turcarurn  cZrt^^e^,  Salaman- 
que  ,  i57'2.  Ce  poème ^  dans  lequel 
l'auteur  célèbre  la  victoire  rempor- 
tée par  D.  Juan  d'Autriche  (  F.  ce 
nom  )  à  Lépante  ,  a  eu  plusieurs  édi- 
tions ;  mais  il  n'en  est  pas  moins 
très-rare.  IV.  Epistolarum  libriir, 
versibus  scripti  ,   Palerme  ,   i575  , 
in-8°.j   Alcala  de  Heuarès,    1677, 
in-8^.  ,   avec  des  commentaires    de 
l'auteur ,  de  Louis  de  Terres ,  arche- 
vêque de  Mont-Réal ,  et  du  cardinal 
de  Granvelle.   Les  Espagnols  met- 
lent  ces   Epîtrcs   à   côté  de   celles 
d'Horace.  Il  est  sûr  que  Verzosa  ,qui 
s'y  est  évidemment  proposé  le  poète 
latin  pour  modèle,   imite   souvent 
avec  assez  de  bonheur  la  négligence 
de  sa  versification  ,  et  la  spirituelle 
familiarité  de  son  style.  V.  Charina 
sive  Amores,  Amsterdam,  ^1781  , 
in-i2,    avec   une  préface  d'Ignace 
Affo  del   Rio,   commissaire  de  la 
marine    espagnole  ,    en    Hollande. 
Diego  Dormer  a  recueiUides  Lettres 
et  des  Fers  de  Verzosa  dans  son 
ouvrage  intitulé  :  Progressas  de  la 


VES 

historia  en  el  regno  de  Aragon  , 
Saragosse  ,  1680,  in-fol.,  pag.  548 
et  suiv  (3).  On  sait  qu'en  i555  il  ve- 
nait de  terminer  un  Commentaire 
sur  Tacite ,  et  qu'il  traduisait  les  5a- 
turnales  de  l'empereur  Julien  (  F. 
Grég.  Mayans,  Spécimen  Biblioth. 
hispanœ  ,  p.  I25);  mais  ces  deux 
ouvrages  n'ont  point  paru.  Enfin  il 
avait  entrepris  une  histoire  du  roi 
Philippe  II ,  que  sa  mort  prématu- 
rée l'empêcha  de  terminer.  Outre  les 
auteurs  déjà  cités,  on  peut  consul- 
ter la  Bibl.  hispana  d'Antonio. 
Seelen  a  placé  Verzosa  dans  son 
livre  De  prœcocibus  Eruditis,  pag. 
67.  P— oTetW— s. 

VES  ALE  (i)(  André)  naquità 
Bruxelles,  en  i5i4,  d'un  apothicaire 
attache  au  service  de  la  princesse 
Marguerite,  tante  de  Charles-Quint, 
et  gouvernante  des  Pays-Bas.  Avant 
Vèsale,  l'anatomie  humaine  méritait 
à  peine  le  nom  de  science,  et  c'est  à 
bon  droit  qu'il  en  est  regardé  comme, 
le  créateur.  Chez  les  anciens  le  con- 
tact ou  même  le  seul  aspect  d'un 
cadavre  imprimait  une  souillure  que 
de  nombreuses  ablutions  et  une  mul- 
titude d'autres  pratiques  expiatoires 
pouvaient  à  peine  effacer.  Dans  le 
moyen  âge  ,  la  dissection  d'une  créa- 
ture faite  à  l'image  de  Dieu  pas- 
sait pour  une  impiété  digue  du  der- 


(3)  Les  Lellrei  sout  en  espagnol ,  et  les  7  ers  en 
latin. 

(i)  C'estdeb  ville  de  Wesel ,  au  duché  de  Clè- 
TCS,  que  la  famille  Vesale  ,  qui  en  était  ongiuaire, 
a  tiré  son  nom.  L'exercice  de  la  médecine  était 
comme  héréditaire  dans  cette  famille.  Pierre  Ve- 
sale ,  lri.saieuî  de  celui  qui  fait  le  sujet  de  cet  arti- 
cle la  pratiqua  dans  le  quinzième  siècle  ,  et 
publia  des  commeutaives  sur  Avieei.ne.  Jeau 
Vesale  ,  son  his»ïeul  .  lut  niédecm  de  Marie  de 
BoursoRue,  première  femme  de  1  empereur  Maii- 
milieu  1". ,  et  professeur  à  l'universilë  de  Louvain. 
liverard  Vesale,  son  aïeul,  joignait  aux  connaissan- 
ces médicales  celle  des  mathématiques  ;  outre 
quelques  traites  sur  cette  dernière  science  on  a 
de  lui  des  commentaires  sur  les  livres  de  Kaii  et 
sur  les  quatre  premières  sections  des  apboris- 
mes  d'Hippocrale.  Enfin  sou  perc  ctait  apolbcauc. 


VES 

nier  supplice.  Vainement ,  au  temps 
des  re'publiques  italiennes,  Mundiirus, 
professeur  de  médecine  à  Bologne  , 
offrit  ^  de  1 3 1 5  à  1 3  1 8 ,  le  spectacle 
nouveau  de  trois  cadavres  humains, 
publiquement  dissèques  j  le  scandale 
ne  se  re'péta  point.  Mundinus  ,  lui- 
même,  effraye'  par  l'edit  encore  ré- 
cent du  pape  Boniface  VII ,  ne  tira 
point  de  ces  dissections  tout  l'avan- 
tage qu'elles  semblaient  lui  promet- 
tre.   Cependant   les  ténèbres    de  la 
barbarie  devini-ent  par  degrés  moins 
épaisses.  Les  découvertes  de  la  pou- 
dre à  canon  ,  de  l'imprimerie  et  du 
Nouveau  -  Monde  ,  laites  en   moins 
d'un  siècle,  imprimèrent  un  nouveau 
cours  aux  destinées  de  l'espèce  liu- 
maiue  :  les  chefs  de  l'Église  permi- 
rent,  allèrent  même  jusqu'à  favori- 
ser l'étude  de  cette  partie  de  l'ana- 
tomie  ,  dont  la  connaissance  est  in- 
dispensable aux  peintres  ainsi  qu'aux 
sculpteurs.  Protégés  par  Jules  II  et 
Léon  X  ,    Michel-Ange  ,    Raphaël 
d'Urbin  ,  liéonard  de  Vinci    dessi- 
nèrent d'après  natiire  les  muscles  que 
la  peau  seule  recouvre  ;  mais  celte 
étude    superficielle  ,    suffisante   aux 
beaux-arts,  était  d'un  faible  avan- 
tage pour  la  science.  Au  milieu  de  ce 
mouvement  général  des  esprits  ,  qui 
rend  les  premières  années  du  seiziè- 
me siècle  si  remarquables  pour  l'ob- 
serva teur;  lorsque  la  doctrine  de  l'exa- 
men venait  relever  l'esprit  humain 
accablé  depuis  si  long-temps  sous  le 
joug  de  l'autorité^  Vesale  naquit  dans 
la  contrée  de  l'Europe  qui  partageait 
alors  avec  l'Italie  l'avantage  d'être 
la  plus  riche  et  la  plus  éclairée.  Des- 
tiné par  ses  parents  à  l'exercice  de 
la  médecine  ,  il  se   prit  d'une  telle 
passion   pour  l'anatomie  ,  qu'on  le 
voit  ,  à  Louvain  d'abord  ,  puis   à 
Paris  ,  surmontant  avec  un  courage 
admirable  tous  les  déçroûts  et  même 


VES  3o7 

tous  les  dangers  alors  attachés  à  ce' 
genre  de  travaux,  disputer  leur  proie 
aux  vautours  ,  pour  composer  mi 
squelette  avec  les  os  des  individus 
condamnés  au  dernier  supplice.  Pas- 
sant des  jours  entiers  soit  au  cime- 
tière des  Innocents  ,  soit  à  la  butte 
de  Montfaucon ,  au  milieu  des  cada- 
vres ,  il  surpassa  bientôt  son  maître 
Gonthier  d'Andernach  {Voy.  Jean 
GoNTniER),qui  n'hésita  point  à  con- 
fier la  publication  de  ses  ouvrages  à 
Vesale  ,  à  peine  âgé  de  vingt-cinq 
ans  ;  c'était  en  i538.  Voyageant 
ensuite  ,  et  passant  de  Baie  en 
Italie  ,  il  y  fut  précédé  d'une  telle 
renommée ,  que  les  gouvernements 
de  ce  pays  s'efforcèrent  de  l'y  re- 
tenir par  de  grands  avantages  , 
et  qu'il  fut  chargé  d'enseigner  pu- 
bliquement l'anatomie  ;,  de  i54o  à 
1544?  d'abord,  à  Pavie  ,  puis  à 
Bologne,  et  enfin  à  Pise.  C'est  dans 
cet  iiitervalle,  en  i543,  que  parut 
à  Bâie  la  première  édition  de  sa 
grande  anatoniie,  avec  des  planches 
attribuées  dans  le  temps  au  Titien. 
Vesale  était  à  peine  âgé  de  vingt-huit 
ans  ,  et ,  selon  l'expression  de  Sénac  , 
il  avait  découvert  un  nouveau  monde. 
Pour  la  première  fois  en  effet  les  or- 
ganes de  l'homme  se  trouvèrent  dé- 
crits, tandis  que  jusque-là  on  s'était 
contenté  d'anatomiser  les  singes  ,  le 
porc  et  d'autres  animaux  réputés 
semblables  à  l'homme  ;  aussi  l'ad- 
miration fut  universelle  :  de  toutes 
parts  les  élèves  accouraient  aux  lieux 
où  professait  Vesale  :  les  maîtres 
eux  -  mêmes  descendaient  de  leurs 
chaires  désertes ,  et  venaient  grossir 
la  foule  de  ses  auditeurs.  Quelques- 
uns  toutefois  ne  voyaient  point  sans 
envie  un  tel  succès  :  Sylvius ,  entre 
autres,  sous  prétexte  de  défendre  Ga- 
lien  ,  poui'suivit  Vesale  au  milieu  de 
ses  triomphes  ,  et  soutenant ,  contre 
20.. 


3o8 


VES 


rdviclcncc  ,  que  le  ce'lchrc  médecin 
(le  Pergame  avait  disséqué  des  ca- 
davres iiutnains  ,  s'oublia  jusqu'à  ce 
misérable  jeu  de  mots,  heureusement 
intraduisible,  F^csalium  non  esie,sed 
Vesanum.  C'iarlcs-Quiiit , avcrtipar 
la  renommée  j  éleva  Vcsale  au  poste 
eminent  de  son  premier  mc'decin  ,  et 
l'appela  près  de  lui.  Enlevé  à  la 
science  ,  Vesalc  quitta  l'Italie  ,  et 
traversant  Bâic  ,  gratifia  l'école  de 
médecine  de  cette  ville  d'un  sque- 
Iflte,  don  alors  précieux  ,  conservé 
depuis  avec  une  vénération  religieuse. 
L'écorce  de  kina,  nouvellement  dé- 
couverte ,  avait  rendu  la  santé  au 
puissant  monarque  j  Vesale  célébra 
I  es  vertus  du  nouveau  remède  dans  une 
Lettre  publiée  à  Ratisbonnc  (i546), 
ouvrage  de  critique  bien  plus  que  de 
matière  médicale  ;  car  les  observa- 
tions relatives  à  l'écorce  de  kina,  re- 
gardée comme  une  racine  ,  y  tiennent 
moins  de  place  que  sa  défense  con- 
tre SCS  adversaires,  auxquels  il  prouve 
snns  réplique  que  les  descriptions 
de  Galien  ont  été  faites  d'après  des 
singes  ,  et  non  sur  les  organes  de 
l'homme,  (compagnon  de  Charles- 
Quint  dans  tous  ses  voyages  ,  Vesalc 
])assa  au  service  de  Philippe  II  , 
lorsque ,  dégoûté  dos  affaires  et  du 
jnonde,  sou  maître  abdiqua  l'empire 
pour  finir  ses  jours  dans  là  solitude. 
Homme  de  cour,  devenu  à-peu-prcs 
elt'anger  à  l'anatomie  ,  il  sortit  mo- 
mentanément d'un  trop  long  sommeil 
pour  répondre  à,  Faliopc  ,  dont  l'a^ 
iiatômie,  publiée  èa  i55i  ,  renfer- 
mait un  grand  nombre  de  découver- 
tes, et  indiquait  plusieurs  correc- 
tions à  haire  dans  celle  de  Vesalc.  Dis- 
ciple de  ce  grand  maître,  Faliopc  ne 
s'était  ])oint  écarté  du  respect  qu'il  lui 
devait.  Vcsale,  en  publiant  sadi-fcnse, 
parut,  il  faut  l'avouer,  au-dessous  de 
lui-mêmej  c'estle  jugement  qu'en  por- 


VES 

tent  en  ces  termes  ses  deux  illustres 
éditeurs,  Boërhaave  et  Albinus  :  Au- 
licis  ohnoxiiis,  toliisohscfjuiis,  hœret 
cerchro  ,  vera  ncgat ,  sœpè  minus 
proha  asscrit ,  etc.  Cependant  riche, 
puissant  et  considéré  à  cette  cour  de 
ÎMadrid  où  allhiaient  les  trésors  du 
Nouveau-Monde ,  et  qui,  à  cette  épo- 
que, exerçait  sur  les  autres  états  de 
l'Europe  une  si  grande  influence,  Ve- 
sale jouis.'7jit  de  sa  gloire  et  favori- 
sait de  tout  son  crédit  l'étude  de  l'a- 
natomie ,  autant  du  moius  que  cela 
était  possible  en  Espagne  ,  à  côté  de 
l'inquisition ,  et  sous  un  prince  tel 
que  Philîj)pc  11  ,  lorsqu'une  accusa- 
tion singulière  vint  le  précipiter  dans 
l'abîine  du  malheur.  On  prétenrlit 
qu'ouvrant  le  cadavre  d'un  gentil- 
homme, dans  le  but  de  découvrir  les 
causes  de  la  mort,  le  cœur  avait 
palpité  sous  le  tranchant  du  scalpel , 
crime  invraisemblable  ,  que  la  mort 
devait  expier;  et,  chose  inouïe,  la 
postérité,  comme  les  contemporains, 
n'a  élevé  aucun  doute  sur  la  réalite 
du  fait  qui  donna  lieu  à  cette  accusa- 
tion absurde. Quels  témoins  en  dépo- 
sèrent.' Pour  mettre  le  cœur  à  décou- 
vert ,  il  faut  ouvrir  la  poitrine , 
couper  les  cartilages  ,  scier  les  côtes, 
enlever  le  sternum,  l'aire,  en  un  mot, 
des  incisions  longues  ,  profondes,  et 
bien  capables  derauimer  la  vie  avant 
que  le  cœur  puisse  être  aperçu  , 
])ar  la  division  du  péricarde.  Afin 
de  donner  (pielque  vraisemblan- 
ce à  l'accusation  ,  on  peut  supposer 
que  l'un  des  spectateurs  penché,  et 
s'appuyant  sur  le  cadavre,  aura  fait  re- 
fluer le  sang  veineux  dans  les  oreillet- 
tes ;  un  frémissement  obscur ,  un 
mouvement  ondulatoire  en  résultant, 
on  aura  vu  dans  cet  ellct  mécanique 
(juelque  signe  de  vie,  et  jeté  un 
cri  d'effroi ,  répété  par  les  ennemis 
de  Vesale ,  trop  heureux  de  cette  oc- 


VES 

casion  de  le  perdre.  Bientôt  l'igno- 
rance ,  l'envie  et  la  mauvaise  foi  dc- 
iiaturcrent  le  fait  en  l'exagcrantj 
l'inquisition  demanda  la  mort  du 
coupable  ,  et  les  prières  de  Phi- 
lippe H  obtinrent  difficilement  , 
dit-on  ,  que  la  peine  fût  commue'c  en 
un  pe'lerinage  à  la  Terre-Sainte.  Ve- 
sale  s'achemina  donc  vers  Jérusalem 
de  compagHÏe  avec  unMalatesta,  ge'- 
ne'raldes  troupes  de  Venise.  Ballotte 
par  des  fortunes  diverses  durant  ce 
pe'rilleux  voyage,  il  fut,  à  son  retour, 
jeté  par  la  tempête  sur  les  cotes  de 
l'île  de  Zaute,  où  il  mourut  de  faim, 
le  i5  octobre  1 564' La  republiquede 
Venise  l'appelait  à  l'université  de 
Padoue ,  veuve  cette  même  année  de 
Gabriel  Fallope  ,  ravi  par  une  mort 
prématurée;  en  sorle  que  s'il  fût  re- 
venu de  son  pélex'uiage  Vcsale  aurait 
succède'  à  son  élève  dans  la  chaire 
d'anatomie  de  l'université  de  Padoue, 
que  ces  deux  grands  hommes  ont 
tant  illustrée.  S'il  faut  en  croire  Al- 
binus  et  Boërhaave, auteurs  de  l'ex- 
cellente  biographie  de  Vesale  ,  l'en- 
fermée dans  la  j^réfacc  de  la  collec- 
tion complète  de  ses  OEuvres  ,  les 
moines  espagnols  lui  firent  cruelle- 
ment expier  ses  éternelles  plaisante- 
ries sur  leur  ignorance  ,  leur  costume 
et  leurs  mœurs.  Les  inquisiteurs 
saisirent  avec  avidité  l'occasion  of- 
ferte pour  se  débarrasser  d'un  sa- 
vant incommode.  Comme  Socratc 
chez  les  anciens ,  et  tant  d'hommes 
illustres  parmi  les  modernes,  Vesale 
mourut  donc  victime  de  cette  guerre 
tantôt  sourde  et  tantôt  déclarée ,  que 
les  apôtres  de  l'erreur  et  du  men- 
songe firent  de  tout  temps  aux  scru- 
tateurs de  la  nature  et  de  la  vérité. 
La  grande  aiiatomic  de  Vesale  ,  De 
corporis  humani  fahrlcd  ,  libri  rii  , 
parut  à  Bàlc ,  pour  la  première  fois, 
en  ij43,  iu-foho.  Une  seconde  txli- 


VES  3o9 

îion  aivgmentéc,  corrigée  par  l'auteur, 
également  avec  figures  ,  fut  publiée 
aussi  à  Baie,  en  1 555.  Depuis  lors,  cet 
ouvrage  a  été  plusieurs  fois  réimpri- 
mé :  à  Venise ,  en  1 6o4  ,  à  Lyon  ,  en 
^1602  ,  à  Francfort,  en  i6o4  et  en 
i632,  avec  les  planches  originales  , 
réduites,  et  d'autres  fois  sans  plan- 
ches j  un  grand  nombre  de  ti-aduc- 
tions  en  a  été  fait  dans  toutes  les  lan- 
gues de  l'Europe.  Mais  de  toutes  les 
éditions  des  ouvrages  de  Vesale,  au- 
cune n'est  plus  exacte  et  plus  complè- 
te que  celle  qui  a  été  publiée  à  Leyde, 
en  17^5,  par  Hcrman  Boërhaave  et 
Bernard  Sigefred  Albinus  ;  là  se  trou- 
vent rassemblés  tous  les  ouvrages  de 
l'auteur.  Cette  collection,  en  deux  vo- 
lumes in-folio  avec  figures ,  est  sur- 
tout précieuse  par  la  préface  dont 
les  illustres  éditeurs  l'ont  ornée  ;  ou- 
tre l'anatomie  ,  elle  renferme  la  Let- 
tre publiée  à  Ratisbonue  ,  en  i546  , 
sous  cetitre  lEpistola  adJoachimum 
Roëlants,  etc.,  rationem  modumque 
pro])iiiandi  radicis  chynœ  decocti , 
quo  niiper  invictissimiis  Carolus  V 
imperator  usas  est ,  perlractans  ,  et 
prœter  alla  quœdam,  etc.;  la  Répon- 
se à  Fallope,  écrite  en  i56i ,  et  qui 
parut  à  Venise,  en  i564,  sous  ce 
titre  :  Aiiatomicanim  Gabriclis  Fal- 
lopii  ohservalionum  examen  ,  et  en- 
fin sa  grande  Chirurgie,  Chinirgia 
magna,  libri  m,  compilation  qu'un 
Vénitien,  Prosper  Bogarucci,  publiaà 
Venise,  en  i568,  quatre  ans  après 
la  mort  de  Vesale  :  ce  grand  nom  fut , 
sans  doute,  alors  employé  à  tromper 
le  public  par  une  fraude  dont,  com- 
me on  voit,  l'espèce  n'est  pas  nou- 
velle. B — c — D. 

VESLING  (Jean),  célèfire  ana- 
tomiste,  naquit  en  iSgS  à  Minden, 
en  Westphalie.  Son  père,  qui  vou- 
lait lui  donner  une  brillante  éduca- 
tion^  le  conduisit  à  Vicime  eu  Au- 


3io 


VES 


triclie  ,  où  le  jeune  Vesling  termina, 
avec  succès,  ses  cours  d'humanite's 
et  de  philosophie.  Il  se  rendit  ensuite 
à  Padoue ,  pour  se  livrer  à  l'c'tude 
de  l'anatomie  et  de  la  physiologie. 
En  162S,  la  république  de  Venise 
ayantreluse'  les  fonds  nécessaires  aux 
exercices  anatomiqucs,  Vesling  par- 
tit pour  le  Caire,  avec  le  consul  de 
Venise  ,   dont  il   était  le  médecin. 
Après  avoir  parcouru  l'Egypte,   il 
alla  à  Jérusalem ,   on  il    fut   reçu 
chevalier  du  Saint- Sépulcre.  De  re- 
tour à  Venise  ,  Vesling  fit  des  cours 
particuliers  d'anatomie  et  de  bota- 
nique ,  avec  un  tel  succès  ,  que  les 
élèves  désertaient  les  écoles  publiques 
pour  venir  profiter  de  ses  leçons.  La 
république  s'empressa  de  faire  l'ac- 
quisition d'un  homme  aussi  distin- 
gué, et  le  nomma  ,  en  i632  ,  à  la 
première  chaire  d'anatomie,  vacante 
à  l'université  de  Padoue.  Quoiqu'il 
fût  un  peu  sourd ,  et  qu'une  sorte  de 
bégaiement  l'empêchât  de  parler  avec 
aisance,  on  ajouta   à  ses   fonctions 
celles  de  professeur  de  chirurgie  et 
de  botanique  ;  mais  ne  pouvant  suf- 
iîre  à  ce  surcroît  de  travail  ,  il  de- 
manda   de    remplir    seulement    la 
chaire  d'anatomie  et  de  botanique  , 
en  conservant  la  direction  du  jardin. 
Dans  l'intention   de  rendre  celui-ci 
un  des  plus  riches  de  l'Europe,  il 
sollicita  et  obtint,  en  1648  ,  la  per- 
mission d'aller  herboriser  dans  l'île 
de  Candie  et  quelques  autres  con- 
trées du  Levant.  Après  une  abon- 
dante moisson  de  plantes  nouvelles 
recueillies  avec  des   peines  excessi- 
ves ,  il  revint  à  Padoue  ,   épuisé  de 
fatiguer,   et  y   mourut  prématuré- 
ment, le  3o  août  i64o.  Nous  avons 
de  Vesling  :  I.  De  cognato  anato- 
viici  et  botanici  studio  oralio  ,  Pa- 
doue ,  i638,  in  -  4"- IL    Observa- 
iioncs  et  notce  ad  Prosperi  Alpijii 


VES 

librum  de  planlis  M^ypti,  cum  ad- 
dilamento  aliarum  plantarum  ejiis- 
dcm  regioiiis^   Fadoue,   i638,   in- 
4**.  ;  Ray  a  profité  de  ce  travail  de 
Vesling.    III.  Sj'ntagma  anatomi- 
ciim ,  publicis  dissectionibus  in  ait- 
ditorum  usiini  diligenter  aptatum  , 
Padoue,  1641  ,  in-4°v  sans  figures  j 
Francfort,    i64i  ,  in-i2j  Padoue, 
1647  ,  in-4°-,   avec   figures  et  de 
nombreuses  additions;  ibid.  ,  \^']'] , 
1728  ,  in-4''.  ;  Amsterdam  ,  i65g, 
in-4°.  ,  par   les    soins    de    Gérard 
Blaeu  ,qui  y  fit  beaucoup  d'augmen- 
tations, ibid.,  1666,  in-4".;  Utrecht, 
1696,  in-4°-  y  traduit  en  allemand  , 
Leyde  ,  i65a,  in-4'^.  j  Nuremberg, 
1676,  1688,  in-8<^.  ;  en  hollandais, 
Leyde,   1661,  in-S".  ;  en   anglais, 
par  Culpepper,  Londres,  i653  ,  in- 
fol.  ;  en  italien  ,  Padoue,  1709,  in- 
fol.  Ce  précis  anatomique  a  dû  son 
grand  succès  à  l'exactitude  qui  se 
remarque   dans  la   description  des 
organes  ,  non  moins  qu'au  style  très- 
pur  dans   lequel  il    est   écrit.   Ves- 
ling est  le  premier  qui  ait   repré- 
senté  par  le   dessin    les    vaisseaux 
lactés  dans  l'homme,  et  les  quatre 
veines  pulmonaires  j  mais  ses  plan- 
ches ne  sont  pas  bonnes.  IV.  Cata- 
logits    plantarum  horti  patavini , 
Padoue,   i64'2,    1644,  in -12.  V. 
Opobalsami  vcteribus  cogniti  vin- 
dicice  :  accessit  parœncsis  ad  rem 
herbariam,  Padoue,   i644  5  i»-8°. 
VI.  Observaliones  anatomicœ  et  épis  ■ 
tolce  medicœ  ,  Copenhague  ,   1664  , 
in-B**.  ,  avec  la   dissertation  de  T. 
Bartholin  ,  De  insolitis  partûs  hu- 
maniviis,  la  Haye,  1740,  in-8\  Cet 
écrit  posthume  de  Vesling,  publié  par 
les  soins  de  Thomas  Bartholin  ,  con- 
tient des  faits  curieux  et  des  expérien- 
ces intéressantes.  Il  y  est  question  du 
moyen  artificiel  dont  se  servent  les 
Égyptiens  pour  faire  éclore  les  pou- 


VES 

lets  sans  le  secours  de  l'incubation  . 
moyen  qui  consiste  à  placei*  une 
grande  quantité  d'œufs  dans  des 
fours  spacieux,  que  l'on  chauffe  à 
une  température  égale  à  celle  que 
les  poules  communiquent  aux  œufs. 
Vesling  observa  ,  presque  en  même 
temps  que  Pecquet,  le  tronc  com- 
mun des  vaisseaux  lactés  et  lympha- 
tiques. Le  i3  mai  1649,  il  fit  part 
de  cette  découverte  à  T.  Bartholin , 
et  alors  il  ne  pouvait  avoir  connais- 
sance de  celle  de  Pecquet  ;  car  l'ou- 
vrage de  ce  dernier  ne  parut  qu'en 
1 65 1 .  Dans  celte  même  année  1 649, 
qui  fut  celle  de  sa  mort ,  Vesbng 
démontra  les  vaisseaux  lactés  du 
mésentère  et  les  lymphatiques  de  l'es- 
tomac ,  en  présence  des  docteurs 
Bevilacqua  et  Grégoire  Horstj  mais 
il  ne  connut  point  le  véritable  usage 
du  canal  thorachique.   R — d — n. 

VESPASIANO  ,  savant  biblio- 
phile ,  né ,  dans  le  quinzième  siè- 
cle, à  Florence,  exerçait  l'état  de 
libraire  en  cette  ville  où  son  éru- 
dition le  faisait  rechercher  et  esti- 
mer de  tous  les  amis  des  lettres.  Ver- 
sé dans  l'hébreu  .  le  çrrec  et  le  latin  , 
-1  •      •        '     I  ^^  .' 

Il  connaissait  tous  les  ouvrages  mis 

au  jour  dans  ces  différentes  langues, 
et  les  appréciait  avec  goût.  Suivant 
Sozomène  de  Pistoie,  son  contempo- 
rain ,  les  rois  et  les  princes ,  les  évê- 
ques  ctles  souveraius  pontifes  avaient 
Iréqucmmcnl  recours  à  ses  lumières. 
11  fut  employé  par  le  grand-duc  Cos- 
me  de  Médicis  à  recueillir  les  livres  et 
les  manuscrits  qui  formèrent  le  fonds 
de  la  bibliothèque  Laurentienne.  On 
a  de  Vespasiano  :  I.  Les  Fies  de  plu- 
sieurs prélats ,  insérées  dans  Vltalia 
sacra  d'Ughelli.  II.  Celles  des  papes 
Eugène  IV  et  Nicolas  V ,  qui  ont  été 
publiées  par  Muratori ,  dans  le  tome 
XXV  des  Rerum  italicarum  scripto- 
res.  III. Quelques  autres  Notices  bio- 


VES 


3ii 


graphiques,  restées  inédites,  mais 
citées  par  Tiraboschi ,  dans  la  Sto- 
ria  délia  letteratura  italiana.  On 
conservait  à  la  bibliothèque  Nani  un 
opuscule  de  Vespasiano  :  Lamento 
di  Italia ,  composé^  en  i4^o,  au 
sujet  de  la  prise  d'Otrante  par  les 
Turcs  (Voy.  le  Catal.  Nani,  p.  3). 
La  bibliothèque  Laurentienne  possè- 
de plusieurs  Lettres  adressées  à  Ves- 
pasiano par  les  savants  de  son  temps. 
W— s. 
VESPASIEN  (  TiTvs  Flavius 
Fespasianus),  dixième  empereur 
romain,  naquit  dans  une  bourgade 
voisine  de  Rieti ,  le  1 7  novembre  de 
l'an  de  Rome  760 ,  cinq  ans  avant  la 
mort  d'Auguste.  Il  eut  pour  aïeul 
T.  Flavius  Pentro ,  qui ,  api:ès  avoir 
combattu  à  Pharsale ,  en  qualité  de 
centurion  dans  l'armée  de  Pompée , 
se  retira  dans  sa  petite  ville  pour 
exercer  des  fonctions  analogues  à 
celles  de  commissaire- priseur.  Le 
père  de  Vespasien  ,  T.  Flavius 
Sabinus,  publicain  en  Asie,  mé- 
rita par  sa  douceur  et  son  intégri- 
té que  plusieurs  villes  conservassent 
son  portrait  avec  celte  inscription  : 
Au  publicain  honnête  homme.  Éle- 
vé par  son  aïeule  maternelle  Tertul- 
la  ,  dans  une  petite  métairie ,  près  de 
Cosa  en  Toscane,  le  jeune  Vespasien 
contracta  ces  habitudes  d'une  vie 
simple  et  frugale  qui  firent  de  lui 
tom-à-tour  un  excellent  soldat,  un 
empereur  sage  et  économe.  Toujours 
il  chérit  les  lieux  où  il  avait  passé 
son  enfance  :  toujours  il  garda  un 
souvenir  tendre  de  la  modeste  et  vé- 
nérable matrone  qui  avait  guidé  ses 
premiers  pas  dans  la  vie.  Parvenu 
au  trône ,  il  ne  voulut  faire  aucun 
changement  à  la  rustique  habitation 
qu'avait  occupée  TertuUa  5  et  aux 
jours  de  fête,  ilbuvait  dans  une  petite 
tasse d'argeutqni  lui  avait  apparlonu. 


3l2 


VES 


Arrive  au  terme  de  sa  paisible  ado- 
lescence, il  ne  formait  d'autres  vœux 
que  de  passer  ses  jours  dans  une  heu- 
reuse me'diocritc;  mais  il  fut  pousse' 
malgré  lui  dans  les  voies  de  l'ambi- 
tion, par  sa  mère  Vespasia  Polla^ 
qui ,  lière  du  chemin  rapide  que  fai- 
sait dans  la  carrière  des  honneurs 
T.  Flavius  Sabinus,  son  fils  aîné',  ne 
cessait  d'accabler  de  reproches  le 
jeune  Vespasien,  qu'elle  traitait  de 
njalet  de  son  frère  (i).  Il  brigua 
donc  et  obtint ,  non  sans  peine ,  l'cdi- 
lité  (  l'an  de  Rome  709  ) ,  et  fut  char- 
ge', eu  cette  qualité  ,  de  la  police  de 
la  ville  et  du  soin  d'entretenir  la 
propreté  des  rues.  Caligula,  trouvant 
qu'il  s'acquittait  de  ses  fonctions  avec 
négligence ,  lui  fit  jeter  de  la  boue 
sur  sa  robe  j  et  dans  la  suite  la  flat- 
terie ne  manqua  pas  d'interpréter 
cette  mésaventure  comme  ayant  été 
le  présage  de  la  bonne  fortune  à  la- 
quelle Vespasien  était  parvenu.  Il 
fut  ensuite  préteur  sous  Caligula  , 
dont  il  se  ménagea  la  faveur  par 
toutes  sortes  de  flatteries  ,  jusqu'à 
prendre  la  parole  en  plein  sénat 
pour  se  féliciter  de  l'honneur  que  lui 
avait  fait  ce  prince  de  l'admettre  à 
sa  table.  Il  se  déshonora  aussi  par 
son  mariage  avec  Domitia  ,  qui  avait 
été  la  concubine  d'uu  chevalier  ro- 
main ,  et  dont  la  naissance  était  si 
équivoque  qu'il  fallut  une  sentence 
judiciaire  pour  établir  qu'elle  était 
de  condition  libre.  C'est  de  Do- 
mitia que  naquirent  Titus  et  Domi- 
tien  que  les  destins  a])pe!aicut  à  oc- 
cuper le  trône  impérial  après  leur 
père.  Sous  le  règne  de  Claude,  Ves- 


(i)  Après  avoir  passe  par  toiiles  les  inagistiaUi- 
res  curules  ,  Sabinus  fut  consiiï  sul  .stiinc  sous 
Néron  ,  puis  préfet  de  la  ville.  Les  soldais  qui ,  à 
lauiortde  Galba,  disposaient  de  loulcs  les  places, 
lu  coulinnèrcQt  dans  cette  dignité  (  au  de  Kome 
S9.0  ).  A  la  mort  d'Olhon  ,  il  fit  prêter,  par  les 
troui)es  sous  ses  ordres,  le  serment  de  fidélité  à 
VilcMifs. 


VES 

pasien  parvint  par  la  protection  de 
rafTianchi  Narcisse  au  commande- 
ment d'une  légion.  Il  flt  d'abord  la 
guerre  en  Germauie ,  puis  dans  la 
Grande-Bretagne^  que  Jules-César 
avait  plutôt  visitée  que  conquise. 
Vespasien  y  livra  trente  combats  , 
prit  vingt  villes ,  soumit  diverses 
peuplades  ,  fit  prisonniers  plusieurs 
rois  bretons  ,  et  s'empara  de  l'île  ap- 
pelée Vectis  (  Wight  ).  L'empereur 
lui  fit  décerner ,  par  le  sénat ,  les  or- 
nements du  triomphe ,  et  dès-lors , 
selon  Tacite,  les  destins  montrèrent 
au  monde  Vespasien  (2).  Il  fut,  bien- 
tôt après ,  décoré  du  sacerdoce ,  puis 
du  consulat.  La  mort  de  Claude  ar- 
rêta les  progrès  de  sa  fortune.  Pen- 
dant les  premières  années  du  règne 
de  Néron ,  il  vécut  dans  la  retraite  , 
ne  cherchant  qu'à  se  faire  oublier 
d'Agrippiue,  à  qui  tous  les  amis  de 
Narcisse  étaient  odieux.  Toutefois  il 
devint  proconsul  d'Afrique,  à  son 
rang  comme  consulaire.  Les  histo- 
riens ne  s'accordent  pas  sur  la  manière 
dont  il  se  conduisit  dans  cette  provin- 
ce: si  l'on  en  croit  Tacite  ,  il  s'attira 
lahaineet  le  mépris  des  peuples  (8)5 
d'après  Suétone ,  il  les  gouverna  avec 
une  intégrité  parfaite.  Mais  ce  der- 
nier convient  que,  dans  une  sédi- 
tion ,  la  midtilude  jeta  des  raves  à  la 
tête  du  proconsul  :  il  est  difficile  de 
croire  qu'un  magistrat  sans  repro- 
che eût  été  exposé  à  une  pareille  in- 
sulte. Au  reste  _,  il  est  certain  qu'il 
ne  s'enrichit  pas  dans  son  procon- 
sulat d'Afrique.  Il  en  revint  perdu 
de  dettes  ,  et  se  vit  obligé  d'en- 
gager tous  ses  biens  à  son  frère 
Sabinus ,  pour  ne  pas  faire  banque- 
route. Il  rétablit  bientôt  sa  fortune 
par  d'indignes   manœuvres   qui  lui 

(7.)  El  motislraliis  fatis  Vespasianus  (Agricol.). 
(3")  Pracoiisulaium..  ,  .Jamosum  imiisumque éga- 
rai (  Uist,  Il ,  f)7  ). 


VES 

vahucut  le  eurnom  de  Maquipwn^ 
mais  qui  ne  l'empêclièrent  pas  d'ob- 
tenir quelque  crédit  à  la  cour  de  Né- 
ron. Cependant ,  il  finit  par  encourir 
la  disp;ràce  du  prince ,  parce  qu'il  eut 
la  maladresse  de  s'assoupir  au  théâ- 
tre ,  dans  le  moment  où  l'empereur 
occupait  la  scène.  Yespasien  fut 
durement  réprimandé  par  l'aifran- 
chi  Phébus  ,  et  il  fallut  les  plus 
vives  sollicitations  pour  le  sauvei*. 
Cette  leçon  ne  le  corrigea  pas  : 
lorsque  Néron  se  rendit  en  Grè- 
ce pour  y  disputer  le  prix  dans 
tous  les  Jeux. ,  l'inhabile  courtisan 
s'endormit  encore  une  fois  pen- 
dant que  le  prince  faisait  entendre 
sa  voix  d'wiîie  :  on  le  chassa  de  la 
cour ,  il  fut  réduit  à  se  cacher  •:  sa 
perte  paraissait  inévitable  ;  et ,  selon 
Tacite,  il  n'échappa  que  par  l'as- 
cendant de  sa  destinée  (4).  Dans  sa 
retraite,  il  s'attendait,  à  chaque  ins- 
tant ,  à  voir  arriver  un  émissaire  du 
tyran  pour  lui  donner  la  mort,  lors- 
qu'à sa  grande  surprise  il  fut  appelé 
au  commandement  de  l'armée  desti- 
née à  l'éprimer  la  révolte  des  Juifs. 
Ce  chois  s'explique  par  le  besoin 
qu'avait  Néron  tl'un  général  habile  , 
mais  dont  l'importance  politique  ne 
pût  lui  porter  ombrage.  Vespasieu 
répondit  parfiiteraent  à  ce  qu'on  at- 
tendait de  sa  capacité.  «  C'était, 
»  dit  Tacite,  un  guerrier  infatigable, 
»  marchant  toujours  ci  la  tête  des 
»  troupes  ,  ti'açant  lui-même  son 
»  camp  ,  nuit  et  jour  observant  l'en- 
»  nemi,  et  dans  l'occasion  combat- 
»  tant  de  sa  personne,  indilférent  sur 
»  sa  nourriture  ,  se  distinguant  à 
»  peine  du  moindre  soldat  par  ses 
»  vêtements  et  son  extérieur  ;  enfin , 
»  à  la  cupidité  près,  comparable  aux 
»  anciens  généraux.  »  Il  entra  d'a- 

('))  Aunales,  Uv.  XVI,  ch.  5, 


VES 


3i3 


bord  dans  la  Galilée ,  s'empara  de 
plusieurs  villes  ,  et  fut  dignement 
secondé  par  Titus  ,  son  lils  aîné 
{V.  Titus,  XLVI,  iG8  ) ,  et  par 
Titus  Trajanus,  père  de  l'empereur 
Trajan.  Yespasien  aurait  pu  dès-lors 
former  le  siège  de  Jérusalem;  mais 
il  voulait  auparavant,  faire  la  con- 
quête de  toute  la  Judée,  alin  de  tenir 
cette  ville  formidable  pour  ainsi  dire 
cernée  de  toutes  parts;  il  voulait 
d'ailleurs  laisser  l'immense  popula- 
tion qui  surchargeait  celte  capitale 
se  détruire  par  ses  propres  dissen- 
tions. Ses  olilciers  étaient  d'un  avis 
contraire  :  «  Notre  apparition  de- 
»  vaut  Jérusalem  ,  leur  dit-il  y  réu- 
»  nira  tous  les  partis  contre  nous  ; 
»  nous  pouvons  espérer  de  vaincre 
»  sans  coup  férir  ;  et  une  conquête 
»  qui  est  le  fruit  de  la  prudence  m'a 
»  toujours  paru  préférable  à  celle 
»  dontlesarmes  onttout  l'honneur.  » 
Le  moment  était  venu  où,  maître  de 
tout  le  pays,  le  prudent  général  n'a- 
vait plus  qu'à  couronner  ses  exploits 
par  cette  dernière  conquête  ,  lorsque 
la  nouvelle  de  la  mort  de  Néron  l'en- 
gagea à  ralentir  ses  efforts  (  an  de 
Rome  820  ).  Il  était  si  loin  de 
songer  à  l'empire  pour  lui  -  mê- 
me j  qu'il  s'empressa  d'envoyer 
Titus,  son  fils,  oll'rir  sa  soumission 
au  nouvel  empereur;  mais  la  mort 
pi'ompte  de  Galba ,  suivie  de  la  lutte 
engagée  entre  Othon  et  Vitellius, 
ces  deux  rivaux  également  indignes 
du  troue  ,  inspira  aux  légions  de 
l'Orient  la  pensée  de  suivre  l'exem- 
ple des  armées  d'Occident,  qui  trois 
fois  depuis  la  mort  de  Néron  dispo- 
sèrent de  l'empire.  Mucien ,  gouver- 
neur delà  Syrie,  égalait,  surpassait 
peut-être  le  crédit  de  Yespasien* 
mais  loin  d'aspirer  au  trône  il  aima 
mieux  en  disposer  en  faveur  de  son 
collègue.  Tout  conspirait  alors  à  l'c- 


3i4  VES 

lëvation  de  la  famille  des  Flayiens  : 
à  Rome,  après  la  mort  de  l'empereur 
Othoii,  le  préfet  du  prétoire,  Flavius 
Sabimis,  frère  de  Vespasieu,  se  vit 
plutôt  courtisé  par  Vitellius^  qu'il  ne 
le  recherchait  lui-même  :  en  Egypte , 
en  Chypre,  en  Grèce,  les  oracles 
lie  cessaient  de  prédire  les  hautes 
destinées  de  Vespasien.  Les  Juifs  , 
enfin,  abusant  des  saintes  Écritures  , 
à  l'exemple  de  l'historien  Josè- 
phe,  appliquaient  à  ce  vieux  général 
les  prophéties  relatives  au  Messie. 
Titus  accueillait  avec  confiance  tou- 
tes ces  prédictions.  L'enthousiasme 
des  soldats  était  d'ailleurs  pour  son 
père  et  pour  lui  le  plus  sûr  des  ora- 
cles. Dans  cette  circonstance,  Vespa- 
sien offrit  au  monde  le  spectacle  uni- 
que d'un  homme  qui  se  faisait  vio- 
lence pour  accepter  l'empire.  Il 
voulut  que  son  armée  prêtât  serment 
à  Vitellius;  et  quand  il  eut  prononcé 
la  formule,  le  silence  fut  unanime. 
Assez  long-temps  encore,  il  résista 
aux  vœux  de  toute  son  armée  et  de 
toutes  les  provinces  de  l'Orient.  Il 
puisait ,  dans  son  attachement  pour 
Sabinus ,  son  frère,  dans  son  amour 
pour  ses  deux  lîls  ,  les  principaux 
motifs  de  celte  honorable  hésitation. 
Il  craignait  de  les  exposer  aux  dan- 
gers d'un  projet  dont  on  ne  peut  sor- 
tir que  par  le  succès  ou  par  la  mort. 
Enfin,  dans  une  assemblée  nombreu- 
se des  amis  de  Vespasien ,  Miicien  , 
par  ses  discours  ,  emporta  son  con- 
sentement. Le  plan  de  conduite  du 
futur  empereur  fut  conçu  avec  une 
haute  prévoyance.  Titus  devait  res- 
ter en  Judée ,  avec  une  partie  des  lé- 
gions de  l'Orient  j  Mucien  se  porter 
en  Occident ,  à  la  tête  d'une  armée  , 
pour  attaquer  les  légions  fidèles  à 
Vitellius  j  et  Vespasien  se  rendre  à 
Alexandrie  ,  afin  de  réduire ,  s'il  en 
était  besoin,  par  la  famine,  l'Italie  , 


VES 

qui  tirait  ses  subsistances  de  l'Égyj)- 
te.  Mais  le  bonheur  surprenant  de 
Vespasien  rendit  superflues  des  me- 
sures si  sagement  combinées.  A  peine 
arrivé  dans  la  capitale  des  Ptolé- 
mées,  le  nouvel  empereur  fut  salué 
par  le  gouverneur  de  la  province, 
qui  lui  amena  deux  légions.  Cette 
proclamation  eut  lieu  le  i5  juillet 
820  de  Rome  (  69  de  J.-C.  ) ,  et  c'est 
de  ce  jour  que  Vespasien  datait  son 
avènement.  Tandis  que  Mucien  mar- 
chait vers  le  Danube,  les  légions  qui 
gardaient  ce  fleuve,  sans  attendre 
son  arrivée ,  décidèrent  la  querelle 
en  faveur  de  Vespasien.  Sous  la  con- 
duite d'AntoniusPrimus,  elles  batti- 
rent, près  de  Crémone,  les  troupes 
qui ,  peu  de  mois  auparavant,  avaient 
donné  l'empire  à  Vitellius  ;  mais  les 
détails  de  cette  guerre  civile  trouvent 
plus  convenablement  leur  place  dans 
la  notice  sur  cet  empereur  {T^oy.  Vi- 
tellius (Aulus)  }.  Si  cette  révolu- 
tion fut  prompte,  elle  ne  laissa  pas 
d'être  sanglante  :  entre  autres  victi- 
mes illustres,  elle  coûta  la  vie  au 
frère  aîné  de  Vespasien ,  qui  était 
préfet  de  Rome.  Ce  personnage  au- 
rait pu ,  après  la  défaite  de  Vitellius , 
s'offrir  pour  chef  au  peuple ,  et  ter- 
miner lui-même  la  guerre  civile  en 
faveur  de  son  frère.  «  Il  convenait  à 
»  Sabinus  ,  dit  Tacite ,  qu'un  frère 
»  lui  dût  l'empire  -,  il  convenait  à 
»  Vespasien  que  personne  n'effaçât 
»  son  frère.  »  Sabinus,  soit  par  jalou- 
sie contre  Vespasien  ,  soit  parce  que 
le  sang  et  le  carnage  répugnaient  à  la 
douceur  de  sou  caractère,  préféra 
traiter  de  la  paix.  A  la  suite  de  plu- 
sieurs conférences ,  il  fit  signer  à  Vi- 
teUius  un  acte  d'abdication.  La  popu- 
lace de  Rome ,  les  partisans  de  Vitel- 
lius, ne  permirent  pas  à  celui-ci 
d'exécuter  ses  engagements.  Il  se 
vit  forcé  de  rentrer  dans  le  palais 


VES 

impérial.  Sabinus  fut  assiégé  dans 
le  Capitule  j  et  l'incendie  de  ce 
lieu  révéré  assura  le  triomphe  des 
"Vitelliens.  Une  soldatesque  furieuse 
traîne  le  frère  de  Vespasien  de- 
vant Vitellius  ,  qui ,  se  rappelant 
les  généreux  ménagements  qu'a- 
vait eus  pour  lui  Sabinus ,  pendant 
leurs  fréquentes  entrevues ,  le  reçut 
avec  bonté;  mais  il  ne  put  le  sauver. 
On  trancha  la  tète  à  l'infortuné  con- 
sulaire, et  son  corps  fut  traîné  aux 
Gémonies.  «  Telle  fut,  dit  Tacite, 
la  fin  d'un  homme  qui  certainement 
n'était  point  sans  mérite.  Il  avait 
servi  trente-cinq  ans  la  république 
avec  une  réputation  brillante  ,  à 
l'armée  et  dans  Rome.  Son  équité  et 
son  désintéressement  étaient  irrépro- 
chables ;  seulement  il  parlait  trop , 
et  durant  les  sept  années  qu'il  gou- 
verna la  Mœsie,  et  les  douze  ans 
qu'il  exerça  la  préfecture  de  Rome , 
c'est  le  seul  défaut  que  la  voix  publi- 
que lui  ait  reproché.  Sur  la  fin  de  sa 
vie,  il  parut  à  quelques-uns  se  com- 
porter sans  habileté  et  sans  énergie  ; 
le  phis  grand  nombre  vit  en  lui  un 
homme  modéré  ,  qui  voulait  épar- 
gner le  sang  de  ses  concitoyens  ;  et  ce 
qui  n'est  pas  contredit ,  c'est  qu'a- 
vant l'élévation  de  Vespasien  à  l'em- 
pire, Sabinus  faisait  toute  la  gloire 
de  leur  famille.  Sa  mort  fut  agréable 
à  Mucien;  et  il  est  certain  qu'elle  fut 
avantageuse  à  la  tranquillité  publi- 
que ,  en  ce  qu'elle  prévint  la  concur- 
rence entre  deux  hommes ,  dont  l'un 
élait  le  frère  ,  et  l'autre  se  croyait 
le  collègue  de  Vespasien.  »  Le 
meurtre  de  Vitellius  suivit  de  près 
l'assassinat  de  Sabinus.  Autonius 
Primus  était  maître  de  Rome  :  Do- 
mitien ,  qui  depuis  le  siège  du  Capi- 
tole  s'était  dérobé  à  tous  les  regards, 
se  montra  aux  partisans  de  son  pè- 
re, dès  qu'il  n'y  eut  plus  de  danger. 


VES 


3i5 


II  fut  proclamé   César,  et  bientôt 
après  ^  le  sénat  décerna  à  Vespasien 
tous  les  titres  de  la  souveraine  puis- 
sance ,  par  un  décret  fameux  connu 
sous  le  nom  de  loi  rojale.  Cet  acte 
se  trouve  en  substance  dans  Tacite  j 
et  pour   qu'il  ne  restât  aucun  dou- 
te   sur   ce  fait,  le  temps  a  conser- 
vé sur  une  table   qu'on  voit  encore 
au  Capitole,  un  fragment  de  cette 
loi.  Le  droit   d'assembler  le  sénat, 
de  soumettre  à  ses  délibérations  cinq 
objets  dans  ime  seule  séance  ,  d'ap- 
prouver ou  de  rejeter  ses  résolutions, 
de  proposer  pour  les  emplois  civils 
et  militaires  ,  de  prendre  toutes  les 
mesures  d'ordre  ou  d'utilité  publi- 
que ,  de  déclarer  la  guerre,  de  faire 
la  paix ,  de  conclure  les  traités,  etc.  j 
tels  étaient  les  principaux  articles  de 
cette  loi  fameuse.  On  doit  louer  Ves- 
pasien de  n'avoir  pas  dédaigné  de 
paraître  devoir  au  sénat  une  puissan- 
ce qu'il  ne  devait  réellement  qu'à  son 
armée.  Il  répondit  à  ce  décret  par 
une  lettre,  dans   laquelle,  s'expri- 
raant  avec  une  dignité  modeste ,  il 
promettait  un  gouvernement  doux, 
sage  et  conforme  aux  lois.  Ce  langa- 
ge contrastait  avec  le  despotisme  in- 
solent de  Mucien  ,  qui   commençait 
en   tyran  sanguinaire  ce  règne  dont 
Vespasien  allait  faire  bénir  les  bien- 
faits. Pendant  toute  l'année  qui  sui- 
vit son  avènement,  le  nouvel  empe- 
reur ne  quitta  point  l'Orient.  Mucien, 
à   Rome ,  ordonna  quelques  exécu- 
tions sanglantes  ,    que   vraisembla- 
blement Vespasien  présent  n'eût  pomt 
jugées  nécessaires.  Il  fit  périr  le  fils 
de  Vitellius  encore   enfant,  et  Cal- 
purnius  Galerianus,  fils  de  ce  Pison 
qu'on  avait  voulu  élever  au  trône  à 
la   place  de  Néron  (  Foy.    Pison, 
XXIV,  522  ).  Le  seul  crime  de  Ga- 
lerianus était  son  nom  et  les  grâces 
de  sa  jeunesse,  selon  Tacite,  qui 


3i6 


VFS 


étaient  l'entretien  du  peuple.  Un 
auti'e  membre  de  cette  famille ,  L. 
Pison  ,  gouverneur  dMlrique  ,  fut 
encore  la  victime  de  Mucien,  qui 
l'accusait  ,  mais  sans  preuve  ,  de 
vouloir  supplanter  Vespasicn.  Telle 
était  l'estime  qu'on  portail  au  carac- 
tère de  ce  prince ,  que  personne  ne 
lui  attribua  la  moindre  part  à  ces 
mesures  cruelles;  tout  l'odieux  en  re- 
tomba sur  Mucien.  Il  ne  tint  pis  à 
cet  homme ,  qui  s'arrogeait  toute 
l'autorité  souveraine  et  n'en  laissait 
que  le  litre  à  Vespasien  ,  que  le  nou- 
veau règne  ne  fût  celui  des  délateurs 
qui  remplissaient  le  sénat.  Lorsque 
cette  compagnie  voulut  envoyer 
vers  l'empereur  une  députation  char- 
gée de  lui  remettre  tous  les  pou- 
voirs ,  ce  fut  en  vain  qu'Helvidius 
Priscus  ,  gendre  de  Thraséas  ,  pro- 
posa que  les  députés  fussent  dési- 
gnés par  les  magistrats  ,  et  non  par 
le  sort.  «  Il  importe,  disait- il,  à 
»  l'honneur  de  la  république  et  du 
»  prince,  qu'on  ne  lui  envoie  que 
»  des  hommes  irréprochables.  Vcs- 
:>  pasien  a  été  l'ami  de  Thraséas  et 
»  de  Soranus;  s'il  ne  convient  pas  de 
»  punir  leurs  accusateurs ,  il  convient 
»  encore  moins  de  les  mettre  en  évi- 
»  dence  dans  une  occasion  d'éclat.  Il 
»  estutile d'ailleurs  queleprince  soit 
»  averti,  par  les  choix,  du  sénat,  des 
»  sujets  qu'il  doit  estimer,  et  de 
»  ceux  qu'il  doit  craindre.  »  Dès 
ce  moment  le  sénat  devint  le  théâ- 
tre des  discussions  les  plus  animées: 
les  honnêtes  gens  appelaient  sur 
les  délateurs  une  vengeance  bien  lé- 
gitime; et  Musonius  ne  la  réclama 
pas  en  vain  contre  Publius  Ce- 
ler ,  l'infâme  accusateur  de  Soranus, 
son  ami.  Gurtius  Montanus,  ainsi 
qu'Helvidius  Priscus ,  crurent  le  mo- 
ment favorable  pour  réclamer  le 
châtiment    d'Aquilius  Regulus  ,   le 


VES 

plus  n>échant  et  le  plus  impudent, 
(les  hommes,  et  d'Eprius  Marcel- 
lus  ,    le   persécuteur  de  Thraséas  ; 
mais  ces  grands  coupables  restèrent 
impunis.  Domitien  proposa  d'oublier 
les  anciennes  animosités,  et  de  jeter 
un  voile  sur  le  malheur  des  temps. 
]Mucien,dans  un  long  discours,  opi- 
na plus  ouvertement  en  faveur  des 
délateurs;  a  et,  selon  Tacite, les  pè- 
»  l'es  conscrits, après  avvirfait  quel- 
»  ques  pas  vers  la  liberté  ,   voyant 
»  l'obstacle  ,  s'arrêtèrent.  »  La  con- 
duite   de    Mucien   rendait   les    Pvo- 
mains  plus  impatients  de  voir  l'em- 
pereur. Toutes  les  circonstances  sem- 
blaient   se    réunir   pour    qu'il  leur 
devînt  plus  cher.   Il  n'était  venu  à 
Alexandrie  que  pour  affamer  Rome 
et  l'Italie,  dans  le  cas  où  le  parti  de 
Vitellius  y  triompherait.  Loin  d'a- 
voir besoin  de  recourir  à  ce  moyen 
odieux ,  il  apprit ,  à  son  arrivée  , 
qu'Antonius  Primus ,  avec  lequel  il 
n'avait  aucune  liaison  ,  avait  vain- 
cu jjour  lui  à  Crémone ,  et  l'avait  fait 
reconnaître  empereur  dans    Rome. 
Ainsi  il  dut  son  élévation  à  la  guerre 
civile  ,  sans  avoir  eu  le  malheur  de 
la  faire.   Le  prompt  rétablissement 
de  la   paix  dans  l'empire  lui  épar- 
gna l'alternative  fâcheuse  d'un  refus 
mortifiant  ou  d'une  coupable  accep- 
tation ,  lorsque  les  ambassadeurs  de 
Vologèse  ,  roi  des  Parthes ,  vinrent  à 
Alexandrie  lui  offrir  ,  de  la  part  de 
leur  maître  ,  un  secours  de  4o  mille 
hommes  de  cavalerie.  Son  premier 
soin  fut  d'envoyer  à  Rome ,  soumise 
à  ses  lois ,  des  vaisseaux  chargés  des 
blés   d'Egypte.  Ces  subsistances  ne 
pouvaient   arriver  plus  à    propos  ; 
car,  dans  toute  l'Italie  ,  il  n'y  avait 
plus  de  grains  que  pour  dix  jours- 
La  superstition  romaine ,  qui   avait 
entouré  de  prodiges  le  berceau  de  la 
puissance  des  Césars,  ne  manqua  pas 


VES 

de  consacrer  l'élévation  desFIariens. 
Tacile  ,  qui  malgré  sa  gravité  est 
quelquefois  crédule,  raconte ,  d'après 
des  témoins  oculaires  et  qui  nont 
plus ,  dit-il ,  d'intérêt  à  tromper , 
plusieurs  prodiges  qui  annonçaient 
la  laveur  du  ciel,  et  je  ne  sais  quelle 
inclination  des  dieux  pour  Fespa- 
sien.  Selon  lui,  ce  prince  opéra  , 
soit  par  son  toucher ,  soit  avec  sa 
salive  ,  des  guérisons  miraculeuses. 
Ge  fut  de  la  capitale  des  Ptolémées 
qu'il  envoya  l'ordre  de  rétablir  le 
Gapilole  qui  venait  d'être  incendié. 
La  mauvaise  conduite  de  Domitien 
tror.blait  le  bonheur  de  son  père  , 
qui  se  vovait  si  glorieusement  rem- 
placé par  Titus  dans  la  conduite  de 
la  guerre  contre  les  Juifs  (  V.  Titus, 
XLVI ,  170)5  mais  bien  différent, 
Domitien  n'usait  de  l'influence  que 
lui  donnait  le  rang  de  son  père  ,  que 
pour  se  livrer  aux  débauches  les  plus 
scandaleuses  et  aux  caprices  les  plus 
déréglés.  En  un  seul  jour  ,  il  s'avisa 
de  distribuer  plus  de  vingt  emplois 
considérables ,  soit  dans  la  capi- 
tale ,  soit  dans  les  provinces.  Vespa- 
sien  ,  habitué  à  manier  l'ironie  ,  écri- 
vit à  son  fils,  en  le  remerciant  de 
ne  lui  ai'oir  pas  encore  envoyé  un 
successeur.  Au  bout  d'une  année  (  5) , 
ce  jnince,  après  avoir  parcouru  l'io- 
nie  et  la  Grèce,  arriva  par  mer  en 
Italie.  Tous  les  ordres  de  l'Etat  l'at- 
tendaient comme  le  restaurateur  de 
l'empire.  On  était  généralement  fa- 
tigué de  la  domination  de  Mncicn. 
Domitien  s'était  déjà  fait  connaître 
assez  pour  se  faire  craindre.  Toute 
la  route  ,  depuis  Brindes  jusqu'à  Ro- 
me, éîail  bordée  d'une  foule  innom- 
brable.   Vespasien    gagna    tous    les 


(5)  Proclame  le  i".  i„;ilcl  S9.0  de  Rome,  il 
nVlait  pas  encore  arrivé  clans  cette  capitale  le  ai 
juin  8îi  ,  jour  auquel  fut  posée  la  première  pierre 
du  Capitole  restauré. 


VES  317 

cœurs  par  la  facilité  de  son  abord, 
et  ]iar  la  simplicité  de  ses  manières  j 
on  lui  savait  gré  de  montrer,  au  lieu 
du  faste  d'un  empereur,  la  modestie 
d'un  magistrat  qui  se  souvenait  d'a- 
voir eu  des  égaux.  La  tâche  qu'il 
avait  à  remplir  était  immense.  Tou- 
tes les  parties  de  l'administration  se 
trouvaient  dans  un  désordre  allieux: 
les  prodigalités  des  règnes  précédents 
avaient  tellement  ruiné  le  trésor,  qu'à 
son  avènement  Vespasien  lui-même 
déclara  qu'il  ne  fallait  pas  moins  de 
cinq  nuUiards  pour  assurer  l'existence 
de  l'empire.  L'activité,  l'économie  , 
la  fermeté  du  vieil  empereur  réparè- 
rent tant  de  maux.  Depuis  un  siècle 
le  serment  militaire  et  la  fidélité  des 
troupes  semblaient  appartenir  exclu- 
sivement à  la  famille  des  Césars.  La 
chute  rapide  de  Galba ,  d'Othon  et 
de  Vitellius  as^ait  appris  à  regarder 
les  empereurs  d'une  famille  étrangère 
à  celle  des  Gésars,  comme  leurs  créa- 
tures et  comme  les  instruments  de  leur 
licence.  Vespasien,  né  dans  l'obscu- 
rité et  qui  ne  tirait  aucun  lustre  de 
ses  ancêtres ,  eut  besoin  d'autant  d'a- 
dresse que  de  fermeté  pour  réprimer 
ces  dangereuses  dispositions.  Les 
prétoriens  d'ailleurs,  et  les  légions 
qui  jusqu'au  dernier  moment  étaient 
demeurées  fidèles  à  Vitellius ,  conser- 
vaient un  profond  ressentiment  de 
leur  défaite.  Il  cassa  les  plus  mutins 
et  réduisit  les  auti'es  à  l'observation 
de  la  plus  exacte  discipline.  Quant 
aux  légions  auxquelles  il  devait  l'em- 
pire ,  loin  de  les  flatter  par  une  molle 
complaisance,  il  leur  lit  attendre 
long-temps  les  récompenses  d'usage. 
Il  réforma  ,  en  sa  cpialité  de  censeur, 
le  sénat  etl'ordre  équestre,  bannissant 
de  CCS  deux  corps  les  sujets  indignes, 
et  les  remplaçant  par  les  hommes  les 
plus  recommandablcs  ;  mais  peut- 
être  nrodigua-t-il  trop  la   prcraic- 


P 


3i8 


VES 


re  dignité  de  l'empire,  en  portant 
à  quatre  mille  les  familles  sénato- 
riales. Il  créa  plusieurs  nouveaux 
patriciens ,  et  dans  cette  promotion  , 
la  dernière  dont  l'histoire  romaine 
fasse  mention ,  on  cite  le  vertueux 
Agricola  qui  eut  Tacite  pour  gendre, 
Titus  Trajanus,  illustre  général,  père 
de  l'empereur  Trajan,  enfin  Arrins 
Antoninus,  et  Aunius  Verus,  dont  l'un 
fut  aïeul  maternel  de  l'empereur  An- 
tonin,  et  l'autre,  de  Marc-Aurèle. 
Comme  le  cours  de  la  justice  avait  été 
long-temps  interrompu,  les  tribunaux 
se  trouvaient  dans  l'impossibilité  de 
décider  tous  les  procès  dont  ils  étaient 
surchargés.  Une  chambre  de  justice, 
nommée  par  Vespasicn ,  décida  ,  avec 
autant  de  promptitude  que  d'équité , 
des  contestations  que  les  parties  dé- 
sespéraient de  voir  terminer.  Il  res- 
taura les  finances  entièrement  rui- 
nées ,  soit  en  rétablissant  comme 
provinces  des  pays  que  Néron  avait 
déclarés  bbres  ,  entre  autres  la  Grè- 
ce •  soit  en  remettant  sur  pied  les 
douanes  ,  dont  \  espasien  haussa 
les  droits  en  même  temps  qu'il  en 
ajouta  de  nouveaux.  Il  créa  aussi 
des  impôts  de  la  classe  de  ceux  que 
les  modernes  appellent  indirects.  Les 
Romains  murmuraient  ;  ils  taxaient 
Yespasien  d'avarice.  Les  étrangers 
même  ne  l'épargnaient  pas  dans  leurs 
railleries.  Les  Alexandrins  l'avaient 
surnommé  six  oboles  ;  et  ce  trait  fa- 
meux de  l'impôt  sur  les  urines,  dont 
ce  prince  plaça  ,  dit-on,  le  produit 
sous  le  nez  de  Titus  ,  en  lui  deman- 
dant si  cet  argent  sentait  mauvais  , 
nous  paraît  une  satire  allégorique  ; 
car  on  ne  saurait  concevoir  la  per- 
ception d'un  pareil  droit.  Au  reste  , 
sans  ces  impôts  ,  il  eût  été  impossi- 
ble de  rétablir  la  discipline  dans  l'ar- 
mée, et  l'ordre  dans  l'administration. 
Les  dépenses  énormes  que  les  eiupe- 


VES 

reurs  étaient  obligés  de  faire  pour  le 
peuple  et  pour  les  soldats  excédaient 
de  beaucoup  les  ressources  légales. 
Les  citoyens  romains  étaient  allran- 
chis  de  toute  espèce  d'impôts  :  les 
tributs  ne  portaient  que  sur  les  peu- 
ples conquis  ;  et  quand  un  empereur 
n'était  pas  à-la-fois  économe  et  ingé- 
nieux à  se  procurer  de  l'argent,  il 
fallait  qu'à  l'exeinpie  des  Caligula  , 
des  Claude,  des  jNéron,  il  se  créât 
desressourcespar  des  condamnations 
sanglantes  toujours  accompagnées  de 
la  confiscation  des  biens  (6;.  Ce  fut 
donc  la  plus  impérieuse  nécessité  qui 
porta  Yespasien  à  se  procurer  de 
l'argent  par  des  moyens  qu'ona peine 
à  concevoir  de  la  part  d'un  prince 
d'ailleurs  irréprochable.  Sa  justice 
était  vénale  ;  mais  tous  les  historiens 
conviennent  que  jamais  il  ne  reçut 
d'argent  pour  condamner  un  inno- 
cent, bien  qu'il  en  reçût  quelquefois 
pour  absoudre  un  coupable.  C'était 
l'affranchie  Céuis ,  concubine  de  l'em- 
pereur, qui  faisait,  en  sou  nom,  le 
trafic  de  toutes  les  faveurs  du  pou- 
voir. Souvent  il  ne  rougissait  pas  de 
s'en  mêler  lui-même.  Un  de  ses  offi- 
ciers lui  demandait  une  inteudance 
pour  un  prétendu  frère.  L'empereur, 
suspectant  cette  parenté  ,  et  se  dou- 
tant bien  que  la  recommandation  n'é- 
tait pas  désintéressée,  mande  le  can- 
didat, se  fait  compter  la  somme  que 
celui-ci  avait  promise  à  son  protec- 
teur ,  et  lui  donne  l'emploi  désiré. 
L'officier  ,  ignorant  tout  ce  qui  s'é- 
tait passé,  revient  à  la  charge  auprès 
du  prince  :  «  Je  te  conseille  de  cher- 
»  cher  un  autre  frère  ,  lui  dit  Ves- 
»  pasien,  car  celui  que  tu  croyais 
»  le  tien  est  devenu  le  mien.  »  Com- 
me il  voyageait  en  litière  ,  le  conduc- 

(6)  Ce  fait  est  élabli  d'une  manière  peremploi- 
re  daps  le  Discours  préliminaire  en  tète  de  ]a  tra- 
duction de  Tacite  ,  par  Dureau  de  Lamalle. 


VES 

teur  s'arrêta  sous  prétexte  qu'une  de 
ses  mules  était  déferrée  :  un  plaideur 
saisit  ce  moment  pour  présenter  une 
requête  à  l'empereur  :  celui-ci  se  dou- 
ta du  tour:  «Combien  as-tu  gagné  à 
•0  ferrer  ta  mule?»  dit-il  au  muletier. 
Et  il  le  força  de  partager.  Ce  mot 
est  devenu  proverBe.  Suétone  pré- 
tend que  Vespasien  employait  à  des- 
sein dans  les  finances  des  Lommes 
avides  ,  afin  d'avoir  lieu  ,  plus 
tard ,  de  confisquer  le  produit  de 
leurs  exactions.  «  Ce  sont ,  disait-il , 
»  des  éponges  qu'il  faut  laisser  rem- 
»  plir ,  pour  les  presser  ensuite.  »  Il 
faisait  en  quelque  sorte  parade  de 
son  amour  de  l'argent.  Les  députés 
d'une  ville  étant  venus  lui  annoncer 
que  leurs  concitoyens  avaient  voté 
une  somme  considérable  pour  l'érec- 
tion de  sa  statue  :  «  Placez-la  ici ,  dit 
V  Vespasien  en  tendant  la  main  , 
»  voici  la  base  toute  prête.  »  Cette 
parole  fut  heureusement  parodiée 
aux  funérailles  de  Vespasien.  Un 
boulï'ou  qui,  selon  la  coutume^  fai- 
sait le  personnage  du  défunt ,  de- 
manda :  «  Combien  les  frais  du 
))  convoi  ?  —  Dix  mille  sesterces , 
»  lui  répondit-on.  —  Donnez- moi 
»  vite  cette  somme,  s'écria  le  bouf- 
»  fon,  et  jetez  mon  corps  dans  le 
»  Tibre.  »  Le  bon  emploi  que  Ves- 
pasien faisait  de  l'argent  de  son  tré- 
sor peut,  jusqu'à  un  certaui  point , 
lui  faire  pardonner  les  moyens  hon- 
teux dont  il  usait  pour  le  remplir  ('y). 
La  libéralité  d'un  grand  prince  se 
montrait  dans  les  monuments  qu'il 
fît  élever  ;  dans  les  routes  qu'il  fit 
construire  ;  dans  les  secours  qu'il 
accordait ,  soit  aux  villes  frappées 
de  quelque  fléau  ,  soit  aux  famil- 
les ruinées  par  quelque  désastre  ; 
dans  les  soins  qu'il  donnait  à  l'ins- 

(7)  Mulè  partis  pplimè  «sus  est  (  Suétone  ). 


\ES  3ig 

truction  de  la  jeunesse,  en  instituant 
des  professeurs  richement  rétribués 
par  l'Etat  ;  enfin  dans  les  encou- 
ragements qu'il  accordait  aux  poètes 
et  aux  artistes.  Parmi  les  monuments 
dont  il  embellit  Rome,  on  peut  citer 
un  temple  érigé  à  la  Paix  ,  un  autre  en 
l'honneur  de  Claude ,  à  qui  il  devait 
sa  fortune ,  enfin  ce  vaste  et  magni- 
fique amphithéâtre  qui  subsiste  en- 
core sous  le  nom  de  Colisée.  On  a  déj  à 
parlé  de  la  restauration  du  Capitole. 
Pour  que  nul  citoyen  ne  se  crût  exempt 
de  travailler  à  ce  monument ,  l'empe- 
reur lui-même  ne  dédaigna  pas  d'em- 
porter sur  son  dos  les  décombres 
qui  en  obstruaient  la  place.  Ennemi 
de  la  fausse  gloire  ,  il  fit  graver  sur 
les  édifices  publics  qu'il  reconstrui- 
sait, non  pas  son  nom  ,  mais  celui 
de  leurs  premiers  auteurs.  Pour  de 
telles  dépenses,  il  ne  connaissait  pas 
l'économie  :  il  y  voyait  le  double 
avantage  d'orner  la  capitale  de  l'em- 
pire, et  d'occuper  les  citoyens  pau- 
vres. Un  ingénieur  avait  inventé  une 
machine  pour  transporter  ,  à  peu  de 
frais,  au  Capitole,  des  colonnes  d'une 
grandeur  énorme.  Vespasien  loua  l'in- 
vention ,  récompensa  généreusement 
sou  auteur;  mais  il  ne  voulut  pas  en 
profiter  :  «  Il  faut,  lui  dit-il,  que  le 
»  menu  peuple  puisse  gagner  sa 
»  vie.  »  Rien  n'était  plus  modique 
que  les  dépenses  personnelles  de 
ce  prince.  Il  vivait  sur  le  trône  des 
Césars  avec  toute  la  simplicité  d'un 
soldat  :  «  En  quoi  il  fit  voir  claire- 
ment ,  observe  Dion  Cassius  ,  que 
quand  il  avait  établi  des  impositions 
sur  le  peuple,  il  n'avait  point  eu 
d'autre  intention  que  de  pourvoir 
aux  nécessités  publiques  ,  sans  cher- 
cher à  entretenir  ses  plaisirs.  »  Cet 
esprit  d'économie  fut  le  caractère 
distinctif  des  meilleurs  empereurs 
de  Rome  ,  entre  autres ,  d'Auguste  , 


320 


VES 


de   Trajan ,  d'Antonin  ,   de   Marc- 
Aurèle  et  de  Pertinax.  Avare  de  son 
temps  ,  prodigue  de  sa  peine  ,  Ves- 
pasieii  clait  persuade  que  la  vie  d'un 
empereur  doit  ê(re  une  vie  toute  de 
travail;  et  dès  la  pointe  du  jour, 
jusque  bien    avant  dans  la  nuit,  il 
n^ëfait    occupe    que   d'affaires    pu- 
bliques. Il  ne  se  borna   pas  à  fai- 
re des  lois  contre  le  luxe  de  la  ta- 
ble et  des  habillements  ;    il  donna 
l'exemple  :  ses  repas ,  ses  vêtements 
avaient  toute  la  simplicité'  antique. 
Ledcsir  déplaire  et  de  ressembler  au 
prince  ,  dit  Tacite  (8),  lit  plus  que 
les  lois,  les  châtiments  et  la  crainte; 
et  la  reforme  que  Vespasien  opéra 
subsista  encore  sous  Trajan.  Il  prit 
aussi  quelques  mesures  pour  arrêter 
l«s  excès  de  cette  honteuse  déprava- 
tion qui ,  depuis  le  règne  de  Tibère , 
avait    ête    autorisée  par   l'exemple 
du   prince.   Cependant  ,  tel  e'tait  le 
relâchement  de  la  morale  chez  les 
Romains  d'alors  ,  que  Vespasien  put 
passer  pour  un  prince  de  mœurs  sé- 
vères ,  bien  que   chaque  jour  ,  au 
retour    de    la    promenade  ,   il   eût 
coutume  de  passer  quelques  instants 
soit  avec  Cénis ,  sa  concubine ,  soit 
avec  quelque  autre  affranchie  (9)  j 
mais  ces  plaisirs  ,  peu  délicats  ,  ne 
prenaient  jamais  sur  le  temps  qu'il 
consacrait  aux  affaires.  Ennemi  de 
tout  ce  qui  indiquait  la  mollesse  ,  il 
re'voqna  un  jeune  officier  qui  s'était 
présenté  à  lui  couvert  de  parfums  : 
J'aimerais  mieux  ,  dit-il  avec  indi- 
gnation, que  vous  sentissiez  l'ail. 
Loin  de  cherchera  dissimuler  la  mé- 
diocrité de  son  origine ,  il  semblait 
la  mettre  en  évidence  par  son  atta- 
chement pour  certains   meubles  de 
famille  ,  qu'il  conservait  précieuse- 

(8)  Annales  ,  liv.  III ,  cli.  55. 

(q)  Acciibanle  aliijunpallacanim  ijuus  in  defunc- 
tœlocum  Cii;nidi< pliirimaf  cnnftitiieral   (Suetoiie). 


VES 

ment ,  et  qui  attestaient  la  pauvreté 
de  ses   ancêtres.   Il  trouva    cepen- 
dant des  flatteurs  pour  lui  fabriquer 
une  généalogie  qui  remontait  jusqu'à 
Hercule.  Vespasien  se  moqua  d'eux , 
et  ce  fut  la  seule  récompense  qu'ils 
reçurent  de  leur  adulation.  11  aimait 
si  peu  la  pompe  des  cérémonies,  que 
le  jour  qu'il  triompha  des  Juifs  avec 
Titus  ,  son  lils ,  excédé  de  la  lon- 
gueur de  cette  solennité  ,  il  s'écria 
avec  une  franchise  pleine   de  bon- 
homie :  «  Il  me  sied  bien,  à  l'âge 
»  où  je  suis,  d'avoir  voulu  me  déco- 
»  rer  du  triomphe  ,   comme  si  cet 
»  honneur  n'était  pas  au-dessus  de 
»  mes  ancêtres  et  de  moi  I  »  Il  mé- 
prisait tellement  la  a  anité  des  titres, 
qu'ayant  reçu   de  Vologèse  une  let- 
tre avec  cette  suscription  fastueuse  : 
Arsace ,   roi  des  rois,   à  Flavius 
Vespasien  ,  il  suivit  dans  sa  réponse 
la  même  étiquette ,  et  écrivit  :  Fla- 
vius J^espasien ,  à  Arsace ,  roi  des 
rois.  Abordable  pour  tous  ses  sujets, 
il  abolit  l'indigne  coutume  de  fouiller 
ceux  qui  approchaient  l'empereur  : 
aucun  garde  n'interdisait  l'entrée  de 
son  palais.  Il  vivait   familièrement 
avec    les   sénateurs  ,    les  invitait  à 
sa  table  ,     et    mangeait    chez    eux 
sans  cérémonie.  Il  témoigna  toujours 
la  plus  grande  déférence  pour  le  sé- 
nat ,  et   il  se  plut  à  conserver  au 
gouvernement  impérial  les  formes  ré- 
publicaines. Jamais  ces  prédictions  ^ 
ces  présages  sinistres  qui,  sous  les 
derniers  empereurs ,  avaient  causé  la 
mort  de  tant  d'innocents ,  n'eurent 
d'influence  sur  l'esprit  de  Vespasien. 
Ou  l'exhortait  à  se  méfier  de  Métius 
Pomponianus ,  né  ,  disait-on,  sous  des 
astres  qui  lui  promettaient  l'empire. 
Vespasien,  au  lieu  d'ordonner  la  mort 
de  cet  homme ,  comme  auraient  fait 
Claude  ,  Néron  ou  Vitellius ,  le  créa 
consul,  et  dit  à  ceux  qui  cherchaient 


VES 

à  refiraycr  :  «.  S'il  devient  empereur, 
»  il  se  souviendra  que  je  lui  ai  f.iit 
»  du  bien.  »  Aucun  prince  ne  fut 
moins  vindicatif  ,  ni  moins  sangui- 
naire. Les  supplices  lesplus  justement 
infliges   l'allectaient  jusqu'aux  lar- 
mes. Les  combats  des  gladiateurs , 
spectacle  si  cher  à  tous  les  Romains, 
n'avaient  aucun  cLarme  pour  lui.  Il 
dota  magnifiquement  la  fille  de  Vitcl- 
lius.  L'affranchi   Phëbus   qui  ,  sous 
Ne'ron  ,  avait  offensé  Vespasien  dis- 
gracie, en  fut  quitte  pour  une  rail- 
lerie, quand  il  se  présenta,  pour  la 
première    fois  ,    devant   Vespasien 
empereur.   Ce  prince   ne    s'olfensa 
jamais  de  la  plaisanterie  ;  affichait- 
on  contre  lui  quelque  placard  satiri- 
que ,  comme  c'était  dès-lors  l'usage 
à  Rome,  il  y  répondait  par  une  autre 
satire,  se  défendant  avec  les  mûiics 
armes  dont  il  était  attaqué.  Toutefois 
certains  philosophes  le  contraignirent 
à  des  rigueurs  bien  éloignées  de  son 
caractère  :  c'étaient  des  stoïciens  qui, 
confondant  l'esprit  de  révolte  avec 
l'amour  de  la  liberté ,  manifestaient 
une  aversion  décidée  pour  la  monar- 
chie, et  appelaient  de  tous  leurs  vœux 
le  retour  de  la  république.  Fort  cir- 
conspects sous  les  tyrans  qui  avaient 
précédé  Vespasien  ,  Ils  abusaient  de 
la  douceur  de  ce  prince,  pour  atta- 
quer sans  cesse  par  leurs  discours  sé- 
ditieux les  fondements  d'une  autorité 
qu'ils  auraient  dû  respecter  et  chérir. 
Vespasien  patienta  long-temps  ;  mais 
entraîné  par  les  conseils  de  IMucien , 
plutôt  que  par  son  propre  ressenti- 
ment, il  bannit  de  Rome  tous  les 
stoïciens  ,  à  l'exception  de  Musonius 
qui  se  distinguait  des  autres  par  une 
conduite  décente  et  réservée.  Les  deux 
plus   fougueux,  Hostilius  et  Deme- 
trius,  furent  relégués  dans  les  Iles.  Le 
premier  déclamait  contre  la  monar- 
chie, lorsqu'on  vint  lui  annoncer  sa 


VES  âai 

condamnation:  il  n'en  poursuivit  pas 
moins  le   cours  de  sa   diatribe.   Le 
second  refusa  d'obéir  j  il  aifecta  mê- 
me de  se  montrer  à  Vespasien  ,  sans 
le  saluer  :  «  Tu  fais  ton  possible  pour 
»  que  je  t'ôte  la  vie,  dit  le  sage  prin- 
»  ce;  mais  je  ne  tue  point  un  chien 
»  qui  aboie.  »  Il  fut  pourtant  forcé 
d'en  venir  à  des  rigueurs  extrêmes 
contre  deux  autres  membres  de  cette 
secte,  qui  étaient  rentrés  furtivement 
dans  Rome.  Dlogène ,  l'un  d'eux,  osa 
invectiver  Titus  en  plein  théâtre,  sur 
sa  liaison  avec  Bérénice  :  il  fut  arrêté 
et  fustigé.  Éras  ,   son  compagnon  , 
croyant  eu  être  quitte  pour  quelques 
coups   de  verges,   imita,  surpassa 
même  l'insolence  de  Diogène.  Il  fut 
jugé  plus   criminel   que   celui  dont 
l'exemple  ne  l'avait  pas  corrigé  ,  et 
eut  la  tête  tranchée.  L'exil  et  la  mort 
du  sénateur  Helvidius  Priscus  ,  gen- 
dre de  Thraséas,  est  un  des  souve- 
nirs les  plus  fâcheux  du  règne   de 
Vespasien  :  on  connaît  peu  les  détails 
de  cette  affaire ,  l'Histoire  de  Tacite 
nous  manquant  dès    les  premières 
années  du  règne  de   ce  prince  ;  on 
sait  seulement  qu'Helvidius  Priscus  , 
loin  d'imiter  la  conduite  noblement 
réservée  de  son  beau-père ,  sembla 
par  des  bravades    hors   de  saison 
prendre  à  tâche  d'insulter  Vespasien. 
Il   lui  refusait  le   titre  de  César  : 
étant   préteur  ,   il    ne   fit  dans   ses 
actes  aucune  mention  de  l'empereur: 
il  lui  résista  souvent  en  face  dans  le 
sénat  avec  un  emportement  qui  pas- 
sait toute  mesure.  Vespasien  se  lassa 
de   tant  d'insolence  :   il   finit   par 
se  persuader  que  tous  ces  éclats  ca- 
chaient des  desseins  coupables  con- 
tre l'autorité  impériale.  Mucien ,  tou- 
jours porté  aux  rigueurs  despotiques, 
ne  manqua  pas   d'aigrir  ces   soup- 
çons: à  la  première  scène  que  renou- 
vela l'audacietix    sénateur  ,  les  tri- 

21 


3^î 


VES 


buns  du  peuple  se  saisirent  de  sa 
personne  ;  il  fut  fait  contre  lui  une 
procédure  dont  on  ignore  les  détails, 
mais  qui  se  termina  par  la  déporta- 
tion de  l'accusé.  Vespasien  envoya 
ensuite  l'ordre  de  le  tuer.  Il  s'était  fait 
violence  pour  en  venir  à  cette  extré- 
mité;  et  bientôt  il  révoqua  son  ordre; 
mais  on  lui  fit  croire  qu'il  était  trop 
tard ,  et  Helvidius  fut  exécuté.  Un 
acte  du  règne  de  cet  empereur  qui 
n'admet  aucune  apologie  ,  c'est  la 
rigueur  cruelle  dont  il  usa  envers 
Epponine  et  Sabinus  (  F.  Epponinjl, 
XIII,  217).  Il  versa,  dit-on,  des 
larmes  en  prononçant  la  mort  de 
celte  héroïne  de  l'amour  conjugal^ 
et  celle  de  son  époux  :  il  n'en  est 
alors  que  plus  blâmable  de  n'avoir 
pas,  dans  cette  circonstance,  con- 
sti!té  son  cœur,  plutôt  qu'une  politi- 
que malentenduc.  Ici,  l'on  ne  peut 
pas  dire  que  Vespasien  ait  cédé  aux 
suggestions  de  Mucicn  :  ce  général 
était  mort  peu  de  temps  auparavant. 
La  longanimité  du  prince  avait  été 
plus  d'une  fois  mise  à  l'épreuve  par 
ce  sujet  puissant ,  qui,  prétendant  lui 
avoir  donné  l'empire,  agissait  d'égal 
à  égal  avec  Vespasien,  qui  voulait 
bien  le  souffrir.  La  reconnaissance 
était  chez  lui  plus  forte  que  le  senti- 
ment même  légitime  de  sa  dignité.  Il 
n'adressa  jamais  à  Mucien  qu'en  se- 
cret des  reproches  trop  mérités  :  aux 
yeux  du  public,  ;il  ne  cessa  de  le 
conabler  de  marques  d'estime  et  d'af- 
fection. Trois  fois  il  le  décora  de  la 
pourpre  coBsulaire.Ces  relations  avec 
Muciou  sont  peut-être  ce  qu'il  y  a  de 
plus  honorable  dans  la  vie  de  Ves- 
pasien :  car  trop  d'exemples  prou- 
vent que  des  princes  d'ailleurs  esti- 
mables n'ont  jamais  pu  souffrir, dans 
im  sujet  à  qui  ils  devaient  le  tronc, 
des  prétentions  a  une  reconnaissance 
égale  au  bienfait.  Il  reste  à  indiquer 


VES 

les  événements  généraux  du  règne  di" 
Vespasien,  et  qui  par  conséquent  ap- 
partiennent à  l'histoire.  Ou  y  compte 
trois  guerres  :  1°.  celle  des  Juifs, 
commencée  sous  Néron  ,  et  terminée 
par  Titus ,  l'an  82a  de  Rome  ,  7 1 
de  J.-C;  20.  celle  des  Bataves  et 
des  Gaulois,  ayant  pour  chef  Civilis 
(/^.  GiviLis  {Claudius) ,Ylll,  5S']  ), 
et  qui  ,  grâce  à  l'habileté  de  Cé- 
réalis  (  Fo^.  Géréalis  (  Petilius  )  ^ 
VII ,  534  ) ,  général  de  Vespasien  , 
se  termina  par  la  soumission  de  ces 
peuples  (  an  de  Rome  821  ,  de  J.-G. 
70  ).  Enfin  l'expédition  d'Agricola 
(  V.  Agricola  (  Cnœus  Julius  ),  I  , 
3o8  )  ,  dans  la  Grande-Bretagne  j 
commencée  la  dernière  année  du  rè- 
gne de  Vespasien,  et  qui  fut  acheA'ée 
l'an  85  de  J.-G. ,  sous  Domitien. 
Sans  parler  de  la  soumission  de  la 
Judée ,  Vespasien  réduisit  en  provin- 
ces romaines  la  Gomagène,  partie 
septentrionale  de  la  Syrie  ,  la  Ly- 
cie ,  la  Pamphylie  et  la  Cilicie  ,  qui 
formaient  le  royaume  d'Antiochus 
(  an  -js  de  J.-G.).  A  l'occasion  de 
quelques  troubles  qui  s'élevèrent  dans 
la  Grèce,  que  Néron  avait  rendue  à  la 
liberté,  Vespasien  réunit  pour  jamais 
ce  pays  à  l'empire,  et  déclara  que  les 
Grecs  avaient  désappris'  à  être  li- 
bres. Il  traita  de  même  Rhodes  , 
Samos  et  les  îles  de  la  mer  Egée  (  an 
de  J.-G.  73  ).  Ce  prince  avait  dé- 
passé sa  soixante-neuvième  année  , 
et  sa  verte  vieillesse  semblait  lui  pro- 
mettre encore  d'assez  longs  jours  , 
lorsqu'il  fut  attaqué  de  la  maladie 
qui  le  conduisit  au  tombeau  ,  non 
par  de  vives  souffrances  ,  mais  par 
un  airaibiissement  progressif.  Con- 
servant jusqu'au  bout  sa  sérénité  d'a- 
me  ,  il  tournait  en  plaisanterie  et  les 
présages  ,  dont  par  un  zèle  malen- 
tendu ses  serviteurs  cherchaient  à 
l'effrayer ,  et  l'apothéose  qui  allait       J 


VES 

Jui  être  décernée.  «  Je  m'aperçois 
»  que  je  commence  à  devenir  dieu  ,  » 
disait-il  gaîment,  à  mesure  que  sa 
situation  devenait  désespérée.  IMalgré 
son  extrême  langueur ,  il  n'interrom- 
pit pas  un  instant  ses  occupations  ac- 
coutumées :  il  vaquait  aux  afl'aires ,  il 
donnait  audience  dans  son  lit; enfin, 
se  sentant  défaillir ,  il  fit  un  dernier 
effort  pour  se  lever  _,  disant  qu'il 
faut  qu'un  empereur  vieure  debout  ; 
puis ,  s'étant  fait  habiller  ,  il  ex- 
pira entre  les  bras  de  ses  officiers  , 
le  ^4  juiii  de  l'an  de  Rome  83o  (  -yg 
de  J.-C.  ) ,  après  un  règne  de  dix 
ans.  Il  fut  j  depuis  Auguste ,  le  pre- 
mier empereur  qui  ait  réconcilié 
avec  la  monaixliie  le  peuple  ro- 
main ,  fatigué  de  cinquante-six  ans 
de  tyrannie.  Seul  entre  les  douze  Cé- 
sars, il  finit  de  sa  mort  naturelle 
(  car  celle  d'Auguste  même  n'est  pas 
sans  soupçon  de  poison  )•  seul  enfin 
il  eut  son  fils  pour  successeur.  Ou 
possède  plusieurs  médailles  et  des 
bustes  de  ce  prince  :  il  avait  dans 
les  traits  une  contraction  permanen- 
te qui  lui  donnait  l'air  d'un  homme 
qui  fait  de  violents  dVorts.  Suétone 
rapporte  à  ce  sujet  une  anecdote  qui 
prouve  à  quel  point  Vespasien  tolé- 
rait la  plaisanterie  ;  mais  on  ne  sau- 
rait reproduire  convenablement  un 
pareil  trait  dans  notre  langue  (lo). 
Outre  Suétone  ,  Dion  Cassius,  Auré- 
lius  Victor  et  Paul  Or  ose ,  ont  écrit 
avec  plus  ou  moins  de  sécheresse  le 
règne  de  Vespasien.  Ou  peut  lire  sur 
ce  priuce  une  savante  dissertation  de 
A.-G.  Cramer ,  intitulée  :  D.  Fespa- 
sianus ,  sive  de  vitd  et  legisiatiùne 
T.  Flavii  Fespasiani  imp.  com- 
inentarius.  D — r — r. 


(»o)  Slatuli  fiiil  quntlrali..  .  .  vullu  veluti  ci- 
tentis.  Undè  quid^mi  urbaiiorum  non  infacctè  ,  si- 
qnldernpetenti  nt  et  iii  se  aliquid  diccrel;  fiicam, 
iiiquil,    f/iiitni   lenliem  çxuneraie  drsieiis    (  Suct. 


VES  3a3 

VESPUCCI  ou  VESPUCE.  F. 
Améric. 

VESÏRIGIUS  SPURINNA,  gé- 
néral et  poète  lyrique  du  premier 
siècle  de  l'empire.  Pendant  la  guerre 
civile  d'Othon  et  de  VitelJius  ,  il  fut 
chargé  de  défendre  Placentia  (Plai- 
sance) contre  Cécina^  lieutenant  du 
premier  de  ces  princes  ;  et  il  déploya, 
dans  cette  occasion,  un  courage  et 
une  adresse  rares.  Cécina ,  repoussé  , 
leva  le  siège,  et  rejoignit  la  seconde 
aile  de  l'armée ,  commandée  par  Va- 
lens.  Sous  Trajan  ,  Vestricius  se 
distingua  dans  la  Germanie ,  et  réta- 
blit dans  ses  états  un  roi  des  Bruc- 
tères  ,  chassé  par  ses  sujets  ,  et 
qui  était  venu  demander  du  se- 
cours aux  Romains.  Ce  succès  lui 
valut  les  insignes  du  triomphe  et  une 
statue.  Pendant  ses  instants  de  loisir, 
il  se  livrait  à  la  littérature^  et  com- 
posait des  vers  en  grec  et  en  latin. 
Pline  le  Jeune  (  iiv.  m ,  Lettr.  i  ) 
vante  la  douceur  et  la  gaîté  de  ses 
poésies  lyriques.  On  pense  que  c'est 
a  lui  que  Quintilien  fait  allusion  dans 
ces  mots  qui  suivent  l'éloge  de  Cas- 
sius Bassus  :  «  Les  génies  contempo- 
rains le  surpassent  de  beaucoup.  » 
On  attribue  vulgairement  à  Spurinna 
quatre  Odes,  que  Gaspard  Barth  pré- 
tendit avoir  trouvées  à  Rlarbourg , 
dans  un  vieux  manuscrit ,  et  qu'il 
publia  ,  en  i6i3  ,  dans  sa  Collection 
des  Poetce  latini  venaiici  et  hucoli- 
ci.  On  a  soupçonné  ce  savant  d'en 
être  l'auteur,  et  d'avoir  voulu  ainsi 
mystifier  le  public  :  mais  il  semble 
certain  que  Barth  n'est  coupable  que 
de  s'être  trompé,  et  que  la  découver- 
te dont  il  se  glorifie  est  bien  réelle. 
Resterait  à  fixer  l'âge  de  ces  quatre 
morceaux.  Nous  pensons  ,  que  sans 
être  du  siècle  de  Vespasien ,  ils  re- 
montent à  une  assez  haute  antiquité. 
C'est  du  moins  ce  qu'indiquent  les 


334 


VES 


Lellciiisincs  qui  s'y  rencontrent  assez 
fréquemment ,  et  que  les  poètes  bar- 
bares du  moyen  âge  n'ont  jamais 
connus.  P — ot. 

VESTRIS  (Gaetano  -  Apoline- 
Balthazar),  célèbre  danseur,  na- 
quit à  Florence  le  i8  avril  1729. 
Son  vrai  nom  de  famille  était  Vestri. 
Étant  foi't  jeune ,  il  reçut  à  Paris  des 
leçons  du  fameux.  Duprc,  et  ne  tar- 
da pas  à  faire  briller  les  plus  heu- 
reuses dispositions.  Son  début  à  l'O- 
péra, en  1748,  lui  valut  de  nom- 
breux applaudissements.  Il  fut  reçu 
en  i''49'  ^^  devint,  en  1753,  mem- 
bre de  l'académiede danse,  qui  avait 
clé  fondée  par  Louis  XIV  (  i  ).  De 
fréquentes  excursions  à  Stuttgard,  où 
le  grand -duc  de  Wirtemberg  avait 
nn  beau  tbcàtre,  procurèrent  au  jeu- 
ne Vestris  les  moyens  de  s'exercer 
avec  une  liberté  qu'il  ne  trouvait  pas 
toujours  à  l'Opéra  de  Paris.  Ses  pro- 
grès furent  tels,  qu'à  la  rctraitedcDu- 
pré,  il  fut  jugé  digne  de  rcjuplaccr  ce 
fameux  danseur,  et  qu'on  le  surnom- 
ma à  son  tour  le  Dieu  de  la  danse , 
litre  que,  dans  l'ingénuité  de  sou 
amour- propre,  il  se  donna  bientôt 
lui-même,  en  prononçant  toutefois 
ces  mots  avec  un  accent  italien,  dont 
on  s'est  plus  d'une  fois  moqué.  L'au- 
teur du  poème  de  la  Déclamation 
crut  devoir  jiayer  son  tribut  d'éloges 
au  Dion  dé  la  danse  ;  mais  ce  ne  fut 
pas  sans  l'cstriction  : 

Vcstriç,  par  le  fini ,  le  brillant  de  sps  pas  , 
Nous  rappelle  son  maître  et  ne  l'cclipse  pi». 

Noverre  cependant  accorde  à  Vestris 
quelque  avantage  sur  le  grand  Dupré. 
«  Il  égala,  dit-il,  son  maître  en  per- 
fection ,  et  le  surpassa  en  variété  et 
eu  goût.  »  Tout  en  admirant  jusqu'à 
l'enthousiasme  les  talents  de  Vestris, 
qu'on  appelait  aussi  le  beau  Fcstris, 

(i)  Ella  u'esùte  pku. 


VES 

parce  que  la  nature  l'avait  doue'  d'u- 
ne riche  taille  et  d'une  figure  noble , 
les  habitués  de  l'Opéra  ne  se  faisaient 
aucun  scrupule  de  le  railler  sur  la 
haute  opinion  qu'il  avait  de  son  mé- 
rite. On  prétendait  qu'il  se  mettait 
sans  difficulté  au  nombre  des  trois 
grands  hommes  du  siècle;  et  même 
que  dans  cet  illustre  triumvirat  il 
s'adjugeait  la  première  place  (  moi, 
Voltaire  et  le  grand  Frédéric).  On 
ajouta  qu'ayant  un  jour  été  applaudi 
avec  transport,  il  donna  majestueu- 
sement sa  jambe  à  baiser  à  un  jeune 
élève  qui  lui  exprimait  une  sorte  d'a- 
doration. Laharpe  enfin  rapporte 
l'anecdote  suivante,  au  sujet  d'une 
représentation  au  profit  de  la  Capi- 
tation.  a  II  s'y  passa  une  scène  assez 
»  amusante.  Le  duc  de  Bourbon  ar- 
»  riva  au  moment  où  Vestris  dansait, 
»  On  reçut  le  prince  ,  qui  est  très-ai- 
»  mé,  avec  des  battements  de  mains 
»  multipliés.  Vestris  prit  pour  lui 
»  tous  les  applaudissements,  et  rc- 
»  doubla  ses  ell'orts  d'une  manière  si 
»  marquée^  que  le  public  s'en  aper- 
»  çuteten  rit  beaucoup.  Vestris  mê- 
»  me  était  si  animé,  qu'il  dansait  en- 
»  core  après  que  les  violons  eurent 
»  cessé.  »  Ce  grand  homme  du  siè- 
cle avait  le  titre  et  les  émoluments 
de  maître  de  ballets;  mais  ses  com- 
positions chorégrajdiiques  n'eurent 
jamais  beaucoup  d'importance.  Re- 
tiré, en  1781,  avec  quatre  mille  cinq 
cents  francs  de  pension ,  il  mourut  à 
Paris,  le  27  septembre  1808,  lais- 
sant pour  héritier  de  son  nom  et  de 
sa  gloire  un  fils  (2) ,  qui,  après  avoir 
été  à  son  tour  le  plus  habile  danseur 
de  l'Europe,  est  aujourd'hui  pen- 
sionnaire de  l'académie  royale  de 
musique.  Vestris  le  père  avait  épou- 

[■/.  Au^uslt  Vestris,  pins  connu  d'aliord  sous  le 
nom  (le  VcsIr'Allard ,  parce  qu'il  avait  pour  mère 
Ml'<-\  Allard,  daii.seuse  du  plus  graud  lucriie. 


VES 

se  la  ileinoiscilc  Heïnel  (  Aune  -  Fré- 
dcriqne),  dont  les  talents  faisaient 
les  délices  de  la  capitale.  Novcrrc 
parle  de  cette  dame  en  termes  flat- 
teurs. «  Elle  ctoiina  ,  dit-  il ,  la  ville 
»  et  la  cour.  Le  si'clte  de  ses  con- 
»  tours ,  les  charmes  de  sa  figure ,  la 
M  perfection  et  la  noblesse  de  sa  dan- 
»  se,  lui  mëritci-ent  de  justes  applau- 
»  disscments.  »  C'était  surtout  dans 
le  geme  grave  qu'elle  éclipsait  la  plu- 
part de  ses  rivales.  Son  talent  avait 
en  cela  beaucoup  de  rap])ort  avec  ce- 
lui du  célèbre  danseur  dont  elle  e'tait 
la  femme  et  l'élève.  M™'=.  Hcïnel-Ves- 
tris  était  ne'e  à  Barcutli  le  28  dé- 
cembre 17  5?.  Elle  avait  débuté  à 
l'Opéra  le  20  février  1768.  Elle  mou- 
rut en  1808,  quelques  mois  avant 
son  mari.  F.  P — T. 

VESTRIS  (Marie -Rose  Gour- 
GAUD  -DuGAxoN  ) ,  actricc  de  la  Co- 
médie Française,  née  en  174^,  était 
fdled'un  comédien  ,  qui ,  ayant  débu- 
té avec  quelque  succès  à  Paris  ,  dans 
les  valets,  n'eut  point  assez  de  cré- 
dit pour  obtenir  un  ordre  de  ré- 
ception. Elle  avait  pour  frère  l'ac- 
teur comique  Piigazou  (  F.  son  arti- 
cle), et  pour  sœur,  une  actrice  du 
même  nom,  qui  joua  quelque  temps 
au  Théâtre  Français  les  rôîcs  de  sou- 
brcltes.Labeautéetî'espritdelajcîîne 
Dugazon  la  firentrechercheren  maria- 
ge par  un  acteur  médiocre  de  la  Comé- 
die Italienne  (  Paco  Vestris  ) ,  qui 
était  frère  de  Vestris  ,  l'im  des  plus 
fameux  danseurs  de  l'Opéra  (  Foj. 
l'article  précédent  )  ;  et  elle  était 
déjà  mariée  lorsqu'elle  obtint  l'or- 
dre de  débuter  à  la  Comédie  Fran- 
çaise. Ce  fut  le  19  décembre  1768 
qu'elle  y  parut  pour  la  première  fois. 
Elle  joua  successivement  les  rôles 
d'Aménaïde  ,  d'Ariane ,  d'Idamé  , 
de  Zaïre  ;  et  clic  y  obtint  le  plus 
brillant    succès  ,    ainsi     que    dans 


VES  3i5 

1>lusieurs  rôles  de  la  haute  comédie, 
^c  duc  de  Choiseul ,  alors  ministre  , 
lui  fit,  à  cette  occasion,  présent  d'u- 
ne robe  magnifique,  qui  donna  lieu  à 
plus   d'une   conjecture ,    dont  nous 
n'avons  point  à  vérifier  la  solidité. 
Eeçue  en  1 769  .  elle  continua  de  jus- 
tifier l'accueil  bienveillant  du  public; 
mais  des  querelles  extrêmement  vi- 
ves   qu'elle    eut  ,   quelques    années 
après,  avec  la  demoiselle  Sainval  aî- 
née ,  sa  rivale ,  lui  firent  éprouver 
de  nombreux  désagréments.  Il  s'a- 
gissait de  plusieurs  rôles,  sur  lesquels 
ces  deux  actrices    avaient  d'égales 
prétentions.  L'autorité,  et  particu- 
lièrement le  duc  de  Duras,  ])remier 
gentilhomme  de  la  chambre,  prirent 
parti  pour  ]M'"«.  Vestris.  Le  public  se 
mêla  de  l'a  (Taire  ,  et  soutuit  la  cause 
de  ISV^".  Sainval.  Enfin  celte  derniè- 
re   succomba  ,   et  reçut   »n    ordre 
d'exil,  qui  ne  servit  qu'à  envenimer 
la    haine    de    ses   partisans   contre 
l'actrice  triomphante.  ]M™'=.  Vestris 
paya   cher  cette  victoire.   Il  ne  lui 
fallut  rien  moins  que  toutes  les  res- 
sources de  son  talent,  pour  lui  fai- 
re recouvrer,  à  la  longue,  la  faveur 
publique.  Elle  eut  aussi ,   en   1783  , 
avec  iiV^\  Sainval  cadette,   des  dé- 
mêlés auxquels   le  public  prit  beau- 
coup d'intérêt.  Il  existe  des  lettres 
imprimées    de    ces  deux    actrices  , 
dont  une  fort  injurieuse,  et  un  mé- 
moire à  cousulter  parlM^^''.  Sainval, 
qui  est  appuyé  du  sufTrage  de  Tron- 
çon du  Coudray.  Il  serait  inutile  de 
raconter  ici  la  part  qu'elle  fut  en  quel- 
que sorte  forcée  de  prendre  aux  dis- 
sentions de  la  Comédie  Française , 
dans  les  premières  années  de  la  révo- 
lution. Elle  suivit,  dans  ces  circons- 
tances, l'exemple  de  son  frère  Du- 
gazon ,  qui  passa,  comme  on  sait, 
au  théâtre  du  Palais-  Royal  f  plus 
connu  doDuis  sotis  le  nom  de  Théâ- 


3iG 


VES 


Ire  de  la  Republique  )  ;  puis  elle  fut 
comprise  dans  la  réunion  opcrcc  par 
k  gouvernement,  en  17095  et  elle 
mourut  à  Paris  le  6  octobre    i8o4, 
peu  de  temps  après  avoir  pris  sa  re- 
traite ,  que  l'airaiblissoment  de  ses 
moyens  avait  rendue  indispensable. 
Peu  d'actrices  modernes  ont  établi, 
ou,  comme  disent  les  comédiens,  ont 
crée  plus  de  rôles  tragiques.  Leniic- 
rc  lui  confia  le  rôle  de  la  Veuve  du 
INIalabar  ;  De  Belloy  ccu\  d'iMiplié- 
mie  ,  dans  Gaston  et  Hayard ,  et  de 
Gabriclle  de  Vergv;  Cliamplort  ce- 
lui de  lloxelanc,  dans  iMustapha  et 
Zéangii-;  ^  oltaire  celui  d'Irène  (i)  ; 
Diicis  ceux  d'Alceste  ,  d'Helmonde 
et  de  Frédégonde;  Laliarpe  ceux  de 
Melpomcne,  dans  les  Muses  rivales  j 
de  Jeanne  de  Na|)les  et  de  Vélurie; 
Chénier  ceux  de  Catherine  de  Médi- 
cis,  dans  Charles  IX,  et  d'Anne  de 
I)Ou!en,  dans  Henri  VIII  ■  et  Legou- 
véenlin  ,  celui  de  Jocaslc,  dans  Etéo- 
cle  et  Polynice.  Le  prodigieux  ellet 
qu'elle  produisait  dans  l'agonie  de 
Gabrielle  de  Vergyestuu  des  faits  les 
plus  remarquables  dans  les  annales 
du  théâtre.  Elle  contribua  beaucoup 
aussi  au  succi-s  do  Macbeth  ,  par  la 
beauté  de  sa  pantomime,  dans  la 
scène   fantasmagorique ,   où   Frédé- 
gonde  endormie  va  égorger  son  pro- 
pre llls.  M"'^.  Vestris  était  d'une  tail- 
le  moyenne  ,  qu'elle  savait    rendre 
imposante.  Ses  gestes  avaient  de  la 
grâce  et  de  la  noblesse 5  et  la  beauté 
de  ses  bras  trouvait  encore  plus  d'ad- 
mirateurs que  celle  de  sa  ligure.  Sa 
voix  était  assez  sonore;  mais  lui  gras- 
saiement  un  peu  âpre  gâtait  sa  belle 
prononciation.  Du  reste,  elle  avait 


(i)  Ce  fut  au  suiel  Jes  corrections  qne  Vollairf 
avait  faites  à  ce  râle  ,  !iur  la  dnoande  de  l'actrici-, 
i{ue  cet  haminc  cclcbrc  dit  &  M"*".  Vestris  :  /  om 
t)  irez,  Madame  ^  que  j'nt  Irayadlé  pour  vous  toute 
la  nuit  cunime  nn  jeune  honimv. 


VET 

beaucoup  d'art  et  de  force  •  et  il  était 
aisé  de  reconnaître  les  leçons  de  son 
maître   Lekain  ,   dans    les  savantes 
combinaisons  de  son  jeu  théâtral.  Le- 
kain malheureusement  n'avait  pu  lui 
donner  sa  sensibilité  vive  et  pénétran- 
te. Dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
]Vjmc_  Vestris,  qui  avait  joué  avec 
tant  d'énergie  ce  qu'on  nomme  les 
rôles  cornéliens,  n'avait  plus  conser- 
vé de  son  beau  talent  qu'une  correc- 
tion froide  et  monotone.  Cette  actri- 
ce recevait  habituellement  chez  elle 
des  hommes  de  la  plus  haute  distinc- 
tion. La  société  des  gens  de  lettres 
avait  orné  son  esprit;  et  on  la  citait 
pour  le  bon  goût  de  ses  manières. 
F.   P— T. 
VETERANI  (le  comte  Frédéric), 
l'un  des  meilleurs  capitaines  du  dix- 
septième  siècle  ,  était  né  dans  le  du- 
ché d'Urbin  vers    i05o.  Ayant  em- 
brassé jeune  la  profession  des  armes, 
il  entra  colonel  de  cavalerie  au  ser- 
vice de   l'empereur  Léopold,  et  se 
distingua  dans  la  guerre  contre  les 
Turcs,  en  Hongrie.  Ses  talents  rele- 
vèrent au  grade  de  feld-marécbal;  et 
dans  la  campagne  de  i(38(),  il  par- 
tagea le  commandement  de  l'armée 
autrichienne.  Le  9.0  octobre,  il  délit 
le  grand-vézir,  qui  marchait  ,  avec 
vingt  cinq  raille  hommes  ,  au  secours 
de  Scgedin ,  et  par  cette  victoire, 
hâta  la  reddition  de  cette  place  im- 
portante.  Après  un  grand  nombre 
d'exploits,  Veterani  trouva  la  mort 
des  braves  sur  le  champ  de  bataille, 
en  1G95.  A  de  grands  talents  mili- 
taires il  joignait  beaucoup  de  désin- 
téressement et  une  fidélité  inviolable 
à  ses  devoirs.  Il  avait  laissé  des  Mé- 
moires,  écrits  en  italien  ,    sur    la 
guerre    de   Hongrie  ,     de   i()83   à 
i(j()4.  Ils  ont  été  publiés,  pour  la 
première  fois,  à  Leipzig,  en   1771. 
■  W— s. 


VET 

Vl'TRANlOjN  ,  cm|)fmir,  était 
ne  d:iiis  la  Hautc-Mœsic  ,  triiiic  fa- 
mille (ibscnrc.  Son  éducation  avait 
e'ie  lellonient  ncp;ligc'c  qu'il  ne  sut 
jamais  lire.  Ayant  choisi  la  piofcs- 
siou  des  armes,  il  s'clcva ,  par  sa 
valeur  ,  jusqu'au  commandement 
de  la  Pannonie.  Vieilli  dans  les 
camps  ,  il  avait  contracte  toutes 
les  liabiludes  des  soldats  ,  qui  l'ai- 
maient comme  leur  père.  Ayant 
appris  que  Constant  avait  etc  massa- 
cre par  Magnence  (  V.  ce  nom) ,  il 
jugea  l'occasion  favorable  ]iour  se 
rendre  lui-même  indépendant ,  et  se 
lit  décerner  le  titre  d'Auguste, à  Sir- 
mich  ,  le  i^''.  mars  35o.  Aussitôt  il 
envoya  des  députes  à  Constance , 
alors  occupe'  contre  les  Perses,  pour 
bii  faire  part  de  son  élection.  Vetra- 
nion  lui  annonçait  (pi'il  n'avait  pris 
le  titre  d'empereur  que  pour  conser- 
ver les  provinces  dont  la  garde  lui 
était  coudée  ;  qu'il  ne  se  reganlail 
que  connue  son  lieutenant ,  et  finis- 
sait jwr  lui  demander  des  secours 
poiu'  rdsister  à  Magnencc  ,  leur  en- 
nemi commun.  Constance  ,  force  de 
dissimuler  ,  feignit  d'approuver  la 
•  ouduilc  de  Vctratiion  ,  et  donna 
l'ordre  aux  légions  de  Pannonie  de  se 
réunir  sous  ses  drapeaux.  Cependant 
Vctranion  crut  devoir  se  rapprocher 
de  Magnence ,  et  ils  envoyèrent  de 
nouveaux  députés  à  l'empereur  pour 
l'engager  à  les  confirmer  l'un  et 
l'autre  dans  la  possession  des  pro- 
vinces qu'ils  avaient  usurpées.  Ins- 
truit que  Constance  s'avançait  vers 
la  Dacic,  à  la  tète  d'une  puissante  ar- 
mée ,  il  voulut  lui  fermer  le  déllléde 
Sucqucs;  mais  il  fut  prévenu  par 
l'empereur,  et  ne  ]iouvant  lui  résister, 
il  s'abandonna  a  ses  promesses.  Les 
deux  armées  se  réunirent ,  et  pendant 
quelques  jours  ,  leurs  chefs  parurent 
vivre  dans  la  meilleure  intelligence. 


VKT  35t7 

Le  u5  décemljre,  les  detix  empe- 
reurs se  rendirent  ensemble  dans  la 
jtlaine  de  Naisse  ,  el  se  ]>Iaccrent 
sur  le  même  trône  ,'  au  milieu  du 
camp.  Alors  Constance  harangua  les 
troupes  ,  séduites  jiar  ses  largesses  , 
et  termina  son  allocution  en  décla- 
rant :  Que  l'état  ne  peut  être  tran- 
quille qu'avec  un  seul  maître.  Les 
soldats  aussitôt  proclament  Cons- 
tance seul  Auguste  ,  et  veulent  fon- 
dre sur  Vetranion,  jioiir  le  mettre  en 
pièces.  Celui-ci,  tout  tremblant,  se 
jette  aux  pieds  de  Constance,  et  se 
hâte  de  lui  remettre  le  diadème  el  la 
pourpre.  L'empereur  le  relève  ,  et  le 
prenant  par  la  main  pour  le  garantir 
delà  fureur  des  soldats,  le  conduit 
dans  sa  tente  ,  où  il  le  fait  asseoir  à 
sa  table.  Dès  le  lendemain  ,  le  vieux 
géuéral  partit  jiour  Priise  ,  dans  la 
Bithynic  ,  comblé  des  bienfaits  de 
l'empereur ,  et  y  coula  ses  jours  dans 
ruj)iilence.  Loin  de  regretter  le  trône, 
il  lit  souvent  remercier  l'empereur 
de  l'avoir  allranchi  de  cet  esclavage 
qu'on  nomme  souveraineté  ;  l'enga- 
geant,  de  bonne  foi,  à  goûter  lui- 
même  un  bonheur  qu'il  savait  pro- 
curer aux  autres.  Vetranion  était 
chrétien.  L'histoire  loue  sa  piété  et 
sou  immense  charité  pour  les  pau- 
vres. 11  termina  sa  longue  carrière 
vers  350.  Les  médailles  de  ce  prince, 
qui  n'avait  porté  la  pourpre  que  dix 
mois ,  ne  peuvent  être  que  très-rares  ; 
mais  on  en  connaît  dans  tous  les  mé- 
taux, /^qx.  l'ouvrage  deM.Mionnet, 
Dudegréde  rareté  des  Médailles  ro- 
maines ,  pour  l'indication  des  revers 
les  plus  recherchés  des  curieux. 
W— s. 
VETRONIUS-TURINUS,  courti- 
san de  l'empereur  Alexandre-Sévère, 
n'est  connu  dans  l'histoire  que  par 
le  châtiment  qu'il  subit  pour  avoir 
abusé  de  la  faveur  prétendue  de  ce 


33vS 


VET 


prince*.  Ilouoré  de  la  confiance  d'A- 
ioxaudre,  il  jouissait  du  privilège  de 
l'cutrclenir  quelquefois  eu  particu- 
lier. Exap;craut  sou  crédit,  il  tira  des 
sommes  d'argcut  de  diOérenles  per- 
soDoes  auxquelles  il  promettait  d'aji- 
puver  leurs  demandes  auprès  de 
l'empereur.  Alexandre,  ayant  eu  qiiel- 
(|iics  soupçons  de  la  conduite  de 
Velronius  ,  voulut  les  eclaircir  ,  et 
s'ctant  convaincu  qu'il  était  réelle- 
ment coupable  le  condamna  à  mort. 
Ce  luallicnreux  fut  attache  à  un  po- 
te.in  ,  entoure  de  bois  vert  et  de 
j)aille  mouillée,  et  on  y  mit  le  feu, 
tandis  qu'an  héraut  criait  :  Le  ven- 
deur (le  fumée  est  puni  par  la  fu- 
mée. Le  supplice  de  Velronius  , 
rapporte  par  Lampridc  (  fie  d'A- 
lexandre -  Sévère  )  ,  eut  lieu  vers 
l'an  9.3o  (i).  \V — s. 

\  ITTER  (liOtis-RoDoi-PHE) ,  ne 
à  karlsberi;  en  Carintliie  le  uS  août 
1  765  ,  exerça  d'abord  la  médecine  à 
^  icnnc,  et  fut  nomme  j)rofesseur  de 
physiologie  etd'anatomic  à  l'univer- 
bitcdc  Cracovicj  où  il  mourut  le  10 
oct.  180G,  On  a  de  lui  :  I.  Descrip- 
tion de  tous  les  vaisseaux  et  nerfs 
dans  le  corys  humain,  \  ienue,  170;), 
in -8".  11.  ^Youvelle  doctrine  sur  les 
muscles  dans  le  corps  humain,  ^  icn- 
nc,  «7()i,  in-8".  m.  y oui'elL;  mé- 
thode pour  guérir  les  maladies  hon- 
teuses,  Vienne,  1793  et  i8o4,  in- 
8".  IV.  Leçons  sur  la  physiologie , 
Vienne,  1794  et  i8o5,  2  vol.  in-8". 
V.  Aphorismes  tirés  de  l'anatomie 
pathologique ,  ^  ieune,  i8o3,  in-8''. 
(>es  cinq  ouvrages  ont  paru  en  alle- 
mand. I.c  dernier,  dans  le(|uel  l'au- 
teur ramène  les  phénomènes  de  l'ana- 
tomie pathologique  à  im  corps  de  doc- 
trine régulier,  est  celui  qui  lui  a  fait 

(  i^  r.t  iioD  p*i  »io.  ciimiiie  le  dit  le  Dirlionnai- 
te  ""/.•  /<<-/,  (niisqii'AleiaiidrcSpirTe  av  moula 
»ur  le  IrOue  qu'en  »i  (  /'.  ALEXANDRE,  I,  5ii). 


VET 

le  plu.s  d'honuenr.  VI.  De  plicd  se- 
milunari  in  cor  dis  humani  atrio  si- 
nistre nuperrimè  détecta ,  Craco- 
vie,  1804,  in-8°.  G — v. 

VETTORI  ou  VITTORI  (LÉo- 
^ELLE  ) ,  célèbre  médecin  italien ,  éga- 
lement comiu  sous  les  noms  de  Fic- 
torius  ,  de  Fictoriis  ,  ou  Leonellus 
Fat'entinus ,  c'tait  ne,  vers  le  milieu 
du  quinzième  siècle,  à  Faenza  dans 
la  Romagne.  S'ctant  établi ,  dans  sa 
jeunesse,  à  Bologne,  il  ne  tarda  pas 
à  méiJter  le  premier  rang  parmi  les 
médecins  de  cette  ville.  Dès  i473, 
il  y  professa  la  logique,  la  philoso- 
phie et  l'art  médical ,  avec  un  succès 
extraordinaire.  Il  mourut  en  i5'j»;o, 
et  fut  inhumé  dans  l'église  Saint-Do- 
muiique.  I/Alidossi  (Z>«£for.  Bolo- 
gnes.,  luç),;  cite  ce  professeur  avec 
clogc.  Outre  un  Commentaire  sur  le 
neuvième  livre  de  Razi  à  Almanzor  , 
qui  contribua  bcar.coup  à  sa  célébri- 
té (  Voy.  Astruc,  Malad.  des  fem- 
mes ),  on  a  de  lui  :  1.  De  a-griludi- 
nibus  infantium  tractatus ,  lugols- 
tadt,  I  'JJ4  ,  in-8".  11.  Praclica  mc- 
dicinalis ,  ibid. ,  i545,  in  -  4'*- Ces 
deux  Traités  ,  publiés  avec  des  notes 
et  des  additions,  par  J.  Kufncr,  ont 
été  réimprimés  plusieurs  fois ,  dans 
le  seizième  siècle ,  en  France  et  en 
Italie.  Ils  paraissent  peu  dignes  au- 
jourd'hui de  la  grande  réputation  de 
leur  auteur.  Elevé  dans  une  admira- 
tion superstitieuse  pour  la  doctrine 
des  médecins  arabes,  Vcttori  n'a  pas 
su  tirer  le  moindre  avantage  de  la 
lecture  des  médecins  grecs ,  dont  les 
écrits  commençaient  à  se  répandre, 
de  son  temps ,  en  Italie.  C'est  à  Triu- 
cavelli  [Foj.  ce  nom)  qu'il  était  ré- 
servé de  remellre  en  honneur  la  doc- 
trine d'Hippocrate  et  de  ses  disci- 
ples, eu  la  prenant  pour  base  de  ses 
leçons.  —  Vettori  (  Benoît  )»  neveu 
du  précédent ,  et  comme  lui  médecin, 


VET 

tînt  cire  envoyé  fort  jeune  à  Bolo- 
gne, pour  y  suivre  les  cours  de  son 
oncle,  qui,  selon  toute  apparence, 
iiiî  son  premier  maître.  Ayant  acquis 
de  bonne  heure  la  réputation  d'un 
des  meilleurs  ])liilosopiies  et  des  pitis 
liabilcs  médecins  de  son  temps ,  il 
fut  a])peiedans  les  principales  vdies 
d'Italie,  et  y  développa  ,  dans  l'exer- 
cicedcson  art,  des  talents  supérieurs. 
1!  nous  apprend  lui  -  même  qu'en 
i534  il  professait  la  médecine  à  l'a- 
cadémie dePadouc  (  i  ).  Six  ans  après, 
il  revint  occuper  une  chaire  à  l'école 
de  Bologne  ,  et  sut  faire  proliter  ses 
élèves  des  observations  qu'il  devait 
à  une  longue  pratique.  11  j)artagea 
les  dernières  années  de  sa  vie  entre 
renseignement  et  la  rédaction  de  ses 
ouvrages ,  et  mourut  en  1 5(3 1 ,  âge  de 
quatre-vinglsans,èfant  ne  en  l/|8i  ,à 
l*'acnza.  Outre  des  Commentaires  sur 
les  prognostics  et  les  aphorismes 
d'Hipnocrate,  on  a  de  ce  médecin  : 
I.  Compcndiiim  de  dotibus  medici- 
nuruin ,  l'adoue ,  1 55o  ,  in-8".  ;  réim- 
prime dans  un  recueil  d'Opuscules 
sur  le  même  sujet.  II.  Liher  d/f  mor- 
ho  pallie V  ;  huic  anncctitur  de  cii- 
ralioue  phurilidis  per  sangtiinis 
missionem  liber  ad  Hippocratis  et 
Guleiii  scopum  ,  Florence  ,  Torren- 
tino,  i55i ,  in-8^*. ,  avec  9  planch., 
belle  et  rare  édition.  L'ouvrage  de 
Vettori,  sur  le  mal  véne'rien ,  n'est 
guère,  suivant  f»l.  Poital  {Jlist.  de 
l'analomie),  qu'une  paraphrase  du 
fameux  Poème  de  Fracastor  {F.  ce 
nom  \  Il  condamne,  comme  dange- 
reux., l'emploi  du  merruie  dans  le 
traitement  de  cette  maladie;  prescrit 
les  bains  ,  la  diète,  un  régime  adou- 
cissant. Ou  trouve  un  extrait  de  cet 


(i^  Ala  lin  de  so!i  traite  Ve  ••nmitnii-  jileiir,U<li<. 
(.C|>eiiilaut  Pap.Tclippoli  n'a  fait  aucune  lucutiuu  da 
ce  [>^olV»^eur  d^iu  .«on  Jlislori^  gjmnas.  Pata- 
vini. 


VET  i-yx) 

ouvrage  daiis  le  recueil  de  Liiigini  : 
De  morbo  gallico  omnia  quce  ex  tant 
(  r.  LuiGiM  )  ;  et  Astnic  eu  a  donné 
l'analyse  dans  son  Traité  De  morbis 
Fenereis ,  \\\ ,  pag.  7  1 7  (-2}.  111.  Mc- 
dicinalia  consilia  ad  varia  morbo- 
rum  gênera  ,  Venise,  i55i  ,  iu-4"., 
ib. ,  1 557  ,  iu-8".  IV .  Kmpyriea  me- 
dicina  de  ctirnndis  //lor/^/i^ ibidem, 
i555,  in-8".  Cet  ouvrage,  réimpri- 
mé huit  oudi\  fois  ,  dans  le  sci/.ième 
et  même  dans  le  dix-sejitiènie  siècle , 
est  celui  qui  fait  le  moins  d'honneur 
à  Ben.  Vettori.  Il  s'y  montre  trop 
persuadé  des  propriétés  médicales 
que  l'ignorance  du  vulgaire  attribue 
à  certaines  plantes  et  à  divers  com- 
posés de  matières  animales.  V.  Prac- 
tica  magna  de  curandis  morbis, 
ibid. ,  rôOa,  in-fol.,  1  vol.  Ce  re- 
cueil peut  encore  être  consulté  utile- 
ment par  les  praticiens.      W — s. 

VETTORI  ou  VITTORIO  (Fran- 
çois) ,  médecin ,  était  né ,  vers  1 485, 
à  Bergame.  Après  avoir  appris  de 
son  père,  assez  habile  instituteur  ,  les 
premiers  éléments  des  langues,  il  alla 
continuer  ses  études  à  l'académie  de 
Padoue,  et  y  lit  de  rapides  progrès 
dans  tontes  les  sciences,  mais  parti- 
culièrement dans  la  médecine.  Il  était 
doué  d'une  mémoire  si  prodigieu- 
se, que  ses  condisciples  l'appelaient 
Francesco  délia  Memoria.  Nommé 
professeur  de  philosophie  à  l'acadé- 
mie de  Padoue ,  il  remplit  cette  chai- 
re avec  distinction ,  et  employa  ses 
loisirs  à  la  culture  des  lettres,  sans 
négliger  la  médecine,  quoiqu'il  ne 
soit  pas  certain  qu'il  ait  pratiqué  cet 
art.    Outre  des   Coinmcntaircs    sur 


(a)  Tous  les  bibliographes  citent  comme  une 
première  édition  de  cet  ou>Tagc  l'opuscule  De 
moHio  gallicn  ^  iinpriuic  sous  le  in>m  de  Vettori 
dans  un  lirciieil  sur  celte  matière,  Jijle,  i53ti ,  in- 
4°.  Mais  Vettori  déclare  que  rcl  opuscule  n'c-t 
poiut  de  lui,  et  <(u'il  n'a  pu  lui  être  atlribné  que 
par  erreur,  puisqu'-'Érepoque  d-  la  puMicalion  de 
eo  rot.Mieil  il  n'avait  encore  i  iea  écrit  »ur  ce  snji  t. 


33o 


VET 


Platon,  il  en  avait  compose  sur  les 
OEiivres  de  Galien  et  des  autres  raé- 
dccins  ,  qiii  nous  sont  parvenues  ; 
mais  tous  ses  manuscrits  lurent  dé- 
truits, avec  sa  bibliothèque,  dans 
l'incendie  de  la  maison  qu'il  habi- 
tait, au  mois  de  février  i5i4  (O- 
Cet  accident  n'abattit  point  son  cou- 
rage :  il  entreprit  de  le  rc'parer;  et 
il  est  probable  qu'il  avait  fort  avan- 
ce la  traduction  latine  de  Galien, 
avec  des  notes,  lorsqu'il  écrivit  à 
Sadolet  que  son  intention  était  de  se 
démettre  de  sa  chaire,  et  d'aller  à  Ro- 
me solliciter  du  souverain  pontife 
des  secours  pour  l'impression  de  son 
ouvrage.  Sadolet  le  détourna  de  ce 
projet.  Quelques  auteurs  prétendent 
«(ue  Vettori  passa  de  la  chaire  de 
philosophie  à  celle  de  médecine  théo- 
rique ;  mais  on  n'en  trouve  aucune 
trace  dans  les  registres  de  l'académie 
de  Padoue.  Il  mourut  en  cette  ville  > 
non  en  i5'i3 ,  comme  le  dit  Papado- 
poli  (  Ifist.  pjmnas.  Patavin. ,  i , 
•îÇ)i  ) ,  mais  au  mois  de  février  1 5iS. 
Vettori  dut  à  ses  talents  l'amitié  du 
lie  inbo  ,  de  Sadolet  et  des  principaux 
littérafcurs  d'Italie.  On  trouve,  sur 
cet  écrivain,  une  Notice  exacte  et 
détaillée,  dans  la  Storia  ilcUa  leltc- 
ratttra  italiana  de  Tiraboschi ,  vu  , 
679.  W— s. 

VETTORI,  en  latin  Fictariiis 
f  PiKRRK  ) ,  l'un  des  nieillrurs  crili- 
•pies  de  son  temps  et  le  restaurateur 
de  rélo(|uencc  en  Italie  ,  était  né  le 
I  I  juillet  i4r)9,  '■'  Fli>i'cnce,  de  pa- 
rents patriciens.  Dès  sa  première  jeu- 
nesse ,  il  cultiva  les  lettres  grecques 
et  latines  et  les  mathématiques,  et 
laissa  bientôt  derrière  lui  tous  ses 
maîtres.  Ayant  achevé  ses  éludes  ,  il 
se  rendit  à  Pisc  pour  y   faire   son 

:•>  Vny.  la  né.iu,ut  J'Alpxanaie  .rA|.lir.><liM>  . 
I'-"'  Alilï  Maouce,  au  i>riiice  de  Oarpi ,  Allierli- 
Piu. 


VET 

cours  de  droit  ;  mais  l'air  de  cette 
ville  étant  contraire  à  sa  santé  ,  il 
revint  à  Florence ,  et  se  maria  ,  par 
le  conseil  de  sa  mère  ,  quoiqu'il  n'eût 
que  dix-huit  ans.  En  i522,  il  accom- 
pagna Paul  \ettori  ,  son  parent, 
commandant  des  galères  de  l'Eglise , 
chargé  d'aller  en  Espagne  prendre 
le  pape  Adrien  VI  pour  le  transpor- 
ter à  Rome.  Étant  tombé  malade  à 
Barcelone,  il  mit  à  prolit  sa  conva- 
lescence pour  visiter  une  partie  de  la 
Catalogne  et  les  provinces  voisines  , 
et  il  y  recueillit  une  foule  d'inscrip- 
tions antiques.  A  peine  était-il  de  re- 
tour ,  qu'il  suivit  à  Rome  François 
Vettori ,  l'un  des  d(f|)utés  envoyés 
par  la  seigneurie  de  Florence  pour 
complimenter  le  pape  Clément  Vil 
sur  son  élection.  Le  séjour  qu'il  lit  cà 
Rome  accrut  sa  passion  pour  les  an- 
tiquités ,  et  lui  facili^la  les  moyens 
de  se  lier  avec  plusieurs  savants  ar- 
chéologues. Le  rang  qu'occupait  Vet- 
tori ne  lui  permettait  pas  de  rester 
étranger  aux  partis  qui  divisaient 
alors  Florence.  Il  se  déclara  contre 
l?s  Médicis  dont  il  redoutait  l'am- 
bition ,  et  les  combattit  de  la  plume 
et  de  l'épée.  L'événement  ayant  trahi 
ses  vd'ux  ,  il  se  retira  dans  un  de  ses 
domaines  et  y  partagea  ses  loisirs 
entre  la  culture  de  ses  champs  et 
l'étude  de  la  philosophie.  Il  revint  à 
Florence  en  i53/|  ;  mais  la  mort 
tragique  du  duc  Alexandre  de  Mé- 
dicis (  Voy.  ce  nom  )  lui  faisant 
craindre  de  uouveaux  troubles,  i! 
partit  pour  Rome ,  avec  le  dessein 
de  s'y  jixer.  Legrand-dnc  Cosme  de 
Médicis,  qui  connaissait  ses  talents  , 
le  rappela  l'année  suivante  (i53'S) 
à  Florence  ,  et  le  nomma  professeur 
d'éloquence  grecque  et  latine  ,  avec 
1:11  traitement  de  trois  cents  écus. 
\  cllori  remplit  cette  chaire  de  la 
manière  la  plus  brillante.  On  vit  ac- 


VET 

courir  à  ses  leçons ,  de  toutes  les 
parties  de  l'Italie,  un  nombre  pro- 
digieux d'élèves ,  et  il  eut  la  gloire 
de  former  presque  tous  les  savants 
({iii  répandirent  tant  d'éclat  sur  cette 
patrie  des  lettres  ,  dans  le  seizième 
siècle. En  i5.jCi,  il  fut  élu,  par  accla- 
mation, consul  de  l'académie  flo- 
rentine; mais  il  n'accepta  cet  hon- 
neur que  malgré  lui,  et  le  garda  peu 
de  temps.  Choisi  par  son  souverain  , 
en  i55o,  pour  aller  féliciter  le  pape 
Jules  m  sur  son  avènement  au  tronc 
pontifical ,  il  en  reçut  l'accueil  le  plus 
distingué.  Le  pape  le  fit  chevalier  , 
joignit  à  ce  titre  celui  de  comie  ,  et 
lui  accorda  les  privilèges  les  plus 
flatteurs.  Eu  i553  ,  il  fut  nommé 
membre  du  sénat  de  Florence  ;  et 
Cosme  accompagna  cet  honneur  de 
témoignages  particuliers  d'estime  et 
d'ail'ection.  Le  cardinal  Cervoni ,  de- 
venu pape  sous  le  nom  de  Marcel  II, 
s'empressa  d'appeler  à  Rome  Vet- 
tori ,  qu'il  se  proposait  d'élever  aux 
premiers  emplois.  Mais  ce  pontife 
étant  mort  quelques  jours  après  son 
élection^  Vettori  revint  à  Florence. 
Bologne,  Venise  et  plusieurs  souve- 
rains tentèrent  alors  de  l'attirer  par 
les  offres  les  plus  avantageuses  ;  mais 
rien  ne  put  le  décider  à  quitter  sa 
chaire  d'éloquence  et  de  morale.  11 
la  remplit  avec  un  zèle  infatigable,  et 
comblé  de  gloire  et  d'honneurs  mou- 
rut à  Florence  le  18  décembre  i58j. 
Ses  obsèques  furent  célébrées  avec 
pompe  dans  l'église  du  Saint-Esprit; 
et  le  27  janvier  suivant ,  Léon.  Sal- 
viati ,  l'un  de  ses  élèves  ,  y  prononça 
son  oraison  funèluc.  Il  est  presque  im- 
possible, dit  Tiraboschi  {Storia  délia 
letteratiira  iial.  ,rii ,  i5i4etsuiv.), 
de  se  faire  une  juste  idée  de  tous  les 
travaux  de  Vettori,  comme  philolo- 
gue et  comme  critique.  Dans  ce  siè- 
cle de  l'érudition  ,  aucun  savant  n'a 


V^  J3i 

rendu  plus  de  services  aux  lettres 
grecques  et  latines.  Outre  une  belle 
et  rare  édition  des  OEiivrcs  de  Cicé- 
ron,  Venise,  Giunti ,  1 534-37,  4 
vol.  in-fol.  ,  on  doit  à  Vettori  des 
éditions  corrigées  d'après  les  manus- 
crits ,  des  auteurs  à^ agriculture ,  de 
Térence  ,  de  ^  arron  ,  de  Sallustc  , 
de  I'jE /('C/re  d'Euripide,  de  Porphy- 
re, de  Michel  d'Ephèse  ,  de  Démé- 
trius  dePhalèrc,  de  Piaton,deXéno- 
phon,  d'Hipparque  de  Bithynie,  de 
Denys  d'Halicarnasse ,  etc.  Il  a  eu 
part  à  la  publication  des  Pandectes 
jloreniincs{roy.  Lel.  Torelli).  Ses 
autres  ouvrages  sont  :  I.  Des  Com- 
mentaires foit  estimés  sur  la  Bhé- 
toriquc ,  la  Poétique  ,  la  Politique 
et  la  Morale  d'Aristote,  Florence, 
Giunti,  1548-73-76-84,  4  vol.  in- 
fol.  II.  Sur  le  Traité  de  V élocution 
de  Démétrius  de  Phalère  ,  avec  une 
version  latine  ,  ibid.,  i5C2  ,  in-fol. 
III.  Délie  lodi  e  délia  coltivazione 
degli  ulivi ^  ibid.,  iSfJf),  in-4".  J 
1574  ,  in-4"-  ,  avec  des  additions 
de  l'auteur.  Ce  Traité  de  l'olivier 
est  un  ouvrage  excellent  pour  le  fond 
comme  pour  le  style;  il  a  été  réim- 
primé plusieurs  fois  avec  celui  de 
J.  Vettorio  Soderini  :  Délia  colti- 
vazione délie  viti.  L'un  et  l'autre 
font  partie  de  la  collection  des  Clas- 
siques de  Milan.  Parmi  les  éditions 
de  l'opuscule  de  Vettori,  on  dis- 
tingue celle  de  Florence,  1622, 
qui  comprend  aussi  le  Traité  de 
Davanzati  sur  la  culture  de  la  vigne 
et  de  quelques  autres  arbres  ;  17  '8^ 
in  -  4"^'-  •.  avec  les  notes  de  Biau- 
chini  de  Prato  ;  et  176^,  avec  les 
notes  de  Bianchini  et  de  Domin. 
IManni.  IV.  F'ariarum  lectionum 
libri  xxxviii ,  Florence,  i582  , 
in  -  fol.  Cet  ouvrage  ,  dans  le 
genre  des  Nuits  attiqucs  d'Aulu- 
Gclle  ,   contient    l'examen    critique 


33î  #£1 

d'une  inûnitc  de  passages  d'auteurs 
grecs  et  latins  ,  cl  prouve  le  soin 
Avcc.  lequel  Vettori  les  avait  etudic's. 
V.  Epislolarum  libri  x;  Orationes 
xiiri  ;  liber  de  LaucUbus  Joannœ 
Austriacœ ,  Florence,  i58G,  in-fol., 
rare  et  recherché.  On  doit  au  savant 
Bandini  (  T'oy.  ce  nom  )  une  Vie 
de  rettori ,  exacte  et  détaillée.  Im- 
primée d'abord  en  italien,  F^ivourne, 
i-jSO,  in-4"-  de  04  pa;;.  ,  elle  a  été 
traduite  en  latin  par  l'auteur ,  à  la 
tète  de>  Claronnn  ItalonimctGer- 
manurum  epistolœ ad  P.  rictorium, 
Florence,  1758,  in-4"^.  Ou  en  trou- 
ve l'analyse  dans  le  Journal  étran- 
ç,er  ,  août  1757,  i75-2i3.  Le  por- 
trait de  Vettori  a  été  {^ravé  plusieurs 
fois  dans  divers  formats  ;  et  les  qua- 
tre médailles  frappées  en  son  hon- 
neur sont  fij^uroes  dans  le  Muscutn 
MazzuchelUanum  ,  i  ,  pî.po  et  91. 
W— s'. 
VF.TTORI  (A>r.E),  médecin  ita- 
lien  ,  sur  lequel  les  biographes  natio- 
naux n'oirrent  que  des  renseigne- 
ments incomplets. On  conjecture  qu'd 
florissait  à  Rome  dans  le  dix-septiè- 
me siècle,  et  qii'il  y  mourut  avant 
l'aïuiéc  1G40.  On  a  de  lui  :  I.  De 
palpitatione  cordis  ,  fractura  cns- 
taruin  ,  aliisque  a/Jeclioriibus  B. 
Philippi  Nerii ,  Rome,  iGi3,  in  4". 
Il  s'est  proposé  ,  dans  cet  ouvrage  , 
de  confirmer  la  vérité  des  faits  attes- 
tés par  Gallonio  {F",  ce  nom);  mais 
il  est  difllcilc  de  leur  donner  une  ex- 
plication natin-elle.  II.  Conmltatio- 
ne<;  medicœ  ,  ibid. ,  i64o ,  in-folio. 
L'auteur  était  mort  avant  la  publica- 
tion de  ce  volume.  Vincent  INIanucci, 
l'un  de  ses  amis ,  en  fut  l'éditeur.  — 
Vettori  (Victor) ,  poète  et  médecin, 
était  né,  le  ii  décembre  1697  ,  à  Or- 
liglia  dans  le  Mantouan.  Ayant  ache- 
vé M's  cours  avec  succès  ,  il  reçut  le 
laurier  doctoral ,  cl  partagea  *a  vie 


VET 

outre  la  pratique  de  son  art  et  la  cul- 
turc  des  lettres.  Ses  Rime,  qui  se  dis- 
tinguent par  la  pureté  du  style  et  la 
sagesse  des  pensées,  lui  ouvrirent  les 
portes  des  principales  académies  de 
l'Italie.  Il  mourut  ,à  iMantoue  le  8 
janvier  17G3.  On  cite  de  lui  :  un  Re- 
cueil de  ])ocsies  (  Piacevoli  rime  ) , 
Milan  ,  1 744  '  '"■•^"- 1  réimprimé  plu- 
sieurs fois  j  et  une  Histoire  de  la  fiè- 
vre,  Mantoue,  175G,  in-8".  Victor, 
marié  deux  fois,  avait  eu  vingt-cinq 
enfants  ,  dont  la  plupart  moururent 
en  bas  âge.  Parmi  ceux  qui  lui  sur- 
vécurent ,  quelques  -  uns  cultivèrent 
la  poésie,  à  sou  exemple,  mais  non 
pas  avec  le  même  succès.  W — s. 
VETTORI  (François),  en  latin 
Vicloriiis  ,  célèbre  antiquaire  ,  était 
né,  dans  les  premières  années  du  dix- 
huitième  siiclc  ,  à  Rome,  d'une  fa- 
mille patricienne.  S'étant  attaché  de 
bonne  heure  à  l'étude  des  monuments 
que  cotte  ville  oll're  en  si  grand  nom- 
bre, il  acquit  une  grande  habileté 
dans  l'art  de  lire  les  inscriptions, 
ainsi  que  dans  la  numismatique  et 
la  glyptographie.  L'académie  étrus- 
que l'avant  admis  dans  son  sein , 
les  principales  sociétés  littéraires  d'I- 
talie imitèrent  cet  exemple.  Il  possé- 
dait un  caliinot  précieux  ,  dont  il  se 
plaisait  à  faire  lui- même  les  hon- 
neurs aux  étrangers  et  aux  amateurs. 
Ses  talents  lui  méritèrent  l'estime  du 
pape  Clément  XIV,  qui  le  nomma 
directeur  du  musée  du  Vatican.  Il 
mourut  en  177^  à  l'àg*  de  soixante- 
huit  ans.  Il  a  piîblié  un  grand  nombre 
de  Dissertations  ,  parmi  lesquelles  on 
citera  1rs  suivantes  ,•  I.  Numus  aii- 
reus  veterum  christiannrum  ,  com- 
mentario  explicalus ,  adjcctis  sa- 
cris  alinuibus  monumentis ,  Rome, 
1787,  m -4"-  IL  II  fiorino  d'oro 
anlico  illustralo ,  Florence,  17^8, 
in-4". ,  fig.  III.  Dissertatio  {.',lj'pto- 


VET 

graphica  ,  sii>e  gemmœ  duce  vetus- 
tissimœ  cmblcmatibus  ,  et  ç^rœco 
art  i fi  ris  iiomine  inùgnatœ  _,  (juce 
extant  Roniœ  in  viuseo  Fictorio , 
fixjflicatœ  et  illustratœ  ,  Rome  , 
1789  ,  in-4°.,  fig.  IV.  De  vclustute 
et  forma  inono^rammatis  nominis 
Jesii  Dissertatio ,  antiquis  cmblc- 
matibus ex  Fictorio  museo  reserta, 
ibid.  ,  ^"j^'J  y  i»-4".  V.  Eyistola  de 
musei  Fictorii  emblematc  et  de 
nonnullis  numismatibus  Alcxandri 
Severi ,  sccuudis  curis  exjdanatis  , 
ibid,  ,  1747  t  in-4"'  ^'^'^  explication 
des  médailles  d'Alexandre  -  Sévère 
ayant  ete  critiquée,  il  entreprit  de  la 
justifier  dans  l'opuscule  suivant:  VI. 
Dissertatio  apoloç^etica  de  quibus- 
dam  Alexandri  Severi  numismati- 
bus ,  ibid.,  1749,  in-4"-  Vil.  Del 
cullo  di  Cibele  presso  gli  antichi  , 
Dissertazione  colla  (piale  s'illustra 
un  statuctta  di  marmo  Pario ,  del 
museo Fettori ,  il)id.,  1753,  in-4'^., 
lig.  W— s. 

VÉTURIE.  F.  ConioLAN. 

VÊTUS  ou  LE  VIEIL  (Jean), 
littérateur  et  homme  d'état  ,  était 
ne  ,  dans  le  sei/.ièmc  siècle  ,  à  Saint- 
Amour  (  I  ),  petite  ville  de  Bourgogne. 
Ayant  achevé  avec  succès  ses  éludes 
dans  sa  province,  il  vint  à  Paris, 
et  remplit  quelque  temps  les  fonc- 
tions de  régent  au  collège  d'Autun , 
et  ensuite  dans  celui  du  cardinal  Le- 
moinc.  11  n'était  entré  dans  la  car- 
rière de  renseignement  que  pour  se 
procurer  les  moyens  défaire  ses  cours 
de  jurisprudence  et  de  médecine.  Dès 
qu'il  les  eut  terminés,  il  prit  ses  gra- 
des dans  ces  deux  facultés.  Gilles 
Bourdin,  procureur- général  du  par- 


ti) Vi  lus  lions  apprend  lui-même  le  lieu  de  sa 
naissance,  »  I»  tèlc  de  son  ouvrage  cité  n°.  III.  Ce- 
pendant tous  les  biographes  ,  même  le  P.  Niceron  , 
se  contentent  de  le  faire  Frauc-coiulois ,  sur  le  té- 
luoii^iHigfl  de  Gilbert  Cousin  ,  qui  le  qualiUe  nosiras. 


VET  333 

lement,  dont  il  avait  su  mériter  la 
bienveillance ,  en  se  chargeant  de  l'é- 
ducation de  son  lils,  lui  facilita  l'ac- 
qiu'sition  d'uiie  place  de  secrétaire 
du  roi.  Il  s'attacha  depuis  au  cardi- 
nal  de  Lorraine  j  et  ce  prélat ,   lui 
ayant  reconnu  de  la  capacité,  l'em- 
ploya dans  diliérenlcs  négociations 
en  Allemagne.  En  récompense  de  ses 
services  ,  il   obtint  nue  cliarge  de 
conseiller  au  parlement  de  Bourgo- 
gne, le  9  juillet  iJ(i9;  avant  d'en 
prendre  possession  il    retourna  en 
Allemagne,  par  ordre  du  roi  Char- 
les   IX  ,   et   il   s'acquitta   de   cette 
nouvelle  mission  avec  le  même  succès. 
H  fut  installé  conseiller  à  Dijon  le  10 
janvier  iS'ji,  mais  cinq  jours  après, 
il  donna  sa  démission,  et  revint  à 
Paris  exercer  sa  charge  de  secrétaire 
du  roi.  Nommé  maître  des  requêtes 
ordinaires    en    1.J73  ,    il    reçut  en 
i58i  des  lettres  de  noblesse;  et  peu 
de  temps  après,  il  fut  pourvu  de  la 
charge  de  pré.sidcnt  au  parlement  de 
Bretagne.  La  reconnaissance  que  Vê- 
tus devait  aux  princes  de  Lorr.iinc 
l'engagea  dans  le  parti  de  la  Ligvie. 
En  1 589 ,  le  duc  de  Mayenne  le  choi- 
sit pour  faire  partie  du  conseil  que 
ce   prince    venait    d'instituer  pour 
régir  le  royaume.   Dans   ces  temps 
malheureux,  il  paraît  qu'il  se  con- 
duisit avec  modération  ;  du  moins 
les  écrits   contemporains  ne  lui  re- 
prochent aucun  acte  de  rigueur.  Il 
vivait  encore  en    i^yS;  mais  force' 
sans  doute  de  quitter  Paris,  après 
l'entrée  de  Henri  IV,  il  tomba  dans 
une  telle  obscurité  qu'on  ignore  l'é- 
poque de  sa  mort.  Outre  la  Préface 
d'une  Réponse  de  F.  Baudouin  à  Cal- 
vin (  F.  Baudouin  ) ,  et  la  Traduc- 
tion latine   des  Lettres  au  roi  de 
France  Charles  IX ,  contenant  les 
actions  et  propos  de  M.  de  Gujse 
(  F.  Garles  ,  VII ,  1 4'2  ) ,  on  a  de  J. 


3">  / 


VEZ 


Vctus  :  \.  De  obilu  Caroli  Qiiinti 
impcratoris  oratio  .  Paris,   i55ç), 
iii  -  4'».  de  3'2  pag.  II.  Orationes  in 
medicinœ  co'mmendationem  tit   in 
i^ratiam  octodecim  medicœ  laureœ 
cavdidatorum  instilutœ,  etc.,ibid., 
i56o,  in-8".  L'abLe  Goujet  en  a  tiré 
quelques   détails  pour  son  Histoire 
du  collège  rayai  de  France.  111. 
Déjeuse  première  de  la  religion  et 
du  roi  contre  les  pernicieuses  fac- 
tions et  entrejfrises  de  Calvin ,  Bèze 
et  autres  leurs  complices  ,  conjurés 
et  rebelles ,  ibid. ,  1 562  ,  in  -8".  Vê- 
tus publia  cet  ouvrage  en  français  et 
on  latin.  IV.  Apologia  contra  ca- 
lumnias  Th.  Bezce  in  jurisconsultos 
et  omne  jus  ,  Verdun  ,  i  56  \ ,  in-8°. 
V.  Négociations  du  sieur  J.  Fétus, 
em'(y}'è  par  Charles ,   cardinal  de 
Lorraine  ^  èvèt/ue  de  Metz,  arche- 
l'èquc  de  Reims ,  à  la  ville  d'Augs- 
bourg  ,   depuis   le  (i  janvier  jus- 
qu'en mai  i566  ,  in -fol.  Ce  manus- 
crit est  conservé  à  la  bibliollicque  du 
Roi,  fonds   Dupuy,  n<^.    544-  0" 
trouve  une  Notice  historique  sur  ce 
personnage  diius  les  Mémoires dclSi- 
ceron  ,    xxxiv,  3f)4 -99.       W — s. 
VEYSSlÈRE.r.  LicRozK. 
VEZZOZI  (Antoine-Framçois), 
savant  biographe,  était  ne  vers  lyoS, 
dans    Arczzo,  d'une   famille  patri- 
cienne. Après  avoir  achevé  ses  pre- 
mières  études  avec  succès  ,  il  em- 
brassa la  vie  religieuse  dans  la  con- 
grégation des  clercs  réguliers  con- 
nus sous  le  nom  de  Thc'atins  (  Foj-. 
saint  Gaétan  )  j    et  ayant  employé 
ses  loisirs  à  perfectionner  ses  con- 
naissances dans  l'histoire  et  la  phi- 
lologie, il  s'y  rendit  fort  habile.  En- 
voyé, jiar  ses  supciieurs ,  ,1  Rome, 
ses  talents  l'y  firent  connaître  d'une 
manière  avantageuse.  Le  savant  pré- 
lat Hottari  (F.  ce  nom,  V,  25j  ) 
s'étaut  dérais  de  la  chaire  d'histoire 


VEZ 

ecclésiastique   au  collège  de  la  Sa- 
jiience  ,   le  P.  A  ezzo/.i   fut  désigné 
pour  le  remplacer  ,  et  sans  égaler  son 
prédécesseur,  il  adoucit  du   moins 
les  regrets  qu'occasionnait  sa  perte. 
Nommé    membre     de   la    consulte 
chargée  de  l'examen  des  candidats  à 
l'épiscopat ,  la    prudence  qu'il   sut 
mettre  dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions lui  concilia  l'estime  et  la  bien- 
veillance des  membres  les  plus  dis- 
tincués  du  sacré  colU'"c.  11  fut  icvctu 
de  divers  autres  emplois  honorables, 
et  enfin  élu  supérieur-général  de  son 
ordre.  Le  pape  Clément  XllI,  ap- 
préciant le  mérite  et  les  vertus  du  P. 
Vezzozi ,  se  proposait  de  l'élever  aux 
premières   dignités   ecclésiastiques  ; 
mais  le  modeste  religieux  supplia  le 
pontife  de  lui  permettre  de  retourner 
dans  son  cloître  achever  une  vie  par- 
tagée entre  la  pratique  de  ses  de- 
voirs et  l'étude.  Il  parvint  à  im  âge 
avancé,  et  mourut  en    1785,  dans 
le  couventde Saint-Sylvestre, m  mon- 
te Cavallo,  regretté  de  tous  ceux  qui 
l'avaient  connu.  C'est  à  lui  qu'on  doit 
l'édition  des   OEupres  du   cardinal 
J.-Mar.  Tommasi  (  Foyez  ce  nom  , 

XLVI,  223),  Rome,  i747-^'Oi  'i 
vol.  in-4°-  Le  tome  viii  est  précédé 
d'imc  excellente  Notice  de  l'éditeur 
sur  la  vie  et  les  écrits  du  cardinal 
Tommasi.  Parmi  les  autres  ouvrages 
du  P.  Vezzozi  on  cite  :  \.  De  lau- 
dibus  Leonis  X  oratio ,  habita  in 
archigj'mnasio  romano  ,  Rome , 
i';52,in-4".ll.  I  scnttori  de'  chie- 
rici  regolari  detti  Teatini ,  Rome, 
1780,  2  vol.  in- 4''.  L'auteur  a  ))ro- 
fité  des  recherches  de  ses  devanciers, 
et  surtout  de  la  Bibliotheca  thcatina 
du  P.  Silos,  qui  s'arrête  à  l'aniicc 
i665;  mais  il  n'en  a  pas  moins  fait 
un  ouvrage  entièrement  no.if,  |)ar  le 
grand  nombre  de  notes  et  de  correc- 
tions ajoutées  à  la  première  partie 


VIA 

de  son  travail,  qu'il  a  continue  jus- 
qu'à l'époque  oii  il  écrivait.  Cet  ou- 
vrage, l'uu  des  meilleurs  eu  ce  fleure, 
donne  une  place  au  P.  Vczzozi  parmi 
les  biographes  les  plus  consciencieux 
et  les  plus  utiles.  W — s. 

VIAIXNES  (Dom  Thierry  Fa- 
NiiiR  ou  Fagnier  de  ),  bcucdictin  de 
la  congrégation  de  Saint -Vannes  , 
naquit  le  18  mars  iGSf),  à  Cliàlons- 
sur-Marne  ,  de  pareuts  distingues  ,  et 
reçut  au  baptême  le  nom  de  Joseph. 
Celui  de  Thierry,  suivant  l'usage  de 
la  congrégation  de  Saint- Vannes ,  lui 
fut  donne  à  sou  entrée  en  religion.  Il 
lit  ses  humanités  et  sa  philosophie 
chez  les  Jésuites.  Un  goût  décide 
])our  le  genre  de  vie  qu'on  menait 
dans  l'ordre  de  Saint-Benoît ,  et  pour 
les  études  qui  y  étaient  cultivées,  lui 
ht  désirer  d'embrasser  cet  état.  Il 
était  l'aîné  de  sa  famille.  Elle  eut  de 
la  peine  à  consentir  à  celte  résolu- 
lion.  Il  entra  au  noviciat  à  Saint- 
Pierre  de  Cliâlons^  au  mois  de  mai 
i(3'y6  ,  et  fit  profession  le  i3  juin  de 
l'année  suivante.  Quoiqu'il  eût  fait 
de  fort  bonnes  études  ,  ou  lui  ht  re- 
commencer sa  philosophie  et  son 
cours  de  théologie.  Envoyé  ,  en 
1G80,  par  ses  supérieurs  à  Saint- 
Vincent  de  Metz ,  il  obtint  d'eux  de 
passer  à  l'abbaye  de  Bcaulicu  en  Ar- 
gonne  ,  où  le  savant  dom  Barthélerai 
Senocy  avait  établi  et  présidait  une 
académie.  Ces  académies  étaient  des 
réunions  de  jeunes  religieux  qui  , 
sous  la  direction  d'un  ancien,  renom- 
mé par  son  savoir  et  son  habileté  , 
se  formaient  aux  grandes  études  ec- 
clésiastiques. Il  y  avait  alors  plusieurs 
de  ces  académies  dans  la  congréga- 
tion. Dom  Tliicny  fut  dans  la 
suite  charge  d'en  ]irésidcr  quel- 
ques-unes. En  i683,  il  revint  à 
<".li;llons  ,  et  y  fut  ordonné  prêtre  par 
M.  de  Noaillc.s  qui  en  était  éyêque. 


VIA 


335 


Il  j)arlagca  alors  ses  occupations  en- 
tre l'élude  et  la  prédication  ,  pour 
laquelle  on  dit  qu'il  avait  des  dispo- 
sitions. Il  enseigna  aussi  dans  dif- 
férentes maisons  de  la  congréga- 
tion ,  entre  autres  à  Verdun  ,  où  il 
se  concilia  l'estime  de  l'évêque.Dom 
Thieriy  avait  du  talent;  il  s'était 
fait  un  fonds  d'un  grand  nombre 
de  belles  et  utiles  connaissances.  Il 
était  irréprochable  dans  ses  mceurs; 
mais  ,  né  avec  un  esprit  inquiet  et 
un  caractère  brouillon  et  remuant  , 
ayant  à  peine  trente  ans  il  avait 
été  exilé  à  l'abbaye  de  Saint-Mi- 
chel,  en  Thiérache,  pour  avoir  con- 
trarié ses  supérieurs  dans  quelques 
changements.  La  part  qu'il  prit  aux 
discussions  du  jansénisme ,  dont  il 
avait  chaudement  adopté  les  opi- 
nions ,  et  le  peu  de  ménagement 
qu'il  mit  dans  sa  conduite  j  sa 
tète  ardente  qui  l'entraînait  souvent 
au-delà  des  bornes ,  lui  occasionnè- 
rent beaucoup  de  disgrâces.  Il  se  dé- 
clara appelant  et  réappcLint  de  la 
bulle  Uni^enitus  au  futur  concile, 
et  fut  à  deux  reprises  enfermé  au 
château  de  Vincenncs.  La  deuxième 
fois  il  n'en  sortit  qu'à  la  mort  de 
Louis  XIV  ;  encore  ne  jouit-il  jjas 
long-temps  de  sa  liberté.  Aimant 
mieux  s'exposer  à  tout  que  de  cesser 
de  soutenir  hautement  ses  opiiuons  , 
il  se  ht  exiler  à  l'abbaye  de  Poul- 
tières  ,  diocèse  de  Langres ,  et  bien- 
tôt après  bannir  du  royaume.  Il  se 
retira  à  l'abbaye  de  Saint-Guislain  , 
en  Hainaut.  Forcé  d'en  sortir  ,  il  alla 
à  Bruxelles,  et  de  là  chez  les  Bénédic- 
tins de  Wlierbeeck  ,  près  Louvain. 
Enfin  ,  il  chercha  un  asile  en  Hol- 
lande ,  et  mourut  à  Rh)^l^vick  ,  près 
d'Utrecht  ,  le  3i  octobre  1735. 
C'était  un  homme  dont  les  talents 
et  l'érudition  auraient  pu  être  uti- 
les à  l'éiilise    et   à    l'état  ,   si  l'es- 


336 


VIA 


prit  de  parti  ue  les  avait  détour- 
nes de  l'emploi  qu'où  devrait  tou- 
jours en  faire.  Des  ouvrages  dont 
Thierry  est  l'auteur ,  et  qui  la  plu- 
part sout  anonymes,  on  connaît  :  I. 
IJ Impiété  reconnue ,  contre  une  thèse 
soutenue  à  Caen,  Coloç^ne ,  1693  : 
cet  écrit  fut  imprimé  à  l'insu  de  son 
auteur.  II.  Problème  ecclésiastique 
proposé  à  M.  l'abbé Boilcau  de  V ar- 
chevêché :  A  qui  doit-on  croire  ,  de 
messire  Louis-Antoine  de  Noaillcs, 
e'vcque  de  Chàlons,  en  i6gS  (ap- 
prouvant les  Réjlexions  morales 
du  P.  Quesnel  )  ,  ou  de  messire 
Louis- Antoine  de  Noailles  ,  arche- 
vêque de  Paris,  en  1696  (  condam- 
nant V Exposition  de  la  Foi,  par 
Barcos  ),  1698,  in-i'2.  Lorsque 
cet  ouviage  parut,  il  fut  générale- 
ment attribué  aux  Jésuites  ;  on  ac- 
cusa le  P.  Daniel  ,  qui  chercha  à 
s'en  justifier  et  qu'on  ne  crut  pas  ,  et 
surtout  le  P.  Doucin  d'en  être  les 
auteurs.  Presque  tous  nos  Diction- 
naires historiques  l'attribuent  à  ce 
dernier  :  on  sait  aujourd'hui ,  à  n'en 
point  douter,  qu'il  est  de  dom  Thier- 
ry, et  lui-même,  dit  le  chancelier 
d'Agucsseau  dans  ses  Mémoires ,  en 
a  fait  l'aveu.  Cet  écrit ,  au  reste ,  est 
composé  avec  tant  d'art,  quebicn  des 
Jésuites  s'y  méprirent,  et  qu'un  P. 
Sobastre  ,  jésuite  flamand,  s'en  ren- 
dit l'éditeur.  Dom  Gerberon ,  de  la 
congrégation  de  Saiut-Maur ,  n'eii 
fut  point  dupe ,  et  y  reconnut  telle- 
ment ses  propres  sentiments,  qu''il 
en  composa  une  apologie.  Un  arrêt 
du  parlement  de  Paris,  du  i4  janvier 
169g,  condamna  le  Problème  k  être 
bi'ûlé.  IIL  Acta  omnia  congregor- 
tioniim  et  disputationum  quœ ,  co- 
ram  Clémente  F III et  Paulo  F,sunt 
cclebratain  congregatione  deAuxi- 
liis ,  Louvain,  1 702,  in-fol.  A  la  tête 
deoet  ouvrage  se  trouve  ime  préface, 


VIA 

supprimée  dans  quelques  exemplai- 
res^ à  cause  de  l'aigreur  qui  y  règne 
contre  les  Jésuites.  L'auteur  y  traite 
de  la  vie  et  des  écrits  de  Thomas 
Lemos,  dominicain  espagnol ,  qui  fut 
admis  et  parut  avec  assez  d'éclat 
dans  ces  congrégations.  Quant  au 
corps  de  l'ouvrage,  dom  Thierry 
rapporte  les  questions  et  les  réponses 
qui  ont  été  faites ,  et  en  général  tout 
ce  qui  s'est  passé  dans  cette  congré- 
gation. IV.  Edmundi  Richcrii  libel- 
lus  de  ecclesiasticd  et  politicd  po- 
testate ,  cum  demonstratione  :  le 
Dictionnaire  des  Anonymes  obser- 
vequeM.Adry  a  vu  le  manuscrit  sur 
lequel  cette  édition  fut  donnée.  Il 
avait  appartenu  à  un  chanoine  de 
Troves  nommé  Breyer.      L — y. 

VlAL  DU  GLAIRBOIS  (  Honore- 
SÉDASTitN  ) ,  directeur  de  l'école  des 
ingénieurs  de  vaisseaux  et  chef  du  gé- 
nie maritime  à  Brest,  naquit  à  Paris 
le  27  mars  1733.  A  l'âge  de  dix-sept 
ans,  il  eutra  dans  la  marine,  et  ser- 
vit en  qualité  de  volontaire  et  de  lieu- 
tenant sur  divers  bâtiments  du  com- 
merce. En  1754,  il  passa,  comme 
fusilier,  dans  le  régiment  de  Vaube- 
court,  infanterie.  Il  y  servit  dans  dif- 
férents grades,  jusqu'au  mois  de  juin 
1777,  où  il  rentra  dans  la  marine, 
en  qualité  de  sous-ingénieur.  Les  ta- 
lents qu  il  déploya  dans  la  construc- 
tion navale  ne  tardèrent  pas  à  le  por- 
ter au  rang  d'ingc'uieur-constructcur 
en  chef,  qu'il  obtint  en  1 793.  Nommé 
successivement  directeur  des  cons- 
tructions au  port  de  Lorient,  puis 
chef  du  quatrième  arrondissement 
forestier  à  Rouen,  le  zèle  et  la  supé- 
riorité dont  il  fît  preuve  dans  ces 
fonctions  fixèrent  sur  lui  l'atten- 
tion du  chef  du  gouvernement,  qui 
le  nomma  ,  eu  1801  ,  directeur  de 
l'école  spéciale  du  génie,  au  port  de 
Brest;  emploi  qu'il  consci-va  jusqu'au 


VIA 

mois  d'août  1810,  époque  à  laquelle 
son  grand  âge  et  de  longues  fatigues 
le  forcèrent  à  se  retirer  du  service. 
Vial  du  Clairbois  est  mort  à  Brest , 
le  20  décembre  18 16.  On  a  de  lui  : 
I.  Essai  géométrique  et  pratique 
sur  l'architecture  navale  ,  Brest , 
1776,  3  tomes  en  un  vol.  in -8"., 
fig.  II.  Traité  élémentaire  de  la 
construction  des  vaisseaux ,  à  Vu- 
sage  des  élèves  de  la  marine ,  Pa- 
ris, 1787-1*305,  2  vol.  in-4'^'.,  lig. 
III.  Une  Traduction  du  Traité  de  la 
construction  desvaisseaux,  de  Cliap- 
man,  avec  des  notes  ,  Brest,  1781  , 
in-4".,  fig.  Vial  du  Clairbois  fut  un 
des  principaux  collaborateurs  de 
l'Encyclopédie  metliodi([ue.  Le  Dis- 
cours préliminaire  et  le  Tableau  ana- 
lytique qui  précède  la  partie  marine 
sont  de  l-^i.  H — q — iv. 

VI  AL  ART  DE  HERSE  (  Félix  ) , 
e'yèque  de  Cliàlons-sur  Marne,  ne  à 
Paris  en  i6o3,  était  fils  d'un  con- 
seiller au  parlement.  Sa  mère  ,  Char- 
lotte de  Liguy,  fut  une  des  plus  zé- 
lées coopératrices  de  saint  Vincent  de 
Paul.  Restée  veuve  de  bonne  heure, 
elle  veilla  elle-même  à  l'éducation 
de  son  fils ,  qui  entra  dans  l'état  ec- 
clésiastique, et  prit  en  TG381e  bonnet 
de  docteur  de  la  maison  de  Navar- 
l'e.  En  1640,  Vialart  ,  déjà  abbé 
de  Pébrac ,  fut  fait  coadjuteur  de 
Cliàlons ,  sur  le  refus  de  l'abbé  Olier. 
L'évèque  de  Cliâlons  étant  mort  peu 
après  cette  nomination ,  le  coadjuteur 
devint  titulaire  de  ce  siège ,  mcme 
avant  d'avoir  reçu  ses  bulles  de  coad- 
juteur. 11  fut  sacré  en  1642,  et  se 
proposa  saint  Cliarles  Borromée  pour 
modèle.  Il  établit  un  séminaire,  lui 
assigna  des  revenus  ;  et  pour  mieux 
surveiller  cet  établissement ,  il  alla  y 
demeurer  lui-même,  et  y  passa  \es 
vingt  dernières  années  de  sa  vie.  Le 
pauvre  et  le  riche  avaient  un  égal  ac- 

XLVIII. 


VIA  337 

ces  auprès  de  lui;  et  les  Protestants 
même  étaient  touchés  de  sa  vertu. 
Il  en  fit  entrer  plusieurs  dans  le  sein 
de  l'Église.  Une  mission  qu'il  donna 
à  sou  diocèse ,  en  1666  et  lôG'' ,  eut 
les  plus  grands  fruits.  Il  avait  appelé 
de  tous  côtés  de  pieux  et  zélés  ou- 
vriers ;  et  lui-inême  était  à  leur  tête , 
donnant  l'exemple  ,  réformant  les 
abus ,  et  pour\  oyant  généreusement 
à  toutes  les  dépenses.  Par  ses  soins  , 
un  collège  fut  établi  à  Vitry;  trois 
communautés  dé  filles  se  formèrent  à 
Cliàlons ,  poiu-  les  écoles-  et  de  sa- 
ges institutrices  furent  distribuées 
dans  le  diocèse.  T/institutiou  des  con- 
férences ecclésiastiques ,  la  tenue  de 
diliérents  synodci>,  des  visites  pasto- 
rales ,  de  sages  règlements  ,  marquè- 
rent son  épiscopat.  Dans  une  inva- 
sion de  troupes  ennemies ,  les  gens 
de  la  campagne  s'étant  réfugiés  de 
toutes  parts  à  Chapons,  l'évèque  leur 
procura  les  moyens  de  subsistance. 
11  mourut  le  10  juin  1680,  ayant 
laisse,  par  son  testament,  tout  son 
bien  aux  pauvres.  Cet  évêque  avait 
été  un  des  principaux  médiateurs 
dans  l'afTaire  du  Formulaire.  Son 
diocèse  hii  dut  un  Rituel,  publié 
en  1  ()49  ,  des  Ordonnances  ,  Man- 
dements et  Lettres  pastorales  pour 
le  rétablissement  de  la  discipline, 
pour  les  visites  ,  pour  l'adminis- 
tration des  sacrements,  etc.  Un  cure' 
du  diocèse  ,  Pierre  Garnier,  avait 
composé  un  Recueil  des  principaux 
faits  de  sa  vie.  Cet  ouvrage  est  resté 
manuscrit.  P — c — t. 

VIALART.  /^.Charles DE  Saint- 
Paul  et  Saint-Morys. 

VIALLET.  Tor.  FiALETTi. 

VL\NEouV1AN(FrançoisVan), 
théologien  de  Louvain,  né  à  Bruxel- 
les le  3  oct.  iGiô  ,  étudia  au  collège 
du  pape  Adrien  VI  à  Louvain ,  et  fut 
appelé,  comme  directeur ,  au  sémi- 
22 


338 


VIA 


iiaire  de  Malincs.  Il  c\crça  quelque 
temps  les  fouctious  du  ministère  à 
Bruxelles, et  retourna  ensuite  à  Lou- 
vain,  où  il  fut  fait  président  du  col- 
lège du  pape.  Son  zèle  dans  cette  pla- 
ce justifia  ce  chois.  Après  l'avoir 
remplie  long-temps  avec  assiduité , 
Van  Viane  donna  sa  démission,  et 
continua  de  demeurer  d.ius  le  collège, 
sans  emploi.  En  'G'j'j,  l'université 
de  Louvain  le  chargea  d'aller  à  Ro- 
me, avec  Lupus  et  Sleyaërt,  pour  y 
déférer  des  propositions  de  morale 
relâchée,  qui  furent  en  cllet  condam- 
nées en  16-9.  On  approuva  aussi  des 
censures,  portées  àLpuvain  et  à  Douai, 
contre  la  doctrine  de  I^ssius.  \  an 
Viane  revint  à  Louvain ,  et  y  mou- 
rut le  5  scptcmltre  i(>()3.  Ou  a  de  lui 
un  gros  Traité  latin  :  De.  ordiiie  amo- 
ris  ,  Louvain  ,  iGH.ï  ,  in- 8".  ;  un  au- 
tre Traité  :  De  pratià,  qui  n'a  pas 
été  imprimé  ;  mais  il  s'en  est  ré- 
pandu de  nombreuses  copies.  — 
Matthieu  Van  Viane,  son  frère, 
aussi  théologien  ,  était  un  homme  la- 
horieux  et  désintéressé,  qui  refusa 
les  places  et  les  honneurs,  pour  se 
livrrr  à  l'étude.  Il  mourut  à  Louvain, 
dans  le  collège  du  pape,  le  i(3  no- 
vembre iGôJJ,  n'étant  âgé  que  de 
quarante  ans.  On  ne  connaît  de  lui 
«jue  deux,  écrits  en  latui  :  l'un  est  une 
prohibition  du  livre  de  Caramuel , 
faite  par  l'archevêque  de  Malines  , 
en  1655  ;  et  l'autre  est  un  opuscule 
sur  l'ignorance  du  droit  naturel,  que 
Nicole  a  traduit  en  françaiselaccom- 
pagné  d'une  préface  et  de  notes. 

P  — C— T. 

VIANI  (  Anton-Mari  A  ),  pein- 
tre ,  surnommé  le  Vianmo ,  né  à  Cré- 
mone vers  1 540 ,  fut  élève  des  Caïu- 
pi ,  et  sut  s'.Tpproprier  leur  manière. 
La  frise  qui  orne  la  grande  galerie 
du  palais  des  ducs  de  Mantoue  est 
absolument  dans  leur  style.  Ce  sont 


VIA 

des  groupes  d'enfants  du  caracièie 
le  plus  gracieux ,  peints  en  clair  obs- 
cur sur  un  fond  d'or  et  séparés  en- 
tre eux  par  des  festons  de  fleurs  et 
de  fruits.  C'est  également  dans  le 
style  des  Campi  qu'il  exécuta  plu- 
sieurs tableaux  lires  de  l'Histoire 
sainte  ,  et  dont  les  plus  remar- 
quables sont  le  Saint  Michel  que 
l'on  voit  dansl'église  de  Sainte-Agnès, 
et  le  Paradis  qui  décore  celle  des 
Ursulines.  Le  duc  de  Mantoue,  Vin- 
cent de  Gonz-acrue ,  l'accueillit  avec 
distinction  à  sa  cour,  et  se  l'attacha 
en  qualité  de  peintre  ;  après  la  mort 
de  ce  prince ,  Viani  fut  également 
au  service  de  ses  trois  successeurs.il 
s'établit  avec  toute  sa  famille  à  Man- 
toue ,  où  il  mourut  dans  un  âge  as- 
sez avancé.  —  Jean  Viani  ,  peintre, 
né  à  Bologne  en  i  536  ,  fut  élève  de 
Flaminio  i'orre  et  condisciple  du 
Pa>;inelli  ;  c'est  seulement  par  con- 
jecture que  l'on  avance  qu'il  aida  ce 
dernier  dans  ses  travaux.  Ce  fut  un 
peintre  remjdi  de  science ,  et  qui  n'est 
inférieur  ,  sous  le  rapport  du  dessin  , 
à  aucun  de  ceux  qui  suivirent  la  mê- 
me école  que  lui.  11  ne  négligea 
rien  pour  perfectionner  son  talent  ; 
dessinant  sans  relâche  d'après  le 
nu  ,  et  étudiant  l'anatomic  jus- 
qu'à la  fin  de  ses  jours.  A  un  savoir 
aussi  solide  il  sut  joindre  la  beauté 
des  formes  ,  la  pastosité  du  coloris  , 
la  grâce  des  mouvements  ,  la  légère- 
té des  draperies.  Ses  études  d'après 
nature  furent  immenses  j  il  recher- 
chait en  tout  le  vrai  qu'il  savait  em- 
bellir d'après  l'exemple  ou  du  Torre 
ou  du  Giùde.  Le  tableau  plein  de 
délicatesse  de  Saint  Jean  de  Dieu  , 
qui  décore  l'hôpital  des  Buonfratelli 
à  Bologne,  est  dû  à  son  pinceau. 
Dans  le  vestibule  des  Servitcs ,  il  re- 
présenta ,  sur  une  des  Imiettes  , 
Saint   Philippe     Benizi  porté    an. 


VIA 

ciel  par  deux  auges.  La  face  , 
l'essor  (lu  Licnhcureiix  expriment  la 
vraie  idée  de  la  bcatitudc  ;  et  quoi- 
que le  Cignani  ait  peint  en  regard  un 
autre  sujet,  le  tableau  de  \'iani  sou- 
tient dignement  le  paralllle.  Les 
peintures  qu'il  a  faites  dans  d'autres 
lunettes  du  même  vestibule  n'ont  point 
excite  la  même  admiration  ,  et  il 
])eut  être  mis  au  rang  de  ces  artistes 
qui  ne  parviennent  à  marcher  de 
pair  avec  les  ])lus  habiles  maîtres, 
(pi'eii  travaillant  leurs  ouvrages  avec 
bien  plus  de  soin  ijue  ne  le  font  ordi- 
nairement ces  derniers.  Le  Viani 
mourut  en  i-joc.  Il  dirigea  une  éco- 
le rivale  de  celle  du  Cignani ,  et  de 
laquelle  sont  sortis  une  foule  d'ar- 
tistes distinguc's  ;  son  fils  Dominique 
en  fut  directeur  après  lui.  —  Do- 
minique Viani  ,  îils  et  c'Iève  du 
j)rccc'dent  ,  naquit  à  Bologne  en 
1GG8.  (ïuidalotti  a  écrit  la  vie  de  ce 
])oiiilre  ,  et  lui  accorde  un  talent  su- 
périeur à  celui  de  son  père  ;  mais  ce 
jugement  n'a  point  ctè  conlirmè  par 
les  véritables  connaisseurs.  Le  Iils 
n'a  point  atteint  à  ce  degré  d'exacti- 
tude ,  et  encore  moins  à  cette  no- 
blesse de  dessin  qui  distinguent  le  pè- 
re ,  et  il  lui  est  inférieur  également 
dans  la  vérité',  la  variété  et  lebrillant 
du  coloris.  Cependant  il  eut  peut- 
être  plus  de  grandiose  dans  ses  con- 
tours ,  une  touche  plus  fière  et  ap- 
prochante de  celle  du  Guerchin  j  un 
goût  d'ornement  plus  somptueux  et 
plus  dans  le  génie  des  Vénitiens  dont 
il  étudia  avec  succès  les  chefs-d'œu- 
vre à  Venise.  C'est  de  lui  qu'est  le 
Saint  Antoine  convertissant  iinHé- 
térodoxe  au  moyen  d'un  miracle  , 
que  l'on  admire  dans  l'église  du 
Saint-Esprit  de  Bergame  j  tableau 
surprenant  ,  et  que  Rotari  et  Tie- 
polo  ont  célébré  comme  un  ouvrage 
nsigne  j  et  peut-être  le  Viani  n'a-t- 


VIA  339 

il  laissé  dans  Bologne  aucun  ouvra- 
ge d'un  mérite  aussi  remarquable. 
Cependant  on  vante  cxtiêmement  le 
Jufiiler  peint  sur  cuivre ,  l'un  des 
ornements  de  la  galerie  Ratta.  Le 
Viani  parcourut  une  partie  de  VI- 
talie ,  laissant  partout  des  preuves 
de  sou  talent.  11  mourut  à  Pistoie  en 
171 1  ,  âgé  seulement  de  quarante- 
trois  ans.  P — s. 

VIANI  (George),  numismate, 
né  en  i-^Ga  ,  cultiva  d'abord  les 
belles-lettres  et  la  poésie ,  et  publia  , 
à  l'âge  de  vingt-deux  ans ,  un  petit 
Recueil  de  vers  ,  et  peu  de  temps 
après  (  1788  )  un  drame  sur  la 
mort  de  Socrate,  en  société  avec 
deux  de  ses  amis ,  Gaspard  Mollo  et 
Sauli  :  c'est  une  critique  ingénieuse 
d'Allieri  ,  qui  n'avait  point  encore 
familiarisé  avec  l'âpretéde  son  style 
des  oreilles  accoutumées  à  la  dou- 
ceur et  à  la  mélodie  de  Métastase  , 
et  qui  a  dû  plus  tard  à  ce  défaut 
même  une  partie  de  sa  gloire  dra- 
mati(jue.  jNlais  ce  ne  sont  pas  ces 
productions  qui  ont  fait  la  renommée 
de  Viani  :  il  s'est  acquis  des  titres 
plus  positifs  à  l'estime  des  amis  des 
lettres.  Il  abandonna  la  littérature 
pour  se  livrer  à  l'étude  de  la  numis- 
matique. Voyant  que  l'ancienne  nu- 
mismatique avait  été  assez  ample- 
ment cultivée,  iUustrée  par  d'habiles 
écrivains _,  et  notamment,  pour  ne 
parler  que  des  modernes,par  Eckelet 
Neumanu,  dontles travaux,  ainsi  que 
ceux  de  leurs  prédécesseurs,  avaient 
encore  été  perfectionnés  et  améliorés 
tout  récemment  par  Scstini ,  Viai:i 
s'occupa  de  la  numismatique  qui  est 
moins  éloignée  de  nous ,  c'est-à- 
dire  ,  de  celle  du  moyen  âge.  Il  se 
mit  à  lire  et  à  comparer  tout  ce 
qui  a  été  spécialement  écrit  par  Carli 
et  par  Zannetti  ;  et  il  y  trouva  am- 
ple matière  à  des  corrections  et  aug- 


Vtu  VIA 

jncutations  :  tics-lors  ses  trav,iu\  eu- 
rent ])oui'  but  principal  de  faire  des 
additionsà  Zannctti.  Dans  cette  vue, 
noa-seulcraent  il  dut  parcourir  et  exa- 
miner tout  ce  (pi'on  avait  déjà  écrit 
iirles  monnaiesd'Italie;maiss'étant 
jïourvu  d'liistoires,de  diplômes,  et  de 
tous  les  imprimés  ou  manuscrits  utiles 
à  son  desseiu  ,  il  entra  eu  correspon 
dancc  avec  tous  les  directeurs  des 
monnaies, et  doiuia  commission  aux 
lettrés,  négociants  tt  à  ses  amis  ,  de 
lui  procurer  toutes  sortes  de  vieilles 
monnaies  d'Italie  qu'd  achetià  tous 
j)rix  ,  portant  à  un  tel  exci-s  la  ma- 
nie de  rendre  sa  collection  aussi 
nombreuse  et  au^si  complèlc  qwc 
possd)lc,  que  celte  ambition  le  ré 
duisit  souvent  au  dénuement  le  plus 
absolu.  Il  ne  mit  pas  moins  d'ap- 
plication cl  de  zèle  à  bien  observer 
1(  s  monuments ,  à  eu  tirer  des  des- 
sins. Il  disait  gaîraent  :  «  Je  n'ai 
»  qu'un  a-il  ;  il  avait  perdu  l'autre]; 
H  mais  je  vois  plus  clair  que  ceux 
»  qui  en  ont  deux.  •>  L'étude  de  la 
numismatique  «lu  moyen  âge  ofliu- 
une  partie  plus  iiitercssanle  que 
r.jni'iennc  :  c'est  la  valeur  monétaire, 
pour  laquelle  on  doit  observer  les 
divers  caraclcre.s  de  l'impre.-sion,  la 
qualité  du  métal,  et  la  valeur  in- 
trinsèque ;  le  crédit  des  monnaies 
dans  les  diflcrcnls  temps  et  dans  les 
dillérenles  places.  Viani  était  parfai- 
tement instruit  de  tout  cela,  cl  il  fut 
souvent  consulté  par  les  ministres 
des  llnancesde divers  gouvernements; 
})ar  les  directeurs  des  monnaies  cl  les 
négociants.  Quant  à  la  par  tic  érudite, 
c'est-à-dire  a  la  science  numisma- 
tique considérée  comme  monumeiit 
de  l'Histoire,  elle  lui  fournit  de  nom- 
breux documents  sur  les  principautés 
rt  sur  divers  États  et  villes  d'ilalie  , 
ainsi  que  sur  celles  des  familles  qui  eu- 
rent réellement  ou  qui  s'arrogcrenl 


VIA 

le  droit  de  battre  monnaie.  Son  pre- 
mier essai  dans  cette  science  fut  : 
Meinorie  délia  famiglia  Cibo,  e  dél- 
ie moTietc  di  Massa  di  Litnigiana  ^ 
Pise,  1H08,  in-4". ,  avec  quatorze 
planches ,  contenant  les  empreintes 
de  cent  vingt-huit  moimaies, frappées, 
depuis  I  jog,  par  les  piiuces  de  cette 
famille  :  ouvrage  nouveau  par  son 
sujet,  dont  on  admira  généralement 
l'érudition  et  l'exactitude.  L'auteur 
promit  de  publier  dans  un  second 
volume  les  monuments  diplomati- 
ques inédits;  mais  il  ne  put  aller  au- 
delà  de  la  sixième  feuille  ,  et  c'est 
une  perte  pour  l'histoire.  Ce  volume 
avait  pour  titre  :  appendice  ai  Di- 
plomi  cd allri  moniimenti  citalinel- 
Ic  Mcmoric  dclla  famiglia  Cibo  ,  e 
délie  monde  di  Massa  di  Luni- 
giana.  \,n  partie  imprimée  contient 
onze  documents  ,  des  années  [)Qi  à 
iSi-j.  Tout  en  se  livrant  avec  une 
ardeur  infatigable  à  son  principal 
travail  sur  l'ouvrage  de  Zannctti , 
Viani  réveillait  de  temps  en  temps  les 
espérances  des  érudits  ,  par  la  pu- 
blication de  quelques  opuscules  sur 
des  sujets  peu  connus.  C'est  à  co 
genre  d'écrits  qu'appartient  celui 
Délia  Zccca,e  délie  monele  di  Pis- 
toja.  11  traita  ce  sujet  à  l'occasiondc 
questicuisqui  lui  furent  adressées  par 
l'abbé  Sébastien  Ciampi  ,  sur  la  va- 
leur et  l'e^ipère  de  monnaie  courant»^ 
à  Pistoie  ,  du  douzième  au  quator 
zième  siècle.  La  première  édition  en 
fut  jointe  à  l'ouvrage  de  Ciampi ,  in- 
titule :  Nolizie  inédite  dalla sacres- 
tia  Pistoiese,  etc.,  Florence,  1800. 
L'auteur  en  lit,  en  1810  ,  une  réim- 
pression qu'd  enrichit  de  nouvelles 
notes  ,  et  de  sa  réponse  à  quelques 
dillicultcs  proposées  par  des  savants 
pisloieiis.  Une  autre  preuve  des  pro- 
fondes connaissances  de  Viani  est 
l'extrait  d'un  travail  numismatique 


VIA 

lin  cumlc  Galeaui  Na[)ioiie  de  Coc- 
cauato,   sur  quelques  monnaies  du 
Piémont ,  insère' ,  en  l8i5  ,  dans  la 
collection  dos  Opuscules  scientifi- 
ques et    littéraires  de  Florence  , 
XVII,  p.  io'2.  L'opinion  desaç^rande 
capacité  dans  ces  inatiîrcs  était  si 
bien  c'tablie ,  que  l'académie  de  Liic- 
((ues  ayant  forme  le  projet  de  re- 
cueillir   des    Mémoires    j)our    une 
Histoire   universelle    de    l'ctat  luc- 
<Iuois  (  dont  plusieurs   volumes  ont 
etc     publiés     dcj>uis    )  ,     chargea 
Viani  de  la  compilation  des  Notices 
concernant    l'établissement    de    la 
ÎMonuaie  ,   et  les  monnaies  de  Luc- 
ques.  Personne  plus  que  lui  n'était 
capable  de  bien  remplir  une  jjareillc 
t.Iclie.Ce  travail  enUaildans  le  plan 
de  son  grand  ouvrage  ;  mais  la  com- 
mission  spéciale  qu'il    avait   reçue 
exigeait  un  travail  plus   particulier 
et  plus  étendu.  Pendant  qu'il  s'occu- 
pait de  son  grand  ouvrage  sur  Zan- 
nctti  ,  Viani  fut  enlevé  au  monde  sa- 
vant le  2déc.  18  iG,  après  avoir  reçu 
les  secours  de  la  religion.   11  était 
sorli  de  son   lit  un  instant  aupara- 
vant, et  ayant  ouvert  son  secrétaire, 
il  avait  envoyé  des  papiers  à  divers 
amis  ,  avec  celte  inscription  :  Gior- 
gio   Plani  suinta  ,    restiluiscc   e 
muore.  Il  avait  disposé,  par  son  tes- 
tament, de  la  vente  de  son  musée, et 
prescrit  qu'elle  eût  lieu  par  classes  , 
préférant   pour   chacune   les   ama- 
teurs respectifs  (ju'il  indiqua  nomina- 
tivement. Il  laissa  ses  écrits  de  tout 
genre  et  ses  papiers  anciens  à  son 
ami,  le  chapelain  Ranieri  Zuchelli  ; 
et  sa  correspondance  numismatique  et 
littéraire  à  Sébastien  Ciampi,   Voici 
la  liste  de  ses  ouvrages  imprimés  :  I. 
Saggio  poetico  ,  Londres  (Final  ) , 
1784,   iu-4".    II.   Glicera ,  Berlin 
(  Lucqiies),  1785  ,  in-80.   III.  Me- 
morie  délia  famiglia  Ciho  e  délie 


VIA  341 

Monde  di   Massa  di   Lunigiuna  , 
Pise  ,  1808,  iii-4"-;.  fig-  IV.  Me- 
morie  d'unn  Moue  ta  inédit  a  délia 
Repuhlica   di  Pisa  ,  Pise  ,    1 809  , 
fig.  Ou  retrou\c  ce  Mémoire  dans  le 
Recueil  intitulé  :  Pisa  illustrata  ,  t. 
I  ,  p.  47G.   V.  Lettera  intorno  aile 
Monete,  ed  alla  Zeccfl  di  Pistoja, 
Pise,    181 3,  in-8".,  lig.   VI.  ï^is- 
tratto  d'un  Opéra  Nnmisniatica  di 
S.  E.  il  Sign.  Conte  Gian-Francesco 
Galeani Napione  ,  Florence,  181 3, 
in-8'\  VII.  Diverses  Poésies  et  des 
morceaux   de  Prose,  insérés  dans 
dilférenls  recueils  ,  et  publiés  sépa- 
rément. 11  a  laissé  en  manuscrit  des 
descriptionsdes  monnaies  d'un  grand 
nombre  de  villes  d'Italie  ;  des  notices 
sur  les  princes  et  seigneurs  d'Italie 
qui   lireiil  battre  monnaie;   sur  les 
familles   italiennes  qui  s'en  arrogè- 
rent  le   droit  ;    siu-    l'histoire    des 
monnaies  modernes  de  la  Sardaigne; 
sur  des  archives  généralcsdont  l'éta- 
blissement fut  projeté  par  la   prin- 
cesse deLucques  et  dePiombino;  sur 
la  distribution  et  la  conservation  du 
cabinet  nuiuisinatique   de  la   même 
princessejsur  l'Histoire  des  monnaies 
modernes  de  Parme  ,  etc.  Ces  détails 
sont  tirés  d'une  Notice  sur  la  Fie 
littéraire  et  les  écrits  mmiismati- 
qucs  de  George  T'iani ,  ))ubliéc,  en 
181 7,  à  Florence,  parSéb.  Ciampi, 
l'un  des   exécuteurs   testamentaires 
de  ce  célèbre  numismate.     M-g-r. 

VIARD  ou  WIART  était  un 
sim|ile  frère convers  delà  Chartreuse 
de  Lngiiy  ,  près  de  Châtillou-sur- 
Seine.  Se  croyant  apjielé  à  une 
vie  plus  austère  que  celle  qu'on 
Y  menait ,  il  demanda  à  ses  supé- 
rieurs la  permission  de  sortir  du  mo- 
nastère pour  suivre  cette  vocation. 
Il  choisit  pour  sa  retraite  une  vallée 
profonde  ,  située  au  milieu  d'une 
épaisse  forêt,  appelée  le    Fal-des- 


34a  VIA 

Chcux  ,  à-peu-près  à  la  distance  de 
deux  lieues  de  Luguy.  Là  il  se  logea 
dans  une  caverne  ,  et  se  livra  à  des 
austérités  extraordinaires.  Découvert 
par  des  gens  du  pays  ,  il  se  vit  bien- 
tôt l'objet  d'une  célébrité'  qu'il  n'a- 
vait pas  chercbéc.  Son  nom  parvint 
jusqu'au  duc    de  Bourgogne   qui  , 
ïfrappé  de  ce  qu'on  disait  de  ce  genre 
de  vie  ,  daigna  visiter  le  nouvel  er- 
mite, et  voulut  Lien  aller  quelquefois 
s'entretenir   avec   lui.     Une   guerre 
étant    survenue  ,  le  prince ,  sur   le 
point  de  livrer  bataille  ,  fit  vœu  de 
Làlir  un  monastère  dans  le  lieu  ha- 
bité par  Viard,   s'il  revenait  vain- 
queur. Il  remporta  la  victoire  ,   et 
accomplit  son    vœu.   Des  disciples 
vinrent  se  joindre  à  Viard  ,  il  se  for- 
ma une  communauté  -,  on  adopta  une 
règle  ,    et  d'autres    établissements 
ayant  embrassé  le  même  institut ,  il 
en  résulta  une  nouvelle  société  qui  prit 
le  nom  d' Ordre  du  ral-dcs-Choux , 
du  lieu  où  elle  avait  commence.  KlJe 
fut  ensuite  approuvée  par  les  papes 
Innocent  III  et  llonorius  III.  Telle 
est  la  tradition  du  pays  au  sujet  de 
Viard,   et  de  la   fondation  de  cet 
ordre.   Telle  est  aussi  l'origine  que 
lui  donne  Fleury  d'après  des  Mémoi- 
res manuscrits  (  i  ),  Suivant  cette  ver- 
sion ,  Viard  serait  arrivé  au  Val-dcs- 
Clioux  le  deuxièm.e  jour    de   uov. 
I  if)3  :  «  Ce  que,  y  est-il  dit,  porte 
une  ancienne  inscription   de  l'égli- 
se.  »  Mais  des  monuments   qu'on  y 
voyait    encore  aux  derniers  temps 
ne    permettent    pas    d'attribuer    à 
Viard  la  fondation  de  cet  ordre ,  et 
renversent   par  conséquent  tous  les 
fondements   de   cctie  tradition  vul- 
gaire. Il  en  résulte  bien  que  le  Val- 
des-Choux  fut  fondé  par  un  duc  de 
Bourgogne  du  nom  d'Eudes,  mais  fort 


(')  H  in.  fcelif. ,  toaxa  XY,  IWrt  ■:] ,  chap.  /jo 


VIA 

antérieurement  à  la  date  indiquée  ])ar 
Fleury.  Le  premier  supérieur  de  ce 
monastère  se  nommait  Gui  (  Guido), 
et  le  deuxième  Humbert.  C'est  ce 
qu'attestent  les  deux  vers  suivants , 
inscrits  sur  leurs  tombeaux  ,  qu'on 
voyait  encore  dans  l'église  avant  la 
révolution  : 

f/ic  duo  iuni  fratres  caput  ordini.s  el  prolopalres  , 
iftiUloet  Humhefius  :  sit  Christusutrique miserîuim 

L'inscription  d'ailleurs  citée  par  Fleu- 
ry ne  porte  point  la  date  de  1 193  , 
Kiais  celle  de  i.2Ç)3,  de  cent  ans  moins 
ancienne.  Dom  Martcnne  et  dom  Du- 
rand ,  qui  visitèrent  le  Val-des- 
Choux  eu  i-joSjCtqui  nous  four- 
nissent ces  renseignements,  ont  con- 
servé cette  inscription  dans  leur 
Voyage  littéraire  (2) ,  et  elle  est  con- 
çue ainsi  qu'il  suit  :  M.  CCXCIII, 
Quarto  nonas  noi'embris  ,  inlravit 
frater  JFiardus  in  chorum  Fallis 
CauJium.  Il  y  avait  donc  déjà  envi- 
ron cent  ans  qu'il  existait  au  Val-des- 
CI10UX  un  monastère  entièrement 
organisé,  ayant  uue église,  un  cliœur 
(  chorum  ) ,  et  des  religieux  qui  y  fai- 
saient l'oftioe,  lorsque  Viard  y  arri- 
va. Il  se  peut  qu'il  s'y  soit  distingué 
par  la  sainteté  de  sa  vie  ,  et  qu'il  ait 
mérité  que  son  nom  passât  à  la  pos- 
térité j  mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait 

en  rien  participé  a  la  fondation 

Cependant  les  auteurs  du  GalUa 
christiana  la  lui  attribuent  aussi  (3). 
Mais  embarrassés  des  deux  tombeaux 
de  Gui  et  Humbert ,  et  des  expres- 
sions caput  ordinis  et  protopatres  , 
ils  supposent  que  Gui  et  Viard , 
Guido  seu  Viardus ,  ne  sont  qu'un 
seul  et  même  personnage,  supposition 
absolument  gratuite^  qui  ne  les  sauve 

{■>■)  Pag.  ai3. 

(3|  Toiii.  IV  ,  col.  ••!^•t.  Le  Gallia  christiana 
n'ayant  été  imprimé  qa  en  J^îS,  tt  le  Voyage  lit- 
téraire publié  en  i"»^  i  ""  s'étonne  que  les  auteurs 
dupremier  tic  ces  ouvrages  n'aient  pas  profité  «le» 
observations  de  leurs  coiifrcrcs. 


VIA 

pas  de  la  difficulté  de  l'expression 
intravit  in  chorum ,  laquelle  ne  peut 
s'appliquer  qu'à  un  établissement  déjà 
existant.  L'ordre  du  Val-des-Clioux 
avait  environ  trente  maisons  dans  la 
Bourgogne.  Le  prieur  du  monastère, 
qui  ne  prenait  point  d'autre  titre,  en 
était  le  supérieur-général.  La  règle 
qu'on  y  observait  n'était  ni  celle  des 
chartreux  ,  ni  celle  de  Cîteaux ,  quoi- 
que le  cardinal  de  Vitry  lui  attribue 
celle-ci;  c'était  un  compose  des  règles 
de  ces  deux  ordres  et  de  celui  de 
Saint-Benoît.  L'habit  de  ces  religieux 
était  blanc  ,  et  ressemblait  à  celui  des 
chartreux  pour  la  forme  ,  à  quelque 
diirérence  près.  Leur  vie  était  aus- 
tère. Ils  avaient  le  travail  des  mains^ 
vivaient  de  la  culture  de  leurs  vastes 
jardins,  et  de  quelques  terres  qui  les 
avoisinaicnt.Ilsnc  recevaient  de  reli- 
gieux qu'autant  qu'ils  pouvaient  en 
nournr  ,  pour  n'être  à  charge  à  per- 
sonne. L'ordre  avait  cessé  d'exister 
avant  la  révolution.  L'abbaye  de 
Sept-Fons  ,  de  l'étroite  observance 
de  Cîteaux  ,  avait  envoyé  au  Val-des- 
Choux  une  colonie  qui  y  résida  jus- 
qu'à la  suppression  des  établissements 
religieux.  L — y. 

VIARD  (  le  comte  Pierre-Joseph 
Ut) ,  géuéral  autrichien ,  né ,  en  1 655, 
à  Bitch ,  où  son  père  était  comman- 
dant pour  le  duc  de  Lorraine,  suivit, 
dès  sa  jeunesse,  dans  son  expédition, 
le  duc  Charles  V ,  surnommé  \ejléau 
des  Othomans ,  et  se  fit  remarquer 
par  un  grand  courage  dans  les  guer- 
res de  Hongrie  et  contre  les  Turcs. 
Il  passa  par  tous  les  grades ,  et  par- 
vint à  celui  de  feld-maréclial- lieute- 
nant: fut  créé  baron ,  et  ensuite  com- 
te de  l'empire.  Ce  fut  surtout  aux 
journées  de  Péterwaradin  et  de  Bel- 
grade qu'il  se  distingua.  Il  comman- 
dait l'aile  gauche  de  l'armée  impé- 
riale à  la  première  de  ces  deux  ba- 


VI A 


341 


tailles;  et  il  contribua  beaucoup  à  la 
victoire,  en  chargeant  en  flanc  la  ca- 
valerie des  Turcs,  dans  un  moment 
où  elle  paraissait  victorieuse.  Il  fit 
faire  à  sa  troupe,  devant  Belgrade, 
un  mouvement  qui  ne  fut  pas  moins 
décisif;  et  le  prince  Eugène  l'en  féli- 
cita hautement,  en  présence  de  tout 
son  état -major.  Ce  brave  général 
avait  servi  sous  trois  empereurs,  et 
il  s'était  trouvé  à  plus  de  cinquante 
batailles  ou  combats,  tant  en  Hon- 
grie qu'en  Allemagne  ^  contre  les 
Turcs.  Il  mourut  à  Chisbourg  en 
Transilvanie ,  le  23  avril  1718,  sans 
avoir  été  marié.  M — d  j. 

VI AS  (B^\LTHASAR  de),  poète  la- 
lin,  naquit  à  Marseille  le  19  sep- 
tembre 1587.  Son  père  (  Jacques  de 
Vias  ) ,  conseiller  et  maître  des  re- 
quètcsde  Catherine  de  Médicis,  ayant 
été  banni  pour  son  dévouement  à  l'au- 
torité royale  ,  se  réfugia  à  Pise  ,  où 
sa  femme  le  rejoignit  avec  leur  fils  , 
et  ne  revint  à  Marseille  que  lorsque 
cette  ville  eut  secoué  le  joug  des  Li- 
gueurs {T.  LiEERTAT,  XIV,  4-^9  )• 

Dès  sa  première  jeunesse,  Balthasar 
montra  des  dispositions  surprenantes 
pour  la  poésie  latine.  A  dix-neuf  ans, 
il  publia,  sous  le  titre  A! Henricœa  , 
le  Recueil  de  ses  essais  ,  dont  Henri 
IV  avait  accepté  la  dédicace.  Malgré 
son  penchant  pour  les  lettres,  il  étu- 
dia le  droit  ;  et  après  avoir  terminé 
ses  cours ,  il  se  fit  recevoir  docteur 
à  l'université  d'Aix  :  mais  il  ne  fré- 
quenta point  le  barreau  ;  et  la  pro- 
messe d'une  place  dans  la  magistratu- 
re ne  put  le  résoudre  à  sacrifier  ses 
goûts  pour  la  retraite  et  pour  l'étude. 
Il  partagea  son  temps  entre  la  culture 
de  la  poésie ,  la  numismatique  et  l'as- 
tronomie. Ami  du  savant  Peiresc  (  F. 
ce  nom),  à  son  exemple,  il  s'occupa 
de  recueillir  les  débiis  d'antiquités, 
et  parvint  à  former  un  cabinet  pré- 


344 


VIA 


cieiix.  Désigne  ,  par  l'estime  publi- 
que ,  à  la  place  d'assesseur  de  Mar- 
seille ,  il   assista  ,  en  cette  qualité , 
aux    états  -  généraux   de    1G14.  Il 
fut  pourvu ,  sur  la  démission  de  son 
père,  en  1(127,  de  la  place  de  con- 
sul à  Alger;  mais  il  obtint  l'autori- 
sation de  la  faire  exercer  par  un  dé- 
légué. L'année  suivante  ,  Louis  XIII 
le  nomma  gentilliomme  de  sa  cliam- 
bre,  et  plus  tard  conscillcrd'état.  Los 
dilTcrcnls   Recueils  de  vers   publiés 
par  Vias  avâëcut  étendu  sa  réputa- 
tion jusque  dans  les  j)ays  étrangers. 
Ix;  pape  Urbain  VIII  voulut  l'attirer 
à  Rome;  mais  rien  ne  put  décider 
Vias  à  quitter  sa  jialrie.  Un  jour,  à 
souj)er,  chez  Rulll ,  l 'historien  de 
Provence,  Vias  égaya  la  compagnie 
aux  dépens  du  P.  de  Saint  -  Louis  , 
dont  le  |)oème  ^enaitde  paraître.  Le 
P.  de  iSaint  -  Louis  se  vengea  de  ses 
plaisanteries  par  une  douzaine  d'a- 
nagrammos(  /'.  Sai>t-Louis).  Vias 
avoua  qu'il  avait  pris  la  liberté  de  se 
moquer  du  poème  admirable  de  la 
Madeleine  ;  mais  il  prétendit  que  la 
faute  en  était  moins  à  lui  qu'à   la 
cuisinière,  qui  l'avait  mis  de  mau- 
vaise humeur,  en  lui  servant  un  dé- 
testable potage.  «  Je  vous  la  livre , 
»  ajouta-t-il ,  afin  que  vous  vous  ven- 
»  giez  sur  elle  de  mon  crime.  Kl  le 
»  s^ appcWe  Elisabeth  de  Sainl-Mar- 
»  cel,  nom  qui  contient  presque  lou- 
»  tes  les  lettres  de  l'alphabet,  et  sur 
»  lequel  vous  pourrez  faire,  non  pas 
»  une,  mais  trente  douzaines  d'ana- 
»  grammes ,  si  vous  le  voulez.  »  Vias 
mourut  à  Marseille,  en  1GO7  ,  à  l'âge 
de  quatre-vingts  ans.  Sun  cabinet  fut 
vendu  pir  ses  héritiers;  et  ses  ma- 
nuscritslomhèrent  entre  les  mains  d'i- 
gnorants (jui  les  ont  laissé  |)enlre.  Il 
avait  beaucoup  d'espiil  c!  de  facilité 
pour  la  poésie;  mais  il  a  faitun  emploi 
>i  fréqueiil  «]<  la  Tible  ,  que  son  style 


VIA 

en  est  quelquefois  obscur.  Outre  une 
Oraison  funèhreàcWcim  IV,  et  quel- 
ques Harangues,  on  a  de  lui  :  I.  Hen- 
ricœa,  Aix,  i6o0,  in  -  4".  II.  As- 
trœœ  Apolo^ia ,  ibid.,  1609,  in-4°. 
C'est  un  éloge  en  vers  du  fameux  ro- 
man de  d'Urfé  (  F.  ce  nom  ).  III. 
Genialis  Erato,  ubiprœcepta  Chiro- 
nis   ad  Ludovicum  XIII,    Paris, 
i6io,  in-4<'.  IV.  Silvce  regiœ,  qui- 
bus  sclecti  francorum  annalium  et 
])olitioris    liUcratura;  Jlores   inse- 
runtur ,  Paris,  i(>u3,  in-4".  V.  Prt- 
nt'^ricus  ad  papa  m  Urbarmm  oc- 
tavuni ,  Aix,  1G.28,  in -4".  VI.  fiu- 
pella  obsessa  et  expeditio  in  Ita- 
liam  ,  Aix,   iGiS.  VII. /«  iV^tco/.- 
Cl.  Fabricium  de  Peircsc  Epice- 
dion,  Marseille,  1642,  in  -  4".  Ce 
Poème ,  de  (piatre  à  cinq  mille  vers  , 
suil'irait,    suivant   le   P.    liougcrel, 
pour   assurer   à    l'auteur    une    pla- 
ce honorable  sur  notre  Parnasse  la- 
lin.  VIll.  Charitunilibrilres,  Paris, 
iGGo,  in  -  4"-  C'est  un  Recueil  àl'i- 
dylles.  Le  fronlisj)icc  est  décoré  du 
j)ortrait  de  Vias,  en  médaillon,  sou- 
tenu par  les  Grâces.  On  trouve,  à  la 
(in  du  volume ,  une  Epilre  de  \  ias  à 
U  femme  de  Jean  Piarclay,  qu'il  avait 
reçue  ,   en    iGiG,  à  son  passage  à 
Marseille  ;  et  la  Réponse  de  Rarclay, 
au  nom  de  sa  femme.  Ces  deux  piè- 
ces  avaient  été  imprimées   séparé- 
ment, à  Paris,  1G17  ,  in^"-  Un  des 
Recueils  de  Peiresc  ,  possédé  par  de 
Boze  ,  contient  des  Notes  de  Vias 
sur  les  monnaies   turques,  et  une 
Lettre  curieuse  sur    cette   matière. 
On   sait  qu'il   avait  entrepris,  à  la 
demande  d'Urbam  VIII ,  un  Poème 
sur   la    découverte    du   Nouveau- 
Mdv.deet  de  nouveaux  astres  ;  mais 
on  ignore  s'il    eut  le  temps   de    le 
teiniiner.  Voy.  VÉloçi^eCif  Vias, par 
liougerel ,  dans  les  Mémoires  pour 
servir  à  V histoire  de  plusieurs  lioni- 


VIB 

mes  illustres  de  Provence,    174- 
202.  W — s. 

VIAUD.  F.  Théophile. 

VIBIUS  SERENUS  (C.)  fut  un 
des  Romains  qui ,  sous  le  rèpjnc  de 
Tibère  ,  se  livrèrent  à  l'odieux  mé- 
tier de  délateur.  Il  porta  la  parole 
devant   le    sénat   dans    l'allairc   de 
Libon ,  et  contribua  beaucoup  à  la 
mort  de  ce  malheureux.  N'ayant  pas 
e'tc  récompense  autant  cpi'il  le  desi- 
rait de  cette  action  infâme ,  il  eut 
l'audace  de  s'en  plaindre  amèrement 
dans  une  lettre  qu'il  adressa  à  l'em- 
pereur. Tibère  conserva  Idfcg-tcmps 
un  secret  ressentiment  de  cette  in- 
jure; et  huit  ans  plus  tard  ,  lorsque 
\  ibius  fut  lui-mtme  dénonce  par  son 
propre    iils  ,    pour    avoir   conspire 
contre  le  prince ,   bien  que  l'accu- 
sation   fût    sans   aucune   preuve  ni 
vraisemblance,   et  que   le   délateur 
eût  e'tc'  confondu  et  poursuivi  par  le 
peuple  ,    indif;nc'  d'un    crime   aussi 
moiistrueux,  Tibère,  (pii  nourrissait 
une  vieille  haine  contre  l'accu-sc' ,  ne 
permit  pas  qu'il  fut  complètement 
absous.    Il   le  lit  renvoyer   ou   exil 
dans  l'île  d'Âmorgus,  oii  il  avait  déjà 
passe'  plusieurs  années,  pour  des  actes 
de  cruauté  et  de   tyrannie  commis 
dans  la  Bctique,  lorsqu'il  en  était 
proconsul.    Les   historiens    ont   fait 
une  peinture   bien  remarquable  du 
spectacle  qu'oiliit ,  en  présence  des 
juges,  Vibius  chargé  de  cliaiues  et 
accusé  par  son  fils  ,  vêtu  de  ses  plus 
beaux  habits  ,  montrant   une   auda- 
ce   et    une    assurance   qui  contras- 
taient singulièrement  avec    la    fai- 
blesse   et     l'abattement    du    vieil- 
lard.   Celui-ci    mourut  dans  l'exil. 
—  Vibius-Crispus  ,  célèbre  orateur, 
acquit  à  Rome,  sous  le  règne  de  Né- 
ron, une  grande  influence  par  ses 
talents  oratoires.  Cependant  il  ne  put 
empêcher  que  sou  frère  ,  qui  avait 


VIB 


345 


été  intendant  de  l'emporcur  en  Mau- 
ritanie ,  ne  fût  condamne'  comme  con- 
cussionnaire ;  il  parvint  .seulement  à 
faire  adoucir  la   peiue;    mais  |)lus 
tard  ,  sons  le  règne  d'Othon  ,  il  se 
vengea  en  faisant  condamner  le  dé- 
lateur de  son  frère,   bien  que  lui- 
même  eût  fait  aussi  cet  infâme  mé- 
tier et  qu'il  s'y  fût  considérablement 
enrichi.  C'était ,  dit  Tacite,  un  hom- 
me plus  célèbre  par  ses  talents ,  son 
crédit  et  ses  richesses ,  que  par  sa 
probité  ,  inter  claros  m  agis  giiàm 
intcr  honos.  Courtisan  fort  adroit  , 
Vibius-Crispus  traversa    heureuse- 
ment les   règnes  des  empereurs  les 
plus  :,anguinaires.  Il  était  de  toutes 
les  orgies  de  Vitellius  ;  et  il  fut  gra- 
vement incommodé  des  suites  d'une 
indigestion  {jui  le  dispensa  d'y  retour- 
ner. Ce  fut  à  cette  occasion  qu'il  dit 
gaîment  :  «  Je  serais  mort ,  si  je  n'é- 
»  tais  tombé  malade.  »  Sous  Domi- 
tien,  il  redoubla  de  complaisance  etde 
bassesses.  Juvénal  en  fait  un  portrait 
assez  curieux  dans  sa  quatrième  .sa- 
tire,  (i  C'était ,  dit-il ,  un  agréable 
»  vieillard  ,  capable  de  donner   de 
»  bous   conseils  à   l'empereur  ,    s'il 
»  n'y  avait  eu  rien  à  risquer;  mais 
)>  peu  disposé  à  sacrifier  sa  vie  pour 
»  la  défense  du  juste  et  de  l'injuste.» 
Ce  fut  par  une  telle  prudence  que 
Vibius  se  maintint  eu  sûreté  et  mê- 
me en  crédit  sous  des  tyrans  auprès 
desquels  ,  suivant  le  témoignage  de 
Juvénal,  une  conversation  sur  la  pluie 
et  le  beau  temps  suffisait  quelquefois 
pour  perdre  leurs  meilleurs  amis.  Il 
parvint  ain.si  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans  ,  et  vécut  toujours  dans  les  plai- 
sirs et  la  prospérité.  Ce  fut  lui   qui 
dit  ce  mot  plaisant  à  quelqu'un  qui  lui 
demandait  si  Domitieu  était  seul  dans 
sou  cabinet  :  «  Il  n'y  a  personne  ; 
»  pas  mrine  une  mouche  »  (  Foy. 
DoMIÏltN  ).  M— D   j. 


^^e  viB 

VIBIUS  -  SEQUESTER,  ancien 
géographe,  sur  lequel  on  n'a  que  des 
renseignements  incomplets.  D'après 
son  nom ,  on  conjecture  qu'il  était  Ro- 
main; mais  on  ne  peut  pas  assurer 
qu'il  descendît  de  l'illustre  famille 
Vibia ,  connue  dans  l'histoire.  L'é- 
poque où  florissait  Vibius  est  incer- 
taine. Le  savant  Oberlin  n'a  pas  cru 
pouvoir  la  fixer  d'une  manière  pré- 
cise ,  puisqu'il  se  contente  de  dire 
que  Vibius  a  vécu  du  cinquième  au 
septième  siècle.  On  a,  sOus  son  nom, 
nn  opuscule  intitulé  :  Dejlaminibus, 
fontihus y  lacuhus ,  nemurihus  ,  pa- 
ludibus ,  montibits  ,  gcjitibus ,  quo- 
rum apiid  poêlas  fit  mcntio.  C'est 
une  espèce  de  table  alphabétique  des 
noms  de  fleuves,  fontaines,  lacs, 
forets ,  etc.  11  l'avait  rédigée  pour 
faciliter  l'intelligence  des  poètes  à 
son  fils  Virgilius ,  auquel  i!  l'adresse 
par  une  comte  Épître.  Ce  travail  ne 
suppose  pas  beaucoup  de  critique  ni 
d'érudition  ;  cependant  il  ne  lais- 
se pas  que  d'èlre  utile.  Boccace  l'a 
inis  à  contribution  pour  son  Traité 
De  montibus ,  sylvis ,  etc.  (  V.  Boc- 
cace )  j  mais  il  a  eu  le  tort  de  ne  pas 
même  nommer  l'auteur,  auquel  il 
faisait  de  si  larges  emprunts.  La 
première  édition  de  l'ojniscule  de 
Vibius  est  celle  de  Rome ,  Jacq.  Ma- 
zochius,  ou  Jean  de  Beziken  ,  i5o5, 
die  X  mcTisis  maii  ,  in  -  40.  Elle 
est  si  rare  que  le  savant  Oberlin  n'a- 
vait jamais  pu  la  trouver;  et  il  nous 
apprend  que  son  devancier  Fr.  Kes- 
sel n'avait  pas  été  plus  heureux  (i). 
L'opuscule  de  Vibius  a  été  réimpri- 
mé ,  avec  Solin,  Pesaro ,  1 5 1 2 ,  in- 


VIB 

fol.  (a);  et  depuis,  avec  Pomponius 
Mêla  et  les  anciens  géographes ,  Ve- 
nise, Aide,  i5i8  (3);  Florence, 
Giunti,  iSig  et  i526,  in- 8°.  Uu 
anonyme  le  reproduisit  à  Lyon,  i53g, 
in-80. ,  d'après  un  ancien  manuscrit, 
avec  Marcianus  Capella ,  V Itiné- 
raire d'Antonin,  P.  Victor  et  Ds- 
nys.  A  cette  édition  succéda  celle  de 
Bàle,  1675,  in-i 2;  elle  est  ducaux 
soins  de  Jos.  Simler,  qui  y  joignit 
quelques  anciens  opuscules  de  géo- 
graphie, tels  que  \  Itinéraire  de  Ru- 
tilius,  etc.  L'édition  de  Toulouse, 
i6i5,  in^°.,  par  Maussac  (  V.  ce 
nom),  contient,  eu  outre,  l'opuscule 
de  Plutarque  :  De  fluviorum  et  mon- 
tium  nominihus ,  et  celui  de  Psellus  : 
De  lapiduni  virtutibus.  Enfin  Fr. 
ïlessel  publia  une  édition  séparée  de 
Vibius,  Rotterdam,  i^  1 1 ,  petit  in- 
8°.  ,  enrichie  de  variantes  ,  d'un 
petit  appendice  tiré  d'un  ancien  ma- 
nuscrit ,  et  de  notes  très-amples.  L'é- 
dition la  plus  récente  de  Vibius  est 
celle  qu'a  ])ubliée  Oberlin ,  Stras- 
bourg, 1778  ,  in-8'\,  revue  et  corri- 
gée sur  six  manuscrits.  Aux  notes  des 
anciens  commentateurs  ,  Hessel  , 
Claudius  ,  Reland,  Pauw,  etc.,  l'é- 
diteur a  joint  les  siennes,  et  celles  que 
Sainte  -  Croix  avait  bien  voulu  lui 
commimiqucr.  W     s. 

VIBORG  (  Érich  Nissen  ),  célè- 
bre vétérinaire  danois  ,  naquit  dans 
le  duché  de  Sleswick  le  5  avril 
1759.  Son  père ^  ministre  protestant 
dans  le  bailliage  d'Abenraa  ,  lui  don- 
na la  première  i>istruction classique, 
et  l'envoya  ,  en  1777,3  l'université 
de  Copenhague,  où  le  jeune  Viborg , 


fï'  Oberlin  Ji'a  point  connu  celle   e'diliou  ,  ni  la 
(0  11  en  existait  un  cicuiplaire  dans  la  MLlio-       reimprcssiou  des  Giunti  ,  iSîfJ. 
llifcpie  de  (".revenu»;    elle  est   indiquée   dans  son  (3)  Et  non  pas  i5i4  ,  comme  le  dit  Cberîin,  «jui 

Cntalogiie,  n».  S^.iJ.  Celte  rnrisjime  édition  fut  roujecture  «pie  c'est  par  erreur  cpie  Gronove  a  eue 
adjugée  avec  celle 'de  Fr.  Hessel ,  et  UD  troisième  l'édition  Aldine  sous  la  dalc  de  i.ïiS.  Voyei.li» 
«juvrage,  pour  le  juii  de  3  florins.  l'rolégomines  de  son  (édition  de  Vibius  ,  p.  XUl. 


VIB 

qui  ne  voulait  point  être  à  charge  à 
sa  famille,  donna ,  pendant  six  ans, 
des  leçons  particulières  qui  suffirent 
à  ses  besoins.  Se  destinant ,  d'après 
le  vœu  de  ses  parents,  à  l'elat  ecclé- 
siastique ,  et  ayant  suivi  les  cours  de 
théologie,  il  iit ,  dans  l'étude  des 
langues  orientales ,  des  progrès  qui 
furent  remarqués.  Mais  une  certaine 
timidité  lui  faisant  craindre  d'é- 
chouer, quand  il  serait  obligé  de  pa- 
raître en  chaire ,  il  renonça  à  son 
premier  projet  j  et  d'après  l'avis  de 
ses  maîtres ,  il  suivit  les  cours  de 
physique, de  mathématiques,  et  sur- 
tout ceux  d'histoire  naturelle.  Sur  les 
instances  du  professeur  Abildgaard  , 
il  s'attacha  à  l'étude  de  la  science  vé- 
térinaire ,  jusque-là  très  -  négligée 
en  Danemark.  Il  y  fit  des  progrès 
si  rapides  ^  qu'en  i-jSS  il  remporta  le 
prix  que  l'académie  des  sciences  de 
Copenhague  avait  destiné  pour  le 
meilleur  ouvrage  sur  l'eudiométrie. 
Ses  premiers  essais  ,  comme  auteur, 
furent  :  I.  Tentamen  Eudiometriœ 
perfections,  Copenhague,  1784.  II. 
Mémoire  botanique  et  économique 
sur  l'ora;e  (  en  danois  )  ,  Copenha- 
gue ,  l'-Sy  ;,  in-4°.  Ce  Traité  a  été 
traduit  en  allemand  avec  des  notes  , 
Copenhague  ,  1802  ,  in-4°.  III.  In- 
fluence du  sable  mouvant  (danois)^ 
Copenhague  ,  1787  ,  in-S".  Ces  deux 
dernières  dissertations  furent  égale- 
ment couronnées  par  l'académie  des 
sciences  ,  et  c'est  par  la  troisième  , 
sur  les  Sables  mouvants  {Flug-Sand) 
que  l'auteur  annonça  les  services 
qu'il  devait  rendre  à  sa  patrie  , 
en  proposant  aux  habitants  du  Da- 
nemark les  moyens  de  prévenir 
ou  d'éloigner  un  fléau  qui  jus- 
(jue-là  avait  désolé  les  côtes  du 
Jutland  ,  sans  que  l'on  siît  comment 
y  remédier. Le  gouvernement  danois, 
voyant  combien  Vil>org  pourrait  lui 


VIB 


347 


être  utile  ,  le  fit  voyager  à  ses  frais 
pendant  trois  ans.  11  parcourut 
successiv^ement  l'Allemagne ,  l'An- 
gleterre et  la  France.  Il  était  dans 
cette  dernière  contrée  en  1789,  et  il 
y  fut  témoin  des  premières  scènes  de 
la  révolution  ,  qui  firent  sur  lui  une 
vive  impression.  Il  visita  néanmoins 
avec  beaucoup  de  soin  les  écoles 
d'Alfort  etdeLyon;  etrctourna  dans 
sa  patrie,  emportant  une  richecoUcc- 
tion  de  renseicrncmcntset  d'observa- 
tions  utiles.  On  le  nomma  alors  pro- 
fesscurà  l'école  vétérinaire  de  Copen- 
hague, et  inspecteur  général  du  Flug- 
Sand  ou  des  sables  mouvants.  Ce  iut 
Viborg  qui ,  en  cette  dernière  quali- 
té, proposa  et  rédigea  la  sage  ordon- 
nance que  le  roi  rendit ,  en  1 79^2  , 
sur  les  moyens  d'éloigner  ce  fléau. 
En  1 796 ,  Viborg  fut  envoyé  avec 
le  directeur  des  haras  en  Pologne  , 
en  Ukraine  et  en  Rloldavie ,  pour  vi- 
siter les  établissements  de  ces  con- 
trées, si  renommées  pour  les  chevaux 
qu'elles  élèvent  ;  ils  devaient  choisir 
des  étalons  et  des  poulinières.  Abild- 
gaard étant  mort  en  1801  ,  Viborg 
fut  nommé  à  sa  place  directeur 
de  l'école  vétérinaire  et  de  tous 
les  étabhssements  qui  ont  rapport 
à  cette  branche  de  l'administra- 
tion publique.  Enfin  il  fut  fait  con- 
seiller d'état  et  chevalier  de  l'or- 
dre de  Dannebrog.  Doué  d'une  acti- 
vité peu  commune  ,  et  voulant  rem- 
plir exactement  tous  ses  devoirs  ,  il 
succomba  à  tant  de  fatigues  le  25 
septembre  1822.  Ses  autres  écrits 
sont  :  IV.  Vertus  nuisibles  et  salu- 
taires de  Vif  (  ail.  )  ;,  Copenhague, 
1788.  V.  Description  des  plantes 
que  l'on  peut  élever  dans  les  terres 
sablonneuses,  et  de  leur  utilitépour 
arrêter  les  sables  mouvants  sur  les 
côtes  occidentales  du  Jutland  (  en 
danois  et  ail.)  ,  Ccpcuhaguc  ,  1789, 


3/{S 


VIB 


in-S*^. ,  avec  planches.  Celle  disser- 
tation ,  irapriinc'e  aux  fiais  du  gou- 
vernement ,  fut  dislribuc'c  aux  liabi- 
tauls  du  Jutland.  VI.  Sur  l'école 
rojale  vélérmaire  di'  Danemark  ; 
essai  d'un  livre  élémentaire  sur  les 
plantes  indigènes ,  à  Vusaqe  des 
élèves  de  cette  école  (danois) ,  Co- 
penhague, i70'2,  in-S**.  VII.  Rè- 
glements relatifs  aux  haras  dans  le 
pajs  de  Hanovre  danois),  i7<^9, 
in-H".  Vni.  Recueil  de  disserta- 
tions pour  les  médecins  vétérinaires 
et  pour  les  econom«  (danois  cl  ail.) , 
Copenhague,  179'"),  y.  vol.  iu-8". 
Dans  le  jnemier  volninc  nous  avons 
remarque  la  Iroisiî-me  dissertation 
sur  l'école  vétérinaire  de  Danemark. , 
sur  son  organisation  ,  comparée  avec 
les  établissements  des  autres  pays. 
Dans  le  second  volume,  on  trouve  des 
détails  intéressants  sur  les  bergeries 
et  haras  de  dillercntes  contrées.  \jc 
\olunicest  termine  jiar  une  disserta- 
tion sur  le  terrible  Flug-Sand.  La 
mer  dépose  sur  les  côtes  oceidenta 
les  du  Jutland  un  sable  d'une  ex- 
trême leiniite,  cpii ,  lorsqu'il  est  des- 
séche ,  s'élève,  au  premier  coup  de 
vent,  comme  luj  nuage  épais  qui  pc- 
nitre  dans  les  dcmeines  des  liabi- 
lanls  ,  s'insinue  dans  leurs  habille- 
ments ,  dans  leurs  yeux,  et  couvre 
leurs  chaTups  cl  leurs  moissons.  L'au- 
teur a  indique  ks  moyens  de  réta- 
blir la  végétation  dans  les  terrains 
soumis  à  l'empire  du  Flu^-Sand,  et 
son  nom  sera  à  jamais  boni  en  Dane- 
mark. l'S..  Sur  les  bergeries,  dans 
les  duchés  de  Slcswick  et  de  JIols- 
<6'm  i^danois),  Co]>enliaguc,  1797  ,  x 
vol.  in-8''.  X.  Beata  ruris  otia  , 
fungis  danicis  impensa  à  Thcodoro 
flotmskiold ,  Copenhague,  1799, 
in-H'\  XI.  De  vi  venenatd  nucis 
vomicœ ,  Copenhague,  «SoOjiu-S". 
Xll.    Sfruthio  cdsuarins ,    unato 


VIB 

misé  à  l'école  vétérinaire,  Copen- 
hague, 1800 ,  in-8".  XIII.  Comment 
peut-on ,  par  la  voie  d'injection  , 
faire  entrer  des  médicaments  dans 
lei  veines  de  l'animal  (ail.),  dans 
les  Archives  du  Nord  ,  1 80 1 .  XIV. 
Essai  sur  la  méthode  d'inoculer  la 
morve  aux  hêtes{d\\.).  Archives  du 
Nord,  1801.  XV.  EJJet  (pie  cer- 
tairws  plantes  du  nord  peuvent  pro- 
duire sur  les  bêtes  ,  ibid.  XVI. 
Preuve  que  la  petite  vérole  est  une 
maladie  commune  aux  bêtes  et  aux 
hommes  ,  d'après  des  expériences 
faites  à  l'école  vétérinaire  ,  Copen- 
hague, 1801.  XVII.  Essais  sur  les 
efjèls  de  l'Arnita  et  de  la  gomme 
arabique ,  que  l'on  fait  entrer  dans 
les  %>eines  des  animaux  par  voie 
d'injection  (ail.;,  .Vrchivesdu  Nord, 
1 80 1 .  X\  III .  Livre  élémentaire  de 
l'histoire  naturelle  (ail.),  Copen- 
hague, 1802,  in-8".  XIX.  Expé- 
riences faites  sur  les  ejfets  de  l'Ar- 
nica montana ,  sur  ceux  de  V A- 
guli  du  Brésil  et  du  Cavia  Aguti 
(  danois) ,  Copenhague,  i8ou.  XX. 
Sur  les  effets  opposés  du  salpêtre  , 
et  des  différents  sels  que  l'on  fait 
entrer  dans  les  7>eines  des  ani- 
maux par  voie  d'injection  (  ail.  ) , 
Arch.  du  Nord,  i8o3.  XXI.  Mé- 
thode d'instruction  que  l'on  suit 
dans  l'école  vétérinaire  de  Dane- 
mark   (ail.)  ,   Tubiiigue  ,     1804. 

XXII.  Réponses  à  différentes  ques- 
tions qui  ont  rapport  à  la  castra- 
tion des  animaux  (ail.) ,  ib. ,  i8o5. 

XXIII.  Sur  la  Flora  danica  ,  dans 
le  Muséum  de  Scandinavie  ,  1806. 
XXIV.iS;/r  les  différentes  espèces 
de  pommes  de  terre  ,  sur  les  de- 
grés de  leur  maturité  (  ail.  ) ,  Kiel , 
1807.  XXV.  Travaux  de  la  so- 
ciété rojalc  vétérinaire  ,  Copen- 
hague, 1808.  XXW.  Sur  la  fiè- 
vre injlammaloire  maligne  et  son 


VÏB 

traitement  (ail.),  Carlsrulic,  181  ?.. 
XXVI I.  Traitement  des  vers  dans 
les  chevaux,  ibid. ,  1812.  XXVIIl. 
Sur  la  fougère  que  l'on  croit  faus- 
sement nuisible  aux  chevaux  et 
aux  hetes  à  cornes  (  ail.  )  ,  ibid. 
XXIX.  De  l'hémorragie  dans  les 
chevaux  ,  quand  elle  vient  des 
poumons ,  et  manière  de  l'arrêter 
par  des  fumigations  de  vinaigre 
(  ail.  ) ,  ibid.  XXX.  Sur  l'épidémie 
qui  s'est  élevée  en  ^'t^\f\  dans  les 
duchés  de  Sleswick  et  dellolstein; 
instructions  adressées  aux  habi- 
tants (ail.) ,  Gluckstadl  et  SIeswick  , 
iii-4".  XXXI.  Mémoire  sur  l'é- 
ducation et  l'emploi  du  porc,  ou- 
vrage couronné  par  la  société  d'a- 
griculture du  département  de  la 
Seine.  Voyez  ses  Mémoires,  Paris  , 
181 4.  XXXI 1.  Analyse  des  tra 
vaux  de  la  société  rojalc  vétéri- 
naire de  Copenhague ,  second  rap- 
port ,  Copenhague,  181 5,  111-4". 
XX Kl II.  Travaux  de  la  même 
école  ,  jusqu'en  1817  (ail.  ),  Mu- 
nich, 1817,  in-8».  XXXIV.  Nou- 
veau rapport  sur  la  même  école  , 
avec  un  supplément  sur  la  littéra- 
ture vétérinaire  (  ail.  ) .  Copenha- 
gue, 1819.  XXXV.  Collection  de 
traités  sur  l'art  vétérinaire  (  da- 
nois )  ,  Copeuhaguc,  1820,  i*^'. 
vol.  ,  in-S''.  Cette  ])ublication  fut 
entreprise  par  C.  Viborg  ,  frère 
du  savant  a  qui  cet  article  est  con- 
sacre, et  qui,  après  sa  mort,  lui 
succéda  dans  la  direction  de  l'ccole 
vétérinaire.  Ce  premier  volume  ,  le 
seul  qui  ait  paru  jusqu'à  présent, 
contient ,  dans  l'introduction  ,  la  Vie 
de  Viborg  (  Erich  ),  la  liste  de  ses 
ouvrages  (  i ,  avec  celle  des  sociétés 


(1)  D'après  celle  Noiice,  Viborp  avait  public 
iusqu'àla  fin  de  i8i()  cent  vingt-neuf  dissertation.» 
ou  traites  sur  l'.Vrt  vétérinaire ,  en  latiu,  en  fran- 
r»n  ,  en  allemand  et  en  danois. 


Vie  349 

savantes  qui  l'avaient  reçu  dans  leur 
sein.  Depuis  1787  jusiju'au  3i  Octo- 
bre 1819,  il  avait  été  agrégé  par 
jilusde  trente,  entre  autres,  par  l'ins- 
titut de  France,  par  la  société  d'a- 
griculture et  l'écoîe  de  médecine  de 
Paris.  Les  traités  insérés  dans  ce 
premier  volume  ont  surtout  raj)port 
aux  dillr'rentcs  races  de  brebis  ,  à  la 
manière  de  les  élever.  On  y  trouve 
aussi  des  Lettres  très-intéressantes 
qu'Abildgaard  écrivait  de  ^Fadrid  à 
l'auteur,  on  1794  ,  stir  les  trouj)eau\ 
d'Kspagne.  XXXVI.  Bibliothèqui 
h  l'usage  des  médecins  (danois)  , 
Copenhague,  i8>.ià  1824,  9vol. 
in-8".  XXX  Vil.  Le  cheval ,  consi- 
déré dans  ses  formes  extérieures 
(danois,  Copenliaguc,  1821 ,  iu-8"^. 
Ce  traitt'  est  un  de  cc\\\  que  Viborg 
compo'^a  dans  son  lit,  peu  de  temps 
avant  sa  mort.  XXXVIII.  Guide 
pour  soigner  les  étalons  ,  les  pouli- 
nières et  les  poulains,  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  atteint  leur  cinquième 
année  (  danois  )  ,  Copenhague  , 
18U4,  in-8".  Voyez  sur  ce  savant: 
i".  Dictionnaire  de  littérature  da- 
noise et  septentrionale  ,  par  Nié- 
rup  (danois),  tom.  11.  p.  607  et 
suiv.  ;  5".  Notice  biographique  sur 
Érich  Nissen  Tlborg  ,  recueillie 
par  C.  Viborg,  son  frère  ,  dauois' . 
Copenhague,  i8'^.3.  G — y. 

Vie  (Dominique  de),  seigneur 
d'Ermenonville ,  d'une  ancienne  fa- 
mille de  Guienne,  fut  l'im  des  ser- 
viteurs les  plus  dévoués  de  Henri  IV. 
Dans  sa  Jeunesse  ,  il  porta  le  nom  de 
Sarred,(]in  était  ceiiu  de  sa  mère;  et 
ayant  embrassé  la  profession  des  ar- 
mes il  se  signala  dans  les  guerres  de 
religion.  Son  attachement  pour  la 
cause  royale  le  rendit  suspect  au  duc 
de  Mayenne  j  mais  les  injustices  et 
les  dégoûts  qu'il  éprouvait  ne  pu- 
rent l'écarter  de  son  devoir.  Il  re- 


35o 


Vie 


çut  deux  blessures,  on  i586,  l'une  à 
la  cuisse,  au  sic'ge  de  Sainte-Baseille, 
et  l'autre  à  la  jambe  ,  devant  le  fort 
de  Seine,  près  de  Chorgis. Cette  der- 
nière blessure  ne  lui  permettant  plus 
de  monter  à  cheval ,  il  vint  à  Char- 
tres ,  où  il  resta  trois  ans,  dans  un 
état  continuel  de  soullrances.  L'his- 
torien de  Thou,  son  ami,  le  voyant 
dësespc'rc  de  ne  pouvoir  offrir  ses  ser- 
vices an  roi  contre  la  Liç;ue,  lui  con- 
seilla de  se  faire  couper  la  jambe.  Il 
suivit  ce  conseil,  recouvra  prompte- 
ment  ses  forces,  et  se  hâta  de  rejoin- 
dre l'armëe  royale.  De  Vie  se  couvrit 
de  "loire  à  la  bataille  d'Ivry.  Henri 
IV  ,  pour  le  recompenser  de  sa  con- 
duite dans  cette  journée  ,  lui  permit 
d'ajouter  à  ses  armes  luie  fleur  de  lis 
dans  un  champ  d'azur.  Nomme  gou- 
verneur de  Saint-Denis  (janv.  i  Sgi  ), 
il  n'y  était  que  depuis  quelques  j  ours , 
quand  cette  ville  fut  surprise  par  le 
chevalier  d'Aumale.  Éveille  par  le 
bruit  des  soldats  ,  il  rassemble  ses 
domestiques ,  donne  l'ordre  de  sonner 
la  charge,  et  se  précipite  sur  les  as- 
saillants, résolu  de  trouver  une  mort 
glorieuse  en  combattant;  mais  d'Au- 
male {F.  ce  nom,  111,  69)  ayant 
été  tué  des  le  premier  choc  ,  ses 
soldats  elVrayés  s'enfuirent  dans  le 
plus  grand  désordre.  De  Vie  contri- 
bua beaucoup  à  la  reddition  de  Pa- 
ris ,  en  éclairant ,  sur  leurs  véritables 
intérêts ,  les  habitants  qu'il  avait  l'oc- 
casion de  voir  et  d'entretenir.  Le  roi 
le  nomma  gouverneur  de  la  Bas- 
tille; mais  il  obtint  néanmoins  la 
permission  de  suivre  l'armée  eu  Pi- 
cardie. Il  fit  entrer  (  iSqS)  un  con- 
voi de  vivres  dans  Cambrai ,  sous  le 
canon  des  Espagnols  ;  et  on  ne  peut 
douter  que  ,  si  ses  conseils  eussent 
été  mieux,  suivis  ,  cette  ville  n'eût  été 
conservée.  Après  la  prise  d'Amiens 
(1597),  il  resta  dans  cette  place. 


Vie 

avec  une  forte  garnison.  En  1602,  il 
fut  nommé  gouverneur  de  Calais  et 
vice -amiral.  Chargé  de  transpor- 
ter à  Douvi'es  les  personnes  qui 
devaient  accompagner  Sully  en  An- 
gleterre ,  il  remplit  sa  mission  , 
et  se  trouvant  en  vue  du  vaisseau 
anglais  monté  par  Sully,  il  fit  le- 
ver le  pavillon  de  France ,  et  le  sa- 
lua d'un  coup  de  canon.  Le  capitai- 
ne anglais  furieux  donna  l'ordre  de 
tirer  sur  le  vaisseau  de  de  Vie,  a  ju- 
»  rant  qu'il  ne  souffrirait  aucun  pa- 
»  villon  en  la  mer  Océanc  que  celui 
»  d'Angleterre.  »  De  Vie  ,  cédant 
aux  ordres  de  Sully,  ne  put  tirer 
vengeance  de  cet  affront,  et  regagna 
Calais.  L'année  suivante  (  i6o4  ),  il 
fut  envové,  comme  ambassadeur  ex- 
traordinaire, près  des  ligues  grises, 
et  ayant  renouvelé  les  anciennes  ca- 
pitulations, il  revint  dans  son  gou- 
vernement. La  ville  de  Calais  lui  dut 
de  nouvelles  forùfications.  Il  s'était 
fait  chérir  des  habitants ,  par  sa  dou- 
ceur et  par  sou  extrême  obligeance. 
Aprèsla  mortde  HenriIV,il  fut  nom- 
mé ,  par  la  régente ,  conseiller-d'état. 
S'étant  rendu  à  Paris  ,  pour  remplir 
les  devoirs  de  cette  charge,  en  passant 
pai'  la  rue  delà  Ferronnerie,  il  fut 
saisi  d'une  douleur  si  vive,  à  la  vue 
de  l'endroit  oii  son  bon  maître  avait 
été  assassiné,  qu'à  peine  put  -  il  re- 
tourner chez  lui;  et  il  mourut,  le 
lendemain,  dimanche,  1 5 août  1610. 
On  conserve  à  la  bibliothèque  du  roi 
plusieurs  Lettres  écrites  par  de  Vie , 
jiendant  son  ambassade  en  Suisse. 
On  peut  consulter,  pour  les  détails, 
le  Journal  de  Henri  IF  et  les  Mé- 
moires de  Sully ,  ainsi  que  V Histoire 
de  de  ïhou.  W — s. 

Vie  (  Dom  Claude  de  )  ,  béné- 
dictin de  la  congrégation  de  Saint- 
Maur ,  naquit,  en  1670,  à  Sorèze, 
diocèse  de  Lavaur,  et  à  l'âge  de  dix- 


vie 

sept  ans    enlm    dans  le  monastère 
de  la  Daurade  ,  à  Toulouse.   Ayant 
achevé'  ses  études  ,   il   enseigna  la 
rhétorique  au  collège  deSaint-Sever, 
nouvellement  fonde;  et,  en  i-yoi  ,  il 
fut  choisi  pour  accompagner  à  Rome 
le  procureur-gcnéral  de  la  congréga- 
tion. Son  séjour  en  cette  ville  le  mit 
à  même  de  rendre  des  services  à  ses 
confrères  ,   pour   lesquels    il   colla- 
tionna  les  principaux  manuscrits  de 
la  bibliothèque  du  Vatican.  De  re- 
tour en  France,  il  fut  associé  à  Dom 
Vaissette  ,  qui  venait  d'entreprendre 
Y  Histoire  générale  du  Languedoc  , 
et  il  eut  beaucoup  de  part  aux  deux 
premiers  volumes  de  ce  grand  ou- 
vrage (  Voy.  Vaissette,   XLVIJ , 
264   ).    Les    liaisons     qu'il    avait 
conservées  avec  plusieurs  personna- 
ges   éminents   décidèrent  ses  supé- 
rieurs à  le  renvoyer  à  Rome  avec  le 
titre  de   procureur -général  ,   et  il 
s'occupait  des  préparatifs  de  son  dé- 
part ,   lorsqu'il   mourut  subitement 
à    l'abbaye  de   Saint-Germain-des- 
Prés ,  le  'il>  janvier  1734.  Le  seul  ou- 
vrage que  l'on  ait  de  dom  de  Vie  est 
la   Traduction  latine  de  la  Fie  de 
Mahillon,  par  Ruinart  [F.  ce  nom), 
Padoue,  i7i4,in-4°.  Dom  Vaissette 
a  publié  l'Éloge  de  cet  estimable  re- 
ligieux dans  le  Mercure  de  France  , 
mars  1734  ,  d'où  il  a  passé  dans  le 
tome  XIX  de  la  Bibliothèque  fran- 
çaise ,  par  Du  Sauzeî.  —  Vie  (  Gé- 
rard de)  ,  chanoine  à  Carcassonne  , 
dans  le  dix-septième  siècle  ,  a  donné 
en  latin  une  Chronologie  historique 
des   évéques  de   cette  ville,  1667, 
in-fol.  W — s. 

VICAIRE  (Philippe),  né  à  Caen 
le  24  décembre  i  G89,  ayant  embras- 
sé l'état  ecclésiastique ,  prit  ses  gra- 
des dans  l'université  de  cette  ville,  et 
y  fut  reçu  docteur  de  la  faculté  de 
théologie,  de  laquelle,  par  la  suite, 


Vie 


35 1 


il  devint  doyen.  Il  y  fut  aussi  pour- 
vu de  la  cure  de  Saint -Pierre,  l'une 
des  principales  paroisses  de  Caen. 
Il  était  fort  attaché  aux    Jésuites, 
et  prit  une   part  très  -  active  dans 
les  querelles  qui  s'élevèrent,  de  son 
temps,   au   sujet  de  la  bulle   Uni- 
genitus ,  qu'il  soutint  avec  chaleur. 
Il  paraît  que  cette  ardeur ,  poussée 
un  peu  loin,  déplut  au  parlement  de 
Rouen  ,  lequel  ^  le  1 7  février  1719, 
rendit  contre  lui  un  arrêt  qui  le  pri- 
vait de  toutes  ses  places,  et  qui  lui 
ôtait  tout  droit  de  suflrage  dans  les 
délibérations   de   l'université.   Aidé 
néanmoins  de  l'autorité  du   roi,  il 
parvint  à  s'y  faire  réintégrer,  rentra 
dans  ses  fonctions,  et  fut  remis  en 
possession  de  tous  ses  droits.  Une  au- 
tre tourmente  l'attendait  plus  tard. 
L'abbé  Chauvelin  ayant  dénoncé,  le 
17  avril  1761  ,  les  constitutions  des 
Jésuites  ,  plusieurs  arrêts  furent  ren- 
dus dans  le  courant  de  17G2  contre 
la  société ,  par  les  dilTérentes  cours  du 
royaume,  et  entre  autres  par  le  par- 
lement de  Rouen.  Cet  arrêt  ayant  été 
présenté  à  Vicaire,  comme  doyen  de 
la  faculté  de  théologie ,  il  refusa  de 
l'inscrire  sur  ses  registres.  Aussitôt  il 
fut  mandé  à  Rouen ,  pour  y  rendre 
compte  de  sa  conduite,  et  fut  de  nou- 
veau privé  de  toutes  ses  fonctions , 
dans  lesquelles  il  ne  paraît  pas  qu'il 
soit  jamais  rentré.  C'était  d'ailleurs 
un  homme  estimable  et  un  ecclésias- 
tique zélé.  Sa  paroisse  était  bieu  gou- 
vernée. Il  prêchait  avec  succès,  et 
travaillait  à  la  conversion  des  protes- 
tants ,  dont  plusieurs  rentrèrent,  par 
ses  soins ,  dans  le  sein  de  l'Église.  On 
a  de  lui  :  I.  Discours  sur  la  nais- 
sance de  Mgr.  le  Dauphin  ,  Caeo  , 
1729  ,   in  -  l^o.  II.   Oraison  funè- 
bre du  cardinal  de  Fleurjy  ,  i743  , 
in -4".   IIÎ.   Demandes    d'un  pro- 
testant ,  faites  à  M.  le  curé  de  ***, 


35i 


Vie 


avec  les  réponses,  1766,  \n-ii.  IV. 
Exposition  fidèle  et  preuves  solides 
de  la  doctrine  catholique ,  adres- 
sées aux  protestants ,  etc.,  Caen, 
1770,  4  vol.  in-i'2.  L'abbe  Vicaire 
mourut  le  7  avril  1775,       L — y. 

VICAT  (Béat-Phiuppe)  naquit 
à  Aigle,  ville  du  pays  de  \  aud,  en 
1715,  et  mourut  en  1770.  11  se  dis- 
tingua ,  dans  un  âge  tendre,  par  ses 
talentselparsonapplicalion.lletudia 
le  droit,  les  belles -lettres  et  la  phi- 
losophie, à  Bâle  et  à  Lausanne;  ob- 
tint une  chaire  de  droit  dans  cette 
dernière  ville  ,  et  refusa  alors  celle 
qui  lui  fut  oiT'erte  à  l'université  d'Her- 
born.  Ses  ouvrages  sont  très-nom- 
brcur  j  nous  ne  citerons  que  les 
principaux  :  I.  Prœlectio  de  suc- 
cessionc  lestamentarid ,  ex  jure  na- 
turali,  cii'ili  et  statutario ,  17  fH. 
II.  Ilacfiprechl  comment,  de  ijisii- 
tut.  juris  civilis  Justinianei ,  avec 
des  notes,  174^,  -i  vol.  in-fol.  III. 
Focabnlarium  juris  utriusque  . 
7759,  3  vol.  IV.  Une  Traduction  de- 
là Défense  de  S.  Remo  contre  Gè- 
nes ,  1753,  à  la  réquisition  des 
Remois,  que  sa  réputation  engagea 
à  lui  envoyer  un  de  leurs  m.igistrats 
charge  de  l'inviter  à  composer  cet 
ouvrage.  V.  Une  e'dition  des  Me- 
moric  spettanti  alla  vita  di  Ira 
P  aolo, servit  a ,  17(30,  VI.  Une  édi- 
tion des  OEuvres  complètes  de  BjU' 
kershoek  ,  supérieure  à  toutes  les 
précédentes.  Vil.  Les  Libertés  de 
l'Église  helvétique  ,  traduit  de 
l'allemand  ,  1770,  avec  une  pré- 
face intéressante.  Comme  biblio- 
thécaire de  Lausanne,  il  a  soigné 
le  Catalogue  de  la  bibliothèque  , 
imprime  en  i  768.  Parmi  les  manus- 
crits qu'il  a  laissés,  on  distingue  un 
Cours  de  droit  naturel  fort  étendu  , 
et  qu'il  avait  destiné  à  l'impression. 
—  Son  épouse,  Catherine -Elisabeth 


Vie 

CunxAT ,  naquit  en  1 7 12 ,  et  mourut  jjk 
en  1772.  Son  goût  la  porta  à  la  cul-  • 
ture  dos  abeilles  ;  et  elle  y  fit  des  dé- 
couTcrtcs  intéressantes.  Elle  ajouta 
beaucoup  à  celles  de  Réaumur  et  de 
Faîteau,  par  des  obserA'ations  neuves, 
et  qui  attirèrent  l'attention  des  con- 
naisseurs. La  société  économique  de 
Berne ,  ay;int  reçu  ses  Mémoires 
(imprimés dans  le  cinquiime  volume 
de  sa  collection  allemande  ) ,  s'em- 
pressa de  l'agréger.  Celles  de  Du- 
blin ,  de  Lu'îace ,  de  Bienne  et  de  Lau- 
sanne suivirent  cet  exemple.  Elle  ré- 
digea aussi  des  observationssur  lama- 
nicre  de  tirer  un  grand  parti  des  étou- 
pes  de  lin  et  de  la  ritle;  sur  l'art  de 
faire  éclore  les  poulets ,  et  de  favori- 
ser la  multiplication  des  pigeons,  et 
siu"  les  vers  à  soie;  sur  l'incidwtion 
et  la  formation  du  cœur  dans  le  pou- 
let ,  observalion>  dont  Haller  (it  le 
plus  grand  cas.  Ce  qui  lui  a  acquis  le 
plus  de  réputation,  ce  fut  une  nou- 
velle construction  de  ruches ,  supé- 
rieure à  toutes  les  précédentes,  et  une 
méthode  de  faire  des  essaims  artili- 
ciels ,  qui  lui  a  mérité ,  après  sa  mort, 
la  prime  que  la  société  économique 
de  Berne  avait  promise  pour  cette 
découverte.  U — i. 

VICAT  f  Philippe- Rodolphe  ), 
médecin  ,  fri-re  cadet  du  précédent , 
naquit  à  Payerne  en  1720.  Après 
avoir  achevé  ses  études  à  Gbttingue, 
sous  la  direction  de  l'illustre  Haller, 
il  visita  l'Allemagne  et  la  Pologuc  , 
où  il  s'arrêta  quelque  temps  pour 
observer  la  maladie  singulière  con- 
nue sous  le  nom  de  Plique  polonaise. 
De  retour  dans  sa  ville  natale,  il  par- 
tagea ses  loisirs  entre  la  pratique  de 
son  art  et  l'étude  des  sciences  natu- 
relles. Haller  sel'associa  pour  la  pu- 
blication des  u4rtis  mcdicœ  princi- 
pes ^  et  il  surveilla  depuis  l'impres- 
sion de   quelques  ouvrages   de  ^  son 


vie 

maître ,  dont  il  a  donné  une  table  gé- 
nérale. Vicat  mourut  à  Lausanne, 
eu  1783,  laissant  la  réputation  d'un 
habile  praticien.  Il  jouissait, comme 
médecin  ,  d'une  pension  de  la  ville  de 
Payerne.  Il  était  membre  correspon- 
dant de  l'académie  royale  de  Gotlin- 
gue  ,  de  ia  société  médicale  helvéti- 
que, etc.  On  a  de  lui  :  I.  Mémoire 
sur  la  Pliquc polonaise  ,  Lausanne, 
l'j'jS,  in-S"*.  IL  Histoire  des  plan- 
tes vénéneuses  de  la  5H/55e ,  rédigée 
d'après  Haller  ,  Yverdun,  177G,  1 
vol.  in-H». ,  fig.  ;  elle  est  estimée.  III. 
Matière  médicale .  tirée  de  l'ouvra- 
ge dellaller  :  Stirpium  ijidigenarum 
Helvetiœ  historia  ;  avec  beaucoup 
d'additions,  Berne,  1776,  2  vol. 
in-8".  ;  nouvelle  édition  sous  ce  titre  : 
Histoire  des  plantes  suisses,  ibid. , 
1791,  2  vol.  iu-B".  Cet  ouvrage  est 
traduiten  allemand.  IV.  Supplément 
au  Dictionnaire  d'histoire  naturelle 
de  Valmont  de  Bomare,  Lausanne, 
1778  ,  in-8".  ;  outre  quelques  arti- 
cles nouveaux,  ce  volume  contient 
une  table  raisonuc'e  et  systématique 
des  articles  d'histoire  naturelle  ;  et 
trois  tables  de  malici  e  médicale  , 
l'une  ,  des  remèdes  internes;  l'autre, 
des  remèdes  externes,  et  la  troisième, 
des  remèdes  rangés  sous  les  noms 
des  maladies  auxquelles  ils  convien- 
nent. Celte  dernière  table  finit  au 
mot  petite -vérole  ;  mais  l'auteur  en 
promettait  la  suite  dans  un  second 
volume, qui  n'a  point  paru.  V.  De- 
lectus  ohservationum  practicarum 
ex  diario  clinico  desumptaruni  , 
ibid.,  1780,  in-S". ,  trad.  en  alle- 
mand, par  Ch.'^F.  Niceus  ,  Leipzig, 
T793  ,  grand  in-8".  VI.  Observations 
et  dissertations  de  médecine  prati- 
que ,  publiées  on  forme  de  lettres , 
trad.  du  latin  de  Tissot,  ib.,  T780, 
"x  vol.  in-12;  reproduits  en  T784, 
daas  le  recueil  des  Œuvres  de  Tis- 

XLVIIT, 


Vie  353 

sot,  dont  ils  forment  les  tomes  r  et 
VI.  C'est  la  traduction  des  Epistolœ 
medico-practicœ  (  F".  Tissot).  Le 
traducteur  y  a  réuni  quelques  pièces 
sur  le  Raphania ,  ou  maladie  attri- 
buée à  l'usage  du  seigle  ergoté ,  tirées 
de  la  Bibliothèque  allemande  de 
médecine  ,  de  J.-Clém.  Tade.  VII. 
Mémoire  sur  le  gaz  ,  et  principale- 
ment sur  le  gaz  méphitique  dit  air 
fixe,  trad.  du  latin  de  J.-Fréd.  Cor- 
vinus,  avec  deux  autres  Mémoires 
analogues ,  l'un  de  Bergmann ,  et 
l'autre  de  Crell ,  ibid. ,  1 788 ,  3  part. 
in-8'\  W — s. 

VIGECOMES.   roj.    ViscoNTi 

(  JoSEPiI  ). 

VICENTE  (  GiL  ) ,  le  plus  ancien 
et  le  plus  célèbre  des  poètes  comiques 
portugais  ,  naquit  ,  suivant  les  uns  , 
à  Guimaraens  ,  suivant  d'autres  à 
Barccllos  ;  et  d'après  le  plus  grand 
nombre  à  Lisbonne.  On  ne  connaît 
pas  plus  exactement  l'année  que  le 
lieu  de  sa  naissance.  Toutefois ,  on 
peut  la  déterminer  avec  assez  de  pro- 
babilité, à  l'aide  des  dates  par  les- 
quelles il  a  lui-même  indiqué  l'époque 
de  la  composition  d'un  grand  nom- 
bre de  ses  pièces  dramatiques.  On  sait 
que  la  première  est  de  l'année  i  Son.  ; 
il  ne  pouvait  guère  avoir  alors  plus 
de  vingt  à  vingt-deux  ans,  ce  qui  re- 
porterait l'année  de  sa  naissance  vers 
1480  ;  comme  l'époque  de  sa  mort 
est  de  1557  ,  il  aurait  vécu  soixante- 
quinze  ou  soixante-dix-sept  ans.  Mal- 
gré l'ancienneté  et  la  popularité  des 
ouvrages  dramatiques  de  Gil  Vi- 
cente,  les  Portugais  n'élèvent  au- 
cune prétention  sur  la  priorité  de 
leur  théâtre  national.  Sans  parler 
de  l'Italie,  où  ,  sur  la  fin  du  quin- 
zième siècle  ,  Ange  Polilien  ,  Arios- 
te,  le  cardinal  Bibiena  ,  Machia- 
vel et  P.  Aretin  avaient  fait ,  pour 
renouveler  la  tragédie  et  la  comédie 

23 


354  Vie 

anliquc5:,(lesctrortsdontla  renommée 
ue  parvint  jamais  au  poète  portu- 
gais; deux  pays  voisins,  la  France  et 
l'Espagne  ,  étaient  entres  avec  hon- 
neur dans  la  roule  du  drame  national, 
seul  plaisir  de  l'esprit  qui  j)ut  émou- 
voir vivement  cette  socit'tc  nouvelle 
qui  y  retrouvait  ses  habitudes,  ses 
goûts  et  ses  croyances.  Dès  la  fin  du 
treizième  siècle^  Adam  de  le  Halle  , 
plus  connu  sous  le  nom  du  Bossu 
d'Arras  ,  avait  obtenu  une  brillante 
réputation  par  son  Giru  ou  drame 
cbarmantdc  Bobin et yiarkm , et  par 
plusieurs  autres  du  mime  génie,  l^a 
farce  si  gaie  et  si  naturelle  de  VAi'o- 
cat  Patelin  est  de  la  première 
moitié  du  qinnzièmc  sil-cle  ;  et  Jean 
Michel  se  rendit  fort  célèbre  à  la  mê- 
me époque,  par  salragédie  de  la  ï'ie 
de  JciitS'Christ.  En  Espagne  ,  le 
spirituel  marquis  de  Villena  avait  fait 
représenter,  dès  i^x'i,  à  la  cour 
d'Aragon,  une  comédie  allégorique,  à 
l'occasion  des  fêtes  du  mariage  de 
Ferdinand  I*""".  ;  et  sur  la  (in  de  ce 
siècle  les  Cislillans  possédaient  les 
compositions  dramatiques  de  Juan 
de  la  Encuia ,  qui  furent  représentées 
ensuite  sur  le  théâtre  de  Ferdinand 
et  d'Isabelle.  Toutefois  les  pastora- 
les d'Adam  de  le  Halle,  du  marquis 
de  Villena  ,  et  de  Juan  de  la  Eiicuia  , 
paraissent  avoir  eu  peu  d'influence 
sur  le  talent  dramatique  de  Gil  Vi- 
cente.  Les  deu\  seuls  auteurs  espa- 
gnols avec  lesquels  il  ait  quelque  res- 
semblance sont  Bartolomeo  Ter- 
res îs'aharro,  et  Lope  de  Rueda ,  ses 
contemporains  ,  auxquels  il  ne  doit 
r.rn.  Il  paraît  n'avoir  connu  que  les 
auteurs  français.  Son  drame  inti- 
tulé :  Brève  summario  da  liistoria 
de  Deos  desdc  o  principiodo  mundo 
atc  a  resurreicao  de  Christo  ,  ollie 
plusieurs  traits  de  ressemblance  avec 
la  Vie  de  Jésus-Christ^  par  Michel  ; 


Vie 

et  les  couplets  insérés  à  la  fin  de 
plusieurs  de  ses  pièces  indiquent 
d'ailleurs  combien  notre  théâtre  lui 
était  familier  ,  et  quelle  estime  il  eu 
faisait.  Mais  si  plusieurs  autres  na- 
tions ont  devancé  les  Portugais  daus 
la  carrière  dramatique,  aucun  au- 
teur ,  jusqu'à  Gil  Vicente  j  n'avait 
exclusivement  consacré  ses  talents  au 
perfectionnement  de  ce  genre  ,  et 
n'a^  ait  ubtcim  ces  succès  répétés  et 
durables  ,  qui  ont  assuré  son  in- 
fluence, non-seulement  sur  les  au- 
teurs dramatiques  de  sa  nation,  mais 
aussi  sur  ceux  des  nations  étrangè- 
res. On  ne  retrouve  avant  lui,  dans 
les  autres  pays ,  (pic  des  essais  iso- 
lés ,  et  heureux  quelquefois.  Avec 
lui  le  drame  national  s'élève  au  pre- 
mier rang  des  cum])osilions  littérai- 
res ;  sa  marche  se  régularise  un  peu  ; 
ses  dillércntes  parties  apprennent  à 
se  coordonner  mieux  entre  elles  ,  et 
un  slvleharmouicuxctnalurel  achève 
de  graver  dans  les  esprits  l'imjjres- 
sion  vive  que  la  variété  des  caractè- 
res et  l'intérêt  de  la  fable  ont  com- 
mence' à  produire  sur  les  spectateurs. 
Gil  Vicente  venait  de  terminer  ses 
études  de  jurisprudence  à  l'université 
de  Lisbonne  ,  lorsqu'à  l'occasion  de 
la  naissance  de  Jean  III,  lils  de  la 
reine  Marie  ,  il  composa  une  sorte  de 
monologue  pastoral  en  douze  stances, 
qui  fut  récité,  en  présence  de  la  reine 
Béatrice  et  de  la  duchesse  de  Bra- 
gance ,  le  ']  juin  i5o2,  s<;cond  jour 
de  la  naissance  de  l'infant.  Get  essai 
pastoral ,  alors  nouveau  ,  plut  telle- 
ment à  Béatrice,  qu'elle  pria  l'auteur 
de  vouloir  bien  le  lui  réciter  de  nou- 
veau pour  la  fêle  de  Noël,  à  l'occa- 
sion de  la  naissance  de  Jésus-Christ. 
Gil  Vicente  écrivit  à  ce  sujet  un  nou- 
veau poème  pastoral  ,  non  jilus  sous 
la  forme  de  monologue  ,  mais  en  y 
introduisant  six  bergers.  Ce  second 


vie 

essai  lui  ayant  acquis  une  grande  rc'- 
pulatioii ,  il  aljaiidonna  lout-à-1'ait  la 
jiiiispnuloncc  ,  pour  se  livrer  exclu- 
sivement à   un  genre  devenu  popu- 
laire. La  Bible  (  en  y  comprenant  les 
1  ivres  apocryplies  alors  si  répandus), 
dans  l'étude  de  latpielle  il  était  fort 
verse,  et  les  romans  de  chevalerie 
faisaient  tout  lefondsdeson  érudition, 
et  lui  fournissaient  tous  les  sujets  de 
ses   compositions.   C'est  en  traitant 
ces  sujets,  si  familiers  à  ses  auditeurs^ 
que,  sans  imiterses  prédécesseurs,  et 
sans  connaître  rien  des  auteurs  grecs 
et  latins  ,  il  lit  pendant  sa  vie  les  de- 
lices   des  deux  cours  si  polies  d'É- 
mauuel  et  de  Jean  III  ;   et  après  sa 
mort, delà  cour  pluscultiveode  Sebas- 
tien. Le  premier ,  il  fixa  le  goût  du  pu- 
blic pour  les  représentations  draraa- 
ticpies  ,  et   montra  à  l'Europe    (pi'il 
n'était  plus  possible  de  captiver  l'at- 
tention desspectateurs  par  des  imita- 
tions serviles  et  des  tiaduclions  des 
anciens  auteurs  grecs  et  latins.  11  éta- 
blit un  théâtre  national ,  qui  a  survé- 
cu à  toutes  les  tentatives  faites  dans 
les  siècles  suivants   pour    le    sou- 
mettre à  un  joug  étranger.  11  fut  le 
maître  de  Lope  de  Vega  ,  et  par  sa 
vérité ,  son  esprit  comique  et  la  fécon- 
dité de  son  invention  ,  il  exerça  une 
influence  puissante  et  immédiate  sur 
les  théâtres  de  l'Espagne ,  de  l'Italie, 
de  l'Angleterre  et  de  la  France.  On 
sait  que  le  célèbre  Érasme  apprit  le 
portugais,  uniquemeat  pour  être  en 
état  de  le  lire,  et  le  déclara,  après  l'a- 
voir lu  ,  supérieur  à  l'idée  qu'il  s'en 
était  faite  avant  de  le  connaître.  On 
chercherait  en  vain  dans  ses  drames 
la     régularité     de    formes    exigée 
par   les  critiques  français;    on  n'y 
trouve    pas    même   la    division   eu 
actes.  Le  mètre  est  aussi  divers  que 
la  marche   de  la  fable  ;    et  il  in- 
troduit, selon  sa  fantaisie,  un  ou 


VIC 


355 


plusieurs  couplets,    tantôt  au  com- 
mencement ,  tantôt  au  milieu  et  tan- 
tôt à  la  lin.  On  peut  bien  croire  qu'il 
n'y  faOt  pas  chercher  non  plus  l'unité 
de  temps,  d'action  et  de  lieu.  \J Auto 
intitulé  :  Brcve  summario   da  his- 
toria  de  Dcos  ,  a  pour  interlocuteurs 
des  personnages  qui  ont  vécu  dans 
des  temps  fort  éloignés,  et  s'y  trou- 
vent néanmoins  rapprochés  sur  la 
même  scène.  Ce  sont ,  par  exemple, 
Adam  et  Eve  ,  Job,  Abraham  ,  Da- 
vid,  saint    Jean-Baptiste  et   Jésus- 
Christ.  La  comédie  de  Biibéna  n'est 
autre  chose  qu'un  roman  dialogué. 
Ccsmena  ,  héroïne  de  la  pièce,  pa- 
raît d'abord  nouvellement  née  ;  puis 
gardant  les  troupeaux;  puis  enlevée 
à  quinze  ans  et  portée  en  Crète  ;  là  , 
adoptée  j)ar  une  noble  dame  ,  et  en- 
lin  mariée  à  un  prince  de  Syrie  qui 
était  venu  incognito  visiter  la  belle. 
Les  acteurs  viennent  et  partent  quand 
bon  semble  au  poète.  Les  épisodes 
n'ont    aucun  rapport  au   sujet;   le 
mètre  est  tantôt  eudécasyllabique  , 
et  tantôt  en  stances  ;  la  langue  mê- 
me est  tantôt  portugaise  et  tantôt  cas- 
tillane; et  enfin  pour  achever  la  con- 
fusion, les  anges  y  paraissent  à  côté 
des  quatre  saisons,  et  Jupiter  vient 
adorer  la  crèche  où  repose  le  Dieu 
chrétien  nouveau-né.  Au  reste,  ce  mé- 
lange du  sacré  et  du  profane  édifiait 
alors  les  assistants;  et  on  voyait  mê- 
me avec  recueillement,  dans  une  de 
ses  pièces,  un  moine  revenu  de  l'en- 
fer répéter   une    sorte    d'invitation 
amoureuse  ,  qu'il  avait  l'habitude  de 
réciter  dans  le  monde  ,  et   prêcher 
un  sermon ,  dont  le  texte  est  :  omnia 
vincit  amor.   La  piété  des   fidèles 
en  était  si  peu   blessée ,    que  pres- 
que tous  les  ouvrages  de  Gil  Vicente 
ont  été  représentés  à  l'occasion  des 
solennités  de    Noël  ou    de  la  Pas- 
sion, comme  une  suite  de  la  céré- 
23.. 


35G 


VIG 


monii'  de  la  messe,  dans  les  égli- 
ses et  dans  les  chapelles.  Quelques- 
unes   eut  cte'  reprësenLccs  dans   la 
chambre    de    la  rciue    àMarie.    Gil 
Vicente,  ses  dciix  fils  Gil  et  Luis, 
et  sa  fille  Paula,  y  jouaient  en  per- 
sonne. Le  prince  Jean ,  depuis  le  roi 
Jean  III ,  ligure  mèine  dans  une  de 
ses  comédies  ,  où  il  s'agissait  de  dé- 
cider  laquelle  des   deux,  filles  d'un 
marchand  de  Burgos  devait  épouser 
un  prince  étranger,  si  amoureux  de 
toutes  deux ,  qu'il  ne  savait  pour  la- 
quelle se  décider.  Ces  pièces  lurent 
re[)resen{ces  souvent  dans  d'autres 
lieux  publics  ;  et  l'on  apprend  ,  en 
les  lisant,   que  les  acteurs  jouaient 
alors  sur  un  ampliillie-àtre  clcve'  au- 
dessus  des  spectateurs  ;  qu'il  y  avait 
des  changements  de  décorations,  opé- 
rés à  l'aide  de  rideaux  ;  et  que  mnnc 
on  avait  le  secours  de  qurlcpies  ma- 
chines, reste  des  anciennes   moinc- 
ries  ou  pantomimes  en  usage  dans  les 
grandes  solennités  nationales.  IMalgrc 
tout  le  elesordrc  de  ses  plans  et  ce 
mc-langc  de  tous  les  siècles  et  de  tous 
les  cultes,  les  esprits  les  plus  préve- 
nus ,  qui  jiourrout  avoir  le  plaisir  do 
le  lire  daits  l'original,  seront  forces 
d'avouer  (pic  la  richesse  prodigieuse 
de  sou  invention  ,  la  vivacité  et  la 
vérité  ele  son  dialogue,  la  suavité  et 
l'harmonie  poétique  de  son  langage, 
la  beauté  de  ses  allégories,  la  grâce 
et  la  délicatesse  comique  qui  brillent 
partout  dans  ses  elrames,  et  surtout 
dans  ses  Autos  et  flans  ses  farces , 
justifient  l'enthousiasme  qu'il  a  ins- 
piré à  ses  compatriotes.  11   s'écou- 
la trente  -  quatre  ans  depuis  la  com- 
position de  son  jucinier  ouvrage,  en 
i5oîi,  jusqu'à  l'année  i53(i,  où  il 
termina  sa  brilKinte  carrière  drama- 
tique  par  un  de  ses  plus  piquants 
ouvrages  ,  la  comédie  intitulée  :  Flo- 
rrata   d'en^anos.   Il    vécut   encore 


Vie 

jusqu'à  l'année  i557,  où  s'étaut  ren- 
du avec  la  cour  à  Évora,  il  y  termi- 
na ses  jours  à  l'âge  d'environ  soixan- 
te-dix-sept ans.  Ses  restes  ont  été  dé- 
posés dans  le  couvent  de  Saint-Fran- 
çois de  cette  yillc.  Il  eut  de  sa  femme, 
Blanche  Bczerra  ,  trois  enfants  :  Gil 
Vicente,  Luis  Vicente  et  Paula  Vi- 
cente. Gil  se  distingua  aussi  dans  la 
poésie;  mais  s'étaut  fait  militaire,  il 
mourut  en  combattant  daus  l'Inde. 
Parmi  beaucoup  d'af/f05  qu'il  a  écrits, 
on  cite  comme  le  meilleur  :  D.  Luis 
de  los   Turcos.  Paula  se  distingua 
aussi  par  ses  talents  pour  la  poésie; 
et  elle  se  fit  beaucoup  admirer  par 
la  grâce  et  le  naturel  avec  lesquels 
elle  représentait  les  ouvrages  de  son 
père.  Ce  fut  sou  second  fils  ^  Luis  Vi- 
cente ,  qui  lut  l'éditeur  de  ses  ouvra- 
ges. Aucun  n'avait  été  imprimé  pen- 
elant  sa  vie;  mais  il  les  avait  laissés 
la  ])lupart  écrits  de  sa  propre  main. 
Luis  Vicente  y  ajouta  ceux  qui  res- 
taient ,  et  les  fit  imprimer  en  un  mê- 
me volume,  avec  quelques  autres  de 
son  frère,  à  Coïmbrc  et  à  Lisbonne  , 
par  Jean  Alvarez,  en  i56i  et  iSG'i, 
en  un  volume  in  -  fol.  Ce  volume  a 
pour  titre  :  Compilacao  de  todaslas 
ohms  de  Gil  Viccnle  ;  o  quai  se 
reparle  en  sinco  livras ,  o  primeiro 
de  iodas  suas  causas  de  dcvacain  ; 
o  segundo  as  comedias  ;  o  terceiro 
as  tra^icomedias  ;  o  quarto  as  far- 
cas;  a  quinto  as  ohras  meudas,  Lis- 
bonne ,  par  .Toao  Alvres,  i562,  in- 
fol.; c'est-à-dire:  Collection  drtoirtes 
lesOEuvrcs  de  Gil  Vicente,  divisées 
en  cinq  livres.  Le  premier  contient  les 
OEuvics  de  dévotion  ;  le  second  les 
comédies;  le  troisième  les  tragi  -  co- 
médies ;  le  quatrième  les  farces;  le 
cinquième  les  petites  pièces,  La  pre- 
mière partie,  intitulée  OEuvres  de 
dévotion ,  se  compose  de  dix-sept  au- 
tos ;  la  seconde  de  quatre  coméelies  ; 


vie 

la  troisième  de  dix  Iragi  -  comédies  ; 
la  quatrième  de  onze  iarcesj  la  cin- 
quième de  couplets  et  autres  petites 
pièces.  Une  grande  partie  des  ou- 
vrages dramatiques  portent  l'indi- 
cation du  lieu  et  la  date  de  l'an- 
née où  ils  ont  c'tc  représentes.  Une 
antre  édition,  plus  correcte  que  la 
première,  a  ëtc  publiée,  en  i586, 
in -4".,  par  André  Lobato;  elle 
forme  deux  cent  quatre-vingt-un 
feuillets.  Plusieurs  des  ouvrages 
dramatiques  ont  ëtc  imprimes  sé- 
parément ;  tels  sont  :  Auto  de 
Amadis  de  Gaula ,  Lisbonne  , 
Vicente  AIvres ,  i586,  in -4".  j  au- 
tre édition,  aussi  à  Lisbonne,  cliez 
Domingos  de  Fonccca,  1612,  iu^"- 
Cet  auto  avait  ctc'  mis  à  l'index  par 
l'inquisition  espagnole;  mais  l'inqui- 
sition portugaise  le  permit  avec  quel- 
ques corrections;  Auto  da  Barcado 
infemo  ,  Lisbonne,  iGaS  ;  autre 
édition,  Évora,  imprimerie  de  l'u- 
niversité, lô-- 1  ,  in-4".  ;  Auto  de  D. 
Duardos,  Lisbonne ,  Vicente  AIvres, 
iGi3,  in^".  ;  autre  édition,  Lisbon- 
ne,  Ant.  Alvres,  i634;  autre,  Bra- 
ga,  chez  Fructuozo  de  Basto  ,  162^, 
in-4".  ;  Auto  do  Juiz  de  Bejra,  Lis- 
bonne, Ant.  AlviTs,  i(J3o,  in -4".; 
Triunfo  do  infemo,  comédie,  Lis- 
bonne ,  Alicliel  Carvallio  ,  i6i3, 
in- 4".  ;  Auto  da  Donzella  da  torre 
ou  dofidalgo  Portuguez ,  Lisbonne , 
Ant.  Alvres,  i643,  in -4".  Malgré 
ces  diverses  réimpressions ,  il  est  fort 
dilllcile  aujourd'hui  de  se  procurer 
quelques  -  unes  de  ses  pièces  isolées  ; 
et  il  est  impossible  d'obtenir ,  à  au- 
cun prix,  ses  OEuvres  complètes. 
Ou  n'en  connaît  que  quelques  exem- 
plaires ,  çà  et  là  dans  les  grandes  bi- 
bliothèques. Celle  de  l'université  de 
Gottingue  en  possède  un  exemplai- 
re ;  celle  de  l'université  de  Coimbre 
un  autre;  la  bibliothèque  des  nobles 


vîc  357 

et  une  bibliothè(|ue  publique  de 
Lisbonne  en  possèdent  chacune  un 
autre.  Un  grand  nombre  d'exem- 
plaires auront  sans  doute  été  perdus 
dans  le  grand  tremblement  de  terre 
de  Lisbonne  ;  et  comme  on  n'en  a 
fait  aucune  édition  depuis,  les  re- 
clierches  des  bibliophiles  les  plus  cu- 
rieux ne  peuvent  obtenir  aucun  ré- 
sultat. Ayant  le  dessein  d'en  publier 
moi  -  même  une  édition  à  Paris,  afin 
de  sauver  d'un  oubli,  f't  peut-cire  d'un 
anéantissement  complet,  ce  poète  dra- 
matique si  éminent ,  j'ai  été  obbgé 
d'en  iaire  faire  une  copie  sur  un  des 
exemplaires  de  la  bibliothèque  publi- 
que de  Lisbonne.  Ce  n'est  pas  le  seul 
des  auteurs  classiques  portugais  qui 
soit  devenu  si  rare  qu'on  est  obligé 
d'en  faire  faire  des  copies.  Le  nouvel 
essor  quene  peuvent  manquer  de  pren- 
dre les  sciences  et  les  arts  en  Portu- 
gal ,  quand  le  tumulte  des  guerres  ci- 
viles ou  étrangères  sera  passé ,  fera 
sans  doute  multiplier  les  ouvrages 
classiques  du  pays;  et  les  Portugais 
se  hâteront  d'enlever  cette  gloire  aux 
étrangers.  Bu — n. 

VICHARD(  CÉSAR).  To/.Saint- 
Rkal. 

VICIIMANN  (  BovBRHARD  ),  né 
à  Rica  en  i-8Ci,  fit  ses  études  en 
Allemagne,  dans  les  universités  de 
Gottingue,  d'Iéna  et  d'HeidcIberg. 
Il  s'était  voué  d'abord  à  la  médeci- 
ne; mais  ayant  échoué  dans  le  trai- 
tement d'un  malade  dont  il  avait 
fort  à  cœur  la  guérison,  il  renonça 
à  cette  profession  ,  pour  se  livrer 
tout  entier  à  l'étude  de  l'histoire  et 
delà  géographie.  Après  un  court  sé- 
jour dans  sa  patrie,  en  1808,  il  se 
rendit  à  Saint-Pétersbourg  ,  oi!i  il  fut 
successivement  professeur  d'histoire 
et  de  statistique,  préceptruv  des  jeu- 
nes princes  de  Wurtemberg  ,  et  se- 
crétaire   du    comte  de   Roman zof. 


358 


Vie 


De  retour  à  Riga,  en  1817,  avec  le 
titre  de  directeur  des  écoles  de  Cour- 
lande ,  qui  lui  fut  confère  par  le  gou- 
veniement ,  il  résolut  d'y  fonder  un 
musée  national  à  l'instar  de  ceux  de 
Lemberg  et  de  Pest;  et  il  avait  for- 
me ,  à  cet  effet ,  une  bibliothèque  de 
plus  de  trois  mille  volumes  ,  compo- 
sée uniquement  de  manuscrits  et 
d'ouvrages  en  diverses  langues ,  tous 
relatifs  à  la  Russie  ;  mais  ce  projet 
ayant  manqué ,  il  vendit  sa'  riche 
collection  au  prince  Labanof-Ros- 
tOAVski ,  pour  quinze  mille  roubles. 
Trois  ans  plus  tard ,  en  1820,  il  re- 
Douvela  la  même  tentative  à  Saint- 
Pétersbourg  ,  mais  avec  aussi  peu  de 
succès  ;  et  sa  nouvelle  collection  échut 
à  la  bibliothèque  de  l'ètat-major  de 
l'empereur  Alexantlre  ,  pour  la  som- 
me de  dix  raille  roubles.  Vichmann 
mourut  à  Saint-Pétersbourg,  en 
1822.  Il  a  écrit  en  allemand  la  plu- 
part de  ses  ouvrages  ;  voici  la  liste 
des  principaux  :  I.  Tableau  de  la 
monarchie  russe,  Leipzig,  181 3. 
Cet  extrait  de  celui  de  Hassel ,  dont 
Vichmann  a  fait  disparaître  les  er- 
reurs, contient  les  notions  les  plus 
complètes  qui  aient  été  publiées  rela- 
tivement à  la  statistique  de  la  Russie. 

II.  Sur  l'élection  au  trône  de  Mi- 
chel Romanof,  Leipzig,  1820  :  tra- 
duction d'une  pièce  comprise  dans 
la  collection  dite  d-es  Papiers  d'État, 
publiée  par    le    comte   Romanzof. 

III.  Collection  d'ouvrages  inédits 
relatifs  à  l'histoire  ancienne  de  la 
Bussie,   tom.    i'^''.,  Berlin,   1820. 

IV.  Musée  national  russe ,  Riga  , 
1820  :  c'est  le  plan  de  l'établisse- 
ment dont  nous  avons  parlé ,  et  dont 
le  projet  n'a  point  reçu  d'exécution. 

V.  aperçu  chronologique  de  l'his- 
toire moderne  russe,  Leipzig,  1821, 
2  vol.  :  cette  production,  la  plus  im- 
portante de  celles  qu'a  publiées  l'au- 


VIC 

leur  ,  est  un  manuel  indispensable 
pour  ceux  qui  étudient  l'histoire  de 
la  Russie.  Vichmann  était  un  des 
rédacteurs  de  la  ISouvelle  Encyclo- 
pédie ,  publiée  à  Leipzig ,  des  Ar- 
chives du  Nord ,  journal  russe ,  et  de 
plusieurs  journaux  allemands.  M-G-R. 
VICHNOU-SARMA  est  le  nom 
d'un  bralirae  auquel  est  attribuée  la 
compositiond'un  Recueil  d'apologues 
célèbre,  connu  depuis  long-temps ,  en 
Europe  ,  sous  le  titre  de  Fables  de 
Pilpaj  ou  Bidpai ,  mais  dont  l'ori- 
ginal ,  écrit  en  langue  sarascrite , 
porte  le  nom  de  Pantcha-tantra  ou 
P antckopacliyana ,  et  a  donné  nais- 
sance à  deux  autres  ouvrages  écrits 
dans  la  même  langue,  le  Cat'ham- 
rita-nidhi  qui  n'a  jamais  été  publié, 
et  le  Hitopadesa.  Ce  dernier  a  été 
traduit  eu  anglais  par  W.  Jones,  et 
cette  traduction  se  trouve  dans  le 
xiiie,  volume  de  ses  OEuvresjil  a  en- 
core été  traduit  dans  la  même  langue 
par  M.  Charles  Wilkins ,  et  publié 
à  Bath  ,  en  i  '^87  ,  in-8°. ,  sous  ce  ti- 
tre :  Tlielleetopades  of  Feeshnoo- 
Sarma  ,  in  a  séries  of  connected 
fables  ,  etc. ,  et  le  texte  samscrit  a 
été  imprimé  plus  tard  ,  d'abord  à 
Serampore  ,  en  1806  ,  avec  une  in- 
troduction due  à  M.  H.  T.  Cole- 
brooke ,  et  ensuite  à  Londres ,  en 
1810,  par  M.  Wilkins.  L'auteur  du 
Hitopadesa  reconnaît  lui-même,  à 
la  fin  de  sa  préface,  qu'il  a  puisé  les 
matériaux  de  son  ouvrage  dans  le 
Pantcha  -  tantra  et  dans  d'autres 
écrits.  Vo\\YWniç.u\' àuCat'hamrita- 
nidhi ,  il  déclare  positivement  qu'il 
n'a  fait  qu'abréger  le  Pantcha- 
tantra  ,  sans  rien  changer  au  fond 
de  l'ouvrage  ,  ni  à  l'ordre  des  apolo- 
gues dont  il  se  compose.  Quant  aux 
rapports  et  aux  dillérences  qui  exis- 
tent entre  le  Pantcha-tantra  et  le 
Hitopadesa  ,  il  faut,  pour  s'en  faire 


vie 

une  juste   idée  ,  lire  l'introduclion 
mise  par  M.  Colebrooke  à  la  tête  de 
la  première  édition  du  texte  sams- 
cril du  dernier  de  ces  deux  ouvrages, 
et  un  Mémoire  de  RI.  Horace  Hay- 
man  Wilson ,  secrétaire  de  la   so- 
ciété asiatique   du  Bengale  ,  publié 
dans  le  tome  i*"'.  du  Recneil  intitulé  : 
Transactions  of  the  royal  Asiatic 
Society  of  Great-Britain  and  Ire- 
land.  Les  recherclics  de  ces  deux,  sa- 
vants ont  prouvé  que  c'est  I  e  Pantcha- 
tantra  qui  a  fourni  à  Burzouyéh  la 
plus  grande   partie  des   matériaux. 
<ju'il  a  traduits  en  pelilwi ,  par  l'or- 
dre du  roi  de  Perse  Kliosrou  Nou- 
schirwan  ,  et  intitulés  Livre  de  Ca- 
lila  et  Dimna ,  et  qui  ont  ensuite 
passé  ,  sous  divers  noms  ,  dans  les 
langues  les   plus  répandues  de  l'O- 
rient ,  et  dans  toutes  les  langues  de 
l'Europe.  Parmi  les  noms  que  ce 
livre  a  portés  dans  l'Orient  ,  d'Her- 
bclot  et  beaucoup  de  savants  aprcs 
lui  ont  compris  celui  de  Djavidan- 
khired  ou  Sagesse  étemelle ,  qui  ap- 
partient à  un  livre  totalement  diffé- 
rent ;  et  cette  erreur  a  clé  x-épétée  mê- 
me dans  cette  Biographie  imivcrselle 
(  F".  Burzouyéh  ).  L'auteur  du  pré- 
sent article  a  tracé,  avec  plus  d'exacti- 
tude qu'on  ne  l'avait  fait  auparavant, 
l'histoire  du  livre  de  Calila  et  Dim- 
na ,  et  des    principales  traductions 
de  ce  même  livre  ,  dans  un  Mémoire 
placé  à  la  tête  de  l'édition    qu'il  a 
publiée  à  Paris  ,  en  ï8i6  ,  du  texte 
arabe  de  ce  Recueil  d'apologues  ,  et 
dans  diverses  Notices  insérées  dans 
les  tomes  viii  et  ix  des  Notices  et 
extraits  des  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque du  roi.  M.  l'abbé  Dubois  a 
donné  à  Paris  ,  en  1826  ,    une  Xra- 
duction  française  du  Prt«fc/irt-îanfra, 
faite  d'après  diverses  versions  écrites 
dans  quelques-uns  des  idiomes  vul- 
gaires de  l'Inde.   Ou  peut  consulter 


Vie  559 

sur  cette  traduction  le  Journal  des  Sa- 
vants ,  cahier  d'août  182G.  Pour  eu 
revenir  à  Fichnou-Sarma  ,  on  ne  sait 
ni  à  quelle  époque  il  a  écrit,  ni  même 
si  c'est  un  personnage  historique ,  ou 
un  nom  supposé.   Le  Recueil  qu'on 
lui  attribue  a  été,  dit-on,  composé 
par  lui   pour  l'inîtruction  de  trois 
jeunes  princes  ,   dont  l'éducation  lui 
avait  été  confiée  par  le  roi  leur  père. 
Ce  cadre  est  sans  doute  une  fiction  de 
l'auteur  du  Fantcha-tantra ,  copiée 
par  celui  à  qui  l'on  doit  le  Hitopa- 
desa  ,  et  il  est  vraisemblable  qu'il  en 
est  de  même  du  nom  de  Vichnou- 
Sarma.  Peut-être  le  Pantcha-tantra 
n'est-il  lui-même  qu'une  nouvelle  ré- 
daction d'apologues  plus  anciens. 
S.n.  S — Y. 
VI  CI  AN  A  (Martin),  historien 
espagnol,  sur  lequel  on  n'a  pu  se  pro- 
curer que  des  renseignements  très-iu- 
complets.Né,versle  commencement 
du  seizième  siècle  ,  dans  le  royaume 
de  Valence ,  il  forma  de  bonne  heu- 
re le  projet   d'en  écrire  l'hi.'itoire, 
et   s'occupa  pendant  quarante -six 
ans  de  recueillir  les  matériaux  néces- 
saires et  de  les  mettre  en  ordre.  Cet 
ouvrage  parut  enfin  sous  ce  titre  : 
Cronicadela  inclita  ciudaddeVa- 
lencia ,  in-foL,  4  parties.  Des  motifs 
que  l'on  ne  peut  pas  même  soupçon- 
ner, mais  sans  doute  très-graves,  en 
firent  supprimer  le  premier  volume, 
avec  tant  de  soin ,  dit  Laserna  de  San- 
tander  ,  qu'on  peut  aujourd'hui   le 
compter  comme  le  livre  le  plus  rare 
qui  soit  au  monde.  Cette  partie  de 
l'ouvrage  de  Viciana  se  trouve  ce- 
pendant en  manuscrit  dans  quelques 
bibliothèques  de  l'Espagne.  On  doit 
regretter  qne  Santander  ait  négligé 
de  faire  connaître  les  raisons  d'une 
proscription  si  rigoureuse.  Ce  savant 
possédait  dan.s   sa    bibliothèque  la 
troisième   et  la  quatrième  partie  de 


36o 


Vie 


l'Histoire  de  Viciara  ,  Valcuce  et 
Barcelone ,  1 564*66  ,  i  vol.  in  -  fol. 
{F.  son  Catalogue ,  n*'.  4642.).  Elle 
passe,  dit-il,  pour  très-exacte.  W-s. 
VICO  (  Jean  de  ) ,  prince  de  Vi- 
tcrbe  et  d'Orviète ,  dans  le  quator- 
7.icmc  siècle  ,  portait  le  titre  de  pré- 
fet de  Rome,  par  un  droit  hérédi- 
taire dans  sa  famille.  Comme  chef 
du  parti  Gibc'in,  il  profita  du  séjour 
des  papes  à  Avignon  pour  se  faire 
accorder  la  souveraineté  de  presque 
toutes  les  villes  du  jiatrimoine  de 
Saint- Pierre.  ViterLe  ,  Orviète  , 
Trani  ,  Amèli,Narui,  IMarta  et  Ca- 
nmo  lui  étaient  soumises  j  son  (ils  ré- 
sidait pour  lui  à  Orviète  ,  tandis  qu'il 
avait  fait  de  Viterbe  la  capitale  de 
ses  états  :  mais  il  gouvernait  avec 
imc  extrême  dureté  des  peuples  tou- 
jours prêts  à  se  révolter.  Clément 
VI  l'avait  excomuiunié  le  i"",  juillet 
i359.  ,  comme  un  tyran  usurpateur 
des  Étals  de  l'Église.  AlLornox  ,  lé- 
gat d'Innocent  VI  ,  mit  en  même 
temps  le  siège  au  mois  de  mai  i354, 
devant  \  ileibe  et  devant  Orviète. 
.Jean  de  Vico  fut  obligé  de  se  rendre 
à  discrétion  ,  de  remettre  en  liberté 
toutes  les  villes  qu'il  avait  soumises , 
et  de  se  contenter  du  gouvernement 
de  Coniclo,  Cività-Vecchia  et  Res- 
parapano,  (|ui  lui  fut  coudé  par  le 
légat.  Le  préfet  Jean  de  Vico  demeu- 
ra vingt-un  ans  d.ms  un  état  d'abais- 
sement ;  enfin  ,  la  guerre  entre  les 
Florentins  et  le  pape  lui  donna  ,  en 
i3--5,  l'occasion  de  rasseinbier  ses 
anciens  partisans;  ils  avaient  oublié 
la  sévérité  de  son  gouvernement ,  et 
se  souvenaient  seulement  de  ses  vic- 
toires ;  au  mois  de  novembre,  ils  lui 
ouvrirent  les  portes  de  Viterbe,  et 
peu  après  celles  de  sa  citadelle  :  alors 
la  maison  de  Vico  recommença  à  ré- 
gner dans  le  patrimoine  de  Sainl- 
Pierrc.  S.  S— 1. 


Vie 

VICO  (  Enej.  ) ,  antiquaire  et  gra- 
veur, naquit  à  Parme  au  commen- 
cement du  seizième  siècle.  Il  passe 
pour  avoir  été  le  premier  qui  ait 
écrit  en  Italie  sur  la  science  numis- 
matique ,  ou  du  moins  qui  ait  essaye 
de  l'assujétir  à  des  règles.  Élève  de 
Marc- Antoine  et  de  Raphaël,  il  fit 
des  progrès  rapides  dans  l'art  de  la 
gravure.  I.egraud-ducCosme  I*^"".  de 
Médicis  l'appela  à  Florence,  où  il  gra- 
va les  plus  licllcs  pointures  de  Michel- 
Ange,  ainsi  que  les  portraits  de  Char- 
les-Quint,  de  Henri  II,  roi  de  Fran- 
ce, de  Jean  de  Médicis  et  de  sou  fils, 
de  Benibo ,  de  l'Arioste ,  etc.  Il  pas- 
sa de  Florence  à  Venise  et  à  Ferrare. 
II  fut  le  premier  qui  grava  la  fameu- 
se table  d'Isis(f^  PiGNORius).  De  re- 
tour à  Parme,  en  i554,  il  publia  les 
médailles  d'or,  d'argent  et  de  bron- 
ze des  douze  Césars,  gravées  et  ex- 
pliquées par  lui  {Omnium  Cœsarum 
vcrissimce  imagines  ex  anUtjuis  nu- 
mismalis  dcsumptœ ,  in-4"0'  Cet 
ouvrage  a  été  réimprimé  à  Rome,  en 
iGi4  et  en  i-jSo.  La  dernière  édition 
est  enrichie  de  nouveaux  dessins ,  par 
F.  Bellori  ;  de  uoiivelles  explications 
et  de  notes  savantes,  par  l'abbé  Valo- 
rio.  En  1 505,  Vico  publia,  à  Venise, 
ses  Discorsisoprà  le  medaglie  (réim- 
jirimés  à  Venise,  i558;  à  Paris , 
1G19;  à  Parme,  1G91  ).  Son  dernier 
ouvrage  :  Imagine  dclle  donne  Au- 
guste ,  parut  à  Venise  en  i557. 
L'année  suivante ,  il  fut  traduit  en 
latin,  par  Natale  Conti.  Cette  tra- 
duction a  été  jointe  aux  Discorsi,  et 
réimprimée  avec  des  notes  de  Duval, 
Paris,  1619.  L'éditeur  a  traduit  en 
latin  et  mis  à  la  fin  de  ce  volume  une 
Vie  de  Jules  César ,  par  Vico.  C'est 
le  commencement  d'une  Histoire  des 
Césars  que  le  savant  artiste  avait  en- 
trcjirise,  et  qu'il  ne  put  achever.  On 
a  accusé  Vico  d'avoir  fait  d'iraagi- 


vie 

nation  les  portraits  de  la  plupart  des 
imperatiices  romaines;  mais  si  ce 
reproche  était  fonde,  il  ne  pourrait 
tomber  que  sur  Fulvio  Orsini  dont 
Vico  avoue  avoir  suivi  l'ouvrage 
(  Illustrium  imagines  ).  Suivant 
Huber  et  Rost  {Manuel  des  curieux 
et  des  amateurs  de  l'art  )  ,  Enca 
Vico  mourut  à  Fcrrarc  ,  probable- 
ment avant  i5Go. — On  a  encore 
de  Vico  :  Monumenta  aliquot  an- 
tùjuorum  ex  ^cmmis  et  cavieis  in- 
cisa ,  Rome  ,  in  -  fol.  ,  sans  date. 
Reliquœ  augustaruni  imagines  nunc 
primùni  à  Jac.  Franco  in  lu- 
cemeditœ  ,  ya-l\°. ,  sans  date  (peut- 
être  ouvrage  posthume  de  Vico),  f^. 
la  Vie  de  Sebastien  Erizzo.  L'au- 
teur de  cet  article  a  trouve  la  plu- 
part de  ces  renseignements  dans  une 
note  manuscrite  de  M.  le  marquis 
de  Paulray,  conservée  à  la  biblio- 
thèque de  l'Arsenal  ;  et  il  n'a  eu 
qu'à  en  vérifier  l'exactitude. 

J.  M— T. 
VICO  (  Francesco  de  ),  historien 
espagnol ,  originaire  de  la  Sardai- 
gne,  était  d'une  des  premières  fa- 
milles de  ce  pays.  Son  mérite  l'e'leva 
aux  principales  dignités  de  la  mo- 
narchie, et  il  devint,  sous  Philip- 
pe IV,  conseiller-d'ctat  et  chef  de  la 
chancellerie  du  royaume  d'Aragon 
et  de  celui  de  Sardaigne.  Il  acquit 
les  fiefs  de  Juani,  Surio,  Sanaysi  , 
Sor,  Soléminis ,  etc.,  qui  depuis 
un  grand  nombre  d'années  appar- 
tenaient à  la  couronne ,  et  étaient 
administrés  au  nom  du  roi.  Il  est 
connu  princi]ialement  par  son  His- 
toire générale  de  Vile  et  du  royau- 
me de  Sardaigne ,  Barcelone,  Lo- 
renzo  Deu  ,  iGSq.  Elle  embrasse 
tous  les  événements ,  à  partir  des 
époques  les  plus  reculées  jusqu'au 
temps  où  il  écrivait ,  et  elle  est  divi- 
sée eu  sept  parties.  Dans  la  première 


Vie  36i 

se  trouve  une  description  complète 
de  la  Sardaigne,  de  ses  provinces  et 
de  ses  villes  ,  avec  des  généralités  sur 
le  caractère  des  habitants,  l'impor- 
tance politique  de  l'île  et  les  consé- 
quences nécessaires  de  sa  position 
maritime  entre  l'Italie  et  l'Espagne. 
La  seconde  est  consacrée  au  récit 
des  guerres  entre  les  Carthagmois  et 
les  Romains,  qui  s'en  disputèrent  la 
possession.  La  troi^ème  contient 
l'histoire  de  l'établissement  du  chris- 
tianisme ,  et  généralement  tout  ce  qui 
se  passa  dans  cette  île  depuis  Auguste 
jusqu'à  l'an  768,  époque  à  laquelle 
Charlcmague  la  donna  au  saint-siége. 
Les  événements  qui  suivirent  cette 
donation  jusqu'en  1297  rcinplis- 
sent  le  livre  suivant.  Dans  le  cin- 
quième est  racontée  la  lin  de  l'his- 
toire politique  dejiuis  l'inféodation 
de  la  Sardaigne  en  faveur  de  Don 
Jayme  II  ,roi  d'Aragon  (1297),  jus- 
qu'à l'époque  où  l'auteur  écrivait. 
Le  sixième  ne  contient  que  l'his- 
toire ecclésiastique  et  la  liste  des 
c'vèques  de  la  Sardaigne.  Le  septiè- 
me se  compose  du  résumé  des  in- 
féodations  particulières.  Le  style 
de  l'ouvrage  est  pur  et  élégant  j 
mais  n'a  pas  de  vigueur.  Vico  man- 
que aussi  de  critique,  et  n'examine 
point  avec  assez  de  sagacité  les 
ttVDnuments  qui  lui  servent  d'auto- 
rités. Un  auteur  sarde  ,  appelé 
Gazano  ,  ministre  d'état  à  Cagliari^ 
a  public  en  italien  une  Histoire  de 
Sardaigne  ,  1777  ,  a  vol.  in-4''.  , 
bien  supérieure  à  celle  de  Vico , 
qu'il  ne  daigne  pas  nommer  dans 
sa  préface.  Nous  en  avons  deux  pu- 
bliées en  français ,  et  qui  donnent  de 
grands  détails.  L'une  est  de  M.  Azu- 
ni  ,  Paris  ,  1801 ,  a  vol.  in-8°. ,  fig. 
et  carte  ;  l'autre  est  de  M.  Mimant  ^ 
consul  de  France  eu  Sardaigne,  Pa- 
rks  ,  i8a5  ,  1  vol,  in  8°.       P — ot. 


36: 


Vie 


VICO  (  Jean-Baptiste ) ,  juriste , 
pliilosopbe,  liistorien  et  critique  ,  na- 
quit à  Naples  en  1668,  et  y  mourut 
en  1744'  ^i  ''on  ne  considère  que  les 
circonstances  matérielles  de  sa  vie, 
elle  ne  peut  inspirer  d'autre  intérêt 
que  celui  de  la  pitié.  11  ne  sortit  point 
de  sa  patrie,  ne  s'éleva  f;ucre  au-des- 
sus de  la  condition  médiocre  où  il 
était  né  ,  vécut  et  mourut  pauvre. 
Fils  d'un  petit  libraire  ,  et  obligé  de 
bonne  beure  de  soutenir  sa  famille  , 
pendant  neuf  ans  jnécepteur  des  ne- 
veux de  l'évcque  d'Iscbia  ,  Vico  pro- 
fessa quarante  ans  la  rhétorique  à 
l'université  de  Naples.  Il  avait  refu- 
sé d'entrer  dans  les  ordres ,  et  s'était 
marié;  c'est  pcul-ètre  ce  qui  l'arrêta 
dans  sa  carrière.  Il  se  présenta  au 
concours  pour  une  chaire  de  droit, 
et  il  échoua.  11  fut  souvent  chargé 
par  les  vice -rois  espa5:;nols  et  autri- 
chiens de  faii'e  des  discours,  des  ins- 
criptions latines  ,  sans  en  retirer  le 
moindre  avantage.  11  dédia  son  prin- 
cipal ouvrage  au  cardinal  Laurent 
Corsini,  depuis   pape   sous  le  nom 
de  Clément  XII,  et  ne  reçut  de  lui 
que  quelques  lettres  flatteuses.  MaK- 
licureux  par  son  indigence,  malheu- 
reux par  les  désordres  ou  les  infir- 
mités de  ses  enfants ,  il  souffrit  cruel- 
lement ,  dans  ses  dernières  années , 
d'un  ulcère  à  la  gorge ,  et  mourut 
lorsque  le  roi  de  Naples  venait  de  le 
nommer   son  historiographe.  L'in- 
fortune le  poursuivit  même  après  la: 
mort.  Ses  restes  deraeui-èrcnl  négli- 
gés et  ignorés  jusqu'en  i  '^89  ,  où  un 
de  ses  fils  lui  fit  graver  une  simple 
épit.ipbc.  Son  nom  est  encore  pres- 
que ignoré  en  -  deçà  des  Alpes;  et  si 
l'Italie  le  révère,  c'est  comme  un  dieu 
inconnu (i).  Toutefois  lorsqu'on  jette 

(i)  Pourqiie  crll**  n^sertion  iic  soit  point  inexac- 
t«  ,  il  fiul  reiunDaitic  un  (ris-pelil  uot-ilirc  d'no- 
Borulilcs  eicïptions.  t'or.  la  iîo  de  cet  arlicle 


Vie 

les  yeux  sur  le  IMémoire  qu'il  a  lui- 
même  écrit  sur  sa  vie ,  ces  malheurs 
obscurs  s'ennoblissent  de  tout  ce  que 
présente  de  sublime  l'invincible  dé- 
veloppement du  génie  à  travers  les 
obstacles  de  la  fortune.  La  vie  de  Vi- 
co n'est  que  la  préparation  ,  l'exécu- 
tion et  lc])erfectiounement  d'un  grand 
ouvrage.  Il  est  curieux  de  voir  chaque 
théorie,  chaque  caractère  du  génie  de 
l'auteur  résulter  de  telle  lecture,  de 
tel  événement.  Le  morceau  dans  le- 
quel il  nous  a  fait  connaître  la  mar- 
che de  ses  études  et  le  progrès  de  ses 
idées  ,  n'est  point  un  de  ces  romans  où 
les  philosophes  exposent  un  système 
sous  une  forme  historique.  La  route 
de  Vico  est  trop  sinueuse  pour  qu'on 
puisse  la  supposer  tracée  d'avance. 
Dans  une  retraite  de  neuf  années,  l'é- 
tude du  droit  le  conduisit  à  celle  de 
la  philosophie  et  de  la   théologie  ; 
il  y  joignit  la  lecture  assidue  des  poè- 
tes latins  et  italiens,  celle  du  Dante 
surtout,  dont  il  sentait  seul  le  génie, 
à  cette  époque  de  mauvais  goût  et 
d'affectation.  Un  heureux  instinct  l'a- 
vait averti  de  bonne  beure  de  laisser 
les  commentateurs  et  les  critiques  , 
pour  s'attacher  aux  originaux.  Dans 
la  philosophie,  son  maître  fut  Pla- 
ton ,  auquel  il  associa  bientôt  l'auteur 
du  Novum  organum.  L'inspiration 
de  ces  puissants  génies,  la  variété  de 
ses  études  et  les  rapports  innombra- 
bles qu'il  saisissait  entre  elles ,  éveil- 
lèrent dans  son  esprit  l'idée  d'un  vaste 
système ,  qui  réunirait  et  fondrait  en- 
semblctou  tes  les  connaissances  quiont 
l'homme  pour  objet;  qui  rapproche- 
.  rait  l'une  de  l'autre  l'histoire  des  faits 
et  celle  des  langues,  en  les  éclairant 
toutes  deux  par  une  critique  nouvelle, 
et  qui  accorderait  la  philosophie  et 
l'histoire,  la  science  et  la  religion. 
Il  devait  trouver  un  grand  obstacle 
dans  l'esprit  essentiellement  analyti- 


vie 

que  du  siècle,  qui  semblait  de'coiira- 
ger  tout  effort  que  l'on  tenterait  pour 
recomposer  la  science.  Mais  l'Italie 
e'tait  restée  au  poiut  de  de'part;  pen- 
dant que  l'Angleterre  et  la  France 
suivaient  l'impulsion  de  Descartes, 
d'autant  plus  fidèles  à  sa  me'thode, 
qu'elles  la  tournaient  contre  ses  sys- 
tèmes, l'Italie  était  encore  soumise 
au  carte'sianisnie.  Un  génie  vraiment 
italien  ne  pouvait  se  soumettre  à  cet- 
te autre  conquête  de  l'Italie  par  les 
e'trangers.  Vico  osa  attaquer  le  car- 
te'sianisme  ,  non  -  seulement  dans  sa 
partie  dogmatique  ,  qui  conservait 
peu  de  crédit,  mais  dans  son  esprit 
et  dans  sa  méthode.  Il  faut  voir,  dans 
Je  discours  où  il  compare  la  méthode 
d'enseignement  suivie  par  les  moder- 
nes à  celle  des  anciens(2),  avec  quel- 
le sagacité  il  marque  les  inconvé- 
nients de  la  première.  Nulle  part  les 
abus  de  la  philosophie  moderne  n'ont 
été  attaqués  avec  plus  de  force  et  de 
modération.  Mais  en  même  temps  ce 
grand  esprit,  loin  de  se  ranger  par- 
mi les  détracteurs  aveugles  de  la  ré- 
forme cartésienne,  en  reconnaît  lui- 
même  le  bienfait.  Il  voyait  de  trop 
haut  pour  se  contenter  d'aucune  so- 
lution incomplète.  «  Nous  devons 
»  beaucoup  à  Descartes  ,  qui  a  établi 
»  le  sens  individuel  pour  règ'e  du 
»  vrai.  C'était  un  esclavage  trop  avi- 
»  lissant  que  de  faire  tout  reposer 
»  sur  l'autorité.  Nous  lui  devons 
»  beaucoup,  pour  avoir  voulu  sou- 
»  mettre  la  pensée  à  la  méthode. 
»  L'ordre  des  scolastiques  n'était 
»  qu'un  désordre.  Mais  vouloir  que 
»  le  jugement  de    l'individu  règne 


(»)  II  y  propose  le  problème  suivant  :  Ne  pour- 
rait-on pas  animer  d'un  mt'iiie  esprit  tout  le  savoir 
divJD  et  hiimaiu  ,  de  sorte  que  les  sciences  se  don- 
nassent la  maiu  ,  pour  ainsi  dire,  et  qu'une  nni- 
versilé  d'aujourd'hui  reprcst'iitàt  un  Platon  ou  un 
Arisloli',  avec  tout  le  savoir  que  nous  avons  de 
plus  que  les  anciens? 


Vie 


363 


»  seul ,  vouloir  tout  assujétir  à  la  mé- 
))  thode  géométrique,  c'est  tomber 
»  dans  l'excès  opposé.  Il  serait  temps 
»  désormais  de  prendre  un  moyen 
»  terme ,  de  suivre  le  jugement  indi- 
»  viduel ,  mais  avec  les  égards  dus  à 
»  l'autorité;  d'employer  la  méthode, 
»  mais  une  méthode  diverse,  selon  la 
»  nature  des  choses.  »  Celui  qui  assi- 
gnait à  la  vérité  le  double  critérium 
du  sens  individuel  et  du  sens  com- 
mun ,  se  trouvait  des  -  lors  dans  une 
l'oute  à  part.  Les  ouvrages  qu'il  a 
publiés  depuis  n'ont  plus  un  carac- 
tère polémique.  Ce  sont  des  discours 
publics  ,  des  opuscules ,  oi!i  il  établit 
séparément  les  opinions  diverses  qu'il 
devait  plus  tard  réunir  dans  son 
grand  système.  L'un  de  ces  opuscu- 
les est  intitulé  :  Essai  d'un  sjstcme 
de  jurisprudence  ,  dans  lequel  le 
droit  civil  des  Romains  serait  expli- 
qué par  les  révolutions  de  leur  gou- 
vernement. Dans  un  autre  ,  il  entre- 
prend de  prouver  que  la  sagesse  ita- 
lienne des  temps  les  plus  reculés  peut 
se  découvrir  dans  les  étjmologies 
latines.  C'est  un  traité  complet  de 
métaphysique,  trouvé  dans  l'histoi- 
re d'une  langue.  Rien  de  plus  ingé- 
nieux et  de  plus  profond  que  ses  ré- 
flexions sur  la  signification  identique 
des  mots  verum  et  factura  dans 
l'ancienne  langue  latine,  sur  le  sens 
d'intelligere  ,  cogitare ,  dividere , 
minuere ,  genus  etj'orma ,  verum  et 
œquum ,  causa  et  negotium ,  etc. 
Ce  livre  est  celui  dont  il  a  le  moins 
profité  dans  sa  Scienza  nuova.  L'u- 
nité manquait  encore  aux  recherches 
de  Vico ,  lorsqu'il  lut  le  grand  ou- 
vrage de  Grotius.  «  Grotius  rattache 
au  droit  universel  la  philosophie  et 
la  théologie ,  en  les  appuyant  toutes 
deux  sur  l'histoire  des  faits  vrais  ou 
fabuleux  et  sur  celîe  des  langues.  » 
Celle  lecture  lixa  ses  idées,  et  déter- 


364 


Vie 


mina  la  conception  de  son  système. 
Dans  un  discours  prononcé  en  1 7 19, 
il  traita  le  sujet  suivant  :  a  Les  élé- 
n  ments  de  tout  le  savoir  divin  et 
»  humain  peuvent  se  réduire  à  trois  : 
«  comiaître  ,  vouloir  ,  pouvoir.  Le 
»  principe  unique  eu  est  l'intelligence. 
»  L'œil  de  l'intelligence  ,  c'est -à- 
w  dire  la  raison ,  reçoit  de  Dieu  la 
»  lumière  du  vrai  éternel.  Toute  scien- 
»  ce  vient  de  Dieu  ,  retourne  à  Dieu , 
»  est  en  Dieu.  »  Et  il  se  chargeait  de 
pi'ouver  la  fausseté  de  tout  ce  qui  s'é- 
carterait de  cette  doctrine.  S'étant 
mis  ainsi  dans  l'heureuse  nécessité 
d'exposer  toutes  ses  idées,  il  ne  tarda 
pas  à  piibher  deux  essais  intitulés  : 
Unité  de  principe  du  droit  univer- 
sel ^  Harmonie  de  la  science  du  ju- 
risconsulte [de  constantid  jurispru- 
dentis  ,  c'est-à-dire  ,  accord  de  la 
philosophie  et  de  la  philologie  ) , 
1721.  Peu  après,  il  fit  paraître  des 
notes  sur  ces  deux  ouvrages  ,  dans 
lesquels  il  appliquait  à  Homère  la 
critique  nouvelle  dont  il  y  avait  ex- 
jîosé  les  principes.  Cependant  ces 
opuscules  divers  ne  formaient  pas  un 
même  corps  de  doctrine  5  il  entreprit 
de  \es  fondre  en  un  seul  ouvrage  qui 
parut  en  i  yaS  ,  sous  le  titre  de  Prin- 
cipes d'une  science  nouvelle  ,  rela- 
tive à  la  nature  commune  des  na- 
tions ,  au  moyen  desquels  on  dé- 
couvre de  nouveaux  principes  du 
droit  naturel  des  gens.  Cette  pre- 
mière édition  de  la  Science  nouvelle 
doit  aussi  être  regardée  comme  le 
dernier  mot  de  l'auteur,  si  l'on  con- 
sidère le  fond  des  idées.  Mais  il  en 
a  entièrement  changé  la  forme  dans 
les  autres  éditions  publiées  de  son 
vivant.  Dans  la  première,  il  suit  en- 
core une  marche  analytique j  elle  est 
infiniment  supérieure  pour  la  clarté. 
Néanmoins  c'est  dans  celles  de  1 7  3o 
et  de  1744  <liie  l'on  a  toujours  cher- 


VIG 

che'  de  préférence  le  génie  de  Vico. 
Il  y  débute  par  des  axiomes,  en  dé- 
duit toutes  les  idées  particulières ,  et 
s'efforce  de  suivre  une  méthode  géo- 
métrique que  le  sujet  ne  comporte 
pas  toujours.  Malgré  l'obscui'ilé  qui 
en  résulte,  malgré  l'emploi  continuel 
d'une  terminologie  bizarre  que  l'au- 
teur néglige  souvent  d'expliquer ,  il 
y  a  dans  l'ensemble  du  système,  pré- 
senté de  cette  manière, une  grandeur 
imposante ,  et  une  sombre  poésie 
qui  fait  penser  à  celle  du  Dante.  Le 
frontispice  de  l'ouvrage  est  une  sorte 
de  représentation  allégorique  du  sys- 
tème de  la  Science  nouvelle.  L'expli- 
cation de  ce  frontispice,  en  quax-aiite 
pages,  est  le  morceau  le  plus  obscur 
de  l'ouvrage ,  et  semble  mise  tout  ex- 
près <à  l'entrée  pour  le  fermer  au 
plus  grand  nombre  des  lecteurs.  — 
Le  premier  livre  contient  les  princi- 
pes. On  ne  peut  déterminer  quelles 
lois  observe  la  civilisation  dans  son 
développement  ,  sans  remonter  à 
son  origine.  Vico  essaie  d'abord 
de  prouver  la  nécessité  de  suivre, 
dans  cette  recherche,  une  nouvelle 
méthode  ,  par  l'insuffisance  et  la 
contradiction  de  tout  ce  que  les  au- 
teui's  profanes  ont  dit  sur  l'histoire 
ancienne  jusqu'à  la  seconde  guerre 
punique. Dans  le  premier  chapitre, 
il  jette  en  passant  les  fondements 
d'une  critique  nouvelle  :  1°.  la  ci- 
vilisation de  chaque  peuple  a  été 
son  propre  ouvrage,  sans  commu- 
nication du  dehors;  2°.  on  a  exa- 
géré la  sagesse  ou  la  puissance  des 
premiers  peuples  ;  3°.  on  a  pris , 
pour  des  individus  ,  des  êtres  al- 
légoriques ou  collectifs  (  Hercule  , 
Hermès  ).  Le  scepticisme  histori- 
que de  l'Allemagne  est  ici  devancé 
d'un  siècle  :  on  trouve  déjà  expri- 
més dans  l'ouvrage  de  Vico  les 
doutes  de  Wolf  sur  l'existence  d'Ho- 


vie 

mère,  et  ceux  de  M.  Niebulir  sur 
les  premiers  siècles  de  l'histoire  ro- 
maine. Après  avoir  c'carté  les  pre'ju- 
gcs  qui  obstruaient  le  champ  de  l'his- 
toire, il  expose ,  sous  la  forme  d'axio- 
mes, les  vèrite's  générales  cjui  font  la 
base  de  son  système.  Nous  essaierons 
de  les  résumer.  Dans  cette  variété 
infinie  d'actions  et  de  pensées  ,  de 
mœurs  et  de  langues ,  que  nous  pré- 
sente l'histoire  de  l'homme  ,  nous 
retrouvons  souvent  les  mêmes  traits, 
les  mêmes  caractères.  Les  nations  les 
plus  éloignées  par  les  temps  et  par 
les  lieux  suivent  dans  leurs  révolu- 
tions politiques  ,  dans  celles  du  lan- 
gage ,  une  marche  singulièrement 
analogue.  Dégager  les  phénomènes 
réguliers  des  accidentels,  et  détermi- 
ner les  lois  générales  qui  régissent 
les  premiers;  tracer  l'histoire  univer- 
selle, éternelle,  qui  se  produit  dans 
le  temps  sous  la  forme  des  histoires 
particulières  ;  décrire  le  cercle  idéal 
dans  lequel  tourne  le  monde  réel , 
voilà  l'objet  de  la  nouvelle  science  ; 
elle  est  tout  à-la-fois  la  philosophie 
et  l'histoire  de  l'humanité.  Elle  tire 
son  unité  de  la  religion  j  principe 
producteur  et  conservateur  de  la  so- 
ciété. Jusqu'ici  on  n'a  parlé  que  de 
théologie  naturelle  ;  la  Science  nou- 
velle est  une  théologie  sociale,  une 
démonstration  historique  de  la  pro- 
vidence j  une  histoire  des  décrets 
par  lesquels ,  à  l'insu  des  hommes  , 
et  souvent  malgré  eux ,  elle  a  gou- 
verné la  grande  cité  du  genre  hu- 
main. Cette  science  a  un  but  prati- 
que ;  une  fois  constituée ,  elle  nous 
mettrait  à  même  de  mesurer  la  car- 
rière que  parcourent  les  peuples  dans 
leurs  progrès  et  leur  décadence,  de 
calculer  les  âges  de  la  vie  des  na- 
tions. Alors  on  connaîtrait  les  moyens 
par  lesquels  une  société  peut  s'élever 
ou  se  ramener  au  plus  haut  degré 


Vie 


365 


de  civilisation  dont  elle  soit  suscep- 
tible. La  Science  nouvelle  puise  à 
deux  sources  :  la  philosophie ,  la 
philologie.  La  philosophie  contem- 
ple le  vrai  par  la  raison  j  la  philo- 
logie observe  le  réel  ;  c'est  la  science 
des  faits  et  des  langues.  La  philo- 
sophie doit  appuyer  ses  théories 
sur  la  certitude  des  faits;  la  philolo- 
gie emprunter  à  la  philosophie  ses 
théories  pour  élever  les  faits  au  ca- 
ractère de  vérités  universelles.  Quelle 
philosophie  sera  féconde?  celle  qui 
relèvera  ,  qui  dirigera  l'homme  dé- 
chu et  toujours  débile,  sans  l'arra- 
cher à  sa  nature ,  sans  l'abandonner 
à  sa  corruption.  Vico  ferme  donc 
l'école  de  la  Science  nouvelle  aux 
Stoïciens  et  aux  Épicuriens  ;  il  l'ou- 
vre aux  Platoniciens-,  parce  qu'ils 

sont  d'accord  avec  tous  les  le'sisla- 

...  ° 

teurs  sur  les  trois  prmcipes  fonda- 
mentaux de  son  système  :  existen- 
ce d'une  providence  divine  ;  né- 
cessité de  modérer  les  passions  et 
d'en  faire  des  vertus  humaines;  im- 
mortalité de  l'àme.  Ces  trois  vérités 
philosophiques  répondent  à  autant 
de  faits  historiques  :  institution  uni- 
verselledes religions ,  des  mariages  et 
des  sépultures...  Le  sens  communes! 
le  critérium  au  moyen  duquel  on  peut 
découvrir  dans  la  mobilité  du  réel 
le  caractère  immuable  du  vrai.  L'ac- 
cord général  du  sens  commun  des 
peuples  constitue  la  sagesse  du  gen- 
re humain.  L'unité  de  la  pensée  hu- 
maine ,  reconnue  sous  la  double  for- 
me des  actions  et  du  langage,  résout 
le  grand  problème  de  la  sociabilité 
de  l'homme  ,  qui  a  tant  embarrassé 
les  philosophes;  et  si  Tonne  trouvait 
point  le  nœud  délié,  Vico  le  tranche- 
rait d'un  mot  :  Nulle  chose  ne  j'este 
long-temps  hors  de  son  état  natu- 
rel j  l'homme  est  sociable ,  faisc\uil 
reste  en  société.  Dans  le  développe- 


366  Vie 

meut  de  la  société  humaine,  dausla 
inarciie  de  la  civilisation ,  on  peut 
di.stinp;uer  trois  âges ,  trois  périodes  : 
âge  divui*bu  tbéocratique,  âge  hé- 
roïque, âge  humain  ou  civilisé.  A 
cette  division  répond  celle  des  temps 
obscur,  fabuleux,  historique.  C'est 
surtout  dans  l'histoire  des  langues 
que  l'exactitude  de  celte  classifica- 
tion est  manifeste.  Celle  que  nous 
parlons  a  dû  être  précédée  par  une 
langue  métaphorique  et  poétique  ,  et 
celle-ci  par  une  langue  hiéroglyphi- 
que ou  sacrée.  Vice  s'occupe  princi- 
j)alemcnt  des  deux  premières  pério- 
des. —  Second  livre,  De  la  sagesse 
poétique.  Frappe  de  l'idée  que  l'ad- 
miration exagérée  pour  la  sagesse 
des  premiers  âges  est  le  plus  grand 
obstacle  aux  progrès  de  la  philoso- 
phie de  l'histoire  ,  il  examine  com- 
ment les  peuples  des  temps  poétiques 
imaginèrent  la  nature  qu'ils  ne  pou- 
vaient connaître  encore.  Il  passe  eu 
revue  toutes  les  idées  que  les  pre- 
miers hommes  se  firent  sur  la  logi- 
que et  la  morale,  sur  l'économie  do- 
mestique et  politique,  sur  la  physi- 
que ,  la  cosmographie  et  l'astrono- 
mie, sur  la  chronologie  et  la  géogra- 
phie... Les  fondateurs  de  la  société 
sont  pour  lui  ces  cyclopes  dont  parle 
Homère ,  ces  géants  par  lesquels  com- 
mence l'histoire  profane  aussi  bien 
que  l'histoire  sacrée.  Après  le  délu- 
ge, les  premiers  hommes  ,  excepté 
les  patriarches  ancêtres  du  peuple  de 
Dieu  ,  durent  revenir  à  la  vie  sauva- 
ge ,  et  par  l'effet  de  l'éducation  la 
plus  dure  ,  reprirent  la  taille  gigan- 
tesque des  hommes  antédiluviens  ,  et 
retombèrent  dans  l'état  sauvage.  Qui 
pouvait  dire  comment  s'éveillerait 
la  pensée  humaine  ?  Mais  le  ton- 
nerre s'est  fait  entendre  ,  ses  terri- 
bles effets  sont  remarqués  :  les  géants 
effrayés  reconnaissent  pour  la  pre- 


Vie 

mière  fois  une  puissance  supérieure  ^ 
et  la  nomment  Jupiter;  ainsi ,  dans  les 
traditions  de  tous  les  peuples  ,  Jupi- 
ter terrasse  les  géants.  C'est  l'origi- 
ne de  l'idolâtrie ,  fille  de  la  crédulité, 
et  non  de  l'imposture _,  comme  on  l'a 
tant   répété.   L'idolâtrie   fut  néces- 
saire au  monde  ,  sous  le  rapport  so- 
cial :  quelle  autre  puissance  que  celle 
d'une  religion  pleine  de  terreurs  au- 
rait dompté  le  stupide  orgueil  de  la 
force  ,  qui  jusque-là  isolait  les  indi- 
vidus ?  sous  le   rapport  religieux  : 
ne  fallait-il  pas  que  l'homme  passât 
par  cette  religion  des  sens,  pour  ar- 
river à  celle  de  la  raison ,  et  de  cel- 
le-ci à  la  religion  de  la  foi?  Sembla- 
bles aux  enfants  qui  jugent  de  tout 
d'après  eux-mêmes  ,  les   premiers 
hommes  firent  de  toute  la  nature  un 
vaste  corps  auimé,  passionné  comme 
eux.  Us  parlaient  souvent  par  signes  j 
ils  pensèrent  que  les  éclairs  et  la  fou- 
dre étaient  les  signes  de  cet  être  ter- 
rible.  L'intelligence  de  cette  langue 
mystérieuse  devint  une  science,  sous 
les  noms dedivination,théologiemys- 
tique,  mythologie,  muse.  Peu -à- peu 
tous  les  phénomènes  de  la  nature,  tous 
les  rapports  de  la  nature  à  l'homme, 
ou  des  hommes  entre  eux ,  devinrent 
autant  de  divinités.  Dieu  dans  sa  pure 
intelligence  crée  les  êtres  par  cela 
qu'il  les  connaît  :  les  premiers  hom- 
mes ,  puissants  de  leur  ignorance  , 
créaient  à  leur  manière  par  la  force 
d'une  imagination,  si  je  puis  le  dire, 
toute  matérielle.    Poète   veut    dire 
créateur  ;  ils  étaient  donc   poètes  , 
et  telle  fut  la  sublimité  de  leurs  con- 
ceptions  qu'ils    s'en  épouvantèrent 
eux-mêmes ,  et  tombèrent  tremblants 
devant   leur    ouvrage:  Fingunt  si- 
mul   creduntque.   Ici  se    placerait 
une  explication  très-systématique  de 
la   mythologie    grecque    et    latine. 
Pour  ne  point  juger  cette  partie  du 


VIG 

système  avec  une  iajuste  sévérité,  il 
faut  se  rappeler  qu'an  temps  deVico 
la  science  mythologique  était  encore 
frappée  de  stérilité  par  l'opinion  an- 
cienne qui  ne  voyait  que  des  démons 
dans  les  dieux  du  paganisme  ,  ou 
renfermée  dans  le  système  presque 
aussi  infécond  de  l'apotliéose.  Vico 
est  un  des  premiers  qui  aient  consi- 
déré ces  divinités  comme  autant  de 
symboles  d'idées     abstraites.    C'est 
pour  cette  poésie  divine  qui  créait  et 
expliquait  le  monde  invisible  ,  qu'on 
inventa  le  nom  de  Sagesse  ,  revendi- 
qué ensuite  par  la  philosophie.  En 
effet,  la  poésie  était  déjà  pour  les 
premiers  âges  une  philosophie  sans 
abstraction,  toute  d'imagination  et 
de  sentiment.  Ce  que  les  philosophes 
comprirent  dans  la  suite  ,  les  poètes 
l'avaient  senti  ;  et  si ,  comme  le  dit 
l'école ,   Bien  nest   dans    l'intelli- 
gence qui  n'ait  été  dans  le  sens,  les 
poètes  furent  le  sens  du  genre  hu- 
main, les  philosophes  en  furent  l'm- 
telligence.  Les   signes  par  lesquels 
les  hommes  commencèrent  à  expri- 
mer leurs  pensées  furent  les  objets 
mêmes  qu'ils  avaient  divmisés.  Pour 
dire  la  mer ,  ils  la  montraient  de  la 
main  ;  plus  tard  ils  dirent  Neptune. 
C'est  Za  langue  des  dieux  dont  parle 
Homère.  Les  noms  des  trente  mille 
dieux  latins  recueillis  jiar  Varron, 
ceux   des    Grecs  non    moins   nom- 
breux ,  formaient  le  vocabulaire  di- 
vin de  ces  deux  peuples.  Toutes  les 
nations  barbares  ont  été  forcées  de 
parler  d'abord  par  actions,  d'écrire 
en  hiéroglyphes, enattendant  qu'elles 
se   formassent    un    meilleur   systè- 
me de  langage  et  d'écriture.  La  lan- 
gue héroïque  employa  pour    noms 
communs  des  noms  propres  ou  des 
noms  de  peuples.  Les  anciens  Ro- 
mains disaient  un  Tarentin  pour  un 
homme  parfumé.  Tous  les  peuples 


Vie  367 

de  l'antiquité  dirent  un  Hercule  pour 
un  héros.  Cette  tendance  des  hommes 
à  placer  des  types  idéaux  sous  des 
noms  propres  ,  a  rempli  de  diiiicul- 
tés  et  de  contradictions  apparentes 
les  commencements  del'histoire.  Ces 
tj'pes  ont  été  pris  pour  des  individus. 
Ainsi  toutes  les  découvertes  des  an- 
ciens Égyptiens  appartiennent  à  un 
Hermès  ;  la  première  constitution  de 
Rome  ,  même  dans  cette  partie  mo- 
rale qui  semble  le  produit  des  habi- 
tudes ,  sort  tout  armée  de  la  tête  de 
Romulus  ;  tous  les  exploits  ,  tous  les 
travaux  de  la  Grèce  héroïque  com- 
posent la  vie  d'Hercule  ;  Homère  en- 
lin  nous  apparaît  seul  sur  le  passage 
des  temps  héroïques  à  ceux  de  l'his- 
toire ,  comme  le  représentant  d'une 
civilisation  tout  entière.  Considérez 
les  noms  d'Hermès ,  de  Romulus  , 
d'Hercule  et  d'Homère,  comme  les 
expressions  de  tel  caractère  national 
à  telle  époque  ,  comme  désignant 
les  types  de  l'esprit  inventif  chez  les 
Egyptiens  ,  de  la  société  romaine 
dans  son  origine,  de  l'héroïsme  grec, 
de  la  poésie  populaire  des  premiers 
âges  chez  la  môme  nation  ,  alors  les 
dilHcultés  disparaissent ,  les  contra- 
dictions s'expliquent  ;  une  clarté  im- 
mense luit  dans  la  ténébreuse  anti- 
quité (  Koj.  le  livre  m  ).  Vico  res- 
titue aux  masses  tout  ce  dont  on  fai- 
sait honneur  au  génie  de  quelques 
individus.  La  poésie  surtout  lui 
semble  l'œuvre  des  peuples.  Il  la 
considère  comme  une  nécessité  pour 
l'esprit  humain  dans  les  âges  bar- 
bares. Le  nombre  musical  et  poéti- 
que est  naturel  à  l'homme  ;  les  bè- 
gues s'essaient  à  parler  en  chantant  ; 
dans  la  passion  ,  la  voix  s'altère  et 
approche  du  chant.  Partout  les  vers 
précédèrent  la  prose.  Les  tours  ne 
vinrent  que  de  la  difficulté  de  s'ex- 
primer ,  les  épisodes  de  l'inhabileté 


368 


Vie 


qui  ue  sait  pas  distinguer  et  écarter 
les  choses  qui  ne  vont  pas  au  but. — 
L'origine  de  la  religion ,  de  la  poésie 
et  des  langues  étant  découverte  , 
uous  connaissons  celle  de  la  société 
païenne.  Les  poèmes  d'Homère  en 
sont  le  principal  monument.  Joi- 
gnez-y l'histoire  des  premiers  siècles 
de  Rome,  qui  nous  présente  le  meil- 
leur commentaire  de  l'histoire  fabu- 
leuse des  Grecs.  Le  commencement 
de  la  religion  fut  celui  de  la  société. 
Les  géants  effrayés  par  la  foudre,  qui 
leur  révèle  uns  puissance  supérieure, 
se  réfugient  dans  les  cavernes.  L'état 
bestial  finit  avec  leurs  courses  vaga- 
bondes -y  ils  s'assurent  d'un  asile  ré- 
gulier ,  ils  y  retiennent  une  compa- 
gne par  la  force,  et  la  famille  a  com- 
mencé. Les  premiers  pères  de  fa- 
mille sont  les  premiers  prêtres  ;  et 
comme  la  religion  compose  encore 
toute  la  sagesse  ,  les  premiers  sages; 
maîtres  absolus  de  leur  famille  ,  ils 
sont  aussi  les  premiers  rois.  Mais  ces 
rois  absolus  dj  la  famille  obéissent 
eux-mêmes  aux  puissances  divines  , 
dont  ils  interprètent  les  ordres  à 
leurs  femmes ,  à  leurs  enfants  ;  et 
comme  alors  il  n'y  a  point  d'action 
qui  ne  soit  soumise  à  un  Dieu  ,  le 
gouvernement  est  en  effet  théocra- 
tique.  Bientôt  la  famille  ne  se  com- 
posa pas  seulement  des  individus 
liés  par  le  sang.  Les  malheureux  qui 
étaient  restés  dans  la  promiscuité  des 
biens  et  des  femmes  ,  et  dans  les  que- 
relles qu'elle  produisait  ,  voulant 
échapper  aux  insultes  des  violents , 
recoururent  aux  autels  des  forts,  si- 
tués sur  les  hauteurs.  Ces  autels  fu- 
rent les  premiers  asiles,  vêtus  urbes 
condentium  consiliinn  ,  dit  Ïite-Li- 
ve»  Les  forts  tuaient  les  violents  ,  et 
protégeaient  les  réfugiés.  Lssusde  Ju- 
piter, c'est-à-dire  nés  sous  ses  aus- 
pices, ils  étaient  héros  par  la  nais- 


VIC 

sance  et  par  la  vertu.  Ainsi  se  for- 
ma le  caractère  idéal  de  l'Hercule 
antique.  Les  héros  étaient  des  Héra- 
clides  y  enfants  d'Hercule ,  comme  les 
sages  étaient  appelés  enfants  de  la 
sagesse,  etc.  Les  nouveaux -venus, 
conduits  dans  la  société  par  l'intérêt, 
non  par  la  religion,  ne  partagèrent 
pas  les  prérogatives  des  héros,  par- 
ticulièrement celle  du  mariage  so- 
lennel. Ils  avaient  été  reçus  à  condi- 
tion de  servir  leiws  défenseurs  com- 
me esclaves  ;  mais  devenus  nom- 
breux, ils  s'indignèrent  de  leur  abais- 
sement, et  demandèrent  une  part  de 
ces  terres  qu'ils  cultivaient.  Partout 
où  les  héros  furent  vaincus  ,  ils  leur 
cédèrent  des  terres  qui  devaient  tou- 
jours relever  d'eux.  Ce  fut  la  pre- 
mière loi  agraire  et  l'origine  des 
client  elles  et  des  fiefs.  —  Livre  iii^ 
De'couverte  du  véritable  Homère. 
Ce  livre  n'est  qu'un  appendice  du 
précédent.  Qu'est  une  application  de  la 
méthode  que  l'auteur  y  a  suivie,  au 
plus  ancien  auteur  du  paganisme,  à 
celui  qu'on  a  regardé  comme  le  fonda- 
teur de  la  civilisation  grecque,  et,  par 
suite,  de  celle  de  l'Europe.  Vico  en- 
treprend de  prouver  :  i^,  qu'Homè- 
re n'a  pas  été  philosophe;  2°.  qu'il 
a  vécu  pendant  plus  de  quatre  siè- 
cles ;  3".  que  toutes  les  villes  de  la 
Grèce  ont  eu  raison  de  le  revendi- 
quer pour  citoyen  ;  4°'  ^l^'il  3  été  par 
conséquent  non  pas  un  individu , 
mais  un  être  collectif,  un  symbole  du 
peuple  grec ,  racontant  sa  propre  his- 
toire dans  des  chants  nationaux.  — 
Livre  iv.  Du  cours  que  suit  Vhistoi- 
re  des  nations.  Le  défaut  de  ce  livre 
est  la  multiplicité  des  subdivisions. 
L'auteur  y  récapitule  ce  qu'il  a  dit 
au  second  livre ,  en  ajoutant  quelques 
développements.  Il  insiste  plus  par- 
ticulièrement sur  l'histoire  du  droit 
civil.     Dans    cette   histoire  ,    nous 


vie 

trouvons  toutes  les  vicissitudes  de  celle 
des  gouvernements .  C'est  ce  que  n'ont 
point  vu  la  plupart  des  jurisconsul- 
tes. Ils  négligent  trop  souvent  de  nous 
montrer  les  rapports  des  lois  avec  les 
révolutions  politiques.  Ainsi  ils  nous 
présentent  les  faits  isoles  de  leurs 
causes.  Demandez  -  leur  pourquoi  la 
jiu'isprudence  antique  des  Romains 
fut  entourée  de  tant  de  solennités,  de 
tant  de  mystères.  Ils  ne  savent  qu'ac- 
cuser l'imposture  des  patriciens.  An 
premier  âge,  le  droit  et  la  raison, 
c'est  ce  qui  est  ordonné  d'en  -  haut , 
c'est  ce  que  les  dieux  ont  révélé  par 
les  auspices  ,  par  les  oracles  et  au- 
tres signes  matériels.  La  jurispruden- 
ce ,  la  science  de  ce  droit,  ne  peut 
être  que  la  connaissance  des  rites  re- 
ligieux •  la  justice  est  tout  entière  dans 
l'observation  de  certaines  pratique^ , 
de  certaines  cérémonies.  De  là  le  res- 
pect superstitieux  des  Romains  pour 
lesacta  légitima.  C\\ezenx,\esiioces, 
le  testament  étaient ditsy^/^fa, lorsque 
les  cérémonies  i-equises  avaient  été 
accomplies.  Le  premier  tribunal  fut 
celui  des  dieux  j  c'est  à  eux  qu'en 
appelaient  ceux  qui  recevaient  quel- 
que tort ,  ce  sont  eux  qu'ils  invo- 
quaient comme  témoins  et  comme 
juges.  Quand  les  jugements  de  la  re- 
ligion se  régularisèrent,  les  coupables 
furent  dévoués  ,  anathcmatisés  •  sur 
celte  sentence  ,  ils  devaient  être  mis 
à  mort.  On  la  prononçait  contre  un 
peuple  aussi  bien  que  contre  un  indi- 
vidu j  les  guerres  {pura  etpia  hella  ) 
étaient  des  jugements  de  Dieu.  Les 
Lérauts  qui  les  déclaraient  dévouaient 
les  ennemis,  et  appelaient  leurs  dieux 
Lors  de  leurs  murs  ;  les  vaincus 
étaient  considérés  comme  sans  dieux  ; 
les  rois  traînés  derrière  le  char  des 
triomphateurs  romains  étaient  offerts 
dans  le  Capitole  à  JupiterFérétrien, 
etdelà  imraolés.Les  duels  furent  ecco- 
xcvm. 


Vie  359 

renne  espèce  de  jugement  des  dieux. 
Ils  offraient  seuls  un  moyen  d'empê- 
cher que  les  guerres  individuelles  ne 
s'éternisassent.  Le  Droit  héroïque 
dut  être  celui  de  la  force.  La  violence 
des  héros  ne  connaissait  qu'un  seid 
frein  :  le  respect  de  la  parole.  Une 
fois  jii'ononcée  ,  la  parole  était  pour 
eux  sainte  comme  la  religion ,  im- 
muable comme  le  passé  {/as  ,  fa- 
tum ,  defari).  Aux  actes  religieux 
qui  composaient  seuls  toute  la  jus- 
tice de  l'âge  divin  ,  et  qu'on  pour- 
rait appeler  formules  cVactiojis  , 
succédèrent  desformules  parlées.  Les 
secondes  héritèrent  du  respect  qu'on 
avait  eu  pour  les  premières,  et  la  su- 
perstition de  ces  formules  fut  inflexi- 
ble ,  impitoyable  :  Uti  lijigud  nun- 
cupassit ,  ita  jus  esta  (  douze  tables  ). 
Agamemnon  a  prononcé  qu'il  immo- 
lerait sa  fille  ;  il  faut  qu'il  l'immole. 
Ne  crions  pas  comme  Lucrèce ,  tan- 
tùm  relligio  potiiit  suadere  malo- 
Tum!  Il  fallait  cette  hoi-rible  fidé- 
lité à  la  parole  dans  ces  temps  de 
violence;  la  faiblesse  soumise  à  la 
force  avait  à  craindre  de  moins  ses 
caprices.  L'équité  de  cet  âge  n'est 
donc  pas  l'équité  naturelle  ,  mais 
l'équité  civile  ;  elle  est  dans  la  juris- 
prudence ce  que  la  raison  d'état  est 
en  politique,  un  principe  d'utilité, 
de  consei'vation  pour  la  société.  A 
mesure  que  les  démocraties  et  les 
monarchies  remplacent  les  aristocra- 
ties héroïques,  l'importance  de  la  loi 
civile  domine  de  plus  en  plus  celle  de 
la  loi  politique.  Dans  celles-ci  les  in- 
térêts privés  des  citoyens  étaient  ren- 
fermés dans  les  intérêts  publics;  sous 
les  gouvernements  humains  ,  princi- 
palement sous  les  monarchies  ,  les 
intérêts  publics  n'occupent  les  esprits 
qu'à  propos  des  intérêts  prives  ; 
d'ailleurs  les  mœurs  s'adoucissant , 
les  affections  particulières  en  prennent 
24 


370  vie 

d'autant  pins  de  force ,  et  remplacent 
le  patriotisme.  Sous  les  gouvcrnc- 
raenls  des.âges  civilisés,  rëg.ililc  que 
la  nature  a  mise  entre  les  hommes  en 
leur  donnant  l'uitelligence,  caractère 
essentiel  de  l'iuimanite' ,  est  consa- 
crée dans  l'cgalifc  civile  et  politique. 
Les  citoyens  sont  égaux,  d'abord 
comme  souverains  de  la  cité,  ensuite 
comme  sujets  d'un  monarque  ,  qui , 
distingué  seul  entre  tous,  leur  dicte 
les  mêmes  lois.  Fondées  sur  la  pro- 
tection des  faibles  ,  les  monarchies 
doivent  être  gouvernées  d'une  ma- 
nière po])ulaire.  Le  prince  établit 
l'égalité,  au  moins  dans  l'obéissance  ; 
il  humilie  les  grands,  et  leur  abaisse- 
ment est  déjà  une  liberté  pour  les  pe- 
tits. Revêtu  d'un  pouvoir  sans  bornes, 
il  consulte  non  la  loi,  maisl'éqnite 
naturelle.  Aussi  la  monarchie  est-elle 
le  gouvernement  le  plus  conforme  à 
la  nature  ,  dans  les  temps  delà  civi- 
lisation la  plus  avaîicée.  Les  monar- 
ques se  glorilicntdu  titre  de  cléments, 
et  rendent  les  peines  moins  sévères  ; 
ils  diminuent  cette  terrible  puissance 
paternelle  des  premiers  âges.  La 
bienveillance  de  la  loi  descend  jus- 
qu'aux esclaves;  les  ennemis  mêmes 
sont  mieux  traités,  les  vaincus  con- 
servent des  droits.  Celui  de  citoyen, 
dont  les  républi<[ues  étaient  si  ava- 
res ,  est  prodigué;  et  le  pienx  Anto- 
nin  vent ,  selon  le  mot  d'Alexandre, 
que  le  monde  soit  une  seule  cité. 
Voilà  toute  la  vie  politique  et  civile 
des  nations,  tant  qu'elles  conservent 
leur  indépendance.  Elles  passent  suc- 
cessivement sous  trois  gouvernements. 
La  législation  divine  fonde  la  monar- 
chie domestique ,  et  commence  Vhu- 
manitè  ;  la  législation  héroïque  ou 
aristocratique  forme  la  cité,  et  limite 
les  abus  de  la  force;  la  législation 
populaire  consacre  dans  la  société 
Icgalilc naturelle;  la  monarchie  en- 


VIC 

fin  doit  arrêter  l'anarchie ,  cl  la  cor- 
ruption publique  qui  l'a  produite. 
Quand  ce  remède  est  impuissant  ,  il 
en  vient  inévitablement  du  dehors  ( 
un  autre  plus  elUcace.  Le  peuple  I 
corrompu  était  esclave  de  ses 
passions  eflVénces  ;  il  devient  es- 
clave d'une  nation  meilleure  qui  le 
soumet  par  les  armes ,  et  le  salive  en 
le  soumettant.  Car  ce  sont  deux  lois 
naturelles  :  qui  ne  peut  se  gouver- 
ner ,  obéira ,  et ,  aux  meilleurs  V em- 
pire du  inonde.  Que  si  un  peuple 
n'était  secoiu'u  dans  sa  dépravation 
ni  par  la  monarchie  ,  ni  par  la  con- 
quête, il  se  dissoudrait  de  lui-même, 
la  providence  le  disperserait  dans  la 
solitude,  et  le  ])liénix  de  la  société 
renaîtrait  bientôt  de  ses  cendres. 
C'est  après  ces  épurations  sévères 
que  Dieu  renouvela  la  société  euro- 
péenne, sur  les  ruines  de  l'empire 
romain.  La  plu]>art  des  preuves 
historiques  données  jusqu'ici  par 
l'auteur  ,  à  l'appui  de  ses  jiriiicipes  , 
étant  empruntées  à  l'antiquité  ,  la 
Science  nouvelle  v.c  mériterait  pas  le 
nom  d'histoire  éternelle  de  l'huma- 
nité, s'il  ne  montrait  que  les  carac- 
tères observés  dans  les  temps  anti- 
ques se  sont  reproduits,  en  grande 
partie  ,  dans  ceux  du  moyen  âge, 
—  C'est  ce  qu'il  entreprend  de  faire 
dans  le  cinquième  et  dernier  livre  : 
Relourdes  mcmcs  révolutions,  lors- 
que les  sociétés  détruites  se  relè- 
vent de  leurs  ruines.  La  conclusion 
de  la  Science  nouvelle  est  que  le 
monde  social  est  l'œuvre  du  libredé- 
veloppernenl  des  facultés  humaines; 
mais  que  ce  monde  n'en  est  pas  moins 
sorti  d'iuîc  intelligence,  souvent  con- 
traire, et  toujours  siipérieurc  aux 
fins  particulières  que  les  hommes 
s'étaient  proposées  ;  la  providence 
ne  nous  force  point  par  des  lois  po- 
sitives ;  mais  se  sert,  pour  nous  gou- 


VIG 

vfvner,  des  usages  que  nous  sui- 
vons librement.  La  Science  nouvelle 
fui  attaquée  par  les  Protestants  et 
par  les  Catholiques.  Tandis  qu'un 
Daraiano  Romauo  accusait  le  systè- 
me de  Vico  d'être  contraire  à  la  re- 
ligion ,  le  Journal  de  Leipzig  inserait 
nu  article  envoyé  par  un  autre  com- 
patriote de  Vico ,  dans  lequel  on  lui 
reprochait  d'avoir  approprié  son 
système  au  goût  de  l'Eglise  romai- 
7ie.  L'accusation  de  Dami.uio  a  été  re- 
produite en  i8.ii  ,  par  M.  Colange- 
lo,  et  quelques  admirateurs  de  Vico 
l'ont  involonlairemcut  appuyée.  Ils 
ontprétcudu  qu'il  avait  obscurci  son 
livre  à  dessein,  pour  le  faire  passer 
à  la  censure.  Les  personues  qui  ont 
le  plus  étudié  Vico,  MM.  de  A.  et 
Jannclli,  n'ajoutent  aucune  foi  à  cette 
tradition^  et  la  lecture  du  livre  suf- 
lit  pour  la  réfuter.  Quoi  qu'il  en 
soit,  on  peut  conjecturer  qu'une  ac- 
cusation si  grave  troubla  les  derniè- 
res années  du  mal  lieu  reux  Vico. 
«  Vous  êtes  ,  écrit-il  à  un  ami  puis- 
sant, du  petit  nombre  des  hommes 
éclairés  qui  souticnuent  la  Science 
nouvelle  par  l'autorité  de  leurs  lu- 
mières ,  et  sous  la  protection  des- 
quels l'auteur  accablé  par  la  for- 
tune conserve  encore  la  vie,  la  pa- 
trie et  la  liberté.  »  11  opposa  à  ces 
persécutions  et  à  tant  d'autres  mal- 
heurs unadmirablc  courage. «  Qu'elle 
soit  à  jamais  louée,  dit-il  dans  une 
autre  lettre,  cette  providence  qui, 
lors  même  qu'elle  semble  à  nos  fai- 
bles yeux  mie  justice  sévère ,  n'est 
qu'amour  et  que  bonté  I  Depuis  que 
j'ai  fait  mon  grand  ouvrage,  je  sens 
que  j'ai  revêtu  un  nouvel  homme.  Je 
n'éprouve  plus  la  tentation  de  décla- 
mer contre  le  mauvais  goût  du  siè- 
cle ,  puisque,  en  me  repoussant  de  la 
place  que  je  demandais  ,  il  m'a  don- 
né l'occasion  de  composer  la  Science 


VIG  371 

nouvelle.  Le  dirai-je?  je  me  trompe 
peut-être,  mais  je  voudrais  bien  ne 
pas  me  tromper  :  la  composition  de 
cet  ouvrage  m'a  animé  d'un  esprit 
héroïque  qui  me  met  au-dessus  de  la 
crainte  de  la  mort  et  des  calomnies 
de  mes  rivaux.  Je  me  sens  assis  sur 
une  roche  de  diamant ,  quand  je  son- 
ge au  jugement  de  Dieu,  qui  fait  jus- 
tice au  génie  par  l'estime  du  sage  !... 
1 7  26.  »  Voici  la  liste  des  écrits  de  Vi- 
co :  I.  Cinque  libri  di  Gianibattisla 
Vico  de'priucipj  d'una  scienza  nuo- 
va  d'intorno  alla  comune  natura 
délie  nazioni ,  JNaples ,  1725  (dé- 
diés au  cardinal  Laurent Gorsini, de- 
puis Glément  XII  );  entièrement  re- 
fondus dans  l'édition  de  1780,  laquel 
le  a  été  considérablement  augmentée 
en  1744-  L'obscurité  et  la  confusion 
que  présente  cette  dernière  édition 
ne  peuvent  étonner,  lorsqu'on  sait 
comment  elle  fut  ])ubliée.  L'auteur 
arrivait  au  terme  de  sa  vie  et  de  ses 
malheurs;  depuis  plusieurs  mois  il 
avait  perdu  conna:ssance.  Il  paraît 
que  son  (ils  ,  Geiinaro  Vico,  rassem- 
bla les  notes  qu'il  avait  pu  dicter 
depuis  l'édition  de  1730  ,  et  les  in- 
tercala à  la  suite  des  passages  aux- 
quels elles  se  rapportaient  le  mieux, 
sans  entreprendre  de  les  fondre  avec 
le  texte  auquel  il  n'osait  toucher.  La 
première  édition  a  été  réimprimée 
en  1817,  à  Naples  ,  par  les  soins  de 
M.  Salvatore  (iallotti.  La  dernière 
l'a  été  en  1801  ,  à  Milan,  à  Na- 
ples, eni8ii  et  eu  18 if>.  Elle  a  été 
traduite  en  allemand  ,  par  W.  -  E. 
Weber,  Leipzig  ,  1822  ;  et  en  fran- 
çais (avec  quelques  retranchements), 
sous  le  titre  de  Principes  de  la  phi- 
losophie de  l'histoire,  traduits  de 
la  Scienza  nuova  de  J.  -  B.  Vico , 
précédés  d'un  Discours  sur  le  sys- 
tème et  la  vie  de  l'auteur  ,  par  J. 
Michelet ,  1827.  II.  De  antiquissi- 

•>4.. 


375  Vie 

7nti  Italorum  sapientid  ex  ori^ini- 
bus  linv,uœ  latinœ  eruenda ,  1710; 
traduit  en  italien,  liSiG,  Milan,  Ul. 
Fila  ili  MarcscAallo  Antonio  Ca- 
rajfa,  1716.  lY.  De  uno  juris  uni- 
fersi  principio ,  i-jai.  V.  De  cons- 
tantid  jurisprudantis ,    i  «j 2 1 ,    VI. 
Pour  compléter  celle  liste,  nous  n'aii- 
ronsqu'ii  suivre  Veditcui-  des  opuscu- 
les de  Vico.  ÎM.  Carlanlonio  de  Rosa  , 
marquis  de  Villa-lxosa  ,  les  a  recueil- 
lis en  4  vol.  in-8".,  Naples,   1818. 
Nous  n'avons  trouve  qu'une  omission 
dans  ce  recueil,  c'est  celle  de  quel- 
ques notes  faites  par  Vico  sur  l'Art 
poétique  d'Horace.  Ces  notes,  peu  re- 
marquables, ne  portent  point  de  da- 
te. Elles  ont  cte  publiées  rccenimcnl. 
Le  premier  volume  du  Recued  des 
opu>cules    contient   plusieurs   écrits 
en  prose  italienne.  J^c  plus  curieux 
osl   un    Mémoire   de   Vico   sur    sa 
vie.  L'estimable   éditeur  ,    descen- 
dant d'un  protecteur   de  Vico  ,  y 
a    joint   une    addition  de    l'auteur 
qu'il  a  rclrouvc'e  dans  ses  papiers  , 
et  a  complète  la  Vie  de  Vico,  d'a- 
près les  deftails  que  lui  a  transmis  le 
fils  même  de  ce  grand  homme.   Le 
second  V4>lume   renicrme    quelques 
opuscules  et  un  grand  nombre  de  let- 
tres, en  italien.  Le  principal  opuscule 
est  la  Repense  à  un  article  du  jour- 
nal littéraire  d'Italie.  C'est  là  q'iil 
juge  Descartcsavcc  l'impartialité  que 
nous  avons  adinircc  plus  haut.  Dans 
deux  Lettres   que  contient  aussi  ce 
volume  (  au  P.  de  Vitri ,  1  -jaG  ,  et 
h  D.  Francescp  Solla  ,  1729)  ,  il  at- 
taque la  reforme  cirlesienne,  et  m 
général  l'esprit  du  dis-huitième  siè- 
cle ,   souvent    avec    humeur  ,  mais 
toujours  d'une  manière   éloquente. 
Deux  morceaux  sur  le  Dante  ne  sont 
pas  moins  ciaieux.Ony  trouve  l'opi- 
nion re])roduitc  par  Monti,  que  l'au- 
trur  de  Ja  divine  Comédie  est  plus 


Vie 

admirable  encore  dans  le  Purgatoii^      1 
et  le  Paradis  ,  que  dans  cet  Enfer  si      ^ 
exclusivement  admiré.  Dans  le  troi- 
sième volume  des  opuscules ,  Vico 
odVe  une  preuve  que  le  génie  philo- 
sophique n'exclut  point  celui  de  la       j 
poésie  ;  mallieurcnsement  son  talent       a 
a  été  trop  souvent  entravé  par  l'msi- 
gnifiancedessujels  oiliciels  qu'il  trai- 
tait. Le  quatrième  volume  renferme  ce       \ 
que  Vico  a  écrit  en  latin.  La  vigueur      1 
et  l'originalité  avec  lesquelles  il  s'ex- 
primait en  cotte  langue  eussent  lait  la 
gloire    d'un    savant    ordinaire.  De 
nostri  lemporis  studiorum  ratiune 
oratio  ad  litterarum  studiosani  ju- 
venlulem  ,  hahita  in  R.  Neap.  Aca- 
depiid,  1738;  déjà  mentionné.  Ora- 
tio cujus  ar^umentum,hosle7nhosti 
infensioreni    infe.stioremcjue  qûàin. 
stultum  sihi  esse  neminem  ,   1708. 
De  nunle  heroicd  oratio  habita  in 
R.  Neap.  Academid  ,  173'.^;  admi- 
rable d'éloquence  et  de  poésie,  f'ici» 
P^indiciœ  ,  sive  notœ  in  acta  erudi-     | 
toruni    Lipsiensia   mensis   augusli     1 
anni  !']'>■']  ,  ubi  inter  nova  litlera- 
ria  urmni  e.vtat  de  ejus  libre  cujus- 
tilulus,  Prinsipj  d'una  scienza  nuo- 
va ,  etc. ,  1 7*^9.  Les  autres  morceaux 
contenus  dans  ce  volume  sont  moins 
remarquables.  Les  pièces  inédites  pu- 
bliées   en    1818,  par  M.   Antonia 
Gioidano',  se  trouvent  toutes  dans 
le  Recueil  des  opuscules.  Nous  don- 
nerons  ici    l'indication   des  auteurs 
qui  ont  imité,  attaqué  ou  sim.plernent 
mcnlionnéVico.  En  Italie:  Damiano 
Romano.    Genovesi.  Cuoco.    Mario      ^ 
Pagano  {  Essais  politiques).  Du  ni.,     j 
Cesarotti.  l\irini.  Signorelîi.  Roma-      ' 
gnosi.  ïalia.  Colangelo.   Enfin  M. 
(^alaldo   Jannelli  ,  que  nous  regar- 
dons comme  le  seul  disciple  légitime 
de  Vico  {Essai  sur  la  nature  et  la 
nécessité  de  la  science  des  choses- 
ci  histoires  humaines ,  1817).  Foj' 


vie 

aussi  Biblioleca  analiiica  ,  passim. 
Eu  France  :  Journal  de  Trévoux  , 
i-jîô  ,  septembre.  Bibliothèque  an- 
cienne et  moderne  de  Leclerc  ,torae 
XVIII.  M,  Salli  dans  son  Éloge  de 
Filangicri,  et  dans  la  Revue  encjcl. , 
tomes  II,  VI,  vu.  Traduction  des 
Mémoires  sur  Naples  ,  du  comte 
Orioir,  tomes  iv ,  v.  En  Allemagne  : 
lierder  et  Wolf  (  Musée  des  scien- 
ces ,  etc.,  tome  i  ).  Aucun  Anglais  , 
aucun  Écossais^  que  je  sache  ,  n'a 
fait  mention  de  Vice,  si  ce  n'est 
l'auteur  d'une  brochure  récente  sur 
l'ëtat  des  études  en  Allemagne  et  en 
Italie.  .  J.  M— T. 

VICOMTERIEDESAINT- 
SAMSON  (  Louis  DE  La  ) ,  l'un  des 
révolutionnaires  de  France  les  plus 
exaltés,  naquit  en  \']'i'-i,  lit  d'assez 
bonnes  études  ,  et  vint  se  mêler  à  la 
foule  des  écrivains  toujours  si  nom- 
breux dans  la  capitale  ,  où  leur  mé- 
diocrité les  condamne  à  une  existen- 
ce d'autant  plus  pénible ,  qu'ils  y 
sont  témoins  des  plus  brillantes  pros- 
pérités. La  Vicomtene  concourut , 
en  1779,  pour  l'Éloge  de  Voltaire  , 
qui  était  proposé  par  l'académie  fran- 
çaise, maisi)  n'obtint  pas  même  une 
mention ,  et  s'en  consola  en  faisant 
imprimer  ses  vers ,  auxquels  il  joi- 
gnit une  lettre  que  le  grand  Frédéric 
avait  eu  la  bonté  de  lui  adresser. 
Rien  de  tout  cela  ne  put  le  faire  re- 
marquer; et  il  était  encore  jierdu 
dans  la  foule ,  lorsque  la  révolution 
éclata.  Il  en  embrassa  la  cause 
avec  beaucoup  d'ardeur,  et  publia 
dès  les  premiers  troubles  (  1789) 
une  ode  intitulée  La  Liberté ,  qui, 
malgré  son  exagération,  ne  fut  pas 
même  aperçue  au  milieu  de  la  pro- 
digieuse quantité  d'écrits  de  tous  les 
genres  que  les  événements  faisaient 
éclore.  Les  deux  brochures  qu'il  fit 
ensuite  imprimer ,  la  première  sous 


Vie 


ln% 


QQ  titre  :  Du  peuple  et  des  rois, 
1790,  in-8".;  et  la  seconde,  intitu- 
lée :  Les  droits  du  peuple  sur  l'as- 
semblée nationale,  1791 ,  in-S*^. ,  eu- 
rent à-peu-près  le  même  sort.  Voulant 
à  tout  prix  qu'on  parlât  de  lui,  et 
voyant  le  pouvoir  royal  tombé  dans 
le  dernier  avilissement,  La  Vicomte- 
rie  mit  au  jour  un  autre  ouvrage  qu'il 
intitula  :  Crimes  des  rois  de  France  , 
depuis  Clovis  jusqu'à  Louis  X FI, 
in-H". ,  1791.  Le  litre  seul  de  cette 
compilation  lui  fit  obtenir  un  grand 
succès;  elle  fut  traduite  aussitôt  en 
Allemagne  et  en  Angleterre;  l'auteur, 
encom-agépar  ce  succès  ,  publia  l'an- 
née suivante  les  Crimes  des  papes  , 

I  vol.  in-80.;  et,  à  son  exemple,  on 
imprima  les  Crimes  des  reines  ,  les 
Crimes  des  empereurs  ^  etc.  (  f^oy. 
Prudhomme,  dans  la  Biographie  des 
hommes  vivants  ).  La  Vicomterie 
fut  dès-lors  un  des  coryphées  du 
parti  républicain.  Il  concourut  de 
toutes  ses  facultés  à  la  révolution 
du  10  août  1792  ;  et  se  livrant 
de  plus  en  plus  aux  illusions  de  ce 
temps-là,  il  imagiua  que  les  Fran- 
çais pouvaient  être  gouvernés  san?* 
payer  de  conlribMtions ,  et  publia 
une  nouvelle  brochure  intitulée  :  La 
république  sans  impôts,  179'?  ,  in- 
8". ,  cpii  ajouta  beaucoup  à  sa  popu- 
larité. Il  fut  nommé  député  à  la  Con- 
vention nationale  par  la  ville  de  Pa- 
ris. Ce  ne  fut  encore  que  par  l'exa- 
gération de  ses  principes  ,  qu'il  put 
se  faire  remarquer  dans  cette  assem- 
blée. Dès  le  commencement ,  il  y 
prononça  un  discours  Sur  le  procès 
de  Louis  Xri,  dans  lequel  il  se  dé- 
clara ouvertement  pour  la  condam- 
nation ,  et  qu'il  fit  imprimer  avant 
même  que  ce  procès  fût  commencé. 

II  vota  ensuite  pour  la  mort  de  ce 
prince,  contre  l'appel  au  peuple  et 
contre  le  sursis.  Norams  après  le  3i 


374  Vie 

mai  1793  membre  du  comité  de 
surctc  générale .  il  eut  part  à  toutes 
les  opérations  du  régime  de  la  ter- 
reur, jusqu'à  la  révolution  du  i^tlier- 
midor.  Deux  jours  après  cet  événe- 
ment, un  raccusa  de  s'être  absenté 
du  comité  et  même  de  la  Conven- 
tion ,  tant  que  la  victoire  avait  paru 
incertaine.  11  prononça  à  la  tribune 
nue  apologie  ,  dans  laquelle  il  se  dé- 
clara hautement  contre  le  tyran,  qui 
venait  de  tomber;  ajoutant  que  c'é- 
tait à  tort  qu'on  l'avait  accusé  de 
faire  partie  de  In  caste  justement 
proscrite ,  cfui  traînait  chez  l'ctran- 
s^er  son  orgueil  et  sa  misère.  Cette 
fois  La  Vicumlerie  en  fut  quitte  pour 
être  exclus  du  comité  de  sûreté  gé- 
nérale. Quelque  temps  après  ,  il  pré- 
senta à  la  Convention  un  rapport 
sur  la  morale  calculée  ,  dans  lequel 
il  manifesta  le  matérialisme  le  plus 
])Ositif.  Après  avoir  attaqué  Pufen- 
dorf  et  saint  Augustin,  Grotiiis  et 
saint  Jérôme,  il  soutint  que  l'idée 
d'un  Dieu  rémunérateur  et  vengeur 
est  fausse  ,  que  la  race  humaine 
est  éternelle ,  et  sa  conclusion  fut 
d'inviter  les  savants  à  donner  une 
échelle  graduelle  des  crimes  et  des 
tourments  qu'ils  entraînent  après 
eux  sur  la  terre ,  vu  quils  ne  doivent 
pas  être  punis  dans  un  autre  monde. 
Ce  discours,  où  La  Yicomlerie  dé- 
ploya une  sorte  d'éloquence  et  même 
une  érudition  assez  rare  dans  ce 
temps-là  ,  fut  très  -  applaudi ,  mais 
ne  put  lui  rendre  son  ancien  crédit. 
C'était  le  temps  où  l'on  attaquait  suc- 
cessivement tous  les  chefs  de  la  ty- 
rannie décemvirale,  et  surtout  les 
membres  des  anciens  comités.  Le  dé- 
puté Gouly  accusa  La  Vicomterie  , 
dans  la  séance  du  9  prairial  au  m 
(  28  mai  1795  ),  d'avoir  pris  part 
à  la  révolte  du  1'^'^.  de  ce  mois.  Il 
fut  décrète   d'accusation  et  arrêté; 


Vie 

mais  il  réussit  à  s'évader,  obtint  de 
rester  chez  lui  avec  des  gardes  ,  et 
fut  amnistié  quelques  mois  après. 
N'ayant  pas  été  compris  dans  la 
réélection  des  deux  tiers  de  conven- 
tionnels, il  ne  fit  plus  partie  d'aucu- 
ne assemblée,  et  mena  dès-lors  une 
vie  fort  obscure ,  vivant  d'un  emploi 
subalterne  dans  la  régie  du  timbre. 
Il  mourut  à  Pans,  en  1809.  Ce  dé- 
magogue, en  apparence  si  fougueux, 
et  qui  eut  part  à  tant  de  proscrip- 
ticns  et  d'événements  sanguinaires, 
était  cependant  un  homme  faible  et 
timidej  et  l'on  ne  peut  pas  douter 
que  sous  un  gouvernement  fort  et 
bien  dirigé,  il  ne  fûl  resté  ti'ès-paisi- 
ble  et  très-soumis.  La  réponse  sui- 
vante qu'il  lit  après  le  9  thermidor 
à  son  collègue  Legendre  ,  qui  lui  re- 
prochait l'arrestation  de  Danton,  le 
peint  assez  bien  :  «  Ma  foi ,  Robes- 
»  pierre  avait  un  tel  empire -sur  ses 
»  collègues,  que  moi,  en  mon  parli- 
»  culier,  j'hésitais  pour  me  rendre 
»  aux  assemblées  qui  réunissaient  le 
»  comité  de  sûreté  générale  à  celui 
»  de  salut  public,  dans  la  crainte  de 
»  mr  trouver  avec  lui.  Un  jour  nous 
»  fûmes  convoqués  pour  entendre  nu 
»  rapport  ,  sans  savoir  sur  quelle 
»  matière.  Nous  voilà  réunis  ;  Saint- 
»  Just  tire  de  sa  pociie  des  papiers  : 
»  quelle  est  notre  surprise  d'entendre 
»  le  rapport  contre  Danton  et  autres  I 
»  Le  discours  était  si  séduisant , 
»  Saint-Just  le  débita  avec  tant  d'â- 
»  me!....  Après  la  lecture,  on  de- 
»  monda  si  quehju'un  voulait  parler. 
»  NonI  noni  On  mit  l'arrestation 
»  aux  voix  ,  et  elle  fut  décrétée  una- 
»  nimcment.  »  M — d  j. 

VICQ-D'AZYR  (Félix)  ,  médecin 
et  anatomistc  célèbre  ,  écrivain  élo- 
quent ,  naquit  à  Valogue  ,  en  1748  , 
d'un  médecin  estimé  de  cette  ville.  Les 
conseils  de  son  père  le  déterminèrent 


VIG 

à  se  livrer  à  la  même  profession  ,  et 
il  se  rendit  ,  en  i^GS  ,  à  Paris  ,  oii 
il  se  livra  avec  aideur  à  l'ëtude 
Je  toutes  les  parties  de  cet  art  im- 
ineuse  ,  et  des  sciences  qui  lui  ser- 
A'ciit  d'auxiliaires.  L'analoniie  et 
la  physiologie  fixèrent  particuliè- 
rement son  goût;  et  en  «773, 
après  avoir  termine  sa  licence,  il  ou- 
vrit une  école  de  médecine,  ou  cours 
d'aiiatomie  humaine  ,  éclairée  par 
sa  comparaison  avec  celle  des  ani- 
maux. Le  succès  de  cet  enseignement 
fut  très-grand,  non-sculemcif  ta  cause 
de  tout  ce  que  le  jeune  professeur 
mon;raJt  de  connaissances,  mais  sur- 
tout à  cause  de rciégance,  dç  la  clar- 
té et  de  la  chaleur  qu'il  savait  met- 
tre dans  son  exposition.  On  rapporte 
que  celte  réputation  naissante  éveilla 
la  jalousie  de  quelques  médecins,  qui 
parvinrent  à  lui  faire  refuser  l'usage 
de  la  salle  de  la  Faculté.  Antoine 
Petit,  professeurd'anatoniie,  au  Jar- 
din du  Roi,  qui  lui- môme  avait  une 
grande  réputation  comme  savant  et 
comme  orateur,  le  choisit  alors  pour 
faire  des  leçons  à  sa  place  ;  et  sur  ce 
nouveau  théâtre  Vicq-d'Azyr  n'eut  ni 
moins  de  succès  ,  ni  plus  de  bonheur. 
Petit  aurait  voulu  liu  ménager  la  sur- 
vivance de  sa  chaire  ;  mais  il  ne  put  y 
réussir.  BulFon  préféra  M.  Portai  ^ 
Vicq-d'Azyr  fut  réduit  à  faire  des 
leçons  particulières  dans  sa  propre 
demeure ,  et  les  talents  nombreux 
dont  il  donnait  des  preuves  seraient 
peut-être  demeurés  long-temps  stéri- 
les pour  sa  fortune,  si  un  hasard  sin- 
gulier ne  lui  eût  procuré  un  protec- 
teur zélé  dans  le  célèbre  Daubenton. 
Une  jeune  personne,  nièce  de  la  fem- 
me de  ce  naturaliste  ,  passant  avec 
sa  mère  devant  la  maison  de  Vicq- 
d'Azyr,  y  fut  prise  d'un  évanouisse- 
ment. Ou  appela  ce  médecin  pour  lui 
donner  des  secours  j  et  cet  accident 


VIG 


3t5 


fut  l'origine  d'une  liaison  qui  se  ter- 
mina par  un  mariage.  Dès-lors  Dau- 
benton procura  à  Vicq  -  d'Azyr  les 
moyens  d'étendre  ses  recherches  à 
des  animaux  étrangers  j  et  les  Mé- 
moires oîi  le  jeune  anatomiste  les 
consigna  lui  procurèrent,  en  1774, 
l'entrée  à  l'académie  des  sciences. 
Il  y  acquit  l'estime  et  l'amitié  de 
Lassonne  ,  premier  médecin  du 
roi ,  qui  résolut  de  l'employer  dans 
les  parties  d'administration  atta- 
chées alors  à  cette  place,  et  qui 
l'envoya,  nommément  en  177^, 
porter  des  secouis  à  qi;elqiies  provin- 
ces du  raidi,  ravagées  par  une  cpi- 
zootie  mei'.rtrière.  Le  projet  de  don- 
ner plus  de  régidarilé  à  ce  genre  de 
secours,  celui  de  faire  constater  plus 
positivement  les  propriétés  des  eaux 
minérales,  qui  étaient  aussi  dans  ses 
attributions,  conduisirent  Lassonne 
à  l'idée  de  conlier  ce  travail  à  une 
commission  j  et  petit  à  petit  il  en  vint 
à  celle  de  créer  une  société  qui  tra- 
vaillerait au  perfectionnement  de  tou- 
tes les  parties  de  la  médecine.  Cette 
société  fut  établie  en  1776;  etVicq- 
d'Azvr  ,  avec  qui  Lassonne  en  avait 
concerté  le  plan  ,  en  fut  nommé  se- 
crétaire perpétuel.  Mais  cette  épo- 
que ,  si  favorable  à  sa  renommée,  fut 
aussi  pour  lui  celle  des  désagréments 
les  plus  vifs.  La  Faculté,  jalouse  de 
ce  nouveau  corps,  qu'elle  regardait 
comme  un  rival  dangereux,  prit  Vicq- 
d'Azyr  pour  principal  objet  de  sa  hai- 
ne, et  il  fut  accablé  d'injures  et  de  ca- 
lomnies dans  les  pamphlets  que  pu 
blicrent  ceux  des  docteurs  de  la  Fa- 
culté qui  n'avaient  pas  été  appelés 
à  faire  partie  de  la  société.  Cepen- 
dant les  grands  travaux  de  cette  com- 
pagnie ,  leur  utilité  évidente  ,  le 
talent  et  l'activité  que  Vicq-d'Azyr 
montra  dans  ses  fonctions ,  l'empor- 
tèrent sur  l'injustice  de  leurs  de'trac- 


37^  Vie 

tenrs.  Les  éloges  qu'il  fit  des  princi- 
paux membres  de  la  société,  écrits 
avec  intérêt ,  souvent  avec  éloquen- 
ce,  lui    concilièrent  les  suffrages  les 
plus    honorables.   On   y   remarqua 
une  grande  étendue  de  connaissances, 
un  jugement  sain,  de  la  sensibilité  , 
et  un  grand    talent  de    peindre   les 
hommes.    I/attcntion  que  la  société 
avait  eue  de  nuninicr  parmi  ses  ho- 
noraires  des  auteurs   célcbics  dans 
les  scirnccs  naturelles  ,    el  même  des 
magistrats  et  des  liommcs  d'État  que 
leurs  fonctions  metlaicnl  en  raj)port 
avec   la    médecine  ,    procura   à  son 
secrétaire  l'occasion  de  célébrer  d'au- 
tres personnages  que  des  médecins  , 
et  de  s'élever  à  des  considérations  du 
genre  le  plus  varié  ;  la  botanique,  la 
chimie  ,    l'administration  ,  la   plus 
haute  politique  elles-mêmes  purent 
devenir  les  objets  de  ses  réflexions, 
lorsqu'il  eut  à  |)arler  de  Linna-us  ,  de 
Bergman  ,  de  Vergennes  et  de  Fran- 
klin ;  et  il  prit  un  tel  rang  parmi 
nos  meilleurs  écrivains,  que  l'acadé- 
mie française  ,  en  i  788  ,    le  choisit 
avec    l'applaudissement   gc'néial  du 
public  pour  succéder  à  Ikillbn.  Son 
discours  de  réception  est  un  des  plus 
pleins  et  des  plus  élégants  qui  aient 
été    prononces  dans  des   occasions 
semblables.     Il    y   apprécie  BuU'ou 
«ous  tous  les  rapports,  et  le  peint 
d'une  manière  également  fi-appante  , 
comme  philosophe  ,  comme  natura- 
liste et  comme  écrivain.  Les  travaux 
jiurcment  scientifiq.ies  de  Vicq-d'A- 
zyr  ioiit  nombreux   el  importants  : 
ils  embrassent  des  sujets  très-divers 
de  médecine  ,  d'art  vétérinaire  etsur- 
tout  d'auatomic ,  tant  humaine  que 
comparée.    Il   avait  présenté  à  l'a- 
cadcmie  des  sciences ,  dès  la   lin  de 
1773  ,   ses  premiers  Mémoires  pour 
servir  à   l'histoire  anatomique  des 
poissons  ,  cl  sur  l'auatomie  des  oi- 


VIC 

seaux,  comparée  à  celle  del'homme. 
Devenu  membre  de  cette  compagnie, 
il  y  lut  la  suite  de  ce  travail  en  1774 
et  y  joignit  un  Mémoire  sur  les 
usages  et  la  structure  des  quatre 
extrémités  dans  l'homme  et  les  qua- 
drupèdes; en  1777  ,  un  autre  sur 
l'organe  de  l'oi.ïe,  dans  les  qua- 
tre classes  d'animaux  vertébrés  • 
en  1779,  deux  sur  les  organes  do 
la  voix:  en  1781  ,  une  anatomie 
du  mandrill,  et  de  quelques  autres 
singes;  et  en  1784,  des  observations 
sur  les  t-lavicules  et  les  os  clavicu- 
laires.  Ces  écrits  sont  imprimés  dans 
les  Recueils  de  l'académie  ;  ils  offrent 
presque  tous  des  observations  neu- 
ves pour  le  temps,  et  des  vues  ingé- 
nieuses ,  mais  sans  s'élever  à  toute 
la  généralité  ,  ni  entreB  dans  tout  le 
détail  que  ces  matièrescomportaient. 
Sa  myologie  des  oiseaux  en  est  la 
partie  la  plus  neuve,  et  celle  qui  est 
encore  demeurée  la  plus  utile;  vers  la 
fin  de  sa  vie ,  il  s'occupait  de  leur 
génération.  On  a  de  lui,  dans  le  Bulle- 
tin de  la  société  philomatique  de 
lygS,  des  observations  sur  ce  que 
devient  le  jaune  de  l'œuf  après  l'in- 
cubation ,  et  une  description  des  or- 
ganes génitaux  du  canard.  Pendant 
le  même  temps  ,  Vicq-d'Azyr  com- 
mençait sur  l'anatomic  de  l'homme 
des  recherches  plus  suivies  ;  il  donna, 
en  1781  ,  des  observations  sur  la  jio- 
sition  des  testicules  dans  l'embryon  ; 
mais  il  s'attachait  particulicicment 
au  système  nerveux.  En  1777  ,  il 
avait  donné  une  description  des  nerfs 
de  la  'i'^".  et  de  la  S"»*^.  paire.  En 
1781  ,  il  lut  quatre  Mémoires  sur 
la  structure  du  cerveau  elde  la  moel- 
le épinière ,  et  sur  l'origine  des  nerfs, 
où  il  ajouta  plusieurs  faits  à  ce  que 
l'on  connaissait  déjà  de  ces  organes 
compliqués.  Ces  écrits  sont  égale- 
ment insérés  parmi  les  Mémoires  de 


vie 

racade'raic  j  mais  leurs  résultats , 
ainsi  que  ceux  de  beaucoup  d'autres 
observations  sur  le  même  sujet,  sont 
consignés  dans  un  ouvrage  que  Vicq- 
d'Azyr  commença  à  publier  en  1786, 
sous  le  titre  de  Traité  (Vanatomie 
et  de  physiologie,  avec  des  plan- 
clies  coloriées,  in  -  fol.  Il  devait, 
comme  le  titre  l'annonce  ,  y  décrire 
et  y  représenter  tous  les  organes  de 
l'homme  ;  mais  il  n'a  pu  traiter  que 
de  l'encépliale,  et  n'est  pas  même 
arrivé  à  la  moelle  épinière  ni  à  la  dis- 
tribution des  nerfs  ,  et  encore  moins 
aux  organes  des  sens.  Tel  qu'il  est 
demeuré,  cet  ouvrage  forme  un  vo- 
hime  in  -  folio ,  assez  fort ,  contenant 
trente  -  cinq  planches  imprimées  en 
couleur,  avec  des  explications  très- 
délaillées,  etuue  histoire  critique  des 
figures  données  sur  le  mèjne  sujet , 
par  les  anatomistes  précédents.  Le 
tout  est  précédé  de  Discours  sur  l'a- 
natomie  en  général ,  écrits  avec  élé- 
gance ,  et  qui  présentent  cette  science 
sous  des  points  de  vue  pins  élevés  et 
plus  philosophiques  que  le  commun 
des  écrivains  sur  cette  matière  n'a- 
vait coutume  de  le  faire.  L'auteur 
y  rappelle  sans  cesse  à  l'anatomie 
comparée,  qui ,  à  cette  époque,  était 
presque  tombée  eu  oubli  dans  l'école 
de  Paris.  Il  eut  occasion  de  s'en  oc- 
cuper ex  professa ,  dans  l'ouvrage 
qu'il  entreprit  pour  l'Enryclopédic 
méthodique,  et  dont  il  publia  le  se- 
cond volume  en  1  "92  ,  sous  le  titre 
de  Système  anatomique  des  qua- 
drupèdes. Le  premier ,  qui  devait 
paraître  plus  tôt,  n'a  pas  même  été 
commencé  par  lui.  L'auteur,  après 
y  avoir  indiqué,  dans  !e  discours 
préliminaire,  d'une  manière  à  la  vé- 
rité encore  assez  imparfaite,  même 
pour  l'époque  ,  les  rapports  des  prin- 
cipales familles  du  règne  animal,  et 
les  espèces  dont  il  lui  paraît  plus  im- 


VIC 


077 


portant  d'étudier  l'anatomie,  y  trace 
le  plan  d'après  lequel  les  anàtomies 
particulières  pourraient  être  faites  • 
et  ce  plan  est  si  détaillé,  qu'il  n'y 
aurait  pas  moins  de  treize  cent  tren- 
te-neuf points  ou  circonstances  d'or- 
ganisation à  examiner  et  à  décrire 
dans  chaque  espèce.  Il  fait  ensuite 
l'application  de  ce  plan  à  un  certain 
nombre  d'espèces,  choisies  parmi  les 
quadrumanes  et  les  rongeurs,  et  ran- 
gées d'après  une  méthode  que  Dau- 
benton  lui  avait  fournie.  Mais  on  con- 
çoit qu'il  est  obligé  d'y  laisser  en 
blanc  la  pliqiart  de  ces  nombres,  et 
que  beaucoup  de  ceux  qu'il  a  rem- 
plis n'ont  pu  l'être  que  par  des  faits 
ejnpruntés  à  d'autres  anatomistes. 
D'ailleurs  les  répétitions  innombra- 
bles qu'entraînait  cette  manière  de 
décrire,  auraient  rendu  l'ouvrage,  si 
on  avait  voulu  le  conduire  jilus  loin, 
d'une  longueur  insupportable.  L'au- 
teur cherche  à  y  remédier  par  des 
résumes  qu'il  place  à  la  fin  de  chaque 
famille,  et  qui  piéscntent,  mais  tou- 
jours d'après  le  même  ordre  de  nu- 
méros, ce  que  les  espèces  de  cette 
famille  ont  de  commun.  Cette  partie 
de  l'Encyclopédie  méthodique  a  été 
continuée  récemment ,  mais  sur  un 
plan  beaucoup  plus  abrégé,  par  IM. 
llippolyte  Cloquet,  qui  y  a  suppléé 
aussi  le  premier  volume  ,  et  l'a  rem- 
pli, conformément  à  ce  que  Vic<j- 
d'Azyr  avait  annoncé,  par  un  Dic- 
tionnaire raisonne  des  termes  d'ana- 
tomie  et  de  physiologie,  appliqués 
principalejnent  à  l'anatomie  de  l'hom- 
me. Ses  Mémoires  de  médecine  pro- 
prement dite  et  d'aï  t  vétérinaire  ne 
sont  ni  aussi  nombreux  ni  aussi  im- 
portants. En  1774  5  7^  6176,  lors 
de  ses  missions  contre  l'épizootie  du 
midi ,  il  publia  une  multitude  d'ins- 
tructions sur  les  moyens  de  préser- 
ver les  bestiaux  de  la  contagion,  de 


378 


VIG 


les  traiter  lorsqu'ils  en  sont  atteints, 
et  de  desinfecter  les  cuirs  de  ceux 
qui  en  sont  morts.  Il  cii  a  donné  le 
résume  général  en  1781 ,  2  vol.  in- 
8«>. ,  sous  le  titre  de  Médecine  des 
bétes  à  cornes.  Il  faut  avouer  que 
sou  remède  universel  n'était  pas  con- 
solaMt;  il  consistait  presque  toujours 
à  assommer  les  J)êtes  infectées.  Pen- 
d.int   uu    certain  temps  ,  professeur 
d'an;itomic  cumparéc  à  l'ocole  vété- 
rinaire d'Alfort ,  il  a  contribué  à  y 
inspirer  le  goût  des  reclicrclies  scien- 
tifiques. Il  acte  l'éditeur  du  Diction- 
naire de  Médecine  de  l'Hucyclopé- 
die  méthodique,    composé  par   une 
société  de  vingt  médecins.  Les  arti- 
cles Adustion ,  Acupuncture  et  Ai- 
guillon,  qui  sont  de  lui,  ollient  des 
idées  nouvelles  et  lumineuses.  Il  a 
tradiu't  de  l'italien  ,  mais  avec  des 
cliangements  et  des  additions ,  le  trai- 
té de  Fiattoli  sur  les  dangers  des  sé- 
pultures (i778,in-r.O.  Vicq-d'Azyr 
n'était  pas  étranger  à  la  chirurgie;  et 
il  a  donné,  dans  le  Recueil  de  la  so- 
ciété de  médecine ,  des  iMémoires  sur 
la  section  de  îa  trachée,  sur  la  taille 
latérale  de  la  pierre,  et  sur  la  fistule 
lacrymale.    Ses   éloges   des    méde- 
cins sont  remplis  de  réflexions  et  de 
vues  utiles  sur  l'art.  On  assure  qu'il 
était  devenu  bon  praticien ,  et  que  ses 
anciens  ennemis  avaient  fini  par  lui 
rendre  hommage  sur  ce  jxjint.  11  suc- 
céda ,  en  1 78") ,  à  Lassonne,  dans  sa 
]dacc  de  premier  médecin  de  la  rei- 
ne, et  obtint  en  même  temps  la  sur- 
vivance de  celle  de  premier  médecin 
du  roi,  qui  fut  donnée  à  Lemonnierj 
bien  que   ses  liaisons  avec  Condor- 
cet  et  d'autres  philosophes  l'eussent 
rendu  suspect  à  la  cour,  les  rapports 
habituels  que  ses  fonctions  lui  don- 
naient avec  la  reine  ,  objet  principal 
des  soupçons  et  de  lu  haine  des  révo- 
lutionnaires ,  et  l'admiration  qu'il 


\IC 

professait  pour  elle  ,Iuiattirèrentaus- 
si  l'animadversion  du  parti  qui  ren- 
versa le  trône;  et  l'on  assure  que  les 
craintes  qu'il  en  conçut  contribuèrent 
à  la  maladie  qui  l'emporta.  Il  paraît 
néanmoins  que  des  sa  jeunesse  il 
avait  été  attaqué  de  crachements  de 
sang,  et  que  les  travaux  continuels 
auxquels  il  se  livrait  avaient  miné 
depuis  long-temps  sa  santé.  Il  avait 
reconnu  lui-même,  depuis  quelque 
tcnps  ,  qu'il  était  atteint  d'un  ané- 
vrisme;  mais  ayant  été  obligé  d'as- 
sister à  la  cérémonie  où  Robespierre 
proclama  l'Etre-Suprème  ,  la  fatigue 
qii'il  éprouva  donna  une  nouvelle 
énergie  à  ces  causes  de  destruction  ; 
et  il  mourut  d'une  inflammation  de 
jioitrine,  le  20  juin  1704?  '^g*^  ■"'Cn- 
lémeut  de  quarante  -  six  ans.  MM. 
iMoreau  de  la  Sarthe  et  Lemonley 
ont  publié  des  Éloges  historiques  de 
Vicq  -  d'Azyr,  le  premier  en  i  797  y. 
et  le  second  en  182G.  M.  Morcau  a 
donné  une  édition  de  ses  OEuvres  , 
^n(j  vol.  in-8*^. ,  et  un  Atlas  in- 
4".  ,  Paris,  i8o5.  Les  trois  pre- 
miers contiennent  les  Eloges  ;  les 
trois  autres  ses  écrits  anatomiques  et 
physiologiques;  mais  ces  deux  re- 
cueils sont  incomplets ,  le  second  sur- 
tout ,  où  manquent  plu'-ieurs  Mémoi- 
res ,  et  où  ceux,  qui  s'y  trouvent  sont 
mutilés  en  divers  endroits.    C-v-r. 

VICTOIRE  (  Louise- TuÉaisE  ), 
fille  de  Louis  XV,  naquit  à  Versail- 
les le  1 1  mai  1733  ,  passa,  ainsi  que 
sa  sœur  aînée  (  V.  Adélaïde,  I,  2 1 2), 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie  à  la 
cour ,  et  y  fut  respectée  pour  sa  pieté 
et  la  pureté  de  ses  mœurs.  Le  dévoue- 
ment filial  de  cette  princesse  fut 
célèbre,  à  l'époque  de  la  mort  de 
Louis  XV.  Jamais  petite  -  vérole  ne 
s'était  montrée  avec  des  symptômes 
plus  elfrayanls.  Madame  Victoire  , 
qui  n'avait  pas  eu  cette  maladie,  vou- 


vie 

lut  s'enfermer  avec  sou  père ,  pour 
lui  donner  ses  soins.  Elle  l'ut  atteinte 
du  mal  qu'elle  avait  brave  ,  mais  fut 
sauvée  de  ses  dangers.  La  séparation 
d'avecle  reste  de  sa  famille,  à  laquelle 
cette  circonstance  la  condamna  ,  fut 
peut-être  funeste  à  la  monarchie. 
Consultée  par  le  roi  sou  neveu,  elle 
l'avait  engagé  à  rappeler  à  la  tète  de 
ses  conseils  un  homme  d'une  austère 
vertu  ,  d'une  profonde  capacité  ,  au- 
quel le  feu  roi  avait  accorde  une  juste 
confiance,  le  comte  de  Machault.  La 
dépcclie  qui  l'appelait  à  Versailles 
allait  être  remise  au  courrier,  lors- 
qu'une intrigue  de  cour  lit  substituer 
à  son  noui  celui  de  M.  de  Haurepas. 
On  sait  trop  quelle  influence  eut  ce 
choix  sur  les  destinées  de  la  France. 
Après  la  mort  de  leur  père,  Mada- 
me Victoire  et  Madame  Adélaïde 
continuèrent  à  vivre  dans  l'union  la 
plus  touchante,  au  château  de  Belle- 
vue  ,  sans  cesse  occupées  de  bienfai- 
sance et  d'œuvrcs  de  piéle',  jusqu'au 
moment  où  les  premiers  troubles  de 
la  révolution  vinrent  interrompre 
leur  repos.  Obligées  de  fuir  devant 
la  populace  venue  pour  assaillir  leur 
paisible  demeure,  elles  s'en  éloignè- 
rent à  la  hâte ,  dans  la  nuit  du  1 9  fé- 
vrier i-jgi  ,  se  dirigeant  vers  l'Ita- 
lie. Ce  ne  fut  qu'après  avoir  été  arrê- 
tées plusieurs  fois  sur  leur  route, 
qu'elles  arrivèrent  enfin  dans  les 
Etats  du  l'oi  de  Sardaigne,  où  elles 
furent  reçues  avec  tout  l'empresse- 
ment qu'elles  devaient  attendre  d'un 
prince  qui  tenait  par  tant  de  liens  a 
la  France.  Elles  se  rendirent  ensuite 
à  Rome,  où  elles  ne  furent  pas  moins 
bien  accueillies  par  le  pape  Pie  VI. 
Ces  princesses  séjournèrent  plusieurs 
années  dans  la  capitale  du  monde 
chrétien  ;  et  elles  y  édifièrent  tous  les 
habitants  par  leur  résignation  et  leur 
touchante  piété.  Elles  ne  s'éloignè- 


VIC  379 

rent  de  celte  ville  que  lorsque  les  ar- 
mées républicaines  s'en  approchè- 
rent, en  1798.  S'étant  alors  rendues 
à  Naples  ,  elles  y  furent  comblées  , 
par  le  roi  et  la  reine,  de  tous  les  té- 
moignages d'intérêt  et  d'airection. 
Après  un  séjour  d'un  an  dans  le 
beau  palais  de  Cascrte ,  il  leur 
fallut  encore  prendre  la  fuite  devant 
les  armées  des  républicains.  C'est 
dans  la  Relation  du  tw}'a{i^c  de  Mes- 
dames, donuée  par  M.  de  Chastcl- 
lux,  en  18 iG,  qu'on  doit  lire  les  dé- 
tails de  tous  les  dangers ,  de  toutes 
les  fatigues,  de  toutes  les  soulfrauces 
que  ces  deux  malheureuses  princes- 
ses eurent  à  supporter,  au  milieu  de 
l'hiver  le  plus  rigoureux,  dans  une 
marche  et  une  navigation  de  plus  de 
quatre  mois.  Madame  Victoire  ne 
put  résister  à  tant  de  maux;  elle  y 
succomba  le  8  juin  1799,  quelques 
jours  après  sou  débarquement  à 
Tries  te,  et  six  mois  avant  sa  sœur 
aînée.  Madame  Adélaïde.  La  mê- 
me tombe  réunit  dans  la  cathédrale 
de  celte  ville  deux  sœurs  qui  ne  s'é- 
taient pas  quittées  un  seul  jour  pen- 
dant leur  vie.  Après  le  rétablissement 
de  leur  maison  sur  le  trône  de  Fran- 
ce, le  roi  Louis  XVIII  fit  apporter 
eu  France  leurs  dépouilles  mortel- 
les; et  elles  furent  déposées  dans 
le  caveau  royal  de  Saint-Denis,  eu 
janvier  1817.  M — d  j. 

VICTOR  (  Saint  ),  d'une  famille 
de  l>L'irseille,  servait  dans  les  armées 
romaines,  loisqu'il  fut  arrêté  comme 
chrétien,  pendant  la  persécution  de 
Dioclétien  et  de  Masimien.  Ni  les 
liromcsses  ,  ni  les  menaces  ne  purent 
lui  faire  abjurer  sa  foi  :  il  renversa 
même  un  petit  autel  qu'on  avait  ap- 
porté devant  lui  en  le  pressant  de 
sacrifier  aux  idoles.  Après  avoir 
enduré  plusieurs  tourments  ,  il  eut  la 
têle  tranchée  le  21  juillet  3o3.  Les 


38o 


Vie 


abbayes  de  Saint- Victor  à  Marseille 
et  à  Paris  furent  bâties  sous  son  in- 
vocation. On  trouve  une  relation  du 
martyi-e  de  saint  Victor  dans  les 
supplc'nients  au  Cartophjlax  de  Ca- 
ve, piiblie's  par  Colomiès  ( /^o/.  ce 
nom  ,  IX  ,  3 1 1  ),  Londres,  if>86  , 
in-S».  P — BT. 

VICTOR  1er,  (Saint)  ,  pape ,  Afri- 
cain de  nation,  succéda  à  saint  Elcu- 
thère,  le  j8  juillet  iSf).  Il  condam- 
na et  excommunia  Tlicodore  de  By- 
zance ,  qui  niait  la  divinité'  de  J.  -C. 
Cette  beiësic  n'était  ])as  nouvelle  ,  et 
désola  encore  long-temps  l'Église 
chrétienne.  11  s'occupa  ensuite  de 
fixer  le  jour  de  la  célébration  de  la 
fête  de  Pâques.  Les  usages  dilléraient 
à  cet  égard.  11  n'y  avait  cependant 
d'autre  dilllculté  que  celle  de  savoir 
si  ce  serait  le  quatorzième  jour  de  la 
lune  de  mai's  ,  ou  le  dimanche  qui 
suivrait  ce  quatorzième  jour.  Cette 
dernière  opinion  prévalut  dans  un 
concile  que  saint  Victor  assembla  à 
Rome,  et  l'usage  en  a  été  constam- 
ment observé  (  V.  l'art.  Gregoiue, 
XIII).  Cette  décision  fut  pareille- 
ment prise  dans  d'autres  conciles  : 
les  églises  d'Asie  furent  les  seules  qui 
résistèrent  ;  le  pape  voulait  les  ex- 
communier ;  mais  saint  Irc'uée  mo- 
déra son  zèle,  eu  lui  représentant 
qu'il  ne  fallait  pas  retranche]-  de  l'É- 
glise universelle  un  si  grand  nombre 
d'autres  églises  ,  pour  cet  attache- 
ment à  leur  ancienne  coutume.  Saint 
Victor  mourut  martyr  peu  de  temps 
après  ,  le  a8  juillet  19-^ ,  et  eut  saint 
Zéphiriupour  successeur.     D — s. 

VICTOR  II  (  GÉBEHARD  ,  pape  , 
sous  le  nom  de),  était  évêque  d'Eichs- 
tet,  et  parent  de  l'empereur  Henri  III. 
Il  fut  élu  le  1 3  avril  io55,près  d'unan 
après  la  mort  de  saint  Léon  IX.  Les 
Romains,  incertains  sur  leur  choix, 
avaient  envoyé^  Hildebrand  à  l'em- 


VÎC 

pereur  ,  pour  le  prier  de  leur  indi- 
quer celui  qu'il  désirerait  voir  nom- 
mer. L'empereur  eut  de  la  peine  à  se 
sépaier  de  Gébehard,  qui  lui  ét;iit 
utile  dans  ses  conseils;  et  Gebehard 
quittait  à  regret  un  poste  érainent , 
où  il  jouissait  de  toute  la  faveur  du 
monarque  ;  mais  Hildebrand  l'em- 
porta ,  et  ramena  Victor  à  Rome, 
où  il  fut  reçu  avec  honneur.  Fieury, 
sur  la  foi  de  Lambei't,  auteur  grave 
du  temps ,  raconte  :  «  Qu'un  sous- 
»  diacre  voulant  faire  mourir  le  pape 
»  mit  du  poison  dans  le  calice  :  le 
»  pape  ,  ne  pouvant  se  lever  après  la 
»  consécration,  se  prosterna  avec  le 
»  peuple  pour  demander  à  Dieu  de 
»  lui  en  découvrir  la  cause.  Aussitôt 
»  l'empoisonneur  fut  saisi  du  démoa , 
•»  et  le  pape  connaissant  le  crime , 
»  fit  enfermer  le  calice  dans  un  au- 
))  tel  avec  le  sang  de  Notrc-Scigii€ur , 
»  pour  le  garder  à  perpétuité  avec  les 
»  reliques.  Puis ,  il  se  prosterna  de 
»  nouveau  en  prière,  jusqu'à  ce  que 
»  le  sous-diacre  fût  délivré.  »  Victor 
envoya,  la  même  année,  Hildebrand, 
légat  eu  France  ,  pour  réprimer  la 
simonie  qui  faisait  partout  les  plus 
grands  ravages.  En  io56  ,  il  ftt  un 
vovage  eu  Saxe  ,  pour  y  trouver 
l'empereur,  qu'il  vit  à  Goeslas.  Il  ré- 
concilia l'impératrice  Agnes  avec  le 
roi  Baudouin  ,  comte  de  Hesden  ,  et 
Godefroy  ,  duc  de  Lorraine  ,  et  pa- 
cifia le  royaume  autant  qu'il  lui  fut 
possible.  Ensuite  il  retourna  en  Ita- 
lie ,  et  mourut  en  Toscane,  le  21 
juillet  ICO*]  ,  après  avoir  occupé  le 
saint  -  siège  deux  ans  et  trois  mois. 
Il  eut  pour  successeur  Etienne  IX. 
D— s. 
VICTOR  III  ,  élu  pape,  le  :4 
mai  10B6,  après  la  mort  de  Gré- 
goire VII,  se  nommait  Didier,  et 
descendait  d'une  illustre  famille  de 
Bénéventj  il  avait  été  nommé  ablîé 


vie 

du  Moiit-Cassin  en  loSn,  envoyé 
coiuiiie  Icgal  à  Constanliiiople  en 
io58  ,  et  enCm  cardinal  en  loSg. 
Il  s'était  retire'  dans  son  abbaye  pen- 
dant les  troiib'.es  excites  par  l'anti- 
pape Giiibert,  lorsque  les  Normands 
le  prièrent  de  se  mettre  à  leur  tète  , 
pour  tàolier  de  conclure  !a  paix  avec 
Grégoire  VII  et  Henri.  Didier  vit  le 
roi ,  et  lui  parla  avec  une  fermeté' 
que  le  prince  ne  put  s'empêcher  de 
respecter;  car  Didier  était  l'im  des 
plus  grands  pcisonnages  du  siècle  où 
il  vivait.  L'estime  qu'il  avait  inspi- 
re'e  lui  lit  déférer  le  pontificat  su- 
prême; mais  il  opposa  la  plus  grande 
résistance.  Ce  ne  fut  qu'au  bout  d'nn 
an  qu'il  consentit  à  exercer  ses  fonc- 
tions, L'anti-pape  (  V.  Guibert)  , 
secondé  par  quelques  Romains,  par- 
vint à  se  rendre  maître  de  l'église  de 
Saint-Pierre,  et  Victor  se  retira  de 
nouveau  dans  son  monastère.  Pressé 
du  désir  d'abattre  les  Sarrasins  ,  il 
ordonna  la  levée  d'une  armée  formi- 
dable, qui  lit  la  conquête  deMe'dia, 
et  tua  cent  mille  ennemis  ;  ce  qui 
passa  pour  un  miracle.  Le  pape  son- 
gea bientôt  après  à  sévir  contre 
l'anti  -  pape  ,  qu'd  fit  analliémati- 
ser  dans  un  concile.  Pendant  les 
premières  sessions  ,  il  tomba  dange- 
reusement malade  ,  et  retourna  au 
!R"ont-Cassin:  sentant  sa  fin  appro- 
clier,  il  fit  promettre  aux  cvêques  et 
aux  cardinaux  qui  l'avaient  suivi 
d'élire  à  sa  jilace  l'évcque  d'Ostie. 
Au  bout  de  trois  jours,  le  i5  sept. 
1 086  ,  il  mourut  ,  après  quatre 
mois  de  pontiHcat.  Il  avait  c.'é 
vngt-neuf  ans  abbé  du  Mont-Cassin , 
dont  il  fit  rebâtir  l'église  avec  ma- 
gnificence. On  a  de  ce  pape  trois 
volumes  de  dialogues  sur  les  mii-a- 
racles  de  saint  Benoît,  et  autres 
moines  du  Mont-Cassin.  Il  eut  pour 
successeur  Urbain  IL  D — s. 


VIC 


38 1 


VICTOR ,  anti-pape.  F.  Innocent 
Il ,  pape. 

VICTOR  (Fz^r/f/x),  tyran, 
doit  uniquement  à  ce  titre  la  place 
qu'il  tient  dans  l'histoire.  Fils  de  Ma- 
xime (  F.  ce  nom  ,  ^W\\  ,  5IS8  ) , 
il  fut  créé  César  et  Auguste  par  son 
père ,  en  383.  Lorsque  Maxime  eut 
résolu  de  porter  la  guerre  eu  Italie  , 
il  laissa  ,  suivant  quelques  auteurs,  à 
Victor  le  commandement  des  Gaules; 
majs  comme  ce  pnnce  était  eiicore 
fort  jeune,  il  l'entoura  sans  doute  de 
généraux  dont  les  talents  et  l'expé- 
rience devaient  suppléer  à  son  inca- 
pacité. La  raine  du  fils  suivit  de 
quelques  jours  celle  de  son  père.  (1 
fut  rais  à  mort  par  ordre  de  Théo- 
dose, au  mois  de  septembre  388.  On 
a  des  médailles  de  Victor,  en  or,  en 
argent  et  en  petit-bronze;  mais  elles 
sont  très-rares.  W  —  s. 

VICTOR  ou  VICTORINUS 
(  Claudius  -  MAr.ius) ,  rhéteur  et 
poète,  vivait  à  Marseille,  dans  le 
commencement  du  cinquième  siècle. 
Il  a  laissé  trois  livres  de  vers  hexa- 
mètres ,  qu'il  adresse  à  son  fils  ^- 
tnerius  ,  et  dans  lesquels  il  raconte 
l'histoire  de  la  Genèse  ,  depuis  la 
création  jusqu'à  la  destruction  de 
Sodome.  A  la  suite,  se  trouve  une 
Epître  en  vers  ,  contre  les  mœurs 
corrompues  de  son  siècle,  adressée  à 
l'abbé  Salomon ,  et  dans  laquelle  Vic- 
tor fait  un  tableau  assez  curieux  des 
ravages  qu'avaient  naguère  exercés 
dans  les  Gaules  les  Vandales  et  au- 
tres peuples  barbares.  On  lui  attri- 
bue deux  antres  Poèmes,  qui  sont  de 
Victorin  ,  évèque  de  Petaw ,  au  troi- 
sième siècle.  Victor  mourut  sous  Va- 
icntinien  III  ,  vers  /po,  Z. 

VICTOR,  VICTORIN  ou  VIG- 
TORIUS  (  MjniJNUs),  matliéma- 
ticien ,  était  né  dans  l'Aquitaine, 
et   suivant  quelques  auteurs,  à  Li- 


38a  Vie 

moges.  Etant  aile  demeurer  à  Ro- 
me, on  conjecture  qu'il  y  remplit  les 
fonctions  de  la  cle'ricatiire.  L'cpoque 
à  laquelle  devait  se  célébrer  la  fête 
de  Pâques  continuait  d'èlre  entre  les 
églises  le  sujet  de  fre'quentes  diflicui- 
tcs.  A  la  prière  d'Hilaire,  archidia- 
cre de  Rome ,  Victor  se  chargea  d'a- 
viser aux  moyens  de  prévenir  le  re- 
loifr  de  ce  désordre.  En  multipliant 
le  cvcie  lunaire  des  Grecs  ,  de  dix- 
neuf  ans  ,  par  le  cycle  solaire  de 
vingt-huit  ans,  il  fit  un  nouveau  ca- 
non pascal .  qui ,  de  son  nom ,  fut  ap- 
pelé victorin.  Ce  canon  ,  qu'il 
acheva  l'an  4^7  ,  fut  adopté  par  les 
églises  d'Occident.  Mais  dès  le  siè- 
cle suivant,  Victor  de  Capoue  en 
ayant  démontré  les  erreurs,  l'Eglise 
de  Rome  en  abandonna  l'usage  ,  qui 
se  maintint  plus  long-temps  en  Fran- 
ce. Le  canon  de  Victor  a  été  publié 
par  le  P.  Gilles  Boucher,  jésuite, 
avec  une  explication,  sous  ce  titre  : 
De  doctrind  temporum  sii'e  Com- 
mentarius  in  Fictorii  Aquitani  et 
aliorum  canones  paschales ,  Anvers, 
i633  ou  1634,  in-folio.  On  trouve 
une  Notice  sur  Victor  dans  V Histoi- 
re littéraire  de  la  France ,  n ,  4^4" 
28,  W— s. 

VICTOR ,  évèque  de  Vite ,  dans 
la  Byzacène,  et  non  diUtique,  com- 
me on  l'a  cru  long-temps  sur  l'auto- 
rité de  quelques  manuscrits  ,  floris- 
saitdans  le  cinquième  siècle.  Enve- 
loppé dans  la  persécution  suscitée 
en  483,  par  Huuneric,  roi  des  Van- 
dales ,  couh-e  les  catholiques ,  il  se 
vit  forcé  d'abandonner  son  siège  et 
se  retira,  suivant  les  uns  ,  à  Constan- 
tinople ,  et  selon  d'autres  auteurs , 
dans  l'Epire.  On  ignore  l'époque  de 
sa  mort,  mais  elle  ne  peut  ctie  que 
postérieure  à  l'année  487.  L'Église 
romaine  l'a  placé  parmi  les  confes- 
.«^eurs  ,  et  son  nom  est  iu';crit  dans  le 


Vie 

Martyrologe  au  23  août.  Durant 
son  exil ,  Victor  composa  l'histoire 
de  l'Église  d'Afrique,  depuis  l'inva- 
sion des  Vandales  ,  sous  ce  titre  : 
Ilistoria  persecutiojiis  vandalicœ 
siveafricanœ  sub  Genserico  et  Hun- 
nerico  Fandalorum  regibus.  Pu- 
bliée pour  la  première  fois  à  Colo- 
gne ,  en  1537  ,  in  -  8°. ,  par  Beatus 
Rlienanus  ,  elle  l'a  été  depuis  par 
Reinh.  Lorichius  ,  Fr.  Baudouin  ,  le 
P.  Cliiiïïet,  etc.  L'édition  la  plus  es- 
timée et  la  plus  complète  est  celle 
que  l'on  doit  au  savant  D.  Ruinart  , 
Paris,  i()94,  iu-8t'.  ;  il  l'a  fait  suivre 
d'un  commentaire  très -intéressant. 
L'Histoue  de  Victor  est  bien  écrite  ; 
le  style  en  est  correct  ,  simple  et  at- 
tachant. On  y  trouve  les  exemples  et 
les  sentiments  de  la  plus  héroïque 
piété.  Elle  a  été  traduite  en  français 
par  Franc,  de  Belleforest,  en  i5(j3  ; 
et  par  Arnauid  d'Andilly ,  en  1664  j 
en  flamand  ,  Anvers  ,  1 568 ,  in-S».  , 
et  en  anglais,  i6o5.  On  attribue  à 
Victor  de  Vite  les  Actes  du  martyre 
de  Libérât  et  de  ses  compagnons  ,  à 
Carthagc.  Surius  les  a  publiés  dans 
les  P'itœ  sanctorum  au  17  août  ; 
et  D.  Ruinart  les  a  recueillis  dans 
son  édition  de  Victor ,  avec  une  Ho- 
mélie à  la  louange  de  saint  Cypricn, 
et  une  Notice  des  provinces  et  des 
villes  d'Afrique  ,  mise  au  jour  par  le 
P.Sirmond;  maissuivant  les  meilleurs 
critiques  ,  ces  deux  derniers  opus- 
cules ne  sont  pas  de  l'évêque  de 
Vite.  Outre  les  différentes  histoires 
des  écrivains  ecclésiastiques ,  on  peut 
consulter  pour  plus  de  détails  :  Dis 
sertation  sur  Fictor  de  Vite  ,  aUec 
uns  nouvelle  Vie  de  cet  évêque  fpar 
D.  Liron),  Paris,  1708,  in- 12  de 
ICI  p. — Victor,  évêque  de  Tu- 
nes ou  Tunones  en  Afrique,  vivait 
dans  le  sixième  siècle.  Le  zèle  qu'il 
montra    pour   la   défense  des   trois 


vie 

chapitres  (  Foj.  Facundus  ,  XIV  , 
82  ;,  et  Vigile  ,  pape  )  lui  fit 
éprouver  les  traitements  les  plus 
rigoureux.  Battu ,  mis  en  prison  , 
exilé  ,  renfermé  clans  diiïéreuts 
monastères  ,  rien  ne  pr.t  ébranler 
sa  constance.  On  conjecture  qu'il 
finit  ses  jours  dans  un  couvent  à 
Constantinoiile  ,  vers  56G.  Suivant 
Isidore  de  SéxiWeiDe  scriplorib.  ec- 
clesiast.y  ch.  ^5  ),  Victor  de  Tunes 
était  l'auteur  d'une  Chronique  uni- 
verselle. Ce  qui  nous  reste  de  ce 
grand  ouvrage  commence  à  l'année 
544  ,  où  finit  la  Chronique  de  saint 
Prosper  (  Voy.  ce  nom) ,  et  s'étend 
jusqu'en  565.  Victor  s'altaclie  prin- 
cipalement à  ce  qui  concerne  l'héré- 
sie d'Eutychès  et  l'alTaire  des  trois 
chapitres 5  mais  il  ne  laisse  pas  de 
rapporter  plusieurs  faits  importants 
pour  l'histoire  générale  de  l'Église. 
Canisius  a  publié  celte  Chronique 
dans  les  Antiquœ  lectiones  ;  Jos. 
Scaliger_,  dans  le  Thesaur.  tempo- 
rum  ,  à  la  suite  d'Eusébe  ;  et  Andr. 
Schott  ,  dans  VHispania  illustrata , 
IV,  117.  On  attribue  encore  à  Vic- 
tor deîunes  un  Traite  de  Pœniten- 
tid ,  inséré  par  les  Bénédictins  dans 
y  Appendice  au  tome  11  de  leur  édi- 
tion des  OEuvres  àç^sAinX  Ambroise. 
Fabricius  ,  dans  sa  Bihl.  msd.  et 
infini,  latinitat. ,  cite  ,  comme  de 
Victor  ,  un  opuscule  :  Pro  defen- 
sione  triuni  Capilulorum  liber  umis; 
mais  il  ne  dit  pas  s'il  est  imprimé  ; 
peut-être  n'est-ce  qu'un  extrait  de  sa 
Chronique  par  un  auteur  plus  récent. 
W— s. 

VICTOR-AMÉ  1".  F.  Savoie  , 
XL,  552. 

VICTOR-AMÉDÉE  II,  duc  de 
Savoie, ensuite  roi  de  Sicile, puisde 
Sa rdaigne, était  né, le  14  mai  i665, 
de  Charles-Emanuel  II  et  de  Jeanne- 
Marie  de  Nemours.  Tî  succéda  ,  le  12 


VIC  383 

juin  1672 ,  à  son  père.  Sa  mère  con- 
serva la  régence  pendant  cinq  ans;  et 
elle  sut  se  maintenir  libre  et  neutre  , 
malgré  les  intrigues  des  deux  cours 
de  France  et  d'Espagne.  Lorsque 
Victor  -  Amédée  fut  parvenu  à  l'âge 
de  quinze  ans ,  elle  voulut  le  marier 
à  l'infante  de  Portugal,  sa  nièce,  qui 
semblait  devoir  lui  apporter  cette 
couronne  en  héritage.  La  France 
secondait  de  tout  son  crédit  cette 
négociation ,  persuadée  qu'un  prince 
de  Savoie  ,  roi  de  Portugal  ,  ne  se- 
rait pas  moins  attaché  à  la  France 
qu'un  prince  français.  En  1680,  les 
Portugais  donnèrent  leur  consente- 
ment ;  mais  les  seigneurs  et  les  états 
de  Savoie  et  de  Piémont  réclamèrent 
à  haute  voix  contre  un  mariage  qui  de- 
vait leur  ôter  leur  souverain,  en  lui  fai- 
sant porter  une  couronne  royale.  A 
la  manière  dont  les  vice -rois  espa- 
gnols gouvernaient  IVaples  et  Milan, 
on  pouvait  prévoir  quel  serait  le  sort 
de  la  Savoie,  sous  un  vice-roi  portu- 
gais. La  duchesse  ne  tint  aucun  comp- 
te de  ces  remontrances;  mais  un  jour 
qu'elle  était  sortie  de  Turin ,  les  no- 
bles se  jetèrent  aux  pieds  de  son  fils, 
en  le  suppliant  de  se  tenir  en  garde 
contre  les  intrigues  de  sa  mère ,  et  de 
sedélier  deson  ambition,  qui  le  per- 
drait aussi  bien  qu'eux.  Victor-Amé- 
dée  parut  ému ,  et  promit  de  ne  point 
accomplir  ce  mariage  :  il  fit  plus,  il 
signa,  à  leur  demande,  un  ordre  d'ar- 
rêter sa  mère,  et  delà  condinre  dans 
une  forteresse;  mais  à  peine  la  du- 
chesse était-elle  de  retour  auprès  de 
lui,  qu'il  lui  avoua  sa  faiblesse,  et 
que  s'étant  fortifié  de  quelques  com- 
pagnies de  soldats  français,  en  gar- 
nison à  Pignerol ,  il  fit  arrêter  les  no- 
bles qui  lui  avaient  donné  ce  conseil 
(les  marquis  de  Pianezze  et  de  Para- 
la).  Cependant  comme  il  ne  leur  fit 
point  leur  procès  .  comme  il  feignit 


384  Vie 

d'èrre  raalacîe ,  pour  ne  point  aller  eu 
Portugal ,  et  qu'il  rompit  le  mariage 
contesté,  plutôt  que  de  mécontenter 
ses  peuples,  plusieurs  ont  cru  que  ces 
mouvements  mêmes  avaient  été  ar- 
rangés secrètement  par  la  régente  ^ 
pour  se  dégager  de  sa  parole,  sans 
ofl'enser  ni  la  France  ,  qui  voulait  ce 
mariage,  ni  l'Espagne,  qui  s'y  op- 
posait. Victor-Amédée  épousa  ensui- 
te, le  g  avril  i68/|.,  Aune,  iille  de 
Philippe,  duc  d'Orléans,  frère  de 
Louis  XIV.  Le  roi  de  France  avait 
désiré  ce  mariage  ,  pour  raffermir 
dans  son  p-trti  Victor-Amédée,  qui 
montrait  déjà  plus  d'inclination  pour 
la  maison  d'Autriclie.  Mais  depuis 
long-temps  les  liens  du  sang  n'cmpê- 
chaienl  point  les  princes  d'Kurope 
de  se  faire  la  guerre;  ils  les  obli- 
geaient seulement  à  se  témoigner  de 
vains  égards  au  milieu  de  leurs  hos- 
tilités. Victor  -  Amédée  voyait  avec 
impatience  les  Français  maîtres  du 
fort  Barraux,  qui  leur  ouvrait  la  Sa- 
voie; de  Piguerol,  qui  assurait  leur 
eutrée  en  Piémout  ;  de  Casai  ,  qui 
ieiir  donnait  la  domination  du  Mont- 
ferrat.  Il  avait  recommencé  la  guerre 
que  son  père  avait  faite  aux  Barbets 
ou  Vaudois ,  ses  sujets;  et  sous  ce 
prétexte  ,  il  avait  levé  des  troupes. 
En  même  temps  il  était  secrète- 
ment entré  en  négociation  avec  le 
duc  de  Bavière  et  Guillaume,  roi 
d'Angleterre.  Sa  correspondance  avec 
ces  eunerais  de  la  France  excita  les 
soupçons  de  Louis  XIV,  qui,  au 
printemps  de  1690  ,  fît  entrer  en  Pié- 
mont, avec  dix-huit  mille  hommes, 
Catinat,  alors  gouverneur  de  Casai, 
et  demanda  les  forteresses  de  Turin 
et  de  Verrue,  comme  gages  de  l'at- 
tachement du  duc.  Victor-Amédée, 
déterminé  à  rejeter  ces  conditions 
houleuses,  chercha  à  gagner  du  temps 
en  négociant ,  pour  que  le  gouverneur 


Vie 

du  Milanais  pîit  lui  amener  des  se- 
cours. En  même  temps  il  conclut  une 
ligue,  le  3  juin  1690  ,  avec  le  roi 
d'Espagne  ;  le  4  j"i'i  ?  ^"vec  l'empe- 
reur, et  le  20  octobre,  avec  l'Angle- 
terre et  la  Hollande  (i).  Un  secours 
de  troupes  et  un  subside  de  trente 
mille  écus  par  mois  étaient  les  condi- 
tions de  celte  quadruple  alliance.  Six 
mille  chevaux  et  huit  mille  fantas- 
sins lui  arrivèrent  du  Milanais.  Le 
prince  Eugène,  petit-fiîs  de  Thomas 
de  Savoie  -  Cariguan,  âgé  de  vingt- 
six  ans,  fut  chargé  de  commander 


(  i)  1/3  France  attentive  siirvcHIait  les  démarches 
du  jeune  prince.  On  sut  ù  Versailles  (|uc  dans  un 
voyage  de  plaisir  fait  ti  Venise,  pendant  le  carnav- 
val  de  i(i80,  Viclor-Ainedée  avait  eu  des  entre- 
vues avec  quelques  députés  de  la  ligue  d'Augs- 
boiirg  ;  il  n'en  lallut  pas  davantage  pour  rendre 
ses  dispnsilions  suspecles.  Louis  XIV  résolut  alors 
de  le  d<'sariuer  ,  pour  qu'il  ne  put  embrasser  d'au- 
tre parti  que  le  sien.  11  lui  demanda  quelques-uns 
de  ses  régiments  d'infanterie  pour  être  imployé» 
en  Flandre  contre  l'empereur.  Virtor-Amedce  , 
qui  n'était  point  en  mesure  de  lever  le  masque, 
dcsline  à  regret  trois  de  ses  régiments  d'infai'lrrie 
pour  la  Flandre,  bientôt  le  roi  de  Fraure  exige  de 
lui  d'autres  troupes  ]>our  servir  avec  les  siennes 
contre  les  Huguenots  des  Cévennes.  En  même 
temps  Catinat,  déboucliant  des  montagnes  du  Daur 
phiné,  vient  famper  à  Avillane  ,  et  somme  le  duc 
de  Savoie  d'envoyer  près  de  lui  un  ministre-d'c- 
lat  chargé  d'euteudrc  les  volontés  du  roi  de  Fran- 
ce. Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  jomdre 
sur-le-champ  la  totalité  des  troupes  de  Savoie  à 
l'armée  fVauraise,  et  de  lui  livrer  le  château  de 
Verrue  el  la  citadelle  de  Turin  pour  places  de  sû- 
reté. t,e  ministre  piémontais  oUrit  de  la  part  de 
son  maître  une  ligne  défensive  propre  a  garantir  .t 
la  France  les  forteresses  de  Piguerol  el  de  Casai, 
obicl  d'iuquiétudes  du  ri>i  de  France;  mais  (  ali- 
nat  fut  inflexible.  Le  ministre  envoyé  en  toute  bâte 
à  Pari.s,  pour  prévenir  uneruplure  ou  du  moins 
pour  la  retarder,  ne  put  obtenir  une  audience. 
Alors  le  duc  donna  ordre  au  coaite  de  brandis, 
son  plénipotentiaire  à  Milan  ,  d'ari-èler  avec  les 
confédérés  d'Augsbourg  une  alliance  qu'il  avait 
jusqu'alors  diltéré  de  eouclure.  Le  traité  fut  signe 
le  3  juin  i6i)i>.  11  mit  fiu  à  soixante  ans  d'une  paix 
non  interrompue  entre  les  maisons  de  .Savoie  et  de 
Fraure.  Victor  voulut  faii'e  connaître  lui  même  à  sa 
cour  la  résolution  qu'il  venait  de  prendre;  passant 
de  son  cabinet  dans  la  chambre  de  parade  où  la 
noblesse  s'était  jetée  en  fouie,  il  annonia  d'un  air 
fier  et  d'une  voix  élevée  ses  griefs  ccintre  la  Frin- 
ce  ,  et  combien  il  comptait  sur  le  7.èle  de  sa 
brave  noblesse,  el  sur  le  dévoueinenl  de  son  peu- 
ple. Les  tnéines  communications  furent  faites  au 
public  par  uu  manifeste.  L'exaltation  fut  géné- 
rale parmi  le  peuple,  au  point  qu'il  fallut  dé- 
sarmer dans  ce  premier  moment  tout  ce  qui  n'était 
ni  soldat  ni  milicieu  ,  alln  d'empêcher  que  cette 
guerre  n«  commençât  par  de»  vêpres  siciliennes. 

B—r. 


vie 

les  troupes  impériales ,  tandis  que 
Victor- Ame'de'e,  son  cousin,  était 
geue'ralissime  des  armées  alliées.  Le 
duc  n'avait  encore  jamais  vu  de  com- 
bat. Il  commandait  une  armée  as- 
sez nombreuse ,  mais  presque  toute 
composée  de  uomœlles  levées.  Avec 
elles  il  osa,  le  i8  août  1690,  atta- 
quer Catinat,  qui  se  lotirait.  Tombé 
dans  une  embuscade  au  milieu  de  ma- 
rais impraticables  ,  près  de  l'abbaye 
de  La  Stafiarde,  il  soutint  vaillam- 
ment le  combat  pendant  cinq  hem-es, 
avec  les  vieilles  bandes  allemandes  et 
espagnoles.  Ses  liabiîs  furent  percés 
d'i'.ne  balle;  et  il  eut  un  cheval  tué 
sous  lui  :  mais  toutes  ses  nouvelles 
recrues  prirent  'a  Fuite;  et  après  avoir 
perdu  cinq  mille  hommes,  huit  piè- 
ces de  canon  et  trente-six.  drapeaux, 
il  se  retira  vers  Garignan.  Catinat , 
profitant  de  sa  victoire,  s'empara  de 
iSaluces ,  Fossano  ,  Savigliano  et  de 
Suze,qui  capitula  le  i4  nov.  Victor- 
Amédéeavail  proposé, pour  dégager 
cette  place  importante,  de  marcher 
à  l'instant  même  contre  Pignerol  • 
mais  son  avis  ,1e seul  raisonnable, ne 
fut  point  suivi.  D'autres  troupes  fran- 
çaises envahirent  la  iSavoie,  à  la  ré- 
serve de  Montmeillau  ,  qui  demeura 
bloqué;  et  l'on  crut  voir  le  duc  tou- 
cher à  sa  ruine  dernière  :  mais  ce 
prince  courageux  rejeta  fièrement  les 
ouvertures  d  accommodement  qui  lui 
étaient  faites  par  l'entremise  du  pape. 
Il  rassembla  ses  soldats ,  demanda 
des  renforts  aux  Espagnols;  et  avec 
une  armée  de  vin<ït  mille  hommes,  il 
se  trouva  de  nouveau  en  état  d'arrê- 
ter les  progrès  de  Catinat.  Celui  -  ci 
soumit, en  i6gi ,  Nice,  Montalban, 
Villcfranche,  Savigliano, Carmagnole 
et  Rivoli  (2).  Le  prince  Eugène  lit  le- 


(5^  Vlcloi-Ame'dée  voyaol  du   haul  de  l:i  culline 
de  Turin  les  flammes  dévorer  le  château  de  Rivo- 

XLvni. 


VIC 


385 


ver  aux  Français  le  siège  de  Coni.  Il 
reprit  ensuite  Carmagnole,Savigliano 
et  Rivoli.  Catinat  abandonna  de  lui- 
même  Sahicrs  ,  Savigliano  et  Fossa- 
no ;  mais  Montmcillan  ,  bravement 
défendu  par  le  marquis  de  Bagnasco, 
fut  enfin  rendu  aux  Français  le  10 
décembre  1691.  Dans  la  campa- 
gne de  1692,  Victor-Amédée  voulut 
porter  la  guerre  en  France.  Il  péné- 
tra dans  leDauphiné  par  Guillestre, 
Embrun  et  Gap;  mais  les  Allemands, 
dont  son  armée  était  en  partie  com- 
posée, et  qui  avaient  compté  que  les 
Protestants  se  joindraient  à  eux,  sou- 
levèrent tous  les  esprits  par  leurs 
cruautés  ;,  en  brûlant  toutes  les  villes 
où  ils  purent  ])énétrer.  Déjà  leur  po- 
sition devenait  dangereuse,  lorsque 
Victor-Amédée  fut  atteint  de  la  peti- 
te-vérole. Il  se  fit  reporter  en  litière, 
d'abord  à  Coni  et  ensuite  à  Tu- 
fin.  Son  armée  se  retira  par  divers 
points  au  travers  des  Alpes.  Une  fiè- 
vre d'une  nature  dangereuse  vint  à  la 
suite  de  la  petite- vérole;  et  l'armée 
des  alliés,  dont  on  avait  attendu  de 
grandes  choses  ,  fut  retenue  dans  l'i- 
naction pendant  toute  la  campagne. 
La  maladie  du  duc  de  Savoie  sus- 
pendit encore  l'activité  de  ce  prince 
pendant  le  commencement  de  la  cam- 
pagne de  1G93;  mais  le  3o  juillet, 
il  entreprit  le  siège  de  Sainte-Brigide, 
qu'il  prit  le  i4  août;  il  bombarda 
ensuite  Pignerol.  Le  maréchal  de  Ca- 
tinat, qui  pendant  ce  temps  avait 
renforcé  son  armée ,  vint  l'attaquer 
à  Orbazzano,  le  4  octobre  ,  et  le  con- 
traignit à  la  retraite,  après  le  com- 
bat le  plus  meurtrier  (3).  Mais  la  dé- 


li ,  sa  demeure  favorite,  dit  à  ceux  qui  l'entou- 
raient etqui  déploraient  une  si  grande  perte  :  «  Eli  '. 
»  plût  à  Dieu  que  tous  mes  palais  fussent  ainsi  re- 
»  duits  en  cendres  ,  et  que  l'ennemi  épargnât  les 
>i  cabanes  de  mes  paysans  !  »  B — p. 

(3)  Catinat,  qui  avait  reçu  des  renforts  conside'- 
raljîes,  marcha  pour  comlialtre  les  alliés  retrau- 
chc's  près  du  village  de  Piossasque^    entre  Avilla- 


25 


386 


Vie 


faite  du  duc  ne  lui  fil  point  abandon- 
ner ses  alliés.  Il  rejeta  avec  ferniclé 
toutes  les  propositions  de  paix  que 
lui  fit  faii-e  la  France;  et  il  pourvut 
à  la  défense  de  ses  places.  Ce  fut  ainsi 
qu'il  empêcha  Catinat ,  pendant  toute 
lacampagnede  1694,  de  s'approcher 
de  Casai  et  do  Montferrat,  bloqués 
par  les  allies.  L'amiral  anglais  Rus- 
sel  ,  en  menaçant  d'im  débarquoucut 
tantôt  Nice  et  tantôt  la  Provence,  oc- 
cupa ce  maréchal  l'année  suivante  ; 
et  Victor-Amédée  se  présenta  devant 
Casai ,  au  milieu  de  juin  169.') ,  avec 
le  marquis  de  Legane/,,  gouverneur 
de  Milan,  le  prince  Eugène,  général 
de  l'empereur ,  et  lord  GalloAvay , 
général  anglais.  La  tranchée  fut  ou- 
verte le  26  juin  ;  et  dès  le  9  juillet , 
le  marquis  de  Crénau  ,  qui  comman- 
dail  à  (lasal,  fut  réduit  à  capituler, 
ou  peut-être ,  d'après  des  conventions 
'iccrètes  ,  rendit  à  \  ictor- Amédée  , 
pour  le  duc  de  IMantoue,  une  forte- 
resse que  le  Savoyard  n'aurait  pas 
vue  avec  plus  de  plaisir  entre  les 
mains  des  Espagnols  que  des  Fran- 
çais. Aussi  prétendit-on  qu'au  siège 
de  Casai  les  canons  n'étaient  point 
chargés,  et  que  l'attaque,  comme  la 
défense  ,  avait  été  concertée  d'a- 
vance (4).  Victor-  Amédée ;,  délivre 


ne  et  Vigii?iol.  I,n  eul  lieu  ,  le  /)  oclo)>rc  i(if)3  ,  lo 
célî'hre  bataille  dr  Qlni-higlia  eu  la  Marsaillu ,  une 
de  colles  qui  oui  le  plus  ciinriiliuo  .Ma  lépulaliou 
de  ('aliuul.  Quoique  les  allies  fussent  siipeVii'urs  on 
nombre  et  dans  une  bonnes  piisiliun  ,  leur  défaite 
fut  entière  :  ils  perdirent  dix  mille  bommes  TjO 
duc  de  Savoie  perdit  deux  de  ses  meilleurs  géné- 
raux, les  marquis  l'arolla  et  Pallavitiui,  el  lui- 
même  courut  les  plus  grands  dangers.  H — p. 
(4)  Voici  ,  d'après  les  documents  historiques  les 

S  lus  récents  et  les  plus  authentiques  ,  ce  qu'il  y  a 
c  réel  au  sujet  delà  reddition  de  Casai.  Ferdi- 
nand, duc  de  Maulouc,  prince  voluptueux,  avait 
vendu  Casai  à  la  France,  et  ilaurait  de  même  enga- 
ge' tous  ses  lilats  pour  satisfaire  ît  ses  plaisirs.  Les 
puissances  de  l'Italie,  et  surtout  le  duc  de  Savoie, 
avaient  élé.iustemeul  alarmi's  de  voir  celte  inq>or- 
tantc  forteresse  entio  les  mains  d'un  potentat  tel 
que  Louis  XIV.  Battu  ii  la  Marsaille,  Victor  n'é- 
tait plus  eu  mesure  d'exiger  la  cession  pure  et  sim- 
ple de  Casai ,  comme  il  aurait  pu  le  faire  deux  ans 


Vie 

de  l'inquiétude  que  lui  donnait  Casai, 
songeait  déjà  .sérieu .sèment  à  changer 
de   parti.    Le  pape    Innocent  XII 
l'exhortait  à  la  paix  par  des  brefs 
publics;  mais  on  pensait  que  plus  se- 
crètement il  secondait  les  négocia- 
tions de  la  France.  Au  mois  de  mars 
1696,  le  duc  lit  un  pèlerinage  à  No- 
tre-Dame de  Lorretlo  ;  et  comme  on 
ne  le  croyait  point  as.sez  dévot  pour 
n'avoir  que  la  religion  en  vue  dans 
ce  voyage,  on  supposa  qu'il  s'v  était 
rendu   pour  rencontrer  tut  négocia 
teur  français,  qu'on  assurait  s'y  trou- 
ver en  habit  religieux.  Ces  inirigiie.- 
demeurèrent  quelque  temps  secrètes; 
et  le  traité  ostensible  ne  fut  signé  que 
le  29  aoilt ,  par  le  comte  de  Tcssé  , 
]iour  la   France  ,  et  le  marquis  do 
Saint-Thomas,  premier  ministre  du 
duc,  pour  la  Savoie.  IMarie-Adélaïde, 
lille  aîncc  de  Victor  -  Amédée,  fu!_ 
promise  en  mariage  au  duc  de  Rour 
gogne,  fils  aîné  du  dauphin.  La  Sa 
voie  ,  Nice  et  Villcfranche  furent  res 
tituées  au  duc;  et  quatre  millions  de 
francs  lui  fiuent  payés  en  dédomma- 
gement de  ses  pertes.  Avant  de  pu- 
blier ce  traité,  C^atinat  offrit  aux  al- 
liés ,  au  nom  de  son  maître,  la  neu 
tralité  de  l'Italie.  Tous  ,  à  l'excep 
lion  du  duc  de  Savoie,  leur  généra  ■ 
lissime,  refusèrent  cette  proposition, 
Touscrièrcntàla  trahison,  en  voyant 
qu'il  insistait  pour  l'accepter;  mais 
leurs  clameurs   furent   encore    plus 


auparavant  ;  «nais  recherché  secrètement  par  la 
France,  qui  cm|>loyail  toute  .sorte  de  i;ioyens  pour 
diviser  ses  cimemis,  il  obtint  la  destruction  d< 
cette  place,  lin  conséquence,  31.  de  Crcnau,  com- 
mandant français  à  Casai,  eul  pour  in.strucliou 
secrète  de  cesser  do  s'y  défendre,  dès  qu'il  aurait 
pu  obtenir  des  alliés  l'entière  démolition  de  la 
place,  et  la  remise  du  sol  au  duc  de  Manloue.  Ou 
fut  bientôt  d'accord.  Les  assie^iés  ne  sortirent 
eu  vertu  de  la  capitulation,  qu'après  avoir  dénuili 
tous  les  ouvi-agcs  intérieurs.  Les-  assié^^eants  ne  se 
retinrent  cpi'après  avoir  abattu  et  rase  les  ouvra- 
ges du  dehors.  Ainsi-disparut ,  sajjji  qu'il  y  eût  été 
fait  une  seule  brèche ,  la  forteresse  de  (^asal ,  la 
plus  renommée  de  l'Italie.  B — P. 


vie 

fortes  et  plus  légitimes ,  lorsque ,  le 
it)  septembre ,  Victor-Amëdoc  réunit 
ses  troupes  à  celles  de  France,  dont 
il  forma,  par  cette  jonction,  une  ar- 
mée de  cinquante  mille  hommes, 
qu'il  alla  commander  avec  le  titre 
de  généralissime  du  roi  de  France. 
Tl  alla  d'abord  mettre  le  siège  de- 
vant Valencej  el  cette  entrcpiisc  dé- 
termina les  marquis  de  Manslield 
et  de  Lcganez  à  accepter  la  neutra- 
lité de  l'Italie  ,  au  nom  de  l'em- 
pereur et  du  roi  d'Espagne.  Cet- 
te neutralité  servit  de  préliminaires 
à  la  paix  de  Uysvvick, conclue  le  20 
septembre  1697.  Mais  cette  paix  ne 
pouvait  pas  être  de  longue  duiée. 
L'extinction  tle  la  maison  d'Espagne 
pai-aissait  déjà  procliaine;  et  dès  que 
sou  héritagesrraitdisj)uté entre  l'Au- 
triche et  la  France,  le  duc  de  Savoie 
ne  pouvait  éviter  d'être  entraîné  dans 
la  guerre.  En  ell'et  la  mort  de  Char- 
les II,  survemie  le  i^'.  novembre 
I  700,  ébranla  de  nouveau  toute  l'Eu- 
rope. Victor- Amédée  vit  aussi  dans 
cet  événement  une  occasion  d'auc- 
menlersa  puissance;  mais  il  se  trou- 
vait entouré  de  troupes  françaises  _, 
tandis  que  les  Autrichiens  étaient 
éloignés.  Il  embrassa doncle parti  du 
plus  fort ,  avec  une  apparence  de  con- 
tentement ,  et  donna  sa  seconde  lille , 
Marie- Louise,  au  roi  Philippe  V.  Il 
prit  le  titre  de  généralissime  des  ai- 
mées française  et  espagnole,  et  pro- 
mit huit  mille  fantassins  et  deux  mille 
cinq  cents  chevaux,  moyennant  un 
subside  de  cinquante  mille  écus  par 
mois.  Catinat  arriva,  en  avril  1701, 
avecl'armée  française  à  Turin;  et  Vil- 
leroi  vintl'y  joindre  aumilieu  del'été. 
Ce  dernier  attaqua  le  prince  Eugène 
à  Chiarî,  et  fut  battu  le  i*=i'.  sept. 
(  V.  ViLLEROi  ).  Victor  -  Amédée  fit 
preuve  de  courage  et  d'habileté  dans 
cette  bataille  ,  oîi  il  eut  un  cheval  tue' 


Vie 


Ba- 


sons lui ,  et  courut  de  grands  dan- 
gers, en  couvrant  la  retraite,  à  la  tê- 
te de  sa  cavalerie.  Ses  habits  furent 
percés  d'une  balle  (5).  Un  devin  lui 
avait  prédit  une  partie  de  ces  événe- 
ments; el  dès-lors  il  eut  une  grande 
foi  dans  l'astrologie.  On  ne  peut  dou- 
ter (pie  Victor-Ainédée  ne  se  fût  en- 
gagé malgré  lui  dans  la  ligue  avec  Li 
France  et  l'Espagne.  11  \'oyait  avec 
elfroi  la  maison  de  Bourbon  resserrer 
ses  États  entre  le  Dauphiné  et  le  Mi- 
lanais, et  quoiqu'il  eût  marié  ses  deux 
filles  au  duc  de  Bourgogne  et  à 
Philippe  V,  il  entra  eu  négociations 
avec  la  maison  d'Autriche  et  les  puis- 
sauces  maritimes.  La  cour  de  France 
fut  avertie  de  ses  menées;  et  le  duc 
de  Vendôme  reçut  ordre  de  faire  dé- 
sarmer les  troupes  du  duc  de  Savoie, 
qui  étaient  sous  ses  ordres ,  au  nom- 
bre de  quatre  mille  hommes  (6).  Le 


(5)  ?fos  liislorieijs  ,  luul  eu  faisant  eiilpiidi  e  qii'n 
celte  bataille  Victor-Amédee  dépinva  J'iiitrepidile 
qui  lui  était  ualurelle,  disent  qu'il  applaudit  eu 
.-ecret  au  Irionjphe  que  favorisait  sa  politique  pai- 
liculiore.  Ce  qui  est  hors  de  doute,  c'est  que  Vil- 
leroi .  liattu  pur  sa  projjrf-  laute  ,  inspirait  a  Louis 
XI V  des  soupçoiis  injurieux  contre  sou  allie,  l'ac 
Tablait  lui-même  de  dégoûts  ,  pensant ,  dit  Voltai- 
re, qu'un  favori  de  Louis  XI V  était  beaucoup 
plus  que  le  souverain  d'un  état  médiocre.  Telle 
(■lait  sa  présomption  insolente,  qu'en  parlant  de 
Viclor-Amédée,  il  afteclait  de  l'appeler  ^Monsieur 
de  Savoie.  B — P. 

(6)  Cette  opération  fut  exécutée  près  de  Man- 
toue,  le  9.8  septembre  1705  ,  sans  aucune  ré- 
sistance. Louis  XIV  avait  écrit  au  duc  de 
.Savoie  le  billet  suivant  :  «  Monsieur  ,  puisque 
i)  la  religion,  l'honneur  de  votre  propre  signature 
)i  ne  servent  de  rien  entre  nous,  j'envoie  mou 
»  cousin,  le  duc  de  Vendôme,  pour  vous  expli- 
»  quer  mes  volontés;  il  vous  donnera  vingt-quatre 
)>  heures  pour  vous  décider.  »  Le  duc  repondit 
dans  le  même  nombre  de  lignes  :  «  Sire,  les  mena- 
»  ces  ne  m'épouvantent  point  ;  je  prendrai  les  me- 
»  sures  qui  me  convieudrontle  mieux  relativement 
»  à  riudigne  procède  dont  on  a  usé  envers  mes 
»  troupes.  Je  n'ai  que  faire  de  mieux  m'expliquer 
)i  et  ne  veux  entendre  aucunes  propositions.  »  Il 
n'y  avait  réellenient  aucun  traité  de  signé  avec  la 
cour  de  Vienne,  lorsque  cette  violence  fut  exercée 
envers  les  troupes  du  duc  de  Savoie;  mais  on  ne 
peut  douter  qu'il  n'eùtentamé  des  négociations  avec 
les  ennemis  delà  France.  Lorsque  la  rupture  écla- 
ta lroi.s  mois  plus  tard  ,  Louis  XIV  publia  une  es- 
pèce de  manifeste  sous  le  titre  de  Lettre  du  roi  d' 
France  an  pape  Clément  X/,  où  l'on  en  trouve 
tous  les  détails.  Il  est  probable  que  ce  fut  par  or- 

25.. 


388  Vie 

duc  de  Savoie,  irrite'  de  cet  afiront  , 
lit  jjarder  à   vue  les  ambassadeurs 
de  France  et  d'Espagne,  arrêter  tous 
les  Français  qui  traversaient  ses  Etats, 
et  saisir   tous  les  magasins  qu'ils  y 
avaient  établis.    Les   ÎMe'moires  du 
temps  rapportent  qu'il  arrêta  ainsi , 
contre  le  droit  des   gens ,    plus  de 
Français  que  Vendôme  ne  lui  avait 
desarme'  de  soldats.  Le  8  novembre, 
il  conclut  une  alliance  avec  l'empereur 
Léopold ,  la  Hollande  et  l' Angleterre  j 
on  lui    promit  le   INIontferrat   avec 
Alexandrie  ,  Valence  ,  la  Valsesia  et 
la  Lomelline,  ainsi  qu'un  subside  de 
quatre-vingt  mille  ducats  par  mois, 
pendant  la  duie'e  de  la  guerre.  Le 
comte  Gui  de  Staliremberg  réussit , 
par  une  marche  liardieet  inattendue, 
à  lui  amener  l'armce  impériale ,  le  1 3 
janvier  1704  ,  et  à  lui  donner  tme 
cavalerie  dont  il  était  dépourvu.  Le 
duc  de  Vendôme  ,  qui  recevait  des 
renforts  plus  considérables   encore , 
put  entreprendre  et  terminer  plusieurs 
sièges,  sans  que  Victor-Ame'dce  se 
sentît  assez  fort  pour  l'interrompre. 
Ce  prince  laissa  prendre  successive- 
ment Verceil  ,  Suse,   la  Bninctte  , 
Yvre'e,    Aosle  et   le  fort   de  Baid. 
Au  milieu  d'octobre^  Vendôme  com- 
mença  le   siège   de  Verrue  .   forte- 
resse sur  le  Pô,  qu'on  croyait  impre- 
nable.   Long -temps  le  duc  de  Sa- 
voie se  maintint  à  Crescentino,  de 
l'autre   côte    du   fleuve  ,    pour  ra- 
fraîchir la  garnison  ;  il  en  fut  enJin 
chasse  par  Vendôme  ,  le  i*^''.  mars 
fjOÎ)  ,  et  le  10  du  même  mois  Ver- 
rue fut  obligée  de  se  rendre.  En  Sa- 
voie, Montmeillan  bloque  depuis ])l us 
d'un  an  se  rendit  enfin,  et  cette  for- 
teresse fut  démantelée.  Le  château  de 
Nice  étail  assiégé  par  le  maréchal  de 

dre  du  même  prince  que  l'uii  |)nl>lia  en  IVani  e,  ù 
la  Dicme  éprtfne,  un  vulumeiulilult::  Inlii^ms  se- 
crit.s  du  duc  de  Xavdie.  B — P. 


VIG 

Berwick;  après  cinquante-cinq  jours 
de  tranchée  ouverte ,  le  marquis  de 
Garraglio,  qui  y  commandait  ,  capi- 
tula (4  janvier  170G),  et  ce  cliâteau 
fut  rase.  Le  duc  de  La  Feuillade  fai- 
sait d'immenses  préparatifs  pour  le 
siège  de  Turin.  Victor-Amédc'e  ,  qui 
voyait  tomber  successivement  toutes 
ses  forteresses,  et  qui    ne   pouvait 
douter  que  Louis  XIV  n'eût  dessein 
de  le  ruiner  pour  jamais ,    envoya 
toute  sa  famille  à  Gênes,  et  lui-mê- 
me, après  avoir  pourvu  Turin   de 
tout  ce  qui  était  nécessaire  à   cette 
capitale  j)Our  soutenir  un  long  siège, 
alla  s'établir  à  Coni ,  afin  d'être  en 
état  de  pourvoir  à  sa  délivrance.  Le 
comte  Dauu  et  le  marquis  de  Carra- 
glio  étaient  chargés  de  la  défense  de 
Turin  ;   deux  cents    bouches  à   feu 
portaient   la    désolation  dans   cette 
ville.  La   Feuillade  cependant ,   au 
lieu  de  presser  le  siège,  poursuivait 
le  duc  de  Savoie  ,  qui ,   s'échappant 
de  retraite  en  retraite  ,  alla  enfin  se 
confier  à  la  fidélité   de  ces  mêmes 
Barbets  ,  ou  protestants  de  la  vallée 
de  Luzerne,  que  lui-même  et  ses  an- 
cêtres avaient  si  cruellement  persé- 
cutés. Cependant   le  prince  Eugène 
était  descendu  en  Italie  avec  l'ai-méc 
impériale  pour  secourir  Turin;  mais 
arrêté  par  Vendôme  à  Monlecbiaro, 
il  ne  pouvait  aj^procher.  Louis  XIV 
ayant  chargé  Vendôme  de  comman- 
der l'armée  de  Flandre  ,  le  remplaça 
en  Italie  par  le  duc  d'Orléans  ,  La 
Feuillade  et  Marchin.  Le  prince  Eu- 
gène profita  de  l'hésitation  que  cau- 
sait ce  déplacement  ;  il  passa  l'Adige 
à  la  Pettorana  ,  le  6  juillet,  et  le  Pô 
à  Polesulla ,  le  1 7  du  même  mois. 
Eemontant  ensuite  sur  la  droite  de 
ce  fleuve,  tandis  que  les  Français  en 
suivaient  la  gauche  ,  il  rencontra  ,  sur 
la  fin  d'août,  le  duc  de  Savoiequi  con- 
duisait tout  ce  qui  lui  restait  de  trou. 


YIC 

pcs  réglées.  S'étant  réunis,  ils  surpri- 
rent dans  la  vallée  de  Suse  un  convoi 
français  qui  leur  fournit  les  vivres  et 
les  muuilions  dont  ils  commençaient 
à  manquer  ;  et  le  7  septembre,  ils 
attaquèrent  les  Français  dans  leurs 
retranchements.  L'obstination  du  ma- 
réchal dcMarchin  ,  qui  voulutattcn- 
drc  l'attaque  dans  les  lignes ,  fut 
cause  de  la  ruine  de  l'armée  fran- 
çaise (  T.  Orléans,  XXXII,  108). 
l.e  nombre  des  morts  ,  des  prison- 
niers ,  des  canons  ,  des  étendards  ,  la 
richesse  du  butin  de  tout  genre  ,  ren- 
dirent cette  victoire  aussi  utile  que 
glorieuse  (7).  Victor-Araédée  recou- 


(^)  On  regardai!  eu  France  l.i  chute  de  celte  ca  - 
]MUile  comme    le    deutiueinent  force    de  la   guerre, 
i.ouis  XIV  desirait  ,    avec  une   espèce  de  passion  , 
do  voir  détruit  ce  dernier  asile    d'un  prince  assez 
iiudacieux  ,  dans  le  sein  inenie  de  riufortuue,  pour 
liravcr  sa  puissance. Tout  fut  prodigue'  pour  accé- 
Itrer  les    travaux  du  siège  :  jamais ,  dit  le  marquis 
do  l'euquières  ,o»  n'avait  fait  d'aussi  grands  pré- 
)niralifs.    Victor-Amïdce  ,    de   son    côte  ,    n'avait 
épargne  aucune  précaution  pour  la  défense   de   sa 
•  apitale.  Il  y  travailla  nuit   et   jour   pendant  plu- 
sieurs mois.    Dès  le    commencement    du  siège  ,    il 
offrit  dans  son  palais  un  asile  à  tous  ceux  dont  les 
maisons  étaient  exposées  au  feu  de  ï'eunemi  ;  il  ne 
cessa  de  se  montrer  partout  où  il  y  avait   quelque 
danger.  Sa  conteuauce  hardie  et  son    visage  serein 
donnaient  de  l'assurance  ■ïux  moins  intrépides.  Les 
\nlonlaires     aflluaient  dans   la    milice   bourgeoise. 
Les  ligues  n'emhrassant   point  en    entier  la  colline 
ni    le  pont    du    Pô,  le  duc,  à    la    tète  d'un    petit 
corps  d'élite,    sortait  lui-nièinc  chaque    jour  dans 
].i    camjiagiie   pour    inquiéter   les     nssiègeanls.    Il 
f..t  au    comhle  de   ses    vceux  quand    il  vit   le    ma- 
ri chai   de  La  Fcuillade  ahandonner  le   siège    pour 
so  mettre    à    sa    poursuite  ,    dans    l'espoir    de    se 
saisir  de  sa  personne.  Siir    de   lui  ècha|)per  par  la 
célérité  de  ses  mouvements  ,  il  l'enlraina  de  Mont- 
carlier  à  Carignan,  dcf.ari^nan  à  Carmagnole,  puis 
dans  les  montagnes  de  Mondovi ,  dans  celles  de  t"o- 
ni  et  de  Saluccs,  où  les  Français  perdirent  l'espoir 
de    l'atteindre.  Dans  ces  excursions  ,  Victor-Aïuè- 
dèe  parvint  à  Jeter  des  secours  dans  les  places  de 
Ca'ui ,  de  Ceva  et  deCherasco,  qui  tenaient  encore 
et  ({u'il  empêcha  de  succomber.  Près  de  Cavours  , 
il  se  vit  enveloppé  par  un  coi'ps  considérable  sous 
les  ordres    du  marquis  d'Aubeterre  ,    cl  auquel  il 
cul  de  la  peine  à    échapper.    Le   maréchal   de    La 
Feuilladc  ,  après    trois  semaines   de  courses  inuti- 
les,  rentra   dans    ses   ligues,    et   le   duc,  le  même 
jour,  rentra  daus  Turin ,    d'où  il    ne    tarda    pas    à 
sortir     pour   harceler    encore  son    adversaire.     11 
alla  de  nouveau  se  poster   à    Bibiana.,    au    débou- 
ché   de    Ja   vallée    de    Luzerne  ,    où    le    duc    de 
La  Feuillade  courut    après  lui  ;   mais  le   prince  se 
jela    dans  les    montagnes  ,  dont   il    connaissait  les 
moindres    détours.    <'/cst    ainsi    f]u'il    ralentit    les 
progrîs  du  siège  de  Turin.   Mais  les  vivres  s'épui- 
ïuiout  dans  nue  ville  aussi  por.uleu'e;  la    désertion 


Vie  389 

vra  en  peu  de  temps  la  plus  grande 
partie  de  ses  États  et  de  ses  forte- 
resses. Chivas,  Yvrée  ,  Trino,  Ver- 
rue, Crescentino,  Asti  et  Verceil  ou- 
vrirent leurs  portes  ;  Alexandrie  se 
rendit  le  -m  octobre,  et  Casai  le  i6 
novembre;  tandis  que  le  prince  Eu- 
gène soumettait  le  Milanais  à  l'archi- 
duc, qui  prenait  le  nom  de  Charles 
III  d'Espagne.  Valence  ,  la  Lomel- 
lineet  la  Valsesia  furent  ensuite  aban- 
données au  duc  de  Savoie ,  en  exécu- 
tion des  traités  ;  et  Louis  XIV,  pen- 
dant l'espérancede  recouvrer  l'Italie , 
en  retira  ses  troupes  par  une  capitu- 
lation signée  à  Milan,  le  i3  mars 
1707.  Le  duc  de  Savoie  et  le  prince 
Eugène,  voulant  à  leur  tour  porter 
la  guerre  dans  le  pays  ennemi ,  desi- 
raient pénétrer  en  France  par  le  Dau- 
phiné.  Les  xiuglais  les  obligi-rent  à 
diriger  leur  attaque  sur  Toulon.  Vic- 


y    faisait   des   progrès    parmi    les    troupes    suisses 
et  allemandes  ;    eniin ,    des   maladies    inquiétantes 
commençaient  à  s'y   manifester.  Juillet    venait  de 
linir,  et  le  duc   ne  pouvait  plus  attendre  son  salut 
que  d'un    prompt  secours.  Il  savait  que  le  prince 
tngène  cherchait  par   tous    les    moyens  à  se  (aire 
jour  pour  le  délivrer.  Mais  quarante  mille  Français 
iusc[u'alors    victorieux   lui   l'ermaient    le     chemin. 
Entin,  par  une  manœuvre  subtile  autant  que  rapi- 
de,   ce  générai    de  l'empereur  traverse  l'Adige  et 
le  Po  ,  puis  fiiant  entre  ce  di^rnier  fleuve  et  le  pied 
de    l'Apennin,     il    arrive  au    Tanaro  le    28  août  , 
et  le  traverse    sur  des  ponts  cjue  le  duc  de  Savoie 
venait  de   faire   construire.  Victor-Aniédée  s'était 
avancé*  lui-même  .\  sa  rencontre  ,  pour  lui   peindre 
le  véritable  élat  des  choses  ,  et  se  concerter  sur  ce 
qui    restait    à  faire.    Il  était    temps  d'arriver;    de 
larges  trèches   avaient  donne  lieu   h    des   attaques 
furieuses,  et  Turin  était  aux  abois.  Tons  les  veux 
V  èlaieut  tourn»-s  sur  la  colline  de  Superga  ,  où  de- 
vaient paraître  U's  signaux  de  secours.  Ou  les  aper- 
çut   enfin   le  4    sept.    Parvenus  sur  ces   hauteurs, 
les  deux  princes  ,  embrassant  d'un    conp-d'œil    la 
position  de  leurs  ennemis,  arrêtèrent  aussitôt  leur 
plan.  Il  fut  convenu  que  l'armée,  forte  de  quarante 
mille    contiiallants ,  passerait   le  leudemaiu    le    Pô 
sur  deux  ponts,  et  qu'elle   irait  tourner  les  lignes 
et  livrer  bataille  (  A- nr.  EUGÈNE,   XIII ,  486  ,   et 
Orléans,  XXXII,  108  "1.    Le  jour  même   de  leur 
victoire,  le  duc  de  Savoie  et  le  prince  Eugène  en- 
trèrent dans  Turin,  au  son    de^  cloches,  au    bruit 
du  canon  et  aux  acclamations  d'un  peuple  ivre    de 
joie.  Us  allèrent  descendre  à  l'église  métropolitai- 
ne de  Saint-Jean ,  où   l'archevêque  entonna  le    Te 
Deum.  Victor-Amédée,  reconnaissant  la  protection 
du  ciel  ,  fonda    des   solennités    annuelles    jiour    le 
jour  (le  la  N.ilivitédc  la  Vierge,  où  ce  grand  triom- 
phe avait  clé  obtenu.  B — P. 


Sqo 


Vie 


tor-Amcdée  parut  devant  cette  place , 
le  a6  juillet  1707;  mais  le  marëclial 
de  Tesse'  avait  si  bien  pourvu  à  sa 
de'fense  ,  que  les  allies  ,  après  avoir 
perdu  beaucoup  de  monde,  furent 
force's  de  se  retirer.  Avant  la  fin  de 
la  campagne  ,  ils  prirent  encore  la 
ville  et  le  château  de  Suse.  L'empe- 
reur avait  promis  de  joindre  Vigc- 
vano  et  son  territoire  .nix  Etats  de 
Savoie  ;  mais  depuis  qu'il  se  voyait 
niaîtrc  du  Milanais  ,  il  ne  voulait 
])lus  en  abandonner  aucune  portion. 
D'autre  part,  Victor-Anicdée  décla- 
ra ,au  commencement  de  17  08,  qu'il 
n'entrerait  point  en  campagne  avant 
d'être  satisfait.  Cependant  les  An- 
glais et  les  Hollandais  le  dc'terminè- 
lent  enfin  à  se  mettre  à  la  tète  de 
son  arrae'e, au  milieu  de  juillet;  il  fit 
d'abord  une  tentative  sur  la  fron- 
tière de  France  (8)  ;  puis  il  se  diri- 
gea sur  les  forteresses  de  la  Perouse  , 
Exiles  et  Fe'uestrclles ,  qu'il  enleva 
foutes  trois  aux  Français,  après  un 
sie'ge  assez  court.  Pendant  l'année 
1709  ,  de  plus  en  plus  mécontent  de 
la  cour  de  Vienne  ,  il  ne  fit  aucune 
entreprise  importante  ;  le  comte 
Daun  s'avança  bien  en  Savoie  ,  jus- 
qu'à Annecy;  mais  il  repassa  les 
mouls  à  l'approclie  de  l'hiver.  Ce 
même  gênerai  voulut,  en  17  10,  pé- 
nétrer dans  le  Dauphine  par  la  vallée 
de  Barcelonctte,  et  il  fut  arrêté  jiar 
le  maréchal  de  Rerwirk.  La  campa- 
gne de  171 1  se  termina  d'une  ma- 
nière tout  aussi  peu  concluante  ;  la 
Savoie  fut  envahie  pendant  l'été,  par 

(8)  Virtor-Ami'dcc,  ayant  à  sa  (Imposition  nn 
(orps  de  Iroupcs  .iii(rip|)icnnp-i  ji)inl  à  srsPiéuion- 
l^iis,  néutilra  danii  le  Haut-Daii|jhini',  et  faillit  sur- 
l'rcndrc  Itriatirnn  ;  mais  le  niarcclial  d<>  Villars , 
•(•il  lui  i-(jiit  i)|>|iiisi  ,  l<- <urra  êe  rcniror  en  Pic- 
mont.  Il  r<>ndil  nii'-nii!  sa  rciraitc  du  Dnupliinc 
aussi  liasardcusc  <|uc  l'nvail  élr  ccllo  ili-  I'r<ivi-ncc 
Tannée  <l'nn|iaravaiil ,  ce  qui  lit  dire  ^  Vitlor-Aïuc- 
occ,  i/u'il  iiail  aisé  il'enlrrr  m  Fmnrf ,  mais  fu'il 
•'lail  tligfiiilr  :!',■,)  sorln  R p. 


VÎC 

les  Autrichiens  ,  et  évacuée  à  l'ap- 
proche de  l'automne.  Victor-Amé- 
dée  ne  faisait  plus  d'efforts  pour 
seconder  ses  alliés.  La  reine  d'An- 
gleterre (  Anne  )  voulut  profiler  , 
en  17 12,  de  son  mécontentement 
pour  l'entraîner  dans  une  paix 
séparée ,  et  elle  lui  offrit  le  royau- 
me de  Sicile.  Victor-Amédée  ,  qui 
ambitionnait  par-dessus  tout  le  ti- 
tre de  roi,  voulant  devoir  cette  cou- 
ronne au  consentement  de  toutes  les 
])uissanccs,  envoya  ses  ambassadeurs 
au  congrès  d'Utrcch  t.  Le  traité  qui  fut 
signé  dans  cette  ville,  le  11  janvier 
1710  ,  lui  assura  la  restitution  de  la 
Savoie ,  des  vallées  de  Pragèles  , 
d'Exilés  et  Fénestrelles ,  du  château 
Dauphin  et  du  comté  de  Nice;  enfin 
Philippe  V  lui  céda  l'île  et  le  royau- 
me de  Sicile ,  et  il  le  reconnut  pour 
son  successeur  ,  s'il  ne  laissait  pas 
de  descendants  légitimes.  Ces  conven- 
tions furent  confirmées  parles  traités 
de  Madrid ,  du  i  o  j  uin  ,  et  d'Utrecht, 
du  i3  août  171 3  (9).  Le  -z-i  seplem- 


(<))  I/An(;lflcrrc  niPttàit  alors  l'élévation  de  ce 
prince  au  rîinjî  de  ses  combinaisons  politiques  ; 
elle  consenlail  m^mejk  lui  abandonner  l'Espagne 
et  les  Indes  ,  si  l'bilippe  V  préférait  conserver  se» 
droits  à  la  ronronne  de  France  ,  pourvu  toutefois 
qnc  le  duc  se  désist'il  des  anciens  étals  de  sa  l'a- 
niille.  Louis  XIV,  alors  mnllraité  parla  forlune, 
voyant  la  inonarcbîc  espagnole  prt'S  d'ccbajipcr  h 
son  pelit-lila,  n'était  pas  éloigne  de  consentir  ù  ce 
dernier  projet.  Sur  .■•a  réponse,  la  reine  Anne  man- 
da auprès  dVilc  le  comte  IHafl'ei,  l'un  des  minis- 
Ir.s  (lu  duc  de  Savoie  au  congrès  d'Utrecht ,  et 
lui  proniil  de  faire  édioir  :i  son  ina'rlre  la  moitié 
de  l'birilage  de  Cbarles-Quinl.  Elle  lit  plus,  elle 
signa  d'avance  avec  lui  un  traite  de  coiuincrcc  en- 
tre l'Aiiglelerre  et  l'Espagne.  Ce  traité  devait  être 
rendu  piililit  d!'S  (pic  Viclor-Amédée  aurait  débar- 
(|Ué  dans  son  nouveau  royaume,  on  devait  le  trans- 
)>orli-r  une  Oolle  anglaise.  7\Tais  bientôt  tout  cban- 
j:;ea  de  face.  La  victoire  abandomia  les  drapeaux 
des  ennemis  de  la  France;  la  divi9i(>n  se  mil  par- 
mi eux.  Alors  le  niiuittrc  piémontais  voyant  qu'il 
fallait  renoncer  à  l'espoir  brillant  dont  on  avait 
flatte  son  maître  ,  se  réduisit  Si  demander  pour  lui 
I3  Sicile ,  dont  il  semblait  que  la  reine  d'Angleterre 
pouT.iit  encore  di.-^poser.  Anne  saisit  avec  ardeur 
Celle  iilée,  et  s'engagea  par  écrit  à  iirocurer  an 
dur  de  Savoie  le  di'domaiageinent  ipi  il  indi(|nail. 
Loiii.s  XIV  eût  mieux  abué  voir  Viclor-Amédér 
roi  de  l.oinbardie  aux  dqiens  de  l'Aiilricbe.  Eiiiin 
•111  priiilenip>  d<    i-it    l'ut    conclue    la    paix    d'IJ 


vie 

brc  (le  la  mcmc  .iiuic'c.  Victui-Aïuc- 
ilcc  [Hil  solciiiiclleineiit  à   Turin   le 
nlro  de  loi  de  Sicde  ,  et  dunna  celui 
de  duc  de  Savoie  à   ^oii   lils  aînc  , 
Victor- Ame'dee  ,  déjà  [iriuce  de  Pie- 
iiiuiit.  I/amiral  anglais  Jeniiings  le 
conduisit  à  Paicnue  .  où  il  débarqua 
le  lo  octobre,  et  où  ii  fut  couroiuié 
avec  la  nouvelle  reine  ,  le  '.'/i  décem- 
bre ,  j)ar  rarclievi(|ue  de  Palcrme. 
Cette  acquisition  était  plus  glorieuse 
pour  la  malsou  de  Savoie  qu'avan- 
tageuse à  ses  sujets  ;  le  transport  de 
la  cour  dans  une  île  lointaine  avait 
cause  une  dépense  Irès-considcrablc 
quiaggrava  le  fardeatides  impositions 
sur  le  Piémont,  au  moment  oîi  la  paix 
devait  taire  espérer  quelque  adou- 
cissement. Ensuite  Victor  -  Ame'dc'e 
voulutmaintenir  la  [)rcrogative  roya- 
le et  les  anciennes   constitutions  qui 
rendaient  cette  île   presque  indépen- 
dante de  la  cour  de  Rome  ;  d'autre 
part,  le  cierge  et  les  ordres  religieux 
soutenaient  les  prétentions  du  paj)e. 
Victor-Amcdce  exila  tous  ceux  qui 
ne   voulincnt  pas   se  soumettre  au 
tribunal  ccclësiaslicpie,  qu'on  nom- 
mait de  la  Monarchie,  établi  des  le 
temps  du   roi   Roger.    Clément   XI 
abolit  ce  tribimal  ,  fulmina  des  cen- 
tres contre  les  agents  dii    pouvoir 
souverain  ,  et  mil  sous  l'interdit  plu- 
sieurs églises  de  Sicile.  Plus  de  qua- 
tre cents  ecclésiastiques  se  réfugièrent 
a  Rome  ;  les  cours  de  Versailles  et 
de  Madrid  ,  qui  soutenaient  Victor- 


liL-elil  ,  prolude  du  tiHiU-  de  KasUdt  ,  qui  mit  tin 
raiiiii'c  suivante  aux  longs  et  sanglants  débats  éle- 
vés puur  la  succession  d'Espagne.  Le  duc  de  Sa- 
voie y  gagna  l'île  de  Sicile,  à  laquelle  était  altacbe 
le  titie  de  roi ,  objet  de  son  ambition  ;  et  il  l'ut  re- 
mis eu  possession  de  tout  ce  que  la  France  lui 
avait  enlevé  depuis  dix  ans.  Toutes  ces  concessions 
étaient  dune  grande  importance  pour  sa  maison. 
Son  territoire  iul  considérablement  agrandi  du  cô- 
té du  Oauphiué  et  du  côté  de  la  Lombardie  ;  et  ce 
Moiitferrat,  cause  d<:  tant  d'-'  guerres,  lui  fut  re- 
mis tout  entier.  Uulin ,  son  droit  éventuel  h  la 
Lourouuc  d'Espagne  lut  sokuuellemeut   reconnu. 

lî— p. 


Vie  391 

Amc'dée  ,  ne  purent  faire  Uéchir  le 
pontife  obstiné.  Pendant  que  le  nou- 
veau roi  luttait  contre  ces  diflicultc's, 
il  eut  le  mallieur  ,  le  •).'>.  juin  i^iS, 
de  perdre  ,  par  la  petite-vérole,  son 
lils  aîné  ,  nommé  ,  comme  lui,  Vic- 
tor-.\médée  •  et   comme  les  devins 
l'avaient   assuré  qu'il  guérirait  ,   il 
tourna  toute  sa  colère  contre  les  mé- 
decins ,  qui  avaient  laissé  perdre  une 
vie  que  les  astres  voulaient  conser- 
ver. Son  second  lils  ,  Cliarles-Éma- 
nuel ,  prit  alors  le  litre  de  prince  de 
Piémont.  Cependant  le  cardinal  Al- 
beroni,  ayant  rendu  à  l'Espagne  mie 
vigueur  inattendue  ,   s'efi'orçait   de 
recouvrer    })ar   les    armes  ou    par 
des  trahisons   les   parties   de  l'an- 
cienne   monarcliie    espagnole     que 
le    traite  d'Utrecht   avait    ôte'es   à 
Philippe  V.'  Au  mois  d'août  1717, 
sa    flotte    conquit  la  Sardaigne    sur 
les  impériaux.  Dans  l'hiver  qui  sui- 
vit ,   il  négocia   avec    Victor- Amé- 
dée  pour  attaquer  de  concert  le  Mila- 
nais. Mais  cette  négociation   n'avait 
d'autre  but  que  d'endormir  ce  mo- 
narque dans  une  faus.se  confiance.  Le 
3o  juin  1718,1a  Hotte  espagnole  pa- 
rut devant  Palermc  ;  cette  ville  fut 
obligée  de  se  rendre  immédiatement , 
le  château  ne  tint  pas  long-temps; 
Catine  et  Messine  furent  prises  en- 
suite. Victor- Amc'dée  ,  hors   d'état 
de  défendre  le  royaume  qui  lui  avait 
été  donné ,  reconrut  à  l'empereur  et 
aux  puissances  maritimes.  Le  pre- 
mier nevouhit  point  combattre  pour 
l'avantage  d'autiui  ;  il  demanda  que 
la  Sicile  lui   fût   rendue   pour  être 
réunie  au  royaume  de  Naples  ,  et  il 
offrit  seulement,  en  échange,  à  Vic- 
tor-Amédée ,  ses  prétentions  sur  la 
Sardaigne.  Ce  monarque  fut  obligé 
d'accepter   cet  échange  désavanta- 
geux, et  il  entra  dans  la  quadruple 
alliance  contre  l'Espagne  ,avec  l'eiu- 


392 


vie 


pereiir,  la  France  et  l'AngleteiTC. 
Cependant  il  eut  peu  de  part  aux 
événements  militaires j  la  Sicile,  que 
ses  ge'ne'raux  avaient  perdue,  fui  re- 
couvrée par  ceux  de  l'empereur,  et 
la  disgrâce  d'Alberoni  ayant  disposé 
Philippe  V  à  la  paix  ,  il  accepta  le 
traité  de  Londres  ou  la  quadruple 
alliance  ,  par  une  déclaration  faite  à 
la  Haye  le  i-j  février  \']io.  A.u  mois 
d'août,  l'île  de  Sardaigne  fut  consi- 
gnée au  roi  Victor- Amcdée  par  le 
j)rince  d'Ottaiano  ,  qui  l'avait  reçue 
des  Espagnols  au  nom  de  l'empe- 
reur. En  ï'jii ,  Victor-Amédée  ma- 
ria son  fds  unique  à  la  ])rinc('sse  Pa- 
latine Anne-Christine  de  Sullzbachj 
et  cette  princesse  étant  morte  le  12 
mars  suivant,  il  le  rcmaria^en  1724, 
à  Polixènc-Christine  de  Hesse-Rliein- 
sfcld.  Le  25  mars  de  la  même  an- 
née ,  il  perdit  sa  mère  qui  était  par- 
venue à  r<àge  de  quatre-vingts  ans. 
Les  différends  entre  ce  prince  et  la 
cour  de  Rome,  qu'avait  fait  naître 
la  juridiction  pontilicale  en  Sicile, 
ne  furent  accommodés  qu'en  1727 
par  le  marquis  d'Orraea,  le  plus  ha- 
bile ministre  du  roi  de  Sardaigne. 
Du  reste,  ce  monarque  évitait  de 
prendre  ])art  aux  négociations  qui 
jiouvaicnt  amener  une  nouvelle  guer- 
re. St  renfermant  dans  les  soins  de 
l'administration  ,  il  avait  donné  à  ses 
Elats  un  corps  de  lois  nouvelles  ;  il 
avait  fondé  une  université  à  Turin  , 
et  réforïnc  en  même  temps  toutes  les 
écoles  inférieures  5  il  avait  mis  ses 
finances  dans  un  ordre'admirable, 
])rotégé  le  comrh'éixe  et  fiit  fleurir 
les  arts,  embëfli^^a  capitale  ,  et  ren- 
du inexpugnabtb ,  par  d'immenses 
travaux,  la  forteresse  de  la  Bru- 
nette  (ip),  loi squ'cnfm,  parvenu  à 

(<o^On  ])edt  dire  que  clanj  l'erl  du  gouverne- 
mont  irilq'rieur  ce^^-iufcc  u'.a  paf  *t^  fi|rp^té.  Il 
iivall  Iirriic  (Je   sejit  mill'ioiis  (le  iivenus,   fnul  de 


Vie 

l'âge  de  soixante-quatre  ans,  il  exé- 
cuta ,  le  3  septembre  1730  ,  un  pro- 
jet que  l'on  a  cru  formé  des  long- 
temps. Il  abdiqua  ,  en  faveur  de  son 
lils  Charles-Émanuel  ,  la  couronne 
qu'il  avait  portée  avec  tant  de  gloire. 
On  a  prétendu  que  cette  abdication 
fut  la  suite  des  embarras  où  l'avait 
jeté  sa  politique  flottante  entre  la 
France  et  l'Autriche,  et  que  s'étant 
trop  pressé  de  conclure  des  traités, 
qu'il  étaitde  sonintérctdenepas  exé- 
cuter, il  se  trouva  pris  dans  ses  pro- 
pres pièges ,  et  ne  put  sortir  de  l'em- 
barras où  il  s'était  placéque  par  cette 
résolution  désespérée.  La  fausseté  de 
cette  assertion  a  été  établie  récem- 
ment par  des  écrivains  aussi  graves 
que  bien  informés.  Rien  d'ailleurs  de 
semblable  ne  se  trouve  indiqué  dans 
lesdépèchesoriginalesdeVictor-Amé- 
dée  à  ses  ministres  à  Paris, à  Vienne 
et  à  Londres,  à  l'époque  dont  il  s'ar 
git.  Trois  souverains,  dans  un  inter- 
valle assez  rapproché  ,  avaient  ab- 
diqué la  couronne  :  Christine,  Casi- 
mir et  Philippe  V.  Victor-Amédée, 
par  imitation  ,  peut-être,  ou  par  sa- 
tiété du  pouvoir,  résolut  aussi  d'ab- 
diquer cette  couronne  royale,  objet 
depuis  si  long-temps  de  l'ambition 
de  sa  famille.  Une  autre  résolution 
de  sa  part  fut  comme  le  prélude  de 
celle-là.  Veuf  depuis  quatre  ans  ,  il 

la  «âge  adiiiiiiiKlraliuii  de  sou  pJre,  et  tout  en  je- 
tant les  fondciuuut.s  d'iuie  amélioration  prugressi- 
ve,  il  doubla  ce  icveuu,  A  la  vérité,  depuis  une 
quamulaine  d'années,  l'élat  s'était  agrandi  d'un 
tiers  ,  et    la    population    s'était    accrue    dans   une 

()ru|)ortiuu  plus  grande  encore.  Il  accorda  aux  la- 
iricjnes  de  draps  et  aux  perleclioiincinents  des 
soies  de  grauds  enrourageinents ,  et  fil  venir  à 
grands  frais,  surtout  de  la  Hollande,  des  ouvriers 
qui  portèrent  l'industrie  au  plus  haut  degré  dans 
set  états.  Il  lit  composer  un  code  de  lois  très-sages, 
qui  reçut  Sun  nom  ;  et  il  soumit  la  noblesse  à  l'é- 
gale répartiliou  des  im|M'its  (  /''.  ObMEA  ).  Sis  rè- 
glements sur  l'instruction  publique  ranimèrent 
J'amour  des  études  s^dides.  Quoiqu'il  ne  fut  pas 
savant,  il  protégeait  les  sciences  et  les  lettres;  il 
aimait  les  artistes  i^  conceptions  liardics.  Uulin, 
Victor-Amedré  louda  à  Tnriii  le  collège  des  pro- 
vinces, rétablit  celui  des  nobles  ,  et  mit  sur- 
tout beaucoup  de  soins  a  relever  l'université.  It-v. 


vie 

ne  voulut  ni  rester  sans  compagne  , 
ni  clicrclicr  une  nouvelle  épouse  dans 
une  maison  souveraine.  A  l'irailation 
de  Louis  XIV  ,  que,  maigre  leur  ini- 
uiilie  ,  il  aimait  à  prendre  pour  mo- 
dèle ,  il  épousa  secrètement  la  veuve 
du  comte  de  Saint-Sébastien  ,  fille 
d'honneur  de  lareine-mcre,qui  avait 
été  l'objet  de  ses  premières  inclina- 
tions. Cette  dame  avait  été  créée 
dame  d'honneur  de  la  princesse  de 
Piémont ,  et  logée  près  des  apparte- 
ments du  roi.  Remplie  de  finesse  et 
de  dextérité  ,  elle  prit  alors  sur  lui 
un  grand  ascendant,  et  il  l'épousa  le 
2  août ,  un  mois  avant  son  abdica- 
tion. Elle  était  âgée  de  cinquante  ans. 
Victor-Amédée  ayant  appelé  son  fils^ 
lui  déclara  son  dessein  d'abdiquer. 
Gharlos-Emanuol ,  étonné,  se  jette  à 
ses  genoux  et  le  conjure  de  changer 
de  résolution  ;  mais  Victor  est  iné- 
branlable; et  ces  témoignages  de  res- 
pect filial  ne  font.quc  l'allcrmir  dans 
son  projet.  11  a  choisi  pour  modè- 
le l'eiupereur  Charlcs-Quint ,  et  il 
veut  que  le  même  cérémonial  soit 
observé  pour  son  abdication.  Le  3 
sept.  1730,  il  mande  au  château  de 
P.ivoli  le  chevalier  de  l'Annonciade, 
lesministrcs;,  les  présidents  des  cours 
souveraines  et  tous  les  grands,  sans 
que  personne,  hors  le  prince  de  Pié- 
mont et  le  marquis  del  lîorgo  , 
soit  informé  de  l'objet  de  cette  convo- 
cation extraordinaire.  L'assemblée 
formée,  le  roi  prescrit  le  silence  ,  et 
le  marquis  de!  Borgo  lit  à  haute 
voix  l'acte  par  lequel  Victor-Amédée 
renonce  au  ti'one  elx'omet  le  pouvoir 
souverain  h  Charles-Emanucl  son  fils 
unique  ,  ordonnant  à  tous  ses  sujets 
de  lui  obéir.  Celte  déclaration  était 
établie  sur  les  mêmes  motifs  qu'avait 
allégués  Charles-Quint  :  l'àgeavancé, 
des  mdispositious,  le  désir  de  mettre 
[\n  intervalle  entre  les  sollicitudes  du 


Vie 


393 


trône  cl  la  mort.  Toute  l'assemblée 
resta  frappée d'étoiniemcnt;quelques- 
ufls  fondirent  en  larmes;  car  ce  prin- 
ce, redouté  de  tous  ses  sujets,  était  ai- 
mé de  plusieurs.  Après  avoir  déployé 
dans  cette  dernière  scène  de  son  rè- 
gne l'air  solennel  et  fier  qui  lui  était 
naturel ,  il  ne  témoigna  plus  que  de 
l'alFabilité  à  tous  ceux  qui  l'entou- 
raient ,  parlant  à  tous  les  grands  , 
et  ne  les  entretenant  que  de  la  fi- 
délité qu'ils  devaient  à  leur  nou- 
veau roi.  Passant  ensuite  dans  l'ap- 
partement delà  princesse  de  Piémont 
qu'il  déclara  reine,  il  lui  présenta  la 
comtesse  de  Saint-Sebastien  :  «  Ma 
»  fille,  lui  dit-il,  je  vous  préseule 
»  une  dame  qui  veut  bien  se  sacrifier 
»  pour  moi.  Je  vous  prie  d'avoir  des 
»  égards  pourelleetpour  sa  famille.» 
Il  ne  se  réserva  pour  lui-raime  qu'un 
revenu  de  cinquante  mille  écus  ,  et  il 
donna  le  marquisat  de  Spino  à  la 
comtesse  de  Saint-Seijastien  ,  qui  en 
prit  le  nom.  Il  partit  dès  le  4  septem- 
bre pour  la  Savoie  qu'il  avait  choisie 
pour  sa  retraite  ,  n'ayant  qu'un  seul 
attelage,  quatre  valets  de  pied,  un  va- 
let de  chambre  et  deux  cuisiniers. 
C'est  assez,  disait-il,  pour  un  gentil- 
homme de  province.  Au  moment  de 
son  départ  ,  Charles  -  Émauuel  lui 
témoigna  de  nouveau  le  désir  que  son 
abdication  ne  fut  pas  absolue:  «Mon 
»  fils  ,  répondit  Victor  -  Amédée  , 
»  l'autorité  suprême  ne  souffre  aucun 
»  partage.  Je  pourrais  désapjirouver 
»  ce  que  vous  feriez,  et  ceseraitmal- 
»  il  vaut  mieux  n'y  plus  penser.  » 
A  son  arrivée  en  Savoie  ,  Victor- 
Amédée  occupa  d'abord  la  maison 
de  campagne  du  marquis  du  Villars , 
à  Saint- Alban,  près  de  Chambéri. 
Le  jeune  roi  se  fit  long-temps  uu  de- 
voir de  lui  rendre  compte  jour  par 
jour  des  aHaiics  du  gouvernement  ; 
il  envoya  même  plus  d'une  fois  ses 


394 


Vie 


ministres  au-delà  des  monts  pour 
conférer  avec  lui,  et  prendre  son  avisj 
mais  cette  respectueuse  de'férencc  eut 
bientôt  un  terme  (  V.  Ormea  ). 
Cliarles-Emanuel  alla  deux  fois  fai- 
re visite  à  son  père.  La  seconde  de 
ces  visites  fut  courte;  il  le  trouva 
soucieux  et  embarrasse'.  Cependant 
il  attribua  ce  cliaugement  aux  suites 
d'une  attaque  d'apoplexie  ,  essuyée 
récemment  par  le  vieillard.  Il  le 
quitta  au  bout  de  trois  jours  pour  se 
rendre  avec  la  reine  aux  eaux  d'É- 
vians ,  où  il  comptait  passer  quel- 
ques semaines.  Victor,  déjà  fatigue' 
du  poids  de  son  oisiveté  ,  et  à  qui  la 
marquise  de  Spino ,  femme  pleine 
d'ambition,  avait  fait  naître  l'idée 
de  se  ressaisir  du  gouvernement  , 
prend  tout-à-coup  la  résolution  de 
profilerderabseucedii  jeune  roi,  pour 
le  prévenir  à  Turin  ,  et  se  remettre 
en  possession  du  trône.  Au  mo- 
ment où  il  allait  partir  furtivement , 
un  jeime  ecclésiastique  appelé  Mi- 
chon ,  qui  avait  ]iar  hasard  en- 
tendu une  conversation  entre  le  roi 
Victor  et  la  marquise ,  était  allé  en 
toute  diligence  instruire  le  roi  Cliar- 
les  à  Evians.  Le  jeune  monarque  , 
une  heure  après  l'avis  reçu,  monte  à 
cheval ,  accompagné  d'une  suite  peu 
nombreuse  ,  traverse  le  petit  Saint- 
Bernard  ,  et  arrive  dans  sa  capitale 
le  jour  même  où  son  père  descendait 
au  château  de  Rivoli.  Victor  entendit 
des  hauteurs  d'Avillane  le  canon 
qui  annonçait  l'arrivée  de  son  Çih  , 
et  il  en  fut  vivement  troublé.  Le  len- 
demain Charles- EmanucI  se  rendit 
auprès  de  lui.  Celte  entrevue  des  deux 
rois  fut  embarrassée,  et  même  un 
peu  triste  de  part  et  d'autre.  Victor- 
Amédée  s'étant  plaint  que  l'air  de  la 
Savoie  était  contraire  à  sa  santé, son 
lils  ordonna  sur-le-cliamj)  que  le 
château  de  Munlcalicr  fût   [)réparé 


Vie 

pour  le  recevoir.  Là  toute  la  cour 
alla  ,  par  ordre  du  roi  Charles  ,  lui 
rendre  ses  hommages.  Mais  il  fit 
^en  même  temps  observer  toutes  les 
actions  et  toutes  les  démarches  de 
son  père  ,  et  l'on  reconnut  bien- 
tôt qu'un  dessein  profond  agitait 
celui-ci.  Ou  fut  surtout  frappé 
du  changement  qui  s'était  opéré 
dans  les  manières  de  la  marquise  de 
Spino.  Lorsqu'elle  alla  voir  la  reine, 
elle  prit  un  fauteuil  pareil  à  celui  de 
cette  princesse.  Victor,  voulant  con- 
naître les  dispositions  des  principaux 
de  la  cour,  alla  jusqu'à  demander 
au  ministre  del  Borgo  l'acte  de  son 
abdication,  le  chargeant  de  notifier 
à  son  fils  sa  détermination  de  repren- 
dre les  rênes  du  gouvernement.  Le 
ministre ,  plein  de  confusion  et  d'em- 
barras ,  mais  n'osant  s'exposer  par 
un  refus  aux  emportements  du  vieux 
monarque  ,  promit  de  lui  rap|)orter 
cet  acte  le  lendemain.  Mais  à  peine 
fut-il  parti ,  que  Victor  se  repentit 
de  s'être  ainsi  ouvert.  A  minuit,  pre- 
nant tout-à-coup  une  détermination 
nouvelle  ,  il  monte  à  cheval ,  suivi 
d'un  seul  domestique  ,  et  va  se  pré- 
senter à  la  porte  de  la  citadelle  qu'il 
veut  se  faire  ouvrir.  Le  gouverneur, 
baron  de  Saint-Remi,  refuse  nette- 
ment de  l'introduire.  Trompé  dans 
son  attente ,  le  prince  retourne  à 
Montcalicr  plein  de  dépit  ,  au  mo- 
ment même  où,  sur  la  déclaration  du 
marquis  del  Borgo ,  le  roi  assemble 
ses  ministres  et  tous  les  grands.  Tout 
est  déclaré  dans  ce  conseil  ,  et 
il  est  décidé,  d'une  voix  unanime  , 
qu'il  faut  s'assurer  de  la  personne  de 
Victor-Amédée.  Le  roi  ,  les  larmes 
aux  yeux,  et  d'une  main  tremblante, 
signe  l'ordre  que  le  marquis  d'Or- 
mea  va  mettre  à  exécution.  11  est 
précédé  par  une  compagnie  de  gre- 
nadiers que  commande  le  comte  de  la 


vie 

Pérousej  d'autres  troupes  investissent 
le  château  de  Montcalier.  On  monte 
le  grand  escalier,  ou  enfonce  les  por- 
tes, et  l'on  se  saisit  de  tous  les  gens 
de  service  ;  enfin  on  pe'nctre  Jaiis  la 
chambre  où  le  roi  était  au  lit  avec 
la  marquise  de  Spino ,  qui  s'élance 
demi-nue  vers  une  porte  pour  s'é- 
chapper. On  l'arrête ,  on  la  jette 
dans  un  carrosse  qui  prend  au  galop 
la  route  du  château  de  Ceva ,  es- 
corté par  cinquante  dragons.  Tout  ce 
bruit  n'a  pu  éveiller  le  roi  Victor  , 
dont  le  sommeil  était  habituellement 
presque  léthargiipie.  Le  chevalier  de 
Solar  s'empare  de  son  e'pe'e  qui  se 
trouvait  sur  une  table,  pendant  que  le 
comte  de  la  Pérouse  ouvrant  les  ri- 
deaux de  son  lit  ,  et  l'éveillant,  non 
sans  peine  ,  lui  déclare  qu'il  a  ordre 
de  l'arrêter ,  et  lui  présente  cet  oi'dre 
signé  de  la  main  de  son  fils.  Le  vieil- 
lard entre  en  fureur  ,  apostrophe 
ceux  qui  l'entourent  et  refuse  de 
s'habiller.  On  l'enlève  ^  on  le  porte 
enveloppé  dans  ses  couvertures  jus- 
qu'au carrosse  qui  l'attendait  dans 
la  cour,  et  il  y  est  jeté  au  milieu  d'un 
groupe  d'officiers  et  de  soldats.  A 
la  vue  de  leur  ancien  maître  tombé 
dans  un  tel  abaissement,  ceux-ci 
commençaient  à  murmurer ,  quand 
le  comte  de  la  Pérouse  s'écrie  :  «  De 
»  par  le  roi ,  silence ,  sous  peine  de 
»  mort.  ))  Les  cris  cessent  ;  on  double 
le  pas:  Victor  reconnaît  dans  la  cour 
un  des  régiments  de  dragons  qui  s'é- 
tait autrefois  distingué  sous  ses 
yeux  ;  il  veut  le  haranguer  :  un  rou- 
lement des  tambours  couvre  sa  voix. 
11  est  jeté  non  sans  peine  dans  le  car- 
rosse ,  et  les  troupes ,  formant  tout 
autour  une  espèce  de  bataillon  carré, 
prennent  lentement  le  chemin  du 
château  de  Rivoli.  Ce  prince  passa 
plusieurs  mois  dans  cette  espèce  de 
prison  .  gardé  très  -  rigoureusement. 


Vie 


ogj 


Les  accès  de  colère  auxquels  il 
se  livra  les  premiers  jours  faisant 
craindre  qu'il  n'attentât  à  sa  vie  , 
on  ne  laissait  à  sa  portée  lien  qui 
pût  le  blesser,  ou  qui  pût  lui  fournir 
les  moyens  d'écrire  ;  et  ses  gardes,  ses 
domestiques  curent  l'ordre  de  ne  ré- 
pondre à  ses  questions  que  par  une 
profonde  inclination  de  tête.  Lors- 
qu'il devint  un  peu  plus  calme,  la 
surveillance  fut  moins  sévère  ;  et  sur 
la  demande  qu'il  en  fit.,  on  le  recon- 
duisit au  château  de  Montcalier.  II 
finit  par  se  résigner;  mais  il  resta  si- 
lencieux et  triste.  On  fit  tout  pour 
adoucir  l'amertume  de  sa  situation; 
plusieurs  personnes  furent  destinées 
à  lui  tenir  compagnie ,  et  on  lu;  ren- 
dit la  marquise  de  Spino,  On  lui 
fournit  des  livres  ,  mais  on  ne  lui 
communiquait  aucune  nouvelle  ;  on 
ne  lui  permettait  pas  la  lecture  des 
gazettes.  Toute  sa  curiosité,  pendant 
les  préludes  delà  guerre  de  1733  ,  se 
lixa  sur  l'établissement  de  l'infant 
don  Philippe  en  Italie.  Quand  le 
chevalier Salmatoris,  qui  ne  le  quitta 
qu'à  la  mort ,  eut  la  permission  de 
lui  apprendre  cet  événement ,  il  s'é- 
cria :  «  0 1  ma  maison  !  ils  ont  signé 
«  ta  perte.  »  Victor-Amédée  ne  re- 
vit jamais  son  fils.  Il  mourut  ta  Mont- 
calier ,  le  3i  octobre  3732  ,  dans  de 
grands  sentiments  de  piété.  Sa  fem- 
me s'enferma  dans  un  couvent  de 
religieuses  à  Carignan.  Ce  prince 
était  réellement  né  pour  gouverner. 
L'amour  de  son  devoir  ,  l'habitude 
et  la  facilité  du  travail  lui  rendaient 
cette  tâche  aisée.  Sa  passion  domi- 
nante était  de  tout  voir  ,  de  tout 
régler  par  lui-même  ,  de  tout  faire 
céder  à  ses  vues  et  à  ses  opinions  ;  il 
voulait  surtout ,  et  c'était  sa  plus 
grande  ajubition,  qu'on  ne  pût  attri- 
buer qu'à  lui  seul  la  bonne  conduite 
des  alFaires  ,  et  le  succès  des  entre- 


39<> 


Vie 


jaisesles  plusdilliciles.  Ilavaitreçu 
(le  la  nature,  au  plus  liant  degré, 
l'amour  de  l'ordre  cl  l'esprit  de  de'- 
la il.  Essentiellement  économe  ,  il  mit 
long -temps   l'économie  à   la  mode 
dans  toutes  les  classes  de  la  nation. 
Une  de  ses  maximes  politiques  était 
qu'il  faut  toujours  s'elVorcer  de  tirer 
quelque  profit  du  mal  qu'on  ne  peut 
empêcher.  Très-exact  à  remplir  ses 
devoirs,  il  exigeait  de  tout  le  monde 
la  même  ponctualité.  Dans  un  voyage 
qu'il    lit  à  Cliambéri  ,    il  convoqua 
le  sénat  sous  sa  présidence  ;  et  s'ctaut 
aperçu  de  quelque  négligence  de  la 
j)art  de  plusieurs    sénateurs   il    les 
destitua     impitoyablejuent.     D'une 
taille  moyenne,   mais  svelte  et  bien 
j)risc,  il  avait  un  port  libre  et  fier, 
(MIC  pliy^iouoniic   animée  ,    et    des 
traits   prononces.    Il    était  sobre  et 
simple  dans  ses  habits.    Comme  la 
plupart  (les  princes  de  son  temps  , 
il  eut  des  maitiesses  ;  mais  il  ne  se 
laissa   dominer  par  aucune  d'elles. 
Plus  habile  politique  que  grand  géné- 
ral ,  il  n'a  brillé  à  la  guerre  que  par 
sa  valeur   personnelle;  mais  il  sut 
toujours   réparer,  par  les  ruses   et 
l'habileté  de  sa  diplomatie,  les  suites 
de  ses  défaites;  et  après  le  règne  le 
plus  agité,  après  avoir  vu  tant  de 
fois  sa  puissance  dans  le  plus  grand 
danger,  il  est  resté  dans  l'histoire  le 
plus  grand  prince  de  sa  race,  et  ce- 
lui qui  a  le  plus  eilicacement  conlri- 
])ué  à  son  élévation.  S.  S — i. 

VICTOR-AMÉDKE  III .  roi  de 
Sardaigne,  (ils  de  Charles -Émanucl 
JII ,  naquit  à  Turin,  le  ^>(Jjuin  ly-iO, 
<t  de  bonne  heure  charma  le  roi  son 
])èic  par  la  vivacité  de  son  esprit  et 
ia  facilité  de  ses  études.  Il  s'énonçait 
tt  .-ii;'issait  avec  grâce  ,  manifestant 
du  goût  jiour  la  belle  littérature; 
mais  en  inOmc  teiu]!S  il  montrait 
une  trop  grande  facilité  de  caTaclcre, 


Vie 

et  trop  de  bienveillance  pour  la  mc'- 
diocrité.  Il   fit,  en    174^,   sa  pre- 
mière campagne  à  coté  de  son  père  , 
et  figura  aux  batailles  de  Coni  et  de 
Bassignana.    Son    penchant    décidé 
pour  le  militaire  fit  croire  qu'il  au- 
rait l'esprit  guerrier  de  ses  ancêtres. 
Ce  jeune  prince  était  aimé  géne'rale- 
ment  à  cause  de  sa  bonté  et  de  sou 
affaliilité  ;  mais  le  rôle  de  prince  hé- 
réditaire n'en  fut  que  plus    didicilc 
pour  lui ,  sous  un  roi  jaloux,  de  son 
autorité.   Victor-Amédéc  soutint  ce 
rôle  jusqu'à  quarante-sept  ans,  sans 
s'écarter  du  moindre  de  ses  devoirs. 
Son  mariage  avec  l'infante  d'Espa- 
gne ,  lille  de  Philippe  V,  eut  lieu  en 
vertu   d'un  des  articles   secrets  du 
traité  d'Aix-la-Chapelle.  Il  porta  le 
titre  de  duc  de  Savoie  jusqu'à  son 
avènement  au  trône,  où  il  monta  le 
■j.o  février  J773.  Religieux,  tempé- 
rant ,  cxom]>t  de  tout  vice  ,  le  nou- 
veau roi  s'était  montré  constamment 
fils    respectueux ,  bon  père  et  bon 
époux.  A  peine  eut-il  saisi  le  sceptre, 
qu'il   s'occupa  de  grandes  innova- 
lions  dans  l'organisation  de  ses  trou- 
pes. Vingt  ans  de  paix  avaient  im- 
primé à  l'armée  piémontaisc  un  as- 
pect presque  gothique,  et  des  usages 
qui  ne  convenaient  ])liis  à  la  tactique 
nouvelle.   lnij)alient   de   mellrc   ses 

Slans  à  exécution ,  \  ictor  -  Amédée 
onna  ,  en  177O,  une  nouvelle  orga- 
uisation  à  ses  troupes;  et  après  treize 
annéesd'épreuve  il  la  changea  une  se- 
conde fois  ,  en  178O.  Toutefois,  cette 
armée,  qu'on  pouvait  porter  aisément 
à  quarante- cinq  mille  hommes  en 
temps  de  guerre  ,  n'avait  encore 
ni  règles  de  discipline  fixes  ,  ni 
principes  de  tactique  ,  ni  habitude 
des  grands  mouvements  stratégiques. 
L'Europe  jouissait,  il  est  vrai_,  d'une 
tranquillité  ])arfaitc;  et  tout  annon- 
çait à  Victor- Ainc'iiée  mi  règne  aussi 


vie 

paisiljlo.  Vonljin  mettre  à  profit  cet 
liciireiiKraljiU'  et  consacrer  son  ri-giie 
à  (les  e'tablisscracnts  utiles,  il  éleva 
la  forteresse  de  Saint  -  \  ictor  de 
Torlone,  sur  les  fondements  jetés 
])ar  Charles  -  Quint  ;  il  acheva  la 
citadelle  d'Alexandrie  ,  érigea  une 
académie  royale  des  sciences  ,  l'aca- 
démie de  sculpture  et  de  peinture* 
fit  bâtir  l'observatoire  de  Turin, 
éclairer  avec  niagmliccnce  les  rues 
de  cette  capitale  ,  et  établit  hors  de 
son  enceinte,  sous  le  nom  de  Cériota- 
jilu'S  ,  des  scpultuies  publiques.  La 
viliedeNice,  dont  il  repara  et  creusa 
le  port ,  doubla  ,  par  ses  soins  ,  d'e'- 
tendue  et  de  population,  de  même 
que  Carouge  aux  portes  de  Genève. 
Fonder  ainsi  aux  deux  extrémités  de 
ses  Etats  deux  villes  nouvelles  ,  deux 
colonies  florissantes,  était  un  dessein 
qui  flattait  singulicrcnient  l'araour- 
])ropre  de  ce  prince.  A  Cliambe'ri ,  il 
fit  relever  l'ancien  palais  ducal  et 
bâtir  un  ihcàtie.  Il  cndjcllitles  bains 
d'Aix  ,  éleva  ,  à  grands  frais,  des  di- 
gues pour  retenirdans  leurs  lilsTArvc 
et  le  Rhône ,  et  abolit  les  péages  dans 
toute  la  Savoie.  Cette  province  , 
berceau  de  sa  famille,  fixait  parlicu- 
lirreraeut  son  attention.  Il  y  fit  un 
voyage  en  i  7^5,  avec  la  reine  et  ses 
enfants  ,  à  l'occasion  du  mariage  du 
prince  de  Piémont,  héritier  du  trône, 
Jl  Acnait  de  marier  deux  de  ses  filles 
aux  frèresde  Louis  XVI,  et  le  prince 
de  Piémont  à  une  sœur  de  ce  monar- 
que. Victor-  Ame'dée,  en  visitant  le 
])lu:;  ancien  patrimoine  de  sa  famille, 
entendit  retentir  autour  de  lui  les  bc- 
ne'dictious  des  peuples,  et  en  fut  vi- 
vement c'mu.  En  Piémont,  les  cœurs 
e'taieiif  moins  ouverts  aux  sentiments 
afîectucux.  On  n'y  vit  pas  sans  pei- 
ne Victor- Aniedce  se  jeter  sans  re- 
serve dans  les  bras  d'une  puissance 
qui  tant  de  fois   avait  mis  sa  mai- 


VIC  397 

son  au  linrd  du  précipice.  On  y 
disait  hautement  que  les  sommes 
prodiguées  en  Savoie  et  à  Nice  ne 
feraient,  en  cas  de  rupture,  qu'exci- 
ter davantage  les  Français  à  s'en  ren- 
dre maîtres;  que  ce  qu'on  y  semait 
serait  moissonné  par  d'autres  mains. 
On  blâmait  aussi  les  profusions  du 
roi  :  il  ne  restait  rien,  disait-on ,  de 
l'épargne  laissée  par  son  père.  Deux 
millions  de  dot,  donnés  par  la  Fran- 
ce à  la  princesse  de  Piémont,  n'a- 
vaient pas  sufll  pour  les  frais  de  no- 
ces! Leroiy  avait  ajoutédeux  autres 
millions  ,  prix  de  la  vente  de  J'hôtel 
des  Célestins  à  Lyon,  qui  était  une 
ancienne  propriété  de  la  maison 
de  Savoie.  A  ces  murmures ,  à  ces 
conjectures  sinistres,  l'histoire  doit 
opposer  des  faits  honorables.  Vic- 
tor-Amédée  n'avait  fait  peser  sur 
son  peuple  aucun  nouvel  impôt 
onéreux  ;  ses  billets  d'état  circu- 
laient au  pair,  non-seulement  en 
Piémont,  mais  en  Savoie,  où  leur 
cours  n'était  point  obligatoire  :  ou 
les  prenait  même  pour  comptant  à 
Lyon,  qui  tirait  du  Piémont  les  soies 
nécessaires  à  ses  manufactures.  En 
un  mot  ,  le  crédit  du  gouvernement 
sarde  (-tait  resté  intact  ;  et  jamais  l'a- 
griculluri"  et  le  commerce  n'avaient 
déployé  autant  d'activité  en  Piémont, 
à  Kice  et  «  n  Savoie.  Ainsi  ce  ne  fu- 
rent point  les  fautes  de  Victor-Amé- 
déequi  el^ranlèrent  son  trône;  ce  fut 
une  commotion  étrangère  ;  ce  fut  une 
fatalité  qu'il  ne  lui  était  guère  possi- 
ble de  prévoir  ni  de  conjurer.  A  peine 
la  révolution  française  eut-elle  éclate, 
que  l'un  des  frères  de  Louis  XVI , 
fuvant  devant  les  fureurs  populaires, 
vint,  avec  son  épouse,  se  réfugier  à 
la  cour  de  Turin.  Ce  prince  fut  bien- 
tôt suivi  de  ses  enfants  ,  de  son  frè- 
re et  d'iui  grand  nombre  de  gentils- 
hommes fiançais.   Victor  -  Amédée 


398 


Vie 


ilc'tcstait  les  principes ,  et  surtout  les 
premiers  résultats  de  cette  rcvolu- 
liou.  11  reliisa  de  recevoir  pour  am- 
hassadcur  M.  de  Scmoiiville,  qui  lui 
l'ut  envoyé'  par  ses  premiers  moteurs, 
et  se  vovaut  bientôt  menacé,  il  fit 
passer  des  renforts  en  Savoie  et  à  Ni- 
ce. Quand  il  vit  la  révolution  deve- 
nir dangereuse  et  menaçante  pour  ses 
provinces  limitrophes  ,  il  y  lit  pas- 
ser, au  printemps  de  i  -jQ'^  ,  de  nou- 
velles troupes,  mais  en  trop  petit  nom- 
bre [tour  résister  à  une  agression,  et 
trop  nombreuses  pour  ne  pas  annon- 
cer des  desseins  hostiles.  Cepen- 
dant ni  Victor- A medéc  ni  les  autres 
rois  qui  devaient  se  coaliser  n'é- 
taient prcts  cà  soutenir  la  guerre  ;  et 
déjà  ils  allaient  être  prévenus  par 
leurs  ennemis.  Vers  la  lin  de  septem- 
bre, la  Savoie  et  le  comté  de  Nice 
furent  envahis,  cl  la  ville  d'OneilIe 
saccagée.  La  retraite  des  troupes  sar- 
des fut  précipitée  et  même  honteuse- 
Le  roi  en  fut  navré  de  douleur.  Il  ve- 
nait ,  dans  l'espace  d'un  mois ,  de 
perdre  un  quart  de  ses  Etals.  Aucun 
traité  ne  lui  promettait  l'assistance  de 
l'Autriclic  ni  les  subsides  de  l'Angle- 
terre. Forcé  de  mendier  les  secours 
de  ces  deux  puissances ,  il  se  trouvait 
à  leur  merci ,  avec  un  trésor  vide  et 
des  troupes  découragées.  Les  parties 
de  son  territoire  occupées  étaiciil  tel- 
lement atteintes  de  la  conlaîrion  ré- 
A  olutionnauc  ,  qu  elles  sollicitèrent 
leur  réunion  à  la  France^  et  qu'aus- 
sitôt la  nouvelle  république  fran- 
çaise se  vit  accrue  de  deux  dépar- 
tements. Déterminé  à  sauver  à  tout 
prix  ce  qui  lui  restait  de  ses  États  , 
Victor- A médée  se  bonA  d'abord 
à  défendre  les  montagnes,  et  pres- 
sa vivement  l'Autriche  de  venir  à 
son  secours  •  mais  il  trouva  cette 
)iuissance  froide  et  parcimonieuse. 
H   ne  put  en   obtejiir  qu'un    corps 


Vie 

auxiliaire  de  six  mille  hommes. 
N'ayant  ,  par  suite  d'une  paix 
do  quarante  -  quatre  ans  non  inter- 
rompue, ni  soldats  ni  olliciers  expé- 
rimentés, il  se  vit  forcé  de  confier  la 
direction  de  ses  forces  ta  des  généraux 
autrichiens ,  qui  en  eurent  à-peu-prcs 
la  disposition  absolue.  D'un  autre 
côté ,  rAi.'gletcrrc  se  bornait  à  lui 
promettre  un  subside  annuel  de  deux 
cent  mille  livres  sterling ,  pendant  la 
durée  de  la  guerre,  et  sous  la  condition 
d'une  augmentation  dans  son  armée. 
Voyant  qu'il  lui  fallait  tirer  de  son 
jiropre  fonds  ses  moyens  de  défense  , 
Victor  -  Émanuel  se  hâta  de  mettre 
toute  sou  armée  sur  le  pied  de  guer- 
re. Il  leva  de  nouveaux  réjriments 
suisses ,  jiorta  son  artillerie  à  cinq 
mille  hommes  ,  et  ajouta  à  ses 
troupes  légères  plus  de  trois  raille 
partisans.  Il  forma  de  tous  ces  élé- 
ments une  force  nationale  de  soi- 
xante mille  hommes,  qu'animait  uu 
excellent  esprit.  On  rétablit,  dans 
les  Hautes- Alpes,  une  partie  des  re- 
tranchements élevés  dans  la  gueri  ■■ 
de  1743.  Jamais  d'ailleurs  les  forte 
resscs  du  Piémont  n'a v;i  ient  été  si  bie:  1 
pourvues.  L'arsenal  de  Turin  parai>- 
sail  inépuisable.  Enfin,  au  commen- 
cement de  1793,  Victor  -  Amédéc 
put  contempler  avec  quelque  sécurité 
la  réunion  de  ses  moyens  de  résis- 
laucc.  Le  mauvais  résultat  de  l'ex- 
pédition française  dirigée  contre  l'île 
de  Sardaigne  lui  parut  d'un  heureux 
augure.  Les  circonstances  générales 
ne  le  favorisaient  pas  moins.  Le  sup- 
plice de  Louis  XV  l  venait  de  soulever 
la  majeure  partie  de  l'Europe j  et, 
la  Convention  nationale  se  hâtant  de 
proclamer  l'indépendance  des  peu- 
ples, l'Angleterre  ,  l'Espagne  ,  Na- 
ples  ,  la  Hollande  et  l'AlIctnagne  al- 
laient unir  leurs  armes  à  la  Prusse 
et  à  l'Autriche,  pour  repousser  une 


vie 

lello  provocation.  Encourage  par 
celte  coalition^  eu  appareucc  si  re 
floutahic,  \  ictor  -  Àmedc'c  résolut 
(l'af;ir  oiïcnsivcmcul.  D.jà  les  trou- 
pes sardes  s'étaient  siguale'cs  par  une 
résistance  hrillantedans  plusieurs  oc- 
casions, surtout  à  Rausel  à  Lauliiion, 
où  les  généraux  français  lirunet  et 
.Serrurier  avaient  cto  repoussés.  Mais 
leplau  ollensif  poiu-  leconquërirà-la- 
f'ois  le  duciie  de  Savoie  et  le  comte 
de  Nice  ne  répondit  pas  à  l'heureux 
début  de  la  cainpa<:,nc.  Le  gcnéial  en 
thef"  autrichien,  baron  de  Vins  .  ne 
se  mit  eu  luouvenicut  qu'au  mois 
d'août.  Nice  ou  Supcrga  (  i  )  ,  c'cst- 
.i-dirc  la  Fictoirc  ou  la.  mort  !  s'é- 
(  ria  ,  en  partant  pour  l'ajinec.  Vie- 
for -Amcdee,  encore  rempli  d'ar- 
deur maigre  les  glaces  de  1  iigc. 
Mais  il  lui  manquait  le  talent  mili- 
taire et  l'énergie  politique  de  ses  an- 
«ètres.  A  la  merci  des  générau\  au- 
trichiens,  qui  dirigeaient  la  guerre 
du  Piémont  ,  il  les  vit  avec  douleur 
laisser  tiiomplier  en  dcliuitive,  de 
même  ({u'en  Flandre  et  sur  le  Rliin  , 
les  armes  de  la  nouvelle  république. 
Les  iuvasions  en  Savoie  et  dans  le 
comté  de  Nice  n'étant  ni  soute- 
nues ni  poussées  avec  vigueur, Lyon 
et  Toulon  retombèrent  sous  le  joug 
ilu  pouvoir  révolutionnaire  ;  et  dé- 
jà V  ictor- Amédée  dut  se  repentir  de 
s'être  abandonne  trop  aveuglément 
auK  vues  d'un  général  aussi  présomp- 
tueux que  le  baron  de  Vins.  On  ne 
|)ouvait  douter ,  d'après  des  avis 
certains,  que  les  Français  n'eussent  le 
projet  de  prendre  à  leur  tour  l'ollén- 
sive  pour  s'introduire  eu  Piémont 
par  les  montagnes  de  Nice  et  par  les 
sources  du  Tauaro.  En  tournant  les 
positions  que  Victor-Aïuédée  défen- 
dait depuis  deux  ans  .  ils  pouvaient 


lovale 


is  Ju  Saiilaiguc. 


Vie  3ç)(, 

fairctomber  eu  un  instantdcs moyens 
de  résistance  que  le  vain  appui  delà 
neutralité  de  Gênes  rendait  tout-à- 
fail  illusoires.  Au  lieu  île  parer  à  ce 
danger  pressant  ,  on  trouva  plus 
commode  à  Turin  de  se  rej)oscr  sur 
cette  neutralité  et  sur  la  ligne  de  Sa- 
vourges  ,  qui,  garnie  par  sept  mille 
hommes  ,  embrassait  le  bassin  de 
Tende.  Le  G  avril  1794,  nne  atta- 
que générale  eut  lieu,  de  la  part  des 
Français  ,  sur  tout  le  front  de  la  li- 
gue, et  d'innombrables  coups  de  ca- 
non se  lireut  entendre.  Ce  bruit  n'a- 
vait pour  objet  que  de  masquer  un 
grand  mouvement  cpii  s'exécutait  eii 
arrière  le  long  du  bord  do  la  mer  . 
dans  la  direction  de  Gènes.  La  plus 
grande  partie  de  l'armée  française 
prit  a  gauche  vers  le  pont  de  Novi . 
par  lequel  on  entre  dans  la  vallée  du 
Tanaro,ctde  celle-ci  dans  le  cœur  dti 
Piémont.  Ces  nouvelles  répandirent 
bientôt  l'elfroi  dans  Turin  :  déjà  mê- 
me ,  à  la  suite  des  premières  attaques, 
toute  la  vallée  du  Tauaro  venait 
d'être  abandonnée  par  les  Austro- 
Sardes,  qui  s'étaient  repliés  sous  le 
fortdeCeva.  La  reddition  de  Sa- 
vourges  ,  qui  ouvrit  ses  portes  à  la 
première  sommation,  vint  augmenter 
la  terreur.  Cent  mille  Français  cou 
vraient  déjà  les  sommités  des  mon- 
tagnes ;  car  en  même  temps  qu'ils 
s'étaient  emparés  du  col  de  Tende  et 
des  vallées  du  Tauaro  ,  ils  avaient 
occupé  la  plupart  des  cols  des  Al])es 
occidentales.  La  position  retranchée 
du  petit  Saint-Bernard  ven-iit  d'être 
enlevée  de  même  que  celle  du  Mont- 
Cenis  ,  et  du  fort  de  Mirabouc  ,  au 
sommetde  la  vallée  de  Luzerne.  Leur 
armée  principale,  forte  de  quarante 
mille  hommes,  qui ,  de  la  vallée  du 
Tanaro  ,  menaçait  le  Moulferrat  et 
l'Albcsan,  l'ecevait  chaque  joui"  des 
renforts.    Les   A uslro  -  Sardes   n'a- 


4oo 


vie 


valent  à  lui  opposer  que  viiigl-cinq 
mille  hommes,  poste's  entre  Ceva  et 
Dcmoiit ,  mais  qui  furent  renforces 
par  dix  raille  Autrichiens.   A  celte 
actiA'ite'  des  Français,   pour  se  ren- 
dre maîtres  de  toutes  les  sommités  , 
succéda   une   immobilité  subite.  On 
pensa  qu'ils  attendaient,  pour  se  pré- 
cipiter dans  la  plaine  ,  le  signal  des 
traîtres  ,  leurs  alllliés  _,  en  Piémont , 
déconcertés  par  la  fermeté  de  la  cour 
de  Turin  ,  qui  lit  passer  par  les  ar- 
mes les  deux  commandants  des  forts 
de  Savourges   et   de  Mirabouc.  l^a 
nouvelle  de  la  chute  de  Robespierre 
vint  tout  éclaircir  :  le  coup  fata' ,  tjui 
menarail  le  Piémont,  resta  suspen- 
du.  Les   Français ,   à   la   suite    de 
quelques  actions  sans  résultat,  quoi-  , 
que  assez  vives  ,  se  bornèrent  à  éloi- 
gner les  Austro-Sardes  de  Savouc  , 
et  à  s'assurer  la  possession  de  toutes 
les  avenues  de  Nice,  de  Savone  et  de 
Gênes.  Des  neiges  pre'coces  forcèrent 
les  deux  partis  à  prendre  lenr  quar- 
tier d'hiver  de  bonne  heure.  Quoique 
Victor  -  Amédée  fût  dans  une  posi- 
tion plus  resserrée  que  celle  de  l'an- 
née précédente ,   il  dut    se  féliciter 
d'avoir  vu  l'euncmi  obligé  de  se  re- 
tirer malgré  la  supériorité  do  ses  for- 
ces, et  sans  avoir  pu  se  rendre  maî- 
tre d'aucune   de  ses   places   fortes. 
Après  trois  ans  de  guerre,  le  Pié- 
mont se  trouvait  encore  intact;  mais 
les  principales  causes  de  cet  avantage 
n'étaient  dues  qu'a   l'indécision  des 
généraux  français  ,  à  la  chute  de  Ro- 
bespierre et  à  la  découverte  de  quel- 
ques complots  intérieurs.  La   secte 
révululiounaire  avait  des  alllliés  en 
Piémont,  dans  toutes  les  classes  de 
la  société  ,  à  l'exception  des  paysans 
et  des  soldats,  dont  les  sentiments 
affectueux,  pour  la  personne  du  roi 
étaient  hors  de  doute.  C'était  dans 
la  classe  moyenne ,  et  même  parmi 


Vie 

la  noblesse ,  que  Victor-Amédée  trou- 
vait le  plus  de  censeurs  et  de  mécon- 
tents; et  c'était  surtout  pour  défen- 
dre les  biens  et  les  prérogatives  de 
cette   classe    d'hommes    ingrats    et 
pervers   qu'il  avait  donné  aux  no- 
bles et   aux    riches    l'exemple   des 
privations  personnelles,  en  envoyant 
sa  vaisselle  à  la  monnaie,  en  faisant 
fermer  son  théâtre,  et  en  vendant 
ses   équipages  de  chasse.  Il  n'avait 
épargné ,  à  l'armée ,  ni  sa  jiersonnc 
ni  ses    (ils  ;   et,   pendant  qu'il  ex- 
posait   sa   tête   vénérable  aux    ha- 
sards de  la  guerre,  les   princesses, 
ses  brus ,  ensevelies  dans  une  jiro- 
fonde  retraite  ,  n'avaient  cessé  d'in- 
voquer le  ciel  |ioiir  le  salut  de  l'Etat, 
ipar  des  prières  et  des  bonnes  œuvres. 
Mais  le  danger  devenait  chaque  jour 
j)his  pressant;  et  la  cour  de  Vienne 
elle-même  tremblait  de  voir  le  Mi- 
lanais envahi.  Alors  elle  envoya  quel- 
ques renforts, mais  que  ses  généraux 
inhabiles   ne   surent  pas   employer. 
Ils    n'obtinient  ,    après    un    assez 
brillant  début ,   en    179^,  à  la  tète 
de  soixante-cinq  raille  hommes  ,  que 
des  succès  partiels  et  Insignifiants; 
et  pourtant  leurs  forces  surpassaient 
d'un  tiers    celles  des   Français.   La 
campagne  allait  se  prolonger   ainsi 
dans  de  petits  faits  d'armes  ou  dans 
une  entière  immobilité  ,  quand  ,   le 
•i4  novembre,  le  général  Schérer, 
dont  l'armée  s'était  augmentée  de 
toutCN  les  forces  dirigées  auparavant 
contre  l'Espagne,  prit  l'oirensivc  sur 
toute  la  ligne,  et  gagna  sur  le  baron 
de  Vins  la  bataille  de  Loano.  Satis- 
fait d'avoir  rétabli  ses  communica- 
tions avec  Gênes,  Schérer  prit  ses 
quartiers  d'hiver  dans  la  vallée  du 
Tanaro  et  dans  la  Haute-Bormida  , 
reportant   ainsi  son  armée  dans  la 
inême  position  qu'elle  occupait  à  l'ou- 
verture de  la  campagne.  Si  en  France 


I 


vie 

on  le  Llàma  de  n'avoir  pas  nse  plus 
complctcnicnt  de  la  victoire,  le  ba- 
ron de  Vins  fut  blànie'  plus  vivement 
encore,  et  avec  plus  de  raison,  pour 
avoir  termine  par  une  défaite  et  une 
retraite  honteuse  une  campagne  qui 
avait  donné  tant  d'espérances.  Ainsi 
tout  espoir  d'être  sauvé  par  l'Autri- 
che fut  perdu  ;  et  l'esprit  public 
déclina  sensiblement  à  Turin.  On  y 
soutenait  ouvertement  que  le  roi  n"a- 
vait  plus  qu'à  suivre  l'exemple  don- 
né par  ri">spae;ne  ,  la  ïuscaue  et  la 
Prusse,  qui  venaient  de  conclure  avec 
la  république  française  leur  paix  sé- 
parée. Celte  opinion  fut  exprimée 
même  en  présence  du  roi ,  et  il  y  eut 
dès  -  lors  dans  son  conseil  ,  comme 
dans  tous  les  autres  cabinets  ,  le 
jiarti  de  la  paix  et  le  parti  de  la 
guerre.  Le  premier  s'apj)uyait  sur 
quelques  ouvertures  faites  par  ie  mi- 
nistre français  à  Gènes  i'^),  mais  qui 
n'étaient  pas  susceptibles  d'une  né- 
gociation sérieuse.  Le  parti  de  la 
guerre  l'ayant  emporté,  on  conclut 
qu'il  valait  mieux,  comme  dit  Ma- 
chiavel ,  céder  à  la  force  qu'à  la  peur 
de  la  force.  On  venait  d'ailleurs  d'ê- 
tre informé  à  fond  des  desseins  de 
la  France,  résolue  de  frapper  cette 
année,  en  Italie,  un  couj)  décisif.  Le 
roi,  en  conséquence,  lit  partir  pour 
Vienne  le  baron  de  Latour  et  le  mar- 
quis de  Saint  -  Marsan,  chargés  de 
déclarer  à  l'empereur  qu'il  se  verrait 
obligé  de  pi'cter  l'oreille  aux  ouver- 
tures de  l'ennemi  commun,  si  les  al- 
liés ne  venaient  pas  à  son  secours , 
avec  des  moyens  proportionnés  à 
l'imminence  du  danger.  Le  roi  ne  né- 
gligea pas  de  solliciter  l'assistance 
des  petites  puissances  de  l'Italie,  les 
pressant  de  concourir  à  la  défense 
commune,   au  moins  par  quelques 

(ï!  M.  Viil^.1-. 

XXV  m. 


Vie  4oi 

subsides.  Le  pape  promit ,  mais  n'eut 
le  temps  de  rien  elicrtner.  Le  roi  de 
Naples  annonça  vingt  mille  hommes, 
et  il  n'envoya  que  deux  mille  che- 
vaux :  mais  de  grands  renforts  arri- 
vèrent d'Allemagne  j  et  le  général  de 
Vins  fut  remplacé  par  le  baron  de 
Beaulieu  ,  dont  la  réputation  militai- 
re était  mieux  établie.  Le  nouveau 
général  et  le  baron  de  Colli ,  com- 
mandant les  troupes  piémontaises , 
se  concertèrent,  et  formèrent  le  pro- 
jet de  couper  h  ligne  de  l'ennemi  sur 
le  point  de  wSavone.  IMais  ce  projet 
fut  bientôt  déconcerté  par  l'impé- 
tuosité du  nouveau  chef  de  l'armée 
française.  C'était  lîuonaparle,  qui, 
prenant  lui-même  l'oiïcnsive,  força 
le  passage  dos  Apennins,  après  plu- 
sieurs combats;  sépara  les  Autri- 
chiens des  >ardes,  et  poussant  ces 
derniers  l'épée  d.ms  les  reins  ,  sur  la 
route  de  Céva  et  de  Mondovi ,  arriva 
aux  portes  de  Cherasco,  et  vint  me- 
nacer Turin.  Celte  incroyable  célé- 
rité porta  (lans  la  capitale  la  cons- 
ternation et  l'elfroi.  Dans  ce  moment 
de  désordre  et  de  confusion ,  Cheras- 
co, avec  deux  mille  hommes  de  gar- 
nison, soutenus  au-dehors  par  diiré- 
rents  corps  d'armée,  et  oilrant  un 
point  important  de  ralliement  et  de 
résistance ,  ouvrit  ses  portes  sans 
coup  férir.  Beaulieu ,  qui  venait  en 
toute  hâte  ])Our  réparer  l'énorme 
faute  de  s'être  sépare  de  son  allié, 
rebroussa  chemin,  abandonnant  le 
Piémont  à  lui-même.  On  ne  peut  pas 
douter  que  dans  cette  occasion  l'éva- 
cuation précipitée  de  Cherasco  n'ait 
été  préparée  par  les  partisans  de  la 
paix  ou  les  adhérents  secrets  de  la 
France.  Le  roi,  voyant  l'abattement 
général ,  et  circouA'enu  d'ailleurs  par 
des  conseils  perfides,  enjoignit  au 
chef  de  son  armée  de  se  replier  sons 
les  murs  de  Turin;  et  il  envova  pro- 
2(3  " 


402 


VIG 


poser  au  général  Buonaparte  une  sus- 
pension d'armes.  Il  ne  pouvait  l'ob- 
tenir qu'en  niellant  sa  couronne  à  la 
merci  de  la  France  révolutionnaire. 
C'était  oublier  entièrement  l'exemple 
de  ses  aïeux ,  qui ,  dans  des  guerres  les 
plus  malheureuses ,  avaient  évité  soi- 
gneusement de  se  placer  sous  le  joug 
de  la  France  ou  de  l'Autriche.  D'ail- 
leurs rien  n'était  encore  désespéré. 
Pas  une  forteresse  n'était  au  pouvoir 
de  l'armée  française.  Elle  ne  venait 
de  pénétrer  en  Piémont  que  par  un 
étroit  dédié,  elle  manquait  de  grosse 
artillerie  ;  et  cette  première  invasion 
n'était    véritablement     qu'une    sur- 
prise.   Si,    ralliant    ses   troupes  et 
armant  sa  capitale,  le  roi,  secondé 
par  les  princes  ses  fils,  se  fût  replié 
en  hâte  vers  le  Tésin,  donnant  par- 
tout le  signal  de  la  résistance,  nul 
doute  que  la  masse  de  la  nation  pié- 
montaiscne  se  fût  armée  pour  la  pa- 
trie; et  quel  exemple  c'eût  été  pour 
le  reste  de  l'Italie  !  En  admettant  mê- 
me que  le  Piémont  eût  été  occupé,  le 
roi  tôt  ou  lard  l'aurait  recouvré,  à 
l'aide  de  ses  alliés  et  de  son  peuple 
fidèle  (3).  Il  oublia  trop  prompte- 
ment  qu'il  avait  souvent  répété ,  à 
son  départ  de  Turin  pour  se  rendre  à 
l'armée  de  Nice,  en  i7<)3,  qu'il  s'en- 
sevelirait plutôt ,  comme  Priam ,  sous 
les  ruines  de  son  palais  que  de  con- 
clure aucun  traité  avec  les  révolu- 
tionnaires. Mais  la  crise  était  trop 
forte  pour  Viclor-Amédée.  Il  céda  à 
des  conseils  pusillanimes  et  qui  de- 
vaient le  perdre.  La  suspension  d'hos- 
tili-ës  ne  fut  obtenue  qu'en  livrant  à 
Buonaparte,  pour  places  de  sûreté, 
Coni  et  Tortonc.  Dès  le  lendemain , 


(3^  NtitaniTiiRiil  en  '70'-l  >  «^poQue  où  sn  présence 
eût  rtfjouf  les  pi'iijci.sdi'  l'Auliiciiesar  le  Piémont, 
et  prévenu  peut-èlre  les  fatales  conséquences  du 
luecoiitenteDient  de  la  Russie,  qui  voulait  rétablir 
le  roi  Je  .Sai  daigne,  et  qui  en  avait  d.*niic  l'ordre 
à  son  scnénUcn  chef  Souwarow     (f^oj:  ce  nom  ). 


VIC 

ce  général,  certain  d'avoir  désarme' 
le  Piémont,  se  mita  la  poursuite  des 
Autrichiens.  A  compter  de  l'armisti- 
ce ,  Viclor-Amédée,  environné  de 
troupes  françaises  dans  sa  capitale  , 
fut  en  butte  à  toutes  les  rigueurs,  à 
toutes  les  violences  du  Dii'cctoire  de 
la  république  française;  et   ce  gou- 
vernement nouveau  lui  imposa  des 
lois  plusdiuTS,  des  conditions  plus 
sévères  que  jamais  prince  de  la  mai- 
son de  Savoie  n'en  avait  subi ,  dans 
aucun  temps ,  de  la  part  des  rois  de 
France.  Le  cœur  de  Victor- Amédée 
en  fut  navré  de  tristesse  ;  et  ses  peu- 
ples partagèrent  sa  douleur.  On  était 
consterné  ;  on  gémissait  du  présent, 
on  tremblaitpourravcnir.  Ce  malheu- 
reux prince  ne  survécut  que  six  mois 
à  cette  funeste  capitulation.  La  fin  de 
sa  vie  fut  troublée  par  des  réformes 
affligeantes,  par  de  cruels  embarras 
de  finances  ;  et  les  derniers  jours  d'un 
règne  si  long-temps  prospère  s'écou- 
lèrent dans  les  larmes  et  les  humilia- 
tions de  tous  les  genres.  Frappé  d'u- 
ne   attaque   d'apoplexie  à  ftlontca- 
lier  ,1e   1 5  octobre  1 79(1 ,  il  mourut 
le  lendemain,  sans  avoir  repris  con- 
naissance, et  fut  enterré  à  Superga, 
où  reposaient  ses  ancêtres.  Ce  prince, 
qui  n'eut  jamais  ni  maîtresse  ni  fa- 
voris ,  vécut  toujours  dans  une  union 
parfaite  avec  la  reine  son  épouse.  II 
survécut  de  plusieurs  années  à  celte 
princesse  ,  et  composa  l'épitaphe  qui 
devait  être  gravée  sur  son  tombeau. 
Il  eut  d'elle  cinq  fils  et  quatre  filles, 
savoir  :  Charles-Éinanuel,  prince  de 
Piémont,  qui  lui  succéda  {Vojez  ce 
nom  ,  au  Supplément  )  ;  Victor-Éina- 
nucl  V  ,  duc  d'Aosle,  dont  l'article 
suit:  Charles-Félix,  aujourd'hui  ré- 
gnant; enfin  le  duc  de  IMoiîtferrat 
et  le  comle  de  Maurienue.   De  ces 
princes,  Charles-Félix  est  le  seul  vi- 
vant. B — p. 


VIG 

YICTOR-Éi.IANUEL  I"'. ,  II  , 
III  et  IV.  Foy.  Savoie, 

VlCTOa-ÉMA^UHL  V   {Gas- 

TON- JtAN-NEPOMUcÈ>E    )  ,     roi     dc 

Sardaij^iie,  (ils  |)iiîiicde  Victor-Ame- 
dee  lir,  et  de  Marie- Antuinette- 
Ferdiiiaiide,  iulaute  d'Espagne,  ne 
le  'i!\  juillet  1759,  reçut  en  naissant 
le  nom  de  duc  d'Aoste.  Ce  prince 
eut  mie  jeunesse  grave,  montia  de 
bonne  heure  un  poncliant  décide 
pour  les  armes ,  et  fut  jnomu ,  dès 
1780,  au  grade  de  capitaine  général. 
Ce  fut  lui  qui  commanda  toujours 
les  camps  d'exercice  que  le  roi  for- 
mait assez  souvent,  surtout  vers  la 
fin  de  son  régne.  Le  prince  de  Pic- 
mont,  héiilier  de  la  courunne.  qui 
s'était  uni  à  la  sœur  de  Louis  XVI , 
n'ayant  jiuint  d'enfant,  le  roi  son- 
gea à  marier  le  duc  d'Aosle.  La 
main  de  IMarie-ïliérése  d'Autriclic, 
fille  de  l'arcliiduc  Ferdinand,  gou- 
verneur du  >Iilanai3.  fut  oblenuejet 
le  second  fils  de  Victor  -  Amédée 
épousa  cette  princesse  le  i\  avril 
1789.  Tout  prospérait  dans  la  mo- 
naicliie  piémon{aise,et  le  vieux  mo- 
narque semblait  devoir  finir  sa  carriè- 
re dans  une  profonde  paix,  lorsque  la 
révolution  IVt-.ncaise  vint  troubler  le 
repos  de  tous  les  États.  Leduc  d'Aos- 
te se  prononça  lortcment  contre  les 
novateurs  ;et  placé  a  la  tète  des  trou- 
pes sardes  il  dirigea  leurs  premiers 
efforts  contre  les  Français  ,  en  1 792. 
Lors(pi'il  fut  question  l'année  sui- 
vante de  reprendre  la  Savoie  et  le 
comté  de  Nice,  il  fut  mis  à  la  tète 
du  corps  d'armée  qui ,  de  concert 
avec  la  division  du  major-général 
autrichien  Strasoido ,  devait  agir  sur 
le  \  ar  ,  dans  la  direction  de  Nice  , 
tandis  que  le  duc  de  Monlferrat  pé- 
nétrerait en  Savoie,  par  la  vallée 
d'Aoste  et  par  le  Mout-Ceuis.  A  la 
première  apparitioii  du  duc  d'Aoste, 


VIC  4o3 

tout  plia  devant  lui.  Dirigeant  en 
personne  l'attaque    du    village    de 
Gillette  ,  il  passa   le   col  de  Vial , 
côtoya   les  limites   orientales  de  la 
Provence,  enleva  les  postes  de  Del- 
terre   et  de  Boyon ,  et  se  présenta 
aux  bouches  du  Var.  Mais  il  ne  fut 
pas  soutenu  par  de  fortes  réserves, 
comme  il  l'avait  demandé.  Cepen- 
dant il  venait  de  battre  les  Français 
à   Gandola  ,  et ,   coupant  leur   aile 
droite ,  il  était  sur  le  point  de  re- 
prendre Nice  ;   mais   le  comte    de 
Saint-André,  qui  devait  s'emparer 
du   poste  d'Utele ,  fut  repoussé  ,  et 
cet  échec  mit  le  duc  d'Aoste  dans  la 
nécessité  d'opérer  sa  retraite.  C'é- 
taient surtout  les  lenteurs  du  général 
autrichien  de  Vins  qui  avaient  don- 
né le  temps  aux  républicains  de  se 
rallier  et  d'opposer  une  résistance  à 
laquelle  on  ne  s'était  ])as  attendu. 
Dès-lors  les  hostilités  dans  les  Alpes 
maritimes    reprirent    le    caractère 
qu'elles  avaient  eu  précédemment  , 
celui  d'une  guerre  de  chicane.  L'of- 
fensive n'eut  pas  plus  de  succès  en 
Savoie;  et  l'on  vit  ainsi  s'évanouir 
tous  les  projets  d'une  campagne  qui 
pouvait  être  décisive  par  les  moyens 
extraordinaires  qu'avait  réunis  le  roi 
de  Sardaigne,  et  par  la  détresse  011 
se  trouvaient  les  républicains  fran- 
çais attaqués  à -la-fois  sur  tous  les 
points  et   par  toutes  les  puissances. 
La   campagne  de    1794  ^^^  encore 
plus  fâcheuse  ,  puisque  les  Français 
furent  sur  le  point  de  pénétrer  en 
Piémont,  par  la  vallée  du  Tanaroj 
et  le   duc   d'Aoste  y  eut   d'autant 
moins  d'occasions  de   signaler  son 
courage  que  les  généraux  autrichiens 
rég'èreut  seuls  les    opérations.  Ce- 
pendant vers  le  mois  d'août    1 795  , 
le  baron  dc  Vins  engagea  ce  prince  à 
tenter  une  diversion  au  IMont-  Genè- 
vre,  pour  erapêclier  les  troupes  fran- 
26.. 


4o4  VTC 

çaiscR  (le  refluer  contre  lui  du  cote 
de  Savonc.  Quoique  bien  combinée  , 
cette  attaque  encore  tardive  n'eut 
aucun  succès.  Le  ^4  novembre ,  le 
gênerai  Sclicrer  ç;agna  sur  le  baron 
de  Vins  la  bataille  de  Loauo,  où  les 
troupes  piemontaises  seules  ne  furent 
point  entamc'es.  Déjà  le  faisceau  de 
la  coalition  ciu-opéenne  était  rompu 
par  la  défection  de  l'Espagne  ,  de  la 
Prusse  et  de  la  Toscane.  Mais  Vic- 
tor-Amcdee  restait  inébranlable  dans 
son  alliance  avec  l'Autrirlie.  Des 
renforts  considérables  allaient  lui 
arriver  d'Allemagne.  On  était  même 
convenu  à  la  cour  de  Tinin  de  reje- 
ter le  système  funeste  des  cordons , 
et  enfin  d'acir  en  masse.  Mais  l'in- 
vasion  subite  de  Buonapartc  vmt 
tout  déconcerter.  Par  une  suite  de 
mouvements  rapides  et  d'actions 
aussi  heureuses  que  bien  combinées , 
franchissant  les  Apennins,  ce  géné- 
ral sépara  les  Austro-Sardes,  inonda 
la  plaine,  et  vint  aux  portes  de  Tu- 
rin dicter  à  Victor- A  médée  les  con- 
ditions d'une  paix  désastreuse.  En 
vain  le  duc  d'Aoste  opina  fortement 
dans  le  conseil  pour  la  continuation 
de  la  guerre.  Six  mois  plus  tard, 
Victor-Amédée  descendit  au  tom- 
beau ,  léguant  sa  couronne  mutilée 
et  brisée  au  prince  de  Piémont,  qui , 
le  iG  octobre  1796.  prit  le  nom  de 
Cliarles-Emanuel  IV  {F",  ce  nom  au 
Supplément  ).  Subjugué  ,  opprimé 
par  la  France,  le  nouveau  roi  con- 
courut forcement  à  la  conquête  du 
reste  de  l'Italie  par  les  Français; 
mais  vers  la  fin  de  1798,  et  à  la 
veille  d'une  nouvelle  guerre,  ceux- 
ci  résolurent  de  le  dépouiller  entière- 
ment et  de  le  forcer  d'abdiquer. 
C'était  moins  le  roi  qu'ils  redou- 
taient que  son  frère  le  duc  d'Aoste  ; 
ce  prince  ayant  toujours  été  repré- 
senté commo  opposé  à  la   paix  ,  et 


Vie 

nourrissant  une  haine  implacable 
contre  la  France  républicaine.  Ils  le 
croyaient  même  capable  de  tenter 
quelque  grande  entreprise.  L'ordre 
d'arrêter  le  roi  avec  toute  sa  famille, 
s'il  se  refusait  à  souscrire  son  abdi- 
cation ,  venait  d'être  donné.  Le  géné- 
ral Clausel ,  chargé  par  le  général 
eu  chef  Joubcrt  de  cette  mission  dé- 
licate, voulut  d'abord  s'assurer  de 
la  personne  du  duc  d'Aoste,  mais 
sur  les  représentations  du  roi  et  de 
la  reine  il  n'insista  plus  •  il  exigea 
seulement  que  le  duc  souscrivît  lui- 
même  l'abdication  de  son  frère  •  ce 
que  le  prince  fit  en  ces  termes  :  «  Je 
»  garantis  que  je  ne  porterai  aucun 
))  empêchement  au  présent  acte.  » 
Dès-lors  le  roi  et  sa  famille  furent 
libresdese  retirer  en  Sardaigne.  Dans 
l'intervalle,  le  gouvernement  français 
avait  décidé  que  le  roi ,  le  duc  d'Aoste 
et  les  autres  princes  ,  ses  frères  ,  se- 
raient conduits  prisonniers  en  Fran- 
ce ;  mais  quand  cet  ordre  arriva  , 
déjà  toute  la  famille  royale  était  aux 
portes  de  Parme.  De  là  le  roi  et  les 
princes  se  dirigèrent  sur  Florence  , 
où  le  grand-duc  leur  fit  l'accueil  que 
réclamaient  à-la-fois  leur  rang  et 
leurs  malheurs.  Au  commencement 
de  1799,  Victor-Éraanuel  partit  de 
Livourne  pour  la  Sardaigne  avec 
ses  frères,  et  il  arriva  le  3  mars  en 
vue  de  Cagliari.  Là  il  fit  une  pro- 
testation publique  contre  les  violen- 
ces qui  l'avaient  contraint  d'aban- 
donner ses  Etats  du  continent.  Le 
gouvernement  français  irrité  d'a- 
voir laissé  échapper  de  pareils  ota- 
ges présenta  ,  dans  une  espèce  de 
manifeste,  le  duc  d'Aoste  comme  un 
aulrr  Vieux  de  la  montagne^ n'ayant 
pas  cessé  d'ordonner  l'assassinat  des 
Français  à  des  bandes  de  sicaires 
qu'il  dirigeait.  En  1799,  les  Austro- 
Russes  s'étanl  emparés  du  Piémont, 


VIG 

le  duc  d'Aoste  quitta  l'île  de  Sardai- 
gnc  et  vint  en  Italie  avec  le  roi ,  son 
iVcre  ,   qui    se  flattait  de  rentrer  à 
ïiirin  ;  mais   il  en  fut   autrement: 
l'Autriche   lit  occuper    le  Piémont 
en   son   nom.  Devenu  ainsi  le  jouet 
d'une  politique  ambitieuse  ,  Cliarles- 
Émanuel ,  dégoûté  du  monde  ,  abdi- 
qua, en  1802,  le  trône  de  Sardai- 
gnc  ,  oîi  fut  appelé'  le  duc  d'Aoste , 
sous  le  nom  de  Victor-Émanuel  V. 
Ce  prince  qui  avait  habite  successi- 
vement Florence  ,  Rome  et  Naples, 
resta  dans  ce  royaume ,  et  ne  vint 
habiter  la  Sardaigne  qu'au  mois  de 
février  1806.  11   lit  alors   éclater  , 
dans  l'étroite  sphère  de  ses  États,  cet 
esprit  d'humanité  et  de  justice  inhé- 
rent aux  princes  de  sa  race.  Il  afVec- 
tionnait  singulièrement  l'île  de  Sar- 
daigne ,   et  pendant  tout   le  temps 
de  sa  résidence  ,  il  ne  cessa  d'y  per- 
fectionner l'administration  et  d'amé- 
liorer le  sort  du  peuple.  De  nombreux 
c'dils  y  régularisèrent  la  police  et  as- 
surèrent l'ordre  et  la  tranquillité.  Un 
conseil  suprême  de  révision  et  une 
commission   d'amortissement    pour 
l'extinction  des  dettes  de  l'État   fu- 
rent créés.  La  culture  des  oliviers  , 
des  mûriers,  celle  des  prairies  artifi- 
cielles furent  encouragées.  L'île  fut 
divisée  en  quinze  départements  à  la 
tête  de  chacun  desquels  le  roi  mit  un 
préfet.  Victor-Émanuel ,  suivant  ses 
anciens  goûts ,  mit  beaucoup  d'im- 
portance à  se  créer  une  armée  :  il 
forma  six  régiments  de  cavalerie  et 
quinze    régiments  d'infanterie  pro- 
vinciale ,    donnant    également    des 
soins  à  la  marine,  pour  laquelle  il  fit 
de  nouveaux  règlements.  Mais  ces 
essais   d'améliorations  n'eurent  pas 
tout  le  succès  qu'il  eu  espérait.  Eji 
perdant  le  Piémont,  ce  prince  avait 
perdu  la  meilleure  partie  de  ses  reve- 
aus ,  et  l'île  de  Sardaigne  olFrait  peu 


VIG 


4oi) 


de  ressources.  Quoique  sa  neutralité 
eût  été  rccoiinue,  le  renouvellement 
de  la  guerre  entre  l'Angleterre  et  la 
France    le    plaça  dans    des   inquié- 
tudes continuelles.   Ne    pouvant    se 
soutenir    que   par    les   subsides   de 
l'Angleterre  ,  Victor  -  Émanuel  mit 
toute  sa  politique  à   conserver   sou 
indépendance j   arec  un  petit  nom- 
bre de  soldats,  il  se  maintint  dans 
son   île,    tandis  que  les  trônes   les 
plus    élevés     s'écx'oulaieut    devant 
les  armées  de  Napoléon.  Mais  tout- 
à  -  coup   cet  homme   extraordinai- 
re vint  offrir ,  par  sa  chute ,  un  des 
plus   grands    exemples   des   vicissi- 
tudes de  la  fortune.   Les  rois  ligués 
et  victorieux  jugèrent  enfin  qu'ils  ne 
pouvaient  rétablir  l'ordre  en  Kuropc 
que  sur  les  anciennes  bases  ',  et ,  par 
le  traité  de  Paris  ,  Victor-Fiinanuel 
recouvra  une  partie  de  la  Savoie  ,  le 
comté  de  Nice ,   le   Montferrat ,  le 
Piémont,  et  toute  cette  partie  de  la 
Lombardie  qu'avaient  acquiseVictor- 
Amédée  II ,  et  son  fils  Gharles  Ema- 
nuel. Laissant  la  reine  eu  Sardaigne 
avec  le  titre  de  régente,  ceprincevint 
dans  ses  États  de  terre  ferme  ,  et  fit 
sa  rentrée  à  Turin  _,  le  20  mai  i8i/p 
La  restauration  inattendue  de  la  mo- 
narchie piémontaisc   llatta  le  juste 
orgueil  de  la  nation  ,  et  combla  ses 
vœux.  A  l'arrivée  de  son  roi  le  plus 
vif  enthousiasme  se  manifesta. Victor- 
Émanuel  retrouvait  plus  que  l'héri- 
tage de  ses  pères  j  à  peine  eut-il  re- 
passé les  monts  ,  que  le  congrès  de 
Vienne  lui  donna  le  pays  de  Gênes. 
Ce   prince    marqua    son  rétablisse- 
ment par   des  actes  d'une  véritable 
restauration  politique.    Il  reconnut 
les  dettes  abolies  par  les  gouverne- 
ments  révolutionnaires  ,  et  restitua 
les  biens  et  les  rentes  aux  corpora- 
tions. Sa  sollicitude  se  tourna  ensuite 
vers  ceux  de  ses  sujets  qiù  l'avaient 


4o6 


Vie 


suivi  dans  son  exil  _,  après  avoir  com- 
battu pour  sa  couronne.  Unc'dit  (ixa 
rindomnitc  qu'obtinrent  tous  les  c'mi- 
grcs  dépouilles  dans  le  comte  de 
Nice  et  la  Savoie,  et  la  plupart  des 
emplois  turent  confiés  à  des  liomnies 
restés  fidèles;  du  reste,  le  gouverne- 
ment l'ut  rétjbli  sur  ses  anciennes 
bases.  11  n'y  eut  d'exception  que 
pour  le  pays  de  Gênes  ,  où  le  roi  se 
réserva  de  faire  des  modifications 
assorties  aux  mœurs  et  aux  besoins 
d'un  peuple  que  des  concessions  im- 
pcriantes  ,  en  malière  de  commerce, 
ne  pouvaient  consoler  de  la  perte  de 
son  indépendance.  Une  armée  toute 
nouvelle  l'ut  organisée;  les  places  ,  le 
matériel  de  l'artillerie  qui  avaient 
disparu ,  furent  successivement  re- 
créés sans  nouveaux  impôts  et  sans 
emprunt.  Ainsi  Turin,  naîruèresiécre 
u  une  préfecture  frauçaise,  et  leroyau- 
me  de  Piémont  ,  depuis  quiuze  ans 
ellaccde  la  carte  de  l'Europe  ,  repa- 
rurent avec  leur  ancienne  splendeur, 
leurs  institutions  ,  leur  culte  ,  leur 
noblesse,  leur  armée,  leurs  finances, 
leur  administration.  Quatre  millions 
et  demi  d'habitants,  sur  un  sol  gé- 
néralement feitilc  où  la  grande  pro- 
priété avait  conservé  son  influence, 
formaient  la  Itase  de  la  puissance 
piémontaise.  Turin  futembelli, agran- 
di; et  de  su|)erbes  routes  s'ouvrirent 
dans  toutes  les  directions.  Enfin  ,  le 
monarque,qui  avait  j)ris  fraucliement 
la  morale  pour  base  de  son  gou- 
vernement ,  s'était  déclaré  le  reslau- 
raleur  des  droits  nationaux  ,  le  chef 
de  sa  noblesse  et  le  père  de  ses  pén- 
ibles. 11  plaça  ,  il  est  vrai,  de  préfé- 
rence, auprès  de  lui,  tous  ses  an- 
ciens serviteurs  ;  mais  en  bon  roi  il 
accueillit  tous  ceux  que  les  circons- 
tances ou  même  leur  penchant  avaient 
jeté  dans  le  parti  révolutionnaire,  et 
qui  semblaient  revenir  de  bonne  foi. 


VIG 

Si  son  pouvoir  resta  absolu,  comme 
celui  de  ses  pères,  sa  justice  n'en  lut 
jias  moins  éclairée,  ni  son  adminis- 
tration moins  paternelle.  Sous  les 
rapports  politiques  ,  son  cabinet  avait 
recommencé  son  existence  par  des 
contestations  avec  l'Autriche  ,  et  le 
voisinage  de  cette  puissance  lui  sem- 
blait déjà  plus  importun  que  celui  de 
la  France.  Mais  tout-à-coup  l'Euro- 
pe retomba  dans  ses  anciennes  agi- 
tations. Buonaparte,  échappé  de  l'île 
d'Eibe  ,  s'était  remis  à  la  tête  de  la 
nation  française,  et  déjà  il  menaçait 
la  tranquillité  de  tous  les  Etats.  Les 
troupes  sardes  se  combinnnt  aussitôt 
avec  les  Autrichiens  prirent  l'ollcn- 
sive  vers  Chanibéri  et  Grenoble.  Le 
même  mouvement  qui  renversa  bien- 
tôt Murât  et  Huonapartc  reporta  les 
rois  de  France  et  de  jNaples  sur  leurs 
trônes,  etrailermit  sur lesien Victor- 
Emanuel.  La  France  lui  rendit  parle 
second  traité  de  Paris  la  partie  de  la 
Savoie  qu'elle  avait  conservée  par 
celui  de  1814.  Ses  droits  de  ])rotec- 
tion  sur  la  principauté  de  Monaco 
furent  aussi  transférés  à  Victor-Éma- 
nuel.  Deux  cent  mille  âmes  ren- 
trèrent ainsi  sous  la  puissance  sarde, 
et  tout  marcha  bientôt  dans  cette 
monarchie  vers  le  bonheur  et  la 
prospérité.  Il  y  eut ,  celte  même  an- 
née, entre  le  cabinet  de  Turin  et 
celui  de  Vienne  ,  des  négociations 
pour  raccom])lissement  de  l'article 
du  traité  de  Vienne,  par  lequel  les 
places  fortes  du  Piémont  et  delà  Sa- 
voie devaient  être  rétablies.  Soit  né- 
gligence ,  soit  défaut  de  moyens  ,  les 
travaux  avançaient  peu;  on  résolut 
de  leur  imprimer  plus  d'activité. 
Mais  au  milieu  de  tous  les  éléments 
d'une  prospérité  générale  ,  une  sorte 
de  mal-aise  et  de  fermentation  tra- 
vaillait tout  le  corps  social  euro- 
péen 'y  il  était  évident  que  toutes  les 


VIG 

factions  nées  dans  le  sein  de  la  révo- 
lution française  venaient  de  se  rc'or- 
ganisci'  dans  les  contrées  où  l'on 
avait  l'ctabli  les  anciens  gouverne- 
ments. Vers  la  fin  de  1819,  le  si- 
gnal fut  donné  en  Espagne  ,  et  des  le 
i«''.  de  janvier  iBio  l'étendard 
d'une  révolte  militaire  y  fut  arboré. 
Le  plan  général  consistait  à  abaisser 
les  rois  ,  sous  prétexte  de  réformes 
et  en  les  soumettant  au  joug  d'une 
constitution  démocratique ,  sembla- 
ble à  celle  qui  avait  conduit  Louis 
XVI  à  l'écliafaud.  La  contagion  s'é- 
tait étendue  dans  le  Piémont ,  sur- 
tout parmi  les  jeiuies  militaires  tou- 
jours plus  accessibles  à  des  iunova- 
tions.  A  les  entendre  ,  ce  royaume 
était  sans  législation  fixe  et  dans  une 
espèce  de  barbarie.  Du  reste,  Victor- 
Émanuel  n'était  point  éloigné  de  se 
prêter  à  des  améliorations  qui  n'eus- 
sent pas  détruit  la  monarchie  dans 
ses  bases.  Dès  le  mois  de  février 
1821  ,  le  comte  de  Balbe,  ministre  de 
l'intérieur,  soumit  au  conseil  un  pro- 
jet de  législation  nouvelle  ,  et  le  roi 
rendit  un  édit  très-remarquable  par 
lequel ,  rappelant  l'exeniple  de  ses 
ancêtres,  attentifs  à  consulter  l'expé- 
rience et  les  vœux  de  ses  peuples,  il  dé- 
clarait sa  résolution  d'introduire  des 
améliorations  dans  la  législation.  Par 
ce  même  édit,  il  créa  une  junte  supé- 
rieure ,  chargée  d'examiner  les  lois 
existantes,  les  projets  déjà  proposés, 
et  ceux  qu'elle  pourrait  recevoir,  pour 
en  faire  un  corps  d'institutions  con- 
formes aux  besoins  du  peuple  et  aux 
lumières  du  siècle;  enfin,  par  une  pu- 
blication ultérieure  du  3  mars,  tous 
les  magistrats  et  toutes  les  autorités 
du  royaume  furent  invités  à  seconder 
la  junte  de  leurs  lumières.  Mais  était- 
il  prudent  de  mettre  la  main  à  des 
réparations  au  moment  même  où  l'on 
voyait  l'édifice  ébranlé?  Les  plus  fi- 


VIC  407 

dèles  serviteurs  de  la  couronne  étaient 
partagés  sur  cette  question.  Selon  de 
très-bons  esprits,  l'ordonnance  royale 
préparatoire  des  reformations  allait 
ouvrir  en  Italie  la  carrière  des  révolu- 
tions qu'elle  était  destinée  à  préve- 
nir. Il  y  eut  encore  quelques  muis  de 
calme.  Au  commenc<bent  d'août, 
l'ambassadeur  d'Espagne  demanda 
la  main  de  la  princesse  Marie-Thé- 
rèse ,  seconde  fille  du  roi,  pour  l'in- 
fant Charles-Louis  ,  prince  hérédi- 
taire de  Lucques.  Ce  mariage  fut  cé- 
lébré par  procuration  ,  à  Turin  ,  le 
1 5  août.  Le  roi,  voulant  conduire  lui- 
même  la  jeune  princesse  à  son  époux, 
s'embarqua  le  i*^"".  septembre  à  Gê- 
nes ,  et,  après  avoir  passé  quelques 
jours  à  Lucques,  il  revint  dans  sa 
capitale.  Partout  il  fut  accueilli  par 
des  témoignages  de  respect  et  d'a- 
mour; mais  au  milieu  de  ces  accla- 
mations on  distingua  des  cris  précur- 
seurs de  l'orage,  qui  déjà  avait 
éclaté  eu  Esp;igne  ,  en  Portugal  , 
et  à  l'extrémité  méridionale  de  l'I- 
talie. La  jeunesse  piémontaise  prê- 
tait l'oreille  à  des  suggestions  étran- 
gères ;  et  tout  annonçait  que  des 
mouvements  semblables  allaient  s'o- 
pérer à  Turin.  Cependant  le  roi  avait 
ordonné  à  ses  ministres  d'examiner 
et  de  suivre  le  projet  qui  devait  ap- 
porter des  changements  à  la  législa- 
tion et  à  quelques  branches  du  gou- 
vernement ;  et  depuis  le  mois  de 
novembre  le  travail  était  suivi  avec 
beaucoup  d'assiduité.  Mais  tandis 
qu'on  travaillait  ainsi  à  réparer  l'an- 
cien édifice,  les  révolutionnaires  pres- 
sés par  le  besoin  d'opérer  une  diver- 
sion eu  faveur  des  Carhonari  de  Na- 
ples,  que  l'Autriche  menaçait  de  toute 
sa  puissance  ,  mirent  tout  en  usage 
pour  faire  éclater  la  sédition.  Des 
écrits  virulents  furent  répandus  ,  et 
l'on  y  représenta  les  armes  de  l'Au- 


4o8  Vie 

triche  comme  deslinëes  à  asicrvir 
l'Italie  ;  ou  rappela  des  souvenirs 
qui  lie  pouvaieut  manquer  d'aigrir 
tous  les  esprits-  euliii  on  s'cllbrça 
d'irriter  le  roi  lui-même  contre  la 
cour  de  Vienne.  Mais  Victor-Ema- 
nuel  était  trop  religieux  observateur 
des  traites.  j|ps  factieux ,  ne  pouvant 
se  flatter  de  l'entraîner  dans  des  de- 
marciies  hostiles  contre  ses  alliés  ^ 
curent  recours  à  d'autres  moyens. 
Ce  fut  au  coiimicncemeut  de  janvier 
i8.ii  que  l'alUliation  j)iémontaise 
prit  la  forme  d'une  véritable  conju- 
ration j  elle  eut  deux  branches  prin- 
cipales :  celle  des  partisans  de  la 
Charte  française  avec  une  chambre 
des  ])airs^  et  celle  des  partisans  d'une 
révolution  à  l'espagnole  ,  avec  une 
chambre  unique  et  un  fantôme  de  roi, 
sur  les  mêmes  bases  et  avec  les  mê- 
mes cléments  qu'à  Mddrid,  à  Naples 
et  à  Lisbonne.  Cette  dernière  secte  , 
plus  nombreuse ,  ayant  pour  elle  les 
sociétés  secrètes  ,  ue  pouvait  man- 
quer de  l'emjjorter.  Le  parti  aristo- 
cratique ou  celui  des  deux,  cham- 
bres lui  était  inférieur  ,  non  en 
talents  ni  eu  ricliesses  ,  mais  en  au- 
dace et  en  activité.  Ce  parti  était 
d'ailleurs  contrarié  par  les  roya- 
listes ennemis  de  toute  forme  consti- 
tutionnelle. Les  conciliabules  ,  les 
conférences  mystérieuses ,  les  intri- 
gues scmulti|)liaicnt;  il  était  évident 
que  l'ou  touchait  à  une  crise  ;  le  gou- 
vernement seul  ne  voyait  rien  e!  n'en- 
tendait rien.  C'est  le  sort  de  tous  les  es- 
])rits  timides  dans  de  pareilles  crises; 
tous  les  conseils  ,  toutes  les  repré- 
sentations deviennent  inutiles.  Sans 
s'en  douter,  le  gouvernement  piémon- 
tais  se  trouvait  déjà  placé  sur  le 
penchant  d'un  abî}ue.  Le  1 1  janvier, 
jI  y  eut  jiarmi  les  étudiants  de  l'uni- 
ycrsitc  un  premier  mouvement  (|ui 
lui  réprimé  par  kb  troupes.  Le  peu- 


VIC 

pie  n'y  prit  aucune  part  ;  mais  cet 
événement  laissa  dans  les  esprits  nu 
levain  d'irritation  qui  se  développa 
lors  de  la  mission  du  comte  de  liub- 
na  ;  ou  crut  ce  général  autrichien 
chargé  de  demander  l'occupation  de 
qiielcjues  forteresses  et  d'autres  ga- 
ranties au  moment  où  l'armée  autri- 
chienne allait  s'enfoncer  dans  la  pé- 
ninsule. Le  gouvernement  de  Sardai- 
gnc  en  était  là  ,  lorsqu'il  reçut  du  ca- 
binet français  les  premiers  avis  sur 
la  trame  qui  s'ourdissait  entre  Pa- 
ris ,  Turin  ,  Madrid  et  Naples,  On  a 
expliqué  la  sollicitude  que  témoigna 
la  police  française  en  iaveiir  d'une 
monarchie  étrangère  et  absolue,  par 
le  dépit  de  voir  que  l'intrigue ,  char- 
gée de  faire  prévaloir  à  Turin  la 
Charte  française  allait  être  devan- 
cée par  la  conjuration  des  carbo- 
nari.  En  ellét ,  tandis  qu'à  Paris, 
on  faisait  tout  pour  imjioser  la  Char- 
te française  à  Victor  -  Éraanuel ,  les 
démocrates  gagnaient  le  vitesse  ,  et 
déjouaicnttous  ces  plans.  Le  marquis 
de  Priez,  le  chevalier  de  Perron  et  le 
prince  de  La  Cisterna,  gravement 
compromis  dans  les  communications 
faites  à  la  cour  de  Turin  ,  furent 
arrêtés  ,  .et  la  saisie  d'une  partie 
de  leurs  ])apiers  fit  découvrir  quel- 
ques (ils  de  la  trame.  Comment  tous 
ces  renseignements  n'éclairèrent -ils 
pas  le  gouvernement  piémontais  ? 
et  s'il  fût  éclairé,  comment  ne  prit-il 
aucune  mesure  eJlicacc  ?  La  conspi- 
ration n'était  plus  dqutcuse  ;  elle 
se  poursuivait  ouvertement,  et  les 
ministres  de  Victor-Emanuel  étaient 
seuls  dans  le  doute  et  l'hésitation. 
L'Autriche  avait  en  elïét  demande 
quelques  garanties,  taudis  que  son 
armée  allait  marcher  contre  les  ré- 
voliilionnaires  de  ]Na])!is.  Le  roi, 
plein  de  conliancc  dans  l'antique  fi- 
dclilé  de   ses  sujets,  persuadé  qu'il 


))Oiivuit   compter   sur   celle   de   ses 
1rouj)cs  et  de  tant  d'ollicicrs  qui  lui 
deviiieiit   tout,  ri'hesila  j)as  de  ré- 
pondre  qu'il  était  certain   de  leur 
obéissance  ,  el  que  l'opération  de  Na- 
ples  ne  serait   pas  troublée.    Il  est 
faux,  du  reste,   que   ce  prince   se 
fût  oblige  envers  l'Autriclie  à  n'in- 
troduire aucune  nouvfauîe  dans  ses 
États.  Cependant    la  découverte  de 
quelques-uns  des   fils  de  la    trame 
devint   uu   vif   stimulant   pour   les 
conspirateurs  ;  el  ils  se  concertèrent 
dans  des  conciliabules  pour  ne  plus 
dille'rer  l'exjilosion.  Sur  le  refus  du 
ç,éuérA  GiillenQ;a  de  se  mettre  à  la 
Icte  du  mouvement,  quatre  des  prin- 
cipaux meneurs  ,  Santa-Rusa  ,  Colle- 
guo  ,  Lisio  et  Charles  Asinari,  firent 
au  prince  de  Carignan  (G  mars)  Ja 
proposition  directe  de  forcer  le  roi 
Victor- Émanuel  à  faire  des  conces- 
sions, c'est-à-dire  à  chanç];er  la  forme 
du  gouvernement  et  à  déclarer  la  guer- 
re à  l'Autriche.  Le  mouvement  devait 
s'elTectuer  le  lendemain;  mais  le  prin- 
ce alia  ,  dit-on  ,  révéler  la  conjura- 
tion au  roi,  sans  pourtant  lui  nom- 
mer les  coupables,  et  il  prit  des  me- 
sures telles  qu'il  fit  avorter,  ce  j  our-là, 
le  complot.  Toutefois,  comme  ses  i-a- 
miflcalious  s'étendaient  à  Alexandrie, 
aucun  obstacle  ne  l'empêcha  d'écla- 
ter dans  cette  ville  ;  et  dans  la  soirée 
du  9  mars  les  conjures  s'emparèrent 
de  la  citadelle,  y  arborèrent  l'eteu- 
dard  de  la  révolte ,  et  proclamèrent 
la  constitution  d'Espagne.  A  la  pre- 
mière nouvelle  de  celte  insurrection , 
Victor-Emanuel  se  rendit  de  Mont- 
calier  à  Turin ,  et  il  convoqua  ses 
ministres  et  son  conseil.  Après  une 
longue  délibération  ,  ou  rédige^^fce 
déclaration  royale  dout  l'objet  jmii- 
cipal  était  de  démentir   les    bruits 
l'épandus  par  les  chefs  de   la  sédi- 
tion ,  et  d'après   lesquels  l'Autri- 


Vie  4orj 

che  aurait  demandé  le  licenciement 
des  troupes  et  l'occupation  des  forte- 
resses. L'intention  du  roi  était  de  se 
mettre  à  la  tête  de  .sa  garde  ,  de  la 
garnison  de   Turin  et  de   marcher 
sur  Alexandrie,  regardée  comme  le 
point  central  de   l'insurrection.  La 
garnison  de  Turin  avait  pris  les  ar- 
mes ,  elle  garnissait  la  place  Royale 
et    celle   du    château  ;    toutes     les 
trouj)es  paraissaient  dans  les  meil- 
leures dispositions.  Les   habitants  , 
sachantquele  roi  devait  se  présenter 
à  elles,  se  jjortèrent  en  foule  sut  la 
place  du  château,   afin  d'accueillir 
leur  souverain  par  des  acclamations. 
Le  1 1  mars  ,  tous  les  ordres  étaient 
donnés   pour  celte  revue,  lorsqu'un 
rassemblement  d'étudiants  et  de  car- 
bonari  se  forma  hors  de  la  Porte- 
Meuve ,  et  se  joignit  à  une  compa- 
gnie de  la  légion  légère,  qui  donna  le 
signal  de  la  défection.  Cependant  tout 
ce  rassemblement ,  qui  se  porta  sur 
Saint -Salvaire   près  de  Turin,   ne 
s'élevait  pas  à  trois  cents  hommes, 
mal  armés.  L'apparition  des  troupes 
de  la  garnison  aurait    sufu  pour  le 
disperser.  Ou  pouvait  disposer  du 
régiment  de  Piémont ,  parfaitement 
sûr  ,  qui  était  à  cheval ,  sur  la  place 
du  château.  Déjà  le  chevalier  deRe- 
vel ,  gouverneur  de  Turin ,  avait  or- 
donné aux  carabiniers  et  à  des  déta- 
chements des  gardes  démarcher  à  la 
Porte-Neuve  ,  dans  l'intention  d'atta- 
quer les  factieux.  Le  gouverneur  et 
toute  la  ville   espéraient  que  le  roi 
monterait   à  cheval  et  viendrait  se 
mofitrer   à  ses  troupes  ;  mais  tout- 
à-coup  la  porte  du  palais  est  fermée, 
le  prince    ne   monte    plus    à    che- 
val ,   et    avant   que  le   gouverneur 
]>ût  se    porter    vers    le   rassemlde- 
mcnt,  les  carabiniers   et  les  autres 
troupes    ont  reçu  l'ordre  de  rétro- 
grader. Qui  retint  le  roi  ?  Qui  liii 


4io  VIG 

donna  le  conseil  de  se  tenir  enfermé 
dans  son  palais  ?  fut-ce  l'incapacité  , 
la  faiblesse ,  ou  nne  sollicitude  troj) 
vive  pour  la  personne  du  monarque? 
Ce  qu'il  y  a  de  sûr  ,  c'est  que  ceux, 
qui  retinrent  ainsi  Victor-Émanucl  fu- 
rent la  cause  immédiate  dr.  ti'iom- 
plie  momentané  de  la  révolution  j  ils 
îui'ent  des  conseillers  lâches  ou  per- 
fides ,  si,  pour  le  dissuader  d'agir  , 
ils  profitèrent  des    dispositions    de 
ce  prince  qui  ,  de  même  que  Louis 
XVI  ,    ne    voulait    pas    verser    le 
sang   de   ses    sujets.  Toutefois  les 
rassemblements  de  la   Porte-Neuve , 
voyant  que  le  peuple  ne  répondait 
point  à  leur    appel  ,  et  s'ellrayant 
de    la    seule  immobilité  des   régi- 
ments   fidèles  y    se    dirigèrent    sur 
Alexandrie  ,   oîi  les  rebelles  avaient 
leur   centre   de   ralliement.  Le  seul 
parti  à  prendre  pour  le  monarque 
était  évidemment  alors  de  marclier 
contre  ce  foyer  de  révolte  ;  mais  on 
craignait  que  le  petit  nombre  d'Au- 
trichiens disponibles   ne, suffit   pas 
contre  l'explosion  de  cette  fureur  de 
révolution  qui  fermentait  depuis  trois 
ans   en  Italie  ;    on   crut  que  la  dé- 
fection était  générale.  Dans  le  conseil 
le  ministre  de  la  guerre,  Alexandre  de 
Saluées  ,  fut  d'avis  qu'on  déterminât 
le  prince  deCarignan  à  prendre ,  vis- 
à-vis  des  troupes  ,  une  altitude  déci- 
sive et  propre  à  repousser  les  insinua- 
tions des  conspirateurs  sur  les  dis- 
positions de  l'héritier  du  trône.  Ce 
fut  alors  que  le  marquis  de  Saint- 
Marsan,  ministre  des  affaires  étran- 
gères ,  arri\a  de  Laybach ,  où  étaient 
réunis  les  monarques  de  la  Sainte- 
Alliance  ;  il  rendit  compte  au  roi  de 
leurrésolution  unanime  décomprimer 
par  la  force  des  armes  tous  les  révo- 
lutionnaires ,  et  de  faire  marcher  sur 
Naples  une  armée  imposante.  Dès  ce 
moment ,  tout  le  conseil  fut  d'accord 


Vie 

sur  le  parti  qu'il  y  avait  à  prendre. 
Le  roi  l'adopta;  car  il  pouvait  enco- 
re tout  ce  qu'on  eût  jugé  nécessaire 
au  salut  de  la  monarchie.  Sur  l'avis 
de  ses  ministres ,  il  parut  dans  la  fer- 
me intention  de  se  porter,  avec  la 
plus  grande  partie  de  la  garnison  de 
Turin  ,  sur  Asti ,  et  de  Là  sur  Alexan- 
drie. Toutes  les  dispositions  furent 
faites  en  conséquence^   dans  la  nuit 
du  1 1  au   12  mars  ;  et  l'on   rédigea 
deux  déclarations  que  le  roi  signa  ; 
mais  les  conspirateurs  ,  qui  savaient 
tout  ce  qui  se  jiassait  dans  le  conseil, 
agissaient  aussi  de  leur  côté.  Dans 
cette  même  nuit,  la  capitale  se  rem- 
plit de  fauteurs  et  d'instruments  de 
troubles;  et  le  lendemain ,  l'aspect  de 
Turin  parut  tout-à-fait  changé.  Ce- 
pendant le  véritable  peuple  de  cette 
ville  était  encore  le  même.  Les  pre- 
miers moteurs  auraient  voulu  une 
constitution  à  la  manière  française ^ 
c'est-à-dire,  deux  chambres  et  la  pai- 
rie ;  mais  voyant  leur  peu  de  consis- 
tance, l'inutilité  de  leurs  tentatives  et 
la  fidélitédcs  Piémontais ,  ils  aggravè- 
rent leurs  torts,  en  s'alliant  aux  car- 
bonari.  Ainsi  renforcé ,  en  présence 
d'un  gouvernement  irrésolu  ,  timide, 
le  parti  de  la  rébellion  se  montra 
plus  audacieux  ;  et  tout  sembla  déses- 
péré.  La   garnison   de   la    citadelle 
ayant  été  formée  par  des  traîtres,  les 
factieux  s'étaient  concertés  dans  la 
nuit,  pour  y  arborer  l'étendard  de 
la  révolte.  Le  lendemain,  vers  midi, 
au  moment  où  les  deux  déclarations 
royales  allaient  paraître ,  le  canon 
annonça  la  surprise  de  la  citadelle  ; 
et  le  trône  de  Victor  -  Émanuel  fut 
renversé.  Le  commandant  Desgen- 
cy^fcrictime de  sa  fidélité,  était  tom- 
bé ^us  le  fer  des  assassins.  Les  trou- 
pes ,  qui  n'étaient  pas  dans  le  com- 
plot, surprises  et   comprimées,  ne 
purent  pas  même  faire  usage  de  leurs 


vie 

armes.  La  crainte  cliime'rique  d'ex- 
poser sa  capitale  au  bombarclcment, 
et  de  taire  répandre  ic  sanp;  de  ses 
sujets,  remplissait  dès-lors  tontes  les 
pensées  dn  monarque.  Qu'on  se  re- 
présente la  citadelle  tombée  au  pou- 
voir des  factieux,  la  populace  dans 
la  rue  Neuve,  et  la  révolte  prenant 
un  caractère  menaçant.  Ce  fut  alors 
que  l'on  décida  ,  dans  le  conseil ,  que 
les  deux  jsroclamations  royales  ne 
seraient  pas  afllclices.  Déjà  les  fac- 
tieux avaient  signilic  qu'ils  voulaient 
la  constitution  d'Espagne  et  la 
guerre,  avec  V Autriche.  Le  roi  ne 
pouvait  se  soumettre  à  de  pareilles 
conditioi]s.  Persuade ,  d'un  autre  cô- 
te ,  que  sa  résistance  amènerait  les 
plus  grands  mallieurs,  il  eut  recours 
à  l'abdication.  Selon  l'auteur  de  la 
relation  de  la  Révolution  piémon- 
taise  et  l'un  des  plus  importants 
personna.ges  qui  y  aient  liguië(i), 
cette  abdication  perdit  l'État  ;  et 
le  prince  fut  trompe  par  de  mau- 
vais conseillers.  Trahi  par  ceux 
mêmes  qu'il  venait  de  combler  de 
bienfaits  ,  et  ne  voulant  pas  pro- 
mettre ce  qu'il  n'avait  nulle  intention 
de  tenir,  ce  que  réprouvait  sa  cons- 
cience, Victor  -  Emanuel  renonça  à 
une  couronne  qu'il  n'aurait  continué 
déporter  que  pour  autoriser  la  guer- 
re, l'envaliissement  de  ses  états  et  le 
malheur  de  ses  sujets.  L'heureuse 
absence  du  duc  de  Genevois ,  son 
frère  (2),  qui  s'était  rendu  au -de- 
vant du  roi  de  Naples,  à  Modène,  et 
l'incident  fortuit  qui  suspendit  son 
retour  ,  sauvèrent  la  monarchie  pié- 
montaiso.  Le  roi  jugea  que  son  ab- 
dication conservait  les  droits  de  la 
couronne;  que  si  au  contraire  il  ne 
se  dépouillait  pas  d'un  simulacre  de 


(i)  Le  comte  de  Saulorre  de  Santa-Rosa. 
(2)  Cbarles-Felix  ,  aujourd'hui  roi  régnant. 


Vie  4ii 

royauté,  que  s'il  s'avilissait  par  des 
concessions  et  des  promesses,  s'il  s'a- 
baissc'iit  à  feindre,  il  servirait  d'ins- 
trument et  d'appui  à  la  révolte.  Ce 
fut  par  tous  ces  motifs  que  Victor- 
Émanuel  signa,  le  12  mars  i8'2i  ,1a 
minute  de  son  abdication.  Ses  ser- 
viteurs lui  représenté iTut  alors  la 
nécessité  d'avoir  à  sa  disposition  une 
somme  d'argent;  et  ils  î'engagèient 
même  à  doubler  celle  dont  il  de- 
vait se  pourvoir.  Le  ministre  des  fi- 
nances lui  présenta  l'ordre  à  cet  ef- 
fet. Minuit  était  sonné  :  J'ai  abdi- 
qué,  dit-il;  je  n  ai  plus  le  pouvoir 
de  signer.  On  lui  représenta  que  la 
minute  n'était  point  l'acte  lui-même  j 
que  d'ailleurs  ,  puisqu'il  ne  le  signe- 
rait que  le  1 3,  ou  devait  lui  faire  porter 
cette  date.  Alors  seulement  il  consen- 
tit à  ordonnancer  le  mandat  du  tré- 
sor destiné  cà  son  usage.  Dans  l'ab- 
sence du  duc  de  Genevois,  il  nomma 
le  prince  de  Carignan  régent  du  royau- 
me ,  ne  se  réservant  que  le  titre 
de  roi  et  une  pension  d'un  millioa 
de  livres.  Dès  que  l'acte  fut  signé, 
le  souverneur  de  Turin  et  tous  les 
ministres  ,  sans  en  excepter  un  seul , 
prirent  de  concert  la  résolution  de  se 
démettre  de  leurs  charges.  Un  petit 
nombre  de  serviteurs  fidèles  n'avait 
pas  quitté  le  palais  pendant  les  jour- 
nées du  1 1  et  du  1 2  mars.  Ils  avaient 
veillé  pendant  deux  nuits  entières 
auprès  du  cabinet  du  roi,  dans  l'at- 
tente de  sa  résolution.  Ils  ne  purent 
que  lui  faire  connaître  leur  dévoue- 
ment ;  et  le  1 3  mars ,  à  cinq  heures  du 
matin  ,  ils  l'accompagnèrent  à  son 
carrosse  ,  en  versant  des  larmes.  «  Ce 
»  n'est  pas  une  émigration,  leur  dit- 
))  il  ;  je  reviendrai  ])armi  vous,  com- 
»  me  au  temps  où  j'étais  le  duc 
»  d'Aoste,  et  je  n'aurai  plus  les  soins, 
»  les  peines  du  trône.  »  Il  s'éloigna 
de  Turin  avec  la  reine ,  deux  prin- 


4r2  VIG 

cesses  et  une  suite  d'environ  vingt 
voitures  ,   sous  l'escorte  d'un  régi- 
ment de  cavalerie,  commande' par  le 
gênerai  Gifflenga ,  et  dans  l'intention 
de  se  rendre  à  Nice.  Le  voyage  fut 
retarde  par  une  indisposition  qui  le 
retint  à  Tende,  à  Sospello  et  à  Les- 
carena.  Ce  prince  recueillit  sur  son 
passage  de  nombreux  témoignages 
de  douleur  et  de  respect.  Décide  à 
entrer  dans  Nice  sans  bruit  et  sans 
éclat,  il  y  arriva  le  u i  mars ,  à  onze 
heures  du  soir.  Sa  seule  présence  y 
contint  les  révolutionnaires  ,  qui  s'a- 
gitaient pour  se  mettre  en  rapport 
avec  ceux  de  Turin  et  d'Alexandrie. 
Déjà  son  abdication  avait  déconcerté 
les  chefs  de  l'insurrection.  Tout  en 
cédant  à  leins  vœux ,  le  prince  de 
Carignan  avait  envoyé ,  par  des  cour- 
riers, sa  soumission  au  duc  de  Gene- 
vois. Ce  prince  accepta  la  couronne; 
mais  il  diiFéra  de  prendre  le  titre  de 
roi  jusqu'à  ce  que  son  frère,  placé 
dans  une  situation  parfaitement  li- 
bre, pût  lui  faire  connaître  que  telle 
était  réellement  sa  volonté.  On  sait 
que  si  la  contre- révolution  se  fit  en- 
suite, en  moins  de  cinq  jours,  à  Tu- 
rin, ce  fut  parce  que  Charles -Félix 
osa  regarder  la  révolte  en  face ,  et 
qu'il  encouragea  franchement  la  fi- 
délité. Victor  -  Émanuel ,  persistant 
dans  son  premier  dessein ,  et  se  fon- 
dant sur  les  mêmes  motifs,  confirma 
son  abdication,  le  19  avril,  par  un 
acte  nouveau  ,  dont  il  ne   fat   plus 
possible  de  suspecter  la  sincérité.  Ce 
fut  alors  seulement  que  le  frère  de  ce 
prince  ,  cédant  à  un  vœu  si  librement 
et  si  positivement  exprimé,  notifia 
son  avènement.  Victor -Émanuel  ne 
resta  pas  long  -  temps  à  Nice  :  il  se 
rendit  d'abord  à  Modène  ;  et  dès  l'an- 
née suivante  (  le  8  juin  1B22  ) ,  il  ar- 
riva subitement  à  Turin.  Les  deux 
souverains  étaient  seuls  dans  le  secret 


Vie 

de  ce  voyage.  Charles -Félix  alla  au- 
devant  de  lui  jusqu'à  Montcalier  j  et 
l'entrevue  fut  extrêmement  touchante. 
Victor-Émanuel  alla  habiter  le  châ- 
teau de  Montcalier;  et  ce  fut  dans 
cette  paisible  retraite  qu'il  passa  les 
dernières  années  de  sa  vie.  11  y  mou- 
rut le  10  janvier  î8'i/|.,  après  quel- 
ques jours  d'une  maladie  dont  les 
symptômes  s'aggravèrent  subitement. 
Tous  les  honneurs  de  la  souveraineté 
furent  rendus  à  sa  dépouille  mortelle- 
et  elle  fut  déposée  dans  la  basilique 
royale  de  la  Superga,  Charles -Félix 
pleura  sincèrement  sur  la  tombe  d'un 
frère  qui  avait  mieux  aimé  lui  céder 
ses  droits  que  de  fléchir  devant  la  ré- 
volte. B — p. 

VICTORIA  (Don  Vincent), 
peintre,  né  à  Valence  en  iG58,  re- 
çut dans  cette  ville  les  premiers  élé- 
ments de  l'art  dans  lequel  il  devait 
se  faire  une  grande  réputation.  Le 
besoin  de  perfectionner  son  talent 
le  conduisit  à  Rome,  oîi  il  entra 
dans  l'école  de  Carie  Waratle.  Ne 
se  bornant  pas  à  profiter  des  le- 
çons de  cet  habile  maîti'e  ,  il  y 
joignit  l'étude  de  l'anatomie ,  de 
l'antique  et  des  plus  beaux  ouvra- 
ges de  Raphaël.  Il  devint  aussi 
profond  dans  la  science  des  antiqui- 
tés, qu'habile  dans  l'art  de  la  pein- 
tui-e,  et  les  érudits  de  son  temps  lui 
accordèrent  leur  estime,  La  délica- 
tesse de  son  goût ,  sou  savoir  et  l'a- 
mabilité de  son  caractère  lui  acqui- 
rent l'amitié  de  ce  que  Rome  renfer- 
mait à  cette  époque  de  personnages 
les  plus  recommauJables.  Les  pein- 
tures dont  il  orna  diverses  églises  de 
Rome  consolidèrent  sa  réputation , 
et  notamment  le  tableau  qui  décore 
l'église  des  religieuses  de  la  Concep- 
tion ,  au  Champ  de  Mars ,  que  l'on 
a  souvent  attribué  à  Carie  Maratte. 
Sa   réputation   se   répandit  bientôt 


VIG 

dans  toute  l'Italie,  et  lui  attira  la 
faveur  du    grand-duc  de  Toscane, 
Côine  III ,  qui  le  nomma  son  peintre 
et  exigea  qu'il  fît  son  propre  portrait 
pour  être  placé  dans  le  cabinet  des 
jicintrcs  célèbres  ,  qui  fait  partie  de 
Ja  grande  galerie  de  Florence.  Ayant 
oljtenu,  pour  récompense  de  ses  tra- 
vaux, un  riche  canonicat  à  Xativa  , 
près  Valence,  il  revint  dans  sa  pa- 
trie, et  choisit  pour  asile  une  char- 
mante maison  de  campagne ,    peu 
éloignée  de  la  ville;  il  l'embellit  de 
])eintures,   et  y  forma  une   galerie 
d'objets  d'art,   de  tableaux  et  de 
dessins  précieux.  Lorsque  Malvasia 
publia    son    ouvrage  ,   la    Felsina 
Pittrice ,  Victoria  crut  devoir  en- 
treprendre la    défense   de  Raphaël 
et  de  l'école  romaine ,  que  l'auteur 
avait  trop  souvent  sacrifiés  aux  Car- 
ra ches  et  à  l'école  bolonaise.  Cette 
réfutation  ,  qu'il  publia  sous  le  titre 
d' Osseivazioni  sopra  il  libro  dcdlcc 
Felsina  Pittrice ,  se  compose  d'une 
série  de  lettres  adressées  à  ses  amis 
depuis  le  i5  mars  jusqu'au  3  octo- 
bre i6']g.  C'est  en  vain  que  Zanotti 
entreprit  de  le  combattre;  la  victoi- 
re demeura  à   Victoria ,   qui  avait 
pour  lui   l'avantage  de  la  vérité  et 
de  la  raison.  Cependant  le  souvenir 
de  Rome  le  poursuivait  jusque  dans 
la  paisible  retraite  qu'il  s'était  choi- 
sie ;  il  ne  put  résister  au  désir  de  revoir 
cette  ville.  Le  pape ,  pour  reconnaî- 
tre son  mérite,  le  nomma  son  anti- 
quaire; et  il  vit  les  artistes,  les  sa- 
vants et  les  plus  habiles  professeurs 
se  faire  un  devoir  de  le  consulter. 
Non  content  de  cultiver  les  arts  du 
dessin,  il  s'essaya  avec  succès  à  faire 
des  vers  ,  et  dans  ses  loisirs  il  s'oc- 
cupait d'iuic   Histoire  de  la  pein- 
ture, que  la    mort  l'empêcha  de  ter- 
miner. Pour  apprécier  son  mérite  , 
comme  peintre,  il  faut  avoir  vu  les 


Vie 


4i3 


ouvrages  dont  il  a  enrichi ,  en  Espa- 
gne ,  Valence,  Morella  et  Forçai. 
Quant  à  ceux  que  possède  l'Italie,  en 
grand  nombre ,  on  les  a  souvent  fait 
passer  pour  être  de  Carie  Maratte  ; 
c'esjt  assez  dire  quel  est  leur  mérite. 
Victoria  est  très  -  recommandable 
par  son  talent  pour  peindre  le  por- 
trait. Il  grava  ,  pour  le  grand-duc  de 
Toscane,  le  célèbre  tableau  de  Ra- 
phaël, connu  sous  le  nom  de  la  Vier- 
ge de  Foligno.  Cette  estampe  est  ex- 
trêmement rare.  On  lui  doit  encore 
deux  autres  pièces  gravées  d'après 
les  deux  beaux  tableaux  de  Cire  Fer- 
ri ,  qui  représentent  la  Cèrie  et  lajRe- 
surrection  de  Jésus-Christ.  Cet  artis- 
te ^  qui  faithonneuràl'école  espagno- 
le, mourut  à  Rome  en  1712.  P — s. 
VICTORIN  (  M.  PiAuroNWs 

FiCTORINUS    ÀUGVSTUS    )  ;,     l'un 

des  trente  tyrans,  était  fils  de  la  cé- 
lèbre Vietorine  (  F.  ce  nom  ,  ci-des- 
sous ).  Il  fut  associé  par  Posthume  à 
l'empire  .  vers  la  fin  de  l'année  264  , 
et  ce  choix  fut  confirmé  par  l'armée. 
Après  la  mort  de  Posthume  et  de 
Loblien  ,  il  resta  seul  maître  des 
Gaules  ;  et  son  autorité  s'étendit  en 
Espagne  et  dans  la  Grande-Bre- 
tagne. Il  repoussa  toutes  les  atta- 
ques de  Gallien,  et  il  aurait  sans 
doute  affermi  son  pouvoir  ,  si  le  goût 
excessif  qu'il  avait  pour  les  fem- 
mes ne  l'eût  entraîné  dans  des 
désordres  qui  causèrent  sa  chute. 
Un  greffier  ,  nommé  Atficius,  dont 
il  avait  outragé  l'épouse ,  parvint  à 
faire  partager  son  ressentiment  aux 
soldats  ,  et  Victorin  fut  tué  dans  une 
sédition  ,  au  commencement  de  l'an 
'>.68.  Un  passage  de  Trébellius  Pol- 
lioK  (  Hist.  des  trente  tyrans  )  don- 
ne une  haute  idée  des  qualités  de  ce 
personnage.  On lecoraparait,dit-ii ,  à 
Trajan,pour  le  courage;  à  Mare.  An- 
tonin  ,  pour  la  clémence  ;  à  Ncrva  , 


4i4 


Vie 


pour  la  gravité  ;  à  Vespasien ,  pour 
l'cconomie;  et  enfin  à  Pcrtinax  et  à 
Sévère,  pour l'amonrde.'a discipline. 
Victuriu  ,  son  lils  ,lui  fit  décerner  les 
honneurs  divins;(lu  moins  ou  peut  le 
conjecturer  d'après  quelt[iies  nic4ail- 
lesde  ce  prince,  ([ui  représentent  une 
aputlieose.  —  Victorin  (  L.  Aure- 
lius  Piauvonius  rictorinus  y/ugits- 
tus  )  ,  lils  du  précédenl,  fut  déclaré 
Auguste  [)ar  son  pi-re  ,  et  proclamé 
eiu[)crcur  par  les  logions  stationnées 
à  Cologne,  après  la  mort  decelui-ci; 
mais  quelques  jours  plus  tard  il  lut 
massacré  dans  une  nouvelle  sédition  , 
et  in  liiimé  près  de  son  père.  Trébclhus 
Polliou  dit  qu'on  voyait  leurs  tom- 
beaux près  de  Cologne,  couverts  de 
petites  tables  de  marbre,  dont  l'une 
portait  cette  inscription  :  Ici  repo- 
sent les  deux  tyrans  f'iclorins.  On 
a  des  médailles  du  père,  dans  tous 
les  métaux  ;  mais  on   n'en  connaît 
du  lils  qu'en  billon  et  en  peiit  bronze. 
W— s. 
VIGTORIN  DE  FELlUli,  lim 
des  plus  cclibiesinstituteursquel'Ita- 
lie  ait  produits  au  quinzième  siècle  , 
était  ne  vers  1379,  dans  la  ville  dont 
il  prit  le  nom  ,  de  parents  honnêtes, 
mais  si  pauvres,  qu'ds  mampiaient 
souvent  des  choses  les  plus  nécessai- 
res. Ayant  été  envoyé  dans  sa  jeu- 
uesse  a  Padoue,  pour  y  faire  ses  étu- 
des, il  se  rendit  très-habile  dans  la 
grammaire  ,  la  dialectique  et  la  |)hi- 
losophie.  11  voulut  acquérir  des  con- 
naissances dans  les  mathématiques, 
et  suivit  quelque  temps    les   leçons 
d'un  certain   Biaise  Pelacani  ;  mais 
ne  pouvant  pas  acquitter  la  faible  ré- 
tribution que  ce  maître  exigeait  de 
ses  élèves,  il  prit  le  parti  d'étudier  seul 
cette  science ,  et  il  v  tildes  progrès  as- 
sez grands  pour  donner  de  la  jalou- 
sie à  Pelacani  même.  Il  apprit  le 
grec  de  Guarin  de  Vérone  (  Foy.  ce 


Vie 

nom  ),  et  il  en  reçut  tant  de  preuves 
de  bienveillance, qu'il  conserva  toute 
sa  vie  pour  lui  l'attachement  d'un 
fils  pour  son  père.  Les   talents  de 
Victoriu  lui  méritèrent,  en  y^ii ,  la 
double  ch;iire  do  rhétorique  et  de 
phi'osophic  à  l'université  de  Padoue; 
mais  impatienté  de  ne  pouvoir  pas 
corriger  ses  élèves  de  leurs  habitudes 
vicieuses  ,  il  rés'gna  cet  emploi ,  dès 
l'année  suivante  ,  et  se  rendit  à  Ve- 
nise, où  il  établit  une  école  qui  fut 
bientôt    très-IVéquenlée.    En    14^5, 
.lean-Fraiiçoi?de  Gouzigue ,  seigneur 
de  iMauloue  ,  l'appela  dans  celte  ville 
pour  soigner  l'eduealion  de  ses  en- 
fants. Ce  prince  assigna  un   traite- 
ment honorable  à  Victorin ,  et   lui 
donna   la  jouissance   d'une   maison 
commode  et  assez  va:ite  pour  qu'il 
]>ût  y  loger  avec  ses  écoliers,  dont 
le  nombre  s'accroissait  chaque  jour. 
L'école  de  Victorin  ;i)   devint   si 
célèbre,  qu'on   y   vit   accoiu'ir  une 
fouie  d'élives  de  toutes  les  parties  de 
l'Italie,  de  la  France,  de  l'Allema- 
gne et  même  de  la  Grèce.  Il  s'associa 
les  maîtres  les  plus  habiles  dans  tous 
les  genres  ,  et  parvint  de  cette  ma- 
nière à  réunir  tous  les  moyens  imagi- 
nables   d'instruction    pour   les   let- 
tres, pour  les   sciences    et   pour  les 
beaux-arts.  Il  ne  se  bornait  point  à 
cultiver  l'esprit  de  ses  élèves;  il  s'at- 
tachait à  former  leur  caractère  ,  à 
développe)-  leurs   dispositions  bien- 
faisantes ,  et  à  leur  inspirer  l'amour 
du  bon  et  de  l'honnête.  Il  reprenait 
avec  douceur  ceux  qui   s'éc;. riaient 
de  leurs  devoirs ,  et ,  j  oignant  '?.  beau- 
coup de  patience  une  grande  ferme- 
té ,  il  travaillait  sans  cesse  à  com- 
battre leurs  mauvais  penchants  ,  en 


Cl)  J'or.  la  nulice  lue  sur  cel  établissement,  par 
le  chevalier  Viucent  AoUuori ,  à  l'académie  de 
Gcorgophilcs  de  Floreocc,  le  lo  avril  lii'iiRevue 
enrycl. ,  XVIH  ,  i5  ,  et  XIX  ,  ï3i  ). 


vie 

même  temps  qu'il  leur  offrait  dans  sa 
propreconduite  le  modèle  parfait  de 
loute.s  les  vertus.  Sa  table  clail  simple 
et  frugale,  mais  servie  abondam- 
meut.  11  mangeait  avec  ses  élèves , 
plaçant  près  de  lui  les  plus  dociles  , 
sans  distinction  de  rang  ni  de  fortu- 
ne. Il  nourrissait  et  entretenait  à  ses 
frais  (2)  ceux  dont  les  parents  étaient 
pauvres.  Chaque  année  il  consacrait 
ses  bénéfices  à  soulager  des  malheu- 
reux ,  à  doter  des  (illcs  vertueuses  ,  à 
racheter  des  captifs.  A  peine,  dit  Ti- 
raboschi ,  peut-on  croire  ([ue,  dans 
un  siècle  encore  grossier,  il  se  soit 
trouvé  un  homme  tel  que  Victorin. 
Ce  digne  maître  fut  enlevé  aux  let- 
tres et  à  ses  élèves ,  le  i  février  i  447» 
à  l'âge  de  soixante-huit  ans.  11  ne 
laissait  pas  de  quoi  fournir  aux  frais 
de  ses  obsèques  ;  mais  tous  les  habi- 
tants de  Mantoue  s'empressèrent  d'y 
contribuer,  et  il  fut  inhumé  avec 
pompe  dans  l'église  di  San  Spirito. 
Le  Prendilacqua  ,  l'un  de  ses  élèves 
et  son  meilleur  biographe,  assure 
qu'il  avait  composé  dans  sa  jeunesse 
des  poésies  latines  et  italiennes; mais 
il  n'en  reste  aucun  fragment.  On  ne 
connaît  de  lui  qu'une  seule  Lettre 
adressée  au  savant  Traversari ,  plus 
connu  sous  le  nom  d'Ambroise  le 
Camaldule  ,  son  ami.  Le  P.  iNIitta- 
relli  l'a  publiée,  en  1779,  dans  le 
Catalogue  des  manuscrits  de  la  bi- 
bliothèque de  Saint' Michel ,  pag. 
1207.  Tous  les  contemporains  de 
Victorin  ne  donnent  pas  moins  d'élo- 
ges à  ses  talents  qu'à  son  caractère 
et  à  ses  vertus;  mais  son  premier  ti- 
tre de  gloire  sera  toujours  d'avoir 
formé  un  si  grand  nombre  d'élèves 


(î)  Saxolin  ou  Sassu'jlo  ,  1  in  des  elèies  de  Vic- 
lorin  ,  donne  des  détails  louclmut?  sur  les  soins 
qu'il  en  recevait,  dans  nne  Lrllre  à  Lcion.  Dali, 
publiée  par  D.  Maiii.M.  dans  I'  fmnUssim.  collec- 
lio,  III,  84:?. 


Vie  4i5 

distingués,  parmi  lesquels  nous  cite- 
rons seulement  George  de  Trcbizon- 
di;,  Tliéod.  (iaza  ,  J.  Andréa,  l'évê- 
que  d'Alerie,  et  Jacq.  Cassiani  ou 
de  San-Cassiano,  de  Crémone,  qui 
lui  succéda  dans  la  direction  de  son 
école.  George  de  Trebizonde  lui  dé- 
dia son  opuscule  :  De  artificio  cice- 
ronianœ  orationis  pro  Q.  Li^ario 
(3).  L'évèque  d'Alerie  a  payé  un 
juste  tribut  d'éloges  à  sa  mémoire, 
dans  la  dédicace  de  son  édition  de 
TiteLive  (/^).  Ou  peut  consulter, 
pour  plus  de  détails,  la  Fie  de  Vic- 
torin ,  par  Prendilacqua  ,  publiée 
avec  des  notes,  par  Jacq.  IMorelli. 
Tiraboschi  en  a  donné  l'extrait  dans 
la  Storia  délia  Ici  ter  at.  it  al. ,  vi, 
ioi(i-'i3.  VV — s. 

VICTORINE  {AvBELiA  Victo- 
r.ixj  Pu,  Feux  ,  Aveu ST a)  ,  im- 
pératrice dans  les  Gaules,  était, 
suivant  quelques  auteurs,  la  sœur  de 
Posthume.  Douée  de  qualités  que  la 
nature  accorde  rarement  à  son  sexe, 
elle  signala  sa  valeur  contre  Gallien  , 
et  sut  mériter  la  confiance  des  sol- 
dats qui  lui  décernèrent  le  titre  de 
mère  des  camps  {Mater  castrorum). 
Elle  se  fit  déclarer  Auguste  ,  et  enga- 
gea Posthume  à  s'associer  Victorin 
son  fils  (  Voy.  le  nom  ci- dessus  ). 
Après  la  mort  de  Victorin  ,  elle  fit 
reconnaître  son  petit-fils  empereur  ; 
mais  le  jeune  prince  ayant  subi  le 
sort  de  son  père ,  elle  disposa  de 
l'empire  des  Gaules  en  faveur  de  Ma- 
rius ,  et  ensuite  de  Tétricus.  Cette 
princesse  mourut  au  milieu  de  l'an 
a68 ,  laissant  une  réputation  égale  à 


(3)  On  trouve  cette  dtdicace.  dans  la  Bibliolh. 
Smilli.,  ■>,'.  paît.  ,  CL\X. 

(4)  Celte  édition  cCaal  tris-rare,  on  ne  sera  peut- 
être  pas  iàthe  de  savoir  que  la  dédicace  a  élé  re- 
produite par  Smitb  ,  dans  le  Catalo^.  de  sa  liihlio- 
thèque.  ■>'.  r-rt.  LXXXIl;  et  par  le  card.  Oueri- 
ni  ,  dans  J'  Ipp^-dne  à  li  fie  du  pape  Paul  11 ,  et 
dansson traité  :  Z>e  o^/ .'■■<>,•  ariptor.  ediliondius , 
i5o. 


4i6  vie 

celle  de  Zpnobie(/^.  ce  nom)  avec  qui 
J'iiistoire  l'a  comparée.  Trëbellius 
PoHion  l'a  comptée  parmi  les  trente 
tvrans  qui  se  disputèrent  l'empire, 
sous  leri'gnede  Gallieujmaisil  n'ap- 
jircnd  aucune  particularité'  de  la  vie 
de  cette  princesse  :  on  battit , dit-il , 
à  soncmj)rcinle,dcs  monnaies  de  cui- 
vre, d'or  et  d'argent  dont  le  coin  exis- 
te encore  aujourd'hui  (  vers  3oo  )  a 
Trêves.  Cependant  les  médailles  de 
Victorine  sont  fort  rares.  D'Knnery 
en  possédait  en  pf'tit  bronze,  qui  la 
représentent  la  tète  couverte  d'un  cas- 
que ,  avec  la  légende  imp.  ï'ictoria 
auç,.  :  au  revers ,  raif;le  tenant  la  fou- 
dre ,  les  ailes  déployées ,  et  su-dessus 
le  mot  Consecralio.  Voy.  V Histoire 
(les  empereurs  par  Beauvais,  II, 
(i5.  W— s. 

VICTORINUS  {Fahius  Ma- 
nius  ),  orateur,  rhéteur  et  {grammai- 
rien du  (piatrième  siècle  ,  naquit  en 
Afrique,  et  sans  doute  étudia  à  Car- 
tilage ,  professa  long-temps  à  Rome 
avec  beaucoup  d'éclat,  et  mourut 
sous  Valentiiiien  et  Valens  ,  en  i'jo. 
Il  fut  pa'ien  pendant  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie  ;  et  il  se  convertit 
enfin  au  christianisme  (  f^oj'.  Saint 
Augustin,  Confcss.  ,  liv.  viii  ,i,5, 
1 1  ;  ,  circonstance  qui  sans  doute 
contribua  à  lui  ouvrir  la  route  des 
honneurs  ;  car  s'il  faut  en  croire  la 
plupart  des  manuscrits  où  après  les 
mots  Fab.  Murii  f'ictorini  ,  on  lit  : 
r.  Coss.  ou  viri  consiilaris  ,  on  ne 
jicut  guère  se  dispenser  d'admettre 
quenotrcgrammairien  aitgcrelc  con- 
sulat. IiC  titre  de  consulaire  était 
souvent  donné  à  des  gouverneurs  de 
diocèse  ou  de  province  qui  n'avaient 
jamais  porté  celui  de  consul  ;  mais 
on  doit  remarquer  que  ceux-ci  dans 
la  langue  administrative  étaient  qua- 
lifiés de  consiihirt-s  et  non  pas  de 
viri  corasi/iarei, distinction  que  pré- 


VÎC 

senteraicnt  naturellement  aussi  en 
français  les  expressions  de  consu- 
laire et  personnage  consulaire. 
D'un  autre  côté,  comme  le  nom  de 
iNIarius  Victorinus  ne  se  rencontre 
point  dans  les  Fastes ,  on  doit  con- 
clure qu'il  avait  été  consul  subro- 
gé ,  distinction  honorifique  bien 
moins  recherchée  que  la  ]>lace  de 
consul  en  litre ,  mais  par  là  mcmc 
plus  en  harmonie  avec  la  naissance 
et  les  antécédents  du  grammairien. 
On  peut  remarquer  a  ce  propos 
que  le  nom  de  Fabius  est  sans  d.oute 
une  con  uption  de  celui  de  Flavius. 
Kn  elVet,  outre  que  l'adulation  avait 
rendu  commun  le  nom  de  Flavius , 
qui  était  celui  de  Constance-Chlore  , 
Constantin  ,  Ctmstant  ,  Constance 
II,  etc.  ,  et  qu'il  y  a  pre<=que  homo- 
nymie entre  les  mots  Fabius  et  Fla- 
vius (en  grec  surtout  où  ils  s'écrivent 
«l'alto;  ,  <l>âÇ.,  et  <I'/â'^'f.oç  ,  <l').âo.  ) , 
un  grammairien  attaché  par  état  à 
la  régularité  minutieuse  de  toutes 
les  parties  de  l'idiome  romain  devait 
tenir  à  avoir  le  prœnoinen ,  le  jio- 
tiicn  et  Vagnomen  anciennement 
usités.  Or  , Flavius  était  devenu  par 
l'usage  vm  véritable  prénom  ,  tandis 
que  Fabius  était  resté  le  nom  d'une 
famille.  Observons  cependant  que 
quelques  manuscrits  doiment  ,  on  ne 
sait  il  est  vrai  sur  quelle  autorité,  le 
jwénom  de  Caïus  h  notre  auteur;  de 
>orte  (|u'alors  il  aurait  deux  noms 
de  fanidle  ,  anomalie  que  justifient 
plusieurs  exemples,  entre  aulres  ce- 
lui du  célèbre  Q.  Fannius  Khcnmius 
Palœmon.  Quant  à  ceux  qin  écrivent 
Maximus  rictoriiuis ,  soit  qu'ils 
admettent  deux  grammairiens  du 
nom  de  Victorinus  ,  soit  qu'ils  n'en 
admettent  qu'un  ,  il  est  facile  non- 
seulement  de  les  convaincre  d'er- 
reur ]xir  l'uniformité  presque  corn 
plcte     des    manuscrits     où    on    lit 


vie 

Marins ,  mais  encore  d'assigner  la 
cause  de  cette  erreur  occasionnée 
d'abord  par  la  ressemblance  des 
noms  et  c-nsuile  par  l'habitude  de 
joindre  au  nom  de  Fabius  celui  de 
Maximus  ,  parce  que  les  Maxi- 
mes étaient  une  des  branches  les 
])his  dlustres  do  la  f.imillc  F.ibius. 
JNous  avons  de  Viotorinus  phisiciirs 
ouvrages  parmi  lesquels  ceux  qui 
roulent  sur  la  grammaire  et  les  let- 
tres occupent  !e  ])remier  rang  :  1. 
Un  Traite  ,  en  iv  livres  ,  de  la  Pro- 
nonciation, de  l'Orthographe  et  de  la 
Versilicalion ,  intitule  ordinairement 
De  orlkographià ,  carminé  hcroicu , 
rations  metroriim,  ou  De  re  graïu- 
maticd  ,  orlh.  ,  carni.  lier.  ,  rat. 
inetr.  lib.  ir ,  Tubiug. ,  iSS^  ,  in-H'^. 
(e'dit.  de  Joach.Camerarius)  i584, 
in-H*^.  (  imprime  avec  ïerentianus 
Maurus  )  et  dans  les  Gramniiilici 
antiijui  de  Putsch,  i6o5,  iu-4".  , 
]).  1939.  Celui-ci  est  un  de  ceux  qui 
admettent  à  tort  deux  Victorinus  , 
l'un  qu'ils  nomment  Marins  ,  l'autre 
auquel  ils  donnent  le  surnom  de  Maxi- 
mus. Ce  Traite'  a  aussi  été  publié  à 
Eàle,  i^s-j,  iu-8".  ;  mais  sous  le 
titre  de  :  De  enuncialiune  littcra- 
rum  ,  orthographia  et  metris  conii- 
cis.  II.  Des  Commentaires  sur  les  li- 
vres de  l'Invention  de  (.icéron  (  Ex- 
pos ilio  in  Ciceronis  Rhet.  sive  de 
inventione  libros  u) ,  Milan,  Ant. 
Zarotti,  1474?  in-fol.  ;  Paris,  As- 
censius,  i5oS,  iu-fol.,  ibid. ,  Kob. 
Eslicnne,  i537,in-4". ;  avec  Asco- 
uiusl'édianus,  Venise,  i5'2  2,in-8  '.; 
dans  la  collection  des  Rhéteurs  de 
Pithou  ,  Paris  ,  iSgg  ,  in-4<-". ,  page 
■J9  ,  ou  page  lou,  edit.  de  Cappe- 
ronnicr ,  Sliasbourg,  175G,  in-4". 
Les  autres  écrits  actuellement  subsis- 
tants sont  :  II j.  Un  Traité  de  la 
Trinité  contre  les  Ariens ,  en  iv  li- 
vres. IV.  Un  Traité  contre  le  ma- 

XLvni. 


Vie  417 

nichéen  Justin.  V.  Un  Traité  sur  le 
commencement  du  jour  (  en  latin  De 
principio  diei  ou  Deprincipioprimœ 
diei.  Ces  deux  Ouvrages  ont  été  im- 
primés, Paris,  Sirmoud,  i(i3o,in-8o. 
VI.  Un  Traité  de  la  génération  du 
Verbe ^  contre  l'arien  Candide  (  et 
non  ,  comme  le  disent  quelipies-uns  , 
Candiduni  Arianiun)  ,  publié  avec 
\(i'iCoiici'ptioni'S  (\.c  Jacq.  Zicgier  sur 
la  (jenèse,  Baie,  i5.>,8,  in-fyl. ,  et 
i54o,  puis  dans  rilcré.siulogicd'Hé- 
rold  ,  pag.  1 7  I ,  cl  lesOrthodoxogra- 
phes,  iôSj,  jtag.  4^1»  enfin  dans 
Kiviuus  (  pag.  238)  ,  qui  le  joint  au 
Traité  de  Candide,  imprimé,  pag. 
2>.3  et  suiv.  Le  P.  Mabillon  a  publié 
également  (^««aZc5,  t.  VI,  p.  i53, 
édit.  nouv.  )  l'ouviage  de  Candide 
et  sa  réfutation.  Selon  Ziegler,  les  iv 
livres  sur  la  Trinité  ne  sont  que  la 
suite  de  celte  réfutation.  Vil.  Une 
Traduction  de  V Introduction  {Isa- 
gages)  de  For/dn  re,  etc.  VIII.  Un 
Poème  d'environ  six  cents  vers  héroï- 
ques sur  la  mort  des  sept  Machabées 
et  de  leur  mère  (  dans  Kivinus  ,  avec 
notes,  pag.  1G7,  et  parmi  les  poètes 
chrétiens  publiés  par  G.  Fabricius  , 
i5G4).  Ce  poème  est  aussi  attribué 
à  un  certain  INictarius.  IX.  Trois 
Hymnes  sur  la  Trinité,  ou,  selon 
d'autres  ,  Trois  Hymnes  sur  la  né- 
cessité d'admettre  la  consubstan- 
tialité  (  de  IJorioiisio  recipitndo  ) 
dansRivinus,  Gotha  ,  i(i5'2,  iu-8''., 
pag.  U08.  Ces  titres,  ainsi  portés  sur 
lousles Catalogues,  sont  faulifs.  L'ou- 
vrage contient  Trois  II j  urnes  ,  et 
une  Dissertation  sur  la  consubstan- 
tialité.  Les  hvmncs  sont  en  prose  et 
trcspiates;  la  Dissertation  i-^lvii\n\.i- 
tieiise  etpédanlc.^qne  ;  mais  elle  prou- 
ve ,  ce  qui  est  le  premier  de  tous  les 
mérites.  Ces  quatre  morceaux  ,  ainsi 
que  le  Traité  contre  les  Ariens,  le 
livre  contre  Justin ,  le  De  principio 

2-]. 


4i8 


vie 


(iiei,  et  le  pocmc  sur  les  Macliabees 
se  trouvent  aussi  dans  le  tome  iv  de 
la  grande  bibliollicquc  des  Pères, 
Lyon,  16-75.  Rivinus  {Prœjat.  ad 
scripta  duorum  Fictorinorum  )  s'c- 
touue  que  l'on  n'y  ait  pas  insère  le 
Traité  de  la  Génération  duVtrhe. 
11  paraît  que  Vicforiuus  avait  com- 
pose lui  commentaire  sur  les  Lettres 
de  saint  Paul  (  Saint  Jcrôme  ) ,  et 
des  syllogismes  hypothëliques  (  Gas- 
siodore,  DialccHifiie).  P — ot. 
VICTOUIUS.  Foy.  Vi£ttori. 
VICTOUIUS  {Marianiis).  Voy. 
Victor. 

VIGTRICIUS  (Saint)  ,  cvêque 
de  Rouen  et  patron  des  marins ,  na- 
quit dans  les  Gaules  vers  l'an  33o  , 
et  fut  d'abord  soldat  dans  les  armées 
romaines.  Ayant  embrasse  le  cliris- 
tianisnic ,  il  fut  condamne  à  avoir  la 
tête  tranchée;  mais  au  moment  de 
l'exécution ,  si  l'on    en   croit  saint 
Paulin  ,  le  bourreau  fut  frappe  de 
cécité    miraculeusement.   Yictricius 
obtint  alors  sa  grâce  ,  et  alla  vivre 
dans   la  retraite.  11  prêcha    ensuite 
dans   le   jiays    des    Morins   et   des 
Ncrviens  (la  Flandre  et  la  Picardie), 
et  fut  nommé  évêquc  de  Rouen  en 
385.  Il  fut  l'ami  de  saint  Martin  de 
Tours.  Ayant  été  accusé  d'errer  dans 
la  foi,    il  alla  se  justifier  à  Rome 
auprès  du  pape  Innocent  r'"". ,  et  re- 
çut de  ce  pontife  un  recueil  des  ca- 
nons et  dèf.rcts  suivis   par  l'Kglise 
romaine.  Yictricius  passa  en  Angle- 
terre vers  l'an  394  ,  pour  y  rétablir 
la  paix  tle  l'Eglise  troublée  ])ar  des 
liérésies.  Il  mourut  en  l'an  4'o.  Sa 
fête  est  célébrée  le  ig  d'août.  L'abbé 
Lebeuf  a  tiré  du  monastère  de  Saint- 
Gall  un  ouvrage  de  ce  saint,  intitidé 
De  laudc  sanclorum  ,  qu'il  a  fait 
imprimer  avec  de  savantes  notes.  Z. 
VIGUGNA  Y  ZU^ZO  (don  B-n- 
NAWDO  DJi),  quarante-sixième  évcquc 


Vie 

desGanaries ,  naquit  àLogrono,  vers 
l'an  lO'iq ,  d'une  des  meilleures  fa- 
milles de  la  Gastille.  Membre  de  la 
collégiale  de  Saint-lldephouse  d'Al- 
cala,  en  i()G5,  il  en  devint  recteur 
quatre  ans  après,  et  fut  nommé  in- 
quisiteur de  LogroMO  et  abbé  de  San- 
tillanc.  Il  succéda,  en  169 1  ,  à  Bar- 
tliélemi  Ximcnoz  ,  évoque  des  Gana- 
rics,  mort  l'année  précédente ,  et  ar- 
riva au  port  de  Luz  de  Ganaria  le 
i*^"".  août  i69'4.  Il  trouva  son  diocèse 
déchiré  par  de  violentes  et  scanda- 
leuses altercations  entre  les  religieux 
et  les  séculiers.  Les  points  en  litige 
n'avaient  aucuu  rapport  au  dogme  : 
il  ne  s'agissait  que  de  savoir  à  qui 
devaient  appartenir  les  droits  perçus 
pour  les  funérailles  des  enfants  et  au- 
tres cérémonies.  Ges  contestations , 
fort  nuisibles ,  déversaient  quelque 
chose  d'odieux  sur  le  clergé,  Dou 
Bcrnardo  de  Yicugna  s'occupa  sur- 
le-champ  de  remédier  au  mal  ;  et 
malgré  la  faiblesse  de  sa  santé ,  il  vi- 
sita successivement  les  six  îles  qui  en- 
tourent la  Grande-Ganarie,  suivi  de 
quatre icsuilcs,  auxquels  il  avaitper- 
mis  de  fonder  une  maison  dans  son 
diocèse.   Ges  courses,  qui  durèrent 
près  de  huit  ans ,  eurent  le  succès  le 
plus  complet;   et  non -seulement  il 
apaisa  les  querelles, mais  encorepar 
sou  exemple  autant  que  par  ses  pré- 
ceptes il  ranima  la    piété  et  le  zèle 
de  la  religion  chez  les  Ganariotes. 
Quelques    années    après  ,    il    quitta 
de  nouveau  la  Grandc-Ganarie,  pour 
se  transporter  à  Ténériire  ;  mais  bien- 
tôt les  fréquents  et  horribles  trem- 
blements de  terre  qui   précédèrent 
l'irruption  du  volcan  de  Guimar ,  en     | 
1705,  l'obligèrent  de  se  réfugier  à     ; 
Orutava.  Les  progrès  du  fléau  forcè- 
rent bientôt  les  habitants  de  cette  vil- 
le d'abandonner  leurs  maisons^  et  de 
b'ciifuir  au  hasard.  L'cvcquc,  acca- 


VID 

Lie  de  chagrins  et  d'années ,  se  fit 
transporter  dans  une  chaumière;  et 
ce  fut  là  qu'il  mourut,  le  3  i  janvier, 
nuivcrsellcmcnt  regretté.  Il  fi:t  enter- 
ré au  couvent  de  la  Conception  d'O- 
rotava.  Voyez  Viei'a ,  JVotic.  de  la 
Hist.  ^cn.  de  las  isl.  Can. ,  tome  iv, 
p.  149- 156.  P — OT. 

VIDA  (  Marc  -  Jérôme  ) ,  né  à 
Crémone,  en  i4po  (1),  de  parents 
nobles  ,mais  peu  favorisés  de  la  for- 
tune ,  étudia  avec  beaucoup  de  dis- 
tinction à  Padoue  ,  à  Bologne  ,  à 
Mantoue  ,  et  tut  admis  ,  fort  jeune , 
dans  la  congrégation  des  chanoines 
réguliers  de  Saint-Marc.  Il  en  sortit 
peu  de  temps  après  ,  et  se  rendit  à 
Rome  ,  où  il  devint  chanoine  de 
Saiul-Jcau  de  Latran.  Son  premier 
essai  en  poésie  latine  lui  valut  la 
faveur  de  Léon  X  qui  lui  donna  le 
pjieuré  de  Saint  -  Silveslre  ,  près 
de  Tivoli  ,  afin  qu'il  pût  consacrer 
tout  sou  temps  aux  lettres.  Pen- 
dant quatorze  ans  de  séjour  qu'il  fit 
dans  ce  lieu  de  délices ,  Vida  com- 
posa la  Cliristiade ,  qui  lui  avait  été 
demandée  par  Léon  X ,  et  qui  ne 
fut  terminée  que  sous  Clément  VII. 
Ce  pontife  lui  donna;,  en  i532, 
pour  récompense  de  son  poème  , 
1  évèché  d'Albe  sur  le  Tanaro.  Paul 
III  ,  successeur  de  Clément  VII  , 
voulait  transférer  Vida  à  l'évècliéde 
Crémone  ;  mais  la  mort  du  pontife 
fit  évanouir  ce  projet.  Ainsi  Vida 
fut  irrévocablement  fixé  sur  le  siège 
épiscopal  d'Albe,  qu'il  occupa  avec 
honneur,  et  où  il  mourut  le  li"]  sep- 
tembre i5G6;  son  corps  fut  enterré 
dans  la  cathédrale.  Sa  patrie  lui 
consacra  un  monument  funèbre  et 
des  inscriptions  qui  rappelaient  le 
souvenir  de  ses  vertus  et  de  ses  bien- 


(>")  Le  1'.  Niceron  le  fait  naîlrp  on  i/i'o,  cl  niou- 
rli-  à  qualie-vingt-feize  nus  L'abbc  de  Latour  , 
Ivaducteur  de  ia  Christiada  ,  le  fait  uaitre  en  iSo;. 


VID  419 

faits.  A  l'époque  de  la  prise  et  du 
sac  de  la  ville  d'Albe  par  les  Fran- 
çais sur  les  Imj)ériaux  ,  Vida  donna 
des  preuves  d'une  rare  valeur.  Il 
contribua  puissamment  à  arracher 
cette  conqut'te  aux  vainqueurs  ;  et , 
ce  qui  convient  mieux  à  un  évèque  , 
il  se  fit  remarquer  au  concile  de 
Trente,  où  il  accompagna  les  légats 
du  saint- siège.  Nous  avons  de  lui  : 
I.  Scacchia  ludus  (jeu  des  échecs), 
Rome ,  1 52n  ,  in-4". ,  traduit  en  ita- 
lien par  Masdeu  et  Pindemonîe  ;  et 
en  français  par  Desmasurcs  (  Fqy. 
ce  nom  )  ,  et  par  M.  Levée ,  avec 
d'autres  ouvrages  de  Vida,  1809  , 
in-8".  Le  critique  Dussault  a  dit ,  dans 
ses  ^-énnalcs  littéraires ,  qu'il  aimait 
autant  lire  Philidor.  Tous  ceux  qui 
aiment  ia  poésie  latine  s'inscriront 
eu  faux  contre  un  jugement  qui  ne 
peut  être  que  celui  d'un  joueur  d'é- 
checs. On  assigne  à  ce  poème  le  se- 
cond rang  parmi  ceux  de  Vida  (  V^. 
Roman,  XXXVIII,  495).  Plusieurs 
critiques  anglais  ,  Warton  entre  au- 
tres ,  font  un  grand  éloge  de  la  clar- 
té et  de  l'élégance  qui  y  régnent.  IL 
Poeticorum  libri  très  ,  Rome,  i  S'^n, 
iii-4'^.  ;  Oxford  ,  1723  ,  in-4<^.  Le  P. 
Oudin  ,  jésuite  ,  a  fait  sur  ce  poème 
des  notes  estimées.  L'abbé  Batteux 
l'a  traduit  en  français  et  l'a  joint 
aux  poétiques  d'Aristote ,  d'Horace 
et  de  Boileau  ,  sous  le  titre  des  Qua- 
tre poétiques  ^  Paris,  1771  ,  2  vol. 
in-8**.  et  in- 12.  Voici  ce  qu'en  pense 
ce  traducteur  :  «  L'Art  poétique  de 
))  Vida  ,  que  Jules  Scaliger  préfère 
))  à  celui  d'Horace  ,  est  écrit  avec 
»  autant  de  méthode  et  de  jugement 
»  que  d'élégance  et  de  goût.  Il  est 
»  divisé  en  trois  chants  :  dans  le 
»  premier  ,  l'auteur  traite  de  l'édu- 
»  cation  du  poète  ,  de  la  manière  de 
»  lui  former  le  goût  et  l'oreille;  il 
»  indique  les  auteurs  qu'il  doit  lire  ; 

■21.. 


4^o 


VID 


»  après  quoi  ,  il  crayonne  eu  peu 
M  de  mots  l'origine  ot  Ihistnire  de 
»  la  poésie  ;  dans  le  second  ,  il  parle 
»  de  l'invention  des  choses  et  de  leur 
»  disposiiioUj  surtout  dans  l'épopée, 
»  qu'il  semble  avoir  en  en  vue  dans 
»  son  ouvrage,  qui  n'est  proprement 
»  que  la  pratique  de  Virgile  réduite 
»  eo  an  ou  en  ])rincipcs  ;  dans  le 
»  troisième  ,  il  traite  de  l'eiocution 
»  poétique,  sur  laquelle  il  donne  des 
»  détails  très-inslructils  j  il  y  traite 
»  surtout  de  l'harmonie  imitativedcs 
»  vers  ,  avec  une  clarté  et  une  pie- 
»)  cision  qu'on  ne  trouve  point  mè- 
»  me  cliex  ceux  qui  en  ont  écrit  en 
»  prose....  Son  ouvrage  est ,  d'un 
»  bout  à  l'autre  ,  uu  tissu  de  fleius. 
»  Mais  sentant  qu'Arisîotc  et  Horace 
))  sullisaieut  ])onr  gouverner  le  gé- 
»  nie  ,  autant  (pi'il  peut  l'être  ,  il 
»  s'est  borne  à  éveiller  le  goût  poé- 
»  ti((ue  des  jeunes  gens  et  à  le  former 
»  sur  les  grands  modiles.  »  \,\4rt 
puéliqiitt  de  Vida  a  été  traduit  plus 
récemment ,  en  vers  ,  par  MM.  Bar- 
rau,  i'~-oS  et  1810,  in-8'\  et  Va- 
l.int  uj.  On  lui  reproche  d'avoir  dé- 
précie llomcre.  Les  Anglais  ont  deux 
tiadurtioiis  de  la  Poétique  ,  l'une 
par  Pitt,  l'autre,  plus  récente, accom- 
pagnée de  notes,  par  Hampson.  On 
voit  dans  le  journal  de  Modène, 
tome  XIX,  pag.  1 58 ,  un  article 
de  lirabosclii  sur  le  manuscrit  au- 
tographe de  la  Poétique  ,  q;ii  mon- 
tre combien  elle  awiil  coûté  de  tra- 
vail a  son  auteur  (  Foy.  Giraldi  , 
XVII,  439  ).  m/  Bombraim 
libri  duo,  Lyon  et  Bàle,  ijS-;  , 
tratbiil  eu  français  par  MM.  Crignou 
et  Levée  (3).  C'est  le  meilleur  ou- 


\i]  La  traducliun  de  M.  Valant  a  Hé  pablie<> 
siiu»  r«"  titre  :  /.'cUuiotion  ilu poète  ,  poone  imité 
Ue  ^  ida  ,  Paris  ,  i8i4  .  iii-i>. 

fî")  La  traduction  de  M.  Crignon  a  été  publiée 
«"  178I).  in-ii  ,  et  crWe  d<-  M.  Levée  en  iSirj, 
iu-8<>. ,  «Tec  le  teite  eu  regard. 


VlD 

vrage  de  Vida  ,  le  plus  correct ,  le 
plus  châtié  ,  le  plus  fort  de  poé^ie  , 
au  jugement  de  tout  le  monde  ,  et 
surtout  des  Italiens.  IV.  Christiados 
libri  sex ,  Crémone,  i535  ,  in-4''.  , 
traduit  en  italien  par  le  chanoine 
Charles  Ercolani  ;  Macerata,  179^  ; 
en  espagnol  ,  par  Cordero,  Anvers  , 
1  554  ;  en  anglais,  1771  ;  en  alle- 
mand ,  par  Millier,  181 1  ;  en  fran- 
çais, par  l'abbé  Souquet  de  Lalour, 
avec  le  texte  en  regard  ,  et  une  pré- 
face sur  la  Vie  et  les  ouvragesde  Vi- 
da ,  Paris,  1820  ,  in-8''  Celte  der- 
nière traduction ,  très-estnnable  sous 
plusieurs  rapports,  sont  un  peu  le  tra- 
vail et  la  contrainte.  Si  l'on  en  croit 
le  traducteur  ,  qui  a  soin  de  re- 
cueillir tous  les  éloges  accordés  à  la 
Chrisliadc ,  ce  poème  serait  un  ou- 
vrage admirable  ,  et  presque  sans  dé- 
fauts. Mais,  outre  qu'il  faut  se  défier 
de  l'engouement  des  traducteurs,  il 
serait  facile  d'oj)poser  à  tous  ces  élo- 
ges une  masse  imposante  de  critiques 
plus  sévères  et  j)liis  justes.  Au  sur- 
plus, malgré  ses  défauts,  la  Cliria- 
^/ay/^*  étincelle  de  beautés  du  premier 
ordre  ;  on  avait  lien  de  s'étonner 
qu'un  tel  ouvrage  n'eût  pas  encore 
paru  dans  notre  langue  ,  et  c'est  un 
véritable  service  rendu  à  notre  litté- 
r.iturc,  que  de  l'avoir  acclimaté  en 
France.  Plusieurs  passages  de  la 
Christiade  paraissent  avoir  été  imi- 
tés par  Miltun  ,  dans  le  Paradis 
perdu.  Un  auteur  estimable,  Bar- 
thélemi  Botta,  a  publié,  en  1569, 
à  Pavie  ,  un  commentaire  utile  pour 
ceux  qui  voudront  lire  ce  poème. 
V.  Hj  mni  de  rébus  divinis ,  Lou- 
vain  ,  1 5  J2 ,  in-4''.  Ces  hymnes  ,  au 
nombre  de  trente-sept ,  sont  moins, 
des  hymnes  d'après  nos  idées  actuel- 
les ,  dit  M.  de  Latour^  que  des  ins- 
tructions sur  nos  mystères  ,  ou  des 
traits  de  la  vie  des  i>aints ,  embellis 


VI D 

de  conleiirs  poétiques,  qui  leur  don- 
nent un  nouvel  intérêt  et  les  gravent 
dans  la  mémoire.  VI.  Carmimim  li- 
ber.   Ce  Recueil   de  petites  poe'sies 
renferme  trois  Égligues  ,  cinq  Odes, 
deux  Épîtres,uneÉIc'gie  sur  la  mort 
des  parents  de  Vida  ,   et  des  Epi- 
crammes.  MM.  Brunel  et  Levée  ont 
traduit  en  français  quelques-unes  de 
ces  pièces.  Vil.  Dialoi^i  de  reipu- 
blicœ  dipnitate  ,  lib.  x  ,  Crémone  , 
i556  ,  in-Ho.  Les  entretiens  de  Vida 
avec  les  cardinai:x  Cervin ,  Poliis  et 
del  ÎNÎonte  ,  avec  Flaminius  etPriuli, 
pendant  la  tenue  du  eonrilp  de  Trente, 
font  le  snipt  de  ces  Dialnsnes.  L'e- 
vcqup  d'Albo  s'e'fnit  jusque-là  montré 
grand  po'-te  ,  dirent  les  Ita'ieus,  ot  , 
dans  rot  ouvrage,  il  prouve  (ju'il  est 
excellent  prosateur.  VTÎÎ.   Discorsi 
contra  gU  ahitanti  ai  Pavia  ,  Paris  , 
iSGi  ,   in  8°.  ,  rare.  Les  villes  de 
Crémone  et  de  Pavie  se  disputaient 
la  préséance  ;  la  cause  fut  portée  au 
sénat  de  Milan.  Les  habitants  de  Cré- 
mone remirent  leur  défense  entre  les 
mains  de    leur   compatriote   Vida  , 
qui  composa,  à  cette  occasion  ,  les 
trois  Discours  dont  il  est  question  ; 
ils  fiu'ent  réimprimés  à  Venise  ,  en 
T76'J,  sous  ce  titre:  Cremnrtensium 
orationes  très   advcrsùs  Papienses 
in    cnntrnvcrsid   principatûs.    TX. 
Constitutions  synodales  ,   lettres  , 
etc.  La  plupart  de  ces  ouvrat^es  ont 
été  recueillis  dans  la  belle  édition  de 
Padoue  ,  \"Z\  ,  i  vol.  in-  4''.  Les 
poésies  ont  été  imprimées  à  Crémo- 
ne ,  t55o  ,  1  vol.  in-8o.  ;  à  Oxford , 
l'js^  ,  4  "^ol.  in-S". ,  avec  de  belles 
gravures,  lyîS  et  f-33  ,  3  vol.  in-8^. 
Ces  diverses  éditions  ,  à  l'exception 
de  celle  de  Crémone  ,  sont  enrlcliies 
d'une  Vie  de  l'évêque  d'Albe  ,  assez 
incomplète  ;  celle  de  Padoue  renfer- 
me ,  en   outre ,  un  Eloge  de  Vida  , 
par  Jérôme  Faballi ,  et  !e  Catalogue 


VID 


i'ix 


des  éditions  de  ses  poésies.  Le  P. 
Vairani,  dominicain,  a  donne  une 
Notice  sur  ce  prélat  dans  ses  Cre- 
monensium  Monnmenta  ,  Rome  , 
1778;  il  a  public  aussi  des  opus- 
cules inédits  de  la  jeunesse  de  Vida. 
Il  existe  encore  une  autre  \  le  de  ce 
poète,  par  Tadisi .  Bergamc,  1788, 
qui  mérite  d'rfre  lue.  On  peut  en 
dire  autant  de  trois  Discours  ,  com- 
posés par  le  jésuite  iVIarclieselli,  pour 
la  défense  de  Jérôme  Vida  contre 
un  journal  littéraire,  Padoue,  1 775. 
Nous  ne  devons  pas  oublier  la  sa- 
vante préf.ice  que  M.  l'abbé  de  La- 
tour  a  mise  en  tète  de  sa  traduc- 
i;ou  de  la  Christiade.     L — b — e. 

VIDAL   (  PiuRRE  )  .    troubadour 
provençal,    fut   l'iui   des  poètes  les 
plus  célibrcs  ot  des  hommes  les  plus 
extiavagantsde  son  temps.  Fils  d'un 
pelletier   de   Toulouse,   il   annonça 
dès  sa  première  jeunesse  des  talents 
qui  devaient  l'élever  au-dessus  de 
son  pèie.  Il  joignait  au  mérite  de 
faire  de  jobs  vers    une  voix  agréa- 
ble, riiumeur  enjouée  et  une  grande 
vivacité  d'esprit.  Ces  qualités  lui  va- 
lurent de  nombreux  succès  près  des 
femmes  ;  mais  amant  léger  et  indis- 
cret ,  il  se  plaisait  à  raconter  les  aven- 
tures galantes  dont  il  était  le  héros. 
Ayant    eu    l'imprudence   de    mêler 
dans  ses  récits   une  dame  de  Saint- 
Gilles  ,  le  mari ,  qui  n'entendait  pas 
raillerie  sur  tout  ce  qui  touchait  à 
l'honneur,  lui  fit  fendre,   selon  les 
tms  ,  ou  ,   selon  d'autres  ,  percer  la 
langue.  Un  chevalier  no^?mé  Hugues 
de    Baux   accueillit  le    malheureux 
troubadour  et  le  fit  giiérir.  Vidal  re- 
prit bientôt,  avec  sa  bonne  hujueur, 
le  cours  de  ses  galanteries.  Épris  des 
charmes  de  la  vicomtesse  de  "Mar- 
seille,  il  la  céleTora  dans  ses  vers  sous 
le  nom  à' Audiema  .  ou  plutôt  de 
Na    Fiena.    Cette   dame     feignait 


4-12 


VID 


d'cnconragcr  sa  passion;  mais  im 
jour  Vidal  la  surprit  endormie  ,  cl 
eut  rinsolcnccdcprofiterde  son  som- 
meil pour  lui  ravir  un  baiser.  Le 
vicomte,  averti  par  les  cris  de  sa 
femme,  essaya  de  l'apaiser;  mais 
elle  déclara  qu'elle  ne  voulait  plus 
s'exposer  à  de  pareilles  insultes  ,  et 
Vidal  fut  oblige  de  s'éloigner.  Il  se 
rendit  d'abord  à  Gènes  ;  et  d'après 
quelques  passages  de  ses  poésies ,  on 
peut  conjecturer  qu'il  eut  à  se  plain- 
dre des  habitants  de  cette  ville.  De 
là  le  troubadour  vint  dans  le  Mont- 
fcrrat  ,  puis  en  Lombardic  et  à  Mi- 
lan où  il  reçut  un  meilleur  accueil. 
1!  partit  pour  la  Palestine,  à  la  suite 
du  roi  Richard,  selon  l'abbé  iMillqt , 
ou  du  marquis  de  iMontferrat  qu'il  a 
célébré  dans  ses  vers.  Ce  fut  dans  ce 
voyage  qu'il  acheva  de  perdre  la  rai- 
son. 11  se  crut  un  héros  ^  xm  cheva- 
lier invincible  ,  et  remplit  ses  chan- 
sons de  fanfaronnades  guerrières.  Ou 
lui  lit  épouser,  d;ins  1  île  de  Cyprc, 
une  jeune  Grecque,  qu'on  lui  dit  être 
la  nièce  de  rcmpcreur  d'Orient  et 
l'héritière  de  ses  droits.  Dès  ce  mo- 
ment, il  se  persuada  qu'il  était  em- 
pereur, et  revêtu  des  ornements  im- 
périaux, il  ne  marcha  plus  sans  faire 
porter  un  Irène  devant  lui.  Les  dé- 
sasties  de  la  troisièmp  croisade  fu- 
rent le  terme  de  sa  graudeur  imagi- 
naire. Il  revint  en  Provence,  laissant 
sa  femme  en  Orient,  du  moins  l'his- 
toire n'en  fait  plus  aucune  mention. 
Ayant  appris  ,  à  son  arrivée  ^  la 
mort  de  Kaimond ,  comte  de  Toulou- 
se, pour  témoigner  la  douleur  qu'il 
en  éprouvait,  il  laissa  croître  sa  bar- 
be et  ses  ongles  ,  fit  raser  la  Icte  à 
ses  domestiques  et  couper  les  oreilles 
et  la  queue  à  ses  chevaux.  Alphonse 
II  ,  roi  d'Aragon,  engagea  Vidal  à 
quitter  le  deuil.  11  obéit,  composa 
de  nouvelles  cliausons ,  cl  s'engagea 


VID 

bientôt  dans  un  nouvel  amour.  Sa 
maîtresse  était  une  dame  de  Carcas- 
sonnc ,  nommée  Louve  (  Loha  )  de 
Penaulier.  Le  galant  troubadour , 
pour  lui  prouver  sa  passion  ,  prit  le 
nom  de  Loup,  mit  un  loup  dans  ses 
armes  et  se  revêtit  d'une  peau  de  loup. 
Ce  déguisement  lui  fit  courir  le  plus 
grand  danger.  Les  bergers  du  voi- 
sinage ,  feignant  de  le  prendre  pour 
un  loup ,  le  poursuivirent  avec  leurs 
chiens  ,  dont  les  morsures  le  mirent 
dans  un  état  déplorable.  Si  l'on  pou- 
vait eu  croire  INIichel  de  Nostradamus 
(f'ies  des  poètes  provençaux  ,  99  ) , 
Vidal  ,  sur  la  fin  de  sa  vie,  aurait 
repris  le  projet  rie  conquérir  l'empi- 
re d'Orient,  et  dans  ce  dessein  aurait 
fait  un  second  voyage  d'oulre-mer. 
Mais  il  paraît  certain  que  les  bontés 
d'Alphonse  III,  roi  d'Aragon,  le 
fîxi'rent  à  la  cour  de  ce  prince ,  et 
qu'il  y  mourut  vers  l'an  1200  (i). 
Les  manuscrits  qui  nous  restent  des 
poètes  provençaux  contiennent  en- 
viron (jo  pièces  de  P.  Vidal.  L'abbé 
Millot  a  donné  l'analyse  et  des  ex- 
traits des  plus  intéressantes  dans  son 
Histoire  fies  Troubadours ,  .11 ,  u8  J  - 
309.  M.  Raynouai'd  en  a  publié  neuf 
daus  son  Choix  des  poésies  des  trou- 
badours,  ni,  3i8-9ii;  jv,  23,  io5- 
iio,  II 8-21  et  186.  Ce  sont  des 
chansons  amoureuses  ,  un  tenson 
avec  iJlacas ,  trois  pièces  sur  les  croi- 
sades, et  un  sirventc  historique.  La 
vie  de  ce  troubadour  ,  en  provençal , 
insérée  dans  le  tome  v,  334-49^  of- 
fre de  nombreux  fragments  des  au- 
tres pièces  de  Vidal ,  notamment  du 
poème  mal  intitulé  ]iar  Jean  de  No- 
tre-Dame :  De  la  inaneira  de  retir- 
ccr  la  lengua.  Ce  poème ,  de  jilus 
de  1800  vers  ,  est  le  plus  long  et  le 


(i)  J.  il<3  Nolre-|Damc  recule  la  mort  iIp  P.  Vi- 
dal jusqu'en  isïf);  mais  ccUe  date  est  cviVlcraraonL 


VID 

meilleur  ouvrage  de  Vidal;  il  con- 
tient de  sages  avis  sur  la  coudiiilc 
que  doit  tenir  un  troid^adour  avec 
les  princes  et  les  grands,  (iingiicne 
en  a  donne  l'analyse  dans  la  Vie  de 
P.  Vidal ,  dont  il  a  enrichi  le  tome 
XV  de  Vllisloirc  littéraire  de  la 
France  (  V^.  D.  Rivet  ).  C'est  la  plus 
intéressante  qu'on  ait  de  ce  poète , 
et  c'est  celle  dont  on  s'est  servi  sur- 
tout pour  la  rédaction  de  cet  article. 
W— s. 
VIDAL  (Raymond),  de  Besaudun , 
troubadour  provençal  ,  sur  lequel  on 
n'a  ])oint  de  renseignements.  Millot 
regrette  qu'aucun  auteur  n'ait  fait 
mention  de  ce  poète ,  digue  cepen- 
dant d'être  connu.  11  lut ,  dit-il  , 
peut-être  le  lils  du  fameux  Pierre 
Vidal  qui  paraît  avoir  réside'  quel- 
que temps  à  Besaudun.  L'abbe  ÎUvc 
aurait  bien  voulu  prouver  que  Ray- 
mond était  le  père  ou  l'aïeul  de 
Pierre  ,  afin  de  faire  remonter  jus- 
qu'au onzième  siècle  l'époque  où  la 
langue  provençale  eut  ses  rJgles 
fixées  par  une  grammaire  ;  mais  il 
avoue  qu'aucun  monument  n'appuie 
cette  conjecture  (  ^oy.  la  Chasse 
aux  Bibliographes,  235).  Bastero 
fait  Raymond  l'auteur  d'une  Gram- 
maire et  d'une  Poétique  {  Voj.  la 
Crusca  proveiizale  ,  Rome  ,  1724  ■> 
pag.  ii4)î  iiucun  autre  bibliogra- 
phe n'a  parle  de  la  Poétique.  Ce 
pourrait  cire  le  même  ouvrage  que 
la  Grammaire  dont  I\I.  Raynouard 
a  public  le  prologue  (  Choix  de  poé- 
sies,  II,  i52  ).  Les  manuscrits  dont 
s'est  servi  l'acade'micicn  français 
contiennent  quatre  pièces  de  ce  trou- 
badour. Millot  a  donne  l'analyse  de 
deux  Nouvelles  de  Raymond,  l'u- 
ne intitulée  :  de  la  Patience  en 
amour;  et  l'autre  ,  le  Jaloux  châ- 
tié [  Tlist.  des  trouhad.  ,  ni,  '277- 
3oy  ).  M.  Rayaouard  a  public  la  se- 


VID  4^3 

conde  dans  son  Choix  de  poésies  , 
v  ,  397.  —  Vidal  (Arnaud),  poète, 
de  Castelnaudary  ,  mérite  une  place 
dans  notre  histoire  littéraire  ,  parce 
qu'il  est  le  premier  qui  ait  remporté 
la  violette  d'or  ,  au  collège  de  la 
Gaie  science  ,  établi  à  Toulouse  , 
ve^i3;t3  (  Voy.  P.Cano).  Ce  pris 
lui  fut  adjuge  solennellement,  le  i<='. 
mars  i3.i4,  pour  un  poème  en  l'hon- 
neur de  la  Vierge  ,  que  l'on  conserve 
dans  les  reçristres  de  l'académie  de 
Toulouse  :  dans  le  courant  de  la  mê- 
me année,  Arnaud  fut  crcë  docteur 
en  gaie  science  ,  pour  avoir  fait  un 
nouveau  cantique  en  l'honneur  de  la 
Vierge.  Voy.  Mémoire  pour  servir  à, 
l'Histoire  des  jeux  jloraux  ,  par 
Poitevin-Pcitavi  ,  i4.  Le  Diction- 
naire universel  confond  Arnaud  avec 
Pierre  Vidal,  en  disant  qu'il  eut  la 
langue  fendue  pour  avoir  inédit  d'une 
dame,  et  que  dans  sa  vieillesse  il  fit 
un  ouvrage  sur  V Art  de  retenir  la 
langue.  Foj.  ci-dessus  l'art.  Pierre 
Vidal.  W— s. 

VIDAL  DE  NIMES  ,  avocat  du 
roi  à  la  sénéchaussée  de  ce  nom  ,  de 
i499  '•  ï^ï7  >  ^5'  auteur  d'un  ou- 
vrage de  jurisprudence  ,  intitule'  : 
Tractatus  insignis  et  prœclarus  de 
collalionibus  ,  qui  fut  d'abord  inséré 
dans  un  Recueil  de  Traités  sur  les 
Successions ,  Cologne ,  1 56ç) , iu-fol. , 
et  ensuite  dans  la  grande  collection 
imprimée,  eu  iSSS,  à  Venise ;,  18 
vol.  in-fol. ,  sous  ce  titre  :  Tractatus 
universi  juris.  Le  travail  de  Vidal  a 
Ions-temps  ioui  d'une  grande  estime. 
°        ^    ^  V.  S.L. 

VIDAL  (  Jacques  ),  surnomme  le 
Fieux,  peintre  d'histoire ,  né  à  Val- 
maseda  en  1 583,  fut  destiné  par  ses 
parents  à  l'état  ecclésiastique;  mais 
les  études  nécessaires  à  cet  état  ne 
l'empêchaient  pas  de  se  livrer  en  mé- 
mo temps  à  la  peinture.  Il  se  rendit 


424 


VID 


à  Rorae,  pour  y  obtenir  une  preTien- 
de;  et  la  vue  continuelle  des  chefs- 
d'œuvre  que  renferme  cette  ville  ne 
fit  qu'accroître  son  goût  pour  son  art. 
Il  s'y  adonna  avec  une  nouvelle  ar- 
deur; et  après  avoir  fait  de  rapides 
progrès,    d  revint    dans   sa  pa^ie 
et  se  fixa  à  Sévilîe ,  où  il  exeWa 
plusieurs     ouvrages     remarquables 
par  la   conection  du  dessin   et  la 
beauté  de  la  couleur.  On  distingue 
particulicrenieiiî  deux  tableaux  re- 
présentant, l'un  un  Christ,  l'autre 
une  Fierté,  qui  furent  placés,  en 
i6i3  .  dans  la  cathédrale  de  Séville, 
par  une  délibération  particulière  du 
chapitre.  Les  dessins  qu'il  a  laissés 
sont  une  nouvelle  preuve  de  ses  ta- 
lents. II  eût  acquis  une  réputation 
bien  plus  grande  encore ,  si  imc  mort 
prématurée  ne  l'eût  enlevé  à  l'âge  de 
trente  ans,  le  i3  décembre  161').  II 
était  chanoine  de  la  cathédrale  de  Sé- 
ville.—  Jacques  Vidal  de  Liendo  , 
neveu  et  élève  du  précédent,  et  sur- 
nommé le  Jeune ,  pour  le  distinguer 
de  son  oncle,  naquit  également  à  Val- 
maseda  ,  en  1602.  II  alla  à  Rome, 
pour  y  obtenir  aus.;i  une  prébende; 
et  les  travaux  auxquels  il  s'y  livra 
perfectionnant  ses  premières  études,  il 
parvint  à  surpasser  son  raaîîre  et  son 
oncle.  De  retour  en  Espagnz,  il  fit, 
pour  la  sacristie  de  la  cathédrale  de 
Valence,  plusieurs  tableaux   repré- 
sentant le  Christ ,  la  fierté  ,  Saint 
Jean  l'Évanç^éliste ,  la  Madeleine  , 
Sainte    Catherine  ,    Sainte    Inès  , 
Saint  Jean-Baptiste  et  Saint  Pier- 
re, apôtre.  I.e  f.iîtc  est  couronné  par 
une  brileropic  du  tableau  de  Raphaël, 
que  l'on  voit  au  Musée  du  Louvre,  et 
dont  le  sujet  est  V Archange  saint 
Michel  victorieux  du   démon.  Cet 
ouvrage  capital, dont  les  figures  sont 
de  grandeur  naturelle  ,    établit  la 
réputation  de   Vidal;  mais  il  était 


VID 

dans  la  destine'e  de  l'oncle  et  du  ne- 
veu de  mourir  avant  d'avoir  atteint 
le  terme  ordinaire  de  la  vie.  Il  mou- 
rut à  Sévilîe,  âgé  seulement  de  qua- 
rante-six ans,  le  9  août  164?$,  lais- 
sant ime  précieuse  collection  de  ta- 
bleaux ,  de  dessins  et  d'estampes.  — 
Denis  Vidal,  peintre,  né  à  Valence, 
en  1670,  se  rendit  à  Madrid ,  où  il 
reçut  les  leçons  d'Antoine  Palomino. 
De  retour  à  Valence,  il  y  fut  chargé 
de   plusieurs    travaux    importants, 
dont  il  s'acquitta  d'une  manière  ho- 
norable. Ayant  obtenu,  en  1(^97,  la 
peinture  à  fresque  des  voûtes  de  l'é- 
glise Saint-Nicolas,  il  profita  du  sé- 
jour de  son  maître  Palomino  à  Va- 
lence pour  lui  demander  ses  conseils. 
Il  en  obtint  un  croquis  qu'il  mit  à 
exécution.   Cette   grande   entreprise 
représente  divers  événements  de  la 
vie  de  saint  Nicolas  de  Barri  et  de 
saint  Pierre  martyr,  patron  de  la 
cathédrale.  Le  succès  avec  lequel  il 
l'exécuta  le  fit  charger  de  la  peinture 
de  I4  voûte  de  la  chapelle  de  Notre- 
Dame-de-Bon-Secours,  qui  depuis  a 
été  détruite.  A  Teruel ,  on  lui  confia 
la  peinture  de  la  voûte  du  couvent 
des  religieuses  de  Sainte -Claire,  et 
celle  du  monument  de  la  Semaine- 
Saiute,  dans  la  cathédrale.  Il  avait 
été  appelé  à  Tortose ,  pour  y  orner 
de  ses  peintures  la  chapelle  de  No- 
tre-Dame; mais  il  mourut  avant  d'a- 
voir terminé  cet  ouvrage.  On  conser- 
ve encore  plusieurs  beaux  ouvrages 
de  lui  à  Vivel  et  à  Gompanar.  P-s. 

VIDAL  TBartuelemi),  médecin, 
naquit  à  Martigues ,  petite  ville  de 
Provence  ,  le  3  septembre  I74ï« 
Après  avoir  achevé  ses  cours  à  la  fa- 
culté de  Montpellier,  il  reçut  le  doc- 
torat, et  pratiqua  sou  art  dans  sa 
ville  natale,  avec  un  succès  qui  fit 
désirer  à  ses  amis  de  le  voir  sur  un 
plus  grand  théâtre.  Cédant  à  leurs 


VID 

instances ,  il  vint  s'établir  à  Marseil- 
le en  i-jSSjct  dès  l'année  suivante 
il  fut  admis  à  l'académie  des  scien- 
ces, ainsi  qu'à  la  société  médicale  de 
cette  ville  ,  qui  le  choisit  pour  secré- 
taire. Il  partagea  tous  ses  instants 
entre  les  devoirs  de  son  état  et  ceux 
que  lui  imposait  le  titre  d'académi- 
cien. L'allaiblissemcnt  de  sa  santé  , 
causé  par  une  maladie  de  poitrine  , 
ne  ralentit  point  son  zèle.  Chargé  du 
service  des  pauvres  dans  sou  quar- 
tier, il  ne  cessa  de  leur  porter,  cha- 
que jour,  des  soins  et  des  consola- 
tions, tant  qu'il  eut  la  force  de  mar- 
cher. II  mourut  à  Marseille,  le  3o 
décembre  i8o5,  à  l'Age  de  soixante- 
cinq  ans,  laissant  la  réputation  d'un 
habile  praticien  et  d'un  excellent  ob- 
servateur. Vidal  a  été  le  principal 
collaborateur  de  Paul  {V.  ce  nom, 

XXXIII,  i83)  pour  l'analyse  et  la 
traduction  des  Recueils  des  acadé- 
mies de  Turin  ,  de  Bolocrne  et  de  Ber- 
Jin.  Outre  plusieurs  Mémoires  et  Ob- 
servations, dans  les  volumes  de  l'a- 
cadémie de  Marseille ,  on  cite  de  lui  : 
I.  Dissertation  sur  la  lèpre  de  Mar- 
tigues ,  dans  les  Mémoires  de  la  so- 
ciété royale  de  médecine.  II.  Essai 
sur  le  gaz  animal,  considéré  dans 
les  maladies,  Marseille,  1809,  in- 
8°. ,  publié  par  Achard.  Cet  ouvrage 
est  intéressant  et  curieux.  Desessart 
en  a  doimé  l'analyse  détaillée,  dans 
le  Journal  de  médecine  de  Sédillot, 

XXXIV,  422.  On  trouve  une  Notice 
sur  Vidal,  par  Achard  ,  dans  le  Ma- 
gasin encyclopédique ,  m,  25 1-56. 

W— s. 
yiDEL  (Louis),  fds  d'un  mé- 
decin de  Briançon  qui  a  le  premier 
e'crit  contre  Nostradamus ,  naquit 
dans  cette  ville ,  en  1 598 ,  et  fut  suc- 
cessivement secrétaire  des  ducs  de 
Lesdiguières,deCréqui,  et  du  maré- 
chal de  l'Hôpital.  N'ayant  pas  su  se 


VID 


425 


conserver  les  bonnes  grâces  de  ses 
maîtres ,  ni  s'enricliir  à  leur  service, 
il  alla  donner  des  leçons  de  géogra- 
phie, de  langues,  et  composer  divers 
écrits  à  Grenoble ,  oii  il  mourut  en 
i6'j5.  Ses  ouvrages  sont  :  I.  His- 
toire du  duc  de  Lesdiguières ,  bien 
érrite,  mais  en  stvie  d'éloge ,  iG(j(3 , 
in-i2.  II.  Le  Promenoir  de  la 
reine  à  Compiègne  ,  1641  ,  in- 12. 
III.  La  Méchante,  histoire  amou- 
reuse,  1624,  in-S"^.  IV.  Des  Tra- 
duclions  ;  on  lui  attribue  des  aug- 
incntations  aux  annotations  de 
Théodore  Godefroy  ,  sur  l'Histoire 
du  chevalier  Bajard ,  dans  l'édilioD 
de  Grenoble,  i()5i  ,  in-4°.  D'au- 
tres pensent  qu'elles  sont  du  prési- 
dent de  Boissière.  T — d. 

VIDELER  ou  VIDILLER 
(Reinmau),  minnesinger  du  trei- 
zième siècle ,  issu  d'une  famille  no- 
ble de  l'Alsace  ou  de  la  wSouabe,  vi- 
vait à  la  cour  de  Léopold  VII,  duc 
d'Autriche  ,  et  suivit  ce  prince  dans 
son  expélition  de  la  Terre-Sainte, 
en  12 17.  Léopold  étant  mort  en 
i25o  ,  Videler  chanta  son  bienfai- 
teur dans  ses  Complaintes.  On  a  de 
lui  des  poésies  publiées  dans  le  Re- 
cueil de  Manessen  ,  Zurich  ,  1758. 
Ce  recueil  a  été  tiré  de  la  Bibliothèque 
royale  de  Paris.  Les  poésies  de  Vi- 
deler ,  qui  se  trouvent  aussi  dans  la 
bibliothèque  du  Vatican  ,  touchent 
et  entraînent  par  la  finesse,  le  ton  natu- 
rel de  la  pensée  j  par  l'élégance  et  la 
douce  modulation  de  la  poésie.  Il  dut 
aux  accents  de  sa  lyre  le  surnom 
sous  lequel  il  est  connu  ;  Videler  ou 
Vidiller  signifiant  un  musicien,  dans 
la  langue  de  ces  anciens  trouba- 
dours. Il  eut  un  fds  appelé  Reinmar 
II ,  ou  Reinmar  le  jeune.  Né  dans  le 
château  que  son  père  avait  sur  les 
bords  du  Rhin  ,  il  fut  élevé  près  de 
lui  à  la  cour  du  duc  d'Autriche.  Pins 


4^6 


VID 


tard  il  vint  à  celle  de  Prze'myslas 
III,  roi  de  Boliême,  troisième  des 
Oltocares  ,  et  il  y  fut  très-consideré, 
ainsi  qu'à  la  cour  de  Louis-le-Se'vère, 
duc  de  Bavière.  Ses  poésies,  recueil- 
lies par  INIanessen  ,  semblent,  parla 
richesse  des  pensées,  la  vérité  des 
images,  et  la  finesse  du  sentiment. 
Lien  au-dessus  du  siècle  où  elles  furent 
composées.  G — y. 

VIDUS  VIDIUS(GwDO  GuiDi, 
plus  connu  sous  le  nom  latinisé  de  ) 
(i),  célèbre  médecin,  naquit  à  Flo- 
rence ,  dans  les  premières  années 
du  seizième  siècle  ,  d'une  famille 
patricienne.  Ayant  achevé  ses  étu- 
des et  pris  ses  degrés  ,  il  exerça  de 
'  la  manière  la  plus  brillante  l'art  de 
guérir  dans  sa  patrie.  Cédant  aux 
sollicitations  de  Louis  Alamanni  {f. 
ce  nom  ) ,  son  compatriote  ,  il  vint  en 
France  où  \\  reçut  un  accueil  distin- 
gué de  François  1'='".  Ce  prince  le  re- 
vclit  de  la  charge  de  son  premier 
médecin  ,  vacante  par  la  mort  de 
Guill.  Copp.  (  F.  ce  nom),  et  créa 
pour  lui  la  place  de  lecteur  eu  méde- 
cine au  collège  royal ,  fondé  récem- 
ment. Vidus  ouvrit  son  cours  en 
1 542 ,  et  sa  réputation  attira  bien- 
tôt à  ses  leçons  une  foule  d'auditeurs 
de  toutes  les  contrées.  Les  médecins 
de  Paris  ,  loin  de  s'en  montrer  ja- 
loux ,  furent  les  premiers  à  rendre 
justice  à  son  rare  mérite  ,  en  le 
])riant  de  joindre  à  son  cours  de  mé- 
decine un  cours  d'anatomie.  Sa  re- 
nommée était  si  grande  que  ses  con- 
temporains ont  dit  de  lui  : 

f'  idiis  venit,  J^idus  vidit,  J'iduf  ■vieil  (a). 

François  I^"".  le  combla  de  bienfaits  ; 
à  son  traitement  comme  médecin  et 
comme  professeur  ^  il  joignit   plu- 


(1)  Suivant  l'aUUr  Ooii)et  et  Éloy,  "iou  vérjlaîilc 
nom  sc-ail  J'allai- f'idtiro. 

(ï)  Guillaume  Duval ,  Hisl.  du  colUga  roy<d. 


VID 

sieurs  bénéfices  dont  les  revenus  le 
rendirent  un  des  particuliers  les  plus 
opulents  de  son  temps  (3).  11  fit  ser- 
vir sa  fortune   à  perfectionner   ses 
connaissances  ,  et  visita  la  Finance  et 
l'Italie  pour  s'entretenir  avec  les  sa- 
vants ,  et   consulter  les   manuscrits 
des  anciens   auteurs  de    médecine. 
Après    la    mort   de    François   I'=''. 
(  1 547  ) ,  Vidus  se  démit  de  sa  chaire 
au  collège  royal  ,  où  il  fut  remplacé 
par  Jacques  Sylvius  ou  Dubois  (  F. 
ce  nom  )  ,  et  revint  à  Florence  ,  rap- 
pelé  par    le   grand -duc   Côme  de 
Médicis  ,   qui  le  fit  son  premier  mé- 
deriu.   L'académie  florentine  s'em- 
pressa de  l'inscrire  au  nombre  de 
ses  membres  ,  et  il  eu  fut  élu  consul 
pour  l'année  i553.  Nommé  profes- 
seur de  philosophie   et    ensuite  de 
médecine  à  l'université  de  Pise,  il  y 
remplit  cette  dernière  chaire  pendant 
vingt  ans  avec  le  plus  grand  succès,  et 
mourut  le  26  mai  iSGg.  Ses  restes 
rapportés  à  Florence  y  furent  ense- 
velis avec  pompe  dans  l'église  de  la 
Nunzinta.  Vidus  avait  également  ap- 
profondi toutes  les  branches  de  l'art 
de  guérir  ,  et  il  n'était  pas  moins  La- 
bile  comme  chirurgien  que  comme 
médecin.  Les  ouvrages  qu'il  a  laisse's 
sont  très-nombreux.   Vidus  Vidius  , 
son  neveu ,   médecin  de  la  reine  dj^ 
France  ,  et  professeur  à  Pisc  _,  les  a 
recueillis  en  3  vol. ,  Venise ,  Giunti, 
161 4-  Cette  édition  a  été  reproduite 
à. Francfort,  162G,   iG45  et  1667. 
Le  premier  volume  contient  les  Ins- 
titutiojis  médicales ,  et  deux  Traités 
relatifs  à  VHjgiène  ;  le  second  ,  la 
Thérapeutique  ,    et  un  Traité  des 
Fièvres  ;  le  troisième  ,  un  Traité  des, 


(3)  De  ce  que  Vidus  possiîdall  des  be'urlices ,  on 
en  a  conrlii  qu'il  liait  eccléfiastiqu'»;  ma'S  op  sait 
qu'j  ce' te  ipoque  le  roi  di5|)<>sail  dc-s  ahliayes  e^ 
faveur  des  personnes  qui  avaient  rendu  des  servi- 
ces à  rttal. 


VID 

Aliments ,  un  autre  de  Matière  mé- 
dicale ,  la  Traduction  latine  des 
Chirurgiens  grecs  ,  avec  des  Com- 
mentaires, et  enlln  sept  livres  à^ A- 
natomie.  Ce  dernier  ouvrage  est  ac- 
compagne de  soixante-dix-luiit  plan- 
ches ,  grave'es  grossièrement  et  peu 
fidèles.  Vidus  avait  publie  la  Tra- 
duction latine  des  anciens  chirurgiens 
grecs ^  Paris,  i544i  in-fol.  Cette 
belle  et  rare  e'dition  est  de'die'e  à 
François  I*^'".  On  y  trouve  deux  li- 
vres d'Oribase  ,  traduits  par  Vidus  , 
sur  un  manuscrit  de  la  JJibliotlièque 
du  roi  (  V.  Oribase  ,  XXXII ^  69  ). 
Fi-ançois  Lefèvre  de  Bourges  a  tra- 
duit le  Commentaire  de  Vidtis  sur 
la  chirurgie  d'Hippocratc  ,  Paris  , 
i555  ,  in-ïa.  Les  ouvrages  anatomi- 
ques  de  Vidus  n'ont  été  publiés  qu'a- 
près ceux  de  Vesale  et  de  Fallope  ', 
et  il  a  profité  des  travaux  de  ses  de- 
vanciers, sans  indiquer  les  emprunts 
qu'il  leur  a  faits.  Ainsi  l'on  ne  peut 
assigner  avec  exactitude  les  décou- 
vertes dont  il  est  l'auteur.  Suivant 
M.  Portai  (  Histoire  de  V anatomie , 
1 ,  5i)i  ),  Vidus  a  mieux  décrit  les 
vertèbres  que  ne  l'avait  fait  aucun 
de  ses  prédécesseurs.  Sa  descrip- 
tion des  cartilages  ,  celle  des  liga- 
ments, son  explication  du  cœur, 
du  cerveau  et  de  l'œil  ,  méritent 
encore  d'être  consultées.  M.  Por- 
tai revendique  pour  Viflus  la  décou- 
verte des  tubercules  ,  des  valvules  , 
attribuée,  par  Morgagni  {Adversar. 
anatomie.  ) ,  à  César  Arantiiis  (  F'. 
ce  nom  ,  11^  355  ).  OalreV Histoire 
de  l'anatomie,  i,  SSg-gp,  on  peut 
consulter  sur  Vidus  la  Notice  que 
Salviniluia  consacrée  àaxïÛQsFasti 
consolari  delV  accadem.fioreniina , 
p.  1 15  ;  son  éloge  dans  les  Illustri 
Toscani,  tome  iv  ;  V Histoire  du 
Collège  Rojal,  par  l'abbé  Goujct  , 
m  ,    1-8^  édit.  iu-r.i  ;   la   Storia 


VIE  427 

délia  letterat.  ital.  de  Tirabosclii , 
VII  ,  C77.  W — s. 

VIEIL  ou  VIEL  (  PiERUE  Le  ) , 
né  à  Paris  ,  le  8  février  1 708 ,  d'une 
famille  originaire  de  Normandie  , 
qui  s'y  distinguait  depuis  pKis  de 
deux  siècles  à  peindre  sur  le  verre  , 
se  fit  connaître  en  1734  ,  par  le 
rétablissement  des  belles  vitres  du 
charnier  de  Saint-Etienne  du  Mont , 
et  manifesta  encore  son  talent  dans 
la  réparation  de  celles  de  l'église  de 
Saint-Victor.  Cet  habile  artiste  mou- 
rut le  23  février  1772.  Quelque  flo- 
rissant qu'ait  été  en  Europe  ,  pten- 
dant  plus  de  six  siècles ,  l'art  de 
peindre  sur  verre  ,  Le  Vieil  est  le  seul 
qui  en  ait  approfondi  toutes  les  par- 
ties ,  et  qui  ait  su  en  réunir  dans  un 
Traité  l'histoire  et  la  pratique  ;  ce 
Traité  ne  parut  qu'apiès  sa  mort , 
sous  ce  titre  :  Y  Art  de  la  peinture 
sur  verre  et  de  la  vitrerie  ,  Paris  , 
1774,  in-fol.,  avec  treize  planches. 
On  lui  attribue  aussi  un  Essai  sur  la 
peinture  en  mosaïque ,  Paris  ^  1 768, 
in- 12,  ouvrage  rempli  de  recher- 
ches utiles  et  souvent  très-agréables. 
—  Vieil  (  Guillaume  Le  ) ,  proba- 
blement de  la  même  famille  que  lo 
précédent,  naquità  Rouen  vers  1675. 
Il  était,  du  côté  matex'nel,  petit- 
fils  de  Jean  Jouvenet,  qui  lui  en- 
seigna les  éléments  du  dessin.  Il  se 
livra  ensuite  avec  succès  à  la  pein- 
ture sur  verre.  S'étant  rendu  à  Pa- 
ris, il  peignit  les  vitraux  de  l'église 
des  Blancs-Manteaux ,  et  fut  chargé 
par  Mausard  de  peindre  ceux  de  la 
chapelle  du  château  de  Versailles. 
On  cite  ,  comme  son  clief-d'œuvre  , 
un  panneau  représentant  le  pape  Pie 
V  _,  d'après  le  tableau  de  Jean  An- 
dré ,  dominicain.  Guillaume  Le  Vieil 
mourut  à  Paris  en  1731,    C.  T — y. 

VIEIL  (Jean  Le).  Vojez\%,- 

ÏUS. 


4^8  VIE 

VIEILLARDBOISMARTIN 

(Antoine),   avocat,  né  à  Paris  en 
1745,  entra  de  bonne  heure  au  par- 
lement de  Rouen ,  et  s'y  distingua 
par  le  zèle  avec  lequel  il  défendit  un 
grand  nombre  de  personnes  accusées 
de  crimes  capitaux.  L'affaire  P'^erdu- 
re  à  laquelle  il  consacra  quatre  années 
de  soins,  excita  vivement  l'intérêt  du 
public.  Il  s'agissait  dans  cette  cause, 
comme  dans  celle  de  Calas ^  d'une 
accusation  d'infanticide.  Un  père  et 
Quatre  enfants,  présentés  comme  ses 
complices,  étaient  oubliés  depuis  six, 
ans  dans  les  prisons  de  Rouen  j  Vieil- 
lard vint  à  bout  de  faire  prononcer 
leur  absolution ,  le  9  décembre  i  -^89, 
par   un  jugement    des  requêtes   de 
l'hôtel  au  souverain ,  qui  cassait  un 
arrêt    rendu   par    le    parlement  de 
Rouen.  Au  commencement  de  la  ré- 
volution ,  le  bouleversement  de  l'or- 
dre judiciaire  engagea  Vieillard  à  se 
retirer  à  Sainl-Lo  ,  auprès  de  sa  fa- 
mille. Il  fut  élu  maire  de  cette  ville 
en  1790;  et  l'on  dut  à  ses  soins  la 
création  de  la  place  d'armes,  qui  en 
est    le   princi]ial    ornement.    Il    fut 
nommé,  l'année  suivante,  accusa- 
teur public    près    du  tribunal    cri- 
minel de  Coutances  ;  et  la  vigueur 
avec  laquelle  il  poursuivit  la  répres- 
sion des  désordres,  préludes  du  ren- 
versement du  trône ,  excita  contre  lui 
deshaijies  qui,a])rès  le  10  aoijt,  l'o- 
bligèrent à  rentrer  dans  la  vie  pri- 
vée. Au  21  janvier,  il  porta  publi- 
quement le  deuil  de  Louis  XVI ,  et 
fut  néanmoins  réélu  maire  de  Saint- 
Lô ,  en  février  1793.  La  fermeté  de 
son  administration  y  maintint  l'or- 
dre et  la  sûreté^  jusque  vers  la  fin 
de  cette  année,  oîi  il  fut  destitué  par 
un  proconsul ,  auquel  il  avait  été  dé- 
noncé comme  fédéraliste.  Elu  haut- 
juré  à  la  cour  de  Vendôme  en  1797, 
sa  nomination  fut  annulée  au  18  fruc- 


VIE 

tidor.  A  l'e'poque  de  l'organisation  de 
l'ordre  judiciaire,  en  1800,  il  fut 
nommé  commissaire  du    gouverne- 
ment près  du  tribunal  civil  de  Saint- 
Lô.  En  181 1,  il  fut  rappelé,  pour  la 
troisième  fois  ,  aux  fonctions  de  mai-      * 
re,et  il  les j'cmplissait  encore  lorsqu'il 
mourut  en  fév.  181 5.  lia  publié,  sur 
des  matières  civiles  et  criminelles ,  un. 
grand  nombre   de  Mémoires,  dont 
les    plus  connus  sont  ceux  qui  con- 
cernent  l'alFaire  Verdure  :  le  pre- 
mier, imprime  en  1787  ,  à  Rouen, 
et  le  second  en  1789,  à  Paris.  On  y 
trouve  une  grande  force  de  logique       | 
et  cette  chaleur  de  sentiment  qui  vient       , 
de    la    conviction.    Vieillard    était 
doué  d'une  facilité  d'élocution  très- 
remarquable.  Ses  travaux  au  bari'eau      | 
et  dans  l'administration  ne  l'avaient       " 
pas  empêché  de  se  livrer  à  la  culture 
des  lettres.  On  a  de  lui  trois  tragé- 
dies :  I.  Almanzor ,   représenté  à 
Uoueu ,  en  1771;  imprimé  à  Caen. 
II.  Blanchard  ou  le  Siège  de  Rouen, 
représenté  dans  la  même  ville ,  en 
1775,  et  repris,  en  1793  ,  avec  de 
grands     changements  ,    Saint  -  Lô  , 
1793.  m.  Thérainène  ou  Athènes 
sauvée,  non  représenté,  Saint-Lo, 
an  IV  (  1796  ).   Cette  dernière  pièce 
offre  ,  sous  d'autres  noms ,  le  tableau 
du  9  thermidor.  Ces  ouvrages  laissent 
sans  doute  à  désirer,  sous  le  rapport 
des  effets  du  théâtre;  mais  ils  sont 
régulièrement  conduits ,  et  se  distin- 
guent par  le  naturel  et  la  facilité  du 
style.  Le  fils  aîné  de  Vieillard  ,  connu 
T)ar  diverses  productions  littéraires  , 
est  l'un  des  conservateurs  de  la  bi- 
bliothèque de  l'Arsenal.  Z. 

VIEILLEVILLE  (  François  de 
ScEPEAUX,  sire,  et  depuis  maréchal 
de)^  né,  en  iSog,  d'une  famille  an- 
cienne et  puissante  de  l'Anjou,  fut 
élevé  comme  enfant  d'honneur  dans 
la  maison  de  Louise  de  Savoie,  mère 


VIE 

de  François  !'='"_  .  mais  ayant  été 
outrage  par  le  maître  -  d'hôtel  de 
cette  princesse  ,  il  le  provoqua  en 
duel  et  le  tua.  Après  ce  coup  (jui  ne 
fut  pas  tenu  pour  mauvais  ,  dit  l'au- 
teur de  ses  Mémoires ,  il  alla  joindre 
en  Italie  le  maréchal  de  Lautrec, 
dont  il  était  parent.  La  renommée 
toute  récente  des  exploits  de  Bayard, 
éveillant  les  nobles  dispositions  dont 
la  nature  l'avait  doué  ,  Vieilleville 
se  proposa  dès  ce  moment  pour  mo- 
dèle le  Chevalier  sans  peur  et  sans 
reproche  ;  et  comme  lui  hrave  et 
désintéressé  ,  il  aima  mieux  îjagner 
à  son  souverain  le  prince  de  Melphe, 
tombé  entre  ses  mains  comme  pri- 
sonnier, que  de  tirer  de  lui  une  ran- 
çon de  soixante  mille  ducats ,  qui  ne 
lui  pouvaient  faillir.  Parmi  les  bra- 
ves dont  les  armées  françaises  étaient 
alors  remplies, C/mfe/gneraxe,  Vieil 
leville  et  Bourdillon,  disait-on,  sont 
les  trois  hardis  compagnons.  Lors- 
qu^iprès  s'être  distingué  dans  la 
guerre  de  Provence,  et  rendu  maître 
d'Avignon,  le  jeune  guerrier  rejoi- 
gnit la  cour  :  «  Approchez  de 
vioi  ,  gentille  Jleur  de  chevalerie , 
lui  dit  le  monarque  ,  et  parez  ce 
coup  de  votre  roi ,  le  faisant  ainsi 
chevalier  d'épée,  mais  non  pas  de 
l'ordre  ,  qui  alors  ne  se  donnait 
guà  vieux  capitaines,  w  Un  tel 
prince  ne  pouvait  rencontrer  que 
vaillance  et  dévouement  ;  mais  à 
ces  qualités  Vieilleville  joignait  la 
prudence  ,  l'habileté  dans  lesallaires, 
l'équité ,  le  désintéressement.  A  la 
mort  du  comte  de  Chàteaubriant  ,  il 
refusa  sa  compagnie  qui  lui  était  of- 
ferte par  François  I*^^'.  «  Je  ne  l'ai 
»  point  encore  méritée ,  dit-il  au  roi; 
»  je  veux  que  vous  me  la  donniez  le 
»  jour  d'une  bataille  ,  après  m'avoir 
»  vu  dans  l'action  :  aujourd'hui  ce 
»  choix  n'honorerait  ni  vous  ni  moi; 


VIE 


429 


»  vous  auriez  fait  une  grâce  au  pa- 
»  rent  de  Chàteaubriant ,  je  veux 
»  que  vos  bienfaits  rendent  justice  à 
»  "Vieilleville.  «  Plus  tard  ,  François 
I<=''. ,  eu  le  présentant  au  duc  d'Or- 
léans ,  son  second  fds ,  depuis  Henri 
II,  auquel  il  avait  le  projet  de  l'atta- 
cher ,  dit  au  jeune  prince  :  «  Il  11  a  pas 
plus  d'âge  que  vous  ,  vojez  ce  quil 
a  déjà  fait.  »  A  la  bataille  de  Céri- 
solles,  Vieilleville  contint  l'ardeur  du 
jeune  comte  d'Enghien  qui,  avec  la 
même  bravoure  que  Gaston  de  Foix , 
aurait  eu  probablement  le  même  sort. 
Dans  la  répression  des  troubles  qui 
agitèrent  la  Guicnne  et  l'Angoumois, 
il  s'occupa  constamment  d'adoucir 
les  rigueurs  du  connétable  de  Mont- 
morenci.  A  Bordeaux  ,  il  sauva  , 
comme  Bayard  ,  l'honneur  des  filles 
de  son  hôte  ;  et  lorsqu'on  lui  pro- 
posa une  part  dans  les  confisca- 
tions exercées  sur  ces  malheureuses 
provinces  ,  il  refusa  ,  ne  voulant  pas 
pour  vingt  mille  écus  se  charger  des 
malédictions  d'une  infinité  de  fem- 
mes ,  de  filles  et  de  petits  enfants  ;  et 
tirant  sa  dague  il  la  fourra  dans 
l'endroit  du  brevet  où  son  nom  était 
écrit.  Le  maréchal  de  Saint-André, 
qui  était  meilleur  courtisan  que  Vieil- 
leville ,  le  supplanta  dans  la  faveur 
de  Henri  II,  sans  lui  ôter  cependant 
la  confiance  que  méritaient  ses  talents 
et  sa  droiture.  Appelé  aux  conseils  , 
il  ouvrit  l'avis  de  mettre  un  terme 
aux  envahissements  de  Charles-Quint 
en  Allemagne  par  l'occupation  des 
Trois-Evêchés,  et  répondit  aux  ob- 
jections tirées  de  l'état  des  finances 
par  l'offre  de  sa  vaisselle.  Metz,'Toul 
et  Verdun  ouvrirent  leurs  portes,  en 
i5'j2.  Vieilleville  voulait  qu'elles  ne 
fussent  occupées  qu'à  titre  de  protec- 
tion ,  pour  ne  pas  alarmer  les  au- 
tres villes  d'Allemagne ,  et  cet  avis 
n'ayant  pas  été  adopté  il  refusa  le 


43n 


VIE 


gouvernement  d'^  Metz.  La  f:;loirc  de 
de'fcudre  cette  VilJe  fut  par  là  lései- 
Tce  au  duc  de  Guise  ,  mais  Vieille- 
ville  qui,  en  barcelantremiemi,  avait 
puissammeut  contribué  à  la  levée  du 
siège,  après  s'être  emparé  de  Pont- 
à-Mou3son  ,  eut  encore  la  plus  jiran- 
de  part  a  la  prise  de  Thionville.  Il 
fut  un  des  principaux  négociateurs  du 
traité deCateau-Cambresis, en  iSSg, 
etsans  se  mêler  aux  intrigues  qui  agi- 
tèrent la  cour  après  la  mort  de 
Henri  II ,  il  combattit  les  protestants 
comme  des  sujets  i-ebelles ,  mais  sans 
s'abandonner  aux  fureurs  des  haines 
de  parti  qui  égaraient  alors  presque 
tous  les  esprits.  Cette  modération  si 
opposée  à  l'esprit  du  temps  ne  l'est 
pas  moins  au  courage  emporté  dont, 
à  l'approche  de  la  vieillesse,  il  re- 
nouvela l'exemple  donné  par  lui  au 
sortir  de  l'enfance:  Après  avoir  reçu 
le  bâton  de  maréchal,  en  i562, 
Vieilleville  fut  envoyé  en  IS^ormau- 
die ,  pour  apaiser  les  troubles  qui , 
dans  ces  temps  de  calamités ,  écla- 
taient comme  autant  d'incendies 
dans  toutes  les  parties  de  la  France. 
Les  difficultés  qui  s'élevèient  entre 
M.  de  Villebon,  gouverneur  doPiouen, 
et  lui,  amenèrent  une  scène  assez  vi- 
ve pour  que  l'un  et  l'autre  tirassent 
réj)ée;  ma is  du  premier  coup  celle  du 
maréchal  abattit  le  bras  de  son  ad- 
versaire. Cet  acte  d'emportement  at- 
tii'a  de  grands  désagréments  à  son 
auteur  ;  la  populace  de  Rouen  se 
souleva  contre  lui,  et  les  accusations 
de  partialité  en  faveur  des  protes- 
tants ne  lui  furent  pas  épargnées. 
Après  la  paix  d'Amboise ,  ce  fut  le 
maréchal  de  Vieilleville  qui  conseilla 
et  conduisit  l'expédition  contre  le 
Havre  ;  à  sa  voix  les  chefs  catholi- 
ques et  protestants  ,  se  souvenant 
qu'ils  étaient  Français ,  se  réunirent 
pour   enlever  à   l'Angleterre    cette 


VIE 

porte  que  Coligni  lui  avait  iivre'c. 
Lorsqu'après  la  funeste  bataille  de 
Saint  -  Denis  ,  Charles  IX  deman- 
da au  maréchal  auquel  des  deux 
partis  il  pensait  que  la  victoire 
dût  être  attribuée ,  il  répondit  :  «  5/- 
re ,  Votre  Majesté  ne  Va  point  ga- 
gnée, encore  moins  le  prince  de  Con- 
dé  :  ce  a  été  le  roi  d'Espagne  j  » 
et  il  ajouta  que  la  perte  de  tout  ce 
que  la  France  avait  de  plus  valeu- 
reux en  chefs  et  en  soldats  assurait 
pour  long-temps  le  repos  des  Pays- 
Bas.  La  mort  du  connétable  de  Mont- 
raorenci  rendant  vacante  la  premiè- 
re dignité  de  l'état,  ce  fut  sur  Vieil- 
leville que  Charles  IX  jeta  les  yeux 
pour  la  remplir.  L'auteur  de  ses  Mé- 
moires affirme  même  qu'il  y  fut  pro- 
mu par  le  roi ,  en  présence  des  prin- 
ces et  des  grands  du  royaume-  mais 
le  maréchal,  qui  probablement  con- 
naissait les  intentions  de  la  reme- 
mère ,  refusa  une  si  haute  faveur , 
en  conseillant  au  roi  de  nommer  le 
duc  d'Anjou  lieutenant -général  du 
royaume.  Honoré  de  la  confiance  du 
monarque  qui  l'avait  chargé,  en  qua- 
lité de  son  ambassadeur  en  Angle- 
terre et  en  Allemagne,  des  affaires 
les  plus  importantes  ;  bien  vu  de  la 
jeune  reine  Isabelle  d'Autriche,  dont 
il  avait  le  premier  négocié  le  maria- 
ge ;  comptant  sur  la  durée  de  la  paix 
qui  avait  été  conclue  en  1-^70,  le 
maréchal  de  Vieilleville  esjjérait 
jouir  avec  quelque  repos  des  digni- 
tés et  de  l'ascendant  qu'il  avait  si 
noblement  acquis,  lorsqu'il  moui'ut 
empoisonné  à  l'instant  même  où  une 
A'isite  du  roi,  dans  son  château  de 
Duretal ,  venait  de  mettre  le  comble 
à  ses  honneurs,  eu  iS^i.  Il  n'était 
âgé  que  de  soixante-deux  ans.  Les 
Mémoires  de  Vieille-ville,  écrits  par 
Carloix,  son  secrétaire  ,  dans  un 
style  très-pur  et  très-rapide  pour  le 


VIE 

temps,  semblent  aussi  avoir  etc  faits 
à  l'imitation  de  ceux  du  loyal  ser- 
i'iteur  qui  a  lédigë  les  Mémoires  du 
chevalier  Bayard.  Ils  out  été  publiés 
pour   la  première  fois  en  in5'],eu 
cinq  volumes    in-i3  ,   commentés 
par  le  P.  Griffet,  jésuite,  qui  en  a 
rajeuni  le  style,- les  a  éclaircis  par 
des    Notes ,    où   il   relève  les  fau- 
tes de  généalogie  et  les  erreurs   de 
date.  Les  éditeurs  de  la  Collection 
des  Mémoires  relatifs  à  l'histoire 
de  France,  eu  les  insérant  dans  leur 
recueil,  se  sont  appliqués  à  les  con- 
cilier avec  les  autres  écrits  du  temps. 
Malgré  tout  ce  travail ,  Garnier  n'a 
cru  y  voir  qu'un   tissu  de   bévues 
grossières  et  de  faussetés  manifestes , 
qu'il  relève  dans  le  quarante-deuxiè- 
me volume  des  Mémoires  de  l'acadé- 
mie  des   inscriptions.   Il   reconnaît 
néanmoins  qu'il  y  a  des  cas  ,  quoique 
en  petit  nombre,  où  cet  écrivain  par- 
tial et  pi'csque  romancier  est  mieux 
instruit  et  plus  d'accord  avec  les  ti- 
tres que  nos  historiens  les  pins  re- 
nommés. Il  ne  se  j^erd  point  dans  un 
déluge  de  petits  soins.  Il  peint  le  roi, 
les  ministres  ,  les  favoris,  les  intérêts 
ou  les  fiassions  qui  partageaient  la 
cour.  C'est  sur  ce  théâtre  qu'il  pro- 
duit son  héros,  et  toujoui's  dans  les 
premiers  rangs.  Ces  Mémoires ,  quoi- 
que remplis  d'expressions  gauloises 
et  surannéeS;,  offrent  une  certaine  fraî- 
cheur de  coloris  et  d'images ,  cette 
naiveté  de  style ,  cet  abandon  ,  cette 
négligence  qui  plaisent  dans  les  ou- 
vrages de  cette  espèce.  On  y  trouve 
même  quelquefois  des  tournures  origi- 
nales et  i)iquantes ,  des  coups  de  pin- 
ceau mâles  et  hardis.  Ces  Mémoires 
ont  été  réimprimée  récemment  dans 
la  Collection  de  Petitot.  M — s — n. 

VlEIRAouVlEYRA^SÉBASTiEN), 
missionnaire  portugais  ,  naquit  en 
ïS^o,  à  Castro  d'Aire,  diocèse  de 


VIE 


43i 


Lamego.  A  l'âge  de  seize  ans  ,  il  em- 
brassa la  règle  de  saint  Ignace,  et  se 
disposa,  par  la  prière  et  l'étude  ,  à 
porter  l'Évangile  dans  les  Indes.  S'é- 
tant  embarqué  pour  le  Japon  ,   en 
1602,  il  se  signala  pendant  plusieurs 
années  par  son  zèle  pour  la  propa- 
gation de  la  foi.  Un  ordre  de  l'em- 
pereur ,  en  le  reléguant  à  Manille  , 
interrompit  le  cours  de  ses  prédica- 
tions ;  mais  il  rentra  bientôt  au  Ja- 
pon ,  et  il  continua  de  se  dévouer  au 
service  des  nouveaux  chrétiens ,  dont 
le  nombre  s'accroissait  chaque  jour. 
Rappelé  par  ses  supérieurs  à  Macao^ 
il  fut  envoyé  à  Rome  pour  rendre 
compte  au  souverain  pontife  de  l'é- 
tat des  missions  des  Indes.  Pendant 
son  absence  sa  tête  fut  mise  à  prix , 
et  il  fut  obligé  de  se  déguiser  en  ma- 
telot chinois  pour  rentrer  au  Japon  , 
où  il   resta   quelque  temps    caché. 
Mais  avant  été  nommé  vice-provin- 
cial et  administrateur  de  l'évêché,  il 
se  trouva  dans  la  nécessité  de  braver 
tous  les  dangers  pour  remplir  les  de- 
voirs que  lui  imposait  ce  double  ti- 
tre. Il  fut  bientôt  découvert ,  et  con- 
duit devant  l'empereur  à  Yedo.  Le 
prince  lui  commanda  de  renoncer  à 
Jésus-Christ  j  mais  il  répondit  qu'il 
ne  trahirait  point  un  maître  dont  il 
n'avait  reçu  que  des  bienfaits  depuis 
soiianîe-trois  ans  ,  pour  obéir  à  ce- 
lui qu'il  ne  connaissait  que  par  ses 
rigueurs.  L'empereur,  irrité,  le  fit 
appliquer  à  la  torture  j  voyant  que 
les    supplices    ne    pouvaient    point 
ébranler  sa  constance,  il  le  fit  sus- 
pendre par  les  pieds  dans  une  fosse, 
les  mains  liées  derrière  le  dos.  On  re- 
trouva le  P.  Vieira  vivant  au  bout 
de  trois  jours,  et  il  termina  sa  vie 
sur  un  bûcher  ,  le  6  juin  i634 .  On  a 
de  lui  quelques  Lettres  daus  le  Re- 
cueil des  Missions  ,  année  i6i3. 
W— s. 


43'2  VIE 

YIEIRA  ou  YIEYRA  {  Antoine  ), 
célèbre  prédicateur, et,  au  jugement 
des  critiques  portugais  ,  l'un  des 
meilleurs  écrivains  de  celte  nation  , 
naquit  à  Lisbonne  le  6  février  1G08. 
Conduit  eu  bas  âge  au  Brésil ,  où 
sou  père  s'établit  avec  sa  famille  ,  il 
fit  ses  premières  études  au  collège  de 
Eahia  ,  sous  la  direction  des  Jésuites. 
11  annonçait  si  peu  de  dispositions 
pour  les  lettres  ,  que  ses  maîtres  au- 
gurèrent ffii'il  ne  serait  jamais  q;i'un 
sujet  médiocre  ;  mais  il  finit  par 
surmonter  les  obstacles  que  la  nature 
semblait  avoir  mis  au  développe- 
ment de  son  intelligence  ;  et  ayant 
embrassé  la  règle  de  saint  Ignace 
en  iG'2'2  ,  il  fut  envoyé  au  noviciat  à 
Sau-Salvador,  où,  âans  l'espace  de 
deux  années  ,  il  lit  des  progrès  si  ra- 
pides, que  par  une  décision  très- 
remarquable  SOS  supérieurs  le  dis- 
pensèrent de  suivre  les  cours  de 
théolo;;ie  [  i  ).  Resté  maître  de  choisir 
entre  les  systèmes  de  l'école  celui 
qu'il  jugeait  le  meilleur  ,  il  composa 
pour  son  instruction  difTérents  trai- 
tés ,  qui  furent  trouvés  excellents , 
et  qu'il  expliqua  depuis  au  collège 
de  Baliia.  Le  vice-roi  du  Brésil  ayant 
achevé  de  soumettre  ce  vaste  pays  , 
résolut,  en  i()4i  ,  d'envoyer  son  fils 
à  Lisbonne  porter  cette  agréable 
nouvelle,  et  le  P.  Vieyra  fut  désigné 
pour  l'accompagner.  I>e  roi  Jean  IV, 
charmé  de  son  talent  pour  la  chaire^ 
le  nomma  son  piédicatcur.  Dans 
les  conversations  qu'il  avait  avec 
Yieyra ,  ce  prince  lui  ayant  reconnu 
un  génie  propre  auxallaires,  le  char- 
gea de  différentes  négociations  en 
Angleterre,  en  Hollande,  en  France, 
et  enfin  à  Rome.  11  revint  à  Lis- 
bonne, en  1049.  Le  roi^  satisfait  de 


(i)  CeUe  décisioD,  dit  le  V.  Oudin ,  paraîtra 
bien  extraordinaire  ^  ceux  qui  connaissent  J es  lua- 
ges  des  jésuites. 


VIE 

ses  services,  voulut  l'en  récompenser 
par  un  évèclié  qu'il  le  pressa  d'ac- 
cepter. Yieyra  demanda  pour  toute 
faveur  la  permission  de  retourner  au 
Brésil ,  accomplir  le  vœu  qu'il  avait 
fait  de  se  consacrer  à  l'instruction 
des  sauvages  ,  mais  il  ne  put  l'obtenir 
qu'en  i65.2.  Les  Jésuites  de  Portugal 
ne  formaient  qu'une  ser.le  province. 
Le  roi  décida  qu'elle  serait  partagée. 
On  soupçonna  Yieyia  d'avoir  con- 
seillé cette  mesure ,  et  il  fut  question 
de  l'exclure  de  la  société  comme  uii 
novateur.  Vieyra  profita  de  celte  cir- 
constance pour  représenter  au  roi 
qu'il  ue  pouvait  prolonger  davantage 
son  séjour  en  Portugal  ;  et  il  s'em- 
barqua le  20  novembre  ,  emmenant 
avec  lui  des  missionnaires  au  Brésil. 
Dès  l'année  suivante  ,  il  revint  à  Lis- 
bonne plaider  la  cause  des  sauvages 
duMaraguan,  que  les  colons  portu- 
gais enlevaient  de  leurs  habitations  , 
et  réduisaient  eu  esclavage.  Tout  ce 
qu'il  demandait  lui  fut  accordé  • 
mais  le  roi  employa  de  nouveaux 
eiforts  pour  le  retenir  à  sa  cour ,  et 
il  ne  put  retourner  au  Brésil  qu'en 
i(J55.Cefut  alors  que,  se  livrant  tout 
entier  à  son  zèle  apostolique,  il  par- 
vint ,  en  moins  de  six  ans ,  à  civi- 
liser plus  de  six  cents  lieues  de  pays, 
où  il  fit  régner,  avec  l'Evangile  ,  les 
arts  utiles  et  la  liberté.  Les  colons 
portugais, indignés  des  obstacles  que 
le  P,  Vieyra  mettait  à  leurs  pré- 
tentions criminelles  et  à  leur  cupi- 
dité, ne  songeaient  qu'aux  moyens  de 
s'en  dcbarri.sser.  En  1G61 ,  ils  l'em- 
barquèrent avec  ses  confrères  sur  un 
vaisseau  qui  faisait  voile  pour  Lis- 
bonne ,  .sous  prétexte  que  les  mission- 
naires s'entendaient  avec  les  Hollan- 
dais ,  pour  enlever  le  Brésil  au  Portu- 
gal. Cette  accu.salion  ridicule  ne  pou- 
vait avoir  aucune  suite.  Au  roi  Jean 
lY  avait  succédé  Alphonse  YI.  Le 


VIE 

P.Vieyra  lut  consulte  par  la  régente, 
sur  les  mesures  à  prendre  pour  éloi- 
gner de  la  cour  les  jer.nes  seigneurs 
qui  s'étaient  emparés  de  l'esprit  du 
nouveau  roi  (2).  D'après  son  avis , 
tous  les  favoris  d'AIplionse  lurent 
exiles  ■  mais  ceux-ci  redevenus  les 
inaîires,  par  une  de  ces  révolutions  si 
communes  dans  les  cours  ,  llrcnt  re- 
léguer le  P.  Vieyra  à  Porto  ,  puis  à 
Coïmbre,  où  il  fut  mis  entre  les  mains 
de  rnupiisition  ,  accusé  d'avoir  énon- 
cé, dans  la  chaire,  f/es  propositions 
condamnées  par  l'Eglise,  Arrêté  le 
2  octobre  i665,  il  resta  vingt-six. 
mois  dans  les  prisons  du  baint- 
Oilice ,  et  ne  recouvra  la  liberté  que 
lo  '^4  décembre  iGGn.  11  fallait  que 
son  innocence  fût  bien  démontrée , 
puiscpi'on  n'exigea  de  lui  aucune  ré- 
tractation ,  et  qu'il  fut  même  dispen- 
sé d'assister  a  la  cérémonie  de  r<zf/fo- 
da-ffi.  En  l'ifJQ  ,  sui'  la  demande  de 
la  reine  Cliristine,  il  reçut  de  sou 
général  l'invitation  de  se  rendre  à 
Kome.  Il  obéit,  et  l'accueil  que  lui 
(ircnt  le  souverain  ponlife  et  les 
membres  les  plus  distingués  du  sacré 
collège  dut  être  un  dédommagement 
des  injustices  qu'il  venait  d'éprouver 
en  Portugal .  La  reine  Ciluisfine,  char- 
mée de  plus  en  plus  de  ses  manières 
et  de  son  esprit,  désira  se  l'attacher 
avec  le  titre  de  son  confesseur;  mais 
l'état  de  sa  santé  l'obligea  de  retour- 
ner, en  iC-jS,  à  Lisbonne,  respirer 
l'air  natal.  Avant  son  départ,  le  pape 
Clément  X  lui  prodigua  les  marques 
du  plus  tendre  intérêt ,  et  lui  remit 
un  bref  qui  défendait  aux  inquisiteurs 
portugais  de  prendre  connaissance  à 
l'avenir  de  ce  qui  concernait  Vieyra. 


{■>-)  Ija  remontrance  que  le  P.  Vieyra  fit  an  roi, 
pour  rengainer  àéloiguei-  ses  fd\oris,  a  elc  traduite 
eu  Iraurais  et  ioséi-ee  dans  la  Relation  des  trouble' 
arrivés  à  la  cour  de  Portugal,  pai-  Fremonl-d'A- 
blanconrt  (f .  FrÉmoNt  ). 

XI.VIIl. 


VIE  433 

Christine  tenta  de  le  faire  revenir  à 
Rome  ,  en  1678;  mais  il  s'en  excusa 
sur  son  âge.  Dès  que  ses  forces  le 
lui  permirent ,  il  se  hâta  de  retour- 
ner au  Brésil.  Nommé  supérieur 
général  de  la  mission  du  Maragnan, 
il  fut  élu  ,  en  i(j88,  visiteur  de  la 
province  du  Brésil ,  charge  qui  lui 
donnait  l'autorité  de  choisir  dans  les 
diirérentes  maisons  les  sujets  pro- 
pres aux  missions.  Il  passa  \cs  der- 
nières années  de  sa  vie  au  collège  de 
Bahia  ,  occupé  de  préparer  une 
édition  de  ses  Sermons,  dont  quel- 
ques-uns avaient  déjà  été  publiés, 
mais  sur  des  copies  défectueuses.  Il 
conserva  jusqu'à  la  fin  toute  la  vi- 
gueur de  son  esprit,  et  mourut  le  18 
j.iillet  1697,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
neuf  ans.  Ses  obsèques  furent  célé- 
brées avec  une  pompe  extraordi- 
naire. Ses  compatriotes  l'ont  nommé 
quelquefois  le  Cicéron  Lusitanien  : 
et  si  l'on  fait  grâce  dans  ses  Sermons 
à  quelques  bizarreries  qui  tiennent  à 
l'esprit  du  temps  et  du  pays  qu'il 
habitait,  il  mérite,  sous  quelques 
rapports  ,  cette  honorable  dénomi- 
nation. Correa  de  Serra  ,  qui  avait 
de  l'estime  pour  son  caractère  et  pour 
son  talent ,  devait  nous  donner  une 
Notice  détaillée  sur  ce  prédicateur  ; 
la  mort  de  notre  collaborateur  nous 
a  privés  d'un  morceau  historique  qui 
ne  pouvait  manquer  d'être  fort  cu- 
rieux. Le  Recueil  des  œuvres  du  P. 
Vieyra ,  imprimé  à  Lisbonne  ,  de 
1679a  17  18,  forme  i5  vol.  in-4''.j 
les  treize  premiers  ne  contiennent  que 
des  Sermons  ;  à  la  fin  du  quator- 
zième, on  a  réuni  quelques  Opus- 
cules :  Dissertation  sur  les  larmes 
d'Heraclite ,  lue  à  une  assemblée  de 
savants,  dans  le  palais  de  la  reine 
Christine^  et  insérée  dans  un  Recueil 
de  Discours  italiens  •  Discours  sur 
une  comète ,  observée  à  Bahia  ,  en 
aS 


434 


VIE 


i(x)4  ;  Lettre  ail  roi  Alphonse^I . 
sur   les   missions   du  Marngnan  ; 
elle    est    pleine  de    détails    intéres- 
sants  sur   cette  contrée    alors  peu 
connue;    Remarques  critiques   sur 
l'ouvrage  du  P.  Diego  Lopez  :  Har- 
Ttionia  Scripturœ  f/iVm^(  Lisbonne  , 
1646,  in-fol.),  et  sur  la  troisième 
partie  de  V Histoire  des  Dominicains 
en  Portugal,   par  le  P.  Louis  de 
^ousa,  et  quelques  Lettres.  Le  tome 
quinzième  est  intitule  :  Ilistoria  de 
future,  etc.   C'est  l'iiistoire  antici- 
pée   du   Portugal,  lequel,    suivant 
l'autour,  ne  peut  manquer  de  for- 
mer un  jour  le  cinquième  empire  du 
monde  ^3).  Les  Sermons  du  P.  Vieyra 
ont  cte  traduits  plusieuis  fois  en  es- 
pagnol ,  en  italien  et  en  latin  ;   mais 
on  ne  possède  en  français  que  quel- 
ques-uns de  ses  Discours  traduits  par 
le  P.  Verjus  (  V.  ce  nom  ).    L'abon- 
dance ,  l'imagination,   et  les  autres 
qualités  qui  font  duP.  Vieyra  l'un  des 
premiers  écrivains  de  sa  nation  ,  ne 
peuvent  raclielcr  à  nos  yeux  le  d«i- 
faut  de  goût  qu'on  remarque  dans 
toutes  ses  compositions.    Il  a   laisse' 
manuscrits  des    Commentaires  sur 
les  tragédies  de  Se'nèque ,  ouvrage 
de  sa  jeunesse  ;  sur  le  JAvre  de  Josué 
et  sur  le  Cantique  des  Cantiques  ; 
enfin  Clavis  prophetarum  ,  ouvrage 
important ,  aucpiel   il  travailla   cin- 
quante  ans ,   et  qu'il  n'eut  pas   le 
temps  de  terminer  (4).  Le  P.  Oudiu 
a  donne  sur  son  confrère  une  Notice 
très- détaillée  dans  les  Mémoires  de 
Niccron ,  xxxiv ,  cino-'-5.     W-s. 

VIEL  ou  DE  VEIL   (  Chari.es- 
Mabie  de),  fdsd'un  juif  deiVJetz, 

(3)  On  ne  trouve  pas  clans  le  recueil  de  ses  nn- 
vres  le  Calé.cliinne  en  six  langues,  qu'il  composa 
pour  la  mission  da  Maragnan. 

[i))  Le  Dictionnaire  iinit-ersel  dit  fjue  la  Clinis 
prophetarum  fnl  imnrimceà  Rome,  en  i-aS,  in-.'i". 
Il  serait  bien  singulier  que  le  P.  Oudin  nViit  pas 
connu  cette  édition;  et  nous  n'avons  trouvé  cet 
ouvrage  cita  dam  aucun  catalogue. 


VIE 

naquit  dans   cette   ville  ,   et   y   fut 
e'ieve'   dans    la    religion    judaïque  , 
qu'il  suivit  jusqu'à  la  mort  de  son 
père.  Bossuet ,  alors  jeune  ,  chanoine 
et  archidiacre  de   l'église  de  Metz  , 
y  prêchait ,  et   lie'  assez  intimement 
avec  Paul  Ferry  ,  qui  vêtait  ministre, 
y  faisait  des  conférences  de  controver- 
ses ,  à  la  suite  desquelles  eurent  lieu 
plusieurs  conversions  de  protestants 
et  même   de   juifs    (  f^or.  Ferry  , 
XIV,  484).  De   Veil  fut   une  des 
conquêtes  du  jeune  théologien,  devenu 
depuis  si  célèbre.  Il  ne  se  borna  pas 
à  quitter  la   religion   judaïque  pour 
embrasser  le  catholicisme,  il  voulut 
se  faire  religieux  ,  et  entra  chez  les 
Augustins.  Les  biographes  ne  disent 
point  s'il  y  fit  profession  ;  mais  il  est 
certain  qu'il  en  sortit  ,   et  (pi'il   se 
présenta  à  Sainte  -  Geneviève  ,  pour 
être  admis  dans  cette  congrégation 
de  chanoines  réguliers.  Son  admis- 
sion y  éprouva  des  dillicultcs,  parce 
qu'un  statut  de  la  congrégation  ne 
permettait    point   de    recevoir   des 
religieux  qui  avaient  porté   l'habit 
d'un  autre  ordre.  Le  crédit  de  Bos- 
suet leva  cet  obstacle.  De  Veil  fut  re- 
çu ,  et  après  sa   profession   envoyé 
par  les  supérieurs  à  Angers  ,  à  l'ab- 
bavc  de  Toussaint,  pour  y  faire  ses 
études  dans  l'université.  Après  ses 
cours  de  théologie ,  il  soutint  ,  d'une 
manière  brillante,  la  thise  de  Teji- 
tatife,  préliminaire  au  baccalauréat. 
Il  entra  ensuite  en  licence  ,  carrière 
qu'il  fournit  avec  non  moins  d'hon- 
neur.    En     i<J72  ^     il    publia     nu 
Commentaire   sur   les  évangiles  de 
saint  Matthieu  et  de  saint  Marc.  Le 
17    avril  1(3^4  >  il  soutint  la   thè- 
se  nommée   Majeure,   qu'il  dédia 
au    célèbre    docteur    Antoine     Ar- 
n.iuld.   Moréri  nous    a    conservé  le 
titre  de  celle  dédicace,  conçu  en  ces 
termes  :  Clarissimo  Ecclesiœ  Christi 


VIE 

sacerdoti,  D.  A.  Amaldo ,  docton 
Sorbonico  ,  apostolicœ  sedis  since- 
ro  ac  relif^iosissiino  cultorc  ,  stu- 
diosissimo  Ecclesiœ  unitatis  et  dis- 
ciplinœ  ,  novitatis  prophance  ac 
hereticœ  pravitatis  debellatori  in~ 
victissiino  ,  orthodoxœ  veritatis ,  et 
semel  traditœ fidei  vindici  acerri- 
mo  ,  ac  defensori  fortissimo.  Sa 
licence  finie,  de  Veil  prit  le  bonnet 
de  docteur  et  professa  pendant  quel- 
que temps  la  théologie  à  Angers  , 
dans  les  écoles  publiques.  Ayant  été' 
pourvu  du  prieuré-cure  de  Saint- 
Ambroise,  dans  la  ville  de  Meluii ,  il 
^  q'iitta  sa  chaire  pour  ce  bénélicc.  Il 
en  était  en  possession  et  le  desservait 
ea  iG-jQ,  lorsque  tout-à-coup  ,  sans 
que  rien  eût  pu  faire  prévoir  cette  dé- 
fection, il  passa  en  Angleterre,  oii  il 
abjura  le  catholicisme  et  embrassa 
la  communion  anglicane.  Cette  apos- 
tasie ne  fut  pas  son  dernier  mot.  Dès 
l'année  suivante,  il  quitta  cette  com- 
munion pour  se  faire  anabaptiste, 
épousa  la  lille  d'un  homme  de  cette 
secte ,  en  embrassa  et  en  soutint  les 
erreurs.  La  faculté  de  théologie  d'An- 
gers ,  informée  de  ces  faits  ,  l'ex- 
clut de  son  sein  par  un  décret  du  9 
janvier  1680.  Suivant  Moréri ,  cet 
homme  variable  mourut  dans  le  cou- 
rant de  la  même  année.  11  s'était  mis 
à  exercer  la  médecine  pour  subsis- 
ter; et,  de  tous  ses  puissants  amis  , 
Tillotsonseul  lui  resta  iidèle.  De  Veil 
est  un  des  premiers  qui  se  déclarèrent 
contre  V Histoire  critique  du  Vieux 
Testament  de  Richard  Simon  (  F. 
ce  nom  ,  XLII  ,  38o  )  ,  dans  une 
lettre  adressée  à  Robert  Boyle  ,  en 
i6'j8,  et  à  laquelle  Simon  fit  une 
réponse  sous  le  pseudonyme  de  R. 
de  l'Isle.  Ces  deux  lettres  ont  été 
réimprimées  à  la  suite  de  V Histoire 
critique  du  Vieux  Testament ,  édit. 
de  Rotterdam,  i685.  Les  ouvrages 


VIE  435 

de  Charles -Marie  de  Veil  sont  :  I. 
Commentaire  sur  l'Evangile  de 
saint  Matthieu  et  sur  celui  de  saint 
Marc ,  Angers  ,  i6'j4  ,  in-4"-  ;  Lon- 
dres .  1678,  in-8".  Au  sens  littéral 
de  l'Évangile  ,  l'auteur  a  ajouté  plu- 
.  sieurs  questions  de  théologie  et  d'his- 
toire, sur  le  pain  azyme,  la  dernière 
pàque  de  Jésus-Christ,  le  mélange 
de  l'eau  et  du  vin  dans  la  cène  ,  etc. 
Dans  l'édition  de  Londres  il  a  sup- 
primé ce  qui  était  favorable  à  l'Église 
romaine.  II.  Un  Commentaire  sur 
Joël  ,  Paris  ,  1676  ,  in-i2;  il  y  ex- 
plique ce  prophète  par  l'Écriture 
même,  et  enrichit  le  sens  littéral  de 
beaucoup  de  remarques  tirées  des 
saints  Pères ,  des  interprètes  ,  des 
mœurs  et  du  langage  des  Hébreux, 
dont  il  avait  une  parfaite  connais- 
sance, m.  Un  Commentaire  sur 
le  Cantique  des  Cantiques  ,  sous 
le  titre  suivant  :  Explicatio  Cantici 
Canticorum ,  ex  ipsis  Scripturœ  fon- 
tibus  ,  Hebrœorum  ritibus  et  idio- 
matis,  veterum  et  recentiorum  mo- 
numentis  eriifa, Paris,  167 4'  ^^T^, 
in- 12;  Londres  ,  lô'jg,  in-8°.  IV. 
Explicatio  litteralis  duodecim  pro- 
phetarum  minorum,  hondres,  1680, 
in-8°.  V.  ActaSS.  apostolorum,  ad 
litteram  explicata,  Londres,  1684, 
iu-8<'.  j  il  eu  donna  lui-même  une 
version  en  anglais.  La  plupart  de 
ces  ouvrages  ont  obtenu  Je  suffrage 
des  savants  ,  et  tous  sont  distingués 
par  l'érudition.  DomCalmet  en  parle 
avec  éloge.  —  Viel  ou  de  Veil 
(  Louis  Compiègne  de  )  ,  frère  du 
précédent ,  fut  aussi  converti  par 
Bossuet ,  devint  interprète  du  roi 
pour  les  langues  oi'ientales  ,  et  imita 
son  aîné  dans  sa  défection  ,  en  em- 
brassaut  la  religion  protestante.  On 
a  de  lui  :  Catechismus  Judœorum 
in  disputatione  et  dialogo  magistri 
et  discipuliy  eu  hébreu  et  en  latin, 
28.. 


436 


VIE 


167g;  Franeker,  1G90,  in  8°.  lia 
Iradiiit  en  latin  quelques  livres  de 
Maimouide,  dont  l'un  regarde  les 
Cérémonies  ,  Paris  ,  i66n  ,  in-  isi  , 
etl'autre  le  Culte  divin ^  ibid.,  i6'^8, 
in-40.Il  y  a  joint  de  savantes  remar- 
ques. Il  a  traduit  aussi  d'Abarba- 
nel  en  latin  :  un  commentaire  sur 
le  Lévitiqiie ,  Londres  ,  1 683  ,  in- 
4°.  — Bayle  fait  mention  d'un  Fré- 
déric Ragstat  de  fFeile,  rabbin  alle- 
mand, qui,  fort  jeune  encore,  quitta 
le  judaïsme  pour  embrasser  la  com- 
munion reformée  ,  fut  baptisé  à  Clè- 
ves  ,  et  y  reçut  le  nom  de  Frédéric  , 
qui  était  celui  de  l'électeur  de  Bran- 
debourg. 11  fut  miuistre  en  Hol- 
lande, et  il  publia,  à  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans  ,  un  livre  contre  les  Juifs  , 
intitulé  :  Theatnim  lucidum  ,  exhi- 
bens  verum  Messiam  ,  Dominuni 
nostrum  Jesum  Christutn  ,  cjusque 
honorem  defendens  ,  contra  accu- 
sationes  Judceonmi ,  Amsterdam  , 
167  I  ,  in- 12.  11  ne  faut  pas  le  con- 
fondre avec  les  précédents  ,  dont 
toutefois  il  était  coutempoi'ain,  et 
avec   lesquels  il  a  des  conformités. 

L— Y. 

V  I  EL  (  EïiEN>E  -  Bernard- 
Alexandre  ) ,  prêtre  ,  né  à  la  Nou- 
velle-Orléans ,  le  3i  octobre  1786, 
est  mort  le  16  décembre  i8'2i,  au 
collège  de  Juilly  oii  jadis  il  avait 
fait  ses  études  ,  où  il  exerça  douze 
ans  les  pénibles  fonctions  de  pré- 
fet, et  où  depuis  181 5  il  s'était 
choisi  une  retraite.  Membre  de  la 
congrégation  de  l'Oratoire  ,  il  avait 
consacré  plus  de  trente  années  à 
l'éducation  de  la  jeunesse.  Quand 
cette  congrégation  fut  dissoute  ,  il 
passa  à  la  Louisiane,  et  se  lit  chérir 
des  habitants  du  poste  des  Atac- 
Apas  j  mais  la  France  était  sa  vraie 
patrie.  En  1812, ily  revint,  rappelé 
par  les  vœux  de  ses  anciens  élèves  , 


VIE 

restés  tous  ses  amis.  Six  d'entre  eux 
avaient,  en  son  absence, fait  imprimer 
sa  traduction  en  vers  latins  du  Télé- 
maque,  et  la  lui  avaient  dédiée,  sous 
ce  titre  :  Telemachiados  libri  xxir  ^ 
Didot,  i8o8,  in- 12.  MM.  Creuzé  de 
Lessert,  Eyriès,  Durant  ,  Saiverte 
aîné,  Arnault  et  Eusèbe  Saiverte, 
avaient  fait  les  frais  de  cette  édition, 
dont  le  dernier  surveilla  l'exécution. 
On  trouve  à  la  Bibliothèque  royale 
deux  autres  traductions  latines,  bien 
inférieures ,  du  chef-d'œuvre  de  Fé- 
nélon,  l'une  par  un  anonyme,  l'au- 
tre par  Joseph  -Claude  Destouches. 
Viel  publia,  en  i8i4j  une  seconde 
édition  ,  qu'il  leur  dédia  à  son  tour. 
En  1816,  sous  le  titre  de  Miscella- 
nea  latiTio-gallica ,  il  offrit  au  pu- 
blic ,  avec  quelques  opuscules  en 
vers  latins,  une  traduction  française 
de  V Art  jwétic/ue  et  de  deux  autres 
épîlres  d'Horace,  traduction  fidèle 
et  distinguée  par  la  découverte  de 
plusieurs  sens  nouvcriux  plus  pi- 
quants ,  plus  exacts,  plus  conformes 
au  génie  du  poète  latin.        R — t. 

VIEL  (Cuarlls-François)  ,  ar- 
chitecte ,  né  à  Paris  le  21  juin 
1745,  fit  ses  études  au  collège  de 
Beauvais ,  et  se  livra  particulière- 
ment aux  mathématiques.  Cependant 
cette  science  lui  paraissait  dange- 
reuse pour  l'architecture  ,  en  ce  que 
par  elle  on  démontre  comme  certain 
ce  qui  n'est  souvent  qu'hypothétique. 
Il  préférait  l'étude  de  la  physique  , 
dont  les  résultats  sont  pins  assurés. 
Devenu  élève  de  Chalgrin  ,  il  dé- 
buta dans  la  carrière  de  l'architec- 
ture par  son  magnifique  projet  d'un 
monument  consacré  à  l'histc.ire  na- 
turelle ,  projet  qui  fut  vivement  ap- 
prouA'é  par  Bulion  ,  et  daus  lequel 
il  reproduisait ,  par  une  superbe  co- 
lonnade, tout  le  luxe  de  l'architec- 
ture grecque  et  romaine.  On  lui  dut 


VIE 

ensuite  !e  Mont-de-Piëtç  ,  édifice  re- 
marquable par  le  style  monumental 
de  SCS  nombreux  corps  de  bâtiments 
et  leur  belle  exécution  ;  puis  l'hôpi- 
tal Cocbin,  que  distinguent  son  or- 
donnance, sou  acrage,  sa  distribu- 
tion et  tous  les  accessoires  qui  le 
rendent  commode  ;  l'établissement 
de  la  pharmacie  centrale  dans  les 
bâtiments  des  Miraraiounes;le  grand 
bâtiment  de  la  Pitic  ,  dont  on  ad- 
mire la  façade  imposante  et  les 
belles  et  sages  proportions;  le  grand 
amphithéâtre  de  l'Hôtel-Dieu,  si  dif- 
ficile à  établir  dans  un  espace  si 
étroit  et  si  incommode  ;  enfin  ,  le 
grand  égout  de  Bicêtre,  ouvrage  qui, 
par  les  dillicultés  vaincues  ,  la  soli- 
dité d'une  savante  construction,  peut 
être  comparé  aux  plus  fameux  tra- 
vaux des  Romains.  Viel  fut  encore 
l'architecte  d'une  foule  d'autres  tra- 
vaux particuliers,  tels  que  la  tribiuie 
de  l'orgue  de  Saint-Jacques-du-Haut- 
Pas ,  et  le  perron  du  château  de 
Bellegarde,  et  il  fut  pendant  quarante 
ans  architecte  des  hospices  de  Paris. 
Il  proicssa  toujours  beaucoup  d'es- 
time pour  son  maître  Chalgrin ,  et 
ce  fut  lui  qui  prononça  ,  après  sa 
mort,  son  Kloge  historique  qui  a  été 
imprimé.  Mais  ce  qui  le  distingue 
plus  particulièrement ,  c'est  qu'il 
fut  un  habile  écrivain  ,  et  qu'il  sut 
parler  de  son  art  en  homme  de 
lettres.  11  mourut  à  Paris  le  i*^''. 
déc.  i8ig.  Ses  OEuvres  se  compo- 
sent de  divers  écrits  publiés  d'abord 
séparément  :  I.  Lettre  sur  Varchi- 
tectiire  des  anciens  et  celle  des  mo- 
dernes ,  1 78 1  -87  ,  in-80.  II.  Projet, 
plan  et  élévation  d'un  monument 
consacré  à  l'histoire  naturelle , 
dédié  à  M.  le  comte  de  BuJJon  , 
1780,  in-4''.  m.  Observation  phi- 
losophique sur  l'usage  d'exposer 
les   ouvrages    de   peinture    et   de 


VIE  437 

sculpture,  1788,  in-8'\  \N.  Dé- 
cadence de  r architecture  à  la  fin 
du  dix-huitième  siècle  ,  i8oo,  in- 
4".  V.  De  la  construction  des  édi- 
fices publics  sa?is  l'emjdoi  du  fer , 
180 3^  in- 4°'  VI.  Des  anciennes 
études  de  V architecture  ,  1809  , 
in-4".  VII.  Moyens  pour  la  restau- 
ration des  ])iliers  du  dôme  du  Pan- 
théon ,  1797,  in-4'^-'  1812,  in-4''. 
VllI.  Principes  de  l'ordonnance  et 
de  la  construction  des  bâtiments  , 
tome  !•='■. ,  1797  ,  tome  S*'.,  i8i4  , 
etc.  Barbier  lui  attribue  nn  ouvrage 
philosophique,  intitulé  :  Dissertation 
sur  les  cornes  antiques  et  moder- 
nes,  1786,  in-8^.  On  trouve  une 
notice  nécrologique  sur  Viel  dans 
les  Annales  des  arts ,  troisième  an- 
née, tome  v^  n".  6  ,  1820  ,  et  une 
notice  de  ses  ouvrages  dans  le  Jour- 
nal de  la  librairie.  F.  P  — t. 

VIEL.   Fojez  Vieil. 

VIELLART  (RE^É- Louis -Ma- 
rie), naquit  à  Reims  en  1754.  Son 
père,  jurisconsulte  distingué  et  pro- 
cureur fiscal  général  au  bailliage  du- 
cal ,  ne  négligea  rien  pour  son  édu- 
cation. En  1772,  le  jeune  Viellart 
vint  à  Paris ,  pour  se  perfectionner 
dans  l'étude  de  la  jurisprudence;  et 
le  i '2 décembre  1774,  i'  f^it  '"^Ç"  avo- 
cat au  parlement j  mais  la  faiblesse 
de  son  tempérament  ne  lui  permet- 
tant pas  de  suivre  cette  carrière  ,  il 
reviut  à  Reims,  fut  pourvu  de  la  char- 
ge d'avocat  du  roi  au  présidial,  qu'il 
vendit  en  1782,  quand  l'archevê- 
que le  fit  lieutenant  du  bailliage  du- 
cal. Lors  de  l'émeute  qui  eut  lieu  à 
Reims ,  les  1 1  et  1 2  mars  1 789,  Viel- 
lart montra  un  grand  courage.  Des 
attroupements  avaient  déjà  pillé  des 
farines;  et  la  force  armée  ne  pouvait 
réprimer  le  désordre.  Ce  magistrat 
arrive  seul ,  revêtu  de  son  costume  ^ 
monte  sur  une  voiture  chargée  de  fa 


438 


VIE 


nne ,  et  s'ëcrie  qu'on  ri  enlèvera  les 
farines  qu'après  lui  avoir  arraché 
la  vie.  Aussitôt  les  plus  mutins  se  tai- 
sent; et  rallroupement  se  disperse. 
En  1789,  Viellart  fut  député  par  le 
tiers-état  de  sa  province  aux  états- 
généraux,  où  il  siégea  au  côté  droit, 
et  vota  avec  la  majorité.  11  fit  sou- 
vent des  rapports  sur  les  troubles  de 
l'intérieur  ,  sur  l'insubordination  des 
régiments,  et  provoqua  des  mesures 
de  rigueur  contre  les  prêtres  inser- 
mentés. En  1 790,  il  fut  nomme  mem- 
bre du  tribunal  de  cassation,  par  les 
électeurs  du  département  de  la  Mar- 
ne. Plus  tard,  il  fut  choisi,  avec 
Bailly,  pour  aller  exercer  les  fonc- 
tions du  ministère  public  près  la 
liaute-cour  de  \'endôme  j  et  il  les 
remplit  avec  autant  de  courage  que 
de  fermeté  {Voyez  Babeuf).  Dans 
le  même  temps,  il  fut  un  des  concur- 
rents pour  la  place  que  Letourneur 
laissa  vacante  au  Directoire;  mais 
M.  Bartliéleray  l'emporta.  Viellart 
fut  privé  de  son  emploi  à  la  haute- 
cour,  après  la  révolution  du  i<S  fruc- 
tidor (  4  sept.  1797);  et  il  n'eut 
plus  d'autre  occupation  que  celle  de 
son  cabinet  d'avocat.  Après  le  18 
brumaire  (octobre  1799) ,  il  fut  nom- 
mé juge  à  la  cour  de  cassation,  et 
ensuite  président  de  la  section  crimi- 
nelle. Il  concourut  très -efficacement 
à  la  rédaction  des  Codes  civil  et  cri- 
minel,  fut  nommé  commandant  de 
la  Légion-d'Honneur  et  l'un  des  cinq 
inspecteurs-généraux  de  l'université, 
chargé  de  diriger  et  de  surveiller  les 
écoles  de  droit.  Il  mourut  à  Paris  le 
23  février  1809.  Viellart  a  publié  un 
écrit  intitulé  :  Opinion  présentée 
au  comité  des  droits Jéodaux ,  sur 
l'abolition  des  justices  seiiineuria- 
les  et  des  droits  qui  en  dérivent , 
1790,  in-8*>.  ,  imprimerie  natio- 
nale. L — c — j. 


VIE 

VIEN  (  Joseph  -  Marie),  peintre 
célèbre  du  dernier  siècle,  né  à  Mont- 
pellier le  18  juin  1716,  annonça  de 
bonne  heure  sa  vocation  pour  les  arts 
du  dessin.  A  peine  âgé  de  dix  ans,  il 
coj)ia  si  habilement ,  à  l'encre  de  la 
Chine,  l'estampe  du  Serpent  d'ai- 
rain, d'après  Lebrun,  qu'on  se  dé- 
cida à  le  placer  chez  un  ])eintre  de 
portraits,  nommé  Legrand.On  y  re- 
marquait ses  progrès  rapides,  lors- 
que sa  famille  jugea  convenable  de 
les  interrompre,  pour  le  faire  en- 
trer dans  l'étude  d'un  procureur.  Ne 
se  sentant  aucun  goût  pour  la  chi- 
cane ,  il  abandonna  cette  carrière ,  et 
entra  dans  une  manufacture  de  faïen- 
ce, où  il  fut  chargé  de  colorier  les 
sujets  dont  on  ornait  alors  ces  sortes 
de  poteries.  Enfin  ,  ayant  appris  d'un 
artiste  distingué  de  sa  ville  natale  les 
])remiers  princijirs  de  la  peinture  à 
l'iiuilc,  il  partit  en  174^  pour  Pa- 
ris, où  il  obtint,  six  mois  après,  une 
médailled'encourageraent.Vien  avait 
alors  vingt  -  cinq  ans.  Dépourvu  de 
fortune  ,  il  fit  alternativement  des  es- 
quisses pour  les  marchands  du  pont 
Notre-Dame ,  et  des  académies  pour 
les  concours.  Son  zèle  infatigable  ne 
demeura  pas  sans  récompense.  Une 
première  médaille  d'abord ,  et,  l'an- 
née suivante  ,  un  premier  prix  de 
])rinture,  attirèrent  sur  lui  les  regards 
du  public.  Il  était  déjà  supérieur  à 
presque  tous  ses  rivaux ,  lorsqu'il  par- 
tit pour  Rome,  aux  frais  du  gouverne- 
ment. Trop  enthousiasmé  de  son  art 
pour  rester  un  moment  oisif,  il  ht, 
durant  la  traversée ,  une  superbe  es- 
quisse du  Massacre  des  Innocents;  et 
à  peine  arrivé  à  Rome,  il  y  compo- 
sa plusieurs  tableaux  de  grande  di- 
mension ,  avec  une  célérité  d'autant 
plus  remarquable  qu'elle  ne  lui  fit 
jamais  sacrifier  la  correction.  Admi- 
rateur passionné  de  l'antique ,  il  ne 


VIE 

ueyigc.'i  point,  [tour  s'y  livrer,  ce 
qu'il  .'jppdait  les  leçons  du  modèle 
Mvaut;  et  ce  l'ut  eu  combinant  avec 
une  juste  mesure  ces  deux  genres  d'c- 
tudes  qu'il  se  prépara  à  devenir  le 
premier  peintre  d'histoire  de  son 
temps.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans 
ses  excursions  à  Florence,  à  Naples, 
à  Venise  et  dans  toutes  les  villes  d'I- 
talie ,  où  il  y  avait  des  chels-d'œuvre 
digne-,  de  son  attention.  A  peine  de 
retour  à  Paris,  il  fut  reçu  à  l'acadé- 
mie de  ])eiuture  et  de  sculpture,  d'a- 
bord en  qualilé  à' agréé ,  suivant  l'u- 
sage ,  ensuite  comme  académicien, 
et  six  semaines  après,  comme  pro- 
fesseur. Sa  réputation  s'éleva  si  haut 
que  les  souverains  de  l'Europe  ,  no- 
tamment le  roi  de  Danemark  et  l'ini- 
f>ératrice  de  Russie,  se  disputèrent 
'avantage  de  se  l'aHaclier,  tant  par 
des  travaux  généreusement  payés 
que  par  des  oftres  de  places  et  de  pen- 
sions. Il  refusa  constamment  de  ven- 
dre sou  talent  aux  couis  étrangères- 
et  il  présenta  bientôt  à  l'admiration 
de  ses  concitoyens  son  Suint  Denis 
prêchant  dans  les  Gaules.  Placé 
dans  l'église  de  Saiut-Roch  ,  oii  il  est 
encore  ,  ce  grand  tableau  partagea 
avec  celui  de  la  Peste  des  Ardents 
(par  Doyen)  les  sull'rages  des  connais- 
seurs. Ce  fut  même  dans  le  public  et 
dans  les  journaux  le  sujet  d'une  con- 
troverse animée.  Quelques  jeunes 
gens  s'enflammèrent  pour  le  rival  de 
Vien  d'un  enthousiasme  qui  était  eu 
partie  justifié  par  la  hardiesse  d'une 
composition  théâtrale  ,  dont  le  grand 
effet  faisait  excuser  les  nombreux  dé- 
fauts. D'autres  amateurs  (  et  ce  fut 
le  j)lus  gi'and  nombre)  préférèrent  à 
la  brûlante  exagération  de  Doyen  la 
sage, la  savante ,  l'harmonieuse  com- 
position du  peintre  de  SaiiitDenis.  Di- 
derot, que  sa  prédilection  connue  pour 
tout  ce  qui  était  outré  dans  les  arts 


VIE 


43o 


n'avait  pas  icuda  (  iitièreincnluiju>lc 
envers  le  talent  de  V  ion ,  s'exprime  en 
ces  termes  sur  lesdeux  tableaux  :  «  Les 
compositions  sont  comme  le  carac- 
tère des  deux  hommes  :  Vien  est 
large  ,  sage  comme  le  Dominiquin. 
De  belles  tètes,  un  dessin  rorrcct, 
de  beaux  pieds,  de  belles  mains,  des 
draperies  jetées,  des  expressions  sim- 
ples et  naturelles  j  rien  de  tourmen- 
té, rien  de  recherché,  ni  dans  les 
détails,  ni  dans  l'ordonnance.  C'est 
le  plus  beau  repos;  plus  on  le  re- 
garde, plus  on  se  plaît  à  le  regai- 
der.  Il  tient  à-la-lbis  du  Dominiquin 
et  de  Lesueur.  Vien  vous  enchaîne 
et  vous  laisse  tout  le  temps  de  l'exa- 
miner. Doyen  ,  d'un  ell'et  plus  pi- 
quant (i)  pour  l'œil  ,  semble  lui  dire 
de  se  dépêcher  de  peur  que  l'im- 
pression d'un  objet  venant  à  détruire 
l'impression  d'un  autre,  avant  que 
d'avoir  embrassé  le  tout,  le  charme 
ne  s'évanouisse.  Vien  a  toutes  les 
parties  qui  caractérisent  un  grand 
faiseur:  rien  n'y  est  négligé-  c'est 
pour  des  jeunes  gens  une  source  de 
bennes  études.  Si  j'étais  leur  pro- 
fesseur ,  je  leur  dirais  :  Allez  à  Saint- 
Roch  ,  regardez  la  Prédication  de 
saint  Denis  ,  laissez-vous  en  pénétrer; 
mais  passez  vite  devant  le  tableau 
des  Ardents;  c'est  un  jet  sublime  de 
tête  que  vous  n'êtes  pas  en  état  d'imi- 
ter. »  Nous  sommes  entrés  dans  ce 
détail  au  sujet  de  la  Prédication  de 
saint  Denis,  parce  qu'elle  est  non- 
seulement  l'un  des  meilleurs  tableaux 
de  Vien ,  mais  encore  celui  de  tous 
qui  caractérise  le  mieux  son  talent. 
Peu  de  temps  après  le  succès  de  ce 
grand  ouvrage,  l'auteur  obtint,  pres- 
que à-la-fois,  les  récompenses  les  plus 
flatteuses.  Elu  recteur  de  l'académie 


(■■l  /'/yii  i:ii  ii'tst  i>a5  le  mol  :  c'est  plus  frnppatt 
>{u'il  Ullait  dire  • 


440 


VIE 


de  peinture ,  puis  membre  de  celle 
d'arcliitertiire,  puis  charge  de  diri- 
ger en  France  les  élèves  prole'ges 
par  le  roi,  il  se  vit  a])pelc,fn  1771  , 
n  la  direction  de  l'école  de  Rome;  et, 
ayant  obtenu  une  augmentation  de 
pension  pour  les  élèves  de  cet  éta- 
blissement ,  il  se  rendit  de  nouveau 
dans  la  capitale  du  monde  clircticn 
où  il  fut  accueilli  avec  une  haute 
distinction.  Le  roi  lui  envoya  pres- 
que aussitôt  le  cordon  de  Saint- .Mi- 
chel ,  en  le  dispensant  de  remplir  les 
formalités  prescrites  pour  la  récep- 
tion. Les  soin.'»  assidus  qu'il  donna 
aux  exercices  desespensiomiaires,et 
l'idée  qu'il  eut  d'exposer  tous  les  ans 
à  Rome  .  dans  une  galerie  publique  , 
les  travaux  de  ces  jeunes  gens,  eu- 
rent, ainsi  que  ses  propres  exemples, 
la  plus  heureuse  iniluence  sur  le  re- 
tour de  l'ècolc  française  aux  vrais 
principes  de  la  peinture.  Revenu  à 
JParis,  en  1781  ,  Vien  contiuiia  de 
travailler  comme  s'il  n'eût  rien  per- 
du de  sa  jeunesse ,  et  plusieurs  de 
ses  ouvrages  furent  honorablement 
remarques  aux  expositions  publiques 
du  Louvre.  Le  roi  le  nomma  son 
premier  peintre,  en  1788;  mais 
Vien  ne  devait  pas  long-temps  por- 
ter ce  titre  liouorable;  la  révolution 
lui  ayant  fait  perdre  ses  places  et 
ses  honoraires,  il  ne  lui  resta  plus  , 
pour  soutenir  sa  famille,  que  le  fruit 
de  ses  épargnes,  et  cette  ressource 
était  à  la  veille  de  lui  manquer  , 
quand  le  premier  consul  l'appela  au 
sénat-conservateur,  oîi ,  peu  de  temps 
après  ,  il  reçut  .successivement  les  ti- 
tres de  comte  et  de  commandant  de 
la  Légion -d'Honneur.  Ce  vénérable 
■vieillard  mourut  à  Paris,  le  27  mars 
ÏH09,  à  l'âge  de  quatre-vingt-treize 
ans.  Six  mois  avant  .sa  mort,  il  s'oc- 
cupait encore  de  peinture  ,  et  plus 
particulièrement  de  sujets  gracieux  , 


VIE 

tels  que  des  scènes  anacréontiques  , 
des  arabesques  ,  des  vases  de  fleurs  , 
où  les  restes  d'un  beau  talent  étaient 
faciles  à  reconnaître.  C'est  de  son 
atelier  que  sont  sortis  la  plupart  des 
peintres  dont  s'enorgueillit  le  dix- 
iieuvième  siècle.  Il  fut  le  maître  de 
David  et  de  Vincent  ;  et  l'on  sait 
combien  ceux-ci  firent  ,  à  leur  tour  , 
d'excellents  élèves  (  tels  que  les  Gi- 
rodet  ,  les  Gérard,  les  Gros,  les 
IMeynicr,  les  Thévenin  ).  Ceux  qui 
considèrent  David  comme  le  régé- 
nératcur  de  la  peinture  en  Fran- 
ce oublient  donc  bien  injustement 
son  respectable  maître.  Tout  le 
monde  sait  que  le  fameux  pein- 
tre des  Horaces  avait  deb\ilé  par 
des  ouvrages  maniérés  ,  comme 
ceux  de  ÏJoucher  ,  son  parent , 
dont  il  avait  reçu  les  premiè- 
res leçons ,  et  que  Vien,  à  qui  il 
s'attacha  ensuite ,  eut  quelque  peine 
à  le  faire  entrer  dans  la  loute  du 
vrai.  Nous  avons  sous  les  \eux  une 
lettre  que  David  écrivait  de  Rome  à 
Vien,  le  i(3  août  1785  ,  et  dans  la- 
quelle nous  trouvons  ce  témoignage 
irrécusable.  «  Il  faut  qu'avant  de 
»  linir,  je  vous  dise  combien  votre 
»  mémoire  est  chère  aux  Romains. 
»  C'est  surtout  quand  INI.  Lagrénée 
»  a  expo.sé  son  tableau  que  j'en  ai 
»  été  témoin.  Combien  ils  m'en  di- 
»  sent  tous  les  jours  sur  votre  comp- 
»  te  ,  et  qu'ils  savent  bien  apprécier 
»  le  rang  que  vous  tenez  dans  la 
»  peinture  !  mais  c'est  moi  qui  le 
»  sais  mieux ,  ayant  reçu  vos  le- 
»  cons  ;  car,  s' il  y  a  quelque  chose 
»  de  passable  dans  mon  tableau , 
»  c'est ,  comme  j'ai  eu  l'honneur  de 
»  vous  le  dire  ,  c'est  quil  est  fait 
»  dans  votre  goût.  Adieu,  mon  cher 
»  maître  ,  etc.  »  Sans  doute  les 
élèves  de  Vien,  et  les  élèves  de  .ses 
élèves  ,  l'ont  surpassé  dans  quelques 


VIE 

j)arlics  ;  mais  ils  n'ont  dû  ces  avan- 
tages qu'à  la  pi'atiqiic  de  ses  leçons  et 
à  la  méditation  de  ses  bons  ouvra- 
ges. En  récapitulant  ses  productions, 
sans  compter  les  dessins  et  les  ébau- 
ches, on  a  trouve  un  total  de  cent 
soixanle-dix-ncuf  tableaux  ,  parmi 
lesquels  on  estime  j)articulièreiiient 
ia  Prédication  de  saint  Denis,  dont 
nous  avons  parle,  V Ermite  endormi 
(  ouvrage  de  sa  jeunesse  ,  exécute  à 
Rome  ,  d'après  nature),  Saint  Ger- 
main ,  e\'i'(jiic  d'Aiixerrc ,  Saint 
Grégoire  ,  pape ,  Saint  Louis  re- 
mettant lu  régence  à  Blanche  de 
Castillc  ,  Mars  s' arrachant  des 
bras  de  frémis  ,  f  émis  blessée  par 
Diomède  ,  Hector  excitant  Paris 
à  s'armer  pour  la  défense  de 
Troie  ,  une  Jeune  Grecque  com- 
parant son  sein  naissant  à  un  bou- 
ton de  rose  ,  les  Adieux  d' Hector 
et  d'AndronuKjue  (  grande  machine 
qu'il  composa  à  soixante-quinze  ans), 
la  Marchande  d'amours ,  etc.  Ou 
a ,  en  outre ,  de  ce  peintre  un  bon 
nombre  d'eaux-fortes  ,  notamment 
le  sujet  de  Loth  et  ses  fdles  .  d'après 
J.-F.  Detroy;  et  une  suite  de  trente 
planches  représentant  les  divers  ha- 
bdlements  d'une  grande  mascarade 
à  la  turque, ([ui  fut  exécutée  à  Rome 
en  174^  pai'  les  pensionnaires  de 
l'académie  royale  de  France.  La 
sagesse,  la  correction  furent  les  qua- 
lités essentielles  et  distmctivesde  son 
talent.  A  force  de  chercher  la  sim- 
plicité, il  tomba  souvent  dans  le 
froid,  quelquefois  même  dans  le  roi- 
de;  mais  pour  l'ordonnance  d'un 
grand  sujet,  pour  l'observation  des 
formes  de  la  nature  ,  pour  l'entente 
des  lumières, la  fermeté  et  la  fraîcheur 
du  pinceau  ,  et  le  bel  accord  des 
couleurs  ,  les  ouvrages  de  son  âge 
mûr  jouiront  toujours  de  l'estime 
des  artistes.  Il  a  été  plus  d'une  fois 


VIE 


441 


ccleliré  par  les  poètes  ses  contempo- 
rains. On  lit  surtout  avec  plaisir  l'É- 
pîlrc  (pie  lui  adressa  Ducis  :  c'est  une 
pièce  de  vers  ,  où  les  principaux 
ouvrages  de  ^  ien  et  de  ses  élèves 
sont  très-poétiquement  décrits  et  ca- 
ractérisés. Une  notice  sur  sa  vie  et  sur 
ses  ouvrages  a  été  inséréedans  le  Ma- 
gasin encyclopédique ,  novembre 
1809.  Le  portrait  de  Vieu  a  été 
gravé  par  S.-C.  Miger, ainsi  queson 
Ermite  endormi. — iM'"*^.  VitN  (Ma- 
rie Reboul)  ,  son  épouse  et  son  élève  , 
eut  aussi,  comme  peintre,  un  talent 
très-remarquable  ;  elle  excellait  dans 
ce  qu'on  appelle  improprement  l'imi- 
tation de  la  nature  morte.  On  a 
d'elle  ,  outre  des  oiseaux  et  des  co- 
quillages capables  de  faire  illusion  , 
des  Heurs  d'une  rare  beauté  ,  qui 
donnèrent  souvent  à  son  Jieareux 
mari  le  sujet  de  dire  :  Elle  les  ré- 
pand sur  ma  vie.  Celte  dame  ,  dont 
les  charmants  ouvrages  sont  encore 
recherchés  avec  empressement,  mou- 
rut endéc.  i8o5,  âgée  de  soixante- 
dix-sept  ans.  Elle  avait  eu  de  son 
mariage  avec  le  Nestor  de  l'école 
française  nn  fds  qui  cultive  avec 
agrément  l'art  de  la  peinture  ,  et 
dont  l'épouse  ,  M"^'^.  Céleste  Vien  , 
s'est  avantageusement  annoncée  dans 
la  littérature  par  une  traduction  d'A- 
nacréon.  F.  P — t. 

VIENNE  (Jean  de)  ,  amiral  de 
France ,  naquit,  vers  1 34'^  ,  d'une  fa- 
mille illustre  ,  et  à  laquelle,  sui- 
vant Guichenon  ,  les  anciens  comtes 
de  Bour^osne  ont  donné  l'origine.  Il 
entra  d-uis  la  carrière  des  armes,  des 
sa  plus  tendre  jeunesse,  et  fit  d'abord 
la  guerre  en  Flandre.  Nommé  com- 
mandant de  Calais,  après  ia  malheu- 
reuse bataille  de  Creci ,  il  eut  à  dé- 
fendre cette  place  en  i347  ,  contre  le 
vainqueur  Edouard  III.  Ce  fut  dans 
ce  siège  mémorable  que  se  déploya 


44'^ 


VIE 


avec  tant  d'énergie  le  courage  des 
habitauls,  et  surtout  celui  d'Eusta- 
clie  (  I  ).  Jean  de  Vienne  n'y  montra 
p.is  moins  de  valeur  ;  ce  ne  fut 
qu'à  la  dernière  extrémité,  et  après 
avoir  résisté  pendant  un  an  ,  qu'il 
ouvrit  les  portes  de  la  place  (  roy. 
Edouard  III  ).  Il  parut  avec 
beaucoup  d'éclat  dans  toutes  les 
g'ierres  que  Charles  V  eut  à  soutenir 
contre  les  Anglais;  et  ce  prince  lui 
donna  pour  récompense  le  gouverne- 
ment de  Honflcur  ,  en  iS-jo.  Il  le 
nomma  ensuite  lieutenant  de  roi  dans 
la  iJasse-Normandie  ,  et  enfin  amiral 
de  France,  sur  la  démission  du  vi- 
comte de  Narboimc  ,  qui  le  premier 
avait  possédé  cette  charge  à  titre 
d'olllce.  Jean  de  Vieinie  dirigea  ,  en 
iB-j-y,  plusieurs  expéditions  contre 
r.Vnglctrrre  ,  et  s'étant  joint  à  la 
Hotte  du  Castillan  Eernand  Saussct, 
il  lit  une  descente  dins  le  comté  de 
Kent ,  et  surprit  la  ville  de  Hyc  qu'il 
biùlaet  mit  au  pillage.  Ayant  tour- 
né sur  les  côtes  de  l'îie  Britan- 
nique ,  il  fit  successivement  éprouver 
le  même  sort  aux  villes  d'flastings  , 
de  Portsmouth  ,  de  Plymouth  , 
à  l'île  de  Wigth  ,  et  revint  en 
France  chargé  de  butin.  L'année 
suivante ,  il  contribua  à  la  prise  de 
plusieurs  villes  de  la  Normandie,  et 
se  signala  ,  en  i38j>.  ,  à  la  bataille  de 
Rosbec  ,  gagnée  sur  les  Flamands. 
Trois  ans  j)lus  tard,  il  fut  chargé  de 
faire  équiper,  au  port  de  l'Écluse, 
une  formidable  armée  navale ,  des- 
tinée à  une  descente  en  Angleter- 
re ;  mais  par  les  intrigues  du  duc 
de  Bourgogne  ,  cette  descente  ,  dont 
la  menace  avait  porté  l'ellVoi  dans 
e  cœur  de  tous  les  Anglais ,  ne  fut 
pas  même  tentée,  et  .lean  de  Vienne 
qui  s'était  rendu  en  Ecosse,  avec  un 

y,)  If   Ir-il   ,1.-    ,l.»,„i.-.iiciil   dT.u^liMl.o  .Ifl  C» 
lais  •  «le  coiiiealr  por  U  plupart  de»  liistoriciis. 


VIE 

faible  secours  de  quinze  cents  hom- 
mes, se  vit  obligé  de  revenir  sans  a  voir 
pu  tenter  rien  d'important. On  prétend 
que  la  conduite  licencieuse  de  quel- 
ques jeunes  Français  ,  et  même  celle 
de  Jean  de  Vienne  envers  la  sœur  du 
roi ,  ayant  excité  l'indignation  des 
Ecossais,  les  forradc  quitter  cepavs 
à  la  hâte  ;  mais  l'âge  avancé  de 
l'amiral  ne  permet  guère  de  croire  à 
ce  récit.  Il  est  plus  probable  que  les 
Écossais,  voyant  le  petit  nombre  des 
Français  venus  à  leur  secours,  se  hâ- 
tèrent de  faire  la  jiaix  avec  les  An- 
glais ,  et  qu'alors  Jean  de  Vienne  et 
ses  compagnons  n'eurent  plus  d'au- 
tre parti  à  prendre  que  celui  de  la 
retraite.  Toujours  infatigable  ,  ce 
vieux  guerrier  porta  ensuite  les  armes 
en  Espagne.  En  i3<S8,  et  l'année  sui- 
vante ,  il  accompagna  le  duc  de  Bour- 
bon en  Barbarie, etsetroiiva au  siège 
de  Carthagèiie.  Eidin  ,  eu  i3()(),il 
se  joignit  aux  jeunes  seigneurs  fran- 
çais qui  marchaient  au  secours  du 
roi  de  Hongrie  contre  les  Turcs,  et 
mourut  glorieusement  à  la  bataille  de 
Nicopolis  ,où  il  commandait  l'avanl- 
gardc  (  a(3  sept,  i  SqO  ).  Ee  sire  de 
Coucy  ,  contre  l'avis  duquel  Philippe 
d'Artois  obtint  de  livrer  la  bataille  , 
ayant  deinaïulé  à  de  Vienne  ce  qu'il 
convenait  de  faire  :  «  Sire  de  Coucy , 
répondit  le  brave  amiral ,  là  où  la 
vérité  et  la  raison  ne  j>eul  e'ire 
ouïe.ilcoTU'ient  qiic  oultre  cuidancc 
règne,  et  puisque  le  comte  d'Eu 
se  veut  combattre  ,  il  faut  que  Jious 
le  servions.  »  Guillaume  de  Vienne, 
son  père ,  mettait  toute  sa  vanité  à 
lui  avoir  donné  le  jour  ,  et  il  fit  mo- 
destement mettre  sur  sa  tombe  :  Ci- 
pit  le  père  de  Jean  de  Vienne. 
Le  corps  de  l'amiral  fut  rapporté  à 
rabbaycdeBellevenue, diocèse  de  Be- 
sançon ,  où  l'on  voyait  naguère  son 
tombeau.  Françoisede  Vienne ,  épou- 


vie; 

sp  du  duc  (le  la  Viciiville,  morte  en 
i()(j(),  a  Ole  le  dernier  lejctuii  de 
cette  brandie  de  l'illustre  famille  de 
Vienne,  dont  quelques  individus  ont 
cependant  encore  la  prétention  de 
descendre.  M — oj. 

VIENNE  (  Guillaume  de)  ,  snr- 
nornme'  le  Sage,  naquit  vers  la  fin 
du  ([iiatorziènie  siècle ,  de  la  luùne 
laniille  que  le  précèdent.  11  servit 
avec  beaucoup  de  zèle  le  duc  de 
I3ourp;o{;uc,  Jean,  qui  le  nomma  son 
cliandjcilan  et  le  lit  son  Iieuteuant- 
g;eneral  au  siège  de  Calais  ,  en  le 
cliargeant  de  garder  les  frontières  de 
la  Picardie.  Guillaume  de  Vienne  fut 
blesse  en  i/joG,  dans  une  rencontre 
près  du  château  d'Ardrcs.  Maigre 
son  zèle  pour  la  maison  de  Bourgo- 
gne ,  il  fut  nomme,  en  i4o8  ,  grand- 
cliambellan  du  dauphin  de  Eranee  , 
et  plus  tard  chargé  d'aller  prendre 
le  gouvei  neraent  du  Languedoc,  en  la 
place  du  duc  de  Berry.  11  était  en  la 
compagnie  de  Jean ,  duc  de  Bour- 
gogne, lorsque  ce  princç  fut  tué  à 
Montereau  ,  en  \f\iç)  ,  et  il  y  de- 
meura prisonnier. Rendu  à  la  liberté, 
il  resta  constamment  attaché  au  ser- 
vice du  duc  Philippe  do  Bourgogne, 
qui  le  combla  de  ses  bienfaits  ,  et  le 
nomma  premier  chevalier  de  la  Toi- 
son d'Or,  lors  de  l'institution  de  cet 
ordre,  en  i4'*-9-  Guillaume  de  Vienne 
mourut  en  1^34.  M — n  j. 

VIENNE  fDE\  Fof.  Devienne. 

VIENNET  (  Jacques  -  Joseph  ) , 
né  en  Languedoc  le  i4  avril  17^4, 
d'une  famille  originaire  d'Italie,  en- 
tra fort  jeune  dans  la  carrière  des  ar- 
mes ,  et  fit  la  guerre  de  Sept  -  Ans  , 
comme  sous -lieutenant  au  régiment 
de  Languedoc  ,  où  trois  de  ses  cousins 
étaient  olliciers ,  et  son  oncle  aide- 
major.  Ce  corps  ayant  été  licencié  à 
la  paix,  Vicnnet  vécut  dans  la  re- 
traite jusqu'à  l'époque  de  la  révolu- 


VIE  44;* 

tien.  Il  fut  alors  nommé  oH'icier  mu- 
nicipal à  Bé/.icrs  ,  puis  député  du 
département  de  l'Hérault  à  l'Assem- 
blée législative  et  à  la  Convention 
nationale.  11  parla  peu  dans  ces  deux 
Assemblées;  mais  il  y  vota  toujours 
avec  les  hommes  les  plus  sages.  Dans 
le  procès  du  roi.  il  s'exprima  ainsi 
sur  la  question  de  compétence  :  «.... 
»  Je  crois  avoir  prouvé  que  Louis 
»  n'a  cessé  d'être  roi  qu'a  l'époque 
»  où  vous  avez  aboli  la  royauté.  Je 
»  crois  encore  qu'il  ne  peut  être  jugé 

»  comme  homme J'ai  toujours 

»  pensé  qu'une  assemblée  de  législa- 
»  teiirs  ne  pouvait  s'ériger  eu  tribu- 
»  nal  judiciaire;  que  le  même  corps 
»  ne  pouvait  à-la-fois  exercer  la  jus- 
»  tice  et  faire  des  lois;  que  cette  cu- 
»  raulation  de  pouvoirs  serait  une 

»  monstruosité »  Vieniiet  vota 

ensuite  pour  l'appel  au  peuple,  pour 
la  réclusion  et  pour  le  sursis.  Pen- 
dant tout  le  reste  de  la  session  con- 
ventionnelle ,  cet  homme  coura- 
geux ne  cessa  de  lutter  contre  le 
parti  le  plus  exalté  et  le  plus  san- 
guinaire. Il  renversa  un  jour  Ma- 
rat  de  la  tribune,  et  fut,  le  lende- 
main,  dénoncé  dans  le  journal  de 
ce  démagogue,  comme  un  ennemi 
de  la  nation  et  un  royaliste.  Il 
réussit,  par  son  zèle  et  son  cou- 
rage ,  à  ])réserver  son  département 
d'une  partie  des  calamités  qui  allli- 
Ceaient  la  France,  et  iiarvint  à  en 
écarter  la  terrible  commission  d  U- 
range,  (\m  s'apprêtait  à  venir  y  ré- 
pandre le  sang  des  gens  de  bien  , 
après  en  avoir  fait  couler  des  torrents 
dans  les  départements  de  Vaucluse  et 
du  Gard.  En  sa  qualité  d'ancien  oflî- 
cierde  cavalerie, Viennet  fut  charge 
de  la  remonte  des  troupes ,  et  (it  preu- 
ve ,  dans  cet  emploi  délicat ,  de 
la  plus  austère  ]>robité.  Il  jiassa  en 
1790  au  Conseil  des  anciens,  et  se 


444 


VIE 


retira  dans  ses  foyei-s  en  î^qS,  plus 
pauvre  et  non  moins  vertueux  qu'il 
en  était  paiti,  neut  ans  auparavant. 
Il  mourut  dans  sa  paisible  retraite 
le  l'.i  août  18.4  j.  —  Son  frère,  Es- 
prit ViENNET,  fut,  pendant  quarante 
ans,  cure  de  la  paroisse  de  Saint- 
Merry  à  Paris.  Il  prêta  ,  en  1790,  le 
serment  à  la  constitution  civile  du 
dor^c-  mais  il  refusa  d'être  cvèque 
constitutionnel  de  Paris,  disant  qu'il 
n'occuperait  jamais  un  sicj^e  dont  le 
titulaire  était  vivant.  Il  mourut  en 
1 79G,  fort  regretté  de  ses  paroissiens, 
et  après  avoir  fondé  un  hospice  dans 
le  cloître  même  de  son  église.  —  M. 
Jean-Pons-Guillaumc  Viennet,  au- 
teur dramatique ,  est  (ils  et  neveu  des 
précédents  (Voy.  la  Biographie  des 
hommes  vivants).  M — d  j. 

VIERA  Y  CL.WIJO  (don  Jo- 
seph de),  physicien  cl  historien,  né 
dans  les  îles  Canaries,  vers  l'an  1708, 
d'une  famille  noble  ,  originaire  de 
Madère,  mais  peu  favorisée  de  la  for- 
tune ,  fut  envoyé  par  ses  parents  à 
Madrid,  poin-  y  achever  ses  éludes. 
Il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et 
fut  choisi,  quelques  années  après, 
pour  élever  le  marquis  de  Vise ,  avec 
lequel  il  voyagea  en  Italie  et  en  Fran- 
ce. Ils  assistèrent  à  Paris,  en  1780, 
au  cours  de  physique  expérimentale 
de  Sigaud-  Lafont;  et  Yicra  eut  oc- 
casion d'y  faire  remarquer  ses  con- 
naissances dans  cette  science.  De  re- 
tour à  Madrid,  oii  il  fut  nomme  ar- 
chidiacre de  Fuente-Ventura ,  il  s'oc- 
cupa principalement  de  projiagcr  le 
goût  et  l'étude  des  sciences  physiques 
et  mathématiques,  en  formant  des 
élèves  qui  s'y  distinguèrent.  Viera 
s'était  fait  connaître  comme  poète  et 
comme  orateur,  par  un  Poème  di- 
dcictique  sur  les  vents  non  varia- 
bles,  en  quatre  chants,  Madrid, 
i  780 ,  in-40. ,  et  par  V Éloge  de  Phi- 


VIE 

lippe  V  et  celui  de  don  Alfonse  Tos- 
tado,  qui,  eu  1779  et  1782,  rem- 
portèrent les  prix  proposés  par  l'a- 
cadémie royale  de  Saint- Ferdinand. 
Chargé  par  le  gouverneuient ,  dès 
l'année  '  770  ,  d'écrire  l'Histoire  des 
îles  Canaries,  il  la  jîublia  sous  ce  ti- 
tre :  Noticias  de  la  hisloria  gênerai 
de  las  islas  Canarias ,  ou  Descrip- 
tion géographique  de  ces  îles,  origine, 
caractère  et  mœurs  de  leurs  anciens 
habitants,  avec  les  Vics'des  grands 
hommes  qu'elles  ont  produits ,  et  une 
Notice  des  événements  opérés  dans  les 
derniers  siècles,  Madrid,  1772  à 
1783,  4  vol.  in-  4".  Cette  Histoire 
estimable  est  écrite  avec  exactitude 
et  impartialité.  Viera  mourut  en 
1799.  Outre  les  ouvrages  que  nous 
avons  cités,  ou  a  de  lui  :  1.  Un  Poè- 
me sur  la  machine  aérostatique , 
Madrid,  1 788.  W.  Eléments  dephy- 
sique  et  de  chimie,  Madrid,  1784, 
in-4".  111.  Eléments  de  géométrie 
et  de  mathématiques ,  ibid.,  1788, 
in-4".  IV.  Traité  de  l'équilibre,  ib., 

1788,  in -"4".  V.  Histoire  des  îles 
Maiorque  et  M  inorque ,   Madrid, 

1789,  in-8'\  Toutes  ces  productions 
annoncent  nne  érudition  aussi  vaste 
que  variée.  L'auteur  a  laissé  encore 
divers  manuscrits.  A — x. 

VIETE  (  François  )  ,  célèbre 
mathématicien  ,  ne'  en  i54o  ,  à 
Fontenai-Ie-Comîe ,  fut  donc  d'un 
génie  capalile  de  pénétrer  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  obscur  et  de  plus 
dillicile  dans  les  sciences  abstraites. 
L'application  avec  laquelle  il  se  li- 
vra aux  mathématiques  était  si  pro- 
fonde ,  qu'il  j)assait quelquefois  trois 
jours  de  suite  dans  son  cabinet,  ne  pre- 
nant denourriture  et  de  sommeil  que 
ce  qui  lui  était  absolument  nécessaire 
pour  se  soutenir,  sans  quitter  pour 
cela  ni  son  bureau  ,  ni  son  fauteuil , 
ni  même   son  attitude.  Ce  fut  ainsi 


VIE 

qu'il  laissa  promptcincnt  derrière  lui 
tous  ceux  qui  l'avaient  précède  dans 
cette  carrière.  Ses  découvertes  dans 
V Analjse  mathentatiqiie  ,  qui  l'ont 
fait  regarder  comme  l'un  des  prin- 
cipaux fondateurs  de  cette  science  , 
sont  :  I",  d'avoir  étendu  le  calcul  al- 
gébri([ue  aux  quantités  connues  qu'il 
désigna  par  des  lettres  ;  2".  d'a- 
voir imaginé  presque  toutes  les  trans- 
formations des  équations,  aussi  bien 
que  les  différents  usages  qu'on  en 
peut  faire  pour  rendre  plus  simples 
les  équations  proposées  ;  3°.  d'avoir 
donné  une  mélliodc  pour  reconnaître 
par  la  comparaison  de  deux  équa- 
tions ,  qui  ne  dilléreraientque  par  les 
signes  j  quel  rapport  il  y  a  entre 
chacun  des  coèllicients  ,  qui  leur 
sont  communs  ,et  les  racines  de  l'une 
et  de  l'autre  ;  4"-  d'avoir  su  faire 
usage  des  découvertes  précédentes  , 
pour  résoudre  généralement  les  équa- 
tions du  troisième  et  même  du  qua- 
trième degré  ;  5°.  la  formation  des 
équations  composées  par  leurs  ra- 
cines simples,  lorsqu'elles  sont  toutes 
positives;  (i».  la  résolution  numéri- 
que des  équations  ,  à  l'imitation  des 
extractions  des  racines  numériques. 
C'est  la  plus  considérable  de  ses  dé- 
couvertes. C'est  encore  lui  qui  a  en- 
seigné la  méthode  pour  construire 
géométriquement  les  équations.  On 
lui  doit  aussi  la  géométrie  des  sec- 
tions angulaires.  Les  savants  anglais 
Harriot,  Pell ,  Ougli  tred ,  Wdilis ,  qui 
ont  excellé  dans  l'analyse  mathéma- 
tique ,  s'accordent  tous  à  placer 
François  Yiète  au  premier  rang  des 
inventeurs  de  cette  science.  Newton 
adopta  aussi  les  principes  de  sa  mé- 
thode exégétique.  Ils  consistent  à 
rechercher  immédiatement  les  diffé- 
rentes parties  de  chaque  racine  , 
sans  recourir  aux  transformations 
inapplicables  de   Cardan  et  Tarta- 


VIK  445 

glia.  Ce  qui  caractérise  les  ouvrages 
de  Viète  ,  c'est  la  justesse  et  la  pro- 
fondeur des  vues.  Il  n'a  point  résolu 
les  questions  les  plus  difficiles  de 
l'analyse  algébrique;  mais  il  a  mon- 
tré le  premier  la  route  que  l'on  doit 
suivre  pour  les  résoudre.  L'histoire 
des  sciences  ne  le  séparera  point  de 
Descartes  et  de  Newton.  «  L'algè- 
»  bre  n'était  encore  qu'un  art  in- 
»  génieux  ,  borné  à  la  recherche 
»  des  nombres  ,  a  dit  un  de  nos  sa- 
»  vants  les  plus  distingués  (  i)  ;  il  en 
))  montra  toute  l'étendue  ,  et  substi- 
»  tua  des  expressions  générales  à  des 
»  résultats  particuliers.  Viète,  qui 
»  avait  médité  profondément  sur  la 
»  nature  de  l'algèbre  ,  vit  que  le  ca- 
»  ractère  principal  de  cette  science 
»  consiste  à  énoncer  ces  rapports. 
»  Newton  exprima  depuis  la  même 
«pensée  lorsqu'il  définit  l'algèbre  , 
»  l'arithmétique  universelle.  Lcsprc- 
î>  raières  conséquences  de  cette  vue 
»  générale  de  Viète  sont  l'appli- 
»  cation  qu'il  fît  lui-même  de  son 
»  Analjse  spécieuse  à  la  géométrie, 
»  et  la  théorie  des  lignes  courbes, 
»  due  à  Descartes ,  idée  capitale  et 
»  féconde,  qui  sert  de  foudeinent  à 
))  l'analyse  des  fonctions  ,  et  devint 
»  I  origine  des  plus  sublimes  décou- 
»  vertes.  Elle  donna  lieu  de  regarder 
»  Descartes  comme  le  premier  auteur 
»  de  l'application  de  l'algèbre  à  la 
»  géométrie;  mais  cette  découverte 
»  appartient  à  Victe;  car  il  résolvait 
•»  les  questions  de  géométrie  par  l'a- 
»  nalyse  algébrique  ,  et  déduisait  des 
t)  solutions  les  constructions  géoraé- 
»  triques.  Ces  recherches  le  condui- 
»  sirent  à  la  théorie  des  sections  an- 
»  guiaires ,  et  il  forma  les  équations 
»  générales  qui  expriment  les  valeurs 
))  des  cordes.  C'est  dans  cette  théo- 

(i)  M.  Fourier  ,  de  l'académie  des  .«cienres. 


446 


VIE 


»  rie  qu'il  pnisa  l'explication  inat- 
»  tendue  de  la  dililcultë  propre  au 
»  cas  irréductible.  Il  ramena  la  re- 
w  cherche  des  racines  à  une  question 
»  de  sjéomëtrie ,  ce  que  Raphaël  Bom- 
»  belli  avait  déjà  entrevu  ;  et  il  ap- 
>)  prit  à  trouver  les  racines  dans  les 
■»  tables  trigonoraëtriqucs.  On  ne 
»  pouvait  dans  cette  question  para- 
»  doxale  rien  découvrir  de  plus  dë- 
\  »  cisif  et  de  plus  clair.  Victe  posa 
»  aussi  les  fondements  de  la  llicorie 
»  des  équations  alç^ëbriqnes  ;  car  il 
»  apprit  à  former  les  coëlîlcienlsdcs 
»  puissances  successives  de  l'incon- 
»  nue;  et  il  n'y  a  aucune  propriété 
»  générale  qui  ne  dérive  de  ce  princi- 
»  pe.  »  On  peut  ajouter  à  cetclogeque 
Vièle  eut  aussi  le  mérite  de  découvrir 
le  sixi'ine  théorème  des  triangles 
sphëriques  rectangles.  Quatre  seule- 
ment étaient  connus  des  Grecs .  Geber 
trouva  le  cinquième;  Joachim  Rhé- 
ticus  trouva  lesixièmecn  même  temps 
que  Victe,  et  le  publia  quelques  an- 
nées plus  tard  dans  V Opiis  palati- 
Tiîzm.Le  mathématicien  français  avait 
acquis  une  si  grande  facilité  pour 
résoudre  les  problèmes  les  plus  dif- 
ficiles ,  qu'Adi'ien  Romain  en  ayant 
proposé  un  de  ce  genre  à  tous  les 
mathématiciens  de  TEuropc  ,  Viè- 
te  lui  en  envoya  la  solution  avec 
des  corrections  et  des  augmentations, 
et  lui  proposa  à  son  tour  un  problème 
qu'il  ne  put  résoudre  que  mécani- 
quement. Ce  savant  Allemand  ,  sur- 
pris de  la  sagacité  de  l' OEdipe  fran- 
çais j  part  aussitôt  de  Wurtsbourg, 
en  Franconie  ,  pour  faire  connaissan  - 
ce  avec  lui ,  et  vient  le  trouver  dans 
sa  patrie, '•ans  s'arrêtera  Paris,  d'où 
une  maladie  l'a  vaitforcéde  s'éloigner 
pour  respirer  l'air  natal.  Ils  passè- 
rent un  mois  ensemble,  et  se  séparè- 
I  ent  pénétrés  d'admiration  l'un  pour 
l'autre.  Viète  défraya  son  nouvel  ami 


VIE 

jusqu'à  la  frontière  du  royaume.  Jo- 
sepii  .Scaliger  s'était  flatté  d'.ivoir 
trouyc\AQuadratitre  du  Ct'rcle;\  ille 
releva  les  erreurs  et  les  paralogismes 
de  cette  prétendue  découverte.  La 
fierté  du  prince  de  Vérone  le  prit 
d'abord  sur  le  haut  ton  qui  lui  était 
naturel  ;  mais  quand  il  eut  mieux 
connu  la  supériorité  de  son  adver- 
saire ,  il  lui  rendit  un  juste  tribut 
d'estime  ,  et  se  consola  de  sa  défaite 
par  le  mérite  du  vainqueur.  Les  Es- 
pagnols, voulant  alors  établir  entre 
les  membres  ëpars  de  leur  vaste  mo-  i 
narchie  une  communication  qui  ne  i 
pût  pas  être  interceptée,  avaient 
imaginé  des  caractères  de  conven- 
tion, qu'ils  variaient  même  de  temps 
en  temps ,  alin  de  déconcerter  tous 
ceux  qui  seraient  tentés  de  suivre  !es 
traces  de  leur  correspondance.  Ce 
chillre  ,  couiposé  de  plus  de  cin- 
quante ligures,  leur  fut  d'une  merveil- 
leuse utilité  pendant  nos  guerres  ci- 
viles. \  iète  ayant  été  chargé  par  le 
roi  d'eu  découvrir  la  clef,  y  parvint 
facilement,  et  trouva  même  le  moyen 
de  le  suivre  dans  toutes  ses  varia- 
tions. La  France  profita  pendant 
deux  ans  de  celte  découverte.  La 
cour  d'Espagne,  déconcertée, accusa 
celle  de  France  d'avoir  le  diable  et 
des  sorciers  a  ses  gages;  elle  s'en 
plaignit  à  Rome  ,  Viète  y  fut  traduit 
comme  un  né^romanl  et  \m  magi- 
cien; ce  qui  prêta  beaucoup  à  rire. 
Dans  SOS  dernières  années,  il  travailla 
sur  le  Calendrier  c^réç^orien ,  et  y 
découvrit  plusieurs  fautes  que  d'au- 
tres avaient  déjà  remarquées  avant 
lui.  Il  en  dressa  un  nouveau  ,  acco  m- 
modëaux  fêtes  etaux  rites  de  l'Eglise 
romaine;  le  mit  au  jour  en  iGoo, 
et  le  présenta  au  cardinal  Aldobran- 
diiii  ,  qui  était  alors  en  France. 
Maisia  courde  Rome,  opiniâtrement 
attachée  aux  usages  qu'elle  a  une  fois 


VIE 

adoptes,  ne  chanj^jca  licn  à  sa  mé- 
thode j  et  il  ne  résulta  pour  les  pei- 
nes du  mathématicien  français  autre 
chose  que  les  déclamations  de  Cla- 
vius  contre  sa  personne  et  ses  ou- 
vrages. Cette  querelle  aurait  même 
e'të  poussée  plus  loin  ,  si  la  mort  de 
Vièle  ,  arrivée  en  i6o3  ,  n'y  eût 
mis  fin.  C'était  un  homme  sim])le , 
modeste,  sol)re  ,  dc'sintcrcssc.  Il  fut 
l'ami  du  président  de  Thou  _,  et  par- 
ticipa ans.  affaires  publiques  comme 
maître  des  requêtes.  Son  ouvraged'a- 
ualyse,où  il  expose,  pour  la  première 
fois,  une  des  théories  les  plus  profon- 
des et  les  plus  abstraites  que  l'esprit 
humain  ait  inventées,  est  dédie  à  une 
femme  illustre,  Catherine  de  Parthe- 
nay ,  princesse  tle  Rolian  ,  sa  bien- 
faitrice et  son  amie,  qui  excella  dans 
toutes  les  sciences,  et  qui  ollrit  au 
milieu  des  troubles  civils  un  modèle 
héroïque  de  courage  et  de  vertu.  Je 
vous  (lois ,  lui  e'crit-il  ,  la  vie  et  la 
liberté  ;  et  ce  que  f  ai  de  plus  cher 
que  la  vie  ,  je  vous  le  dois  encore. 
Le  fruit  de  mes  veilles  vous  appar- 
tient, Fos  conseils  ni  ont  porté  vers 
est  art  sublime ,  dont  tous  les  se- 
crets vous  sont  connus.  Ses  ouvrages 
e'taient  devenus  .extrêmement  rares , 
parce  que,  les  faisant  imprimera  ses 
dépens  ,  il  ne  les  livrait  au  public 
que  par  la  distribution  qu'il  eu  fai- 
sait à  ses  amis  ,  et  à  ceux  qui  enten- 
daient les  matières  qu'il  y  traitait. 
François  Schooten,  aidé  par  Jacques 
Golius ,  et  par  le  P.  Mersenne  ,  les 
recueillit  en  un  vol.  in-fol. ,  Leyde, 
1046.  On  n'y  trouve  pas  ceux  qui 
ont  pour  titre  :  Canon  mathemati- 
cus ,  imprimé  en  iS-jg,  Harnioni- 
cum  cœleste  ,  ni  quelques  autres 
fragments.  Z. 

VIEUSSENS  (Raymond), 
médecin-anatomiste ,  né,  en  i64i, 
dans  un  village  du  Roucrgue ,  ap- 


VIE 


447 


particnt  à  l'ccolc  de  Montpellier, 
bien  qu'il  n'ait  rempli  dans  cette 
ville  que  les  fonctions  de  médecin  de 
l'hôpital  Saint-Éloy.  Ce  fut  naturel- 
lement sur  les  parties  du  corps  hu- 
main les  moins  délicates  et  les  plus 
faciles  à  découvrir ,  que  s'exercèrent 
les  premiers  anatomistes  :  les  os , 
les  muscles  ,  les  viscères  de  la 
poitrine  et  du  bas-ventre  furent  le 
principal  sujet  des  travaux  de  Vesa- 
le  ,  de  Faliope,  d'Euslachi  et  des 
autres  créateurs  de  l'anatomie.  Un 
siècle  plus  tard  ,  Thomas  Willis , 
par  son  traité  sur  l'anatomie  du  cer- 
veau et  des  nerfs  ,  ouvrit  une  nou- 
velle carrière  ;  mais  le  Traité  de 
Wilhs  appartenait  plutôt  à  l'anato- 
mie des  animaux  qu'à  l'anatomie 
humaine  ,  taudis  que  le  principal 
ouvrage  de  Vieussens  ,  publié  , 
pour  la  première  fois,  à  Lyon  en 
i()8i),  malgré  son  titre  trop  am- 
bitieux de  Névrographie  universelle, 
Nevrographia  universalis ,  n'ollie 
que  la  description  du  cerveau,  de 
la  moelle  de  l'épine  et  des  nerfs  de 
l'homuic  ,  mais  incomparablement 
plus  ample  et  ])lus  fidèle  que  tout 
ce  qu'on  avait  fait  jusqu'à  celte  épo- 
que. Le  mérite  de  Vieussens  ne  con- 
siste pas  seulement  dans  une  exposi- 
tion plus  méthodique  et  plus  exacte 
de  l'appareil  nerveux;  il  fait  connaî- 
tre plusieurs  circonstances  aupara- 
vant ignorées  de  l'organisation  du 
cerveau  et  de  la  moelle  de  l'épine ,  et 
donne  de  cette  dernière  partie  la  plus 
juste  idée.  Contre  le  sentiment  d'Hip- 
pocrate  et  deGalien  ,  adopté  jusqu'à 
nos  jours  ,  Vieussens  enseigne  que  la 
moelle  épinière  ne  doit  pas  être  re- 
gardée comme  une  production  du 
cerveau  ,  qu'elle  existe  par  elle-même 
et  indépendamment  de  ce  viscère, 
car  elle  ne  diminue  point  progressi- 
vement à  mesure  qu'elle  s'en  éloigne , 


448 


VIE 


mais  présente, au  contraire,  dans  les 
divers    points  de  sa  lonj^ueiir,   des 
renflements  dont  le  volume  est  pro- 
portionne à  la  grosseur  des  nerfs  qui 
en  parlent,   ou  plutôt  qui  s'y  ren- 
dent. Une  planche  assez  bien  gravée 
(  Tabula   XX  )  oflre  l'image  par- 
faite  de   cette   disposition  dont   la 
connaissance  est,  comme  on  voit, 
antérieure  deplusd'un  siècle  aux  tra- 
vaux de  nos  contemporains.  Yieus- 
sens,  ainsi  que  Willis  ,  a  senti  toute 
l'importance  altaclice  à  l'étude  ana- 
tomique  de  cet  appareil  singulier,  au 
moyeu  duquel  les  animaux  et  l'hom- 
me se  mettent  en  rapport   avec  les 
objets   extérieurs  ,    éprouvent    des 
sensations,  se    les   rappellent,    les 
combinent  entre  elles  et  prennent  les 
diverses  déterminations  que  le  besoin 
de  se  conserver  leur  suggère.  Toute- 
fois de  nos  jours  seulement  l'on   a 
bien  compris  (|uc  la  premiire  chose 
à  faire,  dans  l'étude  de  ers  facultés 
admirables ,  est   de  connaître    avec 
exactitude  la  nature  de  l'instrument 
au  moyen  duquel  elles   s'exercent , 
afin  de  voir  s'il  n'existerait  pas  un 
rapport  constant,  calculable  et  né- 
cessaire entre  la  disposition  anato- 
minue  de  l'organe  et  les  fonctions  qui 
lui  sont  confiées.  Ces  recherches  sui- 
vies de  toutes  parts  avec  une  ardeur 
qui  n'a  rien  d'égal  ,  sinon  l'imiior- 
tancc  des  résultats  obtenus,  et  l'im- 
poi  tance  plus  grande  encore  des  ré- 
sultats qu'on  espère  ,  ont  appris  dé- 
jà que  l'instnimcnt  de  la  volonté'  et 
des  idées,  variable  comme  l'intelli- 
gence départie  aux  diverses  espèces 
animales  ,  le  système  nerveux  et  cé- 
rébral ,  présente  des  différences   de 
conformation  ,  de  volume  ,  d'arran- 
gement ,  de  proportions  ,  etc. ,  etc. , 
aussi  nombreuses  que   l'étendue  de 
i'intelbgence  et  l'énergie  de  la  volon- 
té. 11  est  également  reconnu  que  c'est 


VIE 

toujours  par  l'extension  et  la  multi- 
plication des  surfaces,  au  moven  de 
plicatures  ,  que  la  force  des  appareils 
médullaires    ou   nerveux   se  trouve 
augmentée  par  un  mécanisme  en  tout 
semblable  à  celui  dont  usent  les  phy- 
siciens dans  la  fabrication  des  appa- 
reils électromoteurs.  C'est  là  que  se 
trouve  la  clef  ou  l'explication  véri- 
table des  phénomènes  de  la  vie  ,  si 
dillérents  ,au  premier  abord,  de  ceux 
que  prc'sentela  matière  inerte.  Si  nous 
voulons  juger  du  résultat  possible 
des  travaux  des  anatomistes  sur  le 
cerveau  et  les  nerfs, n'oublions  point 
que, depuis  un  siècle  à  peine,  le  prin- 
cipe avec  lequel  ces  organes  sont  en 
rapport  ,  comme  les  poumons  avec 
l'air,  le  principal agentdes  opérations 
de  la  nature ,  le  fluide  électrique  ,  est 
l'objet  d'une  étude  sérieuse;  que  dc- 
jMiis  plusieurs   milliers   d'années   ou 
n'avait  vu, dans  l'attraction  et  la  ré- 
pulsion alternatives  de  la  paille  par 
l'ambre,  qu'un  simple  amusement,  et 
dans  les  cerveaux  et  les  nerfs,  seule- 
ment des  masses  d'albumine  à  demi 
concrète.  Au  milieu  du  dix-huitième 
siècle,  Franklin  s'appliqua  à  l'étude 
de  l'électricité  ,  maîtrisa  la  foudre  et 
désarma  les  dieux;  an   commence- 
ment du  dix-neuvième,  Yolta  cons- 
truisit sa  pile  et  fournit  aux  chimis- 
tes le  moyen  le  plus  puissant  qu'ils 
possèdent  pour  pénétrer  dans  la  con- 
naissance de  la  composition   intime 
descor|)s;et  de  nos  jours,  la  chimie 
renouvelée  ne  sera  bientôt  plus  ,  peut- 
être  ,  qu'une  branche  de  l'électricité. 
Les    travaux    névrographiques    de 
Vieussens  sont  des  titres  suiîisants  à 
une  célébrité  durable;  ilnel'eijl  point 
obtcinie  des  hypothèsesplus  ou  moins 
absiiides    qu'il  a  hasardées   sur  les 
ferments  des  liquides ,  sur  la  natu- 
re du  levain  de  l'estomac ,  les  cau- 
ses du   mouvement  du  cœur  ,    le 


VIF. 

mécanisme  des  fondions  des  nerfs 
et  ducerveau  ,  lesiuiisseaiiv  névro- 
lymphalitjues  et  V extraction  d'un 
sel  acide  du  sang.  Quelques  détails 
sur  ce  prétendu  sel  ne  paraîtront 
point  inutiles  à  l'histoire  ae  l'esprit 
humain.  Di-tillaut  un  jour  le  produ.t 
de  la  combustion  du  sanj;  mêle'  à  de 
l'argile  ,  Vieussens  crut  en  avoir  re- 
tire un  acide,  et  s'infatua  tellement 
de  cette  découverte ,  qu'à  l'en  croire 
elle  allait  changer  enlièrcmcnt  la  face 
de  la  médecine;  dans  cette  persua- 
sion, il  sollicita  et  obtint  la  permis- 
sion de  démontrer  publiquement 
l'existence  du  sel  acide  du  sang ,  dans 
le  grand  amphithéâtre  de  la  faculté 
de  médecine  de  Montpellier,  devant 
les  professeurs  et  les  élèves  assem- 
blés ;  mais  à  peine  avait-il  commen- 
cé, devant  ce  nombreux  auditoire, 
l'exposition  des  procédés  qui  l'a- 
vaient conduit  à  trouver  le  sel  acide 
du  sang ,  qu'un  professeur  ,  alors 
renommé  ,  (Chirac  ,  se  lève  et  reven- 
dique avec  aigreur  la  découverte.  Au 
milieu  du  tumulte  provoqué  par  cette 
déclaration  inattendue,  l'assemblée  se 
sépare;  bientôt  une  polémique  s'en- 
gage ,  et  la  dispute  lut  d'autant  plus 
longue  et  d'autant  plus  envenimée  , 
que  l'on  combattait  pour  une  chi- 
mère. La  carrière  laborieuse  de 
Vieussens  fut  un  moment  interrom- 
pue. Appelé  à  Paris,  pour  être  le 
médecin  de  M'I'.de  Montpeiisier,  il 
y  resta  jusqu'à  la  mort  de  cette  prin- 
cesse; après  quoi  il  revint  à  Montpel- 
lier ,  y  reprit  le  cours  de  ses  études 
et  de  ses  travaux  habituels  jusqu'à 
la  mort,  qui  le  frappa  dans  un  âge 
avancé,  sans  que  l'on  en  connaisse 
la  date  précise.  Le  dernier  ouvrage 
sorti  de  sa  plume  est  sou  Traité  des 
liqueurs  du  corps  humain  y  i  vol. 
in-4°. ,  imprimé  à  Toulouse  en  1 7  1 5. 
Vieussens  était  alors  presque  octogé- 

XLVTII. 


VIE 


449 


naire.  Dans  ce  dernier  Traite  se  trou- 
vent réunis  un  giand  nombre  d'opus- 
cules que  l'auteur  avait  publiés  sépa- 
rément ,  en  sorte  qu'en  y  joignant 
son  principal  ouvrage,  Nevrogra- 
phia  universalis  ,  Lvon  ,  i(}S:),on 
possède  à  peu  près  la  collection  de 
ses  œuvres,  qui  d'ailleurs  a  été  pu- 
bliée par  son  petit-lils  en  4  vol.  in- 
4"-,  1774-  On  a  réuni  dans  cette 
édition  divers  opuscules  anatomiques 
de  peu  de  valeur,  et  quelques  pam- 
phlets nés  de  sa  disputeavecChirac  . 
qui  en  ont  moins  encore.  R — c — d. 
VIEUVILLE  (Charles,  mar- 
quis DE  La), surintendant  des  finan- 
ces, né,  vers  i582^  à  Paris,  descen- 
dait d'une  ancienne  famille  originai- 
re de  Bretagne.  Il  était  (ils  de  Robert 
de  La  Vieuville,  lieutniant-général 
et  conseiller  privé  de  Henri  III.  Éle- 
vé dans  une  cour  où  la  licence  des 
mœurs  se  cachait  sous  le  masque  de 
l'hypocrisie,  il  sut  cependant  se  pré- 
server de  la  contagion  de  l'exemple. 
Si  l'on  en  croit  l'auteur  d'un  pam- 
phlet intitulé  Le  Mot  à  l'oreille,  il 
était  si  pieux  ,  dans  sa  jeunesse ,  qu'il 
avait  formé  le  projet  de  renoncer  au 
monde  pour  s'enfermer  dans  un  cloî- 
tre (  I  ).  Étant  entré  dans  la  carrière 
des  armes, "il  devint  premier  capi- 
taine des  gardes  du  corps ,  maréchal- 
de-camp  et  lieutenant-général  de  la 
Champagne  et  du  Rhetelois.  Après 
la  mort  de  son  père  (  1612  ) ,  il  lui 
succéda  dans  la  charge  de  grand- 
fauconnier  de  la  couronne.  Cette  pla- 
ce lui  donnait  l'avantage  d'accompa- 
gner à  la  chasse  le  jeune  roi  Louis 
XIII,  passionné  pour  cet  exercice. 


(l)  M  Lorsque  vous  fûtes  appelé  h  ]a  charge  qut- 
\ous  avez,  mainteiiant ,  ceux  qui  se  souvenaieiil 
des  exercices  de  piele  que  vous  faisiez  autrolois 
dans  le  noviciat  Jes  Jésuites  ,  après  être  sorti  He 
celui  des  Chartreux  ,  se  promettaient  de  voustonics 
choses  dignes  d'uu  homme  qui  a  la  crainte  de  Dieu 
devant  les  yeux.  »  Le  Mot  à  l'oreille ,  i8i. 


■^9 


00 


vir- 


il sut  protitcr  habilcraeut  des  IVc- 
qiicnlcs  occasions  qui  se  prescnlaicnt 
d'eulrclenir  le  roi ,  pour  s'insinuer 
dans  son  esprit  ;  et  il  parvint  bientôt 
à  gagner  toute  sa  conliauce.  Les  ser- 
vices qu'il  rendit,  lors  des  premiers 
troubles ,  tant  en  Champagne  que 
dans  le  Poitou ,  accrurent  encore  sa 
faveur.  Admis  dans  les  conseils  du 
monarque,  il  se  montra  jaloux,  d'y 
dominer.  Le  surintendant  des  linances 
Schomberg  ayant  retranche  de  l'état 
une  pension  de  deux  mille  e'cus,  que 
La  Vieuville  recevait  pour  s'être  de- 
mis du  go'.ivernement  de  IMczières , 
celui-ci  s'unit  auv  ennemis  du  minis- 
tre pour  le  renverser,  et  iul  nommé 
à  sa  place.  En  acceptant  celle  charge 
(  i(J23),  il  dédira  qu'il  s'en  démet- 
trait au  bout  de  quelques  mois  ,  s'il 
ne  la  remplissait  pas  à  la  satisfaction 
générale.  Pour  rétablir  l'ordre  dans 
les  linances,  La  Vieuville  comptait 
sur  l'expérience  et  l'appui  de  son 
beau-père,  Bouhier  de  Beaumarchais, 
trésorier  de  l'épargne,  qui  joui»sait 
d'une  fortune  considérable.  Pendant 
les  premiers  mois  de  son  administra- 
tion ,  tous  les  services  furent  assurés 
et  les  pensions  des  courtisans  payées 
avec  beaucoup  d'exactitude.  INlais  les 
revenus  étaient  loin  d'égaler  les  dépen- 
ses j  et  bientôt  il  se  \  it  forcé  de  pren- 
dre le  parti  des  économies.  Les  plus 
faciles  à  faire  étaient  de  diminuer  les 
grosses  pensions  accordées  presque 
toujours  à  la  faveur  et  à  l'intrigue; 
mais  dès  qu'il  eut  annoncé  son  pro- 
jet, les  courtisans  se  répandirent  en 
invectives  contre  le  surintendant. 
Les  libelles  et  les  pamphlets  se  suc- 
cédaient sans  interruption  (2).  On  al- 


(a)  Ou  <■»  Iroiive  <]iieiques  mis  dans  le  Biincil 
E  ■  le  Mol  II  l'oriilh  de  M.  ^•  iiian/iiis  Je  Im  I  irn- 
ri/if,  p.  178  ;  —  In  foix  publique  nu  mi,  p.  5o3. 
Le  Benieil  F  cinl  icul  :  Uiponse  an  Mol  à  l'or  illc  , 
p.  I  ;  lieniercieinenl  de  la  t'oit  piililii/iie  au  nii ,  au 
«u'iit  (le  la  difgtâce  <!<•  M.  île  La  Vieuville,  p.  '<•>. 


VIE 

la  jusqu'à  lui  faire  un  reproche  d'a- 
voir mis  de  l'ordre  dans  sa  propre 
maison.  «  Votre  dépense  ,  lui  disait- 
»  on,  est  si  resserrée,  soit  pour  vo- 
»  tre  table,  soit  pour  votre  train, 
»  que  vous  ne  donnez  à  gagner  à  per- 
»  sonne  (  le  Mot  à  l'oreille  de  M.  de 
"  La  Vieuville,  p.  i8j).  »  Se  croyant 
certain  de  la  faveur  du  roi ,  il  essaya 
de  faire  tête  à  l'orage  ;  mais  crai- 
gnautd't'tre  contrarié  dans  ses  plans  ^ 
il  fit  renvoyer  de  la  cour  le  chance- 
lier de  Sillery  et  le  marquis  de  Pui- 
sieux ,  son  fils  ;  et  comme  il  leur  avait 
quelque  obligation,  on  ne  manqua 
pas  de  crier  à  l'ingratitude.  11  s'op- 
posa de  tout  son  pouvoir  à  l'entrée 
du  duc  d'Orléans  (  Gaston  )  au  Con- 
seil ,  et  olitint  l'ordre  de  faire  arrêter 
d'Ornano ,  gouverneur  de  ce  jirince 
qui  ne  se  conduisait  que  d'après  ses 
avis.  Ou  assure  que  La  Vieuville  fit 
ajouter  dans  la  lettre  de  cachet  le 
nom  de  Déageant  à  celui  d'Ornano  , 
et  qu'ils  auraient  été  conduits  tous 
deux  à  la  Bastille  ,  si  les  amis  de 
Déageant  n'étaient  parvenus  à  faire 
connaître  au  roi  cet  acte  de  son  mi- 
nistre (3).  Le  nombre  toujours  crois- 
sant de  ses  enucniis  força  La  Vieu- 
ville à  s'assurer  de  la  protection  de 
la  reine;  et,  pour  se  rendre  agréable 
à  cette  princesse  ,  il  favorisa  l'entrée 
au  Conseil  du  cardinal  de  Richelieu  , 
qu'il  n'aimait  pas.  Le  cardinal ,  qui 
ne  pouvait  pas  se  contenter  d'une  au- 
torité partagée,  remplaça  bientôt  La 
Vieuville  dans  la  faveur  du  roi.  Le 
duc  d'Orléans  ne  lui  pardonnait  pas 
le  mal  qu'il  avait  fait  à  son  gouver- 
neur Aussi  dès  qu'il  sut  que  le  sur- 
intendant commenrait  à  perdre  de 
sou  crédit,  il  lui  fit  donner  un  cha- 
rivari par  les  oiïiciers  de  sa  cuisi- 

(3)  Voy.  dans  le  Prcueil  des  Mémoires  particu- 
liers pour  servir  :i  l'IIist.  de  France  ,  ceux  de  th-u. 
aeant,  III ,  ■">■>. 


»!c(4)-  ^^^  roiaimoiiçalui-mrraeà  La 
Vicuvillc  qu'il  le  remerciait  de  ses 
services;  et  le  siiriiiteiKlaiit  lui  icrait 
sur-lc-cliauip  la  démission  de  sa  char- 
ge. Quelques  jours  après  (août  iti-i/^), 
le  roi ,  l'ayant  fait  venir  à  Saint- 
(iermain  ,  lui  dit  :  «  Je  n'ai  pas  vou- 
lu vous  éloigner  sans  vous  pcriiieltrc 
de  me  faire  vos  adieux.  »  En  sortant 
de  la  Chambre  du  Conseil,  il  fut  ar- 
rête et  conduit  au  château  d'Amboi- 
se.  Là ,  jeté  dans  un  cachot ,  il  ne  put 
obtenir  la  permission  d'écrire  à  sa 
femme ,  ni  de  recevoir  de  ses  nouvel- 
les. La  Yieuville  était  accusé  «  d'a- 
')  voir  changé  les  résolutions  prises 
')  par  le  roi,  d'avoir  traité  ,  contre 
»  son  ordre ,  avec  des  ambassadeurs 
»  étrangers,  et  d'avoir  supposé  des 
»  avis,  pour  donner  au  roi  de  l'om- 
»  bragc  contre  ses  plus  (idcles  servi- 
M  teurs  ;^5^.  »  Cependant  des  recher- 
ches furent  faites  contre  les  linan- 
ciers^  et  des  commissaires  nommés 
pour  les  juger.  Bouhier,  beau  -  père 
de  La  Yieuville  ,  fut  déclaré  coujia- 
ble  de  malversations  ,  et  condamné  , 
par  contumace ,  à  être  pendu  en  elli- 
gie.  C'était  le  malheureux  surinten- 
dant que  ses  ennemis  poui'suivaient 
dans  la  personne  de  son  beau  -  père  j 
et  puisque  malgré  leur  acharnement 
ils  ne  l'attaquèrent  point  lui-même 
pour  son  administration  ,  on  doit 
croire  qu'à  cet  égard  il  était  irré- 
prochable. Après  une  captivité  de 
treize  mois,  La  Yieuville  parvint  à 
s'échapper  de  sa  prison,  et  se  retira 
dans  les  pays  étrangers.  Son  jnemier 
soin  futd'écrii'e  au  roi ,  pour  le  prier 
de  ne  pas  lui  imputer  à  crime  son 
évasion,  le  suppliant  d'avoir  égard  à 


YIE 


45 1 


(^'^  Vov-,  dans  le  n.èine  recueil ,  les  Tilémoiref  du 
durd'0;iéan,,iv,    l8. 

C")  ^"V.  loUre  «le  cachet  envoyée  »n  parlement 
sur  ia  delentioti  du  niarquis  de  La  Viciiyille.  I{, - 
ttieil  I\  (1 .  5 1 . 


ses  anciens  services  et  à  sa  constante 
fidélité.  Il  adressa  ,  dans  le  même 
temps  ,  une  Lettre  an  chancelier , 
dans  laquelle  il  ré[)on(l.'iit  à  tous  les 
chefs  d'accusation  jiortés  contre  lui 
et  justifiait  sa  conduite  sur  tous  les 
points  (6).  Le  roi  linit  par  être  tou- 
ché des  malheurs  de  La  Yieuville.  Il 
reçut  sa  femme  en  audience  particu- 
lière (  ler.  juin  1G26),  et  lui  accor- 
da, d'une  manière  très-gracieuse,  la 
liberté,  pour  son  mari,  de  rentrer 
en  France.  La  haine  de  La  Yieuville 
contre  le  cardinal  de  Uichelieu  s'e'- 
tait  accrue  dans  l'exil  ;  et  il  ne  tard.-» 
pas  à  s'engager  dans  les  intrigues  di- 
rigées contre  ce  ministre.  Apres  le 
départ  du  duc  d'Orléans  et  de  la  rei- 
ne-mère pour  les  Pays-Bas ,  en  iG3 1 , 
il  ne  jugea  pas  prudent  de  rester 
en  France,  et  rejoignit  Gaston  à  Bru- 
xelles. Il  fut  aussitôt  décrété  d'accu- 
sation. Une  chambre  de  justice,  éta- 
blie à  l'Arsenal,  fut  chargée  d'ins- 
truire son  procès  ;  et  par  arrêt  du  6 
janvier  iGSu,  il  fut  condamiîé  à 
mort,  et  ses  biens  confisqués.  Deux 
ans  après,  dans  une  assemblée  des 
chevaliers  du  Saint  -  Esprit ,  à  Fon- 
tainebleau ,  on  le  dégrada  de  l'ordre, 
comme  rebelle  et  convaincu  de  félo- 
nie. La  Yieuville  attendit  la  mort  de 
Richelieu  pour  rentrer  en  France. 
Ayant  obtenu  du  roi  Louis  XIY  la 
permission  de  revenir  à  Paris  (7), 
un  arrêt  du  parlement,  en  date  du 
24  juillet  1643 ,  le  réintégra  dans  ses 
biens ,  ainsi  que  dans  ses  honneurs  et 
emplois.  En  iGu  ,  il  reçut  le  titre 
de  duc  et  pair;  et  la  même  année,  il 
fut  remis  à  la  tête  des  finances ,  par  le 
cardinal  Mazarin.  Eu  reprenant  les 
rênes  de  l'administration,  il  s'était 


(6)  Voy.  r\polo|;ie  du  marquis  de  La  Viniville 
adressée  au  cbancclier,  il>id.  ,  p.  5^. 

(7)  Vov.  la  l«Ure  du  rni  et  l'arrot  i\\i  parlriueat, 
Recueil  K. 


■29. 


45-2  VIE 

engage  à  rétablir  le  crédit,  sans  im- 
pôts oncroii\  ;  raais  l'âge  avait  dimi- 
nué son  activité.  Dans  les  premiers 
moments,  il  se  vit  forcé  de  suivre  la 
marche  adoptée  par  son  prédéces- 
seur; mais  il  se  flattait  de  pouvoir 
mettre  bientôt  à  exécution  ks  plans 
qu'il  avait  conçus  ,  et  dont  il  pro- 
mettait des  merveilles ,  quand  il  mou- 
rut à  Paris ,  le  i  janvier  iG5'i  ,  à  l'â- 
ge de  soixante  -  onze  ans ,  laissant  la 
réputation  d'un  ministre  habile,  et 
surtout  très  -  désintére>sé.  On  a  son 
portrait,  format  in-fol.       W — s. 

\li:LVlLLIi;  (Le  chevalier   de 
La;,  né  en  Bretagne,  vers  17 Go, 
de  la   même    famille  que  le  surin- 
tendant [  f^oj-,  l'article  précédent  ), 
entra  de  l)onue  heure  dans  la  car- 
rière   des    armes  ,     et    devint    ca- 
pitaine   au    régiment    des   Gardes- 
l'rançaises,    11   éraigra     en    1790  , 
lit    la    campagne    de   l'armée    des 
jtrinces  en  i79>.  ,   et  passa  en  .\ji- 
glclerre ,   puis  en   Urctagric ,    où    il 
débarqua  avec  Tintrniac    en    i^jj^- 
11  fut  nommé  au  mois  d'oct.  de  cette 
année  ,   par  Puisaye ,  commandant 
de  la   division  royale  de  Dol  et  de 
Clospoulel ,  considérée  comme  très- 
importante  à  cause  de  la  facilité  des 
connnunirations   avec   l'Arjgleterre. 
iJans  le  mois  de  juin   1795,  lorsque 
l'expédition  de  Qniberon  fut  pri-s  de 
mettre  à  la  voile.   La  ^  ieuville  fut 
chargé  de  s'emparer  de  vSaint-Malo  , 
à  la   tète  de  douze  cents  chouans , 
alin  de  favoriser  le  débarquement  ; 
mais  les  intelligences  sur  lesquelles 
il   comptait  lui   ayant    manqué  ,  et 
un  détachement  de  républicains  étant 
tombé  inopinément  sur  sa   troupe  , 
elle  fut  dispersée.  Ce  fut  vers  le  mê- 
me temps(|iril  eut  une  entrevue  avec 
le  général  floche ,  qui  avait  été  son 
.sergent  aux  Garde>  -  Iranraises.  11 
se  flattait,  par  ce  motif,  d'eu  oble- 


VIG 

nir  ce  qu'il  voudrait  ;  mais  comme 
il  voulut  prendre  avec  lui  le  ton  du 
commandement  ,  Hoche  le  remit 
promptement  à  sa  place  ,  et  la  con- 
férence se  termina  sans  résultats.  La 
Vieuville  rej)rit  alors  ses  courses , 
et  porta  successivement  son  quar- 
tier -  général  au  château  de  Éour- 
caye  ,  et  à  celui  de  la  Houssaye. 
Battu  près  de  Besquerol  par  le  gé- 
néral Rey,  il  perdit  trois  cents  hom- 
mes, et  fut  obligé  do  rejoindre  Pui- 
saye près  de  Fougères.  S'etanl  ensuite 
sépare  de  ce  chef,  il  se  dirigea  vers 
la  forèlde  Villeqiiartier  ,  ou  il  rni- 
contra  nu  détachement  de  républi- 
cains. Forcé  de  se  mettre  en  dé- 
fense ,  il  fut  atteint  d'une  balle  à  la 
poitrine,  et  mourut  les  armes  à  la 
maiu,  dans  le  mois  d'avril  179C). 
B— p. 

VIEUVILLE.    r.    VlGNACOURT. 

VIÉVILLE.  Toj.  Lecerf. 

vii:yr\.  ro>.  Vieira. 

VKiAND  (  Jkaîv  ),  théologien  de 
réputation  parmi  les  Luthériens,  na- 
(piit  .1  ÎNlaiisfeld  eu  i5'j3,  et  fut 
discipledeLulheret  de  Mélanchthon, 
puis  ministre  de  l'évangile  dans  sa 
patrie  ,  et  successivement  à  Magde- 
boiirg  ,  à  léna  et  à  Vismar,  enfin  sur- 
intendant des  Églises  de  la  Poméra- 
nie  prussienne.  H  fut  du  nombre  de 
ceux  qui  travaillèrent  avec  llaccus  "^ 
Illyricus  aux  centuries  de  IMagde- 
bomg(  f.  FnAivco\viTZ  ).  11  mou- 
rut eu  1587  ,  avec  la  réputation  d'un 
homme  >avant,  mais  d'un  mauvais 
critique.  On  a  de  lui  un  ouvrage  de 
botanique,  intitulé  :  Catalogus  her- 
barum  in  Prussid  nasccntium  ,  etc., 
et  beaucoup  d'écrits  théologiques  , 
entre  autres  :  1.  De  imaç^ine  Dci  in 
liominihus.  IT.  De  libvro  hominis 
arbilrio.  III.  ExpUcationcs  in  Ge- 
jicsim  ,  etc.  IV.  De  illustribus  viri& 
Ecclesice ,  elc.  T — d. 


VIG 

VIGANO  (  Salvator  ) ,  maître 
tir;  ballets,  naquit  à  INapIcs,  en  17O9, 
.Son  père,  compositeur  et  entrepre- 
neur de  ballets ,  fut  son  j)reuii(r 
maître,  et  le  conduisit,  à  i'àjj;c  de 
<)u,itorze  ans,  à  Rome.  Le  jeune  Vi- 
ij;.iiio  montra  ses  dispositions  pour 
1.1  composition  théâtrale  ,  eu  faisant 
Il  musiijiie  d'un  intermède  qui  fut 
mis  en  scène,  et  cpii  eut  un  grand 
succès.  Le  père  ,  pendant  la  compo- 
silion,  avait  tenu  son  (ils  eloi[:;nè  de 
toute  société,  pour  que  jiersonne  ne 
put  l'accuser  de  s'être  fait  aider  , 
surtout  par  Hoccherini  ,  son  onc!c 
Maternel.  A  Rome,  Vigano  débuta 
jiussi  comme  danseur,  en  remplissant 
<!(  s  rôles  de  femme  dans  les  ballets 
de  son  père.  De  là  il  se  rendit  à  Flo- 

I  cnce  pour  continuer  ses  débuts  ;  mais 
;iy.int  eu  une  intrigue  avec  une  dame 
de  (pialitc,  il  fut  oblige  de  se  mettre 
à  l'abri  des  vengeances  ,  et  s'enfuit 
cil  Espagne.  Vigano  fut  engagé  au 
tliéàtre  royal  de  Madrid  ,  oii  il  jdut 
beaucoup   dans  les  ballets  de  Rossi. 

II  y  épousa  une  jolie  et  habile  dan- 
seuse ,  Doua  Médina  ,  qui  se  dis- 
tinguait, comme  lui,  dans  le  genre 
sérieux  et  dans  ce  (pie  les  Italiens 
ajipellent  danse  de  moyeu  caractère, 
lui  les  vovant  danser  ensemble  ,  tout 
le  monde  convenait  que  ce  couj)!e 
était  parfaitement  assorti.  Après 
avoir  séjourné  un  an  à  Madrid  ,  Vi- 
gano se  rendit  avec  sa  femme  à  Lon- 
dres ,  où  ils  se  distinguirent  dans 
les  ballets  de  Danberval.  Vigano 
profita  des  avis  de  ce  grand  maître  , 
ainsi  que  de  ceux  de  Vestris  qui  se 
trouvait  alors  à  Londres.  De  là  ,  il 
partit  avec  sa  femme  pour  Paris  ; 
et  dans  cette  capitale  où  l'art  de  la 
danse  était  porté  plus  loin  qu'ail- 
leurs, Vigano  en  lit  une  nouvelle 
étude. Il  allait  débuter  au  grand  opé- 
ra, lorsque  la  révoluliun  le  força  de 


VIG  453 

se  retirer  d'abord  à  Bordeaux  ,  puis 
à   Venise  ,  oii    l'on  admira    surtout 
leurs  pas  de  doux.  Ce  fut  dans  cette 
ville  aussi  <|u'il  lit  représenter  le  pre- 
mier  ballet  de  sa  composition,   la 
Fille  mal  gardée.  Lors  de  l'ouver- 
ture du  grand  tlié.îtrc  de  Fénice ,  il 
dansa  dans   le  ballet  de  son    père  , 
VAinour  et  Psjché;  puis  il  se  reu- 
dit  avec  sa  femme  en  Allemagne  ,  où 
il  dan.'-a  successivement  aux  théâtres 
royaux  de  \  ieniie  ,  de  Herlin  et  de 
Dresde.  Le  roi  de  Prusse  lui  lit  pré- 
sent d'une  tabatière  qui  avait  ap|)ar- 
tenu  à  Frédéric-le(irand;  l'électeur 
de  Saxe  voulut  l'engager  à  entrer  à 
son  service  j  mais  la  cour  de  \  ieiine 
le  prévint,  et  attira  Vigano  avec  sa 
femme  et  sa  lille  ;  la  cour  de  Russie 
l'appela  également  ;  mais  il  préféra 
rester  dans    des  climats   plus  doux. 
Il  donna  au  théâtre  de  Vienne  plu- 
sieurs ballets  de  sa  composition,  en- 
tre autres  son  Promélhët'  ;  il  lit  des 
excursions  à  \  eiiise  ,  à  Milan  ,  à  Na- 
ples  ,  et  donna  ,  dans  la  première  de 
ces  villes,  son  Coriolan  qui  y  réussit 
complètement,  tandis  qu'il  n'eut  au- 
cun succès   à   Rome.  Vigano  ,   qui 
s'était  rendu  dans  cette  capitale  pour 
suivre  les  représentations  ,  fut  obligé 
de    rcm|)lacer  le    Coriolan  par    un 
autre  ballet,  la  Princesse  des  bois, 
qu'il  comj)Osa  eu  sept  jours.  11  dansa 
encore  à  Padoue ,  à  Viccnce ,  à  Tu- 
rin ,  à  Brescia  ,  puis  il  renonça  à  la 
scène  pour  se  fixer  à  Milan ,  et  s'y 
adonner  tout  entier  à  la  composition 
des  ballets. Sous  sa  direction,  le  bal- 
let du  grand  théâtre  de  Milan  devint 
un  des  premiers  de  l'Italie.  Vigano 
lui  fournit  une  suite  de  pantomimes 
intéressantes  ,  tirées  de  l'histuire  an- 
cienne et  moderne.  La  Pelleriui  fut 
son  élève  la  plus  distinguée.  Il  mou- 
rut en  18  1 1  ,  n'ayant  pu  achever  sou 
huWel ,  Didon  abandonnée.   D — v. 


454  VIG 

yiGAROUS  (Barthei.emi)  na- 
quit à  Montpellier,  eu  iji^ ,  d'un 
chirurgien  qui  était   venu  s'établir 
dans  cette  ville.    A   l'âge  de  vingt 
.ins  ,  l'administration  de  l'hôtel-dieu 
le  nomma  ])rcmicr  chirurgien  inter- 
ne, place  qui  conférait  la  maîtrise 
au  bout  de  quelques  années.  Son  dé- 
but dans  la  pratique  fut  marqué  par 
des  opérations  majeures  et  peu  usi- 
tées ,  entre  autres  celle  d'une  enté- 
rocèle   étranglée  ,  qu'il  lit  dans  les 
vingt -quatre  beures  de  l'étrangle- 
ment.   Vigarous  devint  ensuite  dé- 
monstrateur d'anatomie  à  la  faculté 
de  médecine,  professeur  aux  écoles 
de  chirurgie  ,  membre  de  la  société 
royale  des  sciences  ,  l'un  des  chirur- 
giens en  chef  du  principal  hospice 
civil ,  et  chirurgien-major  de  l'hô- 
pital militaire  de  Montpellier.  Dans 
tous  ces  emplois  ,  il  montra  des  ta- 
lents supérieurs,  et  surtout  une  heu- 
reuse audace  qui   le    fit  considérer 
comme  l'un  des  premiers  praticiens 
de  son  temps.  Il  mourut  en  i-jgo  , 
laissant  manuscrit  l'ouvrage  suivant  : 
OEuvres   de  chirurgie    pratique , 
civile   et   militaire  ,     de    Bartlié- 
lemi  Fignrous  ,  mises  en  ordre  et 
publiées  par    son  fils  ,   docteur   et 
professeur  en  médecine,  Montpellier, 
1812,  in-S*^. — ViGAROus(Franrois), 
frère  puîné  du  précédciit,  se  destina 
d'abord  à  l'état  ecclésiastique,  puis 
changeant  de  vocation  il  étudia   la 
médccine^devint  docteur,  et  se  maria. 
Vigarous  parlait  avec  une  élégante 
facilité  la  langue  latine,  ce  qui  le  fit 
briller  dans  les  concours.  En  1776  , 
il  fut  pourvu  d'une  chaire  qu'il  rem- 
plit  honorablement.   11    mourut  en 
i79'>..  F"avorable  à  l'inoculation  delà 
variole  dès  son  origine  en  France  ^ 
"Vigarous  la  pratiqua,  un  des  pre- 
miers^ sur  SCS  propres  enfants. 

D— G-S. 


VIG 

VIGÉE  (  Louis-Jean-Ba'ptiste- 
Étieîvne  )  (  I  ) ,  littérateur  ^  né  à  Pa- 
ris le  2  décembre  1758,  était  fils 
d'un  peintre  médiocre ,  ou  ,  suivant 
d'autres  ,  d'un  parfumeur.  Ce  qui 
est  plus  certain,  c'est  qu'il  était  le 
frère  de  M"^!*^.  Lebrun  ,  qui  s'est 
fait  une  grande  réputation  par  son 
talent  pour  la  peinture.  Avec  de  l'es- 
prit ,  une  figure  agréable  et  le  goût 
des  plaisirs  ,  il  se  trouva ,  de  bonne 
heure,  lancé  dans  le  tourbillon  du 
monde;  et,  coûtent  des  faciles  ap- 
plaudissements qu'il  y  recueillait,  il 
laissa  s'écouler  au  milieu  des  dissi- 
jîatioûs  le  temps  le  plus  précieux 
pour  l'étude.  C'est  un  tort  dont  il 
convient  lui-même. 

Je  ne  saurais  le  taire , 

Je  n'ai  pas  fait  touiours  ce  que  j'aurais  du  faire, 
Paresseux  par  nature  et  du  plaisir  ami , 
Dans  ïes  bras  du  repos,  inullenieiit  eudorin! , 
Je  désertais  la  coiu-  des  lilles  de  meuiuire, , .  (ï). 

Il  n'était  connu  que  par  quel- 
ques poésies  légères,  dans  le  genre 
de  Dorât,  quand  il  fit  représenter, 
eu  1783,  les  Aveux  difjiciles.  Le 
succès  de  cette  petite  pièce  fut  prin- 
cipalement dti  au  talent  des  acteurs. 
Le  baron  d' Estât,  qui  venait  de  trai- 
ter le  même  sujet,  accusa  Vigéc  de 
le  lui  avoir  dérobé  ;  et  ils  amusèrent 
quelque  tem])s  de  leur  querelle  les 
lecteurs  du  Journal  de  Paris  :  mais 
le  public  finit  par  se  déclarer  pour 
Vigée;  et  il  est  bien  reconnu  que  la 
pièce  lui  appartient ,  quoiqu'il  n'ait 
rien  fait  de  mieux  ensuite  dans  le 
genre     dramatique.   Peu  de   temps 


(i)  Vigc'e  a  donne  lui-même  ses  noms  et, la  date 
de  sa  naissance,  dans  une  note  de  son  Epitre  à 
Oreiset  ,  Alman.  des  Muses  ,  1820,  p.  8,  et  dans  le 
Journal  de  Paris  du  7.8 mars  i8i(). Toutes  les  biogra- 
phies et  les  dictionnaires  publies  depuis  ,  n'ont  ce- 
pendant jios  cessé  de  le  nommer  Lotiis-GtiilUiume" 
fiernard-Elienne,  et  de  le  faire  naître  vers  1755. 
Quelques  personnes  croient  qi^  ces  derniers  pré- 
noms étaient  véritablement  les  siens,  et  qu'il  avait 
la  manie  de  se  rajeunir  et  de  cacber  son  origine. 

(2)  Epiirt  à  un  élève ,  de  l'ccole  de  la  marine, 
Alm.  de  Husrs,  1R12. 


VIG 

après,  il  obtint,  par  la  protection 
du  comte  de  Vandreuil ,  la  place  de 
secrétaire  du  cabinet  de  Madame  , 
qu'il  occupa  jusqu'à  la  révolution, 
époque  où  il  ta  perdit  aA^ec  l'em- 
ploi de  contrôleur  à  la  caisse  d'a- 
mortissement ,  qu'il  avait  obtenu  par 
la  même  faveur.  Malgré  ces  pertes  , 
Vigée  se  montra  partisan  delà  révo- 
lution, et  il  célébra  ,  dans  une  Odeàla 
liberté ,  le  renversement  des  statues 
de  nos  rois  et  les  premiers  succès  des 
armées  républicaines.  Il  présida  , 
dans  le  même  temps ,  la  société  po- 
pulaire de  la  section  de  Brutus  j  et 
comme  cette  section  se  prononça 
avec  force  contre  la  révolution  du  3 1 
mai  1793,  il  fut  poursuivi  après  le 
triomphe  de  Robespierre.  Arrêté 
dans  le  mois  de  décembre  de  la  mê- 
me année  ,  il  ne  sortit  de  prison  que 
dix  jours  après  le  9  thermidor.  Il  a 
décrit,  dans  une  longue  Épître  en 
vers ,  intitulée  la  Nouvelle  Chartreu- 
se,  les  circonstances  de  sa  détention. 
Vers  la  fin  de  i794i  il  fiit  com- 
pris pour  une  somme  de  deux  mille 
francs  dans  les  secours  que  la  Con- 
vention accorda  aux  gens  de  lettres 
«t  aux  artistes.  Lorsque  le  canon  de 
Ja  Convention  nationale  eut  mis  eu 
fuite  les  habitants  de  Paris,  au  1 3  ven- 
démiaire (  5  oct.  1793),  Vigée  fut 
encore  obligé  de  se  cacher;  mais  l'an- 
flée  suivante  il  obtint  un  emploi  de 
chef  de  bureau  à  la  liquidation  de  la 
dette  des  émigrés,  qu'il  conserva  jus- 
qu'à la  suppression  de  cette  adminis- 
tration, en  I  799.  En  i8o3 ,  après  la 
mort  de  Laharpe  ,  il  osa  se  charger 
de  la  tâche  dilficile  de  remplacer  ce 
célèbre  critique  à  la  chaire  de  l'A- 
théuée  ;  et  l'on  ne  peut  douter  que  la 
comparaison  que  ses  auditeurs  furent 
dans  le  cas  d'établir  entre  ses  leçons 
et  celles  de  son  prédécesseur  n'empê- 
chât qu'on  lui  rendît  justice.  Cepcn- 


VIG  455 

dant  il  avait  sur  Laharpe  une  espèce 
d'avantage  :  c'était  d'exceller  dans 
l'art  de  lire  les  vers.  Il  se  faisait  un 
plaisir  de  donner  des  leçons  de  dé- 
clama lion  aux  jeunes  gens  qui  se  des- 
tinaient à  la  carrière  du  théâtre;  et 
plus  d'un  acteur  lui  dut  des  conseils 
utiles.  Il  savait  donner  à  la  poésie , 
et  surtout  à  la  sienne,  un  charme 
qu'on  n'y  trouvait  pas  toujours  à  la 
lecture.  Après  la  perte  de  sa  fortu- 
ne, il  supporta,  sans  peine  et  très- 
philosophiquement,  si  on  l'en  croit, 
toutes  les  privations  : 

Jti  suis  riche  du  bieo  dont  je  sais  me  passer  , 

dit-il,  dans  une  Epître  à  Ducis,  Sur 
les  avantages  de  la  médiocrité , 
Tun  des  meilleurs  morceaux  sortis 
de  sa  plume;  mais  il  prodiguait,  dans 
le  même  temps,  les  éloges  au  chef 
du  gouvernement,  ainsi  qu'aux  gens 
en  place;  et  ses  motifs  pour  en  user 
ainsi  n'étaient  })robablement  pas  bien 
désintéressés.  Il  fit  des  vers  pour 
Suonaparte  général  ,  pour  Buona- 
parle  empereur  et  pour  son  fils  ;  mais 
il  ne  put  rien  en  obtenir.  ]Non  moins 
zélé  pour  les  Bourbons ,  à  l'époque 
de  leur  retour  ,  il  fut  plus  heureux  , 
deviat  lecteur  du  roi  et  chevalier  de 
la  Légion-d'Houneur.  1 1  laissa  voir ,  à 
cette  occasion  ,  une  joie  d'enfant  ;  et 
depuis  il  ne  manqua  jamais  d'ajouter 
à  son  nom  le  titre  de  chevalier. 
Vigée  était  membre  de  la  socié- 
té philotechnique  ,  qu'il  présida 
plusieurs  fois;  mais  il  avait  brigué 
vainement  l'honneur  d'être  admis  à 
l'académie  française.  Piqué  de  l'inu- 
tilité de  ses  démarches  ,  il  s'en  ven- 
gea par  des  éjiigrammes  ;  ce  qui  l'a 
fait  comparer  à  Piron  ;  mais  Vigée  , 
même  dans  ce  petit  genre ,  est  très- 
inférieur  à  l'auteur  de  la  Métroma- 
nie.  De  toutes  ses  épigrammes  contre 
l'académie,  on  n'a  retenu  que  celh 


45G 


VIG 


à  laquelle  il  a  dorme  la  forme  d'une 
cpitaphe  : 

Ci-pit  qui  fit  des  ver»,  les  fil  mal  et  ne  put , 
(Juciiqu'il  lût  sans  esprit,  être  de  l'Institut. 

Un  académicien  (  M.  François  de 
Neiilchàteau)  y  fit  cette  repense  trop 
a  m  ère  : 

Vige'e  e'crit  qu'il  est  un  sot , 
Peusi'-t-il  qu'on  le  contredise? 
Non,  l'épilaphe  est  si  précise 
Que  tout  Paris  le  prend  au  mot. 

Voulant  montrer  plus  de  philosopliie 
q;ril  n'eu  avait  réellement .  Vigee  af- 
fecta de  rire  le  premier  de  cette  ré- 
ponse. Il  l'inse'ra  dans  V Almanach 
des  Muses  (3) ,  et  propo.sa  des  chan- 
gements qui  devaient  la  rendre  mciU 
leiu'e.  Dès  l'année  1 78(),  il  avait  suc- 
code  à  Sautreau  de  Marsy  dans  la 
direction  de  l'Almanacli  des  Muses  ; 
et  ce  fut  dans  ce  recued  qu'il  publia , 
pendant  trente -deux  ans,  ses  nom- 
breux opuscules,  et  qu'il  s'c'ngea  en 
aristarque  de  la  littèratiue.  Ou  lui  a 
reproche  avec  raison  sa  partialité 
dans  l'admission  ou  le  rejet  des  dif- 
férentes pièces ,  ainsi  que  le  ton  tran- 
chant et  sec  de  ses  jugements  super- 
ficiels. Ce  ton  ,  qui  était  l'allure  ha- 
])ituelle  de  Vigée,  lui  fit  beaucoup 
d'ennemis  ,  et  nuisit  à  ses  projets 
d'ambition  et  de  vanité.  Dans  un  âge 
avancé,  il  avait  ^ouservé  les  maniè- 
res et  le  ton  leste  d'un  petit- maître. 
S'étonnant  de  n'avoir  plus  les  mêmes 
succès  fque  dans  sa  jeunesse  ,  il  de- 
vint triste  et  morose,  se  déchaîna 
contre  le  siècle,  et  dans  ses  sarcas- 
mes n'épargna  pas  même  ses  con- 
frères, qu'il  regardait  tous  comme 
des  envieux  et  des  ennemis.  Palis- 
sot,  qui  ne  l'avait  pas  ménagé  dans 
ses  Mémoires  littéraires ,  fut  sur- 
tout l'objet  de  ses  épigrarames. 
La  santé  de  Vigée  ne  lui  permet- 
tant pas  de    se  dissimuler  que  sa 

^3)  Yoy.  Alm,  das  Hliises  ^  1870  ,  p.    i3o. 


VIG 

fin  était  proche ,  il  essaya  de  se  fa- 
miliariser avec  des  idées  qui  le  tour- 
mentaient sans  cesse.   Ce  fut  alors 
qu'il  composa  VEpître  à  la  Mort , 
et  uue  autre  pièce  intitulée  Mon  en- 
terrement,  dans  laquelle  il  prescrit       j 
l'ordre  de  son  convoi,  chargeant  La-      1 
chaboaussière  ,sonami.deprononcer 
son  Oraison  funèbre.  Dans  ses  Epi- 
tres  à  Gresset ,  qu'il  nomme  à  tort 
son  maître ,  et  à  M.  Robert  Lefèvre, 
qui  A'enait  d'achever  son  portrait , 
Vigée,  toujours  tourmenté  par  les 
tristes  idées  qui  le  poursuivaient ,  re- 
vient encore  à  ses  ennemis,  et  regar- 
dant ,  quoiqu'il  ne  pût  pas  le  soup- 
çonner ,  le  rédacteur  de  son  article 
dans  la  Biographie  universelle  (4) 
comme  leur  complice,  il  le  désigne 
d'avance  comme  un  pauvre  diable , 
un  meurt  de  faim.  Les  secours  de  la 
religion  adoucirent  cependant  les  der- 
niers jours  de  sa  vie.  Il  pardonna 
sincèrement   à    tous   ceux    dont    il 
crovait  avoir  à  se  plaindre.  Il  mou- 
rut dans  de  grands  sentiments  de  pié- 
té, le  7  août  i8'20,  à  l'âge  de  soi- 
xante -  deux  ans.  Quelques  heures 
avant  d'expirer,  il  fit  une  revue  de 
ses  papiers ,  et  brûla  tous  ceux  qui 
lui  paraissaient  empreints  de  quel- 
ques   ressentiments.  Ou  croit   qu'il 
détruisit ,    en    cette   occasion  ,    des 
Mémoires  sur  sa  vie  et  sur  ses  con- 
temporains ,  qui  contenaient  des  cho- 
ses malignes  et  curieuses,  et  qu'il  se 
proposait  de  placer  à  la  tcle  de  la 
collection  de  ses  OEuvres.  Commé"^ 
auteur  dramatique,  on  a  de  Vigée  : 
les  Aveux  difficiles,  comédie  en  un 
acte  et  en  vers,  1783.  Le  6  novem- 
bre   1784,   il    donna    au  Théâtre- 
Français  la  Fausse  Coquette,  comé- 
die en  trois  actes ,  en  vers  ,  dont  l'in- 
trigue est  presque  nulle  et  le  style 

(4)  Voy.  Alin   d  s  Miisef ,  i8?,i,  p.  4^. 


VIG 

jilus   pi'c'tcnlicux    et    plus    maniéré 
que  celui  de  son    premier    ou  via - 
ge.    Cette  pièce  froide    réussit   ce- 
pendant  :    elle    eut    même    l'hon- 
neur d'être  jouée,  dix  jours  après, 
devant  le  roi,  et  fut  imprimée,  la 
même  année,  in-8<*.;  mais  elle  dis- 
parut de  l'alliclie,  où  elle  avait  été 
longtemps  annoncée.  Peu  content  de 
ce  demi-succès,  Vif;ée  risqua  sur  la 
scène  italienne,  le'iSdéc. ,  sous  le  voi- 
le de  l'anonyme,  les  Amants  timi- 
des, comédie  en  un  acte,  en  vers,  qui, 
malgré  des  détails  agréables,  parut 
dépourvue  de  comique  et  d'intérêt. 
INIal  secondé  d'ailleurs  par  les  acteurs 
fie  ce  théâtre,  il  revint  sur  la  scène 
française,  et  y  lit  représenter  deux 
comédies,  en   i-^SS  :  l'une  en  cinq 
actes  et  en  vers  ,  la  Belle  -  Mère  ou 
les  Dangers  d'un  second  mariage , 
sorte  de  drame,  dont  le  principal 
caractère  est  manqué ,  et  dont  le  se- 
cond titre  devrait  être  le  Danger  des 
liaisons.  Cette  pièce  assez  mal  ac- 
cueillie, le  -1^  juillet,  et  imprimée 
in -8^. ,  olFre  quelques  situations  in- 
téressantes ,  des  détails  heureux,  pris 
dans  nos  mœurs ,  et  surtout  une  sorte 
de  disparate  dans  le  style ,  provenant 
de  ce  que  l'auteur  l'avait  corrigée 
pendant  trois  ans.  L'autre  en  un  acte 
et  en  \ev?,,V Entrevue,  la  meilleure 
pièce  de  Vigée,  dont  le  sujet  est  tiré 
d'un  conte  d'imbert,  fut  jouée  le  G 
décembre  ,  et  devant  le  roi  trois  jours 
après.  Celte  comédie  réussit  par  des 
traits  fins  et   spirituels ,  des  scènes 
filées  et  écrites  avec  goût ,  et  surtout 
par   le  talent  de  Mole  et   celui  de 
M^l'^.  Contât.  Imprimée  la  même  an- 
née, in-8'\,  elle  est  restée  au  réper- 
toire; et  cependant  elle  reparaît  ra- 
rement sur  la  scène.  Vigée  donna  en- 
core deux  comédies  au  même  théâtre: 
1".  la  Matinée  d' une  j olie  femme, 
eu  un  acte  ,  en  prose  (  29  déceml)re 


VIG 


457 


l-yQ'j  ) ,  im])riniée  en  i'JqS  ,  in- 8°. , 
faible  imitation  du  Cercle  de  Poin- 
sinet ,  remplie  de  fadeurs  pour  M''*. 
Contât,  qui,    chargée  du  ])rincipal 
rôle,  y  chantait  une  romance  ;  'i"^. 
la  Fivacité  à  V éprem-e,  qui  fut  sif- 
flée  en  i7<)3.  Les  fadaises  et  le  ma- 
rivaudage  étaient    alors   passés   de 
mode.  Depuis  quatorze  ans,  Vigée 
avait  composé  un  opéra  dont  Stci- 
bellt  devait  faire  la  musique  ;  mais 
le  départ  de  ce  compositeur  empê- 
cha la  représentation  jusqu'en  181  5, 
où  il  fut  joué  avec  la  musique  de 
Kreutzer,  sous  le  titre  de  la  Prin- 
cesse de  Bahrlone.  Quelques  -  unes 
des  pièces  qu'on  vient  de  citer  ont 
été  recueillies  en  un  vol.  in-8".  ;  sous 
le  titre  à!  OEuvres  dramatiques  de 
Vigée.  ]\L  Lcpeintre  a  publié  ,  dans 
la  Suite  du  Répertoire  du  Thédtre- 
Francais ,  tome  xxiii  ,  les  Aveux 
difficiles  et  V Entrevue  ,  et,   tome 
XLV  ,  la  Matinée  d'une  jolie  fem- 
me. Il  ne  faut  chercher  dans  les  co- 
médies de  Vigée  ni  naturel  ni  force 
comique;  mais  on  y  trouve  de  l'es- 
prit, des  détails  heureux  et  des  si- 
tuations bien  amenées.  Vigée  a  eu 
part  aux  Veillées  des  muses ,   à  la 
Nouvelle  Bibliothèque  des  romans 
et  au  Courrier  des  spectacles.  Ses 
Poésies  sont  écrites ,  en  général ,  avec 
élégance  et  correction.  On  distingue 
dans  le  nombre  les  petits  poèmes  in- 
titulés: Ma  Jeunesse  ,  Mes  Conven- 
tions, Mes  P'iùtes,  Mes  Rencontres, 
et  quelques  Épîtres.  Ses  opuscules 
en  vers  et  en  ])rose  ont  été  réimpri- 
més plusieurs  fuis  avec  des  additions. 
L'édition  de  Paris,  i8i3  ,  in-i8,  est 
la  plus  complète.  On  cite  encore  de 
lui  :  I.  Discours  couronné  par  l'aca- 
démie deMontauhan,  sur  cette  ques- 
tion ,  Combien  la  critique  amère 
est   nuisible  aux   talents  ?   Paris , 
1807  ,  iu-8".  II.  Procès  et  mort  de 


45S 


VIG 


Louis  Xri,  ibid. ,  1 8 1 4 ,  in-8°.  C'est 
un  épisode  d'un  Poème  sur  la  révo- 
lution, auquel  il  travailla  long-temps , 
et  dont  on  trouve  divers  fraEjments 
dans  les  Alnianachs  des  Muses; 
mais  on  ignore  s'il  l'a  termine'.  III. 
Le  Pour  et  le  Contre,  dialogue  re- 
ligieux, moral,  politique  et  lilte'rai- 
re,  ibid.,  l8i8,  in  8**.  C'est  une  sa- 
tire en  vers.  On  annonçait ,  en  182-2, 
que  lAI.  le  baron  de  Ladourette  pré- 
parait une  édition  complète  des  OEu- 
vres  de  Vigoe  ,  augmentée  de  son 
Cours  de  littérature.  On  trouve  des 
Notices  sur  cet  écrivain  dans  V An- 
nuaire nécrologique  et  dans  la  Suite 
du  Répertoire  du  Théâtre  -  Fran- 
çais, \\\\\  .i^-j-^^.  A — T. 

VIGENÈRh:  (  Blaise  de  )  ,  tra- 
ducteur qui  a  joui  d'une  grande  rc'- 
putation,  était  ne  le  5  avril  i5a3, 
à  Saint-Pourçain  ,  dans  le  Bourbon- 
nais, de  parents  nobles.  A)'ant  achevé 
ses  études  à  Paris,  il  fut  employé  par 
le  premier  secrétaire  d'état  ,  et  en 
1545  il  accompagna  l'envoyé  de 
France  à  la  diète  de  Worms.  Après 
la  tenue  de  cette  assemblée  ,  il  visita 
les  principales  villes  d'Allemagne  et 
des  Pays  -  B  is  ,  pour  satisfaire  sa 
curiosité.  A  son  retour  en  France 
(1547),  le  duc  de  Ne  vers  se  l'atta- 
cha comme  secrétan-e;  et  il  nous 
apprend  lui-même  {  préf.  du  Traité 
des  chijjres  )  qu'il  l'esta  depuis  le 
serviteur  de  celle  illustre  maison.  En 
i563  ,  comme  il  avait  des  loi- 
sirs, il  voulut  en  profiler  pour  re- 
pi'endre  ses  études  ,  interrompues 
depuis  long -temps;  et  ayant  suivi 
les  leçons  de  Turnèbc  et  de  Dorât , 
les  deux  plus  savants  professeurs  de 
cette  époque  ,  il  se  rendit  bientôt  fort 
Iiabile  dans  le  grec  et  l'hébreu.  Un 
voyage (pi'ii  fila  Rome, en  i5G6,avec 
le  titre  de  secrét.iire  d'ambassade  , 
lui  fournit  l'occasion  de  consulter  les 


VIG 

plus  célèbres  rabbins.  Son  but  était 
d'eu  tirer  de  nouvelles  lumières  pour 
se  peifectionner  dans  l'hébreu;  mais 
ébloui  de  leur  érudition  mensongère, 
il  voulut  lire  leurs  ouvrages  ,  et  de- 
vint l'un  des  plus  zélés  partisans 
des  rêveries  cabalistiques.  De  re- 
tour à  Paris  en  i569,  il  s'y  maria 
l'année  suivante.  Les  soins  domes- 
tiques ne  ralentirent  point  son  ardeur 
pour  l'étude;  et  à  l'âge  de  cinquante 
ans ,  il  se  lit  connaître  par  des  tra- 
ductions dont  le  succès  dut  l'étonner 
lui-même.  Ses  amis  l'égalèrent  au 
traducteur  de  Plutarque  et  de  Lon- 
giis  ;  mais  Duverdier  (  Bihl.  franc.  ) 
n'hésita  pas  à  le  placer  au-dessus 
d'Amyot  ,  et  par  anticipation  ,  de 
tous  les  écrivains  futurs.  Voici  les 
termes  dont  se  sert  notre  vieux  bi- 
bliothécaire :  tt  Vigenère,  entre  tous 
les  nourrissons  des  Muses  que  la 
Frarice  ait  enfantes ,  a  si  bien  dit 
que  l'on  estime  avoir  clos  la  porte 
à  tous  ceux  qui  viendront  par  ci- 
après,  soit  eu  excellence  de  langage, 
que  doctrine.  »  Artus  Thomas  (i), 


(1)  Artus  Thomas  ,  sieur  à'Kmhry,  que  Leu- 
glct-nufresiioy  nomme  mal  'l'Iwnias  /trtus ,  était  né 
vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  à  Paris,  d'une 
famille  honorable.  On  ignore  les  circonstances  de 
sa  vie;  mais  il  est  certain  qu'il  vivait  encore  en 
iGi^.  Admirateur  p:issionne  de  Vigenère  ,  on  lui 
dut  une  nouvelle  (■dition  de  sa  traduction  des  Ta- 
bleaux de  Pliilostrate,  à  laquelle  il  joignit  des  Epi- 
grammes  furi  plates;  il  publia  celle  de  la  Fie  d  A- 
polloniiti  de  Tliyane ,  Paris,  1611,  in-4°- ,  avec 
une  prélace  et  d'amples  commentaires  ;  enliu  il 
cnnlmu.i  l'Hitloire  de  Nicol.  Chalcondyle  jusqu'à 
l'année  i6if-  L'iistoilc  .  dans  son  Journal  du  règne 
de  Henri  //^  C  avril  i6n5  )  lui  attribue  la  Descrip- 
tion de  l'île  des  llerninphiodiles  :  ce  passade  n'était 
point  inédit  comme  l'annonce  Barbier  (  Dic- 
tionnaire des  anonymes  ,  n".  35if)  )  ;  il  est  impri- 
me' dans  l'edit.  de  1741  ,  tome  lit  ,  p.  278;  mais 
comme  il  est  fort  curieux  ,  le  lecteur  ne  sera  pas 
fâche  de  le  trouver  ici  :  «  Le  livre  des  Hermaphro- 
dites fut  imprimé  et  publié  en  même  temps  ,  et  se 
voyait  à  Paris,  où  on  en  fit  passer  l'envie  du  com- 
mencement aux  curieux  ,  auxquels  on  le  vendit 
jusque  à  deux  écus  ,  ne  devant  valoir  plus  de  dix 
sous.  J'en  connais  un  qui  eu  paya  autant  à  un  li-, 
braire  de  Paris.  Ce  petit  libelle  (^  qui  était  assez, 
bien  fait  )  ,  sous  le  nom  de  cette  ile  imaginaire  , 
découvrait  les  moeurs  et  façons  de  faire  impies  et 
vicieuses  delà  rour,  taisant  voir  rtair<'m''nl  fjue 
la  l'rance  cA  maintruaul    le    rrpaiie  et    l'asile   il< 


VIG 

l'un  des  continuateurs  de  Vigeuèie  , 
le  nomme  un  excellent  et  rare  esprit , 
un  docte  et  cloquent  personnage  au- 
quel le  public  aura,  à  jamais^  une 
pcrpc'tucilc  obligation  ,  pour  l'utiHle 
qu'ii  tire  journeiiemcnt  du  fruit  de 
ses  labeurs  ;  un  homme  qu'au  temps 
du  paganisme  on  aurait  pu  nommer 
]eg7'aiid  démon  du  savoir,  puisqu'il 
semble  n'avoir  rien  ignore  (  Préface 
delà  Vie  d' Apollonius  de  Thjane). 
Un  succès  si  brillant  valut  à  Vigenère 
la  faveur  de  la  cour  ;  et  l'on  sait 
qu'eu  1 584  il  avait  le  titre  de  se- 
crétaire de  la  chambre  du  roi  Henri 
III.  Quoiqu'il  fût  très-laborieux  ,  et 
que ,  même  dans  les  dernières  années 
de  sa  vie  ,  il  passât  huit  à  dix  heu- 
res par  jour  à  l'ètudc  ,  il  n'avait  rien 
moins  qu'une  conduite  régulière.  Il 
mourut  à  Pans,  le  19  février  i  5f)0, 
à  soixante-treize  ans  ,  des  suites  d'u- 
ne débauche.  «  C'était  ,  dit  l'Estoile 
(  Journ.  de  Henri  III  ),  un  homme 
très-docte,  mais  vicieux. «Silesèloges 
des  contemporains  n'ont  pas  empè- 
cl.c  Vigenère  de  tomber  dans  l'oubli, 
c'est  qu'il  n'a  point  connu  le  vérita- 
ble génie  de  la  langue  française.  Ses 
traductions  si  vantées  sont  écrites 
d'un  style  barbare,  et  il  est  impossi- 
ble d'en  supporter  la  lecture;  tandis 
qu'on  lit  toujours  avec  plaisir  celles 
d'Amyut(  Foj.  ce  nom).  Quant  aux 


tout  vice  ,  volupté  et  imprudence  ,  au  lieu  que  ja- 
dis elle  ttait  une  académie  honorable  et  séminaire 
de  vertu.  Le  roi  (  Henri  IV  )  le  Toulnnt  voir  ,  il 
se  le  fit  lire  ,  et  encore  qu'il  le  trouvât  un  peu  li- 
bre et  trop  liardi ,  il  se  contenta  néanmoins  d'en 
apj)reiidre  le  nom  de  l'auteur  ,  qui  était  Artits 
7'lwmas  ,  lequel  il  ne  voulut  qu'on  rechercliàl  ; 
faisant  conscience,  disait-il  ,  de  fâcher  un  homme 
pour  avoir. dit  la  vérité.  »  Malgré  l'autorité  de 
l'Estoile,  Prosp.  IVÏarchand  ne  pensait  pas  que 
cette  ingénieuse  saliie  put  être  l'ouvrage  d'un  si 
mauvais  écrivain  ;  il  lui  conteste  moins  le  Dis- 
cours de  Jacopitile  à  Llnione^  autre  allégorie  placée 
à  la  suite  de  l'//e  des  IltrniapJirodites  ,  semée  de 
citations  sans  choix  et  .sans  mesure,  et  qui  ne  peut 
être  sortie  que  de  la  plume  d'un  pédant  tel  qu'Ar- 
tus  Thomas  (  ^.  l'arl.  Heiiiinplirodites  dans  le 
Dicl.  de  P.  Marchand  \ 


VIG  459 

notes  dont  il  les  a  accompagnées  , 
elles  prouvent  en  effet  beaucoup  d'é- 
rudition ;  niîisil  faut  être  soi-même 
fort  instruit  pour  pouvoir  en  retirer 
quelque  avantage  ;  et  quoi  qu'en  ait 
dit  l'abbé  Sabathier  (  Siècles  litté- 
raires ) ,  dans  la  vue  de  rabaisser 
ses  contemporains,  elles  n'ont  point 
enrichi  les  nouveaux  traducteurs  ; 
attendu  qu'il  leur  était  plus  facile  de 
recourir  aux  sources.  On  doit  à  Vi- 
genère des  traductions  des  Chroni- 
ques et  Annales  de  Po/ograe,  d'Her- 
bert de  Fulstein  ,  Paris,  i5'j3,  in- 
4°.  ; — des  Commentaires  de  César, 
ibid.^  i5n6,  in-fol.  et  in-4'^  ,  sou- 
vent réimprimés  5  —  de  V Histoire 
de  la  décadence  de  l'empire  grec  , 
de  Nicol.  Chalcondyle  (  F.  ce  nom, 
VII ,  (j'i'^  )  ;  —  des  Dialogues  sur 
l'amitié ,  de  Platon  ,  Cicéron  et  Lu- 
cien ,  Paris  ,  i5'j5  ,  iu-4".  ;  —  de 
la  Première  Décade  de  Titc-Live  • 
—  de  la  Fie  d'Apollonius  de  Thja- 
ne,desHéroïques,Aes  Imagesou  ta- 
bleaux de  plate  peinture  de  Philos- 
trate l'Ancien ,  et  des  Seconds  ta- 
bleaux de  Philostrate  le  Jeune  (  F. 
XXXIV,  2o(3  )  ;  de  VArt  militaire 
d'Onosandcr  ,  etc.,  il  a  rajeuni  le 
style  de  V Histoire  de  la  conquête 
de  Constantinople  ,  par  Geoffr.  de 
Villehardouin  (  F.  ce  nom  )  ;  a  mis 
en  vers  les  Psaumes  de  David  et 
les  Lamentations  de  Jérémie ,  et 
enOn  a  donné  la  première,  mais  aussi 
la  plus  mauvaise  traduction  de  la 
Jérusalem  délivrée  du  Tasse  ,  qu''il 
a  eu  l'imprudence  de  corriger  {Foy. 
la  Bibl.  franc,  de  Goujet ,  vni  ,19). 
Outre  quelques  opuscules  ascétiques 
de  Visrenère  ,  on  connaît  encore  de 
lui  :  I.  Traité  des  comètes  ou  étoi- 
les chevelues  ,  apparaissantes  ex- 
traordinairement  au  ciel  ,  avec 
leurs  causes  et  effets  ,  Paris,  1078, 
in-8". ,  rare.  La  véritable  astronomie 


46o 


VIG 


n'avait  pas  encore  fait  assez  de  pro- 
grès pour  que  Vigenère  pût  avoir 
des  idées  saines  sur  les  comètes  dont 
l'apparition  était  un  sujet  d'elT'roi  , 
inèuie  pour  les  savants.  L'explica- 
tion qu'il  en  donne  ne  s'élève  point 
au-dessus  des  préjugés  du  vulgaire. 
Suivant  lui ,  les  comètes  sont  pro- 
duites par  les  exhalaisons  de  la  terre, 
qui,  paivenues  à  une  certaine  ré- 
gion ,  d'où  elles  ne  peuvent  plus  re- 
tond)er  ,  se  consolident  et  finissent 
par  s'enflammer.  II  est  convaincu 
que  leur  apparition  est  presque  tou- 
jours l'annonce  de  quelque  grand 
événement,  et  il  assure  même  qu'on 
peut,  d'après  la  forme  d'une  comète, 
prévoir  si  l'événement  sera  funeste 
ou  bien  heureux.  Pingre ,  dans  sa 
Cometo^raphie  ,  ne  nomme  point 
Vigenère  j  mais  en  analysant  les  opi- 
nions des  astronomes  du  même  temps 
sur  les  comètes  ,  il  donne  une  idée 
fort  exacte  de  son  livre,cal([Mé  sur  tous 
ceux  qui  avaient  déjà  paru.  II.  Trai- 
té des  chiffres  ou  secrètes  manières 
d'écrire,  Paris,  i5.S(3,  in-4".,  rare; 
livre  plein  d'érudition  cabalistique. 
III .  Discours  sur  l'histoire  de  Char- 
les Fil ,  jadis  écrite  par  Alain 
Chartier  ,  cù  l'on  peut  voir  que 
Dieu  n'abandonne  jamais  la  cou- 
ronne de  France ,  ibid.  ,  1 589  ou 
ioqI  ,  in-8°.  ;  c'est  l'ouvrage  d'un 
partisan  de  la  Ligue.  IV.  Traité  du 
feu  et  du  sel,  Paris  ,  1G08  ,  iGif), 
et  Rouen,  i64'2,  in-4".  ;  traduit  en 
latin  ,  flans  le  tome  v  du  Theatrwn 
chimicum  ,  Strasbourg  ,  i()i3  et 
ann.  suiv.  ;  et  en  anglais,  Londres  , 
iGjç),  in-4°.  C'est  un  livre  d'alchi- 
mie, rédigé  d'après  les  |)rincipes  des 
rabbins  et  des  écrivains  cabali^ticpics. 
Suivant  Vigenère  ,  le  secret  de  faire 
de  l'or  n'est  pas  aussi  dillicile  à  trou- 
ver qu'on  l'imagine  ;  mais  comme 
ceux  qui  le  cherchent  n'ont  d'autre 


VIG 

but ,  en  se  procurant  des  richesses , 
que  de  satisfaire  leurs  appétits  déré- 
glés ,  Dieu  permet  que  tous  leurs 
eiïbrts  soient  mfructueux.  Il  donne 
ensuite  une  recette  avec  laquelle  tout 
homme  sage  est  certain  de  trouver 
la  pierre  pliilosophale;  mais  il  ne  dit 
pas  qu'on  en  eût  dojà  fait  l'essai.  A 
la  page  83  ,  il  annonce  un  Traité  de 
l'or  et  du  verre  ,  composé  sur  le 
chapitre 'i8  de  Job,  qui  commence 
ainsi:  «  L'argent  a  un  principe  et  une 
source  de  ses  veines  ,  et  l'or  a  un 
lieu  où  il  se  forme.  »  On  trouve  dans 
les  Mémoires  de  Niceron  ,  îome  xvi, 
0.6-3'j  ,  une  Notice  sur  Vigenère,  et 
des  additions  ,  tome  %^,  94-  Son 
portrait  est  grave'  par  Th.  de  Leu-, 
m-8".  W— s. 

VIGER  (François),  en  latin 
Figerius  ,  jésuite  ,  né  à  Rouen  , 
mourut  dans  cette  ville  en  1647  ;  il 
était  très-habile  dans  les  langues  an- 
ciennes ,  comme  le  prouve  son  excel- 
lente traduction  latine  des  livres  de 
la  Préparation  évangélique  d'Eusè- 
he  ,  avec  des  notes,  Paris,  1628, 
3  vol.  in -fol.  ;  et  son  traité  De  idio- 
tismis  prœcipuis  lins,uœ  ^rœcœ , 
i632,  in-i'.i,  et  Leyde,  i7()6,  in- 
8°.;  Leipzig,  1 80 'i  ;  Oxford  ,  i8i3, 

I  parties  in-K».  11  n'a  pas  traduit  les 
livres  de  la  Démonstration  d'Eusè- 
be,  ainsi  que  l'ont  prétendu  quelques 
historiens.  T — y. 

VIGIER  (  Gérard  ),  carme  dé- 
chaussé ,  mort  en  i638  ,  se  nommait 
dans  le  cloître  Dominique  de  Jésus. 

II  est  autour  de  la  Monarchie  sainte 
et  historique  de  France,  traduite 
du  latin  en  français,  par  le  P.  Mo- 
deste de  Saint-Âmable  ,  du  même 
ordre,  Paris,  1G70,  2  vol.  in-8'». 
Cet  ouvrage  contient  les  vies  des 
saints  et  bienheureux,  sortis  de  la 
première  race  de  nos  rois,  au  nom- 
bre de  quatre-vingts.  Le  traducteur 


VIG 

les  a  ornées  deheaucoiip  d'accessoires 
])our  la  généalogie,  la  chronologie  et 
i'iiisloire.  Le  P.  Vigier  est  encore 
auteur  de  VHistoire  parénétique 
des  trois  saints  protecteurs  de  la 
Haute- Auvergne  ,  ai>ec  quelques 
remarques  sur  l'histoire  ecclésias- 
tique de  celte  province  ,  Paris  , 
it)3(>,  in-8«.  T— D. 

VIGIER  (  Jean  ) ,  avocat  au  par- 
lement de  Paris  ,  d'une  famille  no- 
ble de  l'Angoumois  ,  mort  vers  l'an 
1648  ,  dans  un  âge  très-avance  ,  est 
connu  ]iar  un  bon  Commentaire  sur 
la  coutume  à' kn^owmoi?,  etd'Aunis, 
publie  en  i()5o_,  dont  la  deuxième 
édition,  donnée  par  son  petit-fils 
François  Vigier,  Angoulème,  1720, 
in-fol.,  est  augmentée  de  notes  inté- 
ressantes. La  partie  qui  concerne 
l'Angoumois  est  plus  estimée  que 
celle  qui  concerne  l'Aunis.  L'auteur 
avait  été  plus  en  état  de  connaître 
la  première  de  ces  contrées  que  la 
seconde.  vSa  première  édition  est  trop 
laconique  ,  et  celle  qui  l'a  suivie  lais- 
se encore  bien  des  choses  à  désirer. 
T— D. 

VIGIER  (  François- Antoine  ), 
prêtre  de  l'Oratoire,  naquit  vers  la  fin 
du  dix-septième  siècle.  Après  avoir 
parcouru  avec  distinction  ,  dans  plu- 
sieurs collèges,  la  carrière  de  l'ensei- 
gnement, il  fut  chaigéde  faire  à  Tours 
des  conférences  sur  l'histoire  ecclé- 
siastique ,  emploi  dans  lequel  il  suc- 
céda au  P.  d'Houteville,  si  cojinu 
par  son  traité  de  La  religion  chré- 
tienne prouvée  par  les  faits.  Le  suc- 
cès avec  lequel  il  s'en  acquitta  le 
fit  a])peler  au  séminaire  de  Saint- 
Magloire,  pour  y  remplir  le  même 
emploi,  qui  n'était  confié  qu'à  des 
sujets  d'un  mérite  distingué.  11  y 
avait  été  précédé  par  les  PP.  Tho- 
massin  ,  Quesnel ,  Lebrun^  Duguet^ 
et  il  se  montra  digne  de  les  rerapla- 


VIG 


4fii 


cer.  M.  de  Vintimille^  archevêque 
de  Paris,  l'ayant  chargé  de  compo- 
ser un  nouveau  bréviaire  pour  son 
diocèse  ,  il  se  livra  à  ce  travail  avec 
beaucoup  de  zèle.  Sa  mémoire,  qui 
était  meublée  de  tous  les  monuments 
de  l'antiquité  ecclésiastique,  hii  don- 
nait une  grande  facilité  pour  ce  gen- 
re de  composition.  L'ouvrage  parut 
en  i'^36,  et  fut  parfaitement  reçu 
du  public,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas 
d'essuyer  des  critiques  a  mères  ,  sur- 
tout de  la  part  Au  P.  Houbigant ,  jé- 
suite, qui  l'attaqua  avec  tant  de  vi- 
rulence ,  que  le  ])arlement  de  Paris 
condamna  au  feu  ses  lettres,  plus 
satiriques  que  critiques.  Le  P.  Vigier 
justifia  son  travail  par  trois  Lettres., 
qui  forment  54  pag.  in-4°.  Le  nou- 
veau bréviaire  éprouva  encore  d'au- 
tres contradictions  ,  dont  il  triom- 
pha au  moyen  de  quelques  cor- 
rections. La  plupart  des  évè(pic5 
l'ont  successivement  adopté  ,  à  peu 
de  variations  pris  ,  relatives  aux 
localités,  de  sorte  qu'il  est  deve- 
nu d'un  usage  presque  général ,  et 
qu'on  pourrait  le  qualifier  de  Bré- 
viaire gallican.  C'est  un  des  plus 
beaux  monumentsdeprières  publiques' 
que  l'on  connaisse,  par  le  choix  ju- 
dicieux de  tout  ce  que  l'Écriture 
sainte  et  la  tradition  renferment  de 
plus  précieux  pour  l'instruction  et 
l'édification  des  ecclésiastiques  et 
des  simples  fidèles.  Les  légendes  y 
sont  purgées  de  beaucoup  de  rela- 
tions fabuleuses  qui  dégradaient  cel- 
les des  anciens  bréviaires;  les  hvm- 
nes  offrent  une  précision  admirable, 
un  goût  exquis.  Il  y  règne  de  l'ordre 
et  de  la  suite  dans  les  idées,  de  la  di- 
gnité et  de  la  noblesse  dans  le  stvle  ; 
on  y  a  eu  le  plus  grand  soin  de  ne  s'é- 
carter jamais  de  la  règle  de  la  foi,  et 
de  ne  pas  sacrifier  l'exactitude  à  l'é- 
legancc.  La  plupart  de  ces  saints  cm- 


îGu 


VIG 


tiques  sont  de  Santeul  de  Saint-Victor 
etdcCollln.  Le  premier  y  a  déployé' 
toute  sa  verve  poelicpie;  le  dernier 
V  a  exprime  les  sentiments  allectueux. 
dont  il  était  anime.  On  y  a  conserve 
plusieurs  hymnes  de  saint  Ambroise 
et  de  Prudence.  Il  yen  a  de  Habert, 
c'vêque  de  Vabres ,  de  Petau  ,  de 
Commire,  de  Santeul  de  Saint- I\Ia- 
gloire ,  de  Letourneur  ,  de  Sainte- 
Martlie ,  de  Guyet,  de  Bcsnaut,  cure 
de  Saint  -  îMaurice  de  Sens.  V)5:;ier 
s'était  permis  quelques  clianf^ements 
dans  certaines  prières  consacrées 
par  rusa;;e  ,  entre  autres  ,  dans 
l'liyrane-/t'e  maris  Stella,  alin  d'en 
mettre  les  difleientes  strophes  en 
hirmonic  les  unes  avec  les  autres,  et 
de  ne  pas  attribuer  directement  à  la 
Sainte  Vierge  des  opérations  qui  ne 
peuvent  convenir  (pi'à  Je'sus-Christ. 
Les  j)lainles  bien  ou  mal  fondées  des 
eniinnis  du  nouveau  bréviaire  enp;a- 
p;(Tent  l'auteur  à  faire  des  cartonsdans 
les  exemplaires  qui  n'étaient  pas  en- 
core livres  au  public;  ce  qui  f.iit  re- 
chercher ceux  qui  n'ont  pas  éprou- 
ve ce  changement.  Du  reste  ,  on 
a  conserve'  l'idée  primitive  de  Yi- 
pier  dans  la  traduction  française. 
On  lui  doit  encorde  Martyrologe  de 
Paris,  et  en  grande  partie  les  IJre'- 
viaires  de  Vienne  et  d'Albi.  Le  P. 
Adry  ,  dernier  bibliothécaire  de  l'O- 
ratoire Saiut-Honore  ,  possédait  en 
manuscrit  les  savantes  conférences 
que  le  P.  Vigier  avait  faites  au  sé- 
minaire de  Saint-Magloire,  Ce  der- 
nier ,  devenu  assistant  du  P.  de  La 
Valette  (  Toy.  ce  nom,  XLVII , 
335  ),  général  de  l'Oratoire  ,  entra 
dans  toutes  ses  vues  de  pocilica- 
tion,  pour  faire  recevoir  la  cons- 
titution Uniç,enitus ;  dans  un  Mé- 
moire qu'il  avait  composé  à  ce  sujet, 
il  en  écartait  le  caractère  et  la  déno- 
mination de  règle  de  foi ,  ne  la  qua- 


VIG 

lifiant  que  du  titre  de  règlement  pro- 
visoire de  police,  pour  proscrire  l'u- 
sage des  propositions  condamnées , 
et  qui  n'obligeait  qu'à  une  soumission 
extérieure.  T — n. 

VIGILANCE  {FiGiLj^-TJvs),  le 
premier  hérésiarque  qu'aient  produit 
les  Gaules  ,  naquit,  suivant  Ja  plus 
commune  opinion,  au  bourg  de  Cala- 
guri ,  dans  le  pays  de  Comminges  , 
d'une  famille  obscure,  après  le  milieu 
du  quatrième  siècle.  Sou  esprit  et  son 
savoir  le  lièrent  de  bonne  heure 
avec  Sulpice-Sévère ,  qui  l'adressa 
à  saint  Paulin.  Vigilance  ayant  des- 
sein de  visiter  les  saints  lieux,  l'évc- 
que  de  Nôle  lui  donna  des  lettres  de 
recommandation  pour  saint  Jérôme, 
qui  n'en  conçut  pas  dès-lors  une  idée 
bien  favorable-  De  retour  dans  les 
Gaules,  Vigilance  tint  des  discours 
peu  mesurés  contre  le  sauit  docteur  , 
(pii  lui  répondit  par  une  lettre  écii- 
te  avec  toute  l'àcreté  ordinaire  de 
son  stvie.  Vigilance  était  présomp- 
tueux ,  suppléant  au  défaut  de 
science  par  une  imagination  hardie  , 
et  courant  à  la  célébrité  sans  se 
montrer  dillicile  sur  les  moyens  d'y 
parvenir.  D'ailleurs,  si  l'on  en  croit 
saint  Jérôme,  il  était  fort  éloigné 
des  vertus  de  son  état  de  prêtre ,  sur- 
tout de  celle  de  continence.  Il  s'éleva, 
dans  ses  discours  et  dans  ses  écrits , 
contre  le  culte  qu'on  rendait  aux 
martyrs  et  à  leurs  reliques  ;  il  atta- 
qua les  miracles  qui  se  faisaient  à 
leurs  tombeaux  ,  et  l'usage  de  leur 
adresser  des  prières.  Les  pratiques 
de  la  piété  chrétienne  ne  furent  pas 
plus  respectées;  telles  que  les  jeûnes, 
les  veilles  ,  le  célibat  cîes  clercs  ,  la 
])rofession  monastique  ,  les  aumônes 
qu'on  distribuait  aux  pauvres  ,  et 
celles  qu'on  envoyait  à  Jérusalem. 
Saint  Jérôme  ,  instruit  de  toutes  ces 
innovations,  les  réfuta  d'abord  par 


VI G 

tics  lettres  ,  [)iiis  par  un  traite  parti- 
culier qu'il  lit  répandre  dans  les 
Gaules.  «  On  a  vu  dans  le  monde  , 
»  dit  saint  Jérôme ,  des  monstres  de 
»  toute  espèce.  Isaïe  parle  des  Cen- 
»  taures,  des  Sirènes  et  d'autres  sem- 
»)  blables;  Job  l'ait  une  description 
»  mystérieuse  de  Lcviatlian  et  de 
»  lieliemolli  ;  les  poètes  content  des 
»  l'a  1)1  es  de  C-erbère,  du  sanglier  de 
»  la  forci  d'iM'iniantlie ,  de  la  Cbi- 
»  mère  et  de  l'Hydre  à  pbisieurs  tê- 
»  tes  ;  Virgile  rapporte  l'histoire  de 
»  Cacus  ;  l'Espagne  a  produit  Ge- 
»  ryon  qui  avait  trois  corps  ;  la 
»  France  seule  en  avait  ète  exemple 
»  quand  Vigilance,  ou  ])Iiit6t  Z?or/ni- 
»  tance  a  paru,  combattant  avec 
»  res])rit   impur  contre  l'Esprit  de 

»  Dieu ))    iSoit  que  l'hcrcsiarquc 

ail  ëtè  confondu  par  les  écrits  du 
saint  docteur ,  soit  que  les  c'vèques 
l'aient  oblige  de  se  rétracter,  il  est 
certain  que  depuis  celle  époque  il  ne 
fui  plus  question  de  ses  erreurs;  on 
doit  même  présumer  qu'il  les  abju- 
ra j  car  ,  au  rap|)0rl  de  Gennadc , 
l'évêque  de  Barcelone  lui  confia  le 
soiFi  d'une  église  de  son  diocèse.  ï-d. 
VIGILANCE  (  PuBT.ius  ),  né  à 
Strasbourg,  vers  la  fin  du  quinzième 
siècle,  fit  ses  éludes ,  à  Francforl-sur- 
rOder,  et  y  devint  professeur  de  poé- 
sie. Après  avoir  enseigné  pendant  plu- 
sieurs années  la  pliilosopliie ,  et  la 
littérature  grecque  et  latine,  il  voidul 
faire  un  voyage  en  Italie  et  dans 
d'autres  contrées  ,pour  y  rechercher  . 
les  monuments  des  lettres  anciennes, 
afin  d'en  introduire,  de|)!us  en  plus, 
l'étude  à  Francfort;  mais  il  fut  tué 
en  route  par  des  assassins  qui  le  per- 
cèrent d'un  coup  de  tlèche  ,  près  de 
Ravcnsbourg  en  Souabe,  dans  le  mois 
de  juillet  i5\'î..  Ses  disciples  lui  éle- 
vèrei.t  un  monument  sur  lequel  ils 
firent    graver   cette   epitapho  :  Hic 


VIG 


ir.3 


siliis  est  Publiiis  Vigilantius ,  vir 
widecunquc  doctus  et  cloquenSjOui 
dard  et  immeritd  morte  periit  in- 
noxàis  ,  dùm  Grœconim  ele^an- 
tiam  ex  Latioin  acadcmiam  Fran- 
cophordianam  transferre  parât. 
Quem  vitd  funclinn  ductœ  ciim  prœ- 
side  yïpolline  lurent  Miisœ.  Disci- 
puli prœceptori  beato  qualecimque 
posiœre.  Fale.  Anno  lôici.  Vigi- 
lance a  laissé  :  I.  Un  Recueil  d'épi- 
grammes  et  de  poésies  diverses.  II. 
Un  écrit  Pro  Gjmnasticd  Mar- 
chionis  Joachiini.  111.  De  situ  et 
CGiiditione  iirhis  Francophordianœ 
et  academiœ  ejusdem.  7j. 

A  IGILE,   pape  ,   né  à  Rome  ,  y 
fut  élu  et  ordonné  pape  en  53^  ,  du 
vivant  même   de  saint  Silvère,  son 
prédécesseur,  et  dut  son  élévation  aux 
intrigues  de  l'impératrice  ïhéodora 
cl  à  la  protection  des  armes  de  Béli- 
saire.  Ce  général ,  en  cette  occasion  , 
se  prêtait  aux  volontés  de  l'épouse 
<le  Justinien,  et  de  tout  le  parti  des 
Acéphales  (i),  à  la  tète  desquels  elle 
s'était  mise,  avec  Théodore   Asci- 
das,  évèquc  de  Césarée  en  Cappa- 
doce.  Le  but  secret  de  ces  Orientaux 
était  d'aflaiblir,  de  détruire  même 
l'autorité  du  concile  de  Chalcédoine 
et  de  saint  Léon  ,  dont   la  doctrine 
blessait  leurs    opinions.  11   leur  fal- 
lait    un   prétexte   pour   former    ce 
projet ,  un  instrument  ])our  l'exécu- 
ter. Le  prétexte   fut   l'examen  des 
Trois  chapitres.  On  ajipelait  ainsi 
trois  écrits,  plus  ou  moins  empreints 
des  erreurs  de  Neslorius  et  d'Euly- 
chcs  ,  sur  le  mystère  de  l'incarna- 
lion,    et  sur   \  hrpostase  ,  ou  l'u- 
nion   des    deux  natures    en  Jésus- 
Christ.  Ces  ouvrages  avaient  pour  au- 


(i  )  Ou  sont  léle.  On  appelait  aiusi  €!€■.  irTfi''p>'n- 
Hanls  qui,  se  jetant  confÎDiicllpment  clan-  diverses 
(■..rliotis,  rl.licnl  rrnsrs  n'avnir  point  <\r  -.ill.ilile 
ch.C. 


464  VIG 

tciirsTI-f'odore  de  Mopsueste,  The'o- 
dorct  II  i bas. Ces  écrivains  n'a v.iieiit 
pas  clé  exprcsse'ruciit  coiidainnes  par 
le  concile  de  Chalce'doiue  ;  les  deux 
derniers  même  avaient  c'të  recoumis 
par  lui   comme    orlliodoxes    ,    soit 
cpie  les    écrits  ue  fussent    pas   au- 
llieutiques  ,  soit  qu'on  put  leur   ap- 
pliquer des  interprétations  favora- 
bles ,  soit    enfin    qu'on    eût   voulu 
user  d'indulgence.  Quoi  qu'il  en  soit , 
il  y  avait   près  d'un  siècle  que  ces 
questions  avaient  été  agitées  ;  il  pa- 
raissait au  moins  inutile  de  les  renou- 
veler. Mais  ,  telle    était   l'animosité 
d(s  Orientaux,  qui ,  craignant  d'ail- 
leurs des  condamnations  contre  Ori- 
gène  ,    auquel     ils   étaient    intime- 
ment  attachés  ,  voulaient  un  sujet 
de  vengeance,  en  llctrissanî  d'un  au- 
tre côté  un  concile  fameux  ,  où  les 
Occidentaux  avaient  triomphé.    Ils 
crurent  troiiver  un  docile  exécuteur  de 
leurdessciudanslediacreVigile.qu'ils 
avaient  fait  élèvera  la  tiare,  ainsi 
«pi'ii  vient  d'être  dit,  d'une  manière 
aussi  irrégulicre.  Des  historiens,  cités 
parFleury,  prétendent  même  que  , 
pour  l'attacher  davantage  à  ses  des- 
seins ,  l'impératrice  lui  avait  promis 
sept  cents  livres  d'or,  dont  Vigile  s'é- 
tait engage  de  son   côté   à   donner 
deux  cents  à  Bélisaire.  Ou  verra  ce- 
pendant que  Vigile  n'exécuta  pas  ce 
traité   avec   l'exactitude  et  la   ser- 
vilité   qu'on    semblait    s'être    pror 
mises  de  sa  part.  Au  surplus  .  à  la 
mort  de  Silvère  ,  l'élection  de  Vigile 
fut  confirmée  au  mois  de  juin  538, 
du  moins  par  le   silence  du  peuple 
romain  ,  et  il  ne  fut  plus  question 
que  de  le  faire  agir.   Il  ne  se   pres- 
sait   pas   d'obéir  ,   attendu    qu'ou- 
tre les  Occidentaux ,  les  évêques  d'A- 
frique ,  d'IUyrie  et  de  Dalmatie  ré- 
sistaient avec  fermeté  à  la  condam- 
nation des  trois  chapitres.  Les  hési- 


VIG 

îations  de  Vigile  parurent  suspectes 
.^  la  cour  de  Constautinople  ,  et  il 
reçut  l'ordre  de  s'y   rendre.   Vigile 
chercha  à    prolonger   son  voyage , 
qui  dura  plus  d'un  an,  dont  il  passa 
une  grande  partie  en  Sicile.   Ce  fut 
dans  cet  inlerralle  que  Totila  s'em- 
para de  Rome  ,  qu'il  mit   à  contri- 
bution.   En   attendant   l'arrivée  du 
pape,  Justinien  ,  qui  se  piquait  d'une 
grande    habileté  dans   les   matières 
ecclésiastiques ,   s'était  empressé  de 
publier  un  édit  qu'il   intitula   Con- 
fession de  foi ,  et  dans  lequel  il  pro- 
nonça   la    condamnation    des   trois 
chapitres  ,    eu   ménageant  toutefois 
les  auteur^  de  ces  écrits.  Le  patriar- 
che de  Constautinople  ,  Mennas    et 
Théodora  s'empressèrent  d'y  sous- 
crire.  Vigile   arriva    enfin  ,    et  fut 
reçu  avec  honneur  ;  il  ne  s'empressa 
pas  moins  d'excomm\inier  ,  pour  qua- 
tre  mois,   INIennas  et  Théodora  ,   à 
cause  de  leur  a|)probation  précipitée 
de  la   condamnation;    ce   qui    rend 
fort  douteux  le  prétendu  marché,  au- 
quel il  aurait  dû  son  élévation.  Cette 
sentence  excita  la  plus  violente  cla- 
meur ,  et  fut  bientôt  révoquée.  Dès 
ce  moment,  on  pressa  le  pape  avec 
les  plus  vives  instances  de  prononcer 
lui-même  la  condamnation,  et  elles 
furent  telles,  qu'il  s'écria  :  «  Je  vous 
»  déclare  que  ,  quoique  vous  me  re- 
»  teniez  captif  ,  vous  ne  tenez  pas 
»  saint  Pierre.  »  Alors  il    assembla 
une  espèce  de  concile  avec  les  évê- 
ques   qui    lui  étaient  attachés  ,    au 
nombre  de   soixante -dix   environ; 
mais,  après  plusieurs  conférences, 
il  rompit  l'assemblée,  en  les  priant 
de  donner  chacun  leur  avis  en  par- 
ticulier.  Il    consigna    lui  -  même  le 
sien  dans   un   écrit  ,    qu'il  appela 
judicalum.  Il  y  condamna  les  trois 
chapitres  ,  sans  préjudice  du  con- 
cile de  Chalcédoine  ,  et  à  la  charge 


VIG 

que  personne  n'ap;iterait  plus  cette 
question  ,  ni  Je  vive  voix^  ni  par 
écrit.  Vigile  ,  dit  Fleury  ,  crut 
pouvoir  user  d'une  telle  condescen- 
dance dans  une  question  de  fait ,  où 
la  foi  n'était  pas  intéressée,  dépen- 
dant cette  réticence,  au  sujet  du  con- 
cile de  Clialcédoiue,  ne  satisfit  per- 
sonne. Les  ennemis  des  trois  cliapi- 
trcs  la  trouvaient  trop  modérée  ,  et 
les  autres  s'indit;naicnt  de  voir  leur 
opiniuu  condamnée.  Lesévèquesd'll- 
lyrie  et  de  Daimatie  se  séparèrent  de 
la  communion  du  pape.  Ceux  d'A- 
frique allèrent  plus  loin  :  ilsl'excom- 
niunièrent  dans  un  concile  ;  ils  dé- 
putèrent un  des  leurs ,  Facundus  , 
alin  d'insister  auprès  de  Juhlinien , 
et  de  le  convaincre  que  la  condam- 
nation ne  provenait  que  du  dépit  des 
Origénisles,  tiuiemis  du  concile  de 
Chalcédoine,  et  mécontents  de  ce  que 
l'empereur  lui-mcme  avait  condam- 
né Origène.  D'un  autre  côté,  Théo- 
dore de  Cappadocc  et  ses  jiarti- 
sans  sollicitaient  avec  clialcur  une 
condamna'iou  plus  générale  et  plus 
absolue  des  trois  chapitres.  Dans 
cette  conllagration  des  esprits,  Vi- 
gile n'entrevoyait  d'espérance  que 
dans  la  convocation  d'un  concile 
général ,  et  il  obtint  de  l'empereur 
que  juscpie-Ià  toute  mesure  déli- 
nitive  serait  suspendue.  On  écrivit 
aux  évoques  d'Afrique  et  d'illyrie. 
Ces  derniers  refusèrent  tous.  11  eu 
vint  un  très-petit  nombre  d'Afrique, 
et  comme  ils  approchaient  de  la 
ville  ,  le  pape  oiliit  à  l'empereur  île 
retirer  sur-le-cliamp  son  judicdtuin, 
et  d'examiner  de  nouveau  cette  af- 
faire avec  les  évêques  qu'on  allait 
recevoir.  Tous  ces  délais  irritaient 
l'impatience  de  Théodore  et  de  son 
parti.  Il  obtint  de  l'empereur  que 
son  édit  de  condamnation  serait  lu 
au  palais  en  présence  du  pape  ;  et 
XLvni. 


VIG  465 

de  plus,  il  le  fit  adicherdans  l'église 
deConstantiiiople  cl  d.uis  plusieurs 
endroits  de  la  ville.  Le  pape  réclama 
vivement;  mais  Théodore,  détermi- 
né à  le  pousser  à  bout,  vint  célébrer 
la  messe  dans  l'église  où  l'édit  était 
alliché  ,  et  lit  ôler  des  dypiiques  le 
nom  de  Zoile,  patriarche  d'Alexan- 
drie, l'un  des  [)artisans  de  Vigile, 
pour  mettre  à  la  place  celui  d'Apol- 
linaire, intrus  dans  ce  siège.  Le  pape 
et  tous  les  cvcques  qui  lui  étaient 
fidèles  se  réfugièient  dans  des  égli- 
ses. Vigile  se  relira  à  Saint-Pierre, 
dans  le  palais  d'IIormisda.  Ou  réso- 
lut de  l'en  tirer  de  force ,  et  l'on  en- 
voya pour  cet  edet  le  préteur  ,  dont 
l'olllce  était  d'arrêter  les  voleurs  et 
les  mécoiiteuls.  Une  grande  quantité 
de  soldats  entra,  l'épée  nue  à  la  m.iin 
et  les  arcs  bandés.  Le  pape  se  réfu- 
gia sous  l'autel ,  dont  il  embrassa  les 
l)iliers.  Le  préteur ,  en  furie  ,  (it 
saisir  par  les  cheveux  les  diacres 
et  les  clercs,  pour  les  éloigner  de 
l'autel ,  puis ,  pour  en  arracher  le 
pape,  il  le  fit  tirer  par  les  pieds,  par 
la  barbe  et  par  les  cheveux.  Le  pape 
tint  ferme  ,  et  comme  il  était  grand 
et  puissant  il  rompit  quelques  piliers, 
en  sorte  que  la  table  de  Tautei  serait 
tombée  sur  lui  et  l'aurait  écrasé,  si 
quelques  clercs  ne  l'eussent  soutenue 
(  /^.Thl'ouore  AsciDAs ,  XLV,'i85\ 
Le  peuple,  qui  était  accouru  au  bruit, 
et  même  quelques  soldats  ,  touchés 
de  compassion  ,  commençaient  à 
crier,  et  le  préteur  fut  contraint  de  s'é- 
loigner. Echappé  à  ce  danger, le  pape 
menaça  d'excommunication  Théo- 
dore et  ses  adhérents;  il  en  prépara 
les  actes  et  les  fit  connaître  à  l'em- 
pereur ,  qui  menaça  de  nouveau 
Vigile  d'être  enlevé  par  force  de 
l'église  de  Saint-Pierre,  s'il  ne  vou- 
lait pas  recevoir  les  serments  qu'on 
offrait  de  lui  faire,  et  sur  lesquels 
3o 


466  VIG 

on  lui  demandait  de  s'expliquer.  Le 
pape  mit  ses  conditions  par  écrit  ;  il 
en  obtint  les  principales  ,  et  après 
qu'on  eut  déposé  la  formule  du  ser- 
ment sur  l'autel ,  et  sur  le  vase  qui 
environnait  les  reliques  de  saint  Pier- 
re ,  il  se  retira  dans  le  palais  de  Pla- 
cidie.  Mais  il  s'aperçut  bientôt  qu'on 
se  mettait  peu  en  peine  d'exécuter 
les  conditions  du  dernier  traité  :  le 
palais  était  environné  d'espions  j  Vi- 
gile ,  craignant  pour  sa  sûreté  per- 
sonnelle ,  Venfuit  pendant  la  nuit , 
l'avant-veiUe  de  ^'oél ,  avec  beau- 
coup de  peine ,  par-dessus  une  petite 
muraille  que  l'on  bâtissait  alors  ,  et 
se  réfugia  dans  l'église  de  Sainte- 
Eupliémie  de  Chalcédoine.  Il  tomba 
dangereusement  malade.  L'empereur 
lui  envoya  dire  de  revenir  à  Cons- 
tantiuople, aussitôt  que  sa  santé  serait 
rétablie.  IMaisVigile  exigea  avant  tout 
que  Théodore  et  ses  adhérents  lui 
lissent  une  entière  satisfaction.  Ceux- 
ci  lui  transmirent  donc  une  profession 
de  foi  ,  par  laquelle  ils  déclarèrent 
leur  attachement  sincère  aux  quatre 
conciles  généraux,  de  Nicée,de  Cons- 
tantinople  ,  d'Éphèse  et  de  Chalcé- 
doine ,  et  promirent  de  suivre  inva- 
riablement tout  ce  qui  y  avait  été 
décidé,  du  consentement  des  légats  et 
des  vicaires  du  saint-sic'ge  ,  par  les- 
quels le  pape  avait  présidé  à  ces 
conciles.  Cette  profession  de  foiayant 
satisfait  Yigile^  celui-ci  demanda  à 
Justinien  que  le  concile  qui  se  prépa- 
rait fût  tenu  en  Italie  ou  en  Sicile^  et 
que  les  évèques  d'Afrique  et  les  au- 
tres Occidentaux  y  fussent  de  nou- 
veau appelés.  Ce  dernier  point  fut 
refusé:  on  convint  seulement  que  les 
évèques ,  tant  grecs  que  latins ,  qui 
se  trouvaient  à  Constantinople,  con- 
féreraient en  nombre  égal  sur  l'af- 
faire des  trois  chapitres.  Les  Orien 
taux    ouvrirent   donc  le  concile ,  le 


VIG  %. 

4  mai  553,  dans  la  salle  secrète  de 
la  cathédrale  de  Constantinople.  Les 
séances  de  ce  concile  se  nommèrent 
conférences  •  à  la  première,  assistè- 
rent les  trois  patriarches  de  Constan- 
tinople, d'Alexandrie  et  d'Anlioche, 
trois  évèques,  députés  du  patriarche 
de  Jérusalem ,  et  en  tout  cent  cinquan- 
te-un évèques,  au  nombre  desquels  il 
y  avait  seulement  cinq  Africains  ;  ces 
cinq  évèques  étaient  les  seuls  qui  re- 
présentassent les  Églises  d'Occident; 
et  c'étaient ,  dit  Fleury,  les  plus  igno- 
rants et   les  plus  intéressés   que  le 
gouverneur  d'Afrique  avait  pu  choi- 
sir pour  soutenir  le  parti  de  la  cour. 
Ce  fut  néanmoins  dans  la  troisième 
conférence  que  les  évèques  déclarè- 
rent qu'ils  soutenaient  la  foi  des  qua- 
tre conciles    généraux ,    notamment 
de  celui  de  Chalcédoine,  et  condam- 
naient tout   ce   qui  pouvait  lui  être 
contraire.  Dans  la   quatrième ,   ou 
s'occupa  enfin  d'examiner  la  ques- 
tion des  trois  chapitres.  Cependant  ^ 
le  pape  qui  prévoyait  avec  chagrin 
les  troubles  qui  allaient  s'élever  de 
la  composition  irrégulière  et  incom- 
jîlète  de  ce  concile,  et  de  la  mauvaise 
disposition  des  esprits  ,  refusait  obs- 
tinément d'assister  aux  conférences  ; 
mais  fidèle  à  )a  promesse  qu'il  avait 
faite  de  donner  son  avis  isolément , 
il  dressa  un  acte  qu'il  appela  cons- 
titutum,  et  qui  ,    à  beaucoup  d'é- 
gards ,   rappelait   les  décisions    du 
judicatum  ,  qu'il  avait  retiré.  Il  y 
examine  les  écrits  de  Théodore  de 
Mopsucste.etsans  dissimuler  le  mau- 
vais sens  qu'on  peut  leur  donner,  il  les 
condamne  avec  anathème,  eu  ajou- 
ta ut  toutefois  des  motifs  pour  s'em- 
pêcher de  condamner  la  personne  j 
et  l'un  de  ces  motifs  était  qu'on  ne 
devait  pas  mettre  un  mort  en  juge- 
ment. A  l'égard  de  Théodoret,  il  s'é- 
tonne  qu'on  veuille   condamner  un 


VIG 

écrivain  qui  s'e'taut  présente  ,  il  y 
avait  plus  de  cent  ans  ,  dans  le  con- 
cile de  Chalcc'doine  ,  avait  explicite- 
ment anathématise'  Nestoriiis.  Il  ob- 
serve que  les  erreurs  qui  de'slio- 
norcnt  les  écrits  de  Théodoret  ont 
passe,  même  aux  yeux  du  concile  , 
pour  y  avoir  e'të  probablement  inse'- 
re'es  par  ses  ennemis  ;  et  il  les  con- 
damne, de  quelque  part  qu'elles  puis- 
sent venir.  Pour  ce  qui  regarde  le 
texte  d'Ibas  ,  Vigile  rappelle  que  le 
concile  de  Chalcédoinen'y  trouva  de 
rc'préhensible  que  les  injures  adres- 
sées à  saint  Cyrille,  qu'lbas  les  ré- 
tracta ,  et  que  le  concile  en  consé- 
quence le  reconnut  comme  ortho- 
doxe. V  igile  conclut  à  la  confirmation 
entière  du  jugement  du  concile.  Sa 
décision  fut  souscrite  par  seize  évê- 
ques  et  trois  diacres  ,  entre  lesquels 
on  remarque  Pelage,  son  successeur. 
«  Elle  n'eut  aucun  elfet ,  dit  Fleury  , 
»  quelque  sage  que  paraisse  le  tem- 
5)  pérament  que  le  pape  y  avait  pris, 
»  de  condamner  les  erreurs,  en  épar- 
»  gnant  les  personues.  »  Le  concile 
de  Constantiuople  continuait  tou- 
jours. D'accord  sur  le  fond  de  la 
doctrine  avec  les  principes  de  A  igile, 
il  condamna  les  erreurs  contenues 
dans  les  écrits  ;  mais  il  montra  la 
plus  grande  sévérité  contre  les  écri- 
vains. Il  trancha  la  difficulté  qui 
s'élevait  sur  le  point  de  savoir  si  on 
pouvait  juger  les  morts  ;  il  n'exami- 
na point  si  les  écrits  n'étaient  pas 
altérés  ou  faussement  imputés  h  ces 
écrivains  par  leurs  propres  ennemis. 
Il  prononça  avec  affectation  les  ana- 
thèmes  contre  Théodore  de  Mop- 
sueste ,  ainsi  que  contre  Théodoret 
et  contre  Ibas  •  mais  il  renouvela 
l'expression  de  son  respect  et  de  son 
attachement  à  la  doctrine  des  quatre 
grands  conciles  précédents ,  dont 
celui  de  Chalcédoine  était  le   der- 


VIG 


467 


nier.  Cette  décision  fut  souscrite  par 
soixante-cinq  évêques.  Vigile  ,  qui 
n'avait  point  assisté  aux  conférences 
du  concile  ,  ne  tarda  pas  néanmoins 
à  déclarer  publiquement  qu'il  adhé- 
rait à  sa  décision,  voulant  éviter  par 
là  de  donner  le  scandale  d'une  fu- 
neste division  ,  et  se  contentant  sans 
doute  d'avoir,  par  sa  persévérance , 
par  sa  fermeté,  et  par  les  persécu- 
tions les  plus  atroces,  arraché  à  ses 
adversaires  une  profession  solennelle 
de  foi  et  d'attachement  au  concile  de 
Chalcédoine.  C'est  sous  ce  dernier 
rapport  que  l'Église  a  reconnu  cons- 
tamment ce  cinquième  concile  de 
Constantiuople  comme  œcuménique; 
car,  ainsi  que  l'observe  Fleury,  on 
peut  dire  que  ce  concile  jugea  par 
défaut;  en  effet,  les  écrivains  accu- 
sés n'y  furent  point  défendus  par  la 
voix  de  leurs  défenseurs,  et  il  ne 
paraît  pas  qu'on  y  ait  recueilli  les 
votes  en  particulier;  d'où  l'on  peut 
conclure  qu'un  concile  général  n'est 
pas  infaillible  sur  des  faits  particu- 
liers ,  quoiqu'il  le  soit  irrévocable- 
ment sur  le  dogme  (  Foj'.  la  Disser 
talion  de  l'abbé  Racine,  dans  son 
Abrégé  de  l'Histoire  ecclésiasti- 
que,  tome  n  ,  dans  les  additions  et 
l'ouvrage  du  cardinal  de  La  Luzerne 
sur  la  déclaration  du  clergé  de  Fran- 
ce ,  au  sujet  des  quatre  articles  de 
1682)5  aussi,  la  dispute  sur  ces  trois 
chapitres  dura-t-elle  plus  de  cent  ans 
encore,  même  parmi  les  catholiques , 
et  s'éteignit  plutôt  par  lassitude  des 
esprits  que  par  la  persuasion  des 
cœurs.  Quant  à  Vigile ,  malgré  son 
intrusion  criminelle  au  saint-siége  , 
malgré  le  traité  simoniaque  qui  lui  a 
été  imputé ,  et  dont  nous  avons  de 
fortes  raisons  de  douter  ,  on  peut 
dire  qu'il  rendit  un  grand  service  à 
la  religion  ,  en  défendant  avec  tant 
de  courage  la  sainteté  de  l'un  des 
3o.. 


468 


VIG 


plus  célèbres  conciles,  et  la  mcmoiic 
d'un  lies  plus  grands  papes.  Après 
sou  adlièsiou  aux  conférences  de 
Constantinople  ,  conçue  dans  les  ter- 
mes les  plus  humbles ,  il  se  mit  en 
roule  pour  retourner  en  Italie;  mais 
il  moiuut  à  vSyracuse  ,  le  i5  janvier 
55) ,  après  seize  ans  et  sept  mois  de 
pontiiicat.  Il  eut  pour  successeur 
Pdaç^e  U^  B— s. 

VIGILE  ,  ëvèquc  de  Tapsc  ,  en 
Afrique,  fut  enveloppe  dans  la  |)er- 
sècution  (VJ/iiiicric  ,  roi  des  \  anda- 
les  ,  vers  l'an  48  j.  Il  composa  plu- 
sieurs ouvrages  contre  les  Ariens , 
les  Nesloricns  et  les  Eutycliicns  ; 
mais  comme  il  en  publia  la  plupart 
sous  le  nom  despèresde  l'Eglise  ((ui 
avaient  vécu  avant  lui,  soit  qu'il 
voulût  parla  se  soustraire  à  la  persé- 
cution ,  soit  qu'il  crût  leur  donner 
plus  de  poids  ,  à  la  faveur  de  ces 
noms  illustres,  on  fut  embarrasse, 
après  sa  mort ,  pour  (liNliu'y;ucr  les 
écrits  qui  étaient  véritablement  de 
lui  ;ct  les  elVorls  des  crili(pies  moder- 
nes n'ont  pas  encore  dissipe  tous  les 
doutes  sur  rauthenticitc-  de  ceux 
qu'ils  lui  attribuent.  Il  donna,  sous 
le  nom  de  s:ùu\../thanase,  \:i  lii'rcs 
de  la  Trinité  eu  forme  de  dialogues; 
deuK  conférences  dont  les  interlocu- 
teurs sont  le  saint  docteur,  Ariiis, 
Sabcllius  et  IMiotin.  Il  y  a  deux 
éditions  de  cet  ouvrage  ,  l'une  en 
deux  livres  ,  d'un  style  simple,  l'au- 
tre plus  étendue  ,  divisée  en  trois 
parties  et  plus  travaillée,  l^es  trois 
livres  contre  Varimadc  ,  arien  ,  jia- 
rureut  sous  le  nom  cVIdncius  Clams  ^ 
et  son  traité  contre  Félicien,  de  la 
même  secte,  sous  celui  de  saint  ^»- 
gustin.].r  .<!yml>ole(\n\  porte  le  nom 
de  saint  Alhanasc  ,  jiasse  comnui- 
nénu'ul  pour  être  de  Figile.  Le  P. 
Cliillet  ,  qui  a  donné  une  bonne 
édition  de  cet  auteur  (  Dijon ,  i664 , 


VIG 

in-4"'.  ),lui  attribue  plusieurs  au- 
tres ouvrages  sur  lesquels  les  criti- 
ques élèvent  de  fortes  dilllcultés. 
Quoique  les  cinq  livres  contre  Eu- 
tj  elles  aient  été  imprimés,  quelque- 
fois sous  \c  ï\om  de  l'ifiile  de  Tren- 
te {\)  ,\\  est  bien  reconnu  qu'ils  sont 
de  T'i^ile  de  Tapse ,  qui  les  avait 
]uibliés  sous  son  niim  pendant  le  sé- 
jour qu'il  lit  à  Constantinople  ,  où  il 
jouissait  d'une  entière  liberté.  Le 
stvie  de  cet  auteur  est  grave,  simple, 
clair  ,  naturel  ;  ses  raisonuemiuts 
solides,  vifs  et  juessants  ,  sa  doc- 
trine très-exacte.  Il  était  fort  au  fait 
des  sentiments  et  des  subtilités  de 
sesadversaires,et  il  leS  combat  avec 
vigueur.  Il  connaissait  parfaitement 
les  dogmes  de  l'Eglise,  avait  une 
grande  lecture  des  pèies  ;  mais  il 
nVtait  pas  instruit  dans  l'Iiistoire  ec- 
clésiastique, ce  qui  l'a  fait  tomber 
dans  qiiehjiies  fautes  à  cet  égard. 
T— n. 

VIGINTIMILLIUS.  F.  Vinti- 
milm:. 

VIGLIUS  ,  célèbre  jurisconsulte 
du  sei/ièraesiècle,  naquit  à  Zuichem, 
seigneurie  des  Pays-Bas  ,  qui  appar- 
tenait à  sa  famille;  fit  ses  première» 
études  à  I)e\  enter,  puis  à  la  Haye, 
l\  Levde  et  à  Loiivain.  De  là  il  se 
rendit  à  l)('ile,  en  Franclie-Comté,  et 
s'étant  perferlionné  dans  le  droit  ,  il 
alla  recevoir  le  bonnet  de  docteur  à 
^alence,  en  Daiipliinc-,  et  pariitavec 
beaucoup  d'éclat  à  Avignon.  La  re- 
nommée d'Alciat  l'attira  ensuite  à 


(i)  Vipile,  c'vôqnc  de  Trente,  dans  le  qnalrlr- 
ma  «ircic,  porln  la  liiinicre  de  I»  loi  diins  les 
iiioiitagnr.s  îles  Alpes,  el  roiisiilla  5aint  AInllroi^e 
sur  11  conduite  qu'il  avait  à  tenir,  f.e  saint  rcpoii 
ilit,  par  srf  lellrc  3S.Ï  ,  en  lui  envoyant  Sisine  , 
lUarlvriiis  el  .Mextindrc  ,  venus  de  Cappadoce^ 
pour  la  conversifin  Jes  inndi-les,  et  (|iii  tnrent 
niarl\riMs  in  ^(\-.  Trois  onsapri'S,  Vinile,  étant 
\riiiiaii  lieu  où  s'était  faite  cette  exécution,  rom- 
|iil  une  idole  de  .Saturne  <(ue  l'on  v  adorait;  reqiii 
irrita  les  idolâtres  au  point  qu'ils  l'assoinniirent 
coups  de  pierres,  ver»  l'an  /|0o  ou  i{0^,  sous  le 
consi 


.1  coups  de  pierres ,  ' 
consulat  de  Slilicon. 


VIG 

Bourfçes  ,  où  cet  illustre  professeur 
lui  céda  sa  chaire  ,  lorsqu'il  retour- 
na en  Italie.  Vifjliiis  professa  pen- 
dant deux  ans  dans  cette  université, 
et  passa  en  Allemagne  ,  puis  à  Pa- 
doue  ,  où  il  fit  i  ni  primer  ses  notes 
sur  le  litre  des  Testaments,  et  |)T!ljlia 
à  Bàlc  les  Institutes  de  Justinien  , 
d'après  un  manuscrit  du  cardinal 
rîessarion.  Il  exerça  plusieius  em- 
plois à  INIunster,  à  Pise  ,  à  Inççolstadt. 
Il  profila  de  son  crédit  pour  modérer 
la  scve'rile  du  duc  d'Albe  ,  et  retint 
par  sa  douceur  plusieurs  provinces 
dans  l'obéissance.  Toiiclie  des  mal- 
heurs de  sa  patrie,  et  du  peu  de  cas 
que  le  duc  d'Albe  faisait  de  ses  con- 
seils ,  il  se  lit  prêtre,  fonda  lui  hô- 
pital dans  le  lieu  de  sa  naissance,  et 
lit  bâtir  un  beau  collège  à  Louvain. 
En  iSnr),  il  fut  fait  chanoine  de 
Gand  ,  puis  nomme  ,  par  Don  Juan 
d'AutricIic  ,  gouverneur  de  Hollande 
et  de  Gueldre  ,  ])rcsidenl  du  Conseil 
prive',  et  chef  de  l'ordie  de  la  Toi- 
son-d'Or;  mais  voyant  bientck  (jue 
ce  prince  ne  fiisait  pas  plus  de  cas 
de  ses  avis  que  le  duc  d'Albe,  il 
mourut  de  chagrin  à  Bruxelles  ,  en 
iS-jT  ,  âge'  de  soixante-dix  ans,  et 
fut  iiduimé  dans  la  cathédrale  de 
Gand,  où  l'on  voit  son  epitaphe. 
Le  Mémoire  que  Viglius  avait  laisse' 
sur  sa  vie  a  elc  publie  dans  ks.-Ina- 
lecta  helgica  ,  par  Papendrecht 
(  f^or.  ce  nom  ).  T — n. 

VIGNACOURT  (  Maximii.iln 
DK  ),  littérateur,  naquit  vers  iJOo, 
à  Arras  ,  de  parents  nobles.  11  était 
neveu  de  Fr.  Baudouui,  célèbre  ju- 
risconsulte. Avant  arlieve  ses  études 
avec  succès,  il  entra  dars  la  carrière 
de  la  magistrature ,  et  fut  charge  de 
diverses  missions  en  France,  en  Es- 
pagne et  dans  les  Pays-Bas.  On  voit 
par  une  lettre  de  Juste  Lipse  qu'il 
était  en   1602  à  la  cour  de  Bruxel- 


VIG 


4^9 


les.  Son  savant  ami  le  plaint  d'être 
encore  expose  aux  flots  d'une  mer 
féconde  en  naufrages,  et  l'invite  à 
ne  point  perdre  de  vue  son  projet  de 
publier  une  édition  des  OEinres  de 
Baudouin.  INIalgrc  ses  o.cup.itions 
multipliées,  Vignaeourt  n'abandon- 
na jamais  le  culte  des  Muses.  H  mou- 
lut à  Louvain  le  21  novembre  1G.20. 
Outre  plusieurs  pièces  de  vers  ,  pu- 
bliées séparément  ou  dans  des  re- 
cueils, on  cite  de  lui  :  I.  Discours 
sur  l'état  des  Pars-Bas,  Arras, 
i5()3,  in-8".  Ce  ])etit  livre  est  peu 
commun  (  Voy.  la  Méthode  pour 
étudier  l'/iistoire  de  Leiiglet-Dufres- 
noy  ).  H.  Aitv'ÔTt,-  in  res  belgicas 
anni  i^qS,  Anvers,  in-4".  ,  même 
année.  III.  Un  Recueil  de  vers  la- 
tins,  sur  la  mort  de  Juste  Lipse, 
Louvain,  lOotJ ,  iii-4°.        W — s. 

VIGNACOURT  ou  WIGNA- 
COURT  (  Alof  de  ),  53«.  grand- 
maître  de  l'ordre  de  Malte,  descen- 
dait d'une  très-ancienne  maison  de 
Picardie.  Reçu  chevalier  au  ber- 
ceau ,  il  signala  sa  valeur  dans  une 
foule  d'occasi(uis  ,  parvint  à  la  di^ 
gnité  de  grand-hosj)itaIi<>r  de  Fran- 
ce, et,  en  iGoi  ,  après  la  mort  de 
don  Martin  Garcez,  fut  élu  grand- 
maître.  Son  administration  fut  lon- 
gue et  didlcile.  Sans  cesse  occupé  de 
défendre  les  privilèges  de  l'ordre^ 
attaqués  par  les  divers  princes  et 
même  par  la  cour  de  Rome,  il  fut 
encore  obligé  d'user  fré(piemment 
de  son  autorité  pour  rétablir  la 
])aix  entre  les  chevaliers  des  dif- 
férentes langues.  Au  nu  lieu  de  tant 
d'embarras,  il  accrut  la  marine  de 
l'ordre,  répara  les  fortilications  de 
Gozo ,  et  celles  de  la  petite  île  de 
Comino.  C'est  à  lui  que  la  ville  de 
Malte  est  redevable  du  magnifique 
aqueduc  qui  s'étend  de  la  cité  No- 
table à  la  cité  Valette ,  ouvrage  vrai- 


470  VIG 

ment  digne  des  Romains.  Le  grand- 
maître  étant  à  la   chasse,  pendant 
ime  des  journées  les  plus  cliaudes  du 
mois   d'août,  eut  une  attaque  d'a- 
poplexie. Transporté  sur-le-cliarap 
dans  son  palais ,  les  soins  qu'il  reçut 
prolongèrent  son  existence  jusqu'au 
i4  septembre  (  i)  162'j  ,  où  il  mou- 
rut à  l'âge  de  soixante-quinze  ans , 
A'ivement  regrette;.  —  \ignacourt 
(  Pierre- Adrien  de  ) ,  neveu  du  pré- 
cédent,  fut  nomme  commandeur  par 
son  oncle.  Ses  talents  et  son  zèle  lui 
valurent  la  dignité   de  grand-tréso- 
rier de  l'ordre,  et  il  en  fut  élu  le  6-2'^. 
grand-maître  en    1690.  La  douceur 
de  son  caractèie  et  sa  bienfaisance 
le  firent  aimer  des  chevaliers  et  des 
habitants  ;    mais   on   lui    reproche 
beaucoup  de  faiblesse.  Malte  lui  dut 
un  grand  et   magnifique  arsenal  de 
construction  ,  et  d'autres  établisse- 
ments utiles.  Il  mourut  le  4  février 
1697,  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf 
ans  ,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle 
de  la  langue  de  France,  avec   une 
épitaphc  honorable.  On  a  le  portrait 
de  ces  deux  grands-maîtres  dans  le 
tome  IV  de  V Histoire  de  31alte  ,^ar 
Vertot,  éd.  in-4".  W — s. 

VIGNACOURT  (  Adrien  de  La 
VIEUYILLE,  comte  de  ),  littéra- 
teur, de  la  même  famille  que  les  pré- 
cédents ,  fut  reçu  chevalier  de  Malte 
le  18  juillet  1692.  Après  avoir  fait 
quelques  campagnes  sur  les  galères 
de  la  religion  ,  il  revint  en  France , 
et  employa  ses  loisirs  à  la  culture 
des  lettres.  Plusieurs  romans  écrits 
d'un  style  naturel  et  agréable  au- 
raient suffi  pour  lui  méi'iter  à  cette 
époque  une  réputation  assez  étendue  • 


(1)  Les  auteiirs  de  V.-irt  de  vérifier  les  Jales 
disent  qu'il  mourut  d'un  coup  de  soleil ,  daus  la 
)  ouriiée  même.  On  a  cru  devoir  ^nefcrer  le  récit  de 
Vertot ,  mieux  iuslruit  de  tout  ce  cjui  concci-ne 
l'ordre  de  Malte. 


VIG 

mais  le  succès  de  ses  ouvrages  ne  put 
le  décider  à  s'en  avouer  l'auteur.  Il 
poussa   si  loin   l'insouciance  à   cet 
égard ,  que  lorsqu'on  eut  répandu  le 
bruit  qu'il  n'était  que  le  prête-nom 
du  comte  de  Vaudrej  (i) ,  il  ne  fit 
entendre  aucune  réclamation.  Revêtu 
du  titre  de  commandeur  de  Malte,  et 
nommé  prieur  de  Champagne,  Vi- 
gnacourt  dut  renoncer  à  des  amuse- 
ments qui  pouvaient  paraître  trop 
frivoles  pour  un  homme  de  son  rang; 
mais  il  continua  de  faire ,  par  son 
esprit ,  le  charme  des  sociétés  qu'il 
fréquentait.   Il  mourut  le  29  sept. 
i']']l\ ,  daus  un  âge  très-avancé.  On 
connaît  de  lui  -.Y.  La  comtesse  de 
rergy ,  nouvelle  historique,  galante 
et  tragique,  Paris  ,  i722,in-iti;  sou- 
vent réimprimée.  Dans  l'édition  de 
1766,   dit  Barbier,   on  a   retran- 
ché plusieurs  morceaux  ,  et  l'on  en  a 
changé  plusieurs  autres  sans  discer- 
nement (  Voy.  le  Dict.  des  anony- 
mes,n"^.  7340  ).  \{.  Adèle  de  Fon- 
thieu ,  nouvelle  historique,    ibid. , 

1723,  a  vol.  in-ia.  On  en  trouve 
l'analyse  dans  la  Bibl.  des  romans  , 
année  1778,  juillet,  i>^.  partie, 
p.  200.111.  Les  amusements  de  la 
campagne  ou  le  Défi  spirituel ,  ib. , 

1 724,  iu- 1 2.  IV.  Les  Aventures  du 
prince  Jakaga  ,  ou  le  Triomphe  de 
l'amour  sur  l'ambition,  anecdotes 
secrètes  delà  cour  othomane,  ib., 
1732  ,  2  vol.  in- 12.  V.  Histoire  de 
Lideric  ,  premier  comte  de  Flan- 
dres^ nouvelle  historique  et  galante. 


(i)  Nicolas-Joseph  ,  comte  de  VauDREY,  sei- 
gneur de  Saint-Kemy,  était  d'une  des  premières 
l'amilles  de  Franche-Comté.  Ou  lui  allribua  dans 
le  temps  la  Comtesse  de  f^ergy,  et  Adèle  de  Pon- 
lhieu(\oy.  l'Histoire  du  comté  de  Bourgogne, 
par  Duraïid,  II,  37,5  );  mais  il  les  a- toujours  dé- 
savoués. Le  comte  de  Vaudrey  ,  suivant  M.  Grap- 
pin ,  a  laissé  d'autres  ouvrages  légers  et  pleins 
d'agrément,  dont  les  uns  ont  vu  le  jour  ,  et  les  au- 
tres sont  perdus.  Histoire  abrégée  du  comte  de 
iîoiifgogue,  pag.  3o3. 


VIG 

ibid. ,  i-jS-j  ,  in-i2  (2).  VI.  Gas- 
ton de  Foix  ,  IF^.  du  nom ,  nou- 
velle historique,  galante  et  tragique, 
Constaiitlnoplc  (  Paris),  174I5  2 
vol.  in- 12.  Cet  ouvrage  a  reparu 
sous  ce  titre  :  U amour  suivi  des  re- 
grets,  ou  les  Galanteries  de  Gaston 
de  Fois,  Amsterdam  j  1773,  2  vol. 
VII.  Mémoires  de  madame  Saldai- 
gne,  e'crits  par  elle-même  ,  Londres 
(Paris),  1745,  2  vol.  in-12. 
W— s. 
VIGNATE  (Jean de)  ;,  était  un 
gentilhomme  de  Lodi,  qui  profita 
de  l'anarchie  causée  en  Lombar- 
die  par  la  mort  de  Jean  Gale'as  Vis- 
coiiti  ,  pour  s'emparer,  en  1404^ 
de  la  souveraineté  dans  sa  patrie. 
Plus  tard  il  se  fit  aussi  décerner  la 
seigneurie  de  Plaisance.  Ce  fut  dans 
son  palais  que  l'empereur  Sigismond 
et  le  pape  Jean  XXIII  se  réunirent, 
en  14 13,  pour  fixer  la  convocation 
du  prochain  concile  de  Constance. 
Vignate,  qui  les  reçut  avec  magnifi- 
cence ,  fut  confirmé  par  l'empereur 
dans  les  droits  qu'il  avait  usurpés 
sur  Lodi ,  à  la  charge  d'évacuer  Plai- 
sance. Reconnu  par  le  duc  de  Milan 
Philippe-Marie  ,  Vignate  se  croyait 
assuré  de  son  alliance;  et  sur  sa  de- 
mande il  se  rendit  à  Milan  ,  au  mois 
d'août  i4i6,  pour  concerter  avec  lui 
leurs  futures  entreprises;  mais  Phi- 
lippe, au  mépris  de  l'hospitalité,  le 
fit  saisir  le  1 9  août ,  et  enfermer  dans 
une  cage  de  fer,  que  l'on  plaça  dans 
les  prisons  de  Pavie.  Le  28  du  même 
mois,  Vignate  fut  trouvé  mort  dans 
sa  cage.  On  assura  qu'il  s'était  tué 
en  frappant  de  toutes  ses  forces  avec 
sa  tête  contre  les  barreaux.  A  cette 


(9.)  Jean  d'Auxiron  ,  jesiiiie  ,  ne  ^  Baume-les- 
Dhiiics  en  iSgi  ,  et  mort  à  Dole  en  iG35  ,  avait 
dejàcoijposé  une  Histoire  de  Lideric  ,  i//is/oWa 
Liierlci  ,  ouvrage  de  philosophie  morale,  en  latiu 
cl  cil  Iraiiçais,  imprime  à  Lyon  ,  1G72  ,  in-S". 


VIG  471 

nouvelle ,  la  ville  de  Lodi  se  soumit 
au  duc  de  Milan.  —  Arabroise  Vi- 
gnate, jurisconsulte,  ué  à  Lodi  en 
1 56o ,  professa  le  droit  à  Turin  ,  et 
publia  diveis  Traités  sur  l'Hérésie 
et  sur  l'Usure.  —  Louis  Vignate, 
aussi  jurisconsulte,  né  dans  la  même 
ville,  vers  la  lin  du  seizième  siècle  , 
étudia  le  droit  à  Rome,  fut  auditeur 
du  pape  Urbain  VIII ,  conseiller  de 
l'administration,  et  publia  quelques 
écrits  de  peu  d'importance  sur  le 
droit-canon.  S.  S — i. 

VIGNAU.(Le  sieur  des  Joanots 
DU  ),  diplomate  distingué  du  siècle 
de  Louis  XIV,  resta  neuf  ans  à  Cons- 
tantinople  et  en  diverses  contrées  de 
l'empire  othoman ,  comme  secré- 
taire de  l'ambassade  française  à  la 
Porte,  et  s'y  rendit  très-habile  dans 
la  connaissance  des  langues  orien- 
tales. A  son  retour  en  France  ,  il  fut 
nommé  secrétaire-interprète  sur  les 
escadres  du  roi  dans  toute  la  Médi- 
terranée. Il  était  de  plus  écuyer  et 
chevalier  du  Saint- Sépulcre  de  Jé- 
rusidem.  On  a  de  lui  VEtat  présent 
de  la  puissance  othomane ,  avec  les 
causes  de  son  accroissement  et  de 
sa  décadence  ,  dédié  à  S,  A.  S. 
monseigneur  le  grand-duc  de  Tos- 
cane ,  Paris,  1687  ,  in-12.  A  cette 
époque  la  puissance  des  Turcs  éta- 
blie en  Europe  depuis  plus  de  deux 
siècles  commençait  à  décliner  ;  mais 
ce  commencement  de  décadence  était 
encore  un  secret  pour  presque  tou- 
te la  chrétienté.  Du  Vignau  ,  à 
qui  son  séjour  prolongé  dans  l'em- 
pire othoman  avait  donné  la  con- 
naissance parfaite  de  ses  forces  et  de 
ses  relations,  entreprit  de  prouver 
combien  l'Occident  avait  peu  à  re- 
douter dorénavant  de  ce  voisinage  , 
qui  un  siècle  aupai'avant  l'avait  épou- 
vanté ,  et  combien  il  était  aisé  aux 
princes  européens  de  renverser  ce 


47-^ 


VIG 


colosse  aux  pietls  d*aio;ilo.  L'ouvrage, 
compose  de  six  chapitres  ,  se  divise 
on  deux  parties  consacrées  ,  l'une  au 
développement  des  causes    qui  ont 
contribue   au   rapide  accroissement 
de  la    puissance  turrf-ie  ,   l'autre  à 
l'explication     des    causes     secrètes 
qui  doivent  miner  et  faire   tomber 
un  jour  le  trône  du  sultliaii.  Parmi 
celles-ci  .  il  met  en  première  lif:;nc  les 
prodip;alifcs  indiscrètes  de  Soliman  , 
le  cours  des  monnaies  etranf^ères,  la 
multitude   des   incendies   allumes  à 
dessein  ,  et  le  relâchement  de  la  dis- 
cipline militaire.  Il  fait  ensuite  l'his- 
torique de  plusieurs  rencontres  dans 
lesquelles  les  armées    et    les    flottes 
turques  ont  eu  le  dessous  ,  et  décrit 
les  rôte<  de  la  Roumo'lie  .  indiquant 
les  moyens  d'attaque,  et  faisant  res- 
sortir la  difficnltedela  défense. Tou- 
tes ces  considérations  ont  èle  depuis 
exposées   avec  des   détails   qui    les 
rendent  plus  frappantes,  par  Ricaut, 
ffist.   fie  Vc'tat  présent   de  Vemjy. 
nthnm.  ;    Porter  ,    Ohsen>.    sur   la 
rclisj.  ,  les  lois  et  le  pnin'em.   des 
Turcs,  et  Thonilon  .  État  art.  de 
la  Tunjuie.  Mais  elles  etaient'nen- 
ves  du  temps  de  Du  Vijjnau  ,    et    il 
est  facile   de   voir  que  les  auteurs 
qui  l'ont  surpasse,  ont  puise    dans 
son  livre  leurs  idées  fondamentales. 
Outre  cet  ouvraç:e,  on  doit .'.  Du  Vi- 
.Cnau  le  Secrétaire  turc  ,  contenant 
Vart    d'exprimer  ses  pensées  sans 
se  voir ,  sans  se  parler  et   sans  s'é- 
crire, avec   plusieurs  particulari- 
tés   du    sérail,   etc.,    1618,    in- 
]">■ — 11  ne  faut  pas   confondre  cet 
e'criv.iin  avec  Jean  nu  Vionau  ,  sieur 
de   Warmion  -  Hourdelcus  ,    auteur 
d'une  traduction  de  la  Jenisalem  de'- 
livree.  «ous  ce  titre  :  la  Délivrance  de 
Jérusalem  ,  mise  en  vers  français 
^c  Vital,  de  T.  Tasso,Var\s  ,  i  "igS, 
m- 12.  p_OT. 


VIG 

VIGNE  (  Amdre  de  La),  aucieu 
poète  français ,  florissait  dans  le  quin- 
zième siècle.  Quelques  auteurs  pré- 
tendent qu'il  était  de  Savoie  (  1  \  fon- 
dés sur  ce  quel'on  trouve  dans  ses  ou- 
vrac;es  des  termes  jiarticiiliers  à  cette 
province;  mais  il  sullit  qu'il  l'ait  ha- 
bitée quelque  temps  pour  avoir  con- 
tracté l'usafje  de  ces  locutions.  Or  on 
sait  que  La  Vip;ne  fut  attaché,  com- 
me secrétaire,  au  duc  de  Savoie,  et 
qu'd  fit  un  assez  lonç;  séjour  à  Cham- 
béri,  où  même  il  composa  plusieurs 
de  ses  ouvrages.  II  remj>lit  la  même 
cliarf^e  pi  es  de  la  reine  Anne  de  lîre- 
taj^ne ,  et  fut  revrtu  du  titre  d'orateur 
du  roi  Charles  VIII.  Il  accoinpaj^na 
ce  prince  dans  son  expédition  de  Na- 
ples  (  1 493  )  ;  et  ce  fut  par  son  com- 
mandement qu'il  en  entreprit  ]e  Jour- 
nal. La  fiveiir  du  roi  ne  le  mit  pas 
à  l'abri  des  vicissitudes  de  la  fortu- 
ne. Il  se  ]ilaint  souvent  de  manquer 
d'arfrent ,  de  linf;e ,  d'habits,  et  de 
n'avoir  en  perspective  que  l'hôpital. 
La  Vigne  mourut,  vers  \5y.'j ,  à  l'â- 
ge d'environ  soixante-dix  ans.  Il  est 
auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  Le  Ver- 
pier  d'honneur ,  de  l'entreprise  et         1 
l'oyape  de  JVaples  ;  auquel  est  com-         1 
pris  comment  le  roy  Charles^  hui- 
tième de  ce  nom ,   à  banjère  dé- 
ployée ,  passa  et  repassa  ,  de  jour- 
née en  journée  ,  depuis  Lyon  jus- 
qu'à Naples ,  et  de  Naples  jusqu'à 
Lyon.    Ensemble  plusieurs  autres 
choses,  Paris,  sans  date,  in -fol., 
goth..  première  édition  rare  et  re- 
cherchée. Il  en  existe  plusieurs  au- 
tres éditions  in-4"-  •>  sans  date  et  sans 
indication  de  lieu.  Le  comte  de  Hoym 
(V^oy.  son  Cataloç^ue)  possédait  un 
exemplaire  de  ce  format ,  sur  vélin. 
Le  volume  commence  par  une  espèce 

I  I Wirillel  1p  iioinmr  <^7ifl;-i<>  .  maisàlort,  clan» 
^011  Dictionnaire  de  Savoie ,  où  il  lui  a  cunsacrc  un 
article  insigniliaul,  II,  71. 


VIG 

de  j)roloj:;uc,  qui  paraît  avoir  donne 
le  titre  à  l'ouvrage  (2).  Le  poète  feint 
«[n'en  dormant  il  fut  transj)orte  dans 
un  désert  aride ,  où  il  vit  une  dame 
d'une  beauté  singulière:  c'éUvdChrcs- 
tienté.  Elle  se  rappelait  avec  amer- 
tume son  antique  splendeur  ,  et  se 
plaignait  du  mépris  où  son  culte  était 
tonilx".  l'Jie  passe  en  France  pour  de- 
mander du  secours.  Arrivée  au  bas 
des  Alpes ,  elle  se  trouve  dans  un 
verger  délicieux  ,  oùAuOlcsse  l'a- 
borde respectueusement ,  et  l'intro- 
duit près  Ac  Majesté  Royale ,  qui 
lui  promet  de  la  venger,  et  d'exter- 
miner les  Turcs.  Vient  ensuite  le 
Journal  de  ISaples  ,  en  vers  et  en 
prose,  11  est  suivi  de  six  rondeaux, 
d'un  long  poème  intitulé  :  Louantes 
du  roi ,  et  de  quatre  Epitres  à  l'imi- 
tation de  celles  d'Ovide.  ïoiites  ces 
jiièces  sont  de  La  Vigne.  La  suivan- 
te, qui  a  pour  titre  :  la  Coinjdainte 
et  l'E/jitaphc  du  feu  roi  Charles 
VIII ,  est  signée  d'Octavien  de  Saiiit- 
Gclais  ;  et  c'est  de  tout  le  recueil  le 
seul  morceau  qu'on  ])uisse  lui  attri- 
buer avec  certitude, quoique  rimj)ri- 
meur  ait  mis  son  nom  sur  le  frontis- 
pice ,  avant  celui  de  La  Vigne.  Le 
reste  du  volume  contient  des  poésies 
de  diiïércnts  genres ,  moralités,  com- 
plaintes, cpîtres,  ballades,  rondeaux, 
triolets,  etc.,  de  plusieurs  auteurs. 
La  Vigne  était  un  poète  médiocre  j 
mais  il  est  estimable  comme  histo- 
rien. Théod.  Godcfroy  a  inséré  son 
Journal  du  vojage  de  IVaples,  par 
extraits ,  dr.ns  le  Recueil  des  écri- 
vains de  l'histoire  de  Charles  Mil  , 
Paris,  i(3i7  ,in-4'^-,  et  1684,  in-fol. 
(  T^oy.  GoDUFROY  ).  On  y  trouve  des 
particularités  intéressantes  ,  et  qu'on 
ne  rencontre  pas  ailleurs.  La  Louan- 


(«)  Les  niaimscrils  de  cet  ouvrage  que  l'on  con- 
serve à  la  hililiotlirqiic  du  Roi  prouvent  que  sou 
prcmitT  titre  eUil  la  Reiuonse  de  Chrcstieniè. 


VIG 


473 


ç^c  des  rois  de  France ,  qui  fait  jiar- 
tiedu  P^crgier  d'honneur,  a  été  réim- 
primée .séparément,  P.iris  ,  1 5o8,  iu- 
H**.  Cet  ouvrage ,  dit  Fontette ,  fut 
composé  à  l'occasion  d'une  ambas- 
sade du  roi  Louis  XI  au  pape,  pour 
lui  présenter  la  pragmaticpie-sanc- 
tion.  Il  y  est  beaucoup  (piestion  des 
libertés  de  notre  tgb'^P'  ^  uy.  la  Bi- 
blioth.  historiq.  de  la  France  ,  11, 
i5874'  I-es  quatre  Epitres  faites 
par  La  Vigne,  à  l'imitation  de  celles 
d'Ovide,  ontétcréiniprimécs,  Paris, 
1546,  in- 16,  à  la  suite  de  la  tra- 
duction des  Épîtres  d'Ovide,  par  Oc- 
tavien  de  Saint-Gelais.  On  cite  enco- 
re de  La  Vigne  :  I.  Les  Ballades  de 
Bruyl  Commun  sur  les  alliances  des 
rojs  ,  des  j>rinces  et  ])roi>inces,  avec 
le  tremblement  de  Feuise ,  pet.  in- 
4".,  goth. ,  de  4  feuillets,  sans  date 
ni  indication  de  lieu.  II.  Le  Libelle 
des  cinq  villes  d'Italie  contre  Ve- 
nise,  à  savoir  :  Rome  ,  Naples,  Flo- 
rence, Gènes  et  Milan;  Lyon,  sans 
date,  in- 4°.  II L  \j  Attollite portas 
de  Gênes ,  en  ballades.  C'est  une  piè- 
ce relative  aux  guerres  dcLouisXlI. 
Voy.  la  Bibl.  histor.  de  la  France, 
II,  17431.  IV.  Epilaphes ,  en  ron- 
deaux,  de  la  reine  (Anne  de  Breta- 
gne) (i5i3),  in-S*^.  Foncemagne 
a  donné ,  dans  le  Recueil  de  l'acadé- 
mie des  inscriptions,  tome  xviii, 
579,  une  Notice  détaillée  du  Fer- 
mier d'honneur.  On  peut  encore  con- 
sulter la  Bibliothèque  française  de 
l'abbé  Goujet,  x,  583-99.  —  Jac- 
ques Vigne  fut  avocat  à  IBordcaux  , 
vers  la  lin  du  seizième  siècle,  et  se 
retira  ensuite  à  Saintes,  où  il  jouit 
d'une  grande  réputation.  Il  laissa 
manuscrit  uu  Commentaire  sur  la 
coutume  de  Saint- Jean  d'Augcly_,que 
son  fds  publia  en  1G87  ^  in-4".,  sous 
ce  titre  :  Faraphrasis  ad  consuelu- 
dinem  Santani^eliacam.    W — s. 


4:4  viG 

VIGNE  (Michel  de  La  ) ,  mecîe- 
ciu  ,  naquit  à  Vcrnon  en  Normandie 
le  5  juillet   i588.  Son  père ,   éche- 
yin  de  cette  ville ,  du  temps  de  la  Li- 
gue, l'avait  conservée  iidèie  à  Henri 
IV.  Élevé'  à  Paris,  par  un  grand-on- 
cle, conseiller  et  aumônier  du  roi  et 
principal  du  collège  du  cardinal  Le- 
moine ,  La  Vigne  lit  des  progrès  si 
rapides  dans  ses  études  ,  qu'après 
avoir  professe  la  rhétorique  dans  le 
même  collège,  et  achevé'  son  cours 
de  médecine  ,   il   fut   oblige  ,  pour 
prendre  ses  degrés,  d'attendre  l'âge 
prescrit  par  les  statuts  de  la  faculté. 
11  y  fut  reçu  docteur  en  i(>i4;  et 
ayant  perdu  son  père  en  iGi-j  ,  il  re- 
vint s'établir  à  Paris  ,  où  il  acquit 
une  grande  réputation  dans  le  traite- 
ment des  fièvres.  Il  fut  médecin  de 
Louis  XIII ,  qui  n'en  voulut  point 
d'autre  pendant   sa   dernière  mala- 
die. Élu  doyen  de  la  faculté  de  Paris, 
il  plaida  pour  elle  contre  les  médecins 
étrangers ,  et  obtint  en  sa  faveur  un 
arrêt  de  la  graud'chambre  du  parle- 
ment, en  i(344-  Ses  deux  plaidoyers 
furent  imprimés  sous  ce  titre  :  Ùra- 
tioncs  duo  aih'crsùs  Th.  Rcnaudot 
etmcdicosexlraneos,  Paris,  iG44i 
iu-4".   11  mourut  le   i4  juin   1G48. 
—  Son  (ils  ,  Michel  de  La  Vn.yt,  fut 
aussi  médecin.    C'était    un  homme 
médiocre,  si  l'on  en  juge  par  ce  mot 
de  son  père  :  «  Quand  j'ai  fait  ma 
»  fille,  je  pensais  faire  mon  fils;  et 
»  quand  j'ai  fait  mou  (ils,  je  pensais 
»  faire  ma  fille.  »  Il  épousa  M""^.  de 
La  Vigne -Villedo  ,  citée  parmi  les 
femmes  illustres  pour  leur  érudition. 
Outre  la  T^ic  de  son  père,  on  a  de 
lui  :  Diœta  sanorum ,  sive  ars  sani- 
tatis ,  Paris,  1G71  ,  iu-  12.  Moréri 
ne  fait  aucune  mention  de  cet  ou- 
Yi'age  ;  et  le  Dictionnaire  historique, 
qui  ne  parle  pas  du  lils ,  l'attribue 
mal  à-propos   au  père.  —  Anne  de 


VIG 

La  Vigne,  sœur  du  précédent,  na- 
quit ,  en  1634,  à  Paris,  où  son  père 
résidait  alors .  et  non  pas  à  Vernon  , 
comme  l'ont  dit  la  plupart  des  bio- 
graphes. Elle  annonça,  dès  l'enfan- 
ce ,  les  plus  heureuses  dispositions 
pour  la  poésie,  et  obtint  les  louan- 
ges des  beaux-esprits  de  ce  temps-là. 
Ses  vers  ont  de  la  grâce  et  de  la  fa- 
cilité j  mais  ils  manquent  quelquefois 
d'harmouie  et  de  coloris.  Son  Ode 
intitulée  :  Monseigneur  le  Dauphin 
au  Roi,  lui  valut,  de  la  part  d'un 
inconnu ,  une  boîte  de  coco  ,  qui  ren- 
fermait une  lyre  d'or,  éinaillée ,  avec 
des  vers  fort  galants.  Elle  n'eut  pas 
moins  de  goût  pour  la  philosophie 
de  Descartos ,  comme  on  le  voit  par 
une  pièce  de  A^ers  que  lui  adressa  la 
nièce  de  ce  philosophe ,  sous  ce  titre  : 
L' Ombre  de  Descartes.  M'I^,  de  La 
Vigne  vécut  dans  le  célibat ,  se  dis- 
tingua par  ses  vertus  autant  que  par 
ses  talents  et  par  sa  beauté  ,  et  mou- 
rut,  eu  1G84,  des  douleurs  de  la 
pierre ,  que  lui  avait  causée  l'excès 
de  sou  ap|)lication  à  l'étude.  Elle 
était  de  l'académie  des  Ricovrati  de 
Padouc.  Son  Ode  à  3I"'-'.  de  Scudé- 
ij' ,  pour  la  féliciter  sur  un  prix  d'é- 
loquence, a  été  ])ubliée  par  Pélisson, 
avec  la  réponse  ,  à  la  suite  de  son 
Histoire  de  l'académie  française,  édi- 
tion de  I G^  2.  Lesautres  Poésies  d'An- 
ne de  La  Vigne  se  trouvent  dans  les 
Fers  choisis  du  P.  Bouhours.  On  eu 
a  recueilli  quelques-unes  dans  un  pe- 
tit volume  in-8".,  imprimé  à  Paris, 
en  iG-jS  ;  et  on  les  retrouve  dans  le 
Parnasse  des  darnes^  par  Sauvi- 
gny.  ^  A— T. 

VIGNE  (  Claude  de  La  )  ,  de 
Fréclieville ,  docteur-régent  de  la  fa- 
culté de  Paris ,  naquit  en  cette  ville , 
lc'2i  février  iGgS. 11  était  petit-neveu 
de  la  célèbre  Annede  La  Vigne,  de  l'a- 
cadémie des  Ricovrati{y.  ci-dessus). 


VIG 

Des  qu'il  eut  terminé  ses  e'tudes  qu'il 
avait  faites  avec  le  plus  f;rand  suc- 
cès ,  il  fut  admis  par  l'abbc  Fleury , 
son  oncle  maternel ,  as  ses  conférences 
d'Argenteuil ,  et  chargé  d'une  partie 
des  reclicrches  nécessaires  à  la  com- 
position   des   derniers   volumes    de 
Vllisloire  ecclésiastique  (  F.  Fleu- 
i\\  ).  Ayant  résolu  d'embrasser  l'état 
de  médecin  ,  il  s'y  disposa  par  l'é- 
tude des  sciences  mathématiques  et 
physiques  ,  et  par  la  lecture  des  ou- 
vrages grecs  et  latins  relatifs  à  l'art 
de  guérir.    Reçu  docteur  en    1719, 
il  continua  de  suivre  ses  maîtres  dans 
les  hôpitaux  et  au  lit  des  malades  , 
persuadé  que  la  théorie  la  plus  su- 
blime ne  peut  tenir  lieu  de   l'expé- 
rience.  11  fut  nommé   médecin  du 
roi,  en  17265  obtint  trois  ans  après 
l'agrément  de  la  charge  de  médecin 
ordinaire  de  la  reine  ^  et  ensuite  la 
survivance  d'Ilelvétius  (  F.  ce  nom  ). 
Le  succès  qu'il  avait  dans  la  prati- 
que étendit  au  loin  sa  réputation.  Un 
travail  trop  soutenu  épuisa  ses  forces, 
et  il  mourut  le  ']  octobre  1758,  à 
l'âge  de  soixante-trois  ans  ,  regretté 
de  ses  confrères  pour  sa  douceur,  sa 
modestie  et  son  érudition.  La  Vigne  a 
laissé  manuscrits  un  Traité  des  plan- 
tes ;  un  autre  des  Fièvres  ;  wweFhj- 
sique  générale  et  parljculièrc  ducorps 
humain,  et  un  Traité  des  maladies , 
latin  et  français.  Il  avait  projeté  un 
Dictionnaire  de  médecine ^  mais  sou 
but  dans  cet  ouvrage  était  moins  de 
faire   une   dissertation    sur   chaque 
mot ,  que  d'indiquer  aux  jeunes  gens 
les  meilleurs  auteurs  sur  chaque  ma- 
tière.  Ce  livre ,  qui  serait  d'une  si 
grande   utilité,  est  encore   à  faire. 
Dans  les  derniers  jours  de  sa  vie  ,  il 
brûla  le  Journal  des  maladies  qu'il 
avait   suivies  ,  ainsi  que  le  Recueil 
en  2  vol.  de  ses  consultations  avec 
les  réponses.  11  avait  formé  une  bi- 


VIG  475 

bliothèque ,  riche  particulièrement  en 
ouvrages  sur  son  art.  Le  Catalogue 
eu  a  été  publié  par  Gabriel  Martin  , 
1709,  in-B".  ,  précédé  d'une  iVofice 
sur  ce  médecin  ,  et  de  son  Eloge  en 
latin  et  en  français,  par  J.-B.  Boyer, 
doyen  de  la  faculté  de  Paris.     W-s. 

VIGNES  (Pierre  Des).    Fox. 
Pierre  ,  XXXIV  ,  3()8. 

VIGNEUL-MARVILLE.   Foy. 
Argonne. 

VIGNIER   (Nicolas),  né,  en 
1 53o  ,  à  Troyes  ,  d'une  famille  noble 
et  ancienne  ,  étudia  la  jurisprudence 
pour  complaire  à  son  père,  qui  était 
avocat  du   roi  dans  celte  ville  ,    et 
s'appliqua  à  la  médecine,  suivant  son 
goût  particulier.  Ayant  embrassé  de 
bonne   heure  le  calvinisme ,    il  fut 
obligé  de  se  retirer  à  Bar-sur-Seine  ; 
et   c'est  pour    cela   que  dans  tous 
ses   ouvrages  il  se  dit  de  cette  der- 
nière ville.   11  passa  de  là  en  Alle- 
magne ,   où  il  exerça    la    médecine 
pour  vivre.  Obligé  de  lire  les  saints 
pères  ,   et    d'étudier  à   fond   l'his- 
toire de  l'Église,  pour  composer  sa 
Bibliothèque  historiale ,  il  se  désa- 
busa de  ses  erreurs ,  et  repassa   en 
France  pour  rentrer  dans  la  commu- 
nion catholique.   Henri  111  !e  lit  son 
médciin  ,  lui  donna  la  charge  d'his- 
toriographe de  France  ,  et  le  décora 
du  titre  de  conseiller-d'état.  11  mou- 
rut à  Paris  en  1 5gG  ,    après  avoir 
composé  les  ouvrages   suivants  :  I. 
Rerum  hurgundiarum  Chronicon  , 
depuis  4^8  jusqu'en   14B2  ,  Bâle  , 
1 575,  in-4°-  li-  Sommaire  de  l'His- 
toire des  Français,  Paris,  1579^ 
iii-fol.,  commençant  à  l'origine  des 
Français ,  et  finissant  à  la  mort  de 
Louis  XII  ;  ouvrage  plein  de  recher- 
ches et  d'actes ,  tirés  des  trésors  de 
diverses  églises.   11  y  a  à  la  tête  un 
Traité    de    l'état  et   origine   des 
anciens  Français,  imprimé  sépa- 


47^  VIG 

lémenl  avec  des  augmentations  ,  en 
i582,  à  Troyes,  et  traduit  en  la- 
tin par  l'auteur  sur  celte  dernière 
édition ,  pour  être  insère  dans  la 
collection  de  Duchesne:  Ce  traite 
curieux  et  exact ,  mais  trop  peu  éten- 
du et  trop  confus  ,  fait  sortir  les  Fran- 
çais de  la  Basse-Germanie.  III.  De 
la  noblesse  ,  anciermete ,  remar- 
(juesel  mérites  d'honneur  de  la  troi- 
sième Maison  de  France  ,  Paris  , 
iSH-;  ,  iu-8".  L'auteur  ne  remonte 
qu'à  Rohert-le-Fort  ([u'il  fait  cliof  de 
cette  race ,  et  il  tâche  de  pruuver  que 
llu^iies-C'apet  parvint  à  la  couronne 
saiis  usurpation.  IV.  Les  Fastes  des 
anciens  Hébreux,  Paris,  1688,  in- 
4".  V.  La  Bibliothèque  historiale , 
Paris,  i588,  3  vol.  infol.  Lcqua- 
trii-rae  volume,  qui  contient  des  ad- 
ditions etcorrcctions  aux  preVe'donts, 
n'a  paru  qu'en  i(i:")o.  VI.  Recueil 
de  l'histoire  de  l'È^li^e  ,  Leyde , 
iCioi  ,  in-fol.  ,  oiivrap;e  dans  jè(|uel 
ses  iils  qui  l'ont  public  ont  mis  bien 
des  choses  (pic  leur  père  aurait  désa- 
vouées. VII.  liaisons  et  causes  de 
préséance  entre  la  France  et  VEs- 
papie ,  contre  Cronato  ,  compose  en 
1089,  et  public  en  i(>o8  à  Paris, 
iu-8".  Vill.  Histoire  de  la  Maison 
de  Luxembourg  ,  Paris  ,  1G17  ,  in- 
8".,  avec  la  continuation  d'André 
Duchesne;  ibid.  ,  iGu)  ,  in-4"'.  , 
avec  celle  de  Nie. -r.eors^c  Pavillon. 
IX.  Traité  de  l'ancien  état  de  la 
Petite-Bretapie  ,  et  du  droit  de  la 
courimne  de  France  sur  icelle  , 
compose  en  i582  ,  contre  d'Argen- 
tre,  imprime  en  1619,  Paris,  in- 
4".  Ceux  de  ses  ouvrages  qu'il  avait 
publies  avant  sa  conversion  se  res- 
sentent ,  en  bien  des  endroits  ,  des 
opinions  qu'il  suivait  alors.  T— n. 
VIGNIHR  (Nicolas)  ,  fils  du 
]in'cedent  ,  se  fit  un  nom  dans  son 
parti  ,   par  son  zèle  et  par  son   sa- 


VIG 

voir ,  fut  ministre  de  l'Église  re- 
formée de  Blois,  et  rentra  sur  la 
lin  de  ses  jours  dans  le  sein  de 
l'Église  catholique.  Sa  conversion 
fut  due  en  partie  aux  prières  et 
au  zèle  de  son  fils  Jérôme.  On  a  de 
lui  :  I.  De  Venetorum  excommuni- 
ent ione  adversùs  Baronium  disser- 
tatio.  II.  Le  Théâtre  de  l'Anté- 
christ y  iGio,  infol.,  compose  par 
ordre  du  synode  de  la  Rochelle  de 
lOo-j.  Cet  ouvrage  plein  de  calom- 
nies passa  pour  être  trop  violent 
]iarmi  les  prolestants  modères.  III. 
Plusieurs  autres  ouvrages  de  contro- 
verse et  ascétiques  ,  dont  on  trouve 
les  litres  dans  les  Mémoires  de  Ni- 
ceron  ,  tome  xmi.  T — d. 

V  I  G  N I E  R  (  JÉRÔME  ) ,  fils  du 
précèdent,  ne  en  iGoG  à  Blois,  oîi 
son  père  était  ministre  de  la  religion 
reformée,  fut peiidaiilrpielque  temps 
bailli  de  Beaugcnci  ,  place  dans  la- 
quelle il  s'attira  la  confiance  publicpie 
par  son  application  à  prévenir  et  à 
terminer  les  jirocès  ,  en  usant  des 
voies  de  conciliation.  Ses  recherches 
savantes  furent  utiles  à  M.  de  l'Au- 
bépine ,  cvèque  d'Orléans,  pour  la 
composition  de  ses  ouvrages.  Le 
]ir('lat  profita  des  liaisons  qui  s'éta- 
blirent entre  eux  pour  l'attirer  à  la 
religion  catholique  ,  et  la  conversion 
du  Iils  fut  depuis  suivie  de  celle 
du  père.  Vignier  étant  entré  ,  en 
i63o  ,  dans  la  congrégation  de  l'O- 
ratoire ,  gouverna  plusieurs  établis- 
sements à  la  satisfaction  de  ses  supé- 
rieurs ,  et  finit  par  se  fixer,  en  1G48, 
dans  le  séminaire  de  Saint-Magloire. 
Il  s'était  déjà  fait  connaître  avanta- 
geusement par  une  Oraison  funèbre, 
imprimée,  de  M.  Legonzde  La  Ber- 
chère  ,  premier  président  du  jiarle- 
nient  de  Dijon  ,  et  par  un  Recueil  de 
poésies  latines  et  françaises,  publié 
en  i638  ,  chez  Gamusat.  U  possé- 


VIG 

(lait  les  lanj:;iics  savantes  ,  et  s'était 
applique  à  la  connaissance  des  mé- 
dailles ,  ayant  enrichi  de  ses  reclier- 
clics  le  cabinet  du  roi  et  celui  du  duc 
d'Oi'lcans.  Mais  ce  fut  à  l'étude  de 
l'histoire  et  des  généalogies  qu'il 
s'appli([ua  de  préférence.  Le  premier 
fruit  de  son  travail  en  ce  genre  fut 
la  rentable  orii^inc  des  Maisons 
d'Alsace,  de  Lorraine ,  d\/itlriclie, 
etc., Paris,  iG4<),  in  fol.  Jean-Jacques 
Chilllet  traduisit  l'ouvrage  en  latin, 
l'enrichit  de  notes  ,  et  le  pidjlia  l'an- 
née suivante  à  Anvers,  sous  ce  titre  : 
Stem  ma  austriacum.  L'auteur  y 
détruit  enlicienunt  l'opinion  ac- 
créditée par  les  ligueurs  qui  faisait 
descendre  la  Maison  de  Lorraine 
des  rois  de  la  première  race ,  et  lui 
donnait  pour  tige  Arcliinoald  ou 
Arcliambaud  ,  maire  du  palais,  sous 
le  roi  Dagobert.  Vuyon  d'Uerou- 
val  y  a  relevé  quelques  fautes  de 
chronologie  et  de  généalogie.  Mai- 
gre ce  défaut,  Chilllet  disait  qu'après 
le  P.  \  iguier  ,  il  fallait  supprimer 
tout  ce  ({ui  avait  paru  jusqu'alors 
sur  la  Maison  d'Autriche.  Ce  n'clait 
là  que  le  plan  d'un  travad  beaucoup 
plus  ctendu  ,  pour  le([uel  il  avait  ras- 
seiuble  de  nombreux  matériaux,  qui 
se  conservent  à  la  Bibliothèque  du 
roi ,  parmi  les  manuscrits  de  (jai- 
gnières  ,  avec  des  additions  et  des 
notes  de  l'auteur  (  f^oj'.  Herr- 
GOTT  ).  Le  P.  Yignier  s'était  pro- 
cure' une  ancienne  Histoire  des  rois 
de  Bourgogne  ,  d'après  laquelle  il 
se  proposait  de  prouver  que  les 
comtes  de  Champagne  et  de  Bric 
e'taient  sortis  en  ligue  masculine  de 
la  famille  de  Charlemagne.  Ses  tra- 
vaux sur  l'Histoire  profane  ne  l'a- 
vaient pas  empêche  de  se  livrer  à  de 
savantes  i-echerches  sur  les  sciences 
ecclésiastiques.  Il  avait  découvert 
dans  les  bibliothèques  plusieurs  ou- 


VIG 


^ll 


vrages  inédits  de  saint  Augustin  , 
entre  autres,  dans  celle  de  Clairvaux, 
les  six  livres  de  V  Ouvrage  impar- 
fait contre  Julien  ,  dont  Claude  Mé- 
nard  n'avait  donné  que  les  deux  pre- 
miers. Il  lit  imj)rimer  le  tout,  en 
i654  ,  sous  le  titre  de  Sancti  Angus- 
tini'operuni  su/iplementum  ,  2  vol. 
in-fol.  L'éditeur  était  personnelle- 
ment à  l'abri  de  tout  soupçon  de  jan- 
sénisme ,  au  j)oint  que  Colonia  l'a 
mis  dans  sa  bibliothèque  parmi  les 
écrivains  anti-jansénistes.  Cependant 
on  crut  découvrir  des  rapports  entre 
la  doctrine  de  l' Ouvrage  imparfait 
et  celle  de  VAuguslinus  ,  et  l'on  pré- 
te!i(lit  que  le  premier  était  supposé. 
L'édition  fut  arrêtée.  INLiis  le  savant 
Piiczac  ayant  été  chargé  de  l'exa- 
miner ,  en  prouva  si  bien  l'authen- 
ticité, que  le  chancelier  Séguier  lui 
laissa  une  libre  circulation.  On  exi- 
gea seulement  la  suppression  de  VÉ- 
pitre  dédicatoire  au  cardinal  de 
Retz,  alors  en  disgrâce  ;  elle  conte- 
nait ,  en  ellét,  un  éloge  outre  et  dé- 
placé de  celte  Kminence.  Cette  Épîlre 
est  restée  dans  ([uelques  exemplaires 
qui  avaient  été  distribués  avant  la 
suspension.  Les  liaisons  du  P.  Vi- 
gnier  avec  la  famille  de  Gondi  lui 
fiieiit  attribuer  divers  écrits  pour 
la  défense  du  carflinal  de  Retz.  Le 
style  en  était  cependant  d'une  plu- 
me bien  plus  élégante  que  la  sien- 
ne. Il  n'en  fut  pas  moins  envelop- 
pé dans  la  disgrâce  de  tous  les 
membres  de  cette  famille,  et  n'évita 
une  lettre  de  cachet  qui  le  reléguait 
en  Limousin  qu'en  se  réfugiant  chez 
IM.  de  Yialart ,  évè([uc  de  Cliàlons- 
sur-Marne,  où  il  resta  caché  jusqu'à 
ce  que  le  cardinal  eût  fait  sa  paix 
avec  la  cour.  11  revint  alors  à  Saint- 
Magloire.  Son  séjour  n'y  fut  que  de 
très-courte  durée  :  une  hydropisie  de 
poitrine  ,    accompagnée  de  fièvre 


478  VIG 

quarte,  le  mit  au  tombeau  ,  le  i4 
uovembrc  1661  ,  à  l'âge  de  cin- 
quante-cinq ans.  C'était  un  homme 
plein  de  piétë,  laborieux  ,  se  faisant 
un  plaisir  de  communiquer  aux  sa- 
vants le  fruit  de  ses  recherches;  mais 
il  ne  mettait  pas  assez  de  soin  à  polir 
son  style.  Le  P.  IMorin  tira  de  lui  de 
grands  secours  pour  son  Traite  de 
la  pénitence.  La  mort  prématurée 
de  Vignier  priva  le  public  de  plu- 
sieurs ouvrages  qu'il  se  proposait  de 
mettre  au  jour.  Le  seul  qui  ait  paru 
par  les  soins  de  son  frère  est  intitu- 
le :  Endiatessaron  ,  ou  Histoire  et 
harmonie  de  VEuangile  ,  Paris  , 
I  GGa,  in- 1 2.  C'était  la  meilleure  con- 
cordance qu'on  eût  alors.  L'auteur 
était  sur  le  point, lorsqu'il  rnourut,  de 
publier  une  Ilisloire  de  l'Eglise  gal- 
licane ,  et  les  livres  de  saint  Fiilgence 
contre  Fauste  de  Riez  ,  qu'il  avait 
découverts  ta  Venise.  L'abbc  Gonjet 
croit  que  le  manuscrit  passa  entre  les 
mains  des  Jésuites  de  Paris  qui  le  fi- 
rent disparaître.  11  possédait  les 
Scolies  de  Pierre  de  Laodice'e  sur 
saint  Matthieu  et  celles  d'un  anonyme 
sur  saint  Jean,  traduites  du  grec  en 
latin,  par  le  P.  Chally ,  son  con- 
frère. On  les  conservait  dans  la  bi- 
bliothèque de  Saint-Magloire.  T-d. 

VIGNIER  (Jacques  ) ,  né  à  Bar- 
sur-Scine ,  de  la  même  famille  que 
les  précédents ,  entra  chez  les  Jésui- 
tes malgré  ses  parents  engagés  dans 
le  calvinisme.  Il  s'y  distingua  par  sa 
piété  ,  remplit  avec  succès  les  divers 
emplois  de  la  régence  et  du  ministè- 
re, et  mourut  à  Dijon  en  i(i6a.  Il 
avait  rassemblé  beaucoup  de  pièces 
sur  l'histoire  du  diocèse  de  Langres, 
dont  il  publia  le  Prospectus  sous  le 
titre  de  Décade  ;  mais  l'ouvrage  est 
resté  manuscrit  dans  la  bibliothèque 
du  collège  de  Dijon.  Il  n'en  a  paru 
qu'un  abrégé  intitulé  Chronicon  lin- 


VIG 

gonense  ,  Langres  ;,  1 665  ,  in-S". 
L'auteur  s'y  attache  principalement 
à  la  partie  ecclésiastique.  Jacques  Vi- 
gnier a  encore  composé  quelques  ou- 
vrages de  dévotion  qui  ont  été  im- 
primés dans  le  temps  .  et  beaucoup 
d'écrits  historiques  qui  ne  l'ont  pas 
été.  T— D. 

VIGNIER  (Henri)  ,  né  à  Bar-sur- 
Seine  en  1641,  de  la  même  famille 
que  les  précédents,  entra  dans  la  con- 
grégation de  l'Oratoire,  oîi  il  exerça 
avec  beaucoup  de  zèle  ,  pendant  six 
ans ,  les  fonctions  de  curé  à  la  Ro- 
chelle. M.  de  Clcrmont- Tonnerre  , 
son  parent ,  lui  donna  un  canonicat 
dans  sa  cathédrale  de  Langres ,  qu'il 
quitta  ensuite  pour  se  retirer  à  Pa- 
ris dans  la  maison  de  Saint-Honoré  , 
où  il  mourut  en  1 707.  On  a  de  lui  la 
Connaissance  deJ.-C,  ^"jOà ,  in- 
l 'i  ;  des  Exercices  de  piété  ^  1 7o3  , 
in-12:  des  Psaumes  de  Dai^id  en 
trois  colonnes,  1708,  in-12.  —  Un 
autre  Vignier  fit  imprimer  à  Sau- 
mur,  1676  et  1684,  un  ouvrage  in- 
titulé le  Château  de  Richelieu,  ou 
l'Histoire  des  dieux  et  des  héros  de 
l'antiquité  avec  des  réflexions  mora- 
les en  vers.  T — d. 

VIGNOLE  (Jacques  Barozzio), 
architecte  célèbre  ,  est  moins  connu 
sous  son  véritable  nom  que  sous  ce- 
lui de  Fignole ,  petite  ville  du  du- 
ché de  Modène  ,  où  il  naquit  en 
i5o7  ;  et  où  son  père  Clément  Ba- 
rozzio ,  gentilhomme  milanais,  s'était 
retiré  pour  se  soustraire  aux  guerres 
civiles  qui  déchiraient  Milan,  et  qui 
lui  avaient  fait  perdre  sa  fortune.  Jac- 
ques s'appliqua  d'abord  à  la  peintu- 
re; mais  entraîné  par  un  penchant 
irrésistible ,  et  ne  faisant  en  peinture 
que  de  faibles  progrès ,  il  étudia  la 
perspective  dont  il  a  fixé  les  règles 
invariables  par  un  Traité  qu'il  com- 
posa pour  son  usage ,  et  qui  est  de- 


VIG 

venu  classique  (i).  Cependant  son 
goût  le  dirigeait  plus  spécialement 
encore  yers  l'arcliiteclnre  ,  et  après 
avoir  profonde'inent  médite  Vitruve 
et  les  anciens  auteurs  ,  il  fit  le  voya- 
ge de  Rome ,  oii  il  dessina  d'abord 
et  mesura  plusieurs  fois  avec  une  ex- 
trême exactitude  les  monuments  an- 
ciens. C'est  d'après  cette  c'tudequ'il  a 
donné  son  Traité  des  cinq  ordres,  ré- 
digé avec  tant  de  simplicité  et  de  mé- 
thode qu'il  devitit  aussitôt  sur  cet  art 
la  règle  universelle ,  et  qu'il  est  encore 
aujourd'hui  le  rudiment  des  premiè- 
res études  de  l'archilecture  [•!).  Pen- 
dant qu'il  était  à  Rome,  Vignole 
dessina  ,  pour  l'académie  naissante  , 
les  anciens  édifices  de  cette  capitale. 
Voulant  se  i-endre  de  plus  en  plus 
utile  ,  il  rédigea  ses  conférences  sur 
les  difficultés  de  l'art ,  et  retira  de 
ce  travail  l'avantage  de  mieux  con- 
naître encore  les  principes  et  la  ma- 
nière des  anciens.  Le  Primatice 
ayant  été  envoyé  à  Rome  par  Fran- 
çois l'^r,  ,  pour  y  acheter  ou  faire 
mouler  des  statues  antiques,  Vignole 
lui  donna  plusieurs  de  ses  dessins  ,  et 
le  suivit  à  Paris  oii  il  demeura  deux 
ans.  Plusieurs  figures  en  bronze  qu'on 
voyait  à  Fontainebleau  ,  et  quelques 
dessins  et  modèles  des  édifices  dont 
la  guerre  empêcha  l'exécution  ,  fu- 
rent les  seuls  travaux  qui  l'occupè- 
rent pendant  son  séjour  en  France. 
Quelques-uns  prelendent  que  le  châ- 
teau de  Chambord  a  été  construit  sur 
ses  dessins  ;  mais  ils  se  trompent  : 
cette  maison  royale  fut  bâtie  par  im 
architecte  de  Blois ,  plusieurs  an- 
nées avant  l'arrivée  de  Vignole  en 
France.  Celui  -  ci ,  étant  retourné   à 


(i")  Ce  traité  a  été  commenté  par  Ignazio  Dante  , 
en    i583. 

(?)  Ce  traité  des  Cinq  ordres  a  été  traduit  et 
commenté  par  Daviler  ,  Pnris  ,  1691 ,  3  vol,  in-4°.  , 
et  1^38  ,  7.  vol.  grand  in-S°. 


VIG 


479 


Bologne  ,  donna  des  dessins  pour 
la  façade  de  l'église  Saint -Pétrone^ 
et  bâtit  un  palais  magnifique  pour  le 
comte  Jsolani.  Il  construisit  aussi  le 
portique  du  change  ;  mais  ce  qu'il 
lit  de  plus  utile  pour  la  ville  ,  ce  fut 
le  canal  du  Naviglio.  Le  duc  de 
Parme  lui  fit  faire  encore  les  des- 
sins de  son  palais,  dont  Vignole  lais- 
sa la  conduite  à  son  fils  Hyacinthe. 
On  lui  attribueles  églises  de  Massano, 
de  Saint-Oreste,  de  Notre-Dame- 
des-Anges à  Assise,  et  la  chapelle  de 
Saint- François  à  Pérouse.  Le  pape 
Jules  III,  à  qui  il  fut  présenté  par 
Vasari ,  l'ayant  nommé  son  archi- 
tecte ,  lui  fit  construire  une  maison 
de  campagne  et  la  petite  église  de 
Saint -André  dans  le  voisinage.  Le 
cardinal  Farncse  lui  confia  la  di- 
rection de  la  maison  professe  des 
jésuites  ,  monument  d'une  grande 
importance  ,  dont  les  fondements 
furent  jetés  en  1 568.  La  mort  em- 
pêcha Vignole  de  l'élever  plus  haut 
que  la  corniche  ;  ce  fut  Jacques 
de  La  Porte  qui  l'achcA'a  en  i5']6j 
mais  ces  édifices  et  beaucoup  d'au- 
tres ,  qui  furent  faits  par  Barozzio  , 
dans  une  grande  partie  de  l'Italie  , 
ne  peuvent  se  comparer  au  ])alais  de 
Caprarola  ,  que  l'on  doit  regarder 
comme  son  chef-d'œuvre.  Ce  fut  le 
cardinal  Alexandre  Farnèse  qui  l'en 
chargea ,  et  ce  magnifique  édifice  fut 
élevé  sur  le  somjiiet  d'une  colline 
environnée  de  précipices.  Rien  de 
mieux  entendu  que  son  ensendile^  et 
le  détail  de  toutes  ses  parties.  La 
forme  générale  est  celle  d'un  penta- 
gone qui,  flanqué  dans  le  bas  de  cinq 
bastions  ,  semblerait  donner  à  l'édi- 
fice l'apparence  d'une  forteresse.  De 
ce  mélange  d'architecture  militaire 
et  civile  résulte  un  caractère  parti- 
culier de  force  et  de  grandeur.  Une 
sorte  d'(tageen  talus  sert  comme  de 


48o  VIG 

fondation  au  véritable  soubassement 
orné  de  refends  et  de  fenêtres ,  et  ou 
la  porte  se  trouve  comprise.  C'est  au- 
dessus  que  s'c'lève  le  vrai  corps  du 
palais  do'corc  de  deux  oidres.  L'in-  . 
tericur  est  un  ionique  formant  des 
portiques  ,  et  au  dessus  s'élève  un 
ordre  de  pilastres  corinthiens  ,  avec 
un  double  rang  de  fenêtres.  L'inte'- 
rieur  de  la  cour  est  à  deux  étages  sur 
un  plan  circulaire.  L'étage  supérieur 
se  termine  par  une  terrasse  qui  cir- 
cule tout  à  l'entour.  La  réputation 
du  château  de  Caprarola  fut  prodi- 
gieuse. Daniel  Barbaro  voulut  se 
convaincre  par  lui-même  de  tout  ce 
qu'on  eu  disait,  et  lorsqu'il  l'eut  vu  , 
il  avoua  que  sa  renommée  était  en- 
core au-dessous  desoumérile: 

Sur  l'immense  réputation  que  lui  lit 
cet  édifice  ,  Piiilippc  II ,  roi  d'Espa- 
gne ,  voulut  attirer  Vignole  à  son 
service  ;  mais  l'architecte  motiva  son 
refus  sur  son  grand  âge  ,  et  sur  les 
travaux  de  l'église  de  Saint-Pierre  , 
dont  il  venait  d'être  chargé  après  la 
mort  de  iMichel-Ange.  11  donna  les 
dessins  du  célèbre  palais  de  l'Escu- 
rial ,  et  l'emporta  ,  dans  cette  occa- 
sion ,  sur  vingt-deux  autres  archi- 
tectes les  plus  célèbres  de  son  temps 
qui  concoururent  avec  lui.  Cependant 
il  ne  voulut  pas  se  rendre  en  Espagne 
pour  les  faire  exécuter.  Vignole  fut 
encore  chargé  d'(me  mission  honora- 
ble ,  et  qui  paraît  étrangère  à  ses 
talents  ,  mais  que  lui  valut  sa  répu- 
tation de  probité.  Il  s'agissaii  de  ré- 
gler les  limites  des  États  de  Grégoire 
XIII,  et  du  grand-duc  de  Toscane  , 
près  de  la  ville  de  Castello.  Vignole 
s'acquitta  parfaitement  de  cette  mis- 
sion, et  à  son  retour  le  pape  lui  en 
témoigna  sa  satisfaction.  Ce  grand 
artiste  devait  se  rendre  à  Caprarolaj 


VIG 

la  fièvre  le  surprit  dans  la  nuit 
même ,  et  l'enleva  le  septième  jour 
de  sa  soixante-sixième  année  ,  en 
iS^S.  Il  fut  enterré  en  grande  pom- 
pe au  Panthéon.  Vignole  est  le  pre- 
mier qui  ait  fixé  pour  ainsi  dire  les 
règles  du  goût  en  architecture.  Il  en 
a  posé  les  bases  avec  une  justesse 
et  une  harmonie  dans  les  propor- 
tions, avec  une  pureté  dans  les  dé- 
tails qu'aucun  architecte  n'avait  aus- 
si bien  réunies  avant  lui,  etdont  aucun 
n^a  osé  s'écarter  depuis.  Le  prin- 
cipe de  ce  beau  réel  qu'on  admire 
dans  ses  ouvrages  est  fondé  singu- 
lièrement sur  cette  méthode  qu'il  a 
indiquée,  de  donner  aux  principales 
parties  de  l'ordonnance  le  double,  le 
tiers  ou  le  quart  des  hauteurs  totales. 
Ces  principes  ont  été  scrupuleuse- 
ment suivis  par  tous  les  élèves  qu'il 
s'est  spécialement  occupe  d'instruire, 
et  ses  ouvrages  seront  immortels, 
parce  qu'ils  seront  toujours  la  base 
des  premières  études  de  l'architec- 
ture. Blondel  a  parlé  de  lui  comme 
de  l'un  des  plus  grands  maîtres 
parmi  les  modernes  ,  et  il  a  rap- 
])orté  son  sentiment  comme  le  meil- 
leur guide  sur  chacun  des  ordres 
et  sur  les  moyens  de  les  mettre  plus 
facilement  en  œuvre.  Daviler  a  donné 
uncoursd'architccture  qui  comprend 
ces  ordres  de  Vignole,  avec  la  des- 
cription de  ses  plus  beaux  monu- 
ments ,  et  une  notice  sur  sa  vie.  Da- 
viler n'en  fait  pas  de  moindres  élo- 
ges dans  son  nouveau  traité  d'ar- 
chitecture. Les  OEuvres  complètes  de 
Vignole  ont  été  commencées  à  Paris, 
en  i8i5  ,  par  MM.  Lebas  et  de 
Bret,  in  fol.  ,  fig.  Il  n'en  a  paru 
que  quatorze  livraisons.  On  peut 
consulter  pour  plus  de  détails  la 
Vie  de  Vignole ,  qui  se  trouve  en 
tête  du  cours  d'architecture,  publié 
à  Paris,  en  lySS,  grand  in-4*'. ,  par 


VTG 

l'imprimeur  Mariette.  M.  Ch.  Nor- 
mand ,  arcliitecte  ,  a  donne'  ,  eu 
i8'.i7  ,  Le  Fignole  des  architectes 
et  des  élèves  en  architecture  ,  ou 
jwuvelle  traduction  des  rèt^Ics  des 
cinq  ordres  d'architecture,  Paris,  in- 
4°. ,  avec  quarante-deux  planches. 
11  avait  publié  prc'ccdemmcnt  Le 
Fignole  des  om>rlers.  Q.  Q. 

VIGNOLES.  Foy.  Desvignoles, 
et  Lahire  ,  XXIII,  195. 

VIGNOLI  (  Jean  ) ,  archéologue 
et  numismate,  était  né  vex's  1680  à 
Petigliano  ,  ville  de  Toscane  ,  sur 
les  conlins  de  l'État  romain.  Après 
avoir  terminé  ses  cours  de  philoso- 
phie et  de  théologie  ,  il  prit  l'habit 
ecclésiastique,  et  consacra  ses  loisirs 
à  l'étude  approfondie  des  médailles 
et  des  monuments  antiques.  Philippe 
Colonne  ,  connctab'e  du  royaume  de 
Naples  ,  l'ayant  choisi  pour  secré- 
taire, lui  facilita  les  moyens  de  satis- 
faire ses  goûts  studieux, et  de  perfec- 
tionner ses  conn  lissances.  Quelques 
opuscules  pleins  de  recherches  et 
d'érudition  ne  tardèrent  pas  à  le 
])lacer  au  rang  des  plus  savants  an- 
tiquaires de  rhalie.  En  1720  ,  à  la 
mort  de  Zaccagni  (  F.  ce  nom),  il 
lui  succéda  dans  la  charge  de  biblio- 
thécaire du  Vatican.  Les  devoirs  de 
cet  emploi  et  une  correspondance 
suivie  avec  les  plus  célèbres  numis- 
mates de  l'Europe  partagèrent  dès- 
lors  tous  ses  instants.  Il  trouva  ce- 
pendant le  loisir  de  préparer  une 
édition  des  Fies  des  Papes  ,  par 
Anastase  (  F.  ce  nom  ,  Il ,  gS  ).  Il 
se  disposait  à  publier  un  Supplément 
à  cet  ouvrage  ,  contenant  les  varian- 
tes tu'ées  d'un  manuscrit  de  Lucques, 
des  notes  explicatives  et  des  addi- 
tions ,  quand  il  fut  atteint  d'une  ma- 
ladie mortelle.  Ne  se  dissimulant  pas 
le  danger  de  sou  état ,  il  remit  tous 
ses  papiers  à  son  neveu  Ugolini ,  le 

XLVIII. 


VIG 


48. 


chargeant  avec  le  P.  Baldini,  théa- 
lin ,  sou  ami  le  plus  intime  ,  de  ter- 
miner un  travail  auquel  il  attachait 
d'autant  plus  de  ])rix  ,  que  c'était  le 
résultat  de  plus  de  vingt  années  de 
recherches.  Vignoli  mourut  à  Rome, 
en  1753,  dans  un  âge  avancé.  Outre 
l'édition  à\4nastase  ,  dont  on  vient 
déparier,  Piome,  1724,  17  53, 17.55, 
3  vol.  in-4". ,  moins  estimée  que  celle 
de  Fr.  Bianchini  (  F.  ce  nom) ,  on  a 
de  lui  :  I .  Dlssertatlo  de  cohnnnd 
imperatorls  AnlonlnlPli  ;  unà  cum 
antlquls  inscriptlojùbus , etc. ,  Rome, 
1705  ,  in-4".  On  trouve  l'analyse  de 
ce  savant  ouvrage  dans  la  plupart 
des  Journaux  du  temjis.  Dans  les 
yicta  erudltor.  Lipslens.,  ann.  1 708, 
pag.  25 ,  elle  est  accompagnée  d'une 
grande  planche.  Les  inscriptions  que 
l'auteur  a  publiées  à  la  suite  sont  di- 
visées en  trois  classes  :  les  premièi'es 
concernent  le  culte  des  Romains  j  les 
secondes  sont  sépulcrales  ;  et  les 
troisièmes  se  rattachent  à  des  monu- 
ments publics  ou  à  des  faits  histori- 
ques. \\.  Eplstolaad  Ant.  Gallan- 
dlum  de  nummo  imperatorls  Anto- 
nini  Pli,  qui  In  tertio  ejus  consu- 
latu  percussus  columnani  quam- 
dam  exhlbet ,  ih'ii. ,  1709,  in-4". 
La  médaille  dont  il  s'agit  se  trou- 
vait dans  le  cabinet  de  M.  Foucault. 
Vignoli  prétend  que  le  revers  repré- 
sentant une  colonne  a  été  falsifié , 
et  que  cette  pièce  est  la  même  que 
celle  où  l'on  voit  une  longue  figure 
de  femme  tenant  de  la  main  droite 
un  caducée  ,  et  de  la  gauche  une 
branche  d'oli\ier.  III.  Antlqulores 
pontlficum  denarll,  ibid. ,  170g, 
in-/l°.  ,  fi".  C'est  un  essai  sur  les  an- 
ciennes  monnaies  des  papes.  Ben. 
Floravantes  ou  plutôt  Fioravanti  (  /^. 
ce  nom,  XIV,  554),  ^^  adon- 
né une  édition  revue  et  augmentée 
d'un  tiers,  Rome,  1734,  in-4". 
3i 


482 


VIG 


IV.  De  (uwoyrimo imperii  Alexan- 
dii  Aug.  qucm  prœfert  cathedra 
marinoreaSaiicii  Hipvoljti,  ibid.  , 
i7r2,  in-4".  On  trome  à  In  suite 
une  nouvelle  édition  de  la  Lettre  à 
Gallaud  ,  revue  cl  conigc'e.  V.  Dis- 
sertatio  apoloi^etica  de  anno  primo 
iinpeni  Sei'cri  Alexandri ,  qud  po- 
tissimiim  programma  Crcli  pas- 
chalis  S.  Hippclyti  denub  expo- 
nitiir  ,  ibid. ,  i  7 1 4  >  'n-4°.  I!  y  re- 
pousse les  critiques  que  le  P.  Valse- 
clii  et  l'cvêque  d'Adria  Délia  Terre 
avaient  publiées  contre  l'ouvrage  pré- 
cédent. Ces  deux  opuscules  contien- 
nent une  explication  détaillée  du  fa- 
meux Cycle  de  Saint  Hippolyte  (  F. 
ce  nom  ,  XX  ,  '\io  ).         W — s. 

VIGNOLLE  (  Le  comte  Martin 
DE  ),  général  français,  né  à  Massil- 
largue  ,  village  du  Languedoc,  en 
1763,  d'une  famille  noble,  mais 
sans  fortune ,  entra  au  service ,  en 
1  ''So,  comme  cadet  dans  le  régiment 
de  Barrois,  où  il  devint  capitaine  à 
l'époque  de  la  révoluliou,  dont  il 
adopta  les  principes.  11  fit  les  pre- 
mières guerres  de  celte  époque  à  l'ar- 
mée des  Alpes,  fut  nommé  adjudant- 
général  en  1794»  P"'^  sous-chcf  de 
l'état-major  de  Kellerraann,  et  de 
celui  de  lîuonaparlc,  en  171)6.  Ce 
fut  en  cette  qualité  qu'il  se  trouva 
aux  affaires  de  IMontonottc  et  de  De- 
go  j  où  son  courage  lui  valut  une  let- 
tre de  féliritatiun  de  la  part  du  Di- 
rectoire. 11  ne  se  conduisit  pas  avec 
moins  de  valeiu-  au  passage  du  pont 
de  Lodi ,  et  surtout  à  la  bataille  de 
Castiglioue,  où  le  général  en  chef  le 
distingua,  et  demanda  pour  li;i  le 
grade  de  général  de  brigade  ,  en  di- 
sant qu'il  avait  montré  une  bravou- 
re sûre ,  un  talent  et  une  activité 
rares.  Le  général  de\igno!]e  fut 
blessé  d'un  coup  de  feu  à  la  bataille 
d'Arcoie  ;  et  après  le  traite  de  Cam- 


VIG 

po-Formio  il   resta  cii  Italie,  où  iî 
remplit  les  fonctions  de  cbef-d'état- 
major  ,  puis  celles  de  ministre  de  la 
guerre  de  la  république  Cisalpine.  A 
la  reprise  des  hostilités  ,  en  1799,  il 
rentra  dans  ses  fonctions  de  gênerai, 
et  fut  chargé  de  la  garde  des  Apen- 
nins. Apres  les  batailles  de  la  Tre- 
bia  et  de  Novi,  il  reçut  du  général 
Moreau  la    mission   d'aller   former 
des  corps  de  réserve  à  Nice.  Des  que 
Buona parle  se  fut  emparé  du  pou- 
voir à  la  fin  de  la  même  année ,  Ber- 
thicr,  qui  devint  ministre  de  la  guer- 
re, fit  venir  Viguolle  pour  lui  don- 
ner le  poste  de  secrélaiie-gc'néral.  Il 
ne  remplit  cette  place  que  deux  mois, 
et  se  rendit  à  Dijon  ,  pour  y  organi- 
ser l'armée  de    réserve  qui   devait 
bientôt  reconquérir  l'Italie.  \  ignollc 
suivit  encore  Buonaparle  dans  cette 
cot;trée,  et  il  y  fut  chargé  du  blocus 
de  la  citadelle  de  Milan  ,  et  de  la 
réorganisation  delà  réjuibliquc Lom- 
barde. L'année  suivante,  il  se  trou- 
va au  passage  du  IMincio,  et  y  eut 
un  aide-de-camp  tué  à  ses  côtés.  En 
i8o3  ,  il  fut  nommé  général  de  divi- 
sion et  chef-d'état-major  de  l'armée 
de    Hollande,  passa,    en    i8o5  ,  à 
celle  de  Dalmatie,  pour  y  remplir 
les  mêmes  fonctions  sous  le  général 
?iIarmont ,  et   concourut  à  délivrer 
le  général  Lauriston  ,  qui  éla;t  blo- 
qué dans  Raguse.  Dans  la  brillante 
campagne  de  1809,1!  fit  les   fonc- 
tions de  chef-d'étal-major-général  de 
l'armée  d'Italie,  et  fut  blessé  à  Wa- 
gram ,   d'un  bisca'ieu  ,   qui  lui    fit 
perdre  l'usage  d'un  œil.  Il  fut  ren- 
voyé en  Italie  aussitôt  après  sa  gué- 
risoii ,  et  il  y  fut  encore  chcf-d'éîat- 
major    sous    Eugène    Bcauharnais. 
Après  la  chiite  de  Budnaparte,  en 
181 4,   ce  fut  Vignolle  qui  ramena 
les  troupes  en  France.  S'étant  ren- 
du à  Paris,  il  y  fut  membre  de  la 


VIG 

cominissioîiqîicleroi  chargea  d'exa- 
miner les  services  militaires  ,  et  il 
vécut  dans  la  retraite  lorsque  Ruo- 
naparte  s'empara  du  pouvoir  en 
i8i5.  Aussitôt  après  le  second  re- 
tour du  roi,  il  fut  nommé  comman- 
dant de  la  jS*^.  division  militaire  a 
Dijon.  Compris  dans  l'ordonnance 
qui  mit  à  la  retraite  un  giand  nom- 
bre d'oiïlciers,  le  i<='".  août  i8i5,  il 
fut  nommé  préfet  de  la  Corse,  puis 
conseillcr-d'état,  etfutélu memLrede 
la  chamln-c  des  députés,  dont  il  faisait 
partie  lorsqu'il  mourut  le  i5  nov. 
1 824.  Ce  militaire  a  publié  un  Précis 
historique  des  opérations  de  l'ar- 
mée d'Italie,  en  \Qi3  et  181 4  , 
Paris,  1817  et  i8i8,in-8\  M.  Bla- 
dinières ,  qui  commandait  le  50*". 
réi^iment  dans  ces  campagnes  ,  a  ré- 
futé quelques  assertions  de  Viguolle, 
dans  nue  brochure  intitulée  :  Cha- 
cun ses  actions ,  surtout  à  la  guer- 
re ,  ou  Examen  critique  du  précis 
historique  de  M.  le  comte  de  Vi- 
gnolle ,  Lille,  i8i6  ,  in-S*^.  Viguolle 
a  laissé  manuscrit  un  Précis  histo- 
rique de  la  campagne  de  i8og. 
M— D  j. 
VIGO  (Jean  de)  ,  cliirurgien  ,  né, 
vers  la  iin  du  quinzième  siècle,  à  Gè- 
nes, fut  appelé  à  Rome,  en  i5o3, 
par  le  pape  Jules  II,  qui  le  nomma 
son  médecin ,  et  le  combla  de  pi-é- 
sents  et  d'honneurs.  Vigo  pratiqua  la 
chirurgie  avec  quelques  succès  dans 
cette  capitale;  mais  sa  principale  oc- 
cupation y  fut  une  espèce  de  compi- 
lation qu'il  fit  imprimer  sous  ce  titre  : 
Praclica  in  arte  chirurgicd  copio- 
sa  ,  continens  novem  libros ,  Rome, 
i5i4,  in-i'ol.  Cet  ouvi-age  fut  tra- 
duit dans  la  plupart  des  langues  de 
l'Europe  ,  et  en  français  sous  ce  ti- 
tre :  Pratiques  de  chirurgie  de  très- 
excellent  docteur  en  médecine  Jean 
de  f^'igo ,  i53o,  in  -  fol.  C'est   un 


VIG 


483 


tableau  à-peu-près  complet  de  la  chi- 
rurgie dans  l'état  où  elle  se  trouvait. 
Ainsi  il  est  an  moins  bon  à  consulter 
pour  l'histoire  de  la  science.  H  con- 
tient d'ailleurs  quelques  faits  parti- 
culiers ,  utiles  k  connaître.  Du  reste  , 
l'anatomie  y  est  très-faible,  et  l'éru- 
dition fort  insuHlsante.  Vigo  publia 
encore,  en  i5i8,  un  petit  Traité  des 
maladies^  vénériennes  j  sous  ce  titre: 
De  morho  gallico  ,  dans  lequel  il 
donne  un  précis  de  la  meilleure  pra- 
tique qui  fût  alors  connue  sur  cette 
matièî-e.  Il  avait  beaucoup  contribué 
à  l'usage  des  frictions  mercurielles  , 
qui  cependant,  au  rapport  d'Astruc, 
étaient  connues  avant  lui.  Z. 

VKîOR  (  Simon  ) ,  fils  du  médecin 
des  rois  Charles  IX  et  Henri  III ,  na- 
quit à  Evreux,au  commencement  du 
seizième  siècle  ;  fut  admis  dans  la 
maison  de  Na\  arre  en  1 5[^o ,  et  bien- 
tôt après  devint  recteur  de  l'uni- 
A'ersilé,etcuré  de  Saiut-Germaiu-Ie- 
Yieux.  Il  prit  le  bonnet  de  docteur 
en  1545,  et  fut  pourvu  presque  aus- 
sitôt de  la  dignité  do  pénitencier  de 
l'église  d'Evreux.  Il  en  remplissait 
les  fonctions  quand  il  partit,  à  la  sui- 
te de  Gabriel  Le  Veneur ,  son  évêque, 
pour  assister  au  concile  de  Trente,  en 
qualité  de  théologien  du  roi  de  Fi-an- 
ce.  Aprèsia  clôture  de  ce  concile,  où  il 
paraît  qu'il  se  lit  admirer  par  son 
érudition ,  il  fut  nommé  à  la  cure  de 
Saint- Paul.  Les  sermons  de  contro- 
verse qu'il  prêcha  avec  beaucoup  de 
zèle  à  Paris,  à  Rouen,  à  Metz,  à 
Amiens  et  dans  d'autres  villes,  eu- 
rent un  grand  succès,  et  contribuè- 
rent à  la  conversion  de  plusieurs  cal- 
vinistes ,  parmi  lesquels  on  distingue 
Pierre  Pithou.  Vers  i5(J9  il  obtint 
la  théologale  de  l'église  de  Paris  et 
le  titre  de  prédicateur  de  Charles 
IX.  Le  cardinal  Pisani  ,  arche- 
vêque de  Narbonne  ,  étant  mort 
3i.. 


484 


VIG 


à  Rome  en  1370  ,  le  pape  Grégoire 
XIII  conféra  cet  archevècLe  à  Si- 
mou  Vigor,  du  cousenlcmeut  du  roi. 
Ce  pi'clat  mourut  à  Carcassoune  le 
1^"^.  nov.  1573.  Le  docteur  Chrisli, 
théologal  de  Nantes ,  yantele  rare  sa- 
voir Ac  V  igor ,  tant  en  théolope ,  en 
droit  civil  et  canonique,  que  dans  les 
langues  grecque  et  hébraïque ,  sans 
oublier  son  éloquence,  qui  serait  bien 
mince  aujourd'hui.  Une  chose  qui 
choque  les  mœurs  et  les  idées  ac- 
tuelles, c'est  de  dire  que  Vigor  a 
bien  fait  paraître  le  grand  zèle 
quil  avait  à  l'honneur  de  Dieu 
et  à  la  religion  catholique,  par 
la  haine  qu'il  portait  ,  non-seu- 
lement à  Calvin  ,  à  Bèze  et  aux 
autres  faux  prophètes,  mais  aus- 
si à  quelques-uns  de  ses  parents 
infectés  (le  la  peste  de  l'hérésie; 
c'est  surtout  de  rappeler  ces  paroles 
du  prélat  :  que  la  tempête  ne  serait 
jamais  apaisée  en  ce  royaume  pen- 
dant que  la  diversité  de  religion  y 
serait  tolérée ,  et  que  le  peuple  au- 
rait congé  de  vivre  en  liberté  de 
conscience.  On  a  de  Vigor:  I.  Orai- 
son funèbre  d' Elisabeth  de  France, 
reine  d'Espagne ,  Paris  ,  i5G8  ,  in- 
8".  II.  Actes,  de  la  conjérence  te- 
nue à  Paris ,  es  mois  de  juillet  et 
d'août  i5()6  ,  entre  deux  docteurs 
de  Sorbonne  (Vigor  et  Claude  de 
Sainctcs  )  et  deux  ministres  de 
Calvin  (  de  l'Espiue  et  Sureau  du 
Rosier),  Paris,  1068,  in-8°.  Cette 
conférence  fut  teiuie  d'aprcs  l'invita- 
tion du  duc  de  Montpcnsier,  pour  la 
conversion  du  duc  de  Bouillon  ,  son 
gendre ,  et  de  la  duchesse  de  Bouil- 
lon, sa  fdle.  Vigor  y  eut  tout  l'avan- 
tage, de  l'aveu  même  des  ministres. 
Les  actes  en  sont  très  -  ve\idiques  et 
très  -  authentiques  ,  puisqu'ils  furent 
recueillis  par  deux  catholiques  et 
deux  protestants.  III.  Les  Sermons 


VÏG 

et  Prédications  chrétiennes  et  ca- 
tholiques  pour  tous  les  jours  de  ca- 
rême et  fériés  de  Pâques  ,  etc.,  Pa- 
ris ,  1077  ,  in  -8*^.  IV.  Les  Sermons 
et  Prédications  sur  les  dimanches 
depuis  la  Trinité  jusqu'à  l'Avent, 
Paris  ,  1577,  in-8".  V.  Les  Sermons 
et  Prédications  sur  le  Symbole  des 
apôtres  et  sur  les  Evangiles  des  di- 
manches et  fêtes  de  l'Avent  ;  en- 
semble quatre  Sermons  touchant  le 
purgatoire ,  Paris,  1677,  in-8'J.  Ces 
Sermons  ,  publies  par  Christi ,  doc- 
teur de  Sorbonne  et  théologal  de 
Nantes,  avaient  été  recueillis  par  un 
auditeur  de  Vigor ,  et  revus  par  lui. 
II  est  certain  que  dans  ces  temps  les 
prédicateurs  se  donnaient  rarement 
la  peine  d'écrire  leurs  sermons ,  et 
que  ce  qui  nous  en  reste  ne  vient  que 
de  cequel'on  en  saisissait  pendant  le 
débit ,  très  -  souvent  même  sans  que 
ces  esquisses  aient  passé  sous  leurs 
yeux.  \I.  Sennons  catholiques  du 
Saint-Sacremejit  de  l'autel,  accom- 
modés pour  tous  les  jours  des  octa- 
ves de  la  Fête  -  Dieu ,  Paris ,  1 585 , 
in -8".  Quelque  faibles  que  soient  les 
Sermons  de  Vigor,  ils  ont  été  réim- 
primés en  1 584  >  10-4°. ,  et  en  1 597  , 
même  format.  L — b — e. 

VIGOR  (Simon)  ,  neveu  du  pré- 
cédent, et  conseiller  au  graud-conseil 
pendant  trente-neuf  ans  ,  mourut  le 
29  février  1G24,  âgé  de  soixante- 
huit  ans,  après  s'être  fait  remarquer 
par  son  zèle  à  défendre  dans  ses  dis- 
cours et  dans  ses  écrits  les  préro- 
gatives de  l'Église  gallicane.  Nous 
avons  de  lui  :  I.  Ex  responsione  syno- 
dali  data  Basileœ  oratoribus  D.  Eu- 
genii  papœ  IV  in  congregatione 
generali  3  Non.  septembr.  i432  , 
de  auctoritate  cujuslibet  concilii 
generalis  suprà  Papam ,  et  quosli- 
bet  fidèles  ,  pars  prœcipua  ;  et  in 
eam  commentarius  ,Cjo\oq^ne,  161 3, 


VTG 

in-8'J.  Ce  livre  parut  sous  le  nom  de 
Theophiliis  Francus  ;  mais  il  fut 
solennellement  avoue'  par  l'auteur  , 
très-peu  de  temps  après  la  publica- 
tion. II.  Apolo^ia  de  supremd  Ec- 
clesiœ  auctoritate,  adversùs  Magist . 
Andrœam  Duval ,  doctorcm  et  pro- 
fcssorem  theologiœ  ,  Troyes,  iGi5, 
in-B"^.  III.  De  l'état  et  du  gouver- 
nement de  V Eglise ,  divisé  eu  qua- 
tre livres:  i*^.  de  la  monarchie  ec- 
clésiastique ;  '2°.  de  l'infaillibilité  j 
3*^.  de  la  discipline  ecclésiastique  ; 
4'^  des  conciles ,  in-S".  C'est  la  tra- 
duction de  l'ouvrage  précèdent,  avec 
quelques  améliorations  et  une  répon- 
se ,  en  forme  de  préface  ,  à  la  Dé- 
fense pour  la  hiérarchie  de  l'Eglise, 
et  de  N.  S.  P.  le  pape  ,  par  Théo- 
pliraste  Bouju,  dit  Beaulieu  ,  aumô- 
nier du  roi.  Il  y  a  des  choses  très- 
bonnes,  et  M.  Dellac  ,  avocat  à  la 
cour  royale,  et  l'un  de  nos  colla- 
Ijorateui's  ,  se  propose  d'en  donner 
luie  édition.  IV.  Âssertio  fidei  ca- 
tholicce  ,  ex  quatuor  prioribus  con- 
ciliis  œcumenicis  et  aliis  sjnodis 
cclebratis  intrà  tempora  quatuor 
prœdictorum  conciliorum. Cet  opus- 
cule et  les  trois  précédents  ont  été 
recueillis  en  un  volume  iu-4*'. ,  Paris, 
iG83.  On  y  trouve  de  plus  une  Let- 
tre pour  la  vérification  des  fausse- 
tés remarquées  au  livre  du  docteur 
Durand.  Y.  Historia  eorum  quœ  ac- 
ta  sunt  inter  Philippum  Pulchrum , 
regem  christianissimum  ,  et  Boni- 
facium  VIII , pont.,  ex  variis  scrip- 
toribus  ,  Paris  ,  i6i3,  in-4''. ,  ti'ès- 
rare.  Simon  Vigor,  accusé  par  les 
ultramontains  de  s'écarter  des  prin- 
cipes d'une  saine  théologie  ,  finit  par 
déclarer  qu'il  n'avançait  rien  qu'il 
n'eût  appris  de  l'archevêque  de  Nar- 
honne  ,  son  oncle  ,  et  qui  ne  se  trou- 
vât dans  les  Sermons  de  ce  prélat, 
édition  de  P.  Bertaut ,  i"'97.  Lb-e. 


VIG  485 

VIGOR  (  MisTRiss  ) ,  Anglaise 
fut  mariée  d'abord  en  i-jSi  à  un 
consul-général  en  Russie ,  puis  à  un 
résident  à  cette  cour  ,  et  enfin  à 
William  Vigor ,  qui  était  attaché  à 
la  secte  des  quakers.  Cette  da- 
me se  distingua  par  cette  cha- 
rité active  qui  sait ,  en  allant  au- 
devant  de  la  misère,  lui  épargner  la 
honte  de  la  mendicité.  Elle  était 
répandue  dans  le  grand  monde ,  et 
sa  conversation  était  très  -  goûtée. 
L'esprit  d'observation  dont  elle  fut 
douée  s'exerça  pendant  un  long  sé- 
jour en  Russie.  Craignant  qu'on  ne 
rendît  publiques ,  d'après  une  co- 
pie défectueuse  ,  des  Lettres  qu'elle 
avait  écrites  sur  ce  qui  se  passait 
alors  sous  ses  yeux,  elle  consentit  à 
les  mettre  au  jour  elle- même j  le 
recueil  parut  en  177^  ,  en  un  vo- 
lume in-8".,  à  Londres  ,  sous  ce  ti- 
tre :  Lettres  d'une  dame  qui  a 
résidé  pendant  un  grand  nombre 
d'années  en  Russie,  à  son  amie , 
en  Angleterre  ,  accompagnées  de 
notes  historiques.  C'est,  au  jugement 
de  Nichols  (  Anecdotes  littéraires 
du  dix  -  huitième  siècle  )  ,  un  ta- 
bleau fidèle,  neuf  et  intéressant  de 
la  cour  de  Saint  -  Pétersbourg  ,  et 
l'on  y  trouve  dçs  détails  que  l'on 
chercherait  vainement  ailleurs.  Mis- 
triss  Vigor  mourut  à  Windsor  ,  le 
7  sept.  1 783  ,  âgée  de  quatre-vingt- 
quatre  ans.  L. 

VIGUERIE  (Pierre),  né  à  Cai- 
cassonne  ,  vers  le  milieu  du  dix- hui- 
tième siècle ,  entreprit  de  composer 
une  histoire  de  cette  ville  ,  sujet  déjà 
traité  par  plusieurs  auteurs, mais  sans 
aucun  succès.  Viguerie  ne  fut  pas 
plus  heureux  ;  il  n'a  donné  dans  son 
premier  volume,  le  seul  qui  ait  paru 
en  i8o5,  qu'une  compilation  indi- 
geste, sans  goût  et  sans  méthode.  Les 
éléments  les  plus  disparates  forment 


486 


VIG 


celte  bizarre  production  où  l'on  trou- 
ve de  tout  ,  hors  l'iiistoire  de  Car- 
rassonne.  11  y  fait  nu  rccit  de  toutes 
le»  assemblées  nationales  qui  se  sont 
tenues  depuis  le  comnieijcemcnt  de  la 
monarchie,  et  dunne  la  liste  de  tous 
les  notaires  et  de  leurs  surccssems 
de  la  province  du  Lanjruedoc,  etc. 
Les  deux  volumes  restes  manuscrits 
ne  valent  sans  doute  pas  mieux 
que  le  premier ,  et  il  est  probable 
qu'ils  ne  verront  jamais  le  jour. 
L'auteur  mourut  en  i8i3.  —  Vi- 
GUERiE  (Jean) ,  chirurgien  de  l'Iiùtel- 
dieu  de  Toulouse,  ne  eu  174^  ^  et 
mort  en  1802  ,  fut  membre  de  l'aca- 
démie dos  sciences  de  cette  ville,  et 
publia  divers  Mémoires ,  entre  au- 
tres des  Ohseivalions  analomicn- 
chirurç^icalrs  sur  les  /'raclures  ,  sur 
la  réductibilité  du  sac  herniaire  , 
etc.  Z. 

VIGUIER(Paule  de),  plus  con- 
nue sous  le  nom  de  la  belle  Paule  , 
naquit  à  TouIou.se  en  i5i8.  Sa 
famille  était  oriifiuaiie  de  Gascouue, 
et  s  était  distiugiue  au  service  de 
l'Angleterre.  Froissart  nous  apprend 
que  son  bisaïeul,  IMessiie  Gaillard 
de  Viguicr  ,  !it  une  chei'auchee  à 
Navarret,  avec  IMessire  Thomas  de 
Phle'son,  se'uechal  d'A(piitaiue,  poiu' 
le  service  du  prince  de  Galles.  Kn 
1807,  il  combattit  sous  la  bannière 
de  Jean  Chandos,  et  sous  le  peunon 
de  Saint-Georges,  à  la  bataille  qui 
fut  donnée  entre  Nadres  et  Navarret. 
P(  u  de  temps  après ,  il  embrassa  le 
parti  de  la  France,  et  ses  desren- 
dants servirent  avec  honneur  dans 
les  armées  de  nos  rois.  Le  père  de 
Paule  s'étaut  établi  à  Toulouse ,  se 
maria  avec  Jacquctte  de  Laucefor  , 
d'une  famille  distinguée  par  sa  no- 
blesse. Pau'e  naquit  de  cette  union, 
en  i5i8,  vingt  ans  environ  après  la 
monde  la  célèbre  Clémence  Isaure. 


VIG 

Antoine  de  Viguier,  sou  frère,  fut 
grand-ccuyer  du  duc  d'Alençon  ,  frè- 
re de  Charles  IX.  La  beauté  de  Pau- 
le jeta  de  bonne  heure  un  grand  éclat, 
et  loisque  François  I<"''.  lit  une  entrée 
solennelle  dans  Toulouse  elle  fut 
choisie  pour  présenter  au  monarque 
les  clefs  de  la  ville.  Elle  avait  alors 
quatorze  ans,  elle  était  velue  d'une 
robe  blanche  ,  ornée  de  Heurs  ;  une 
guirlande  de  roses  ceignait  sa  tète  , 
d'où  tombaient  par  ondes  ses  che- 
veux dorés  et  bouclés;  le  contour 
pur  et  gracieux  de  sa  taille  élancée  , 
que  ceignait  une  écharpe  bleue,  rap- 
pelait les  belles  statues  grecques  que 
l'on  découvrait  à  cette  même  épocjuc 
en  Italie.  Paule  prononça  dans  cette 
occasion  une  harangue  eu  vers  fran- 
çais. La  modestie  empreinte  dans  ses 
traits  attachait  d'autant  plus  les 
regards  que  l'on  y  découvrait ,  dit  un 
auteur  contemporain  ,  l'image  des 
vertus  (|ui  dirigeaient  toutes  ses  ac- 
tions. Fiançois  I"'.  lui  donna  le 
nom  de  belle  Paule  ,  qui  lui  est 
l'esté.  Le  galant  monarque  ré- 
j)oudit  avec  beaucoup  de  grâce  à 
sou  discoins,  et,  ce  qui  est  mieux, 
respecta  son  innocence.  I\éunissant 
tant  d'altraits,  cette  femme  exlraor- 
dinairc  fut  recherchée  par  im  grand 
nombre  de.  gentilshommes.  El!.e  avait 
distingue  le  baron  de  Fontenille; 
mais  le  choix  de  ses  parents  se  lixa 
sur  le  sire  de  Bayuaguet,  conseiller 
au  parlement  de  Toulouse  ,  prompt 
et  hardi  capitaine  ,  ainsi  que  \v.  qua- 
lilieut  d'anciens  mémoires.  Paule 
ëtouirant  «es  soupirs  obéit  à  sa  fa- 
mille, et  la  célébration  du  mariage 
eut  lieu  dans  l'église  des  Grands-Au- 
gustms,  monument  religieux,  embelli 
parla  munificence  des  Laucefor  ,  qui 
y  avaient  placéleurs  sépultures.  Pau- 
le ne  fut  pas  long-temps  l'épouse  de 
Baynaguot  •  il  mourut  peu  d'années 


VIG 

après  son  ni.uiagc,  el  la  lûlle  veuve 
épousa  relui  (pi'elle  avait  elle-iuèiiie 
di.sliiii;uc',PIiilippedcI,aroclie,Laroii 
de  FonU'uiiic,  chevalier  désordres 
du  roi ,  capitaine  de  cinquante  lioni- 
nies  d'armes.  Elle  coula  des  jours 
heureux  avec  l'époux  de  son  choix  , 
el  se  conserva  long-temps  belle,  l^ors- 
(pie  (îatlierinc  de  Medicis  accorajia- 
gna  son  (ils  Charles  IX  à  Toulouse  , 
en  i5()3,  cette  j)rinces>e  demanda 
avec  enipiessement  ([u'une  femme  si 
rare  lMirùtpresente'e,eli]uoi([ue  celle- 
ci  eût  alors  «piarante-  cin([  ans  ,  elle 
parut  devant  toute  la  cour  avec  tant 
d'éclat,  (|ue  la  l'eine  en  fut  saisie  d'e- 
tonnement ,  et  cpie  le  connétable  de 
Montmorenci  s'ccria  dans  son  en- 
thousiasme :  La  baronne  cleFontc- 
nillc  est  une  des  merveilles  de  l'u- 
nivers ,  c'est  l'honneur  de  Toulouse 
et  de  son  siècle.  Paule  de  Vii;uier  ai- 
mait les  lettres  ;  son  esprit  avait  été 
cultivcavec  beaucoup  desoin  ,  et  l'on 
sait  qu'elle  lut  tous  les  bons  écrits 
qui  pariu'cnt  durant  sa  vie.  Un  trouve 
dans  un  ancien  registre  quelques 
vers  de  sa  composition  qui  ne  maii- 
quenl  ni  de  facilite,  ni  d'élégance. 
Nous  en  citerons  le  dixain  suivant, 
intitulé  :  De  la  mort  d'un  mienjils. 

\,e  tcndi-e  corps  de  mou  (ils  moiill  rliéi-i, 

Gll  jnuiuteiiaul  de-isous  lu  froide  laïuc  ; 

Aux  lieux  très-cluirs  doit  triompher  soname. 

Car  eu  vertus  toujours  il  fut  xiourri. 

Las  !  j'ai  perdu  ce  beau  rosier  llouri  , 

De  n\cs  vieux  aus  l'orgueil  et  l'etperauce; 

La  seule  luort  peut  donuer  aliégeauce 

Au  mal  cruel  cjui  uiou  ca'ur  a  uieurtrî; 

Oi  s  adieu  doue,  inou  eulaut  moult  cliéri , 

De  lui  mou  cœur  gardera  suuveuaucc  ! 

Ces  vers  rappellent  assez  bien  ceux 
dont  ou  a  fait  honneur  à  Clotilde 
Survillc,  et  nous  pensons  qu'ils  ont 
plus  d'authenticité  que  ceux  de  celte 
dame  (  Voy.  Surville  ).  Paule  de 
Viguier  ])arvint  à  une  longue  vieil- 
lesse; aimée,  admirée  de  ses  compa- 
triotes. Sa  maison  était  lui  temple 
élevé  aux  beaux-arts  ,  et  dans  lequel 


VIG 


/..S- 


se  reiida'cnl  à  l'envi  les  personnages 
les  plus  illustres  do  son  siècle.  Pen- 
dant le  temjis  des   troubles   el  des 
guerres  civiles  ,  cet  asile  de  l'hon- 
neur  et   de   la   vertu   fut   toujours 
respecte  par  les  deux  partis.    Va- 
licch,   auteur  to'.ilousain ,  qui,  sui- 
vant Lacroix  du  Maine  ,  s'était   fait 
une  réputation  par  ses  anagrammes, 
trouva  dans  le  nom    de   Paule  de 
Viguier ,  la  juire  vertu  fluide.  La 
marquise  de   Landjert  rapporte  que 
toutes  les  fois  qu'on  voyait   la  belle 
Paule,  on  se   pressait  à  tel  point, 
qu'il  en  arrivait  des  accidents.  Elle 
ajoute  que  la  ville  de  Toulouse  lui 
lit  un  procès,  pour  la  contraindie  de 
se  montrer  à  son  balcon ,  au  moins 
deux  fois  par  semaine.  Le  peuple  se 
serait  soulevé  s'il  eût  été  plus  long- 
temps  sans  la   voir.   Cette    femme 
accomplie    mourut    en    1610  ,    et 
fut   inhumée    auj)rès    de    sa    mère 
dans  le  tombeau  de  Lauccfor  ,  placé 
dans  la  chapelle  des  onze  mille  vier- 
ges, au  côté  droit  de  l'église  des  Au- 
gustins.  Ce  faiteslconstatépar  le  tes- 
tament de  Paule,  (jiii  porte  la  date 
du  26  septembre  iCio-j,  et  par  les  re- 
gistres de  la  sacristie  des  pères  Au- 
gustins  ;  ce  qui  dément  la  tradition 
répandue  par  les  Cordeliers  de  Tou- 
louse, qui  prétendaient  posséder  dans 
le  caveau  de  leur  église,  où  les  corps 
se  conservaient  en    forme    de   mo- 
mie ,  celui  de  la  belle  Paule.  Quelques 
pièces  de  vers   prouvent  que  cette 
mort  répandit  le  deuil  dans  Toulon 
se.  Gabriel  de  Miimt,  baron  de  Cas- 
teras,  sénéchal  de  Rouergue,  écri- 
vain distingue  par  ses  talents  poéti- 
ques et  i>ar  sa  profonde  érudition  , 
fut  l'un  de  ses  adorateurs  les  plus 
passionnés,  ainsi  qu'on  le  voit   par 
sou  ouvrage  intitulé  :  De  la  beauté  , 
dise  urs  divers ,  pris  sur  deux  belles 
façons  déparier,  desquelles  le  grec 


[HH 


VIG 


et  l'hébreu  usent  :  l'hébreu  tob  ,  et 
le  ^rec  calon  ,  Vagathon,  voulant 
sipiifier  ce  qui  est  naturellement 
beau  et  naturellement  bon ,  avec  la 
PiULE-GnAPHiE  ou  description des 
beautés  d'une  dame  toulousaine , 
nommée  la  belle  Paule.  Dans  ce  li- 
vre singulier,  dont  il  n'existe  que 
très-peu  d'exemplaires  ,  et  qui  lut 
publie' à  Lyon  eu  1587  ,  du  vivant 
de  Paille  de  Viguier,  par  Charlotte 
de  Minut,  sœur  du  baron  de  Caste- 
ras,  se  qualifiant  de  très-indigne ab- 
besse  du  pauvre  monastère  de  Sain- 
te-Claire de  Toulouse  ,  et  qui  est 
de'dic  à  Catherine  de  Me'dicis,  reine- 
mère  du  roi ,  l'auteur  décrit  toutes 
les  beautés  du  corps  de  la  belle  Pau- 
le ,  sans  en  excepter  une  seule.  Si 
tout  ce  que  l'on  raconte  de  la  vertu 
de  cette  belle  incom])arableest  exact, 
on  doit  supposer  que  son  adorateur 
n'a  ainsi  décrit  que  d'après  son  ima- 
gination une  partie  de  ses  attraits. 

Z. 
VIGUIER  (  Pierre  François  ) , 
orientaliste,  naquit  à  Besançon  le 
MO  juillet  1745.  Après  avoir  termine' 
ses  études  au  séminaire  de  celte  ville, 
sous  le  pieux  abbé  Pochard  (  V.  ce 
nom  ) ,  il  embrassa  l'état  ecclésiasti- 
que ,  et  résolut  de  se  consacrer  à  l'eu- 
s'eignement.  A  la  suppression  des  Jé- 
suites, il  obtint  la  chaire  de  rhétori- 
que au  collège  de  sa  ville  natale;  mais 
bientôt  après,  il  entra  dans  la  con- 
grégation de  Saint-Lazare  ,  et  fut 
cliargé  de  professer  la  théologie  au 
séminaire  de  Sens.  Il  fut  ensuite  en- 
voyé par  ses  supérieurs  ,  en  1772, 
sur  la  cote  d'Alger  ,  et  s'y  dévoua 
tout  entier  au  soulagement  des  escla- 
ves clirctieus.  Les  établissements  des 
Jésuites  dans  le  Levant  ayant  été 
accordés  par  le  pape  Pie  VI  et  Louis 
XVI  aux  Lazaristes,  le  P.  Viguier 
fut  nommé  préfet  apostolique  à  Cous- 


VIG 

tantinople  ,  où  il  se  rendit  en  1 783. 
Pendant  seize  ans ,  il  ne  cessa  de  tra- 
vailler avec  zèle  au  maintien  de  la  foi 
catholique  en  Orient.  La  coimaissance 
qu'il  acquit  des  langues  de  l'Asie  le 
mit  à  même  d'en  faciliter  l'étude  aux 
missionnaires ,  et  de  rendre  des  ser- 
vices importants  à  notre  commerce. 
De  retour  en  France ,  vers  1 802  ,  il 
fut  chargé  de  la  direction  des  Dames 
de  la  Charité,  dont  l'institution  ,  re- 
mise en  activité  jlui  dut  des  soins  de 
conservation  et  de  surveillance  qui 
manquaient  à  l'étabUssement  _,  par 
l'absence  de  l'ancien  supérieur.  De- 
puis la  rentrée  de  ce  dernier ,  qui  re- 
prit sa  place  ,1e  P.  Viguier  vécut  dans 
la  retraite  ,  occupé  de  recherches  sa- 
vantes ,  qui  toutes  avaient  pour  but 
immédiat  la  gloire  et  la  défense  de 
la  religion.  A  l'époque  où  le  gouver- 
nement sentit  la  nécessité  de  rétablir 
la  congrégation  de  Saint-Lazare  ,  le 
P.  Viguier  obtint  l'autorisation  de 
rester  dans  la  retraite  que  l'âge  et 
les  infirmités  lui  rendaient  de  plus  en 
plus  nécessaire  ;  mais  il  continua 
d'entretenir  avec  ses  anciens  con- 
frères des  relations  de  bienveillance 
et  d'amitié.  Ce  pieux  et  savant  mis- 
sionnaire mourut  à  Paris ,  le  7  février 
1821,  âgé  de  soixante-seize  ans.  Ou- 
tre des  éditions  revues  et  améliorées 
du  Sacrifice  perjjétuel  du  P.  Gour- 
dan  {r.  ce  nom,  XVIII,  ir)4),  et  du 
Discours  sur  la  vérité  de  la  religion 
chrétienne  ,  extrait  de  ['Histoire  de 
V établissement  du  Christianisme  , 
par  BuUet  (  F.  ce  nom  ,  VI ,  253  ), 
ou  a  du  P.  Viguier  :  I.  Eléments  de 
la  langue  turque ,  en  Tables  analy- 
tiques de  la  langue  turque  usuelle  , 
avec  leur  développement,  Constanti- 
nople,  1790,  in-4".  Cet  ouvrage, 
dont  il  oÛrit  la  dédicace  au  roi  Louis 
XVI ,  est  l'un  des  premiers  qui  soient 
sortis  de  l'imprimerie  que  ie  comte  de 


VIG 

Choiscnl-Gouffier  avait  établie  dans 
le  palais  de  l'ambassadeur  de  France. 
L'exposition  des  règles  grammatica- 
les est  suivie  de  leur  application  dans 
des  dialogues  ou  conversations  fami- 
lières ,  et  d'un  vocabulaire  franrais- 
turc.  Les  mots  turcs  sont  imprimés 
en  caractères  européens  ,  et  l'auteur 
a  toujours  eu  soin  d'en  déterminer 
la  prononciation.  Il  annonçait  (  pag. 
35o  )  la  publication  prochaine  de 
nouveaux  Dialogues  turcs  et  fran- 
çais,  en  4  vol.  in -8°.,  précédés 
d'un  5"^.  vol.  ,  contenant  un  Précis , 
dans  les  deux  langues ,  de  V Histoire 
sacrée  et  de  la  Religion  chrétienne. 
Le  rappel  de  M.  de  Clioisenl-Gouiiier 
et  le  malheur  des  temps  l'empèchc- 
rent  de  publier  les  ouvrages  qui 
devaient  faire  suite  aux  Éléments  de 
la  langue  turque  ^  mais  il  les  a  con- 
servés et  laissés  parmi  ses  papiers. 
IL  De  la  Distinction  primitive  des 
psaumes  en  monologues  et  en  dia- 
logues ,  ou  Exposition  de  ces  divins 
Cantiques,  tels  qu'ils  étaient  exécutés 
par  les  Lévites  dans  le  temple  de  Jé- 
rusalem ;  nouvelle  traduction,  accom- 
pagnée de  notes,  Paris,  i8o6et  iSo-^, 
1  vol.  in-i'i.  Cet  ouvrage  fort  esti- 
mable, que  l'auteur  avait  publié  à 
cette  époque  jiour  attirer  l'intérêt 
sur  sa  corporation  et  en  obtenir  le 
rétablissement,  a  été  réimprimé  avec 
de  nouveaux  développements  sous  ce 
titre  :  Exposition  du  sens  primitif 
des  psaumes ,  totalement  conservé 
dans  le  latin  de  la  Vulgate,  et  dans 
une  nouvelle  traduction  française 
mise  en  regard  du  texte ,  etc. ,  Paris , 
1818-19,  2  vol.  in-8*',  La  distinc- 
tion des  interlocuteurs  dans  les  psau- 
mes ,  quoique  appuyée  de  nouvelles 
preuves,  y  est  traitée  secondairement  j 
et  le  sens  original  du  texte  y  est  sur- 
tout l'objet  d'une  savante  et  lumi- 
neuse introduction.    lîl.    La  véri- 


VIL  489 

table  Prophétie  du  vénérable  Hol- 
zanzer  ,  etc.  ,  avec  l'explication  , 
Paris  ,  181 5  ,  in- 12.  IV.  Prophétie 
du  pape  Innocent  XI ,  précédée  de 
celle  d'un  anonyme  ,  dont  elle  est  la 
])araphrase,avecuneesplicationétei:- 
due,  ibid.,  1816,  in- 12.  y.  Le  vrai 
sens  du  psaume  G-j  -.Exurgat  Deus, 
ibid.,  1819,  in-8".  de  16  pag.  C'est 
une  critique  de  la  traduction  de 
M.  Genuude.  Le  P.  Viguier  a  revu 
la  traduction,  ])ar  M.  Denis ,  de  VA- 
brégé  de  la  Vie  de  saint  Joseph 
Copertino  ,  thaumaturge  et  pro- 
phète ,  en  )663  ,  canonisé  par  le 
pape  Clément  XIII,  ibid.,  1820, 
in- 1 2.  Quoique  les  derniers  ouvrages 
publiés  ou  revus  par  le  P.  Viguier 
annoncent  une  dévotion  un  peu  exal- 
tée par  le  sentiment  religieux ,  il  n'a- 
vait pas  moins  de  jugement  et  de 
goût  que  d'imagination  ;  outre  le 
chant  lévifique  des  psaumes  qu'il  a 
su  distinguer  assez  heureusement , 
comme  on  l'a  vu  ,  il  avait  traduit 
avec  succès  et  publié  en  français,  avec 
le  texte  ,  l'ouvrage  italien  intitulé  : 
De'  Ritratti  ,  etc.  Des  Portraits  , 
ou  Traité  pour  saisir  la  physiono- 
mie ,  par  J.-B.  De  Rubeis ,  Paris, 
Arthus  Bertrand,  1809  ,  in-4°- 
G— CE  et  W — s. 
VILARIS  (ÎVIarc-Hilaire),  chi- 
miste, naquit  à  Bordeaux  en  l'j'xo. 
Dès  qu'il  eut  achevé  ses  études  clas- 
siqueSjSou  père,  apothicaire  instruit, 
lui  enseigna  les  éléments  de  la  phar- 
macie ,  et  l'envoya  se  perfectionner 
à  Paris,  sous  la  direction  du  célèbre 
RoueHe  (  Foj.  ce  nom  ).  Vilaris  fut 
employé  dans  les  hôpitaux  del'armée 
de  Hanovre  ;  mais ,  indigné  des  dila- 
pidations et  des  désordres  dont  il 
était  le  témoin ,  il  donna  sa  démis- 
sion, et  revint  à  Bordeaux  ,  où  il  fit 
des  cours  de  chimie  ,  qui  contribuè- 
rent à  répandre  le  goût  d'une  science 


49" 


VIL 


que  l'on  confondait  encore  avec  la 
pharmacie.  Le  chagrin  qu'il  éprouva 
de  la  mort  d'une  jcime  personne  à 
latjucUe  il  était  sur  le  point  de  s'unir 
le  plongea  dans  une  mélancolie  pro- 
fonde. Son  père  ,  pour  le  distraire, 
lui  céda  sa  pharmacie.  Il  se  fit  rece- 
voir apothicaire  en  1748.  et  bien- 
tôt il  me'rila  l'estime  et  la  conliance 
générales  par  les  talents  qu'il  dé- 
ploya dans  l'exercice  de  sa  profes- 
sion. Il  engagea  ses  confrères  à  créer 
un  jardin  bolanique  ,  et  à  former  un 
établissement  pour  la  confection  des 
remèdes  pharmacculiques  ;  mais  il 
ue  put  réussir  à  les  convaincre  de 
l'utilité  de  ce  double  projet.  Persuadé 
qu'il  devait  exister  en  France  des 
carrières  de  terre  semblable  à  celle 
dont  on  fait  la  porcelaine  de  Sèvres , 
il  emjiloya  trois  ans  à  parcourir  la 
Guienne  et  les  proviuces  voisines,  et 
eut  enlin  le  bonheur  de  trouver  le 
kaolin  ,  en  1 757  ,  à  Saint-Yriex.  Sur 
l'avis  qu'il  s'empressa  d'en  donner 
au  gouvernement  ,  IMacqner  (  /^^.  ce 
nom  )  fut  envoyé  pour  constater 
cette  découverte  ,  à  laijuclle  on  doit 
la  manufacture  de  Limoges.  On  re- 
gardait alors  l'usage  des  viandes  sa- 
lées comme  la  principale  cause  du 
scorbut  ,  et  l'on  cherchait  en  cou- 
séquence  le  moyen  d'a|)provis!on- 
ner  les  vaisseaux  de  viandes  fraî- 
ches ou  préparées  sans  sel.  Vila- 
ris ,  après  des  essais  multipliés  , 
crut  l'avoir  trouvé  dans  la  dessic- 
cation. Une  expérience  faite  en 
1760  par  le  gouvernement  consta- 
ta que  des  viandes,  ainsi  préparées, 
pouvaient  rester  une  année  à  la  mer^ 
sans  éprouver  d'altération.  Cepen- 
dant l'inventeur  de  ce  procédé  resta 
sans  récompense ,  et  on  ne  lui  de- 
manda pas  même  la  communication 
de  son  secret  ;c,e  qui  prouve  que  l'on 
n'eu  connut  pas  l'impcrtancc.  Vila- 


VIL 

ris  imagina, quelque  temps  après, un 
moyen  de  fabriquer  le  sucre  d'une  ma- 
nière plus  économique  ;  et  il  o!ïnt,en 
1780  ,  de  passera  la  Marliniquepour 
y  établir  des  sucreries  ,  d'après  ses 
plans.  La  guerre  avec  l'Angleterre 
empêcha  l'exécution  de  ce  projet. 
Rebuté  par  les  dillicultés  qui  sem- 
blaient s'opposer  à  toutes  ses  entrc- 
])riscs  ,  il  passa  les  dernières  années 
de  sa  vie  dans  une  triste  indillércnce. 
Un  ami  l'ayant  prié  de  préparer  de 
l'extrait  de  ciguë  ,  il  eut  l'impru- 
dence de  faire  cette  opération  dans 
son  laboratoire.  Les  vapeurs  de 
cette  piaule  augmentèrent  un  mal 
de  tête  dont  il  souillait  depuis  dix 
ans,  et  il  mourut  le  26  mai  i7()i.ll 
p'tait  membre  de  l'académie  de  Bor- 
deaux depuis  175^,  et  c'est  dans  les 
Recueils  de  celte  compagnie  qu'où 
trouve  le  résultat  de  ses  expériences 
et  de  SCS  travaux.  Son  compatriote  , 
le  docteur  ïournon,  lui  a  consacré 
une  Notice  dans  le  Magasin  ency- 
clopédique ,  1798,  111  ,  54-61. 
W— s. 
VILATE  (Joacuim),  né,  en 
1768,  à  Ahun,  petite  ville  du  Li- 
mousin, qui  fait  aujourd'hui  partie 
du  département  de  la  Creuse,  était  le 
lilsd'un  médecin,  qui  mourut  de  bon- 
ne heure ,  et  laissa  sans  ressources  un 
grand  nombre  d'enfants.  Joachim 
était  l'aîné  de  cette  malheureuse  fa- 
mille. 11  fut  élevé  avec  quelque  soin 
à  Blodeix,  par  un  de  ses  oncles  ,  et 
termina  d'assez  bonnes  études  à  l'u- 
niversité de  Bourges.  Nommé,  peu 
de  temps  après,  professeur  au  collè- 
ge de  Gnéret,  il  passa,  en  1791 ,  à 
celui  de  Limoges ,  et  vint  à  Paris,  en 
179'^,  pour  étudier  la  médecine,  ou 
plutôt  afin  de  s'y  livrer  tout  entier  à 
son  goût  pour  la  politique  et  la  révo- 
lution. Il  fréquenta  très -assidûment 
le  club  des  Jacobins,  oîi  il  fit  cou- 


naissance  avec  les  hommes  les  plus 
inanjiiants  de  cette  époque.  11  con- 
courut de  tous  SCS  moyens  à  ratta(|ue 
du  château  des  Tuileries,  dans  la  jour- 
née du  1  0  août  1 792,  et  le  1 0  de'c.  sui- 
vant, il  (it  lioraniageàla  Con\eution 
d'un  Flan  d'éducation  républicai- 
ne,  dont  cette  asjcmblee  décréta 
une  mention  honoraLle.  Vilale  con- 
tinua de  se  montrer  ainsi  fort  dé- 
voue au  parti  le  plus  violent  et  le 
plus  exalte,  jusqu'à  la  révolution  du 
3i  mai  1793.  Après  le  triomphe  de 
Robespierre,  dans  cette  journée,  il 
accompagna  ,  comme  secrétaire  , 
les  représentants  Isabeau  et  Neveu 
dans  leur  mission  à  Bordeaux;  et  il 
parcourut  ensuite  plusieurs  dépar- 
tements ,  pour  y  observer  l'esprit 
public  ,  et  en  rendre  compte  au 
gouvernement.  Revenu  dans  la  ca- 
jiitale,  il  se  montra  de  plus  en  plus 
dévoue  aux  membres  du  (',omile  de 
salut  public ,  et  surtout  à  Darère  et 
à  Robespierre.  Loge'  par  eux  dans 
l'un  des  plus  beaux  anpartcmea^its  des 
Tuileries  ,  il  prit  le  nom  de  Sempro- 
niiis-  Gracchus ,  et  se  livra  à  toutes 
les  illusions  de  cette  époque.  Il  a  dit 
lui-même  que,  dans  l'ivresse  que  lui 
causa  cette  nouvelle  position,  il  se 
crut  transporté  avec  les  J3rutus ,  les 
Publicola  ,  dans  l'antique  Capitole  , 
après  l'expulsion  des  Tarquins.  Tout 
semble  indiquer  qu'il  était  alors  char- 
gé d'un  ministère  de  police  impor- 
tant. Faisant  grande  dépense ,  et 
recevant  beaucoup  de  monde ,  il  n'a- 
vait aucun  revenu ,  aucun  emploi  os- 
tensible qui  pût  y  sulllre.  On  le  nom- 
ma bieniôt  juré  du  tribunal  révolu- 
tionuaire.  Il  a  dit  depuis  que  ce  fut  à 
son  regret  qu'il  accepta  ces  redou- 
tables fonctions  ;  mais  rien  ne  prouve 
qu'il  ait  iiésité  à  les  lemplir. Ce  qu'il 
y  a  de  sur  ,  c'est  qu'il  ne  renonça 
point  à  son  métier  d'espion.  Il  paraît 


VIL 


4oi 


au  contraire  que  c'était  par  lui  que 
Robespierre  savait  tout  ce  qui  se  pas- 
sait au  sanglant  trilnmal.  Les  détails 
qu'on  lit  d.uis  ses  Mémoires,  sur  le 
com])tc  qu'il  rendità  Maximiiien^du 
procès  de  la  reine ,  au  moment  où  il 
venait  de  la  condamiicr ,  sont  fort  cu- 
rieux. C'était  surtout  contre  les  mem- 
bres de  la  Convention  nationale  que 
les  comités  employaient  Vilate.  Mais 
lorsque  leparlides  thermidoriens  prit 
un  peu  de  courage,  et  que  ses  op- 
presseurs commencèrent  à  perdre  de 
leur  puissance ,  plusieurs  députés,  en- 
tre autres  Chénier  et  Legendre  ,  dé- 
noncèrent positivement  l'espion  des 
comités;  et  il  fut  arrêté  et  conduit  à 
la  prison  de  la  Force  ,  huit  jours 
avant  la  chute  de  Robespierre.  Dans 
le  tumulte  de  la  journée  du  9  ther- 
midor ,  les  agents  de  la  commune  vin- 
rent à  sa  prison,  avec  un  ordre  pour 
le  mettre  en  liberté  ;  mais  au  moment 
où  cet  ordre  allait  cire  exécuté,  des 
commissaires  de  la  Convention  s'y 
opposèrent  ;  et  il  resta  prisonnier  jus- 
qu'au moment  où  le  tribunal  révolu- 
tionnaire fut  lui-même  mis  en  juge- 
ment. Vilate  (it,  pendant  un  an  que 
dura  sa  captivité, beaucoup d'elTorts 
pour  se  soustraire  au  supplice  dont  il 
était  menacé;  et  il  publia  successive- 
ment trois  espèces  de  >Iémoires  justi- 
ficatifs, sous  ers  titres  :  I.  Causes  se- 
crètes de  la  révolution  du  9  thermi- 
dor,  in-8".,  1795.  II.  Continuation 
des  Causes  secrètes  ,  etc.  III.  Mys- 
tères de  la  mère  de  Dieu  dévoilés , 
etc.  {Foy.  ThÉos).  Dans  ces  écrits  , 
très  -  curieux  pour  l'histoire,  Vilate 
n'oublia  rien  de  ce  qui  pouvait  re- 
pousser l'accusation  de  complicité 
avec  Robespierre;  et  il  dévoila  une 
grande  partie  des  iniquités  de  cette 
époque.  Comme  Séuart ,  il  avait  été 
à  portée  de  les  bien  voirj  et  si  l'on 
eu  excepte  quelques  réticences ,  dans 


492 


VIL 


l'intérêt  de  sa  justification,  tout  y 
concourt  à  jeter  la  lumière  sur  les  cri- 
mes de  ces  temps  déplorables.  Ces 
Mémoires  sont  beaucoup  mieux  écrits 
que  celui  de  Sénartj  et  tous  les  noms 
y  sont  imprimés  eu  toutes  lettres  , 
avantage  que  n'ont  pas  offert  les 
éditeurs  de  celui-ci.  Vilate  n'obtint 
pas,  en  les  publiant,  le  but  qu'd 
s'était  proposé.  Le  public  les  lut 
avec  beaucoup  d'empressement ,  par- 
ce qu'ils  contenaient  des  faits  cu- 
rieux sur  la  tyrannie  qui  venait 
d'être  i-en versée  j  mais  les  conven- 
tionnels ,  qui  connaissaient  l'au- 
teur, ne  purent  oublier  le  rôle  in- 
fâme qu'il  avait  joué,  Lcgendre  dit 
positivement  à  la  tribune  qu'il  avait 
été  l'espion  des  comités;  et  Barère, 
repoussant  toute  espèce  d'intimité 
avec  lui,  dit  qu'il  avait  été  le  bour- 
reau de  la  représentation  nationa- 
le. Ce  fut  sous  de  tels  auspices  qu'on 
traduisit  Vilalc  au  nouveau  tribunal 
révolutionnaire,  avec  les  membres  de 
l'ancien  (  F.  Fouquier-  Tinville  ). 
Il  fut  condamné  à  mort ,  comme  la 
plupart  de  ses  confrères  ,  et  exécuté 
le  7  mai  1795.  Lorsqu'il  entendit  son 
arrêt ,  il  se  répandit  en  violentes  in- 
vectives contre  ses  juges,  et  parut 
avoir  perdu  la  raison,  llavait  publié, 
en  frimaire  an  11  (déc.  1793),  un  pe- 
tit écrit  mùiuU:  De  nos  maux  et  des 
remèdes  qu  il  faut  y  apporter.  Ses 
Mémoires  ont  été  annoncés  dans  la 
Collection  des  Mémoires  relatifs  à 
la  révolution;  mais  ils  ne  s'y  trou- 
vent pas  encore.  M— d  j. 

\1LLA  (  GuiDo  ,  marquis  de  )  , 
Ferrarais  d'origine,  se  distingua,  au 
milieu  du  dix-septième  siècle  ,  dans 
les  guerresduPicmont.il  s'étaitatta- 
ché  à  ftladame  royale,  Christine  de 
Savoie,  sœur  de  Louis  XIII,  et  il 
lui  fut  toujours  fidèle  pendant  une 
régence  orageuse,  tandis  que  le  Pié- 


-^VIL 

mont  était  decniré  par  des  guerres 
civiles  .  et  que  les  Français  et  les 
Espagnols  cherchaient  également  à 
s'en  emparer.  Il  mérita  la  réputa- 
tion de  sage  conseiller,  de  sujet  fidèle 
et  d'habile  général.  Il  fut  tué  ,  le  24 
août  1(348 ,  d'un  coup  de  canon,  au 
siège  de  Crémone.  \'illa  était  alors 
décoré  du  grade  de  lieutenant-géné- 
ral au  service  de  France.  Voy.  Sa- 
voie (  Charles-Emanuel  II  ).  Laur. 
Crazzo  a  publié  la  Vie  de  ce  général 
dans  les  Elogi  degli  capitani  illus- 
<ri,pag.  248.  S.  S — I. 

VILLA  ou  VILLE  (  GniaoN 
Fkançois  ,  marquis  de  )  ,  fils  du 
précédent ,  fut  aussi  un  des  généraux 
les  plus  distingués  de  son  temps. 
Son  bisaïeul  avait  signalé  son  cou- 
rage à  la  bataille  de  Lépante  (  Foy. 
D.  Juan  d'Autriche  ).  Héritier 
des  talents  et  de  la  valeur  de  ses 
ancêtres  ,  le  jeune  Villa  s'était  ren- 
du célèbre  dans  les  guerres  d'Ita- 
lie. Les  Vénitiens  étaient  brouillés  , 
depuis  trente  ans,  avec  le  duc  de 
Savoie,  parce  que  ce  prince  avait 
pris  le  titre  de  roi  de  Chypre  ;  mais 
lorsqu'ils  virent  les  Turcs  disposés 
à  recommencer  le  siège  de  Candie 
(i66>),  faisant  taire  leur  orgueil, 
ils  lui  demandèrent  de  les  aider  à 
repousser  l'ennemi  commun.  Le  duc 
de  Savoie  leur  accorda  deux  régi- 
ments ,  et  permit  à  Villa  d'offrir 
ses  services  à  la  répid>lique.  Nommé 
général  en  chef  de  l'infanterie  véni- 
tienne ,  il  s'embarqua  dans  le  mois 
d'octobre  avec  un  corps  de  dix 
mille  hommes.  A  son  arrivée  ,  il 
voulut  tenter  un  coup  de  main  sur 
la  Canée;  mais  les  troupes  fatiguées 
de  la  traversée,  et  d'ailleurs  incom- 
modées par  la  pluie  qui  tombait  en 
torrents ,  ne  purent  que  dililcilement 
avancer.  Les  Turcs  ,  avertis  ,  tom- 
bèi'ent  sur  l'avant  -  garde  ,  la  bat- 


VIL 

tirent  ,  et  forcèrent  Villa  à  renon- 
cer à  sou  projet.  11  construisit 
nn  camp  retranche  sons  les  murs  de 
Candie  ,  et  se  soutint  dans  cette  po- 
sition contre  les  attaques  continuelles 
des  Turcs, depuis  le  16  avril  jusqu'à 
la  lin  de  mai  1G66,  Force'  de  se  ren- 
fermer dans  la  place,  dont  la  garni- 
son était  allaiblie  par  les  fièvres  ,  il 
redoubla  de  zèle  et  d'activité' ,  ruina 
les  travaux  des  Turcs  dans  plusieurs 
sorties  ,  et  leur  causa  de  grandes  per- 
tes. L'anne'c  suivante ,  le  grand-vézir 
Aclimct  Koproli  (  Voy.  ce  nom , 
XXII ,  543  )  e'tant  venu  prendre 
la  direction  du  siège  de  Candie  , 
Villa  _,  avec  un  petit  nombre  de  sol- 
dats ,  sut  repousser  toutes  ses  atta- 
ques, et  quoique  blesse  dans  plusieurs 
assauts  ne  cessa  jamais  de  donner 
l'exemple  de  tous  les  genres  de  cou- 
rage et  de  dévouement.  Un  ordre 
du  duc  de  Savoie  le  força  de  quit- 
ter Candie ,  dont  il  avait  glorieuse- 
ment prolonge  la  défense  (  i  ) .  Il  s'em- 
barqua dans  le  mois  de  mai  iG(J8 
pour  Venise,  et  revint  à  Turin,  oîi  il 
mourut pcudeteraps  après  des  suites 
de  ses  blessures.  J.-B.  Hostagno,  con- 
seiller et  secrétaire  d'ètal  du  duc  de 
Savoie  ,  a  publie  ses  Mémoires  ,  en 
italien  ,  sous  ce  titre  :  Fiaggi  dcl 
marchese  Ghiron  Francesco  Villa 
(•-î)  ,m  Dalmatia  e  Levante;  con  la 
relazione  de'  successi  di  Candia  , 
etc.  ,  Turin,  1668,  in-4".  (3).  11  en 
existe  deux  traductions  abrégées  en 
français  ,  l'une  par  Joseph  Ducros  , 
Paris  ou  Lyon,  ifiGQ,  in-12  ;  et 
l'autre  ,  par  d'Alquié  (  F.  ce  nom  ), 


(l'iVoy.  Vllisloiie  de  J^enise ,  par  M.  Daru , 
livre  XXXlir. 

(7.)  Boucher  de  la  Ricbarderie  traduit  ainsi  rc 
titre  :  Voyage  de  Francis  P^Ula ,  nicirr/iiis  de  Olil- 
ion  ,  etc.  Dihl.  des  vojnges ,  II ,  iQn. 

(3)  George  Lierclo  a  jiulilië  :  //  p^iaggio  dcl 
marchese  Villain  Levante,  cwero  Vasscdio  di  Can- 
dia, Venise,  1G71 ,  iu-ii. 


VIL  493 

Amsterdam,  167 1  ,  in- 12.  Suivant 
Lenglet-Dufresnoy ,  tout  est  bien  dé- 
taillé dans  ces  Mémoires  ,  et  ce  sont 
les  meilleurs  qu'on  puisse  lire  pour 
le  siège  de  Candie  (  Méth.  pour  étu- 
dier l'histoire,  xii,  824,  édition 
in- 12).  W — s. 

VILLA  (  Ange-Tueodore)  ^  sa- 
vant helléniste,  était  né,  vers  1720  , 
dans  un  bourg  du  Pavesan ,  d'une 
famille  originaire  de  Milan  i).  La 
manière  brillante  dont  il  termina  ses 
études  lui  mérita  la  bienveillance  du 
comte  Charles  Firrnian,  zélé  protec- 
teur des  lettres.  Sur  la  recomman- 
dation de  ce  seigneur,  il  fut  pourvu 
de  la  chaire  d'éloquence  et  de  grec  à 
l'université  de  Pavie.  L'abbé  Villa 
remplit  cet  emploi  avec  la  plus  gran- 
de distinction.  11  partagea  son  temps 
entre  ses  devoirs  et  le  culte  des  Mu- 
ses ,  et  mourut  en  1 794  >  dans 
un  âge  avancé.  C'est  à  lui  qu'on 
doit  la  publication  de  la  Bihliot. 
degli  volgarizzatori  de  l'Aigelati 
(  Foj.  ce  nom  ).  Les  corrections  et 
les  additions  nombreuses  dont  il  en- 
richit cet  ouvrage  en  forment  le 
tome  v.  Indépendamment  d'une  foule 
d'opuscules  dans  la  Puiccolta  Mila- 
nese  ,  dont  il  fut  l'un  des  fonda- 
teurs ,  on  cite  de  lui  :  I.  Le  poème 
de  Coluthus  sur  l'enlèvement  d'Hé- 
lène ,  traduit  en  vers  italiens  ,  avec 
le  texte  grec  ,  revu  et  corrigé  d'a- 
près un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
Ambrosicnne,  Milan,  1749,  in-S», 
Cette  édition  fut  reproduite  en 
1753,  avec  nn  nouveau  frontispice , 
et  augmentée  de  la  traduction  des 
harangues  de  Gorgias  et  à^lso- 
crate  ,  et  de  l'Idylle  de  The'o- 
crite  relative  à  Hélène.  Elle  est- 
précédée  d'une  dissertation   sur  la 


(1)  Le  P.  Paitorri  donne  A  Villa  le  litre  de  IMila^ 
nese  dans  la  table  de  la  liibliotli.  de^li  vcIsLaiizza- 


494  VIL 

culture  des  lettres  grecques  à  Milan; 
l'auteur  y  passe  en  revue  les  savants 
qui  re'paudireut  tant  d'éclat  sur  celte 
ville  dès  le  qniuzicrae  siècle,  tels  que 
Clirvsoloras  ,  Dc'metrius  Clialcon- 
dyle  ,  Fr.  Plulelplie  ,  etc. ,  et  y  jette 
Tui  coup-d'œil  rapide  sur  l'origine  de 
la  bibliothèque  Ambrosienne  et  ses 
accroisscmcntssuccessifs.  II. Des  tra- 
ductions m  versi  sciolti  de  la  Conso- 
lation à  Livie  sur  la  mort  de  Dru- 
sus  ,  par  C.  Pedo  Alhinovanus ;  du 
Noyer  et  de  quelques  Epîtres  d'O- 
vide dans  le  tome  xx\i  ,  et  de  quel- 
ques comédies  do  Plaute  dans  le 
tome  xxxviidu  Corpus  omnium poe- 
tarnm  latinor.  ,  Milan,  i-jSi-GS, 
in-4".  Avant  I7^>7,  •'  avait  termine 
des  trad  .:tious  in  versi  sciolti  de 
Trjj)hiodore, de Phocj'lifle ,  de  FA- 
lexipliarmaquc  de  Ni  ceindre ,  etc.  ; 
mais  le  succès  des  versions  de  Salvi- 
ni  (  Fb/.  ce  nom  )  l'empêcha  de 
publier  ce  qu'il  en  avait  traduit. 
Il  avait  entrepris  aussi  la  traduc- 
tion de  V  Odyssée  d'Homère  in 
ottava  rima  ;  mais  il  abandonna 
ce  travail  au  quatrième  livre,  en 
sonhaitant  qu'un  c'crivam  plus  ha- 
Lile  et  plus  laborieux  voulût  enfin  se 
charger  de  faire  connaître  à  !a  na- 
tion Italienne  les  beautés  simples  et 
naturelles  d'Homère  ,  dans  une  bonne 
traduction  en  prose.  III.  Orationcs 
academicœ  ,  Pavie  ,  1 7  78  -  1 780  , 
in -8".  IV.  Lezioni  d' eloquenza , 
etc.,  ibid. ,  1780  ,  in-8''.  Cet  ouvra- 
ge est  divisé  en  trois  parties.  La 
prr-mière  est  une  introduction  à  l'é- 
tude de  l'éloquence  ;  la  seconde  en 
contient  l'histoire,  et  la  troisième  les 
préceptes.  V.  De  studiis  litterariis 
Ticinensium  ante  Galeatium  11  vice- 
comitem ,  ib.,  1 782,  in-H».  L'auteur 
y  combat  l'opinion  accréditée  par 
plusieurs  savants,  que  l'université  de 
Pavie  reconnaît  Charlemagne  pour 


VIL 

son  fondateur.  Si  par  université  I'ob 
veut  entendre  une  école  publiqne  ^ 
Villa  ]irouve  que  Pavie  en  possédait 
une  long -temps  avant  le  règne  de 
ce  prince  ;  mais  si  l'on  attache  à  ce 
mot  son  véritable  sens  ,  il  démontre 
que  Pavie  n'a  pas  eu  d'université 
avant  l'aimée  i36i.  Cette  Disserta- 
tion est  citée  avec  éloge  par  Tira- 
bosclii  dans  la  Storia  délia  lettera- 
tura  ilaliana ,  \\\  ,  169.     W — s. 

VILLALOBOS  (François  Lope 
DE  ) ,  médecin  et  poète  ,  était  né  vers 
1480,  à  Tolède,  d'une  famille  noble. 
Il  achevait  ses  études  à  l'université 
de  Salamanque,  lorsqu'à  la  demande 
du  marquis  d'Astorga  il  mit  en  vers 
de  douze  syllabes  (  de  arte  mayor) 
V Abrégé  de  la  doctrine  médicale 
d'Avicenne.  Passionné  pour  les  re- 
présentations théâtrales  ,  et  mécon- 
tent, avec  raison  ,  des  j)ièces  qu'on 
jouait  à  cette  époque  ,  il  essaya  de 
décider  ses  compatriotes  à  prendre 
les  ouvrages  des  anciens  pour  mo- 
dèles de  leurs  compositions  drama- 
tiques. Ce  fut  dans  ce  but  qu'en 
i5i5  il  publia  la  traduction  en 
proj^e  de  ['Amphitryon  de  Plante. 
Cette  tentative,  qui  trouva  pourtant 
quelipies  imitateurs  parmi  les  érudits, 
n'eut  aucun  succès.  Torres  de  Na- 
haro ,  Jean  de  Cueva  et  quelques 
autres  poètes  moins  connus  surent 
mieux  deviner  le  goût  de  la  nation 
espagnole  ;  en  s'alfranchissant  de 
toutes  les  règles  établies  par  les 
Gi-ecs  et  les  Latins ,  ils  devinrent 
les  créateurs  d'un  nouveau  genre, 
que  Lope  de  Véga  ,  Calderon  et 
leurs  successeurs  ont  perfection- 
né depuis.  Découragé  ]jar  l'inutili- 
té de  ses  elTorts  ,  Villalobos  revint 
à  la  pratique  de  l'art  médical ,  et  s'y 
livra  tout  entier;  ses  talents  lui  méri- 
tèrent la  confiance  de  Charles-Quint. 
Nommé   médecin    ordinaire   de   ce 


VIL 

prince  ,  il  remplit  ensuite  les  mêmes 
fonctions  près  de  Philippe  II  ,  et 
mourut  vers  i56o  ,  dans  un  à^e 
très-avance.  On  connaît  delui:I.  El 
swnario  de  la  mecUcina  ;  con  un 
Iratado  sobre  las  pestiferas  huhas , 
Salamanque',  i49'^î  in-fol.;  volume 
très-rare.  Asfruc  avait  fait  de  vaines 
iTclierches  pour  se  le  procurer  (  V. 
de  viorh.  venereis ,  675  ).  On  en 
trouve  la  description  dans  le  Cata- 
logue ào.  Laserna  de  Santander,  n". 
3io5.  Il  est  divise  en  deux  parties  : 
la  première  contient ,  comme  on  l'a 
dit ,  un  abrège  de  la  doctrine  d'Avi- 
cenne  ,  en  vers  ;  et  la  seconde ,  un 
traite  sur  la  maladie  vénérienne.  C'est 
le  premier  ouvrage  public  en  Espa- 
gne sur  cette  maladie  ;  elle  n'y  était 
j)as  connue  ,  si  l'on  en  croit  l'auteur, 
avant  l'aïuK'e  \\';l\  ,  oii  elle  fut  ob- 
servée à  Madrid  pendant  le  séjour 
qu'y  l'irent  Ferdinand  et  Isabelle.  II. 
Glossa  in  Plinii  historiœ  naluralis 
prinium  et  secundwn  libros,  Alcala, 
i524  •>  i»-f<>l'  III-  Prohlema  con 
otros  dialns!^os  de  medicina  ,  y  fa- 
miliares  .  Zamora  ,  i543  ,  in- fol. 
Ces  deux,  derniers  oiivrages  sont  très- 
rares  en  France,  où  on  ne  les  trouve 
pas  dans  les  plus  grandes  bibliotliè- 
ques.  W — s. 

VILL  ALOEOS  (  Ru  y  Lopez  de  ) , 
navigateur  espagnol ,  fut  expédié,  en 
i54'i  ,  par  Don  An(onio  de  Mendo- 
za,  vice-roi  de  la  Nouvelle-Espagne, 
avec  deux  vaisseaux  ,  une  galère  et 
deux  pataclies  pour  reconnaître  les 
îles  situées  à  l'ouest. Ilpartitdu port 
de  Juan  Gallego  le  i*=''.  novembre. 
Après  avoir  parcouru  cent  quatre- 
vingts  lieues,  ii  découvrit,  sous  18° 
3o'  de  latitude  nord,  deux  îles  dé- 
sertes, éloignées  l'une  de  l'autre  de 
douze  lieues.  Il  nomma  l'une  Santa 
Tome ,  et  l'autre  la  ATaihlada.  A 
quatre-vingts  lieues   plus   loin,    il 


VIL 


495 


trouva  une  autre  île  à  laquelle  il  don- 
na le  nom  de  Roca  Partida  ,  et  à 
soixante -deux  lieues  au-delà  ,  un 
groupe  d'îles,  dont  les  habitants 
étaient  très-pauvres.  Il  nomma  ces 
îles  l'Archipel  del  Coral.  Villalobos 
y  mouilla  pour  renouveler  sa  provi- 
sion d'eau  ;  puis  ,  contuuiant  sa 
course,  il  découvrit,  le  6  janvier 
1543,  dix  autres  îles, que  leur  beau- 
té lui  fit  nommer  Los  Jardines.  El- 
les sont  situées  entre  le  9*^  et  le  1 0°  de 
latitude  N.  Eu  les  quittant,  et  après 
avoir  fait  cent  lieues  au  couchant,  le 
vaisseau  de  Villalobos  périt  dans  une 
tempête^  mais  ce  navigateur  et  son 
équipage  purent  se  sauver  dans  les 
petits  bâtiments.  Le  10  ,  après  avoir 
fait  encore  cinquante  lieues  ,  les  Es- 
pagnols aperçurent  une  île  charman- 
te, etqui  leur  parut  peuplée. Les  ha- 
bitants Avnrent  au-devant  d'eux  dans 
des  canots,  et  leur  disaient,  en  faisant 
le  signe  de  la  croix  :  Buenos  dias  , 
mrtfa/ofe5  ,  circonstance  qui  lit  don- 
ner à  cette  île  le  nom  d'île  de  los 
matalotes.  Villalobos  en  décou- 
vrit ensuite  une  autre  pins  grande 
que  la  précédente,  et  qu'il  appela 
île  de  los  Arracijes ,  parce  qu'elle 
était  bordée  d'écueils.  Le  2  février 
il  entra  dans  la  baie  de  Malaga,  si- 
tuée par  les  7  degrés  de  latitude,  et 
qui  appartient  <à  une  île  à  laquelle  il 
donna  le  nom  de  Cœsarea  Caruli , 
si  grande,  qu'elle  a  trois  cent  cin- 
quante lieues  de  circonférence.  Il  en 
prit  possession  au  nom  de  la  cou- 
ronne d'Espagne,  et  y  eût  établi  une 
colonie  si  le  climat  ne  lui  eût  pas  pa- 
ru mal  sain.  Cette  île ,  suivant  Her- 
rera,  est  à  plus  de  quinze  cents  lieues 
du  port  de  la  Navidad  ,  dans  la 
Nouvelle-Espagne  ,  et  au  7™^.  degré 
de  latitude.  D'après  la  grandeur  que 
Villalobos  lui  donne,  et  la  distance 
à  laquelle   il   la  place    de   celle   de 


496  VI L- 

Mindan.no  ,  il  est  probable  que  c'est 
l'île  de  I.iiçon,  quoique  celle-ci  soit 
située  plu.s  au  nord.  Le  navigateur 
espagnol  y  se'journa  un  mois.  Son 
intention  était  de  se  diriger  au  nord 
vers  rîle  de  Macagua  ;  mais  le 
temps  contraire  et  la  force  des  cou- 
rants le  portèrent  au  midi ,  et  ayant 
côtoyé  la  Cœsarea ,  pendant  soi- 
xante lieues  ,  il  vit  deux  petites 
îles  séparées  de  la  grande  ,  et  à 
quatre  lieues  au  sud.  Il  se  rendit 
dans  l'une  d'elles  pour  prendre  lan- 
gue, le  lundi  2  avril;  mais  il  l'ut 
fort  mal  accueilli  par  les  habitants 
qui  lui  tuèrent  six  hommes  :  il  don- 
na à  cette  île  le  nom  diAntonia  ou 
Saragan.  Malgré  la  résistance  des 
naturels,  il  les  débusqua  d'une  roche 
elcA'ée  où  ils  s'étaient  fortifiés  avec  des 
palissades ,  et  trouva  sur  cette  émi- 
nencc  de  la  porcelame,  beaucoup 
de  musc  ,  de  l'ambre ,  de  la  ci- 
vette, du  benjoin  ,  du  storax  et 
d'autres  parfums  en  pastdles  et  en 
huiles, dont  les  habitants  fontusagc, 
et  qu'ilsachèlentà  IMindanao  et  dans 
les  autres  îles  philippines.  Les  Es- 
pagnols y  trouvèrent  aussi  des  mor- 
ceaux d'or  et  des  réseaux  de  cette 
matière.  Lorsqu'il  eut  rassemblé  le 
butin  ,  Villalobos  en  réclama  la  sep- 
tième partie  et  un  joyau ,  ce  qui  lui 
fut  accordé;  les  ofiiciers  du  vice-roi 
ayant  aussi  réclamé  une  part  pour 
celui-ci,  les  soldats  s'y  opposèrent, 
en  disant  qu'il  n'était  pas  juste  de 
jiayer  des  droits  à  deux  généraux. 
Quant  au  quint  du  roi ,  Villalo- 
bos voulut  qu'il  ne  fût  prélevé  que 
sur  l'or ,  l'argent  et  les  pierreries. 
Malgré  la  résistance  de  ses  gens ,  il 
les  détermina  à  semer  du  maïs  dans 
celte  île ,  et  leur  donna  le  premier 
l'exemple.  La  récolte  qu'ils  firentser- 
vità  les  garantir,  pour  le  moment,  de 
la  famine;  mais  leurs  provisions  étant 


VIL 

épuisées  ,  il  envoya  Bernardo  de  la 
Torre  à  Mindanao  ,  île  située,  sui- 
vant Herrera ,  à  5o  lieues  de  Caesa- 
rea  ;  mais  le  roi  ou  souverain  nom- 
mé 5rtrn/^e«,  refusa  de  leur  donner 
aucun  secours;  Villalobos  éprouva  de 
semblables  refus  dans  les  autres  îles, 
et  se  détermina  alors  à  envoyer  un 
de  ses  navires  à  la  Nouvelle-Espagne 
pour  instruire  le  vice-roi  de  leur 
situation,  tnfin  on  atteignit  Gilolo, 
dont  le  roi  reçut  humainement  les 
Espagnols  malgré  les  menaces  des 
Portugais.  Le  navire  le  San  Juan  , 
qui  avait  été  expédié  à  la  Nouvelle- 
Espagne  le '26  août  1543  de  Sara- 
gau  ou  Antonia  ,  ne  put  parvenir  à 
sa  destination  ,  et  il  rejoignit  Villa- 
lobos à  Tidor.  On  trouvera  ,  dans  la 
relation  un  peu  confuse  d'Herrera , 
le  détail  des  soulFrances  que  les  Lls- 
pagnols  éprouvèrent  par  suite  du 
refus  des  Portugais  de  leur  fournir 
des  vivres.  Enfin  ,  accablé  de  cha- 
grin ,  Villalobos  alla  mourir  dans  l'î- 
le d'Amboine.  Trois  de  ses  vaisseaux 
avaient  fait  naufrage.  Les  Espagnols 
qui  survécurent  furent  contraints  , 
après  avoir  éprouvé  mille  maux ,  de 
se  livrer  aux  Portugais  ;,  leurs  enne- 
mis ,  qui  les  renvoyèrent  en  Europe. 
Ce  navigateur  ,  étant  à  ïernale , 
adressa  au  gouverneur  portugais  une 
lettre  dans  laquelle  il  faisait  la  des- 
cription des  îles  qu'il  avait  vues. 
Son  Anublada  est  nommée  au- 
jourd'hui San  Benedilto.  Les  îles 
del  Coral  et  los  Jardines  font  par- 
tie des  groupes  orientaux  de  l'ar- 
chipel des  Carolines.  Les  Matalo- 
tes  appartiennent  au  groupe  le  plus 
occidental.  Elles  ont  conservé  leur 
nom.  Les  Arracifes  sont  les  îles  Pelew, 
dont  les  habitants  ont  acquis  une  si 
grande  célébrité  par  l'accueil  hos- 
pitalier qu'ils  firent .  en  i-^SS  ,  à  des 
Anglais  naufragés.  Voyez,,  pour  de 


VIL 

plus  grands  ActnWs  ,]a  septième  Dé- 
catie d' H  errera ,  livre  v  ,  et  le  Trai- 
té des  (lifféreiiis  chemins  ,  etc. , 
avec  les  découvertes  fdiles  jusqu'en 
l55o  ,  par  D.  Ant.  Gaivan  (  i  ). 
D — z — s  et  E — s. 
YILLALPANDf  Jean-Baptiste), 
jc'suite,  ne,  en  i55a,  à  Cordouc,  an- 
nonça, des  sa  ieuncsse,  des  disposi- 
tions pour  les  arts,  et  acquit  des  con- 
naissances fort  éleuducs  dans  les  ma- 
thématiques et  l'arcliitecture.  Admis, 
à  seize  ans,  dans  l'institut  de  saint 
Ignace,  il  fut  place  auprès  du  P. 
Jérôme  Prado  (  i  ) ,  son  compati'io- 
te,  et  fit,  sous  la  direction  de  cet 
habile  maître,  de  rapides  progrès 
dans  la  litte'rature  sacrée.  Le  P. 
Prado ,  sur  l'invitation  du  roi  Piùlip- 
pe  II  ,  ayant  entrepris  d'expliquer 
les  Propliéîies  d'Ézéchiel ,  associa 
Viilalpand  à  son  travail,  et  le  con- 
duisit à  Rome,  oi!i  ils  devaient  trou- 
ver plus  de  ressources  pour  ce  grand 
ouvrage.  La  tâche  de  \  illalpand  de- 
vait se  borner  à  la  description  du 
temple  de  Jérusalem ,  que  le  projihète 
voit  dans  une  extase  (  ch.  4^,4^  et 
4'i  )  ;  mais  le  P.  Prado  mourut,  lais- 
sant son  commentaire  incomplet;  et 
Villalpand  se  chargea  dcle  continuer. 
Ép'iisé  de  fatigues,  il  mourut  lui- 
même  avant  de  l'avoir  termine ,  à 
Rome,  le  23  mai  1608,  à  l'âge  de 
cinquante-six  ans.  Leur  grand  ouvra- 

(t^I  La  relaliou  ori|];inale  des  iia^ii^atiojis  de 
Villalolio-,  a  été  retrouvée  par  M.  Marllii  Fernan- 
de/, de  \avarrete  ,  directeur  du  dépôt  hydrogra- 
phique de  Madrid  ,  et  elle  sera  imprîmce  dans  la 
Collection  des  nm'i§ations  et  découvertes  des  Es- 
pagnols depuis  la  fin  du  quinzième  siècle  ,  dont 
l'auteur  de  celle  note  publie  en  ce  momeut  la 
traduction.  H — z — S. 

(i)  Le  P.  JcroTie  Prado,  né  vers  1547  à  Bac- 
ca  ,  diocèse  de  Jacn  ,  (it  ses  éludes  à  l'université 
de  sa  ville  natale,  oîi  il  reçut  le  laurier  doctoral  , 
et  avant  embrassé  la  règle  de  saint  Ignace,  eu 
^  lâ-jTi-,    professa   quelque   temps    à    Cordoue,   avec 

nne  grande  répulatiou.  Il  raournl  h  Rome,  en  jan- 
vier i5r)5,,à  4s  ans,  laissant  ,  outre  son  Commen- 
iirc  suf  Ezéchiel ^  divers  ouvrages  manuscrits, 
l'iiil  on    trouvera  les   titres  dans  la  Z?ié/.  jor       du 

y.  Sotuei.  p.  34(». 

XLVIIT. 


VIL  497 

go  avait  paru  sous  ce  titre  :J.-B. 
Fillalpandi  et  H.  Pradi  in  Eze^ 
chielem  explanationes  et  apparatus 
iirhis  ac  templi  Hierosolrmitani 
commentariis  et  imaginibus  illus- 
tratus ,  Rome  ,  iSgG-  1606,  3  vol. 
grand  in-fol.  Le  tome  premier  con- 
tient le  Commentaire  de  Prado  sur 
les  vingt-six  premiers  chapitres  d'É- 
zéchiel ,  et  cekiide  Villalpand  snr  les 
deux  suivants 5  le  tome  second,  la 
description  du  temple  de  Salomon , 
accompagnée  de  gravures  très  -  bien 
exécuîéci;  et  le  tome  troisième  ,  la 
description  de  la  ville  de  Jérusalem, 
suivie  d'un  Traité  des  poids  ,  des 
monnaies  etdcs  riiesures  des  Hébreux, 
comparés  avec  ceux  des  Grecs  et  des 
Romains.  La  description  de  la  ville 
de  Jérusalem  est  regardée  comme  un. 
chef-d'œuvre.  Celle  du  temple  est  ce 
qu'on  a  de  plus  détaillé  et  de  plus 
complet  ;  mais  on  y  trouve  bien  des 
choses  hasardées  et  d'autres  contrai- 
res au  texte  même  de  la  Bible.  Vil- 
lalpand, tout  rempli  des  idées  ma- 
gnifiques qu'il  avait  puisées  dans  l'é- 
tude de  l'architecture  grecque  et  ro- 
maine ,  crut  qu'il  ne  pouvait  rien 
imaginer  de  trop  grand  ,  de  trop 
somptueux  pour  un  temple  dont  Dieu 
était  en  quoique  sorte  l'archilecte. 
Aussi  lui  reproche-t-on  d'avoir  mul- 
tiplié les  cours  et  les  portirpies ,  et 
d'avoir  prodigue  sans  mesure  les  pa- 
vés de  porphyre,  les  murailles  de 
marbre  de  Paros  ,  les  vases,  les  can- 
tlelabres  et  les  tables  d'or  pur ,  etc. 
Dom  Galmet  et  les  commentateurs 
plus  récents  d'Ezéchiel  sont  moins 
riches  que  Villalpand  dans  la  des- 
cription de  ce  temple ,  et  s'appro- 
client  plus  de  la  vérité.  On  doit  en- 
core à  cet  auteur  l'édition  d'un  an- 
cien Commcniairc  .sur  1rs  i^pîlres 
de  saint  Paul  (  Explanatio  Ej)isto- 
larvm  S.  Panll  ,  Rome,  i5f)8,  in- 

32 


498  VIL 

fol. ,  inséré  dans  le  tome  v  de  la  Bi- 
blioth.  magna  Patrum.  Le  savaut 
éditeur  l'attribuait ,  d'après  un  ma- 
nuscrit de  1067,  à  saint  Rémi  de 
Reims  (  r.  Rémi  ,  XXXVII  ,317); 
mais  il  est  reconnu  que  cet  ouvrage 
est  de  Rémi ,  moine  d'Auxcrre.  W-s. 
VILLALPANDE  (Gaspard  Car- 
DILLOS  de)  ,  théologien  espagnol  ,  né 
dans  le  seizième  siècle  à  Segovie , 
fut  professeur  d'éloquence  et  de  phi- 
losophie à  l'univcrsilé  d'Alcala  ,  et 
se  fit  une  réputation  par  ses  Com- 
vientaircs  sur  Porphyre  et  sur  V  Or- 
gnnuin  et  les  livres  de  physique 
d'Aristotc.  Le  célèbre  Gènes.  Sepul- 
veda  i'F.  ce  nom  ) ,  l'un  de  ses  amis, 
ayant  avancé  (ju'Aristote  n'était  pas 
éloigné  d'admeltrc  avec  Pythagore 
le  système  de  la  métempsycose  , 
Cardillos  le  força  de  se  rétracter  ,  et 
publia  son  désaveu  à  !a  suite  d'un 
opuscule  intitulé  :  ApologiaAristo- 
telis  adi'crsùs  cas  qui  aiunl  sen- 
sissc  ujiiinain  cum  corfiore  exangui, 
Alcala  ,  i5()o,  in-8".  Cet  ouvrage 
dans  lefpiel  il  s'cflbrce  de  prouver 
que  le  philosophe  de  Stagyrc  profes- 
sait le  dogme  de  l'imuiortalité  de 
l'ame,  accrut  pour  lui  l'estime  de  ses 
confrères.  11  fut  député  par  le  collège 
de  Saint-Ildcfonsc  au  concile  de 
Trente,  et  il  y  signala  son  éloquence 
dans  plusieurs  occasions.  Le  P.  Libbe 
a  recueilli  dans  sa  Collection  des 
conciles,  tom.  xx ,  trois  harangues 
prononcées  j)ar  Cardillos  :  Qubdnon 
sit  laicis  calix  permitlendus  ;  rie 
primutu  Pétri  ;  de  nominc  Jesu  ; 
ainsi  que  la  réponse  à  J.  Fabricius  : 
Indictionis  conciliitridentim  apolo- 
gia  adversùs  J.  Fabricium  Monta- 
nuni.  Apres  la  clôture  de  cette  mé- 
morable assemblée,  Cardillos  revint 
en  Espagne  ,  où  il  mourut  vers  ifî^o. 
Ses  Commentaires  sur  Arislote  et 
Porphyre  dont  on  vient  de  parler  , 


VIL 

ainsi  que  ses  Traités  de  controverse, 
imprimés  à  Alcala ,  à  V  enise  et  à  Ma- 
drid dans  divers  formats ,  sont  tom- 
bés depuis  long-temps  dans  l'oubli  le 
plus  complet. — Vi  llalpanee  (Fran- 
çois Torreblanca  de),  fameux  dé- 
monologue, était  né,  vers  iSno,  à 
\  illalpaude ,  petite  ville  du  royaume 
de  Léon.  Il  n'est  connu  que  par  un 
ouviage  intitulé  :  Epitome  delicto- 
rum  ;  seu  libri  ir  ,  in  quihus  de  in- 
vocatione  Dœmonum  occulta  et 
npertd tractatur ,Scvû]e,  i5i8,  in- 
fini. Cette  édition  est  très-rare;  et  les 
curieux  la  rccheirhent  parce  qu'on  a 
retranché  des  réimpressions  divers 
passages  singuliers.  Debure  en  a 
donné  la  description  détaillée  dans  la 
Bibliographie  instructive ,  n".  i/yoC). 
Elle  est  divisée  en  trois  parties,  l'une 
de  i()(i ,  et  la  seconde  de  92  feuillets 
imprimés  sur  deux  colonnes j  la  troi- 
sième partie  de  3<)  feuillets  ,  intitu- 
lée :  Defenza  en  favor  de  los  libres 
de  la  mngia  ,  nian([uc  dans  beau- 
coup d'exemj)laires.  —  Villai.- 
PANDi;  (  Jean  de),  chef  d'une  secte 
d'illuminés  (]ui  parut  dans  l'Andalou- 
sie,\ers  la  (indu  seizième  siècle,  était 
néàTénéride.  Leur  secte  ressemblait 
beaucoup  à  celle  du  quiétisme,  qui  se 
répandit  un  pen  plus  tard  dans  la 
plus  grande  partie  de  l'Europe ,  et 
l'une  et  l'autre  furent  surtout  propa- 
gées par  des  femmes.  Le  droit  deprê- 
cher  qu'ils  leur  donnaient  les  atta- 
chaient beaucoup  à  leurs  dogi;ies  ;  et 
les  charmes  du  beau  sexe  furcntpour 
eux  un  grand  moyen  de  succès.  Vil- 
lalpande  s'était  lié  avec  nne  reli- 
gieuse carmélite,  nommée  Catherine 
de  Jésus,  qui  montra  beaucoup  de  zèle 
pour  répandre  sa  doctrine.  Ces  sec- 
taires étaient  ])crsuadés  que  la  prière 
suffit ,  et  qu'avec  elle  on  peut  se  dis- 
penser de  tous  les  autres  devoirs  re- 
ligieux, et  même  se  livrer  à  toutes 


VIL    ' 

sortes  de  plaisirs  et  de  vices.  L'in- 
quisilion  les  poursuivit  avec  beau- 
coup de  riç;;iicur  en  Espagne,  et  un 
grand  nombre  fut  oblige  d'abjurer  , 
ou  périt  dans  les  supplices.  On  croit 
que  Villalpande  et  la  compagne  de 
ses  travaux  apostoliques  eurent  le 
même  sort.  W — s. 

VILLAMEDIANA  (le  comte  de), 
l'un  des  courtisans  les  plus  aimables 
et  les  plus  spirituels  de  la  cour  de 
Philippe  IV,  roi  d'Espagne,  se  fit 
connaître  par  des  poésies  agréables  , 
et  fut  i)liis  célèbre  encore  par  les  cir- 
constances de  sa  mort  tragique.  Peu 
après  l'avcnement  de  Philippe  IV 
(  iG'2i  ),  le  confesseur  de  don  Bal- 
tazar  Ziuiiga  ,  onc'e  du  premier  mi- 
nistre,  dit  au  comte  de  Villamedia- 
na  de  prendre  garde  à  lui ,  que  sa  vie 
était  en  danger.Villamediana  n'en  tint 
aucuncomptejmaisle^oir  decemème 
jour,  comme  il  traversait  une  rue  de 
Madrid,  dans  la  voiture  dedon  Louis 
de  Haro  ,  à  côté  de  ce  seigneur,  il 
s'entendit  appeler  par  son  nom;  et 
ayant  répondu  à  l'invitation  qu'on 
lui  faisait  de  descendre,  il  fut  poi- 
gnardé sur  le  marchepied.  Aucune 
démarche  n'eut  lien  pour  rechercher 
l'assassin.  On  attribua  l'événement  à 
une  vengeance  particulière ,  que  le 
jeune  comte  se  sei'ait  attirée  par  ses 
galanteries  ou  pa  r  ses  épigrammcs.  La 
hardiesse  de  l'attentat  et  l'inaction 
de  la  justice  criminelle  occupèrent 
long-temps  les  esprits.  11  circula  dans 
le  public  que  la  reine,  fille  de  Henri 
IV,  passant  dans  une  galerie  du  pa- 
lais, quelqu'un  lui  mit  les  mains  sur  les 
yeux ,  et  qu'aussitôt  elle  s'écria  :  Que 
me  veux -tu,  comte?  C'était  le  roi 
lui-même;  et  comme  il  montrait  de  la 
surprise  ,  Elisabeth  répondit  ;  N'ê- 
tes-vous  pas  comte  de  Barcelone? 
Le  roi  pensa  que  ce  titre  n'aurait  pas 
dû  se  présenter  aussi  promptement  à 


VIL 


499 


l'esprit  de  la  princesse,  parmi  ceux 
que  lui  donnait  sa  couronne  ;  et  il  se 
rappela  que  le  comte  Villamediana , 
qui  n'en  avait  pas  d'autre,  était  un 
des  gentilshommes  que  la  reine  sem- 
blait le  plus  distinguer.  Z. 

VILLAMÈNE  (François),  gra- 
veur  célèbre,  né  à  Assise  en  Italie, 
vers  l'an  1 588 ,  est  surtout  recom- 
mandable  par  la  correction  de  son 
dessin  et  par  la  netteté  de  son  tra- 
vail. On  lui  reproche  d'être  un  peu 
maniéré  dans  ses  contours,  ce  qui 
n'empêche  pas  que  ses  estampes  ne 
soient  très-recherchées.  Après  avoir 
étudié  son  art  sous  Augustin  Carra- 
che,  il  se  rendit  à  Rome,  pour  se 
perfectionner  par  l'étude  de  l'anti- 
que, et  il  y  travailla  long-temps  d'a- 
près les  statues,  les  bas-reliels  et  les 
chefs-d'œuvre  qui  s'y  trouvent  en  si 
grand  nombre.  Il  mourut  dans  cette 
capitale,  à  l'âge  de  soixante  ans.  Ses 
meilleures  gravures  sont  :  I.  Les 
Gourmeurs  ,  dispute  de  paysans. 
II.  Jean  Alto  ,  surnommé  Vanti- 
quaire ,  représenté  debout  dans  une 
place  publique  de  Rome,  III.  Saint 
Bruno  et  ses  compagnons  dans  le  de'- 
sert ,  d'après  Lanî'ranc.  IV.  Une  Des- 
cente de  croix ,  d'après  le  Baroche. 
V.  La  Présentation  au  temple,  d'a- 
près Paul  Véronèsc,  etc.  Z. 

VILLAMONT  ,  voyageur  fran- 
çais ,  natif  de  l'Anjou  ,  parcourut 
d'abord  l'Italie.  Il  était  à  Rome  le 
1 4 septembre  i588,  et  il  alla  jusqu'à 
Naplcs ,  puis  s'embarqua  à  Venise 
le  19  avril  1589.  Après  avoir  relâ- 
ché à  l'île  de  Cypre  ,  il  débarqua  à 
Jaiïa  ,  visita  Jérusalem ,  Bethléem  et 
la  Mer-Morte.  Le  i3  juin  il  quitta 
les  saints  lieux  ,  et  ayant  repassé  à 
Jaffa  ,  vit  la  Syrie  jusqu'à  Damas. 
De  Tripoli  il  gagna  Damiette  par 
mer  ,  satisfit  sa  curiosité  au  Caire  et 
au  Mont-Sina'i ,  et  revint  par  Alexau- 
3-2.. 


5oo  VIL 

(liie  à  Venise.  Il  lit  encore  diverses 
ciciirbioiis  en  Italie  ,  et  rentra  dans 
SCS  foyers,  en  lopo.  Sa  relation  pa- 
rut sous  ce  titre  :  Foya^cs  du  sieur 
de  nilamont  en  Europe  ,  .-isie  et 
Afrique,  Arras,  1 598  ,  in- 1  u .  ;  Paris, 
1  (iog ,  iu- 1 2.  Le  voyageur  décrit  avec 
soin  les  monuments  des  pays  qu'il  a 
vus  :  il  ne  ucglij^c  pas  non  plus  les 
mœurs  des  habitants  ;  mais  il  s'oc- 
cupe plus  de  la  forme  du  gouverne- 
ment que  de  l'aspect  physique  des 
diverses  contrées.  11  a  donne  un  pe- 
tit vocabulaire  turc  et  français.    E-s. 

VILLA^DON.  Voy.  Lhluitiek. 

VILLAM  (  JtAN  ) ,'  ccUbre  histo- 
rien, naquit  à  Florence  avant  la  lin 
du  treizième  sic-clc.  Sa  famille  était 
ancienne  et  distinguée  :  son  père, 
Viilano  di  Stoldo,  faisait  partie  de 
la  seigneurie  en  1  3oo.  Pendant  cette 
même  année,  Jean  Villani  lit  un  voya- 
ge à  Rome  ,  pour  y  fêler  le  jubile.  De 
retour  dans  sa  patrie,  il  entreprit, 
quoiqu'il  dût  être  encore  jeune,  sis 
Islorie  florentine,  travail  immense 
qu'il  lit  remonter  d'abord  aux  pre- 
mières époques  du  monde ,  et  dans 
lequel  il  comprit,  jusqu'à  l'année 
i3i8,  qui  fut  celle  de  sa  mort,  les 
principaux  événements  contempo- 
rains de  l'Europe  et  de  l'Italie.  11 
nous  apprend  lui-même  comment  il 
conçut  ce  grand  projet  :  le  spectacle 
de  Rome  sur  son  déclin  ,  compare  à 
celui  de  la  cite  jeune  et  croissante  de 
Florence  j  la  lecture  des  écrivains 
anciens,  tels  que  Virgile,  Salluste, 
Lucain  ,  Tite-Live,  qui  ont  consacre 
leurs  travaux  aux  souvenirs  de  la 

randeur   romaine;   enfin,   le  d^sir 

'élever  un  monument  à  la  gloire  de 
sa  patrie,  en  rapportant  à  ses  anna- 
les celles  du  reste  du  monde,  tels  sont 
les  motifs  qui  l'engagèrent  à  entrer 
dans  la  carrière  de  l'histoire  ,  qui  ne 
lui  offrait  encore  chez  les  modernes 


§' 


VIL 

presque  aucun  modèle  à  iniiter,  sur- 
toutenldngucvulgaire(l.  vin,  c.  3G). 
Dès-lors  ,  il  s'entoura  d'un  grand 
nombre  de  chroniques  clrangèics  et 
nationales ,  dont  il  sut  proliter  ha- 
bilement, sauf  quelques  faits  contra- 
dictoires qu'il  leur  emprunte  par- 
fois sans  examen  sulVisant.  L'une 
de  ces  chroniques ,  celle  du  florentin 
Ricordano  Malaspina  ,  et  de  son  ne- 
vevi  Giachetto,  conduite  durant  le 
siècle  précèdent  jusqu'en  1.28C),  mé- 
rite d'être  remarquée  soit  comme  ter- 
me de  comparaison  pour  ajiprécier 
les  immenses  progrès  que  la  prose 
italienne  se  trouve  avoir  faits  sous  la 
plume  de  Villani,  soit  aussi  comme 
lui  ayant  fourni  l'idée  générale  de  ses 
origines  llorentincs  ,  (ju'il  fait  remon- 
ter justpi'aux  patriarches.  Il  a  même 
pris  dans  cette  chronique  un  certain 
nombre  de  passages  qu'il  copie  sans 
avertir  du  plagiat,  ainsi  que  l'ont  ob- 
servé MuratorietTuaboschi.  C'est  en- 
core une  circonstance  assez  singulière 
que  Ricordano  ait  conçu  le  dessein 
(l'i-crire  ses  histoires  dans  un  voyage 
qu'il  lit  à  Rome,  en  1 200,  comme  Vil- 
lani en  i3oo.  Ce  dernier  se  livra  dans 
sa  jeunesse  à  des  alla  1res  de  cummerce 
qui ,  en  l'obligeant  de  faire  plusieurs 
voyages  hors  de  l'Italie,  le  rendirent 
témoin  d'événements  importants.  11 
était  encore  <à  Florence  en  iSoi  et 
i3o2,  époque  de  l'origine  des  fac- 
tions blanche  et  noire  ;  il  y  villes  dé- 
sordres occasionnes  par  ces  ([uerelles, 
l'intervenliou  inutile  de  Charles  de 
Valois  (  liv.  VIII ,  eh.  08  et  suiv.  ) , 
et  la  proscription  d'un  grand  nom- 
bre de  citoyens ,  entre  autres  du  Dan- 
te ,  auquel  il  rend  un  hommage  bien 
remarquable  dans  la  bouche  d'un 
contemporain  (liv.  ix,  ch.  i33\ 
En  1 3o'2  et  i3()4,  il  parcourut  la 
France  et  la  Flandre,  suivit  dans 
tous  ses  détails  la  gueri'c  de  Philippe- 


VIL 

Iclîcl  et  des  Flamands,  cl  visita  le 
cliani[)  «le  bataille  deMons-cn-Piicllc, 
peu  de  jours  après  la  vietoirc  du  roi 
lie  France.  Muratori ,  dans  sa  prc- 
lace  sur  Viliani  (  Script,  rcr.  Uni., 
toni.  xiii  ),  suppose,  par  une  con- 
jecture assez  gratuite  ,  et  qu'ont 
rejetce  d'autres  critiques,  que  cet  his- 
torien a  seulement  emprunte  àquel- 
([uc  relation  contemporaine  les  dé- 
tails qu'il  donne  sur  la  guerre  do 
F'Iandrf  ,  et  (pi'uuc  distraction  as- 
sez étrange,  de  la  part  d'un  écrivain 
aussi  grave,  lui  aura  fait  copicravec 
tout  le  reste  la  phrase  où  le  nar- 
rateur en  vient  à  parler  de  lui-mê- 
me comme  témoin  oculaire.  Quoi- 
que Villaui  donne  des  détails  cir- 
const.incies  sur  les  événements  de 
Florence,  pendant  les  huit  années 
suivantes  ,  on  ne  voit  point  qu'il  y 
ait  pris  une  part  active ,  et  l'on  igno- 
re s'il  vit  le  siège  de  cette  ville,  que 
l'empereur  Henri  de  Luxembourg 
forma  sans  succisen  i3i 2.  Plusieurs 
passages  de  ses  histoires  attestent 
qu'il  était  guelfe  prononccj  cepen- 
dant on  n'a  pouit  retrouve  son  nom 
sur  la  liste  des  Florentins  dont  l'em- 
pereur prononça  la  condamnation 
juridique  après  sa  retraite  à  Pise.  En 
1  ii(i  et  lûi-y,  il  siégea  parmi  les 
Priori  de  la  république.  En  cette 
qualité,  il  sut,  par  un  artifice  ingé- 
nieux concerté  avec  ses  colligues, 
cfliayer  les  Pisans,  qui  se  refusaient  à 
conclure  la  paix  avec  Florence.  Des 
lettres  pour  engager  le  roi  de  France 
à  entrer  en  Italie,  avec  des  oHVes  de 
service  très-considérables  de  la  part 
des  magistrats  florentins  ,  furent  in- 
terceptées par  les  Pisans ,  sur  un  avis 
qu'on  leur  fit  tenir  àdesseinj  et  dans 
la  crainte  qu'ils,  conçurent  do  cette 
négociation  simulée,  ils  se  hâtèrent 
d'adopterdes  dispositions  pacifiques. 
\'^illani ,  devenu  vers  le  même  Icjnps 


ML 


5oi 


directeur  de  la  monnaie  ,  fit  faire  un 
travail  qui  avait  été  négligé  jusque- 
là  ,  et  qui  (/3uvenait  particulièrement 
à  son  goût  pour  les  monuments  liis- 
tori(]ucs  :  ce  fut  un  registre  exact  de 
tous  les  citoyens  qui  avalent  exerce 
la  même  charge  avant  lui ,  et  la  des- 
cription des  monnaies  qu'ils  avaient 
fait  frapper.  Il  exerça  de  nouveau  le 
priorat  en  1 3u  i ,  et  bien  qu'il  ne  s'en 
trouve  aucun  témoignage  dans  son  li- 
vre, d'anciens  actes  l'attestent  sufli- 
samment.  lîientot  après  ,  il  fut  char- 
gé de  jnésidcr  à  la  construction  des 
remparts  et  des  tours  dont  on  acheva 
de  fermer  l'enceinte  de  Florence ,  de- 
[)uis  la  porte  de  San-(lalIo  jusqu'à 
celle  de  Saint-Ambroise.  Il  se  trou- 
vait,  en  \'6Ï6,  à  l'armée  qui  sortit 
de  la  ville ,  pour  repousser  le  tyran 
de  Lacques  ,  Castruccio  Castracani. 
Cette  armée,  divisée  en  deux  fac- 
tions ,  celle  des  bourgeois  peu  exer- 
cés aux  travaux  guerriers,  mais  im- 
patients de  combattre,  et  celle  des 
nobles  qui  s'opposaient  à  une  action 
décisive  ,  laissa  échaiiper  l'ennemi 
qu'elle  eut  pu  stirprendre  ,  et  rentra 
sans  honneur  dans  ses  foyers  (  liv. 
IX,  ch.  '2  1 3  ).  Castruccio  ne  cessant 
de  causer  aux  Florentins  de  vives  in- 
quiétudes ,  Viliani  s'avisa  d'envoyer 
à  Paris  une  lettre  au  frère  Denis  de 
Borgo  San-Sepolcro^  son  ami  et  ce- 
lui de  Pétrarque,  pour  lui  demander 
quand  Unirait  cet  état  de  choses.  La 
réponse  fut  une  prédiction  formelle 
de  la  mort  prochaine  de  Castruccio  , 
et  de  l'empire  qui  serait  oilert  à  Flo- 
rence sur  la  cité  de  Lucques,  prédic- 
tion renouvelée  dans  une  seconde  let- 
tre que  Viliani,  alors Pnore pour  la 
troisième  fois,  montra  à  ses  collègues 
(  liv.  X ,  ch.  85  ).  Castruccio  mou- 
rut en  elVet  pende  temps  après  cette 
correspondance^  en  i3'.28;  et  la  do- 
mination de  Lucques  fut  olTcrle  au\ 


5o3 


VIL 


Florentins,  par  des  aventuriers  alle- 
mands, qui  s'en  e'taient  emparés,  à 
condition  de  leur  payer  une  somme 
de  quatre-vingt  mille  florins  d'or. 
Villa  ni  s'intéressa  vivement  à  cette 
proposition,  et  se  joignit  à  une  com- 
pagnie de  riches  citoyens  et  d'exilés 
lucquois  ,  qui  offraient  d'avancer  à 
l'État  les  trois  quarts  de  la  somme  si 
l'arrangement  était  adopté.  Mais  les 
intrigues ,  les  inimitiés  qui  régnaient 
dans  la  république,  le  firent  échouer 
au  grand  regret  de  noire  historien 
(  liv.  X,  eh.  1^1  ).  Pendant  une 
grande  disette  qui  eut  lieu  vers  la 
même  époque,  il  rendit  d'impoitanls 
services  en  qualité  d'ollicicr  de  la 
commune ,  par  l'ordre  qu'il  établit 
dans  la  préparation  et  la  distribution 
du  pain  (ibid.,  ch.  120.).  En  i'S3i, 
il  fut  accusé  de  concussion  avec  deux 
religieux  servites  qui  avaient  été  ses 
collègues ,  relativement  à  la  gestion 
des  deniers  employés  dix  ans  aupa- 
ravant pour  la  construction  des  rem- 
parts. L'alfaire  fut  rigoureusement 
examinée  ,  et  se  termina  par  l'entiè- 
re absolution  des  accusés.  L'année 
suivante,  les  Florentins  ayant  résolu 
de  fonder  une  j^ace  forte  sur  les  con- 
fins du  Bolonais  et  de  la  Romagne, 
comme  on  délibérait  sur  le  nom  à 
donner  au  nouvel  établissement ,  ce 
fut  Villani  qui  proposa  de  l'appeler 
Firenzuola,  et  il  appuya  son  avis  de 
plusieurs  sages  considérations  qu'il 
rapporte  dans  son  ouvrage  ,  liv.  x  , 
ch.  201.  Il  vit  ensuite  plusieurs  dé- 
sastres s'appesantir  sur  sa  patrie^  et 
eut  à  supporter  lui-même  des  revers 
de  fortune.  En  i333,  un  déborde- 
ment de  l'Arno  fit  les  plus  grands 
ravages  dans  la  ville  et  les  environs  ; 
e'crivant  sous  l'impression  des  faits 
à  mesure  qu'ils  se  présentent,  l'his- 
torien ajoute  à  l'intérêt  de  ses  récits, 
pleins  de  candeur  et  de  vérité  locale^ 


VIL 

celui  de  ses  propres  réflexions  ,  oîi 
dominent  un  grave  patriotisme,  une 
piété  toute  conforme  à  l'esprit  de 
son  temps  ,  mais  souvent  aussi  la 
manie  astrologique.  Le  seigneur  de 
Vérone,  Mastin  de  la  Scala,  lit  sou- 
tenir aux  Florentins  et  à  leurs  voi- 
sins une  guérie  funeste  et  dispen- 
dieuse. Après  s'être  rendu  maître  de 
Lucques  ,  il vouluts'en  défaire  à  l'en- 
can j  cette  fois  Florence  s'etfoiça  de 
prévenir  la  concurrence  de  Piscj  elle 
ollritdeuxccutcinquantcmillenorins 
d'or  en  divers  paiements,  et  envoya 
en  otage  cinquante  nobles  citovens, 
au  nombre  desquels  fut  notre  histo- 
rien ,  bien  que  contre  son  gré,  par  le 
choix  des  magistrats.  Il  passa  com- 
me otage  deux  mois  et  demi  à  Fcrra- 
re,  et  y  fut  reçu  avec  distinction  par 
le  marquis  Obizzo,  fils  naturel  de 
Mastin;  mais  le  pacte  fut  rompu  par 
une  vive  attaque  des  Pisans  contre 
la  ville  de  Lucques  ,  et  par  la  guerre 
qui  en  résulta  (liv.  xi).  L'année  sui- 
vante ,  Villani  vit  avec  douleur  les 
bouleversements  occasionnés  dans 
Florence,  par  le  règne  éphémère  de 
Gauthier,  duc  d'Athènes  ;  suivi  de 
l'insurrection  populaire  qui  le  ren- 
versa. Il  décrit  ces  événements  avec 
beaucoup  de  chaleur  et  d'énergie 
dans  son  xii'^.  et  dernier  livre.  Une 
compagnie  de  banque,  la  plus  con- 
sidérable d'Italie  ,  connue  sous  le 
nom  des  Bardi,  ayant  fait  banque- 
route en  1345^  par  suite  d'avances 
énormes  faites  aux  rois  d'Angleterre 
et  de  Sicile,  un  grand  nombre  de 
maisons  de  Florence  furent  entraî- 
nées dans  cette  ruine,  entre  auties 
celle  des  Buonaccorsi ,  dans  laquelle 
Villani  était  intéressé.  Lui-même,  de- 
venu insolvable,  fut  jeté  en  prison  : 
on  a  conservé  un  document  authen- 
tique de  cette  dernière  disgrâce,  à 
laquelle    il   ne   fait   qu'une  allusion 


VIL 

éloignée  dans  son  Histoire  ;  seule- 
ment il  s'clève  vivement  contre  la 
faiblesse  des  citoyens  qui  consentaient 
à  compromettre  la  fortune  publique 
et  privée,  en  la  confiant  à  cette  aris- 
tocratie financière  si  imprudente  dans 
ses  entreprises.  Enfin  ,  la  fatale  an- 
née i34H  étendit  sur  Florence  cette 
vaste  contagion  qui ,  dans  toutes  les 
contrécsdu  monde  connu  ,  moissonna 
une  grande  partie  du  genre  humain, 
et  notre  historien  fut  une  des  victi- 
mes atteintes  par  le  fléau.  Ou  voit 
s'interrompre  à  cette  même  époque 
les  travaux  de  plusieurs  autres  anna- 
listes, entre  autres  les  Istorie  Pisto- 
jesi ,  dont  les  auteurs  périrent  sans 
doute  de  même  que  Jean  Villani.  Ses 
derniers  chapiti'es  sont  remplis  par 
des  événements  funestes  ,  et  par  des 
tremblements  de  terre  ,  qui  sem- 
blaient faire  pressentir  un  malheur 
plus  grandencore. — Son  Histoire  fut 
continuée  par  son  frère,  IMatthieu 
Villani  ,  lequel  composa  onze  livres, 
dont  le  dernier  va  jusqu'en  i363. 
Cette  année  fut  marquée  par  une  nou- 
velle peste  ,  dite  delV  anguinaja;  et 
Matthieu  Villani  y  succomba  à  son 
tour ,  dans  im  âge  assez  avancé,  après 
cinq  jours  de  maladie.  Il  devait  cette 
prolongation  de  souffrance  à  la  force 
de  tempérament  qu'il  avait  conservée 
par  une  vie  sage  et  régulière.  Tels 
sont ,  avec  les  noms  des  deux  fem- 
mes auxquelles  il  fut  marié,  retrouvés 
par  Manni ,  savon*,  Lisa  de'  Buondel- 
montietMonna  de'  Pazzi ,  les  uniques 
détails  qui  nous  restent  sur  ce  digne 
continuateur  de  Jean  Villani ,  auquel 
il  n'est  inférieur  que  par  son  style  un 
peu  lâche  et  difTus ,  mais  non  pour 
l'exactitude,  la  sincérité,  l'observa- 
tion des  faits  et  le  bon  sens ,  qualités 
qui  Qnt  fait  invoquer  son  témoignage 
avec  confiance  par  tous  les  auteurs 
qui  sont  venus  depuis.  —  Ce  peu  de 


VIL  5o3 

renseignements  sur  sa  destinée  nous 
a  été  transmis  par  son  fils  ,  Philippe 
Villani,  dans  le  début  d'une  nou- 
velle continuation  des  Histoires  à  la- 
quelle il  ne  put  donner  beaucoup  de 
suite.  Le  travail  de  ce  dernier  se  borne 
à  quarante-deux  chapitres,  ajoutés  au 
onzième  livre  de  Matthieu,  et  com- 
prend seulement  la  fin  de  i3G3  avec 
l'année  i364.  Philippe  Villani  a  lais- 
sé d'autres  ouvrages,  dont  nous  par- 
lerons plus  bas;  mais  nous  commen- 
cerons par  rendre  compte  des  prin- 
cipales éditions  du  corps  d'histoire 
composé  par  ces  trois  écrivains.  Pen- 
dant près  de  deux  siècles ,  leurs  livres 
restèrent  cachés  en  manuscrit,  et  fu- 
rent connus  seulement  d'un  petit  nom- 
bred'annalistes. Enfin  parut  àVenise, 
en  1537  ,  une  première  édition,  in- 
fol. ,  de  Jean  Villani ,  à  laquelle  man- 
quaient ses  deux  derniers  livres  ,  et 
en  outre  très  -  fautive.  En  1  SSp  ,  les 
frères  Giunti  en  donnèrent  une  bonne 
édition  complète,  collationnée  sur 
des  textes  manuscrits  et  avec  des  no- 
tes de  Remigio  Nannini ,  Venise ,  in- 
4°.  Plus  tard  ,  les  mêmes  Philip,  et 
Jacq.  Giunti  donnèrent  les  premiers 
l'Histoire  de  Matthieu  Villani ,  Ve- 
nise ,  1 562  ,  sur  un  manuscrit  appar- 
tenant à  Jacq.  Castelvetro,  non  re- 
trouvé depuis  ,  dans  lequel  ''man- 
quaient le  livre  viii  et  une  partie  du 
neuvième.  Les  éditeurs,  s'étant  éta- 
blis à  Florence  ,  y  trouvèrent ,  dans 
la  famille  Ricci ,  un  manuscrit  entier, 
sur  lequel  ils  publièrent  ce  qui  man- 
quait des  trois  derniers  livres,  avec  le 
supplément  de  Phil.  Villani,  Florence, 
1677,  in-4*'.  ;  et  pour  compléter  l'ou- 
vrage ,  ils  réimprimèrent  les  neuf 
premiers  livres  de  Matthieu  Villani , 
en  i58i  ,  Florence,  in-4'5.  Ces  deux 
parties  sont  recherchées ,  et  doivent 
être  réunies.  On  estime  particulière- 
ment aussi  l'édition  de  Jean  Villani, 


5o4  VIL 

de  1587,  Florence,  iii-4"^-  Muraloii 
a  dounc  un  excellent  texte  des  trois 
liistoricns,  dans  les  tomes  xin  et  xiv 
des  Scriptores  rerum  ilalicaruni , 
cullationnc'  sur  deux  manuscrits  flo- 
rciitius  de  Mattliieu  et  de  Philippe  , 
«t  sur  im  autre  plus  prc'cienx  en- 
core de  Jean,  appartenant  à  J.-B. 
Recauati  ,  noble  vénitien;  Le  sa- 
vant éditeur  s'attacha  à  conserver 
scrii])uleiiseraent  l'ancienne  orlho- 
graplie  du  temps  des  Yillani ,  et  re- 
produisit quelques  passaj;es  avec  des 
leçons  toutes  nouvelles  et  d'assez  lon- 
gues variantes  à  côte  de  l'ancien  tex- 
te; ce  qui  introduit  dau>  les  numéros 
des  cliaj)itres  un  léger  changement, 
de  peu  d'inconvénient  pour  les  re- 
cherches ,  attendu  que  ces  chapi- 
tres sont  souvent  très-courts  et  pré- 
cèdes de  titres  assez  e'tendus.  En  mê- 
me temps  que  îiluralori  donnait  cetle 
édition,  et  la  faisait  tirer  à  part  de 
sa  grande  collection,  IMilan,  17 '29, 
in -loi,,  on  s'occupait  <à  Florence 
d'une  publication  semblable  ,  d'a- 
]>rès  d'autres  manuscrits;  et  l'es- 
])rit  de  concurrence  des  nouveaux 
éditeurs  semblait  animé  par  le  res- 
sentiment d'une  opinion  litte'rairc 
blessée;  car  ftiuratori  avait  combat- 
tu ,  dans  un  autre  ouvrage  (  son  Trai- 
té Di'lla  pcrj'clia  poaia  ilaliana) , 
la  doctrine  exclusive  des  litléraleurs 
toscans,  qui  faisaient  du  siècle  de 
Jîoccace  et  de  Jean  Yillani  l'âge  d'or 
de  la  prose  italienne.  Ce  débat  duiuia 
lieu  à  une  guerre  de  plume  assez  vi- 
ve; et  l'impression  du  manuscrit  Da- 
vanzati ,  annoncée  à  Florence  par  les 
libraires  Tartini  et  Franchi,  ne  s'a- 
cheva point.  Kniin  les  éditeurs  des 
classiques  de  Milan  ont  donné  ,  en 
i8o2,  l'Histoire  de  Jean  Villani , 
formant  les  tomes  x  à  xvii  de  celte 
collection  in  -  8'\  ,  et  précédée  d'un 
Eloge   de  l'auteur  ,    par    Massai  , 


VIL 

morceau  utile  à  consulter.  Cette 
édition  est  du  reste  conforme  à  celle 
de  Muratori ,  excepté  pour  l'or- 
thographe ,  dans  laquelle  on  suit 
le  système  moderne.  —  Phil.  Vil- 
lani s'était  voué  particulièrement 
aux  travaux  littéraires;  car  on  le 
trouve  qualifié,  dans  quelques  an- 
ciens muuiscrils,  des  noms  d'Elico- 
nio  et  de  Sulitario.  11  fut  élu  ,  en 
ijOi,  et  de  nouveau  en  \^o^,  à  la 
chaire  instituée, dès  iS^S  ,  pour  l'ex- 
plication de  la  Commcdia  du  Dan- 
te ,  et  qui  avait  d'abord  été  occupée 
par  lîoccace.  Il  avait  été  ,  pendant 
plusieurs  années,  cliaucelier  de  la 
commune  de  Pérouse;  et  on  le  voit 
quelquefois  aussi  qualifié  de  juris- 
consulte. Il  a  laissé  ,  en  latin  ,  un  ou- 
vrage consacré  à  la  Biof^rajthic  des 
hommes  célèbres  de  Florence ,  qui 
ne  fui  publié  qu'en  1747  ■<  vnn'xs  qui 
avait  été  jirécédcir.ment  cité  par  \\n 
grand  nombre  d'écrivains.  Ce  fut 
Mazzucliclli  qui  en  fit  paraître  le 
premier  une  traduction  ancienne  , 
regardée  jiar  plusieurs  critiques  com- 
me l'original,  sous  ce  litre:  Vile 
d'uomini  dluslri Fiorentini,  Venise, 
I7'l7  ,  in-4".  Le  texte  ne  fut  retrou- 
ve que  ([uelque  temps  après,  par  l'ab- 
bé Mehus  ,dans  la  bibliothèque  Gad- 
di,  à  Floieuce.  Ce  savant  en  a  publié 
quelques  articles  ,  dans  sa  Fila  di 
ylmhrogio  camaldolese.  L'abljé  Sar- 
ti  trouva  un  autre  manuscrit  du  mê- 
me ouvrage,  qui  présentait  beau- 
coup de  passages  dillérents  du  pre- 
mier. Observons  que  ces  Vies ,  con- 
sacrées la  plupart  à  des  savants  et  à 
des  écrivains,  sont  le  premier  essai 
de  l'histoire  littéraire  chez  les  mo- 
dernes. L'une  de  ces  notices ,  sur  Boc- 
cace.  se  voit  en  tète  d'un  grand  nom- 
bre d'éditions  du  Décamérou.  On  a 
encore  du  même  auteur  une  Vie  de 
saint  André  l'Ecossais,  comprenant 


VIL 

des  détails  Liograpliiques  sur  sainte 
Brigitte,  sa  sœur  ,  donnes  à  part  à 
l'article  de  cette  sainte  par  Boliand, 
^ctrt55.  (  i^"".  leviicr). Cu[)cr, en  pu- 
bliant dans  la  même  collection  la 
partie  qui  concerne  saint  André 
{•l'i  août),  donne  des  raisons  plau- 
sibles de  douter  si  cette  vie  a[)par- 
lient  rcellcincnt  à  Pliil.  Yil'ani  — 
JNicolas  ViLLANi,  poète  et  critique, 
ne  à  Pisloie,  Accut  à  Venise  et  mou- 
rut vers  jti40'  H  composa  plu.-^ieiirs 
satires  latines  écrites  avec  beaucoup 
d'ele'gânce,  selon  Tirabosclii ,  et  un 
Traite  que  le  même  critique  qualifie 
d'estimable  ,  intitule'  :  Ragionamen- 
to  deir  accadcmico  Aldcanosopra 
lapocsia  de'  Grcci  ,de' Latini  e  de' 
Toscani ,  con  alcune  poésie  piacc- 
('o/f;,  Venise  ,  iU34  ,  iu-4°.  Il  prit 
chaudement  le  parti  du  célèbre  iMa- 
riui  ,  dans  les  querelles  littéraires 
que  fit  naître  la  puljlication  de  VA- 
done  ,  et  publia  ,  sous  des  noms  sup- 
poses, les  pam])lilets  suivants:  \/Uc- 
cellatura  di  J'incenzo  Forcsi ,  ail' 
occhiale  del  Cav.  Tommaso  Sti- 
gliaiii coiitro  V Adoucie  alla difesa 
di  Girol.  Aleandri ,  Venise,  iC)3o, 
in- 12.  —  Considerazioni  di  messer 
Fcigiajw  sopra  la  seconda  parte 
delV occhiale, etc., y cuhc,  iGoi,  in 
12.  Cet  écrivain  entreprit  une  tache 
au-dessus  de  ses  forces  ,  en  voulant 
composer  un  poème  épique,  intitule 
la  Fiorenza  difesa  ;  il  ne  put  le  ter- 
miner ,  et  il  aurait  probablement 
désapprouvé ,  dit  ïirabosclii ,  le  zèle 
des  éditeurs  qui  le  publièrent  après 
sa  mort,  Florence,  1641  ,  in- 4°. — 
Jean -Pierre  "Jacques  Villani  ,  de 
ParmC;,  est  auleurd'un petit  liAre  de 
bibliographie  assez  curieux.  C'est  un 
dictionnaire  d'écrivains  anonymes 
et  pseudonymes  en  i5o  articles,  dé- 
dié au  savant Magliabecchi,  et  écrit 
d'un  style  badin,  mais  de  mauvais 


VIL  5o5 

goût ,  sous  ce  titre  :  La  Visiera  ul- 
zala ,  hecatosta  di  scrittori  die 
vaç^hi  d\indare  in  rnaschcra  fuor 
del  camovale,  sono  scoperli  da  G. 
P.  G.  lillani  accademico  Immoris- 
ta  in  féconda  e  géniale  ,jiassatemj>o 
canicolare ,  etc.  La  seconde  partie 
Pentecoste  d'altri  scrittori  contient 
les  cinquante  derniers  articles  ,  Par- 
me ,  I  G8f ) ,  in- 1 2 .  V — G-  R, 

VILLAR  (  Noel-Ga«riel-Luce)  , 
de  l'académie  française ,  né  à  Tou- 
louse le  i3  décembre  174^»  était 
fils  d'un  chirurgien  de  cette  ville; 
il  fit  ses  études  chez  les  PP.  de  la 
doctrine  chrétienne,  entra  dans  leur 
congrégation  ,  et  après  avoir  profes- 
sé la  rhétorique  avec  distinction  à 
Toulouse ,  puis  au  collège  de  la  Flè- 
che, il  devint,  en  i';B(),  recteur  de 
cet  établissement ,  oîi  il  remplaça  le 
P.  Corbin  ,  nommé  sous-précepteur 
du  Dauphin  ,  lils  de  Louis  XVL 
Villar  adopta  les  principes  de  la 
révolution  ,  mais  la  timidité  de  son 
caractère  le  préserva  de  tout  excès  , 
comme  de  grands  périls.  Au  mois  de 
mars  1791  ,.  il  fut  nommé  évcque 
constitutionnel  de  la  Mayenne ,  et  sa- 
cré à  Paris  le  22  mai  suivant.  Cette 
promotion  dans  le  clergé  intrus  fut 
vraisemblablement  l'unique  motif  de 
son  élection,  comme  députe  de  la 
Mayenne  à  la  Convention  nationale  , 
au  mois  de  septembre  1792.  Pendant 
la  lutte  des  Montagnards  et  des  Gi- 
rondins ,  et  sous  la  dictature  de 
Robespierre ,  Villar  ne  parut  point 
à  la  tribune.  Ne  pouvant  se  dispen- 
ser de  manifester  son  vote  daus  le 
procès  de  Louis  XVI ,  il  déclara  ce 
prince  coupable ,  rejeta  avec  toute 
sa  députation  l'appel  au  peuple  ,  ad- 
mit le  sursis  ,  et  prononça  la  déten- 
tion et  le  bannissement  à  la  paix. 
Enfin  ,  tant  que  dura  la  terreur,  il  ne 
songea  qu'à  se  faire  oul)licr.  Après 


5o6 


VIL 


la  chute  de  Robespierre  ,  il  se  ral- 
lia aux  hommes  qui  s'eftbrcèrent 
de  relever  les  ruines  de  l'ëtat  so- 
cial ,  et  se  distingua  surtout  par 
son  zèle  pour  le  rétablissement  de 
l'instruction  publique.  Il  fut  élu  un 
des  secrétaires  de  l'assemblée,  lors 
du  renouvellement  du  bureau ,  le  4 
juillet  1795.  Quelques  jours  après 
(le  i3),  rapporteur  du  comité  d'ins- 
truction publique  ,  il  demanda  la 
conservation  provisoire  du  collège 
de  France  ;  et  ce  provisoire  sauva 
l'établissement  que  dans  son  rapport 
il  proclama  la  première  école  de 
l'univers.  Le  4  septembre  suivant , 
il  ne  se  fît  pas  moins  d'honneur  en 
proposant,  an  nom  du  même  comité, 
d'accorder  une  pension  à  cent  dis- 
huit savants,  hommes  de  lettres, 
artistes ,  ou  à  leurs  veuves  et  descen- 
dants. L'impartialité  politique  la  plus 
sévère  avait  présidé  à  la  rédaction 
de  cette  liste  nombreuse  ,  dans  la- 
quelle étaient  comprises  les  deux  pe- 
tites nièces  de  Fénelon.  Cette  loi  de 
munificence  nationale  satisfit  d'au- 
tant plus  l'opinion  publique  ,  que  le 
règne  de  la  terreur  avait  été  pour  les 
gens  de  lettres  une  époque  de  pros- 
cription et  d'indigence.  Ceux  qui 
connaissaient  toute  la  circonspection 
de  Villar  eurent  lieu  d'être  surpris 
de  l'énergie  avec  laquelle  il  s'éleva 
contre  le  vandalisme  révolution- 
naire. On  remarque  surtout  dans  son 
rapport  un  éloge  de  Fénelon  ,  qui , 
malgré  quelques  concessions  faites 
aux  opinions  du  jour ,  ne  fut  pas 
moins  alors  un  acte  de  courage  : 
«  Nommer  Fénelon  ,  disait-il ,  n'est- 
»  ce  pas  nommer  le  véritable  ami 
»  du  peuple  et  le  précurseur  de  no- 
w  tre  liberté?  N'est-ce  pas  appeler 
»  l'admiration  et  le  respect  du  monde 
»  entier  sur  l'apôtre  de  la  tolérance, 
>'  de  la  morale  et  de  la  saine  politi- 


VIL 

»  que  ?  0  toi  qui  inspires  la  vertu  bien 
»  mieux  encore  que  tu  ne  l'enseignes; 
»  toi  qui  dans  îa  cour  d'un  tyran  as 
»  montré  l'indépendance  et  la  fer- 
»  meté  d'un  sage,  toi ,  qui  dès  l'au- 
»  rore  de  la  philosophie  as  prouvé 
»  par  ton  exemple  que  les  hommes 
»  naissent  tous  égaux  et  frères  :  illus- 
»  tre  Fénelon ,  pardonne  si  tes  deux 
»  nièces  ont  langui  jusqu'ici  dans  la 
»  pauvreté  I  Désormais  la  pati-ie  leur 
»  tiendra  lieu  de  mère.  Quand  on  a 
1)  le  bonheur  de  t'appartenir ,  n'est- 
»  on  pas  lié  par  de  saints  nœuds  aux 
»  destinées  de  la  république  fran- 
»  çaise?  »  Le  17  octobre  suivant  Yil- 
lar ,  organe  du  même  comité  ,  fit  dé- 
créter l'organisation  de  la  Bibliothè- 
que nationale.  Vers  la  même  époque 
il  rendit  d'importants  services  à  l'a- 
cadémie de  Turin  ,  qui  a  fait  placer 
son  portrait  dans  le  lieu  de  ses  séan- 
ces. Le  nom  de  ce  savant  se  trouve 
attaché  à  tous  les  plans  qui  furent 
successivement  exécutés  ,  soit  pour 
l'organisation  de  l'Institut,  soit  pour 
le  rétablissement  de  l'instruction  pu- 
blique. Ce  fut  toujours  pour  de  pa- 
reils objets  qu'il  parut  à  la  tribune  , 
ou  qu'il  siégea  dans  les  comités  du 
conseil  des  Cinq-Cents,  où  il  avait  été 
appelé  après  la  dissolution  de  la  Con- 
vention nationale.  Lors  de  la  créa- 
tion de  l'Institut,  le  10  décembre 
i-jgS,  il  fut  nommé  membre  de  la 
classe  de  littérature  et  beaux-arts, 
que  Buonaparte  modifia  plus  tard 
sous  le  titre  de  deuxième  classe  de 
l'Institut ,  ou  classe  de  la  langue  et 
de  la  littérature  françaises,  redevenue 
aujourd'hui  l'académie  française.  Se- 
crétaire de  sa  classe  pendant  les  an- 
nées 1801  et  1802,  il  fit  en  cette 
qualité  six  Notices  des  travaux  de 
littérature  et  de  beaux-arts  de  l'Ins- 
titut national ,  pendant  les  ans  ix 
et  X.  Par  décret  du  mois  de  février     j 


VIL 

i8o5  ,  il  fut  nomme  membre  de  la 
commission  du  Dictionnaire  de  la 
langue  française  avec  Moreilet,  Si- 
card  ,  Aruault  et  Suard.  Dès  que 
l'instruction  publique  fut  organisée  , 
en  1800,  il  lui  rendit  d'importants 
services  en  qualité  d'iuspccteur-géné- 
ral  des  études,  place  dont  il  a  exer- 
cé les  fonctions  jusqu'en  181 5  ,  et 
conservé  le  titre  jusqu'à  sa  mort.  11 
avait  été  nommé  membre  de  la  Légion 
d'Honneur  dès  la  création.  A  l'épo- 
que du  concordat,  il  se  soumit,  sans 
murmure,  au  nouvel  ordre  de  choses 
qui  le  dépouillait  de l'épiscopat  cons- 
titutionnel. Dès  l'année  1797  ,  il 
avait  à  cet  égard  fait  preuve  d'une 
sage  réserve,  en  lefusant  de  prendre 
part  au  prétendu  concile  national  qui 
s'ouvrit  à  Paris  sous  la  présidence 
de  l'évêque  constitutionnel  Lecoz  {V. 
ce  nom ,  XXIIl ,  53'2).  Ses  confrères 
les  évcques  de  la  république  avaient 
remplacé  Villar ,  en  Ï799  ,  par 
l'abbé  Dorlodot ,  mort  il  y  a  quelques 
années  k  Besançon  (i).  Villar  ,  sans 
reprendre  sous  l'Empire  les  fonctions 
ni  le  costume  ecclésiastique  ,  demeu- 
ra toujours  attaché  comme  particu- 
lier aux  croyances  et  aux  pratiques 
religieuses.  Il  crut  aussi  devoir  aux 
convenances  de  son  état  de  ne  point 
revêtir  le  costume  de  l'Institut.  De- 
puis long-temps  ,  ailàibli  par  l'âge, 
il  ne  prenait  aucune  part  aux  travaux 
de  l'académie  ,  lorsqu'il  mourut  le 
26  août  i8'i6.  M.  Augcr  pronon- 
ça sur  son  cercueil  un  discours 
qui  n'a  point  été  imprimé.  Villar  a 
eu  pour  successeur  M.  de  Feletz  ,  un 
des  collaborateurs  du  Journal  des 
Débats ,  et  de  la  Biographie  univer- 


[})  Dans  une  notice  sur  l'abbe'  Villar ,  inse'rée  au 
tome  !^C|  de  \'Ami  de  la  religion  el  du  roi  ,  il  est 
«luestioii  d'une  Lettre  à  M,  iUlar  ^  cvêqiie  à  La- 
val,  datée  du  27  septembre  i^Qï  ,  dont  l'auteur, 
qui  paraît  être  une  l'emnie  ,  foit  la  critique  du 
clerïc  constitutii'Uncl. 


VIL  507 

selle.  Peu  d'académiciens  ont  moins 
écrit  que  Villar;  et  tout  ce  qu'il  a 
laissé  est  d'une  grande  médiocrité. 
Outre  les  Rapports  et  les  Notices 
mentionnés  dans  cet  article,  ou  a  de 
lui  :  I.  Des  Lettres  pastorales  en 
fort  petit  nombre.  II.  Des  Poésies 
insérées  dans  quelques  Recueils,  et 
parmi  lesquelles  on  distingue  une 
Ode  sur  le  Despotisme  oriental , 
couronnée  dans  le  temps  par  l'aca- 
démie des  jeux  floraux.  III.  A^o- 
tice  sur  la  Vie  et  les  Ouvrages 
de  Louvet.  IV.  Deux  Discours  pro- 
noncés aux  funérailles  de  J.Dusaulx 
et  d'Etienne  Boullée ,  architecte.  Ces 
divers  morceaux  sont  imprimés  dans 
les  Mémoires  de  l'Institut.  V.  Quel- 
ques Fragments  à' unG  traduction  en 
vers  de  l'Iliade,  lus  à  l'académie, 
entre  autres  le  Désespoir  d" Achille 
après  la  mort  de  Patrocle  ^  qui  a 
été  publié  dans  la  Décade  philoso- 
phique. Ce  dernier  morceau  est  assez 
faible  de  poésie;  mais  si  Villar  n'é- 
tait pas  un  bon  poète ,  il  était  du 
moins  un  assez  bon  helléniste.  La  dou- 
ceur de  son  caractère  ,  la  modéra- 
tion de  ses  principes  ,  sa  modestie , 
son  désintéressement ,  et  l'usage  tou- 
jours bienveillant  qu'il  avait  fait  de 
l'intluence  que  lui  donnèrent  les  fonc- 
tions léiiislatives  et  universitaires  , 
ont  assez  compense  le  tort  de  s  être 
laissé  nommer  évèque  constitution- 
nel. —  L'abbé  Villar  avait  un  frère, 
avocat  distingué  du  barreau  de  Tou- 
louse. Une  singulière  manie  de  citer 
à  tout  propos  le  biographe  de  Ché- 
ronnée  l'avait  fait  surnommer  Fil- 
lar-Plutarque.  Il  embrassa  les  prin- 
cipes de  la  révolution  avec  modéra- 
tion, et  fut  envoyé  à  Mayence  le  lo 
avril  T792,  en  qualité  de  chargé 
d'affaires  de  France.  Au  mois  d'oc- 
tobre 1 794 ,  il  fut  appelé  aux  fonc- 
tions de  ministre  de  la  république , 


5o8  VIL 

auprès  de  l'État  de  Gênes  ,  où  il  rem- 
plaça Naillac,  accusé  d'avoir  livre 
Toulon  aux  Anglais.  11  fut  rem- 
place lui-même ,  au  mois  d'avril 
1796,  par  Faypoult.  De  retour  à 
Paris,  il  z-enonça  à  toutes  fonctions 
publiques,  et  mourut  peu  d'années 
après ,  laissant  à  son  frère  sa  maison 
rue  de  Bourbon,  où  tous  deux  sont 
décèdes.  D — r — r. 

VILLARÉAL  (Manuel  Fernan- 
UEz  de),  diplomate  portugais,  était 
né  ,  au  commencement  du  dix- 
septième  siècle,  de  parents  juifs. 
Il  fut  instruit,  dans  son  enfance,  des 
vérités  du  christianisme  ,  et  placé 
dans  une  école ,  où  il  fi  t  de  bonnes 
études.  Ayant  embrassé  la  profession 
des  armes  ,  il  dut  à  sa  valeur  le  gra- 
de de  capitaine.  Il  abandonna  depuis 
cette  carrière,  et  fut  nommé  consul 
de  la  nation  portugaise  à  Rouen.  Il 
gagna  la  protection  du  cardinal  de 
Richelieu  ,  en  se  rendant  l'apologiste 
des  actes  de  son  miuistère,  et  surtout 
en  exaltant  l'ancienneté  de  sa  maison, 
qu'il  lit  descendre  des  rois  de  Cas- 
tille  et  de  Portugal,  par  le  mariage 
de  Guyonne  de  Laval  avec  François 
Du  Plessis,  l'un  des  ancêtres  du  pre- 
mier ministre  (  Voy.  la  Bihl.  histor. 
de  la  France,  \n^  l\3>'-j'6^).  Cette 
flatterie  lui  valut ,  avec  une  pension , 
une  assez  grande  influence,  qu'il  fit 
tourner  a  l'avantage  du  commerce 
de  sa  nation.  Le  manifeste  que  publia 
le  duc  de  Bragance  (  Jean  IV  ) ,  lors 
de  son  élévation  au  trône  de  Portu- 
gal, ayant  été  vivement  attaqué  par 
Jean  Caramuel  (  V.  ce  nom  ) ,  depuis 
évêque  de  Vigevano  ,  Villaréal  publia 
V Anti-Caramuel  ,  Paris ,  1 1)43  ,  in- 
4°. ,  ouvrage  dans  lequel  il  établit 
solidement  l'indépendance  du  Portu- 
gal à  l'égard  de  l'Espagne.  Il  revint 
peu  de  temps  après  à  Lisbonne,  où  il 
continua  d'être  employé  d'une  manic- 


VIL 

re  utile  par  le  ministère  ;  mais  ayant 
été  dénoncé  comme  s'étant  rendu 
coupable  de  judaisme,  ses  services 
ne  purent  lui  faire  pardonner  un  cri- 
me qui  n'était  rien  moins  que  prou- 
vé. Condamné  par  le  tribunal  de 
l'inquisition,  il  termina  sa  vie  sur  le 
fatal  bûcher ,  vers  1 65o .  Outre  V An- 
ti-Caramuel,  on  cite  de  lui  :  Epito- 
vie  gejiealogico  del  ein.  card.  du- 
que  de  Richelieu  y  discorsos  politi- 
cos  sobre  algunas  acciones  de  su 
vida,  Pampelune,  1641,  in-4'^-; 
réimprimé  sous  ce  titre  :  ElpoUtico 
cliristiano  ;  discorso  politico  de  la 
viday  acciones  del.  card.  de  Biche- 
lieu  ,  ibid. ,  1642  ,  in- S'',  et  in- 12; 
trad.  en  français ,  par  Chantonière 
de  Cremeuil ,  Paris,  i643,  in-4''.  et 
in-i2.  C'est  le  récit  abrégé  des  prin- 
cipaux traits  de  la  vie  du  cardinal 
de  Richelieu  ,  accompagnés  de  ré-  • 
flexions  politiques  assez  judicieuses. 
VS^— s. 
YILLARET  (Guillaume),  vingt- 
quatrième  grand-maître  de  l'ordre 
des  Hospitaliers  de  Saint-Jean  de 
Jérusalem,  appartenait  à  une  famille 
provençale  de  la  plus  haute  distinc- 
tion. Jourdaine,  sa  sœur  ,  était  à  la 
tête  du  monastère  des  Hospitaliers 
de  Saint- Jean  de  Fieux  en  Quercy  j 
Foulques ,  son  frère  ,  depuis  grand- 
maître,  occupait  une  des  places  les 
plus  distinguées  de  l'ordre;  et  lui- 
même  était  grand-prieur  de  Saint- 
Gilles,  maison  de  la  langue  de  Pro- 
A'euce ,  lorsqu'il  fut ,  malgré  son  ab- 
sence et  son  cloiguemcnt ,  promu  au 
magistère  en  remplacement  d'Odon 
de  Pins.  Avant  de  se  rendre  à  la  ré- 
sidence, qui  alors  était  Limisso  dans 
l'île  de  Chypre,  Guillaume  voulut 
visiter  en  personne  tous  les  prieurés  J 
des  langues  de  France,  de  Provence 
cl  d'Auvergne,  convoqua  un  clia])i- 
trc  général  à  la  commanderie  de  la      . 


VIL 

Tronqiiièrc  ,  y  lit  ,'idoplcr  plusieurs 
statuts  tressages,  reforma  beaucoup 
d'abus,  et  rela])bt  la  discipline  dont 
les  liens  se  relàcliaient  de  jour  en 
jour,  et  enfin  soumit  à  l'inspection 
du  grand- prieur  de  Saint-Gilles  les 
trois  maisons  hospitalières  de  Beau- 
lieu  ,  Martel  et  Ficux.  De  là  il  se 
rendit  à  Rome  ,  où  il  reçut  la  be'ne'- 
diction  du  pape  Boniface  VllI ,  puis 
à  Limisso.  Il  ne  se  passa  ,  du  reste  , 
rien  de  mémorable  sous  son  r(?gne. 
Néanmoins  l'histoire  ne  peut  passer 
sons  sdcnce  les  deux  projets  à  l'ac- 
complissement desquels  Guillaume 
consacra  uniquement  ses  pense'es ,  et 
dont  l'un  fut  exécute  quelques  années 
après  par  son  frère.  Tous  les  deux 
tenaient  à  la  fausse  position  dans  la- 
quelle se  trouvaient  placés  au  milieu 
du  royaume  de  Chypre  les  cheva- 
liers de  Saint- Jean  de  Jérusalem.  Le 
lieu  de  leur  résidence  était  un  village 
éloigné  de  la  mer  ;  nul  port  n'était 
complètement  à  leur  disposition  ;  le 
prince,  ombrageux  et  avare,  voyait 
avec  une  appréhension  jalouse  leur 
voisinage,  et  avait  hasardé  quelques 
tentatives  pour  les  assujétir  à  un  tri- 
but. Guillaume  aspirait  à  faire  sortir 
ces  chevaliers  de  cet  état  d'incerti- 
tude et  de  dépendance.  La  Terre- 
Sainte  devait  d'abord  attirer  ses  re- 
gai'ds.  Déjà  .soutenus  par  Gazan,  fils 
d'Agun ,  khan  des  Tatars  Monghols, 
roi  de  Perse  ,  et  un  des  plus  célèbres 
descendants  de  Gengiskhan,  les  Hos- 
pitaliers avaient  poussé  avec  succès 
d'audacieuses  excursions  dans  la  Sy- 
rie, la  Palestine  et  l'Egypte  j  le  mo- 
narque musulman  avait  envoyé  des 
ambassadeurs  à  Boniface  pour  ren- 
gager à  prêcher  une  croisade  contre 
le  Soudan  ;  et  il  était  probable 
que  quelques  troupes  d'élite  ras- 
semblées à  la  voix  du  pontife  suf- 
firaient, avec  les  soldats  de  Gazan  et 


VIL  5o9 

les  deux  ordres  militaires  d'Orient , 
pour  conquérir  la  Palestine.  Mais  les 
rixes  continuelles  entre  le  saint- père 
et  le  roi  de  France,  et  ensuite  les 
intrigues  qui  divisèrent  le  conclave  , 
après  la  mort  du  premier,  empêchè- 
rent de  songer  aux  Infidèles.  Guil- 
laume alors  tourna  ses  vues  du  côté 
de  l'Orient ,  et  songea  à  s'emparer 
de  l'île  de  Rhodes  qui  était  au  pou- 
voir de  la  famille  Gualla.  Il  ve- 
nait de  visiter  les  côtes  voisines  de 
cette  île  et  les  îlots  qui  l'entou- 
rent, quand,  en  arrivant  à  Limisso, 
il  tomba  malade  et  mourut  au  bout 
de  quelques  mois.  Le  nouveau  pape, 
Clément  V  (Bertrand  de  Got),  ve- 
nait de  le  mander  près  de  lui  pour 
un  projet  de  croisade.  Guillaume  de 
Villarct  eut  pour  successeur  Foul- 
ques ,  son  frère  (  Foy.  l'article  sui- 
vant ).  P OT. 

VILLARET  (Foulques  de), 
vingt  -  cinquième  grand  -  maître  de 
l'ordre  des  Chevaliers  Hospitaliers 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem ,  rem- 
plissait déjà  les  plus  hautes  fonc- 
tions de  l'ordre  ,  lorsque  Guillaume, 
son  frère,  succéda  à  Odon  de  Pins. 
Lui-même  fut  élu  d'une  voix  unani- 
me ,  après  la  mort  de  Guillaume , 
en  i3o8.  On  sait  que  son  prédéces- 
seur méditait  depuis  long -temps  un 
plan  pour  faire  cesser  la  position  hu- 
miliante et  précaire  de  l'ordre  dans 
l'île  de  Chypre,  et  pour  lui  créer  un 
établissement  indépendant  ;  et  l'on 
croyait  généralement  que  Foulques 
avait  été  initié  à  tous  les  secrets  po- 
litiques de  Guillaume.  En  effet ,  à  pei- 
ne eut  -  il  été  revêtu  de  la  grande- 
maîtrise  qu'il  ne  songea  plus  qu'à  la 
conquête  de  l'île  de  Hhodes.  Cette  île, 
placée  aux  limites  de  l'Europe  et  de 
l'Asie ,  était  entre  les  mains  d'un 
princcc]irclien,commcie  poste  avan- 
cé de  l'Orient,  comme  le  vestibule 


5io 


VIL 


de  la  Palestine.  En  même  temps  _,  au- 
cune puissance  ,  eu  Europe ,  ne  pou- 
vait s'opposer  sérieusement  à  la  lé- 
gitimité de  la  conquête.  Ancienne- 
ment comprise ,  ainsi  que  toutes  les 
îles  de  l'Archipel ,  l'Asie  Mineure  et 
la  Syrie,  dans  l'empire  de  Constan- 
tinople,  elle  avait  depuis  long-temps 
cessé  d'en  faire  partie,  et  cliangeaut 
presque  continuellement  de  tyi'ans  , 
avait  subi  le  joug,  tantôt  des  Génois, 
tantôt  de  quelques  dignitaires  ambi- 
tieux et  inlidèles  à  l'empereur.  Elle 
avait  été  conquise  deux  fois,  sous  Va- 
tace,  d'abord  par  Jean  Cantacuzène  , 
son  grandéchanson^ensuite  parThéo- 
dore  Protosébaste  :  mais  ses  succes- 
seurs n'avaient  point  su  garder  sa 
conquête;  et  l'île  obéissait  alors  à  des 
seigneurs  de  la  maison  de  Gualla  , 
qui  d'abord  avaient  été  gouverneurs 
de  riie,puis  s'étaient  rendus  indé- 
pendants, et  avaient  attiré  dans  leur 
nouvelle  souveraineté  beaucoup  d'é- 
trangers, principalement  des  Sarra- 
sins et  des  ïurks ,  et  même  des  cor- 
saires ,  auxquels  ils  ouvraient  leur 
port,  et  donnaient  un  refuge,  toutes 
les  fois  que  les  galères  des  Hospita- 
liers ou  d'une  autre  puissance  chré- 
tienne les  poursuivaient.  Foulques 
envoya  donc  une  ambassade  à  l'em- 
pereur Andronic  II  Comnène  ,  pour 
lui  demander  l'investiture  d'un  pays 
qu'on  pouvait  regarder  comme  per- 
du pour  lui ,  et  en  même  temps  il 
se  rendit  à  Poitiers  ,  oîi  étaient 
le  roi  de  France  ,  Philippe-le-Bel , 
et  le  pape  Clément  \ .  11  leur  com- 
muniqua son  projet  ,  et  sollicita 
de  l'un  des  secours  et  de  l'autre 
un  appel  à  la  chrétienté.  On  lui 
accorda  tout  ce  qu'il  demandait  ;  et 
non  -  seulement  il  vint  à  la  voix  du 
pontife  assez  de  croisés  pour  que  les 
vaisseaux  des  Hospitaliers  ne  pussent 
tous  les  emmener ,  et  que  le  grand- 


VIL 

maître  fût  forcé  de  choisir  parmi  les 
plus  nobles  et  les  plus  intrépides  ; 
mais  encore  Clément  donna ,  de  ses 
propres  deniers ,  quatre  -  vingt  -  dix 
mille  florins,  pour  aider  aux  frais 
de  la  guerre.  Foulques  s'embarqua 
ensuite  à  la  tête  de  sa  flotte ,  dissimu- 
lant ses  vues  sur  Hhodes,  et  laissant 
penser  aux  croisés  que  le  but  de  l'ex- 
pédition était  la  Terre-Sainte  j  pour 
ne  point  faire  soupçonner  ses  des- 
seins, il  laissa  Rhodes  sur  la  gauche, 
et  vint  abordera  Limisso.  11  en  re- 
partit quelques  jours  après,  cingla 
au  jV.  -  0. ,  s'arrêta  à  ?;lacri,  sur  les 
côtes  de  la  Lycie,  et  là  apprit  qu'An- 
dronic ,  ennemi  des  Latins ,  et  tou- 
jours bercé  par  l'espérance  de  re- 
prendrel'îlesurles  Gualla,  bien  moins 
redoutables,  du  reste  ,  que  les  Hos- 
pitaliers ,  avait  refusé  l'investiture , 
et  même  comptait  envoyer  incessam- 
ment des  troupes  dans  l'île.  Néan- 
moins Foulques  se  présenta  devant 
Rhodes,  accompagné  de  ses  cheva- 
liers et  des  croisés  européens  ,  et 
s'empara  de  l'île  presque  toute  eutiè- 
re.  Il  mit  ensuite  le  siège  devant  la  ca- 
pitale. Les  habitants  résistèrent  avec 
un  courage  héroïque  et  une  constance 
sans  égale.  Les  croisés  ,  fatigués  de  la 
longueur  du  siège  ,  partaient  les  uns 
après  les  autres.  Bientôt  le  grand-maî- 
tre se  vit  réduit  à  ses  propres  forces. 
11  ne  perdit  point  courage,  convertit 
le  siège  en  blocus ,  emprunta  de  gros- 
ses sommes  aux  banquiers  de  Flo- 
rence, et  fit  lever  de  nouvelles  trou- 
pes. Peu  après  leur  arrivée,  une  ar- 
mée d'Andronic  débarqua  sur  les 
côtes  de  Rhodes.  Les  Hospitaliers , 
pressés  de  tous  côtés  entre  leurs  en- 
nemis ,  se  jetèrent  sur  les  Grecs,  et 
apiès  une  bataille  sanglante ,  demeu- 
rèrent victorieux.  Le  siège  fut  conti- 
nué avec  une  nouvelle  ardeur^  et  en- 
fin Rhodes  fut  emportée  d'assaut,  le 


VIL 

1 3  août  i3 1 o.  Foulques  s'occupa  en- 
suite cle  rétablir  les  murailles  et  les 
fortifications  de  la  ville ,  rassembla 
dans  le  port  tous  les  vaisseaux  de  la 
religion ,  s'empara  de  tous  les  îlots 
voisins  et  des  îles  ,  plus  importantes, 
de  Cos  et  de  Syrne.  A  peine  revenu 
à  Rhodes,  il  eut  à  combattre  le  célè- 
bre Othman  ,  qui,  vers  l'an  iSoo, 
avait  jeté  dans  Iconium  (Konieli  )  , 
sur  les  débris  de  la  puissance  des 
Seldjoukides,  les  fondements  de  ce 
vaste  empire  turk,  qui,  en  deux  siè- 
cles, embrassa  trois  parties  du  monde, 
11  vainquit  ce  prince,  et  le  força  de  rc- 
jircndre  le  chemin  de  ses  États.  On  a 
prétendu  que  les  Hospitaliers  ne  du- 
rent alors  leur  salut  qu'au  secours  du 
comte  Amédée  V  de  Savoie,  sur- 
nommé le  Grand  j  mais  cette  erreur 
a  été  réfutée.  Amédée  était  en  iBog 
en  Angleterre  ,  oîi  il  assistait  au  cou- 
ronnement d'Edouard  II  ;  et  en  1 3 1  o 
il  recevait  à  Chambéri  l'empereur 
Henri  VII  de  Luxembourg  ,  riouvel- 
lement  élu  ,  et  l'accompagnait  à  Ro- 
me et  dans  toute  l'Italie.  Deux  ans 
après,  le  22  mai  i3i2  ,  l'ordre 
des  Templiers  ayant  été  solennelle- 
ment aboli  par  Clément  V ,  Foul- 
ques accepta  l'adjudication  de  leurs 
biens,  offerte  à  l'ordre  de  Saint-Jean 
de  Jérusalem  par  le  pontife ,  et  prit 
les  mesures  les  plus  sages  pour  que  la 
cupidité  de  quelques  ministres  ou  les 
vues  particulières  des  princes  ne  pus- 
sent ravir  aux  chevaliers  un  si  bel 
héritage.  IMais  ce  fut  là  le  terme  de 
sa  gloire.  Enivré  d'orgueil,  entouré 
de  flatteurs ,  il  s'abandonna  aux  plai- 
sirs ,  s'appropria  arbitrai  rement  les 
richesses  de  l'ordre,  traita  avec  la 
hauteur  et  l'injustice  du  despotisme 
ses  plus  nobles  chevaliers ,  repoussa 
toutes  leurs  remontrances.  Quelques- 
uns  conspirèrent  contre  lui.  Averti  à 
temps,  il  s'enfuit  au  château  de  Lin- 


VIL  5 II 

do ,  et  se  prépara  à  soutenir  un  siège. 
Les  murmures  éclatèrent  alors  de  tou- 
tes parts.  Le  complot  devint  une  ré- 
volte, à  laquelle  tous  prirent  part  ; 
et  dans  une  assemblée  très-nombreu- 
se, il  fut  déposé  à  l'unanimité  et  rem- 
placé par  Maurice  de  Pagnac  Foul- 
ques en  appela  au  jugement  du  pape 
(Jean  XXII);  et  celui-ci, ayant  nom- 
mé Gérard  de  Pins  vicaire -géuéral 
de  l'ordre,  appela  les  deux  compé- 
titeurs à  sa  cour  d'Avignon.  L'affaire 
traîna  en  longueur.  Cependant  il  était 
évident  que  Foulques  allait  triom- 
pher ,  quand  Maurice  mourut ,  en 
i32  I .  Le  schisme  alors  finissait  na- 
turellement ,  et  Villaret  recouvrait 
tous  ses  droits  ;  mais  le  pape ,  en  les 
lui  confirmant ,  exigea  de  lui ,  en  se- 
cret ,  que  cette  nouvelle  promotion 
ne  fût  que  nominale,  et  qu'il  donnât, 
comme  spontanément ,  sa  démission, 
à  condition  qu'il  aurait  le  comman- 
dement d'un  grand-prieuré,  et  qu'à  lui 
seul  en  apparticndiaicnt  les  revenus. 
Le  grand-maître  fut  forcé  de  consen- 
tir ,  et  abdiqua.  Il  mourut,  quatre 
ans  après  (  1 3'2g) ,  au  château  de  Tei- 
ran,  où  il  s'était  retiré,  après  divers 
changements  de  prieurés.  Jean  XXII 
avait  fait  nommer,  ou,  selon  quelques- 
uns,  aAait  nommé  lui-même,  pour 
le  remplacer,  Hélion  de  Villeneuve, 
dès  l'an  i323.  P — ot. 

VILLARET  (  Claude  ) ,  histo- 
rien français,  naquit  à  Paris,  on  ne 
sait  pas  en  quelle  année,  mais  peu 
après  i-j  i5.  Il  fît  de  très-bonnes  étu- 
des ;  et  ses  parents  ,  qui  avaient  pris 
un  grand  soin  de  son  éducation ,  le 
destinaient  au  barreau.  Il  trompa 
leurs  espérances  ^  l'étude  austère  des 
lois  n'eut  aucun  attrait  pour  lui  :  il 
aimait  la  dissipation,  les  plaisirs  et 
la  littérature  légère.  Les  dérèglements 
de  sa  jeunesse  l'éloignèrent  long- 
temps des  carrières  honorables.  A 


5 12  VIL 

tous  cj^ards ,  il  aurait  bien  mnl  do- 
Luté  dans  celle  des  lettres  ,  s'il  était 
rëellemcnt  l'auteur  d'un  opuscule  im- 
prime sous  ce  titre  :  Prcdiction<;  gé- 
nérales et  particulières  pour  l'an- 
née i']^\  ,  à  Paris,  chez  Tel,  à  la 
Sibylle,  4^  pag.  in-i6.  On  a  e'crit 
sou  nom  sur  des  exemplaires  de  ce 
petit  recueil  de  ti'aits  satiriques  ,  en 
mauvaise  prose  et  en  vers  informes , 
contre  plusieurs  auteurs  et  acteurs  de 
ce  temps-là  ;  Crebillon  père  et  fils  , 
La  Chaussée,  ^iarivaux.  ,  Destou- 
ches, Fontenelle,  Desfontaiues,  l'ab- 
be'  Le  Bhnc  ,  Prévost,  Gresset,  Vol- 
taire, M"".  Du  Cliàtelet,  MU".  Le 
Maure,  M^^^^.  Gaussin,  etc.  :  il  n'y 
a  de  louanges  que  pour  J.-B.  Rous- 
seau ,  qui  venait  de  mourir.  Ce  livi'et 
ne  ressemble  ni  par  les  idées  ,  ni  par 
les  formes,  à  aucun  des  ouvrages 
authentiques  de  Villaret;  et  s'ili'a- 
vait  composé  à  l'âge  d'environ  vingt- 
cinq  ans  ,  ce  qui ,  à  toute  force,  serait 
possible ,  il  faudrait  encore  l'eu  plain- 
dre. Deux  ans  après,  il  fit,  en  socié- 
té avec  Bret  et  Daucour  (  ^.  Go- 
dard ,  XVII,  543  ),  une  comédie 
en  un  acte  et  en  vers ,  appelée  le 
(Quartier  d'hiver ,  qui  fut  jouée  sans 
succès  au  Théâtre  Français  ,  et  qui 
n'a  pas  été  imprimée  :  Granval  en 
avait  donné  une  sous  le  même  titre,  en 
1696,  à  Lyon.  Villaret  publiait  aussi, 
eu  1743,  un  roman  intitulé  Histoire 
du  cœur  humain  ou  Mémoires  du 
marquis  de  *** ,  la  Haye  (  Paris  ) , 
in- 12.  Nous  croyons  que  c'est  le  ])re- 
mier  écrit  qu'il  a'it  mis  au  jour  ;  tou- 
tefois c'est  un  autre  roman ,  nommé 
La  belle  Allemande,  qu'on  indique 
ordinairement  comme  son  début  dans 
la  littérature,  quoique  ce  livre  soit 
sans  nom  d'auteur ,  et  qu'il  n'ait  paru 
qu'en  1745,  Amsterdam  (Paris), 
in-i2.  Au  surplus  ,  ces  deux  produc- 
tions sont  si  médiocres  _,  qu'on  peut 


VIL 

n'en  tenir  aucun  compte  (i).  Tan- 
dis que  Villaret  faisait  avec  si  peu  de 
fruit  l'essai  de  ses  talents  littéraires  , 
ses  afiaires  domestiques  se  déran- 
geaient à  tel  jioint,  qu'il  se  vit  forcé 
de  sortir  de  Paris,  en  i74<^-  Sa  dé- 
tresse extrême  et  la  passion  qu'il 
avait  conçue  pour  ime  jeune  actrice 
r^ntraîuèreut  à  se  faire  comédien  de 
province.  Il  s'en  alla,  sous  le  nom  de- 
Dorval,  jouer  les  rôles  d'amoureux^ 
sur  le  théâtre  de  Rouen  ,  et  y  réussit 
assez  bien  pour  qu'on  lui  confiât 
bientôt  des  rôles  de  caractères,  com- 
me le  Glorieux  et  le  Misanthrope  :  il 
obtint  même  les  applaudissements  de 
la  cour  à  Compiègne.  Il  n'en  sentait 
pas  moins  les  dégoûts  de  cette  profes- 
sion ,  et  il  y  renonça ,  en  1 7 56 ,  quoi- 
qu'il fût  devenu ,  à  Liège  ,  directeur 
d'une  troupe.  Ou  voit  pourtant  qu'il 
prenait  encore  quelque  intérêt  à 
l'art  qu'il  avait  exercé  pendant  huit 
années  ;  car  ,  lorsque  J.-J.  Rousseau 
eut  publié  eu  17J7  sa  Lettre  sur 
les  spectacles,  Villaret  fut  l'un  de 
ceux  qui  entreprirent  de  la  réfu- 
ter. La  réponse  qu'il  y  lit  parut  eu 
1758  (  Considérations  sur  l'art  du 
théâtre,  Genève,  82  pag.  in-8°.  ); 
et  c'est  peut-être  ,  après  celle  de  d'A- 
lembert,  la  meilleure  qu'où  ait  com- 
posée à  cette  époque.  Elle  annonçait 
une  étude  assez  profonde  de  l'art 
théâtral  ,  et  même  quelques  pro- 
grès dans  l'art  d'écrire.  V  illaret  pu- 
bliait en  même  temps  un  autre  vo- 
lume in-8''.  qui  ne  lui  avait  coûté  que 
la  peme  d'en  recueillir  et  d'eu  distri-, 
bucr  les  articles  :  c'était  un  Esprit 
de  M.  de   Foliaire  {  284  pages  )  , 


(i)  Le  Uiclionnttirc  des  Anonymes  de  Barbier 
.Tllache  le  nom  de  VlUaret  à  deux  autres  prodiir- 
lious  du  mctae  genre,  et  encore  pins  nuî»liees  , 
qui  ont  ponr  titres  :  Le  Cocq  ou  Mémoire  du  t  /i:;- 
tuilier  r.  ,  •74'»,  in-i-?.  ;  .■hrti-Paméln  mi  Mémn!- 
les  de  ]\I.  O.  ,  Londres  l^Paris) ,  I7.'|7.  ,  iii-i:(  .  i5i 
pages.  11  est  fort  douteux  que  ces  licu^  articles,  et 
surtout  le  premier,  soient  ou  rflel  'le  Viliarel. 


VIL 

c'est-à-dire,  un  chois  des  pensées  les 
jiliis  originales,  exprimées  par  cet 
écrivain,  en  vers  et  en  prose,  avant 
1760  :  ce  chois,  est  fait  avec  goût , 
discernement  et  méthode.  IMais  de- 
pnis  qne  Villaret  était  revenu  de  Liè- 
ge à  Paris,  ses  amis  lui  avaient  pro- 
curé un  emploi  qui  changeait ,  pour 
le  reste  de  sa  vie,  le  cours  de  ses  ha- 
bitudes et  de  ses  travaux  :  il  était  de- 
venu premier  commis  à  la  chambre 
des  comptes.  Un  incendie  avait  con- 
sumé, en  1788,  une  partie  des  ar- 
chives de  cette  cour  :  chargé  démet- 
tre en  ordre  les  restes  de  ce  précieux 
dépôt ,  Villaret  prit  goût  à  ce  travail, 
qui  lui  fournissait  l'occasion  d'étu- 
dier ,  flans  quelques-unes  de  leurs 
sources  ,  les  Annales  delà  monarchie 
française ,  à  partir  du  règne  de  saint 
Louis^  Son  application  à  ce  genre  de 
recherches ,  et  ses  progrès  rapides 
dans  la  science  historique  ,  détermi- 
nèrent les  libraires  Desaint  et  Sail- 
lant à  le  choisir  pour  continuateur 
de  l'ouvrage  de  Velly  (  V.  ce  nom 
ci-dessus  ,  page  9^) ,  qui  était  mort 
le  4  sept.  17,59,  n'ayant  rédigé  que 
les  226  premières  pages  du  tom.vm 
de  son  Histoire  de  France.  Villaret 
l'a  conduite  jusqu'à  la  page  848  du 
tomexvii,  c'est-à-diredepuis  1829, 
seconde  année  du  règne  de  Philippe 
de  Valois,  jusqu'en  1469,  neuvième 
année  du  règne  de  Louis  XL  Les  tom. 
viii  et  IX  curent  un  grand  succès  ;  il 
fallut  tirer  l'ouvrage  à  plus  d'exem- 
plaires ,  et  réimprimer  ceux  de  Vel- 
ly :  on  dit  que  les  libraires  triplèrent 
les  honoraires  du  continuateur,  ce 
qui  les  aurait  portés  à  quatre  mille 
cinq  cents  livres  par  volume,  somme 
un  peu  forte  pour  ce  temps-là.  La 
fortune  de  Villaret  s'accrut  encore 
du  traitement  attaché  à  mie  place 
de  secrétaire  des  ducs  et  pairs  ,  qui 
fut  créée  exprès  pour  lui.  Grimm  le 

XLVIII. 


VIL 


5i3 


désigne ((7orre5/7. ,  mai  1 768)  comme 
l'éditeur  des  Mémoires  rédigés  par 
Vertot ,  sur  les  ambassades  de  MM. 
de  Noailles ,  au  seizième  siècle ,  5 
vol.  in-r2.  En  1764,  Villaret  inséra 
dans  la  Gazette  littéraire  une  Ré- 
ponse à  une  lettre  où  l'on  avait  cri- 
tiqué certaines  parties  de  ses  récits, 
relatives  à  la  bataille  d'Azincourt  et 
à  la  Pucelle  d'Orléans.  Il  paraît  qu'à 
la  même  époque  il  coopérait  au 
Cours  d'Histoire  universelle ,  entre- 
pris par  Luneaude  Boisjermain  {F. 
LuNEAu,  XXV,  43i  ).  Tant  d'oc- 
cupations et  d'études,  après  la  dissi- 
pation et  les  dérèglements  d'une  lon- 
gue jeunesse,  ne  fortifièrent  pas  la 
santé  de  Villaret.  Un  travail  trop 
assidu  lui  causa  une  rétention  d'u- 
rine qui  l'obligeait  à  se  faire  souvent 
sonder.  Dans  l'accès  d'une  vive  dou- 
leur ,  il  voulut  se  sonder  lui-même 
et  se  blessa  :  il  s'ensuivit  une  in- 
flammation à  laquelle  on  ne  put  remé- 
dier ,  et  dont  les  progrès  l'emportè- 
rent en  trois  joursj  il  mourut  à  la 
lin  defév.  1 766.  Qnoiqu'ilfût  devenu 
timide  et  d'ime  humeur  un  peu  som- 
bre ,  ses  amis  trouvaient  de  la  dou- 
ceur et  une  sûreté  parfaite  dans  sa 
société;  il  était  poli,  et  quelquefois 
aimable  avec  eux.  Sa  célébrité  n'est 
attachée  qu'aux  9  volumes  (  et  122 
pag.  )  qu'il  a  placés,  après  Velly 
et  avant  Garnier  {F.  ce  nom  ,  XVI  , 
490  ) ,  dans  le  corps  d'Histoire  de 
France,  qui  est  encore  aujourd'hui 
le  plus  généralement  connu.  En  géné- 
ral ,  la  partie  qui  appartient  à  Villa- 
ret est  celle  qu'on  a  le  plus  louée.  Ce- 
taitjSelon Grimm,  la  premièreetpeut- 
être  la  seule  fois  qu'un  continuateiu- 
surpassait  son  modèle.  On  trouvait 
son  style  plus  élégant  et  plus  anime  , 
ses  recherches  plus  neuves  et  plus 
profondes.  On  lui  savait  gré  de  cer- 
taines anecdotes  curieuses,  etdequel- 
33 


5i4  VIL 

ques  éclaircissements  sur  les  origines 
de  la  chambre  des  comptes  ,  du  par- 
lement et  des  états-généraux.  Il  a  dis- 
tribué aussi  dans  le  cours  de  ses  vo- 
lumes plusieurs  observations  qui  con- 
cernent les  rois  d'armes,  les  hérauts 
d'armes,  la  chevalerie;  la  situation 
du  royaume ,  et  en  particulier  de  la 
ville  de  Paris  au  quatorzième  et  au 
quinzième  siècle ,  les  progrès  du  com- 
merce, ceux  des  lettres  et  spéciale- 
ment de  l'art  théâtral ,  l'établisse- 
ment de  la  bibliothèque  du  Roi  et 
l'invention  de  l'imprimerie.  Il  est 
vrai  pourtant  que  ces  explications 
ne  sont  pas  toujours  très-méthodi- 
ques ni  très  -  convenablement  pla- 
cées; qu'il  s'y  est  glissé  des  détails 
dès-lors  trop  rebattus ,  et  qu'on  a 
depuis  porté  plus  d'exactitude  et  de 
rigueur  dans  la  plupart  de  ces  re- 
cherches. Villaret  a  du  moins  profi- 
té de  toutes  celles  qui  s'étaient  laites 
jusqu'alors  au  sein  de  l'académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres ,  et  y  a 
joint  quelquefois  les  résultats  des 
siennes  propres.  Les  lecteurs  sévères 
se  plaignent  du  grand  nombre  et  de 
l'étendue  de  ses  digressions,  de  la 
prolixitédes  préambules  qu'il  attache 
au  commencement  de  chaque  rigne  , 
ou  de  chaque  période:  ils  ne  trouvent 
pointassez d'originalité  dans  les  por- 
traits qu'il  leur  oll're  des  rois  et  des 
personnages  célèbres.  Ces  morceaux 
en  effet  peuvent  sembler  vagues,  dif- 
fus, monotones,  plus  remplis  de  mots 
que  de  traits  caractéristiques.  Il  y 
aurait  moins  dereprocliesàfaire  aux 
récits  :  ils  sont  ordinairement  puisés 
à  leurs  véritables  sources,  et  rédigés 
avec  franchise  et  sans  partialité. 
Quelques  articles  néanmoins  ont  paru 
susceptibles  de  contradiction  :  par 
exemple  ,  on  peut  (Jouter  que  Mail- 
lard ,  qui  tua  ou  fit  tuer  le  prévôt 
de  Paris  ,  Marcel ,  ait  e'té  un  sujet 


VIL 

aussi  fidèle  ,  et  animé  de  sentiments 
aussi  purs  que  l'historien  le  suppo- 
se. Les  idées  politiques  et  morales 
répandues  dans  l'ouvrage  se  recom- 
mandent ,  sinon  par  leur  profon- 
deur ,  du  moins  par  leur  droiture 
habituelle  et  par  leur  caractère  na- 
tional. On  regrette,  à  la  vérité,  que 
l'auteur  ail  excusé  les  rigueurs  arbi- 
traires exercées  par  Louis  XI  et  par 
le  ministre  de  ses  vengeances,  Tris- 
tan l'Hermite,  et  qu'il  aitdit  que  «  l'in- 
»  térct  du  corps  entier  de  la  nation 
»  demandait  qu'on  employât  ces 
»  moyens  violents  pour  asseoir  la 
»  tranquillité  publique  »  ;  mais  il 
revient  bientôt  à  des  maximes  plus 
équitables,  réclame  l'observation  des 
formes,  et  se  plaint  des  condamna- 
tions irrégulières  dont  la  clandesti- 
nité donnait  à  ces  actes  de  justice 
V apparence  de  V assassinat.  Quoi- 
que ces  dernières  pai-oles  ne  soient 
pas  encore  d'une  justesse  parfaite  , 
l'intention  en  est  honorable.  Ailleurs 
il  s'engage  en  des  discussions  théo- 
riques, qu'il  n'a  pas  le  temps  ni  peut- 
être  la  faculté  d'approfondir  :  c'est 
ainsi  qu'il  lutte  beaucoup  trop  inéga- 
lement contre  Montesquieu  et  quel- 
ques autres  écrivains  ,  lors  même 
qu'il  V  aurait  lieu  en  effet  de  contre- 
dire et  de  réfuter  leurs  opinions.  Son 
ouvrage  n'est  pas  dégagé  de  tout 
esprit  de  système  ;  et  son  style  n'a 
d'ordinaire  ni  la  simplicité  ,  ni  la 
précision  énergique  qui  conviennent  à 
l'histoire  :  la  critique  a  cru  y  recon- 
naître l'accent  de  la  déclamation.  La 
diction  même  n'est  pas  toujours  très- 
pure  ;  mais  elle  est  souvent  élégante  j 
et  malgré  les  défauts  que  nous  ve- 
nons d'indiquer  ,  les  volumes  de 
Villaretsont  encore  aujourd'hui  ceux 
qu'on  peut  lire  avec  le  plus  d'intérêt 
et  de  fruit  sur  cette  partie  de  nos  an- 
nales. Elle  n'a  pu  être  complètement 


VIL 

traitée  par  Gaillard  (  Voy.  ce  nom  , 
XVI ,  tiya  )  ,  qui  ne  prenait  pour 
matière  principale  que  la  Rivalité  de 
la  France  et  de  l'Angleterre.  Qua- 
tre volumes  de  P.  Ch.  Lëvesque 
{J^oj.  ce  nom,  XXIV,  874)  sont 
intitules  La  France  sous  les  premiers 
Valois  ,  et  embrassent  les  règnes  de 
Philippe  VI  ,  Jean  ,  Charles  V  , 
Charles  VI  et  Charles  VII  :  Villaret 
y  est  cite' ,  quelquefois  copié,  et  plus 
souvent  critiqué.  I^a  plupart  de  ces 
critiques  sont  peu  fondées;  mais  nous 
croyons  fort  exactes  celles  qui  cancer- 
nent  la  iournée  dite  des  Harengs,  où 
Villaret  assure,  ina!-à-propos  ,  que 
les  Français  n'ont  point  employé 
d'artillerie  ;  la  prise  de  Fougères 
rapportée  à  l'an  i44^i  et  qui  doit 
l'être  à  i449  î  ^^  '*  substitution  fau- 
tive du  Havre-de-Gràce  auportd'Har- 
fleur.  Du  reste  l'ouvrage  de  Lëves- 
que est  moins  bien  écrit ,  et  à  tout 
prendre  moins  instructif.  Gaillard  a 
aussi  publié  des  observations  sur 
l'Histoire  de  France  de  Velly,  Villa- 
ret et  Garnierj  Paris,  1801  ,  4  vol. 
in-i2.  D — N — u. 

VILLARET  (Jean-Curysostôme), 
évêque  de  Casai ,  né  à  Rodez  le  27 
janvier  itSq  ,  fit  ses  études  au  sé- 
minaire de  Saint- Sulpice  ,  et  y  de- 
vint maître  de  conférences.  Il  en- 
tra en  licence  et  y  occupa  une  place 
distinguée.  11  fut  fait  ensuite  grand- 
vicaire  ,  chanoine  et  théologal  de 
sa  ville  natale.  Lorsque  l'on  forma  , 
sous  le  ministère  de  Necker ,  les  états 
de  la  Haute  -  Guienne  ,  Villaret  en 
fut  nommé  vice-président  et  eut  la 
principale  part  à  la  direction  des  af- 
faires. En  178g,  le  clergé  de  Ville- 
franche  le  députa  aux  états-géné- 
raux, ou  il  vota  toujours  avec  le 
côté  droit.  On  ne  voit  point  cepen- 
dant qu'il  ait  pris  part  aux  protes- 
tations de  cette  partie  de  l'assembléej 


VIL  5.5 

il  adhéra  seulement  â  V Exposition 
des  principes  dressée  parles  évêques. 
Pendant  les  temps  les  plus  fâcheux 
de  la  révolution ,  l'abbé  Villaret 
resta  dans  sa  patrie  ,  et  vécut  ignoré 
dans  une  maison  de  campagne.  Nom- 
mé à  l'évêché  d'Amiens  après  le  con- 
cordat, il  fut  sacré  le  23  mai  1802, 
et  gouverna  son  diocèse  avec  sagesse. 
On  le  chargea  ,  Tannée  suivante  , 
d'aller  dans  le  Piémont  pour  y  met- 
tre à  exécution  la  bulle  du  pape  sur 
la  réduction  des  sièges  épiscopaux  , 
et  lui-même  fut  transféré  à  l'un  des 
sièges  conservés  ,  celui  d'Alexandrie 
de  la  Paille.  Mais  peu  après  ,  Buo- 
naparte  ayant  voulu  faire  d'Alexan- 
drie une  place  forte  ,  et  ayant  or- 
donné la  démolition  de  la  cathédrale, 
le  siège  épiscopal  fut  transféré  à  Ca- 
sai, et  Villaret  en  prit  le  titre.  Ce 
fut  sur  ses  représentations  pressan- 
tes que  l'on  l'évoqua  l'ordre  de  ven- 
dre les  biens  ecclésiastiques  du  Pié- 
mont. Ce  prélat  était  aumônier  de 
Jos3ph  Buonaparte ,  et  lors  de  la 
formation  de  Tuniversité,  il  en  fut 
nommé  chancelier  j  cette  place  était 
la  première  après  celle  du  grand- 
maître  ,  et  les  fonctions  qui  y  étaient 
attachées  retinrent  souvent  le  prélat 
loin  de  son  diocèse.  Lorsque  le  Pié- 
mont fut  rendu  au  roi  de  Sardaigne, 
Villaret  donna  sa  démission  de  l'é- 
vêché de  Casai  ,  et  vécut  dans  la 
retraite.  Quoique  la  chute  du  gou- 
vernement impérial  l'eût  privé  de 
quelques  avantages  ,  il  n'en  vit  pas 
moins  avec  joie  le  retour  des  Bour- 
bons. Son  âge  seul  et  ses  infirmités 
empêchèrent  qu'on  ne  profitât  de  ses 
lumières  et  de  sa  capacité  pour  les 
affaires.  Il  mourut  à  Paris  le  12  mai 
i8i4  )  'l^iis  sa  quatre-vingt-sixième 
année.  P — c — t. 

VILLARET  DE  JOYEUSE 
(Louis-Thomas),  vice  amiral ,  na- 


5i6 


VIL 


qiiitàAiicli  en  i^So.  Sa  famille , 
qui  tenait  un  rang  distingué  dans  la 
noblesse  de  Gascogne  ,  le  destinait  à 
l'état  ecclésiastique;  mais  le  jeune 
Vilîaret  montrait  un  penchant  beau- 
coup plus  vif  pour  la  marine.  Toute- 
fois on  ne  consulta  point  ses  goûts  , 
et  par  des  motifs  de  convenance,  on 
le  fit  admettre  dans  les  gendarmes 
de  la  Maison  du  roi.  Une  alFaire 
d'honneur,  dans  laquelle  sou  adver- 
saire succomba  ,  le  força  de  quitter 
ce  corps  ;  et  sa  famille  ,  cédant  cnlin 
à  ses  instances ,  consentit  à  ce  qu'il 
entrât  dans  la  marine.  11  avait  alors 
seize  ans.  Un  caractère  vif,  un  cou- 
rage ardent ,  et  un  zèle  que  les  dilli- 
cultés  semblaient  augmenter  encore  , 
telles  étaient  les  qualités  qui  le  firent 
bientôt  distinguer  par  ses  chefs ,  et 
qui  lui  valurent  un  avancement  ra- 
pide, [embarqué  comme  lieutenant 
de  vaisseau  sur  la  frc^ateV ^ talnnte, 
en  1773  ,  il  fit  plusieurs  campagnes 
dans  les  mers  de  l'Inde.  Se  trouvant 
sans  emploi  à  PondicUéry  ,  lorsque 
les  Anglais  vinrent  mettre  le  siège 
devant  cotte  place ,  en  1 778  ,  il  ollrit 
ses  services  au  gouverneur ,  et  dé- 
ploya dans  cette  circonstance  des  la- 
lents  et  une  bravoure  tels  que,  sur 
le  compte  qui  en  fut  rendu  au  roi , 
par  M.  de  Bellecombe  ,  Vilîaret  fut 
nommé  capitaine  de  brûlot.  En  1781, 
il  commandait  en  cette  qualité  \cPul- 
cériscur ,  qui  faisait  partie  de  l'esca- 
dre du  bailli  de  Sulïïeu.  Cet  amiral, 
qui  avait  apprécié  toute  la  vaieur  de 
Vilîaret  ,  lui  confia  le  commande- 
ment de  la  Bcllone  après  le  combat 
de  Goudclour  ,  et  quelques  mois  plus 
tard  il  le  fit  passer  à  cchii  de  la  fré- 
gate la  IVaïade  ,  en  le  chargeant 
d'aller  prévenir  de  l'arrivée  de  l'es- 
cadre anglaise  à  la  cote  deux  vais- 
seaux et  deux  frégates  qui  croisaient 
à  la  hauteur  de  Madras.  La  mission 


VIL 

était  périlleuse  :  le  capitaine  Yilla- 
ret ,  en  recevant  ses  instructions  de 
la  main  de  Suffren  ,  lui  demanda, 
avec  cette  gaîté  qui  le  caracléi'isait , 
s'il  avait  eu  soin  d'y  joindre  des  let- 
tres de  recommandation  pour  l'a- 
miral anglais  et  pour  le  gouver- 
neur de  Madras.  L'événement  ne 
tarda  pas  à  justifier  ces  pressenti- 
ments. Trois  jours  après  son  départ, 
la  Naïade  eut  connaissance  d'un 
vaisseau  ennemi.  C'était  le  Sceptre 
de  64  canons  :  Vilîaret  manœuvra 
])Our  lui  échapper,  mais  sans  succès. 
Le  combat  dura  pendant  cinq  heures 
avec  acharnement.  \ja  Naïade  avait 
causé  au  vaisseau  anglais  des  avaries 
majeures  ;  mais  elle-même,  plus  mal- 
traitée ,  fut  enfin  obligée  d'amener. 
Le  capitaine  an  Sceptre  v'ml  recevoir 
Vilîaret  à  son  arrivée  à  bord  ,  et  en 
lui  rendant  son  épée,  que  celui-ci  lui 
remettait  :  Monsieur  ,  dit-il  ,  vous 
nous  donnez  une  belle  frégate ,  mais 
vous  nous  l'avez  fait  ppyer  bien, 
cher.  Lorsqu'au  mois  de  juin  1783 
la  paix  le  l'amena  au  milieu  de  ses 
camarades  ,  Suiïien  lui  fit  l'accueil 
le  plus  distingué  ,  et  le  décora  de  la 
croix  de  Saint-Louis.  En  1791 ,  Vil- 
îaret ,  qui  venait  d'èlre  fait  capitaine 
de  vaisseau  ,  prit  le  commandement 
de  la  frégate  la  Prudente ,  destinée 
pour  Saint-Domingue.  11  se  trouvait 
dans  cette  colonie  lors  des  premiers 
troubles  qui  y  éclatèrent,  en  1790  , 
et  il  contribua,  par  sa  fermeté  ,  à 
retarder ,  au  moins  pour  quelque 
tejiips,  les  déplorables  événements 
dont  plus  tard  elle  fut  le  théâtre. 
Quoique  opposé  aux  principes  de  la 
révolution  ,  Vilîaret  ne  crut  pas 
devoir  suivî'e  l'exemple  de  ceux  de 
ses  camarades  qui  émigrèrent  ,  et 
mû  par  d'autres  considérations  il 
prit ,  en  1 793  ,  le  commandement  du 
vaisseau  le  Trajan ,  qui  faisait  par- 


VIL 

ti€  de  l'escadre  aux  ordres  du  vice- 
^Tmira!  jMorard  de  Galles.  L'année 
suivanle ,  il  fut  élevé  au  grade  de 
contre-amiral,  et  Jean-Bon  Saint- 
André  le  proposa  au  comité  de  salut 
]>iihlic,  pour  remplacer  Morard  de 
Galles  qui  venait  d'être  destitué,  u  Je 
)>  sais,  écrivait  ce  représentant,  que 
»  Villaretest  un  aristocrate;  mais  il 
»  est  brave,  et  il  servira  bien.  »  On 
était  alors  au  fort  de  la  terreur.  L'es- 
prit de  révolte  et  d'insubordination 
jégnait  dans  l'armée  navale,  et  plu- 
sieurs oKiciers  en  avaient  éprouvé 
les  funestes  elï'ets.  Villaret  ne  recula 
point  devant  ces  dangers.  Nommé 
au  commandement  de  la  flotte  de 
Brest,  il  porta  son  pavillon  sur  le 
vaisseau  les  Etats  de  Bourgogne ^  qui 
avait  pris  le  nom  de  la  Montagne. 
Cette  flotte  ,  composée  de  vingt-six 
vaisseaux  ,  reçut  quelques  jours  après 
l'ordre  de  sortir  du  port,  avec  la 
mission  d'aller  au-devant  d'un  nom- 
breux convoi  chargé  de  grains  ar- 
rivant des  États-Unis  de  l'Amérique, 
sous  le  commandement  du  contre- 
amiral  Vanstabel.  Les  instructions 
recommandaient  à  l'amu-alde  croiser 
à  la  hauteur  (les  îles  Coves  et  Flores  , 
et  d'y  attendre  le  convoi.  Il  devait 
surtout  éviter  tout  engagement  avant 
de  l'avoir  rencontré.  Villaret  se  con- 
formait ponctuellement  à  cet  ordre  , 
et  déjà  plusieurs  prises  avaient  été 
amarinées ,  lorsque, le  9,8 mai  i  -^94 , 
on  eut  connaissance  de  l'armée 
anglaise,  forte  de  trente  vaisseaux 
de  ligne,  commandés  par  l'amiral 
liowe.  Villaret  ,  fidèle  à  ses  ins- 
tructions, voulait  éviter  de  com- 
battre ;  déjcà  le  signal  de  tenir  le 
vent  allait  être  hissé  ,  mais  Jean- 
Bon  Saint-André  ,  qui  était  em- 
barqué sur  la  Montagne  ,  prenant 
sur  lui  de  désobéir  aux  ordres  du 
comité  de  salut  public ,  et  usant  de 


VIL 


bi7 


l'espèce  de  supériorité  que  lui  don- 
nait son  titre  de  représentant,  com- 
mande à  l'amiral  de  se  préparer  à 
combattre.  Vainement  celui-ci  re- 
présente les  dangers  d'une  action 
dont  les  suites  peuvent  compromettre 
la  sûreté  du  convoi  qu'il  est  chargé 
de  protéger  ;  il  est  contraint  de  don- 
ner l'ordre  d'attaquer. L'armée  fran- 
çaise se  forma  en  ligne  de  bataille  au 
jilus  près  du  veut,  et  cette  mauœu- 
A-^re  fut  imitée  par  l'amiral  Howe. 
La  supériorité  du  nombre  permit  à 
cetamiraKle  détacher  de  son  armée 
cinq  vaisseaux  ,  qui ,  laissant  le  corps 
de  bataille  à  trois  lieues  sous  le  vent, 
vinrent  tirailler  sur  l'arrière-garde 
française.  II  était  alors  presque  nuit^ 
et  cette  escarmouche  qui  dura  envi- 
ron une  heure  n'eut  point  de  résultat 
sérieux.  Le  lendemain  ,  au  point  du 
jour,  l'amiral  Villaret  s'aperçut  qu'il 
lui  manquait  un  vaisseau-  mais  ne 
le  voyant  point  parmi  les  Anglais , 
il  supposa  que  des  avaries  l'avaient 
forcé  de  quitter  le  champ  de  bataille. 
11  apprit  effectivement ,  ])ar  ses  vais- 
seaux chasseurs^  que  le  Bévoluiion- 
naire,  attaqué  par  quatre  vaisseaux, 
avait  été  démâté  complètement ,  et 
qu'on  l'avait  vu  à  la  remorque  d'une 
fi  égate  faisant  route  pour  Rochefort. 
La  position  du  vent  qu'il  voulait 
conserver  l'ayant  déterminé  à  vi- 
rer de  bord  par  la  contre -marche  , 
l'amiral  Howe  manœuvra  d'après 
cette  nouvelle  disposition.  Villaret  fit 
alors  signal  à  son  avant-garde  de 
serrer  l'ennemi  au  feu  ,  et  de  com- 
mencer le  combat.  Le  Montagnard^ 
vaisseau  de  tête,  envoya  sa  première 
volée  à  dix  heures  du  matin  ;  et  l'en- 

e;as,emeut    devint  très -vif  entre   les 

1  •     1 

deux  avant-gardes  •  mais  la  supé- 
riorité du  feu  des  Français  força 
l'ennemi  à  plier  et  à  laisser  arriver. 
L'amiral  anglais ,  s'apcrcevant    que 


5ï8  VIL 

son  avant-garde  était  maltraitée  ,  fit 
virer  par  la  contre -marche,  pour 
tomber  sur  l'arrière-garde  française; 
mais  ce  mouvement  lui  fut  contraire, 
car  le  centre  et  l'arrière-garde  com- 
battirent avec  la  même  valeur  que 
les  vaisseaux  de  tête.  Cependant 
deux  vaisseaux  français  ayant  été 
désemparés  se  virent  tout-à-coup 
entourés  par  toute  l'armée  ennemie, 
qui  dès-lors  n'observa  plus  d'ordre. 
Villaret,  en  habile  manœuvrier  ,  pro- 
fita de  cette  faute  ;  il  vira  en  ordon- 
nant à  l'armée  d'imiter  sa  manœu- 
vre, et  de  prendre  la  ligne  de  vitesse, 
sans  observer  de  rang.  Ce  mouve- 
ment inattendu ,  la  célérité  et  la  pré- 
cision avec  lesquelles  il  fut  exécuté  , 
devint  décisif  pour  cette  journée  ;  les 
deux  vaisseaux  français  furent  déga- 
gés, et  l'armée  ennemie  en  désordre 
fut  écrasée,  et  obligée  de  fuir  en 
tenant  le  vent.  Ce  combat  com- 
mencé à  dix  heures  du  matin  ne 
se  termina  qu'à  sept  heures  du 
soir  ,  heure  à  laquelle  une  brume 
épaisse  força  les  deux  arm.ées  de 
s'éloigner ,  et  les  mit  pendant  deux 
jours  dans  l'impossibilité  de  rien 
entreprendre.  Cependant ,  malgré  la 
brume,  elles  avaient  manœuvré  de 
manière  à  s'observer  réciproquement, 
et  lorsqu'enfm ,  le  i<^^  juin,  le  soleil 
vmt  à  paraître  ,  elles  se  trouvèrent 
en  présence.  Les  vents  étaient  au 
sud.  A  sept  heures,  l'amiral  Howe 
fit  signal  de  se  porter  sur  la  ligne 
fiançaise  ,  qui  elle-même  s'avançait 
dans  le  meilleur  ordre  de  bataille, 
bas-bord  amures.  Le  combat  com- 
mença à  neuf  heures  du  matin,  et  il 
devint  général.  On  combattait  à  por- 
tée de  pistolet ,  et  avec  un  acharne- 
ment égal  de  part  et  d'autre.  Le  ma- 
telot (i)  d'arrière  de  l'amiral  fran- 

^i)    On  nomme  ainsi,    en  termes  de  marine  ,  le 
vaisseau  qui  suit  ou  précède  un  autre  vaisseau. 


VIL 

çais  ayant  fait  une  fausse  manœu- 
vre perdit  son  poste ,  et  mit  ainsi 
la  Montagne  à  découvert.  Howe  , 
qui  le  combattait  alors,  profita  de 
cette  faute  pour  couper  la  ligne  ,  et 
se  trouva  par  là  en  position  de  bat- 
tre l'amiral  français  par  la  hanche 
du  vent  ;  mais  celui-ci ,  par  la  vi- 
gueur de  sou  feu  ,  ayant  réussi  à  le 
démâter  de  son  mât  de  misaine  ,  le 
força  bientôt  à  l'abandonner ,  et  à 
rallier  le  vent.  Cependant  deux  vais- 
seaux à  trois  ponts  ,  et  trois  autres 
de  soixante -quatorze,  qui  avaient 
suivi  le  mouvement  de  l'amiral  Howe, 
entourèrent  le  vaisseau  de  Villaret, 
et  lui  livrèrent,  pendant  plus  d'une 
heure ,  un  combat  à  outrance ,  et 
dont  les  annales  de  la  marine  offrent 
peu  d'exemples.  Pendant  ce  temps  , 
les  autres  vaisseaux  de  l'armée  fran- 
çaise combattaient  avec  plus  ou 
moins  d'avantage ,  et  chacun  d'eux , 
occupé  de  sa  propre  défense  ,  avait 
perdu  de  vue  l'amiral,  qui,  parvenu 
enfin  à  se  faire  abandonner ,  se  trou- 
va seul  et  sous  le  vent  de  l'armée 
anglaise.  On  se  peindrait  diflicilemcnt 
la  douleur  et  la  surprise  de  Villaret 
lorsque  ,  le  tourbillon  de  fumée  dont 
il  était  entouré  s'étant  dissipé  ,  il 
vit  le  spectacle  que  présentait  son 
armée.  Toute  l'avant  -  garde  avait 
plié  ,  le  plus  grand  nombre  de  ses 
vaisseaux  étaient  démâtés  ,  et  pêle- 
mêle  avec  les  Anglais  j  un  d'eux  (  le 
Vengeur  )  venait  de  couler  bas. 
En  ce  moment  il  fit  signal  à  sept  ou 
huit  vaisseaux  qui  étaient  devant 
lui  de  virer  de  bord ,  dans  l'espoir 
d'aller  avec  eux  dégager  les  vais- 
seaux  de  son  arrière-garde  ,  sur  les- 
quels les  Anglais  avaient  porté  tous 
leurs  efforts.  Cette  manœuvre  aurait 
suffi  pour  dégager  ces  six  vaisseaux 
et  prendre  deux  vaisseaux  anglais 
démâtés,  qui  se  trouvaient  à  peu  de 


VIL 

distance  ;  mais  Jean-Bon  Saint-An- 
dré qui ,  pendant  le  combat,  s'était 
relïigié  dans  les  batteries ,  monta  sur 
le  pont  au  moment  même  où  Villaret 
signalait  à  son  arrière- garde  qu'il 
allait  voler  à  son  secours.  Informé 
des  dispositions  de  l'amiral ,  et  crai- 
gnant que  le  combat  ne  se  rengageât 
de  nouveau  ,  il  lui  défendit  d'exécu- 
ter le  mouvement  auquel  il  se  prépa- 
rait. On  sait  quel  terrible  despoti^me 
exerçaient  alors  ces  proconsuls.  Vil- 
laret, à  son  grand  regret, se  vil  forcé 
de  donner  le  signal  de  la  retraite. 
Mais,  pour  rallier  le  plus  grand  nom- 
bre ]5ossib!e  de  ses  vaisseaux  désem- 
parés, il  resta  pendant  deux  heures 
en  panne  sous  le  vent  des  Anglais  , 
tandis  que  ses  frégates  et  ses  corvettes 
clierchaienl  à  remorquer  ceux  des 
vaisseaux  français  démâtés  qui  se 
trouvaient  sur  le  cliamp  de  bataille  , 
mêlés  parmi  les  vaisseaux  ennemis 
dans  le  même  état,  manœuvre  qui 
s'opéra  sans  aucun  obstacle  de  la 
part  des  Anglais.  Enfin ,  à  huit  lieures 
du  soir  ,  l'amiral  Villaret  fit  servir 
avec  dix -neuf  vaisseaux,  reste  des 
vingt-six  qu'il  avait  au  commence- 
ment du  combat ,  et  regagna  le  port 
de  Brest.  Dans  ces  terribles  jour- 
nées, il  soutint  glorieusement  l'hon- 
neur du  pavillon  français  ;  et  il  ne  le 
soutint  pas  moins  dans  le  combat  de 
Groix  (juin  1795),  que  lui  livra 
l'amiral  Bridport  avec  des  forces 
doubles  des  siennes.  En  1 796  ,  il  fut 
nommé,  par  le  département  du  Mor- 
bihan ,  député  au  conseil  des  Cinq- 
Cents  ,  et  il  se  lia  ,  dans  cette  assem- 
blée ,  avec  les  chefs  du  parti  de 
Clichy  ,  alors  considéré  comme  le 
parti  royaliste.  Condamné  à  la  dé- 
portation par  suite  de  cette  liaison  , 
à  l'époque  du  1 8  fructidor  (  septem- 
bre 1797  ) ,  il  parvint  à  se  soustraire 
aux  recherches ,    et  il   évita  ainsi 


VIL 


5i« 


le  sort  qu^éprouvèrenl  ses  collègues 
dans  les  déserts  de  Sinamary  (  Voj. 
PiCHEGRu).  Mais  quelque  temps  après 
il  se  rendit  volontairement  à  l'île  d'O- 
léron,  lieu  d'exil  assigné  parle  Di- 
rectoire à  ceux  qui  avaient  échapjié 
à  la  déportation,  et  n'en  fut  rappelé 
qu'à  l'époque  du  gouvernement  con- 
sulaire. En  180 1  ,  l'amiral  Villaret 
fut  chargé  du  commandement  des 
forces  navales  destinées  à  agir  contre 
Saint-Domingue ,  et  il  appareilla  de 
Brest ,  au  mois  de  décembre  ,  sur  le 
vaisseau  V  Océan.  Son  escadre  se 
composait  de  dix  vaisseaux  français , 
de  cinq  vaisseaux  espagnols  aux  or- 
dres de  l'amiral  Gravina  ,  et  de  neuf 
frégates  ou  corvettes  ,  portant  sept 
mille  hommes  de  débarquement.  Lin 
vaisseau  et  deux  frégates,  armés  à 
Lorient,  devaient  en  faire  partie  ,  et 
avaient  à  bord  douze  cents  hommes. 
Une  autre  escadre  réunie  à  Roche- 
fort  ,  forte  de  six  vaisseaux  ,  six 
frégates  et  deux  corvettes  ,  portant 
trois  mille  hommes  de  débarque- 
ment ,  devait  aussi  se  joindre  a  la 
flotte  de  Brest ,  et  former  l'avant- 
garde  ;  en  sorte  que  l'ensemble  des 
forces  navales  sous  le  commande- 
ment de  Villaret  fut  de  vingt-deux 
vaisseaux  et  dix-neuf  frégates  por- 
tant douze  mille  hommes  de  troupes 
de  terre.  On  sait  quel  déplorable 
résultat  eut  ce  grand  armement  (  J^. 
Leclebc,  XXIII,  5i7  ).  A  son  re- 
tour de  Saint-Domingue,  en  1802, 
Villaret  fut  nommé  capitaine-géné- 
ral de  la  Martinique  et  de  Sainte- 
Lucie.  Cette  colonie  ayant  été  atta- 
quée par  les  Anglais  ,  en  1809  ,  il 
fut  obligé  de  capituler,  après  une 
vieourcuse  résistance  contre  des  for- 
ces  supérieures,  et  après  avoir  éprou- 
vé dans  le  fort  Bourbon  le  bombar- 
dement le  plus  terrible.  Apprenant 
à  sou  retour  en  France  que  sa  con- 


5îo  VIL 

duite  avait  été  blâmée  par  un  conseil 
d'enquête  ,  il  demanda   qu'elle  fût 
examinée  judiciairement ,  mais  il  ne 
put  l'obtenir ,  et  vécut  pendant  quel- 
que temps   dans  une  espèce  de  dis- 
giâc.e.  En   1811  ,  le  chef  du   gou- 
vernement lui  fit  connaître  que  ,  sa- 
tisfait   de   la   courageuse   résistan- 
ce   qu'il   avait   montrée   en  défen- 
dant la  Martinique  ,  il  l'avait  nom- 
mé gouverneur  -  général  de  Venise , 
et  commandant  de  la  douzième  di- 
vision militaire.  C'est  dans  l'exercice 
de  ces  fonctions  qu'il  mourut  ,  en 
181 2,  à  l'âge  de  soixante-deux  ans. 
—  Son  frère^  le  marquis  de   Vil- 
LARET  ,  était  lieutenant-colonel  d'ar- 
tillerie avant  la  révolution  ;  il  émi- 
gra  en  l 'jgi  ,  et  fit  toutes  les  cam- 
pagnes de  l'armée  de   Gondé.  Ben- 
îi'é  en  France,  dès   l'année   1802, 
il  y  vécut  dans  le  sein  de  sa  famille , 
et  passa  les  dernières  années  de  sa 
vie  à    soigner    l'éducation    de    ses 
deux  neveux  ,  les  fils  de  l'amiral  Vil- 
laret  de  Joyeuse.  Il  fut  nommé  ma- 
réchal-de-carap   et  commandeur  de 
Saint-Louis  ,  après  le  retour  du  roi  , 
en  1814,  et  mourut  à  Versailles  eu 
18^4.  M.  de  Lacroix  ,  juge  au  tri- 
bunal de  cette  ville  ,  fit  imprimer  , 
dans  la  même  année  ,  un  court  Éloge 
de  ce  général.  H — q — y. 

VILLARS  (  Pierre  de  )  ,  arche- 
vêque de  Vienne  ,  issu  d'une  maison 
originaire  de  Lyon ,  qui  adonné  cinq 
prélats  à  cette  métropole  ,  naquit 
l'an  1 5 1 7.  Après  avoir  été  reçu  doc- 
teur en  droit  à  Padouc  ,  il  embrassa 
l'état  ecclésiastique  en  iSSq,  et  s'at- 
tacha au  cardinal  de  Tournon  qui , 
Inireconnaissant  une  grande  capacité, 
lui  confia  plusieurs  missions  impor- 
tantes. Pierre  de  Villarss'en  acquitta 
si  bien, que  le  roi  Henri  II  lui  donna 
une  charge  de  coiiseillcr- clerc  au 
parlement  de  Paris,  où 'il   fut  reçu 


VIL  • 

le  i'^'".  juillet  i555,  avec  dispense 
de   service  ,   attendu    son   assiduité 
auprès  du  cardinal  de  Tournon  ,  qui 
depuis  le  commencement  de  ce  règne 
résidait  presque   toujours  à  Rome. 
En    1 566  ,  il  dut  à  la  protection  de 
ce   cardinal  l'évêché  de  Mirepoix , 
qu'il  garda  dix  années.  Il  fut  ensuite 
élevé  à  l'archcATché  de  Vienne ,  puis 
appelé  au  conseil  du  roi  Henri  III 
(i 576).  Aux  états  de  Blois  de  i5']'j, 
il  parut  avec  éclat  parmi  les  pré- 
lats du   rovaume.   Cette   assemblée 
ayant   décidé   qu'elle  enverrait  un 
député    de    chaque   ordre    vers   le 
roi  de  Navarre,  depuis  Henri  IV, 
pour  l'exhorter  à  embrasser  la  re- 
ligion catholique,  Pierre  de  Villars 
fut  désigné  pour  représenter  le  cler- 
gé   dans    cette   circonstance.   Cette 
démarche   fut  sans   résultat ,   et  la 
guerre  civile  recommença  après  une 
courte  suspension  d'armes.  En  i588, 
l'archevêque  de  Vienne,  du  consen- 
tement de  Henri  III ,  se  démit  de  ce 
siège  en  faveur  de  son  neveu,  nom- 
mé comme  lui  Pierre  de  \  illars  (  P^. 
ci- après)  5  puis   il  alla  finir    ses 
jours   au  sein   d'une  studieuse    re- 
traite, dans  le  couvent  de  Montca- 
lier  en  Piémont,  où  il  mourut  le  4  nov. 
1 5g'2.  On  a  de  lui  trois   ouvrages 
ascétiques  en  latin  :  le  premier  sur 
les  qualités  de  l'homme  ;  le  second 
sur  les  Fins  de  l'homme;  le  troisiè- 
me a  pour  titre   :   De  institulionc 
parochorum. — Villars  (Pierre  de), 
neveu  du  précédent ,  naquit,  le  3  mars 
1543  ,  de  François  de  Villars  ,  lieu- 
tenant du  présidial  de  Lyon,  zélé  ca- 
tholique,   dont  la  maison  fut  pillée 
par  les  huguenots,  en  i562.  Pierre, 
sou  fils  ,  fit  ses  études  au  collège  de 
Tournon  ,  récemment  fondé  par  le 
cardinal  de  ce  nom  ,  entra   dans  les 
ordres,  fit  à  Paris  sa  théologie  sous 
le    jésuite    Maldonat  ,   et  reçut  le 


VIL 

bonnet  de    docleur  de  Sorbonne  eu 
1573.  Deux  ans  après  il  succéda  à 
son  oncle  dans  l'ëvêclië  deMirepoix, 
et  fut  saci-e  des  mains  du  cardinal  de 
Bourbon.  En  1^79,  l'évcque  de  IMi- 
repoix  fut  député  de  sa  province  à 
l'assemblée  générale  de  Melun;  et  eu 
1587  il  obtint  l'archevêché  de  Vien- 
ne par  la  démission  de  sou  oncle.  Il 
fit  un  voyage   à   Rome    en    iSgo  , 
et  visita  ensuite  le  tombeau  de  saint 
Charles  Borromée  ,   parmi  les  épî- 
tres  duquel  il  s'eu  trouve  une  qui  lui 
est  adressée.  De  retour  à  Vienne  ;,  il 
y  publia  les  actes  du  concile  de  Tren- 
te, et  lit  diverses  ordonnances  qui 
sont  imprimées  dans  ses  opuscules  , 
et  qui  attestent  sou  zèle  pour  la  foi. 
Devenu  infirme  ,  et  ne   se  sentant 
plus  la  force  d'administrer  son  dio- 
cèse ,  il  le  remit  en  iSpg  ,  avec  l'a- 
grément du  roi  Henri  IV ,  à  Jérôme 
de  Villars  son  frère  (  P^.  ci-après  ). 
Pierre  se  retira   ensuite  à  Annonay , 
puis,  en  i()o4  ,  à  Lyon  chez  son  au- 
tre frère  Balthasar  de  Viliars  (  V. 
ci-après).    Après  avoir  vécu,  pen- 
dant neuf  ans  ,  dans  la  retraite  ,   il 
)nourut  à  Saint-Genis  près  de  Lyon, 
le  l'i  juillet  i6i3.  Il  légua  sa  biblio- 
thèque aux  Jésuites  du  collège  de 
\  ienne ,  où  il   fut  enterré.  Ou  a  de 
lui  deux  volumes   in-folio  ,  impri- 
més à  Lyon  ,  contenant  divers  trai- 
tés eu  latin  ,  sur  la  direction ,  la  i-é- 
sidence  et  les  devoirs  du  médecin  en- 
vers les  malades,    sur  la  fondation 
des  chapelles  ,  sur  la  célébration  du 
mariage ,  sur  les  jurements,  les  blas- 
phèmes, etc.  Ou  trouve  dans  le  tome 
second  de  V Histoire  littéraire  de 
Lyon,  par  le  P.  Colonia  ,page  ngi, 
l'extrait  d'un  mémoire  sur  la  vie  de 
ce  prélat  vertueux  et  savant  ,  écrit 
de  sa  propre  main .  et  que  l'on  con- 
servait dans  la  bibliothèque  du  col- 
lège   de    la     Trinité    à    Lyon.  — 


VIL 


521 


Villars  (Jérôme  de  )  ,  frère  puîné 
du  précédent ,  était  conseiller-clerc 
au  parlement  de  Paris ,  depuis  1 594, 
chanoine  et  archidiacre  de  Vienne  , 
lorsqu'il  fut  appelé  à  remplacer  son 
frère    sur   ce   siège,    en    i5gg.  Ce 
prélat  joua  un  rôle  important  dans 
toutes  les  affaires   religieuses  du  rè- 
gne de  Henri  IV.  Lors  de  l'assem- 
blée du  clergé  de  France  à  Pans ,  en 
iGo4  ,il  porta  la  parole  au  roi  pour 
le   supplier  d'autoriser  la    publica- 
tion des  actes  du  concile  de  Trente. 
La  tranquillité  publique  pouvant  être 
compromise  par  une  telle  mesure  ,  le 
roi  résista  aux  instances  du  clergé; 
cependant  il  accorda  deux  édits  por- 
tant  des  règlements  ecclésiastiques 
qui  furent  publiés  ,  l'un  eu  1608  ,  et 
l'autre  en  i6og.  Jérôme  de  Villars 
mourut  le  18  janvier  1626.  Il  avait 
été  ,  en  1 6o4  ,  à  la  veille  d'être  com- 
pris dans  une  promotion  de  cardi- 
naux faite  par  le  pape  Clément  VIII  ; 
mais  Duperrou  l'emporta  par  le  ci'é- 
dit  de  Sully  (ij.  —  Villars  (  Bal- 
thasar de  ) ,  frère  du  précédent ,  pre- 
mier président  du  parlement  de  Dom- 
bes  ,  et  qui  fut  deux  fois  prévôt  des 
marchands  de   Lyon  ,   publia  ,   eu 
i5g4  ,  un  ouvrage  qui  donne  à  pen- 
ser que  la  piété  était  une  vertu  com- 
mune à  toute  cette  famille  ;  il  a  pour 
titre  Abrégé  très-utile  contenant  la 
doctrine  chrétienne  et  catholique  de 
l'institution ,  réalité ,  transsubstan- 
tiation ,  manducation  ,  sacrifice  et 
préparation  du  très-saint  et  très-au- 
guste sacrement  de  V autel.  L'au- 
teur  mourut  le   12  avril    162g.  — 
Villars  (  Pierre  de  )  ,  coadjuteur, 
depuis  161 2  ,  de  sou  cousin  Jérôme 
de  Villars,   archevê([ue  de  Vieune  , 
lui  succéda  en   1626  et  mourut  en 
iG63,   étant  le  plus  aucien  évêque 

;  1)  Jlemuircs  de  Sully,  liï.  XVII ,  année  iGo^- 


522 


VIL 


de  France.  Après  lui ,  Henri  de  Vil- 
lars,  son  neveu  et  son  coadjutciir  de- 
puis onze  ans,  prit  possession  de 
l'arclievêché  de  Vienne.  Il  mourut, 
le  '28  dec.  1 693  ,  à  l'âge  de  soixante- 
douze  ans;  il  y  en  avait  cent  dix- 
sept  que  cesicge  était  successivement 
occupe'  par  un  membre  de  cette  fa- 
mille. Celui-ci  avait  e'té  agent  géné- 
ral du  clergé  durant  les  troubles  de 
la  Fronde,  et  avait  déployé  beau- 
coup de  zèie  et  de  fermeté  dans  ces 
temps  a  périlleux  ,  où  l'autorité  du 
gouvernement  mal  affermie  ne  lais- 
sait espérer  aux  droits  de  l'Église 
qu'une  faible  protection  (Massillon).  » 
Il  observa  scrupuleusement  le  devoir 
de  résidence  ,  parvint  à  extirper  par 
la  persuasion  (juelques  restes  de  l'hé- 
résie des  Albigeois  ,  dans  certains 
cantons  du  Dauphiné,  et  contribua 
à  la  fondation  de  plusieurs  établisse- 
ments de  retraite  pour  l'indigence. 
Ce  prélat  était  oncle  du  fameux  ma- 
réclial  de  Villars.  D — u — r. 

VILLARS  (Pierre,  marquis  de), 
moins  célèbre  par  lui-même  que  pour 
avoir  donné  le  jour  au  vainqueur  de 
Denain,  s'était  cependant  fait  remar- 
quer, dès  la  minorité  de  Louis  XIV, 
par  la  part  qu'il  j)rit  au  fameux  duel 
des  ducs  de  Nemours  et  deBeaufort, 
en  i652.  Il  y  tua  le  comte  d'Héri- 
court,  second  de  ce  dernier,  qu'il 
n'avait  jamais  vu  ni  connu.  Obli- 
gé de  prendre  la  fuite,  il  ne  dut  qu'à 
la  protection  du  prince  de  Conti  la 
liberté  de  revenir  en  France.  Il  ser- 
vit sous  les  ordres  de  ce  prince ,  en 
Italie  et  en  Catalogne.  Sa  brillante 
valeur  lui  fit  obtenir  un  avancement 
rapide;  et  il  était  déjà  parvenu  au 
grade  de  lieutenant-général ,  lorsqu'il 
épousa  une  sœur  du  maréchal  de  Bel- 
lefonds.  Ce  mariage ,  qui  semblait  de- 
voir assurer  sa  fortune,  fut  au  con- 
traire pour  lui  la  source  de  désagré- 


VIL 

ments  continuels.  Le  maréchal ,  son 
beau-frère, s'étant  brouillé  avec  Lou- 
vois  ,  le  marquis  de  Villars  partagea 
l'inimitié  de  ce  ministre  inflexible. 
Rebuté  dans  toutes  ses  demandes  ,  et 
dépouillé  même  des  gouvernements 
de  Douai  et  de  Besançon ,  il  eut  re- 
cours à  l'amitié  de  M.  de  Lionne, 
ministre  des  a  (Fa  ires  étrangères,  qui 
lui  ouvrit  la  carrière  diplomatique. 
Il  obtint  successivement  les  ambas- 
sades de  Copenhague,  de  Turin  et 
de  Madrid.  Après  avoir  montré  beau- 
coup d'habileté  dans  ses  négociations 
auprès  de  la  cour  d'Espagne,  il  re- 
venait en  France ,  lorsqu'il  eut  à  sou- 
tenir ,  sur  la  frontière  ,  un  combat 
fort  étrange.  Ses  gens  furent  attaqués 
à  l'iraproviste  par  ceux  de  l'ambas- 
sadeur espagnol ,  qui  revenait  de  Pa- 
ris. Il  y  eut  plusieurs  valets  de  tués  de 
part  et  d'autre  ;  et  les  maîtres  eux- 
mêmes  furent  obligés  de  prendre  part 
à  cette  bagarre.  Louis  XIV  avait  re- 
marqué de  bonne  heure  le  marquis 
de  Villars,  à  cause  de  sa  taille  et  de 
sa  (igure  imposantes.  Ces  avantages 
lui  avaient  fait  donner  par  toute  la 
cour  le  nom  à'  Orondate,  l'un  des 
héros  de  ces  romans  de  chevalerie  si 
fort  en  vogue  à  cette  époque.  On  lit 
dans  des  Mémoires  du  temps  que 
M'"*^.  de  Maintenon,  dans  sa  jeunes- 
se, n'avait  pas  vu  avec  indllférence 
le  bel  Orondate.  Elle  lui  témoigna 
toujours  une  grande  bienveillance. 
Le  roi,  voulant  enfin  récompenser 
ses  longs  services,  le  comprit,  en 
1688,  dans  la  promotion  de  l'ordre 
du  Saint-Esprit.  Cette  faveur  lit  des 
jaloux  (i);  et  Villars  fut  du  nombre 
des  chevaliers  auxquels  on  reprocha 
de  n'avoir  point  la  noblesse  néces- 
saire pour  parvenir  à  cette  distinc- 


(1)  f-yr.  une  lettre  de  Biissy-Rjbutin  à  M" 
Scvigne',  du  16  décembre  1688. 


VIL 

tion  (2).  M'»*=.  de  Sevigné  raconte 
d'une  manière  fort  plaisante  une  scè- 
ne burlesque  qui  eut  lieu  à  la  proces- 
sion des  nouveaux   chevaliers ,   où 
MM.  de  Villars  et  de  Montchevreuil 
se  trouvèrent  accroclie's  l'un  à  l'autre 
par  leurs  e'pées ,  leurs  rubans  et  leurs 
dentelles  (3).  Loin  de  s'enricliir  au 
service  du  roi ,  le  marquis  de  Villars 
s'était  vu  force  d'alieiicr  une  grande 
partie  de  son    patrimoine,  pour  se 
soutenir  dans  le  monde  sur  un  pied 
conforme  aux  dignités  dont  il  fut  re- 
vêtu. 11  mourut  en  1698.  S — v — s. 
VILLARS  (Marie  Gigault  de 
Bellefonds  ,  marquise  de)  ,  née  vers 
t(324,  était  l'une  des  lilles  de  Ber- 
nardin Gigault  de  Bellefonds,  au- 
quel   Henri   IV   confia   en  i6o3   le 
château  de  Cacn,  quoiqu'il  eût  été  un 
ardent  ligueur  (  1  ) ,  et  de  Jeanne  aux 
Especules  de  Sainte-Marie.  M'i*^.  de 
Bellefonds  fut  mariée,  en  i65i,  avec 
le  marquis  de  Villars  ,  dont  l'article 
précède.  Pendant  les  diverses  ambas- 
sades de  son  mari,  elle  entretint  des 
correspondances  avec  plusieurs  da- 
mes de  ses  amies.  On  a  conservé 
trente-sept  Lettres  qu'elle  écrivit  à 
M'"*^.  de  Coulanges,  pendant  son  sé- 
jour à  Madrid,  en  1679,   1680  et 
1681 .  Ces  Lettres  renferment  des  dé- 
tails d'autant  plus  curieux  sur  la  cour 
d'Espagne,  que  nous  avons  peu  de 
renseignements  sur  les  usages  singu- 
liers qui  s'y  pratiquaient  ,  et  dont 


{7.)  On  trouve  ce  couplet  dans  les  Mémoires  du 
temps  : 

t^olbert  prendra  dans  l'Ecosse 
Des  titres  de  chevaîier, 

Car  les  livres  de  ne'goce 

Ne  donnent  pas  le  collier. 

Moutbron  ,  ce  foudre  de  guerre, 

En  aura  chez  un  faussaire  ; 

El   J'illar^  a  ses  aïeux 

An  greffe  de  Condrieux . 

(3)  Lettre  à  M^^.   de  Griguau  ,  3  janvier    i(i8g. 

(i)  Mémoire  du  président  Groulard  ,  tom.  XLÏX, 
p.  4''»  «ie  la  •'*•  série  des  Mémoires  relatifs  & 
l'Hist.  de  France. 


VIL 


523 


une  grande  partie  subsiste  encore  au- 
jourd'hui.  La  reine  Marie  -  Louise 
d'Orléans,  qui  avait  quitté  la  France 
avec  tant  de  regrets ,  pour  aller  épou- 
ser Charles  II ,  honora  la  marquise 
de  Villars  de  son  amitié.  Elle  ne  l'a- 
vait pas  distinguée  particulièrement 
en  France,  où  la  cour  était  embellie 
de  tant  de  femmes  spirituelles;  mais 
l'accablante  monotonie  de  l'Escurial, 
l'isolement  commandé  par  l'étiquet- 
te à  la  majesté  royale,  l'âpre  fierté 
des  Castillans  ,  si  différente  de  cette 
politesse  respectueuse  qui  escorte  nos 
princes ,  en  les  rapprochant  de  nous , 
firent  goûter  encore  plus  à  la  jeune 
reine  le  plaisir  de  s'entretenir  avec 
M™e.    de   Villars    de  cette  France 
qu'elle   regretta  jusqu'au   tombeau. 
«  La    reine ,  écrivait  Mni'=.  de  Vil- 
»  lars,  le  28  mai   1680,  a  du  plai- 
»  sir  à    voir   une   Française   et    à 
»  parler  sa  langue  naturelle.   Nous 
»  chantons  ensemble  des  airs  d'opé- 
»  ra.  Je  chante  quelquefois  un  me- 
»  nuet  qu'elle  danse.  Quand  elle  me 
»  parle  de  Fontainebleau  ,  de  Saint- 
»  Cloud ,  je  change  de  discours  ;  et  il 
»  faut  éviter  de  lui  en  écrire  des  re- 
»  lations.  Quand  elle  sort,  rien  n'est 
»  si  triste  que  ses  promenades.  Elle 
»  est  avec  le  roi  dans  un  carrosse 
>>  fort  vuide ,  tous  les  rideaux  tirés  : 
»  mais  enfin  ce  sont  les  usages  d'Es- 
»  pagne;  et  je  lui  dis  souvent  qu'elle 
»  n'a  pas  dû  croire  qu'on  les  chan- 
»)  gérait  pour  elle  ni  pour  personne,  w 
Les  Lettres  de  M^^  de  Villars ,  écri- 
tes d'un  style  agréable  et  facile,  ont 
tout  le  mérite  de  l'intérêt  historique. 
M™",  de  Sévigné  écrivait  à  sa  fdie 
que  M™<=.  de  Villars  faisait  à  M™*', 
de  Coulanges  des  relations  fort  jolies 
et  fort  plaisantes ,  croyant  bien  quel- 
les iraient  plus  loin  (2).  On  venait, 

\7,')  Lettre  du  7.6  ian^le^  itiSo. 


524 


VIL 


dit-elle  ,  à  ce  bureau  d'adresse,  ap- 
prendre des  nouvelles  (3).  Toute  cet- 
te correspondance  n'a  pas  e'te  con- 
servée. Ou  a  perdu  beaucoup  d'au- 
tres Lettres,  etparticulièrement  celles 
que  la  marquise  avait  adressées  à 
M''ï''.deSevigne.  Le  savant  antiquai- 
re, feu  M.  Fauris  de  Saint-Vincent, 
l'un  des  descendants  deM"!*^.  deSëvi- 
gné,  en  avait  conserve  plusieurs,  dont 
une  seule  nous  est  parvenue(4).  Nous 
ignorons  ce  que  les  autres  seront 
devenues  depuis  la  mort  de  ce  ma- 
gistrat. M>n<^.  de  Villars  avait  dans 
la  société  des  manières  qui  n'étaient 
qu'à  elle,  a  Elle  est  charmante  par 
»  ses  mines,  écrivait  M'"*^.  de  Cou- 
»  langes,  et  par  les  petits  discours 
»  qu'elle  commence ,  et  qui  ne  sont 
))  entendus  que  des  pcrsojinos  qui  la 
»  connaissent.  »  Saint-Simon,  dans 
ses  notes  sur  Dangeau,  fait  le  por- 
trait de  Mme.  de  Villars ,  avec  ses 
couleurs  tranchées  ^t  originales  : 
«  Cette  marquise  était  une  bonne  pe- 
.  »  tite  femme ,  sèche,  vive,  méchante 
»  comme  un  serpent ,  de  l'esprit  com- 
»  me  un  démon,  d'excellente  com- 
»  pagnie,  qui  avait  passé  sa  vie,  jus- 
»  qu'au  dernier  jour,  dans  les  meil- 
»  leures  et  les  plus  choisies  de  la 
»  cour  et  du  grand  monde,  et  qui 
»  conseillait  toujours  à  son  fils....  de 
»  se  vanter  au  roi  tant  qu'il  pour- 
»  rait ,  mais  de  jamais  ne  parler  de 
»  soi  à  personne  (5).  ■»  Le  duc  ajou- 
te, dans  ses  Mémoires ,  que  le  maré- 

(3)  Lettre  ^u  9.S  février  1G80. 

(41  Cette  lettre  est  du  9.5  avril  i6-3.  Elle  sera 
imprimée  à  la  suite  d'un  nouveau  recueil  de  lettres 
ineditPs'de-Mme.  de  Sévigne  à  sa  fille,  tjui  va  être 
mis  sous  presse,  re  (jui  formera  le  second  supplc'- 
meut  de  notre  édition  des  Lettres  de  Mme.  Je  Së- 
vigne,  Paris,  Biaise,  1818,  11  vol.  in-S". 

(5)  Noiiv  aux  mémoires  i/e  Dangeau  ,  publies 
par  Lemontey,  Paris  ,  1818,  p.  17:).  On  reconnaît 
a  cliaque  ligue  que  l'annotateur  anonytne  de  Dan- 
geau n'est  pas  autre  que  lu  duc  de  Saint-Simon.  On 
y  retrouve  non-seuleuient  sanianUre,  qui  n'est 
'^?,  d'aucun  autie,  mais  encore^  des  phrases  en- 
tières de  ses  Menioi-es. 


VIL 

chai  de  Villars  profita  de  la  pre- 
mière partie  de  cette  leçon  ,  mais 
qu'il  ne  cessa  jamais  d'étourdir  tout 
le  monde  de  lui  (6).  Mn»'=.  de  Villars 
mourut  à  Paris  ,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-deux  ans,  le  'i5  juin  l'joG. 
Une  de  ses  sœurs  a  été  supérieure  du 
couvent  des  Grandes- Carmélites  de 
Paris.  Elle  s'appelait,  en  religion  ,1a 
mère  Agnès  de  Jésus-  Maria.  C'é- 
tait une  personne  de  beaucoup  d'es- 
prit (7),  dont  Bossuet  a  fait  un  bel 
éloge  (8).  Les  Lettres  de  M'""^  jg 
Villars  ont  été  imprimées  ,  pour  la 
première  fois  ,  en  1 762  ,  pet.  in  - 12. 
Cette  édition  avait  été  préparée  par 
le  chevalier  de  Perrin ,  })remier  édi- 
teur des  Lettres  de  M'"*^.  de  Sévigné  • 
elle  fut  trouvée  dans  ses  papiers,  et 
publiée  quelques  années  après  sa 
mort.  Léopold  CoUin  les  a  réim- 
primées en  i8o5.  M — É. 

VILLARS  (  Louis-Hector  ,  ma- 
réchal, duc  DE  ),  fils  du  marquis  de 
Villars  (  V.  ci-dessus  ),  fut  l'un  des 
plus  grands  capitaines  dont  s'honore 
la  France.  Il  naquit  à  Moulins  en 
i633(i).  Après  avoir  fait  ses  pre- 


(Gl  Mémoires  de  Saint-Simon ,  t.  XII,  p.  io8  , 
éd.  de  1791. 

(n)  Œiwretde  Bossuet,  éd.  de  Lebel ,  t.  XXXIX, 
p.  Gl5o. 

(8~t  Lellrfs  de  M^e.  de  Sc'vigiie'  à  sa  fille  ,  du  5 
janvier  1G80  ,  et  du  9.?.  novembre  1688. 

(1)  Plusieurs  écrivains  le  font  naître  à  Turin,  et, 
de  plus,  dans  la  même  chambre  où  il  mourut  en 
1-34.  Cette  singularité  a  dû  l'aire  fortune;  mais 
elle  s'évanouit  devant  le  discours  de  M.  de  Palliè- 
res,  procureur  du  roi ,  qui,  haranguant  le  maréchal 
en  1713,  lorsqu'il  passait  par  .Moulins,  pour  se 
rendre  eu, Italie  ,  lui  dit  en  propres  termes  :  «  Uu 
»  avantage   propre    à    la   ville  de    Moulins  ,    c'est 


»  qu'elfe  vous  a  l'u  naître  t/ans 


ri.  »   Il  rè- 


gne également  quelque  incertitude  sur  la  d  te  de 
la  naissance  de  Villars:  les  uns  la  placent  eu  i65i, 
les  autres  en  i653.  Nous  avons  cru  devoir  adopter 
cette  dernière  opinion.  Enfin,  les  sentiments  n'ont 
pas  été  moins  partagés  à  l'égard  de  l'orij^ine  de 
cet  homme  illustre.  Il  dit  lui-même,  dans  ses  Mé- 
moires, que  la  maison  de  Villars  est  très-ancienne, 
et  que  dès  1820  elle  était  plus  puissante  qu'elle 
ne  l'a  été  depuis.  Il  aioute  que,  dans  les  derniers 
siècles  ,  elle  a  produit  cinq  archevêques  de  Vienne, 
et  des  évèques  de  Mirepoix  et  d'Agen.  Néanmoins, 
le  couplet  satirique,  cité  dansTarlicle  du  marquis, 
l.iit    descendre    les   Villars  d'un   grelTier    de   Cou- 


VIL 

raièros  études  au  col!e'5;e  de  Juilly,  il 
eîitra  aux  paj^cs  de  la  jurande  écurie. 
Une  fleure  noble  et  une  adresse  par 
ticulière  dans  tons  les  exercices  du 
corps  le  firent  bientôt  remarquer  de 
Louis  XIV.  L'extrême  activité  de 
son  esprit  se  développa  dès  ses  plus 
jeunes  ans.  Un  jour,  entendant  sou 
père  se  plaindre  de  ce  que  son  sort 
ne  répondait  pas  à  ses  espérances  : 
«  Pour  moi ,  s'écria-t-il,  je  suis  sûr  , 
»  si  je  vis,  de  faire  une  jijrande  for- 
»  tune.  Je  ciierclierai  tellement  les 
))  occasions  de  me  distinguer,  qu'il 
»  faudra  bien  que  l'on  fasse  attention 
»  à  moi!  »  Dans  un  voya2,e  que  la 
cour  liten  Flandre,  le  jeune  Villars, 
étant  encore  page,  demanda  la  per- 
mission de  visiter  la  Hollande. 
Il  accompagna  ensuite  à  Berlin  le 
comte  de  Saint-Géran  ,  son  parent, 
envoyé  auprès  de  l'électeur  de  Bran- 
debourg. Ses  observations  sur  les 
contrées  qu'il  parcourait  déno- 
taient déjà  un  coup-d'œd  militaire 
]ieu  commun  à  son  âge.  Le  maréchal 
de  Bellefonds,  son  oncle,  le  pressa 
tout-à-coup  de  revenir  en  France , 
pour  le  .suivre  en  qualité  d'aide-de- 
carop,  dans  la  campagne  qui  allait 
s'ouvrir  contre  la  Hollande.  La  dis- 
grâce subite  du  maréchal  laissant 
Villars  sans  emploi ,  il  obtint  d'en- 
trer ,  comme  volontaire ,  dans  le 
corps  dont  le  roi  en  personne  s'é- 
tait réservé  le  commandement.  Ser- 
vant successivement  dans  ce  corps, 
dans  ceux  de  Condé  et  de  Turenne , 
et  se  distinguant  tour-a-tour  au  pas- 
sage du  Rhin,  et  aux  sièges  d'Orsoy, 

drieux  ,  et  cette  assertiuii  se  trouve  reproduite 
dans  un  ouvra;^e  qu'il  ne  faut  r-ousulter  ,  à  -la  ve- 
nté, qu'avec  meliance  (  Mémoires  pour  le  parie- 
mtnt  contre  les  diin  et  pairs,  à  la  suite  de  la  f  te 
privée  de  Louis  Xl^,  Londres,  1-81  ).  Ou  y  lit 
f{ue  le  greiîier  de  Condrieux  vivait  en  i48t»,  et  que 
le  jneuiler  anobli  des  Villars  avait  ele  le  bisaïeul 
du  maréchal,  genliibomme  oïdiuaire  de  la  reine 
<.all]criue  de  3Iedicls,  charge  qui  donnait  ki  uo- 
Messe. 


VIL  525 

de  Doesboiirg  et  de  Zutplicn ,  Vil- 
lars ,  qui  n'avait  encore  que  dix-neuf 
ans,  attira  tellement  l'attention  de 
Louis  XIV,  que  ce  prince  dit  un 
jour  en  le  voyant  charger  l'ennemi  : 
«  On  ne  peut  tirer  un  coup  de  fusil 
»  quelque  part ,  que  ce  petit  garçon 
»  ne  sorte  de  terre  pour  s'y  trouver.  » 
Ces  paroles  furent  le  prélude  du  don 
de  la  cornette  des  chevau-  légers  de 
Bourgogne,  qui  était  sollicitée  par 
plusieurs  officiers  de  distinction.  Une 
nouvelle  faveur  suivit  celle-ci  :  le 
roi  d'Espagne  venait  d'échapper  à 
une  maladie  dangereuse;  Villars  fut 
choisi  pour  aller  complimenter  ce 
monarque  sur  sa  convalescence.  II 
prit  alors  le  titre  de  marquis,  qu'a- 
vait porté  son  père  dans  ses  ambas- 
sades. Charles  II  le  reçut  avec  une 
bienveillance  particulière  ,  et  le  ren- 
voya comblé  de  présents  magnifi- 
ques. A  peine  de  retour  ,  Villars 
courut  à  Maëstricht,  que  Louis  XIV 
assiégeait  en  personne.  Le  roi  avait 
défendu  aux  volontaires  de  se  trou- 
ver aux  attaques,  sans  une  permis- 
sion expresse.  Mais  Villars,  appre- 
nant que  l'on  allait  attaquer  le  che- 
min couvert,  profite  de  la  nuit  pour 
se  glisser  dans  les  rangs  des  grena- 
diers. Bientôt  il  prend  la  tète  de  la 
colonne,  et  pénètre  jusque  dans  la 
demi-lune.  Un  fourneau  joue ,  et  l'en- 
terre à  demi  :  il  se  dégage,  et  ne  re- 
vient dans  la  tranchée  qu'après  avoir 
assuré  le  logement  des  troupes  dans 
l'ouvrage  emporté  sur  l'ennemi.  Le 
roi,  témoin  de  la  fin  de  l'action, 
fait  appeler  le  jeune  volontaire^  et 
lui  demande  d'un  front  sévère  ce 
qui  a  pu  l'enhardir  à  transgresser  ses 
ordres.  «  Sire,  répond  Villars,  sans 
»  se  déconcerter,  j'ai  cru  que  Votre 
»  Majesté  me  pardonnerait  de  vou- 
»  loir  apprendre  le  métier  de  l'inian- 
1)  tcrie,  quand  la  cavalerie  n'a  rien 


526 


VIL 


w  à  faire.  »  Le  monarque  sourit, 
loua  sa  valeur  eu  l'engageaut  à  la 
modérer.  Maëslriclit  rendu  ,  Villars 
fut  envoyé'  à  l'armée  de  Tiuenne  ,  sur 
le  Rhin ,  et  le  suivit  en  Franconie. 
Son  activité  et  sa  rare  intelligence 
clans  diverses  expéditions,  où  il  fut 
employé  comme  partisan  ,  lui  méri- 
tèrent les  éloges  de  ce  grand  capi- 
taine. A  l'estime  de  Turenne,  Vil- 
lars eut  Lentôt  la  gloire  de  joindre 
celle  du  grand  Condé.  Ce  prince ,  sur 
le  point  d'engager  la  sanglante  ac- 
tion de  Sénef,  était  entouré  d'olFi- 
cicrs  qui,  voyant  du  mouvement  dans 
les  troupes  ennemies ,  prétendirent 
qu'elles  se  disposaient  à  une  retraite 
générale.  «  Non,  s'écria  Villars, 
»  elles  veulent  seulement  faire  un 
»  changement  de  front.  »  —  «  Jeu- 
»  ne  homme  ,  lui  dit  Coudé ,  qui 
»  vous  en  a  tant  appris  ?  »  Il  voit 
clair  ,  ajouta-t-il  en  se  tournant  vers 
la  troupe  dorée ,  et  il  ordonna  aus- 
sitôt l'attaque.  Villars  fut  blesse' 
grièvement  des  la  première  charge  ; 
mais  à  peine  eut-il  fait  bander  sa 
plaie  ,  qu'il  remonta  à  cheval ,  et  ne 
quitta  le  prince  que  lorsque  la  dou- 
leur l'eut  fait  évanouir.  Louis  XIV, 
instruit  de  sa  conduite ,  le  nomma 
colonel  d'un  régiment  de  cavalerie  : 
il  n'avait  encore  que  vingt- un  ans 
(  1674)'  Il  fit  la  campagne  suivante 
en  Flandre,  sous  les  ordres  du  ma- 
réchal de  Luxembourg  qui,  connais- 
sant son  audace  ,  lui  confia  plusieurs 
coups  de  main  qui  furent  couronnés 
du  plus  brillant  succès.  11  comman- 
dait un  corps  de  réserve  a  la  bataille 
deCassel,et  il  allait  saisir  le  mo- 
ment de  prendre  en  flanc  l'aile  droite 
de  l'ennemi ,  quand  Monsieur  lui 
envoya  l'ordre  de  renforcer  le  cen- 
tre. Villars  obéit  en  frémissant,  et 
cette  aile  fut  sauvée  d.'une  destruc- 
tion totale.  «  Ah  I  lui  dit  Luxembourg, 


VIL 

»  que  le  chcA^al  de  l'aide -de -camp 
»  du  prince  ne  s'est -il  cassé  les  jam- 
»  bes ,  quand  il  vous  porta  ce  mau- 
»  dit  ordre  !  »  F2nvoyé  à  l'armée 
d'Alsace,  commandée  par  le  maré- 
chal de  Créqui ,  Villars  ne  tarda  pas 
à  s'y  montrer  digne  de  la  brillante 
réputation  qui  l'y  avait  précédé.  Il 
déploya  une  valeur  téméraire  au 
combat  de  Kocksberg  ,  où  il  eut  à 
soutenir  les  efforts  de  presque  toute 
l'armée  impériale.  Dans  le  plus  fort 
de  l'action,  il  jeta  sa  cuirasse,  en 
disant  :  «  Je  ne  tiens  pas  ma  vie  plus 
î)  précieuse  que  celle  de  mes  braves 
»  soldats.  »  Changeant  de  service 
et  d'emploi  toutes  les  fois  qu'il  y  avait 
de  l'honneur  à  acquérir,  il  obtint  du 
maréchal  de  Créqui  la  permission 
de  monter  à  l'assaut  de  Fribourg  ,  à 
la  tête  des  grenadiers.  Malgré  une 
suite  d'actions  aussi  éclatantes ,  son 
avancementne  répondait  pas  à  ses  de- 
sirs  :  Louvoisne  pouvait  lui  pardon- 
ner ses  liaisons  de  parentéavec  le  ma- 
réchal de  Bellefonds,  Villars,  convain- 
cu que  c'était  par  son  épée  qu'il  de- 
vait s'ouvrir  le  chemin  des  honneurs 
et  de  la  fortune ,  semblait  se  mul- 
tiplier :  on  le  voyait ,  un  jour ,  com- 
mander une  expédition  de  partisan  , 
et,  le  lendemain,  monter  le  premier 
sur  la  brèche  du  fort  de  Kehl.  Té- 
moin de  cette  dernière  action  ,  le 
maréchal  de  Créqui  lui  dit  devant 
tous  les  généraux  :  a  Jeune  homme , 
»  si  Dieu  te  laisse  vivre,  tu  auras 
»  ma  place  plutôt  que  personne.  » 
La  paix  de  Nimègue  (  lô-jS  )  fit 
rentrer  Villars  dans  un  repos  qu'il 
n'avait  point  connu  depuis  sa  sortie 
des  pages.  11  parut  à  la  cour,  et  se  jeta 
dans  plusieurs  intrigues  galantes  avec 
toute  l'ardeur  qu'il  avait  fait  éclater 
dans  les  camps.  Il  en  résulta  des 
scènes  de  différents  genres ,  qui  fixè- 
rent l'attention  sur  lui  :  le  roi  lui  or- 


VIL 

donna  derejoiudre  son  régiment.  Vil- 
lars  se  regardait  comme  frappe  d'une 
sorte  de  disgrâce  ,  lorsqu'il  fut  tout- 
à-coup  lionore'd'une  mission  qu'il  dut 
à  la  mémoire  de  son  père  ,  plus  qu'à 
ses  titres  personnels.  Le  marquis  de 
■  Villars  avait  été  envoyé  comme  né- 
gociateur dans  plusieurs  cours  étran- 
gères. Le  roi   pensa    que   l'héritier 
de    sa    bravoure     pourrait     l'être 
aussi  de  ses  talents  diplomatiques  , 
et  il  lui  conlia  l'ambassade  de  Vien- 
ne, que  les  circonstances   rendaient 
fort  importante,  mais  dont  on  cacha 
le  but  secret  sous  le  prétexte  de  com- 
plimenter l'empereur   Léopold   l"^^»'. 
sur  la  mort  de  l'impératrice  sa  mère. 
Villars  attachait  à  cette  mission  un 
intérêt  particulier  :  l'Autriche,  à  cette 
époque,  faisait  une  guerre  très -vive 
aux  Turcs  ;  et  il  se  flattait  d'obtenir 
de  Louis  XIV  la  permission  de  ser- 
vir contre  les  Infidèles ,  avec  l'élite 
de  la  noblesse  française  rassemblée 
sous  les  drapeaux  de  Léopold.  Le 
roi  lui  enjoignit  de  rester  à  Vienne  , 
où  sa  présence  était  nécessaire.  Vil- 
lars s'y  attacha   à   augmenter  son 
crédit  par  l'influence  de   l'électeur 
de  Bavière  ,  beau-frère  du  dauphin  j 
et,  bientôt  après ,  il  mit  toute  sa  po- 
litique à  détacher  ce  jeune  prince  de 
l'alliance  autrichienne  ,  pour  lui  faire 
épouser  les  intérêts   de  la  France. 
Ses  eli'orts    furent    si  heureux    que 
l'électeur  quitta  Vienne  pour  retour- 
ner à  Munich.  Villars   obtint    sans 
peine   la  permission  de  l'y   suivre, 
et  l'électeur  obtint ,  à  son  tour ,  de 
Louis  XIV^  la  permission  de  se  faire 
accompagner  par  Villars ,  lorsqu'il 
alla  prendre  le   commandement  du 
corps  bavarois  qui  faisait  partie  de 
la  grande-armée  impériale  en  Hon- 
grie. Villars,  au  comble  de  ses  vœux, 
écrivit  au  roi  qu'il  verrait  les  Turcs 
de  si  près  qu'il  pourrait  lui  en  ren- 


VIL  527 

dre  compte  ,  et  il  tint  parole  j  mais  , 
de  retour  à  Munich  ,  après  la  campa- 
gne, il  eut  à  combattre  un  négocia- 
teur d'une  nouvelle  espèce.  La  cour 
de  Vienne  envoya  auprès  de  l'élec- 
teur de  Bavière  la  belle  comtesse  de 
Kaunitz.  Elle  s'empara  bientôt  de 
l'esprit  d'un  prince  jeune  et  volup- 
tueux •  et  son  premier  soin  fut  d'exi- 
ger de  lui  l'cloignement  de  l'am- 
bassadeur français.  Villars  fit  des 
adieux  menaçants  à  l'éJecteur  ,  et  se 
rendit  aussitôt  à  Versailles.  Louis 
XIV  lui  donna  plusieurs  audiences 
particulières ,  et  lui  dit  un  jour  ,  de- 
vant les  courtisans  :  «  Je  vous  avais 
»  toujours  connu  pour  un  fort  brave 
»  homme;  mais  je  ne  vous  croyais 
»  pas  si  grand  négociateur.  »  M'"e. 
de  Maintenon  l'admit  aux  représen- 
tations d'Eslher  à  Saint-Cyr ,  fa- 
veur que  les  plus  grands  seigneurs 
briguaient  quelquefois  inutilement. 
Enfin,  le  fier  Louvois  se  laissa  dé- 
sarmer; et,  pour  faire  oublier  à 
Villars  ses  longues  rigueurs,  il  lui 
offrit  la  place  de  commissaire-géné- 
ral de  cavalerie.  «  Ainsi ,  dit  M°^<^. 
»  de  Sévigné,  voilà  un  homme  placé 
w  dans  une  charge  dont  il  s'acquittera 
»  fort  bien  ,  à  la  veille  d'une  guerre 
»  qui  fait  présentement  la  nouvelle 
»  publique  (2).  »  Cette  guerre  était 
celle  qui  fut  occasionnée  par  la  fameu- 
se coalition  connue  sous  le  nom  de  li- 
gue d'Augsbourg.  Louis  XIV,  avant 
de  porter  ses  armes  en  Allemagne, 
voulut  tenter  un  dernier  effort  pour 
ramener  le  frère  de  la  dauphine  dans 
les  intérêts  de  la  France.  Il  ordonna  , 
en  conséquence  ,  à  Villars  de  retoui'- 
ner  à  Munich.  Le  parti  autrichien  y 
dominait  tellement,  que  l'ambassa- 
deur français  y  vit  sa  sûreté  menacée. 
Il  se  hâta  de  gagner  le  territoire  suis- 

(2)  LeUre  au  comte  de  Buesy,  du  26  août  1688. 


5-i» 


VIL 


se,  et  avant  de  se  retrouver  en  Fran- 
ce, il  essuya  encore  deux  aventu- 
res ,  dont  l'une  faillit  lui  coûter  la 
vie  ;  l'autre  ne  fut  que  plaisante. 
Voyageant  à  cheval  dans  le  cœur  de 
riiiver  et  ])ar  un  temps  affreux  ,  il 
arrive  à  Saint-Gall  à  une  heure  avan- 
cée. 11  espérait  goûter  quelque  repos 
dans  cette  ville;  mais  il  lui  faut  , 
d'abord ,  supporter  les  longs  com- 
pliments du  magistrat, qui  hiidéclare 
que  l'envoyé  du  roi  de  France  doit 
être  fêté  convenablement  à  son  pas- 
sage. On  sert  un  énorme  festin,  et  tous 
les  notables  de  la  ville  arrivent  avec 
leurs  femmes.  Vi'lars  ,  en  sortant  de 
table  ,  était  encore  menacé  d'un  bal  : 
ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'il  obtint 
la  permission  de  se  mettre  au  lit.  A 
son  réveil,  lelendcmain,  il  comptait  se 
mettre  en  route;  mais  il  se  trouva 
qu'il  avait  encore  unf  affaireà  régler: 
c'était  de  solder  les  frais  de  la  fête 
que  lui  avait  donnée  le  magistrat  de 
Saint-Gall ,  et  dont  son  liùte  eut 
grand  soin  de  lui  présenter  le  mé- 
moire. Un  incident  d'une  nature  plus 
grave  l'attendait  à  Bàle:  les  portes 
étaient  fermées  quand  il  arriva  de- 
vant celte  ville.  Impatienté  des  refus 
que  faisait  l'officier  de  garde  de  les 
ouvrir,  A  illars  met  pied  à  terre  afin 
de  décliner  lui-même  son  nom  et  sa 
qualité.  Aussitôt  le  oont-levis  s'a- 
baisse ;  mais  l'obscurité  ne  permet 
pas  à  Yillars  de  voir  oîi  il  met  le 
pied  ,  et  il  tombe  d'une  grande  hau- 
teur dans  le  fossé,  oîi  il  ne  se  trou- 
vait heureusement  qu'une  vase  épais- 
se. On  l'en  retira  demi-mort  :  néan- 
moins, comme  il  n'y  avait  point  de 
fracture  ,  il  fut  assez  promptement 
rétabli.  Le  roi  lui  fit  l'accueil  le  plus 
flatteur ,  et  l'envoya  en  Flandre 
pour  y  commander  la  cavalerie  de 
l'armée  du  maréchal  d'Hiimières. 
Cette    armée   devant   rester    sur  la 


VIL 

défensive  ,  Vil'ars ,  pour  échapper 
à  l'inaction,  se  livra  à  son  goût  na- 
turel pour  la  guerre  de  partisan  ,  et  il 
mit  à  contribution  tout  le  plat  pays  , 
jusqu'à  Bruxelles.  C'est  à  cette  épo- 
que (  1689)  qu'il  fut  nommé  maré- 
chal-de-camp. Il  commanda  dans 
les  campagnes  suivantes  un  corps  de 
quinze  mille  hommes,  qui  formait  , 
en  quelque  sorte ,  la  réserve  du  ma- 
réchal de  Luxembourg  ;  et  il  prit 
une  grande  part  au  glorieux  combat 
de  Leuze  (  1G91  ).  On  en  trouve  les 
détails  dans  une  lettre  qu'il  écrivit 
au  marquis  de  Barbézieiix  ,  qui  ve- 
nait de  succéder  à  Louvois  ,  son 
père  ,  et  qui  avait  hérité  de  tou-, 
tes  SCS  préventions  contre  Vil- 
lars  :  il  ne  négligea  aucune  occasion 
de  lui  nuire  dans  l'esprit  de  Louis 
XIV.  Le  guerrier  s'en  plaignit  au 
roi  lui-même  :  «  Croyez-vous  donc  , 
»  lui  répondit  le  monarque  ,  que  ces 
»  gens  -  là  puissent  perdre  \\n  hom- 
»  me  que  je  connais  aussi  bien  ? 
»  —  Hélas  I  Sire,  répliqua  Villars  , 
»  ces  gens-là  ont  le  privilège  de  par- 
»  1er  tous  les  jours  à  V.  M. ,  tandis 
»  que  les  généraux  jouissent  à  peine 
»  de  cet  honneur  une  fois  par  an  I  » 
Ce  langage  hardi  ne  déplaisait  pas 
au  grand  roi  :  ce  fut  de  son  propre 
mouvement  qu'il  nomma  Villars  lieu- 
tenant-général ,  et  l'envoya  sur  le 
Rhin  pour  aider  de  ses  conseils  le 
maréchal  de  Joyeuse  ,  vivement 
pressé  par  le  prince  de  Bade.  Peu 
de  jours  après  son  arrivée ,  Villars 
fit  sentir  sa  présence  à  l'ennemi  par 
une  manœuvre  hardie  qui  sauva  î'a- 
vant-garde,  et  peiit-êtie  l'armée  en- 
tière. La  paix  de  Ryswick  (  iÔq';  ) 
vint  pour  quelque  temps  encore  ren- 
dre le  repos  à  l'Europe  :  mais  déjà 
de  plus  grands  évéucments  se  pré- 
paraient dans  le  silence  des  cabinets. 
Mine  par  une  maladie  de  langueur  , 


VIL 

le  roi  d'Espagne  Charles  II  était 
menace  d'une  fin  prochaine.  Les 
grandes  puissances  ne  voulurent  pas 
attendre  ce  moment ,  pour  régler  le 
partage  de  son  immense  succession. 
Les  négociations  s'ouvrirent  de  tou- 
tes parts  :  c'est  dans  cette  grave  oc- 
currence que  LouisXIV  honora  Vil- 
lars  de  la  plus  haute  marque  de  sa 
confiance  ;  il  le  nomma  son  ambas- 
sadeur exti'aordinaire  auprès  de  la 
cour  d'Autriche ,  la  plus  intéressée 
de  toutes  à  s'opposer  aux  vues  du 
roi  de  France.  A  peine  arrivé  à  Vien- 
ne (  iG()g),  Villars  n'eut  que  trop 
d'occa  ionsde  remarqueràquel point 
tous  les  esprits  étaient  aigris  contre 
le  souNcrain  qu'il  représentait.  Le 
prince  de  Liciitenstein  ,  gouverneur 
du  jeune  archiduc  Charles  ,  concur- 
relit  du,  duc  d'Anjou ,  osa  choisir 
l'instant  d'une  fête  pour  faire  une 
insulte  à  l'envoyé  de  LouisXIV.  Vil- 
lars exigea  si  impérieusement  une 
réparation  solennelle  ,  que  le  prince 
reçut  l'ordre  de  lui  faire  des  excuses. 
Malgré  les  préventions  qu'il  avait  à 
combattre,  il  remporta  sur  les  mi- 
nistres de  l'empereur  un  triomphe 
qui ,  comme  il  s'en  plaignit  lui-mê- 
me, ne  fut  point  dignement  apprécié. 
Le  faible  Charles  II ,  voyant  la  vie 
près  de  lui  échapper  ,  avait  secrète- 
ment autorisé  la  cour  de  Vienne  à 
s'emparer  de  toutes  les  possessions 
espagnoles  en  Italie.  VilLirs  pénétra 
ce  secret ,  et  il  eut  l'art  d'obtenir 
de  l'empereur  l'engagement  écrit 
qu'il  ne  ferait  aucun  usage  du  con- 
sentement tacite  du  roi  d'Espague. 
Cependant  la  nouvelle  de  l'accepta- 
tion du  testament  de  Charles  II  par 
Louis  XIV  rendait  extrêmement 
difficile,  et  même  dangereuse ,  la  po- 
sition de  son  ministre  à  la  cour  de 
Vienne.  Pour  achever  de  l'y  perdre 
entièrement,  on  osa  l'impliquer  dans 
XLVin. 


VIL  529 

une  conjuration  des  mécontents  hon- 
grois. Partout  on  affectait  de  l'éviter. 
Le  prince  Eugène,  seul,  trop  au- 
dessus  de  ces  basses  intrigues,  conti- 
nua de  fréqueiiter  un  guerrier  qu'il 
estimait.  Quelques  courtisans  témoi- 
gnant leur  surprise  de  voir  une  liai- 
son si  intime  entre  deux  généraux 
qui  étaient  sur  le  point  de  se  com- 
battre :  «  Messieurs ,  leur  dit  Vil- 
»  iars ,  je  compte  sur  les  bunlés  de 
»  M.  le  prince  Eugène ,  et  je  suis 
»  bien  persuadé  qu'd  me  souhaite 
»  toute  sorte  de  bonheur ,  comme 
»  de  mon  côté  je  lui  désire  toutes  les 
»  prospérités  qu'il  mérite ,  excepté 
»  celles  qui  peuvent  être  contraires 
»  aux  intérêts  du  roi  mon  maître. 
»  Mais  voulez-vous  que  je  vous  dise 
»  oii  sont  les  vrais  ennemis  du  prince 
»  Eugène?  Ils  sont  à  Vienne,  comme 
»  les  miens  à  Versailles  (3).»  L'am- 
bassade de  Villars  à  la  cour  d'Autri- 
che était  à  ses  yeux  une  des  plus  belles 
époques  de  sa  vie.  Pendant  près  de 
trois  ans,  il  suivit  avec  une  extrême 
habileté  et  -une  patience  que  l'on 
n'auraitpoint  crue  dans  son  caractè- 
re les  négociations  les  plus  épineu- 
ses. Ses  travaux  et  leur  succès  ne 
furent  cependant  pas  appréciés  à 
toute  leur  valeur.  Aussi  ne  put- il 
dissimuler  le  dépit  qu'il  éprouva,  eu 
voyant  attribuer  à  d'autres  l'avéne- 
mcnt  du  petit-lils  de  Louis  XiV  au 
trône  d'Espagne  :  «  Sans  moi,  man- 
»  dait-il  à  Chamillard,  l'Autriche 
»  s'emparait  de  l'Italie.  Mais  quel 
»  gré  m'en  sait-on  ?  Je  trouvai  à  mon 
»  retour  que  j'avais  battu  les  buis- 
»  sons ,  et  que  c'étaient  mes  camara- 
»  des  qui  avaient  pris  les  oiseaux.  » 


(3)  ^ous  nous  sommes  attacLés  à  retracer  l"ni<'- 
lemeut  les  paroles  de  Villars,  si  étrangement  il'li 
guiées  par  quelques  écrivains,  qu'ils  lui  loiil  dire 
«  J'espère  me  retrouver  bieutot  vis-à-vis  du  priu- 
»  ce  Eugène  ,  afin  de  le  bien  étiillei    » 

34 


i3{) 


VIL 


Le  roi  lui  Icnioigiia  néanmoins  \m- 
bliqurmcut  sa  salisfaclion,  ft  l'en- 
voya servir  en  Loiultardie  ,  sous 
le  niare'clial  de  Villeroi.  IMéconlcut 
de  tout  ce  qu'il  observa  dans  cette 
armcc  ,  il  sollicita  son  rappel.  Ce 
lut  dans  cet  liiver  qu'il  épousa  ÎNI"*^^. 
de\  aranj^eville,  dont  la  rare  beaulc 
lui  avait  inspiie  une  passion  qui  lit 
encore  plus  le  tourment  que  le  bon- 
heur de  sa  vie.  En  se  plaij^nant  de 
Villeroi ,  il  avait,  au  contraire,  ex- 
primé l'estime  dont  il  était  pénétré 
pour  Catinat ,  qui  \enait  d'être  nom- 
mé au  commandement  de  l'armée 
d'Allemaj^ne.  Le  roi  lui  ])ernul  d'al- 
ler l'y  rejouidre.  On  a  dit  fjue  \  d- 
lars  trouva  (pie  l.i  lèledc  Calui.it  était 
fort  allad)lie;  on  a  même  prétendu 
qu'il  le  lui  lit  entendre,  et  (pie  f!ati- 
nat  eut  la  naivclé  d'en  convenir. 
Nous  ne  trouvons  aucune  trace  de 
celte  anecdote  dans  les  lettres  oii 
Villars,  selon  sa  coutume,  s'expri- 
me sans  ména};emcnt  sur  le  compte 
de  tous  ses  contemporains.  Le  seul 
fait  avéré  ,  c'est  qu'il  reprocha  hau- 
tement à  Caliiiat  d'être  resté  specta- 
teur immobile  delà  prise  de  Landau 
par  le  roi  des  Romains.  <<  Les  trou- 
»  pcs  t|uc  je  vois  ici ,  écrivit-il  au 
»  ministre,  ont  oublie  la  guerre  pen- 
»  dant  la  guei  re  même.  »  Cependant, 
une  expédition  aus>i  importante  que 
diiUcile  occupait  le  cabinet  de  Ver- 
sailles. Louis  AlV  regardait  son  lion 
neur  intéressé  à  prouver  à  l'électeur 
de  Bavière  qu'il  n'aurait  pas  à  se 
repentir  d'avoir  épousé  sa  cause.  La 
situation  de  ce  prince  était  extrême- 
ment critique  :  il  avait  pris  les  ar- 
mes, dans  la  persuasion  d'être  sou- 
tenu sans  délai  par  une  puissante 
armée  française,  et  déjà  il  se  voyait 
investi  de  tous  côtés  par  les  trou- 
pes autrichiennes.  Villars ,  qu'd  avait 
honoré   d'une   amitié  particulière , 


VIL 

reçut  la  mission  d'aller  le  dé^racirr. 
Ce  fut  la  première  fois  qu'il  coramai>- 
da  en  chef,  et  il  avait  alors  quaran- 
te-neuf ans  (l'-^oi).  Le  corps  (pi'il 
devait conduireen Bavière,  à  travers 
tous  les  obstacles  imaginables,  était 
composé  de  trente  bataillons,  qua- 
rante escadrons  et  un  train  d'artille- 
rie de  trente  pièces.  N  illars  nous  a 
conservé  lui-même  les  détails  d'une 
entreprise  dont  la  réussite  suffi- 
rait j)our  le  placer  au  premier  rang 
des  liommes  de  guerre  du  grand  siè- 
cle. Les  Impériaux  occupaient  avec 
des  forces  trup  considérables  le  Bris- 
gaii  et  tous  les  défilés  de  la  forêt 
ISoire,  pour  qu'il  y  eût  possibilité 
de  les  en  débusquer;  Villars  conçut 
donc  le  projet  de  tourner  Iciiis  jiosi- 
tioiis.  Il  remonle  rapidement  le  lUiin, 
et  le  passe  à  lluningiic.  Mais  déjà  le 
prince  de  Bade,  général  doué  pareil- 
lement d'une  activité  peu  commune, 
occupait  les  liautcurs  qui  dominent 
la  plaine  étroite  où  les  Français  de- 
vaient se  former  après  le  passage  du 
fleuve;  sur  la  crête  des  collines,  là 
étaitlefortdcFrledîiiigeii,et  enavaut 
une  ligue  de  redoutes  fraisées  et  pa- 
lissadées.  Après  a\oir  vainement  at- 
tendu pendant  quelques  jours  que 
l'éiecleur  de  Baviirc  s'avaiu-àt  de 
son  C(jlé  pour  prendre  les  Aulricliicns 
à  dos,  Villars  se  résout  à  une  atta- 
que de  vive  force.  Il  fait  emptulf 
Ncubourg  d'assaut,  pour  inquiet' 
le  prince  de  Bade  sur  sa  droite,  < 
en  même  temps  il  tourne  sa  gaiieli 
par  la  vallée  du  petit  Huninguc.  Poui- 
écliappcr  au  danger,  le  prince  lait 
un  cliangcment  de  front.  Villars  i 
connaît  aiissilfit  que  le  sort  de 
journée  dépend  de  l'occupation  de-. 
hauteurs  de  Tulick.,qui  dominent  le^ 
deux  armées.  Son  infanterie  les  gra- 
vit avec  audace  et  célérité  :  mais 
parvenue  au  sommet ,  elle  est  ai  - 


VIL 

cueillie  par  un  feu  terrible  d'artil- 
lerie et  de  moiisqueterie.  VilJars  or- 
donne «me  nltaqiic  à  la  Laioiinctfe^ 
dont  riisap;c  coiiiinenrait  à  s'clablir. 
Les  Impériaux  sont  culbutes  et  pré- 
cipites dans  la  plaine;  mais  c'est lians 
ce  moment  de  iriomplie  même  qu'eut 
lieu  un  événement  qui  est  reste  fameux 
dans  les  fastes  de  la  guerre,  parce 
qu'il  fait  voir  mieux  qu'aucun  autre 
à  quoi  tient  le  destin  des  batailles. 
Entraîuc's  par  la  rapidité  de  la  des- 
cente autant  que  par  leur  ardeur  à 
poursuivre  l'ennemi,  des  soldats  fran- 
çais à  peine  parvenus  dans  la  planic 
s'aperçoivent  qu'ils  sont  entoures 
d'Autrichiens,  (l'était  la  cavalerie  du 
])rincc  de  Bade  qui  venait  d'être  en- 
Ibnccc  par  celle  de  Villars.  Frappes 
à  cette  vue  d'une  terreur  panique , 
ces  soldats  s'e'cricnt  :  «  Nous  som- 
»  mes  coupes!  »  Cecri  d'alarme  est 
répète  en  un  instant  jusque  dans  les 
bataillons  français  qui  garnissaient 
les  hauteurs.  Le  gênerai  court  h  eux  : 
«  Vive  le  roi  1  leur  cric-t-il ,  la  vic- 
»  toire  est  à  nous  I  »  —  «  Vive  le 
»  roi  !  »  répéta  le  soldat  d'une  voix 
incertaine.  Villars  saisit  un  drapeau, 
et  il  marche  à  la  tète  de  cette  infan- 
terie. Au  moment  où  il  s'en  éloignait 
presque  seul ,  pour  ordonner  une  der- 
nière charge  de  cavalerie,  et  ache- 
ver la  défaite  des  Impériaux ,  il  est 
près  de  tomlser  dans  les  mains  d'un 
parti  égaré.  Lorstpic  la  plaine  fut 
entièrement  balayée  d'ennemis  ,  l'ar- 
mée française,  ne  doutant  plus  de 
sa  victoire ,  proclama  son  digne  chef 
maréchal  de  b^rance.  Dès  que  le  roi 
fut  instruit  de  celte  brillante  jour- 
née (i4  octobre  1702)  :  «  J'unis  ma 
»  voix,  manda-t-il  à  Villars,  à  celle 
»  de  mes  braves  soldats  ;  »  et  il  lui 
envoya  le  bâton  de  maréchal.  La 
jonction  avec  l'électeur  de  Bavière 
semblait  devoir  «*trc  le  i-c'sultat  de 


VIL 


->Zi 


cet  avantage;  mais  bientôt  l'on  ap- 
prit que  ce  prince ,  toujours  mal 
conseille,  s'éloignait  du  Uhin  au  lieu 
de  s'en  rapprocher.  \  ilhirs  prend 
donc  le  parti  de  repasser  le  fleuve 
alin  de  cliasscr  les  Impériaux  de  tous 
les  postes  qu'ils  occupaient  en  Alsace, 
et  sur  la  .Sarre.  Il  lui  paraissait  im- 
portant de  s'assurer  de  Nanci  :  ]c 
duc  de  Lorraine  lui  en  ouvre  les  por- 
tes au  premier  coup  do  canon.  La 
campagne  terminée,  il  alla  rendre 
compte  au  roi  de  ses  opérations.  Les 
paroles  que  lui  adressa  Louis  XIV 
méritent  d'être  remarquées  :  «  Je 
»  suis  autant  français  que  roi,  lui 
»  dit  ce  grand  j)rince  ;  ce  qui  ternit 
»  la  gloire  de  la  nalion  m'est  plus 
»  sensible  que  tout  autre  intérêt. 
»  Depuis  long-temps  mes  ministres 
»  ne  m'apprenaient  que  des  choses 
»  désagréables.  L'heure  à  la(piclle  ils 
»  venaient  travailler  avec  moi  était 
»  marquée  par  des  m(»uvementsdans 
»  mon  sang.  Vous  m'avez  tiré  de  cet 
»  état  :  comptez  sur  ma  reconnais- 
»  sance.  »  Lemarécha!  retourna  pres- 
que aussitôt;!  l'armée  (ju'il  avait  lais- 
sée sur  les  bords  du  Kliiu.  Il  passe 
ce  fleuve  à  Neubourg,  enlève  les 
quartiers  du  prince  de  Bade  sur  la 
Kintzig,  et  met  le  siège  devant  KehI. 
«  Je  passe  des  nuits  dans  la  tranchée, 
»  dit-il  lui-même  dans  sa  correspou- 
))  dance  ,  buvant  un  verre  d'cau-de- 
»  vie  avec  mes  soldats;  je  leur  fais 
))  des  contes,  et  j'ai  grand  soin  de 
»  leur  dire  qu'il  n'y  a  que  les  Fran- 
»  cais  qui  sachent  prendre  les  villes 
)>  l'hiver.  »  Kehl  ne  tint  que  treize 
jours,  quoique  ses  ouvrages,  cous- 
truits  parVauban,  en  fissent  alors 
une  place  de  première  force.  Après 
ce  succès  ,  Villars  tenta  ,  dans  l'an- 
née suivante ,  de  pénétrer  vers  l'é- 
lecteur de  Biivièrc  ;  mais  tous  les 
mouvements  de  ce  prince  semblaient 
3\.. 


'iîa  VIL 

paralyses,  et  le  niaréclia!  cinit  devoir 
encore  à  la  prudence  de  revenir  oc- 
cuper la  ligne  du  Hliin.  Cette  espèce 
(le  retraite  fut  amcreinent  critiquée 
par  les  cuurlisaus.  «  On  ne  conce- 
»  vail  pas  ,  dit  -  il  ,  dans  les  appar- 
»  temcnts  ])icn  chauds  du  château  de 
»  Versailles  ,  et  dans  les  allées  bien 
M  unies  du  parc ,  comment  une  armée 
»  ne  pouvait  pas  traverser  des  pays 
»  inondés  et  franchir  les  inontagnes 
)>  Noires.  »  Ses  ennemis,  pour  le  ren- 
dre ridicule  ,  alVcctèrent  même  de 
croire  qu'il  n'était  rentré  en  France 
que  pour  se  rapprocher  de  la  belle 
maréchale ,  dont  il  était  excessive- 
ment jaloux.  Il  rqjond  à  cette  mali- 
gnité dans  ses  IMémoircs ,  pa)'  des 
plaisanteries  j  mais  c'est  en  général 
consommé  qu'il  réfute  les  arguments 
des  hommes  du  métier.  Au  reste  , 
après  avoir  laissé  prendre  quelque 
repos  à  ses  troupes  ,  qui  manquaient 
souvent  du  nécessaire ,  il  passe  de 
nouveau  le  Rhin ,  et  rentre  en  cam- 
pagne. Toutes  les  communications 
entre  l'armée  française  et  l'armée 
bavaroise  étaient  si  bien  gardées  par 
les  Impériaux  ,  qu'il  fallait  employer 
la  ruse  pour  faire  parvenir  à  l'élec- 
teur une  simple  lettre  du  maréchal. 
Irrité  de  tant  d'obstacles  ,  Villars  se 
détermina  à  forcer  les  gorges  des 
montagnes.  Il  s'exposait  comme  un 
simple  grenadier  :  a  l'assaut  du  châ- 
teau de  Hornbcck  ,  les  troupes  sem- 
blaient hésiter  ;  il  se  met  en  tète  de 
la  colonne ,  en  disant  :  «  J'espère , 
»  du  moins  ,  que  \  ous  ne  laisserez 
1)  pas  votre  général  tout  seul  sur  la 
»  brèche  !  »  Enfin,  après  des  travaux 
inouïs  ,  il  opéra  sa  jonction  avec 
l'électeur  de  Bavière ,  sur  les  fron- 
tières de  l'électorat  (  mai  i-yoS  ).  Ce 
prince  se  jeta  dans'Ses  bras  en  ver- 
sant des  larmes  de  joie  ;  mais  bientôt 
ses  irrésolutions  reprirent  le  dessus. 


VIL 

«  Que  ferons-nous  maintenant  ?  »  dit- 
il  à  \  illars.  —  a  Nous  allons  mar- 
»  cher  droit  sur  Vienne  ,  lui  répondit 
»  l'audacieux  Français  •  mon  plan 
»  est  tout  tracé,  j'ai  prévu  tous  les 
»  obstacles.  »  Le  jour  était  pris  pour 
l'exécution ,  quand  l'électeur ,  elTraye' 
par  ses  min;stres  qui  étaient  tous 
vendus  à  l'empereur,  déclara  qu'il 
avait  changé  de  dessein.  Villars 
frémissait  d'indignation  et  de  dé- 
sespoir :  on  voit  dans  sa  corres- 
pondance qu'il  avait  à  combattre 
une  opposition  presque  aussi  forte  à 
la  cour  de  Versailles  qu'à  celle  de 
Munich.  Il  écrivit  à  Louis  XIV: 
«  V.  M.  saura  un  jour  que  l'empe- 
»  reur  était  perdu  ,  si  nous  eussions 
»  marché  sur  Vienne  ;  d  n'y  a  que 
»  des  gens  gagnés  par  l'Autriche,  ou 
w  des  ignorants,  qui  aient  pu  s'op- 
»  poser  à  mon  pian.  »  Peu  de  cir- 
constances sont  d'un  aussi  grand  in- 
térêt dans  la  longue  vie  du  maréchal 
de  Vijlars  •  et  nous  ne  saurions  trop 
le  faire  remarquer.  Lorsque  le  prin- 
ce Eugène  traitait  avec  luiàRastadt, 
il  ne  lit  nulle  difllculté  de  convenir  , 
en  présence  de  MM.  de  Brogbe,  de 
Contades,  de  Saint-Fremond  et  au- 
tres ,  que  si  le  maréchal  avait  eu  la 
liberté  de  marcher  sur  Vienne,  en 
l'^oS  ,  la  paix  qui  ne  fut  conclue 
qu'en  17  i4  y  et  après  de  si  longues 
et  sr  terribles  calamités  ,  eût  été  si- 
gnée dès-lors  à  V avantage  de  la 
France  (4).  Mais  l'instant  favora- 
ble une  fois  manqué,  il  fallut  se  te- 
nir sur  la  défensive  contre  des  enne- 
mis qui  se  montraient  sur  tous  les 
points.  Sans  cesse  contrarié  par 
l'électeur  de  Bavière  ,  Villars  se 
vit  réduit  à  demander  son  rappel. 
Avant   d'avoir  leçu  la  réponse  du 


(4l  ^Jénwires  iiiantisfiits  ;  voir  la  /  ir^ile  J  il!" 
par  Anquelil,  tom.  1,  p.  248,  eu  note. 


VIL 

roi ,  il  apprend  que  le  jnincc  de 
Bade  et  le  comle  de  Stinim  allaient 
faire  leur  jonction  près  de  Dona- 
■werth.  «  Il  faut  les  prévenir,  dit-il 
à  l'ëlectenr  ,  il  faut  tomber  sur  Sti- 
rum  et  marcher  tout-à-l'hei  re.  »  Le 
prince  temporisait  ;  il  re'pondait 
qu'il  en  devait  conférer  avec  ses  ge'- 
ue'raux  et  ses  ministres.  «  C'est  moi 
qui  suis  votre  ministre  et  votre  ge'- 
neral ,  lui  re'pliquait  Villars;  quel 
conseil  vous  faut-il  de  plus  ?  si  V.  A. 
ne  veut  pas  saisir  l'occasion  avec  ses 
Bavarois,  je  vais  combatireavec  les 
Français,  »  et  aussitôt  il  donne  l'or- 
dre pour  l'attaque.  11  tue  cinq  mille 
hommes  aux  Impériaux ,  leur  fait 
cinq  mille  prisonniers,  s'empare  de 
toute  leur  artillerie  et  de  tout  leur 
bagage  (  20  septembre  i  708  ).  Cette 
brillante  victoire  ,  par  une  singula- 
rité' trop  remarquable ,  fut  rempor- 
tée dans  cette  même  plaine  de  Hoch- 
stett  qui ,  l'année  suivante ,  devait 
être  si  funeste  aux  armes  de  la  Fran- 
ce. Villars  rajiporte,  avec  un  senti- 
ment d'horreur,  qu'après  la  bataille, 
le  nombre  immense  des  prisonniers 
emlwrrassant  l'armée, un  oillcier  gé- 
néral osa  lui  proposer  de  les  faire 
passer  au  (11  de  l'épée.  Cette  victoire 
demeura  sans  fruit  :  l'électeur  sem- 
blait prendre  à  tâche  de  contrecar- 
rer toutes  les  mesures  du  général 
français.  Dans  l'excès  de  son  indigna- 
lion  ,  le  maréchal  lui  parla  ,  non 
plus  comme  un  général  soumis  à  ses 
ordres,  mais  comme  le  représentant 
du  roi  de  France.  Il  mit  tant  de  vé- 
hémence dans  ses  discours  ,  que  le 
prince  allemand  tout  etTarc  jeta  son 
chapeau  et  sa  perruque  par  terre.  Il 
promit  à  Villars  de  mieux  le  secon- 
der à  l'avenir  •  le  maréchal  n'en 
persista  pas  moins  à  demander  son 
rappel,  et  il  l'obtint  enfin.  Avant  de 
quitter  l'électeur,  il  le  pressa  ,  mais 


VIL  533 

vainement,  de  saisir  une  occasion 
certaine  de  battre  le  prince  de  Bade. 
Villars  partit  donc,  emportant  les 
regrets  de  toute  son  armée ,  qui  passa 
sous  le  commandement  du  comte  de 
IMarsin  que  lui-même  avait  désigné 
pour  son  successeur,  ce  qui  n'est  pas 
indigne  de  remarque.  La  plupart 
des  petits  écrivains,  qui  pensent  se 
grandir,  en  déclamant  contre  Louis 
XIV,  ne  manquent  jamais  de  dire 
que  ce  monarque  arrêta  le  cours  des 
victoires  de  Villars  en  Allemagne, 
pour  employer  ce  grand  capitaine  à 
combattre  quelques  misérables  fana- 
tiques en  Languedoc.  Voici  les  faits 
dans  leur  simple  vérité  :  le  maréchal , 
comme  on  vient  de  le  voir ,  avait  ob- 
tenu son  rappel  à  force  d'instances 
auprès  du  roi  lui-même.  Digne  ap- 
préciateur du  mérite  ,  ce  prmce  le 
combla  de  bontés  et  d'égards  à  son 
retour.  Il  lui  fit  donner  un  apparte- 
ment au  château  de  Marli,  et  prit 
plaisir  à  lui  montrer  lui-même  les 
embellissements  de  cette  résidence 
royale.  Après  l'avoir  remercié  de  ses 
services,  le  monarque  lui  dit  qu'il  en 
réclamait  de  nouveaux  de  son  zèle, 
et  il  lui  offrit  le  commandement  d'une 
de  ses  armées  d'Italie.  L'autre  avait 
pour  général  le  duc  de  \end6me. 
Villars  sentit  aussitôt  que,  comme 
moins  ancien  maréchal  que  le  duc  , 
il  ne  pourrait  agir  que  sous  sa  direc- 
tion. Les  désagréments  sans  nombre 
qu'il  avait  essuyés  de  la  part  de  l'é- 
lecteur de  Bavière  lui  revinrent  à 
l'esprit;  et  il  supplia  le  roi  de  lui 
donner  une  autre  destination.  «  Eh 
bien  !  lui  dit  Louis  XIV ,  des  guer- 
res plus  considérables  à  conduire 
vous  conviendraient  mieux  ;  mais 
vous  me  rendrez  un  service  bien  im- 
portant, si  vous  jiouyez  arrêter  une 
révolte  qui  peut  devenir  trcs-dauge- 
rcuse,  surtout  dans  imc  conjoncture 


534 


VIL 


où,  avant  tonte  l'Europe  à  combaltrc, 
il  esî  embarrassant  d'avoir  une  guer- 
re à  soutenir  dans  le  cœur  du  royau- 
me. »  —  «  Sire ,  repondit  le  maré- 
chal,  si  V.  M.  me  le  permet,  je  tâ- 
cherai de  terminer  ,  par  la  douceur, 
des  maux  que  la  rigueur,  selon  moi, 
ne  fait  qu'irriter.  »  —  <i  Je  m'en 
rapporte  à  vous  ,  reprit  le  roi  ;  vous 
crovez  Lien  que  je  préfère  la  cou- 
.serA  atiou  de  mes  peuples  à  leur  perte. 
Je  la  regarde  comme  certaine,  si 
cctfe malheureuse  guerre  continue.  » 
JjC  maréchal  se  rendit  sans  délai  à 
Beaucairc  ,  où  l'attendait  l'intendant 
de  Languedoc  ,  ce  Lamoignou  de  Bà- 
ville ,  que  l'intolérance  jihilosophi- 
que  s'est  attachée  à  représenter  com- 
me un  hojume  sanguinaire,  et  chez 
lequel,  an  contraire,  Yillars  trouva 
des  sentiments  d'Iiumanilc  et  de  con- 
cihation  ^  parfaitement  conformes 
aux  siens  (  F.  Lamoignon,  XXIII , 
3oi  ).  Le  guerrier  et  le  magistrat  fi- 
rent ensemble  cette  campagne  contre 
les  Camisards  :  mais  il  était  plus 
dillicilc  de  les  trouver  que  de  les 
combatfie.  Traités  avec  humanité 
quand  ils  menaient  bas  les  armes  , 
exte4  minés  quand  ils  osaient  tenir  tête 
aux  Iroupes  du  roi ,  la  plupart  solli- 
citèrent de  la  pitié  du  maréchal  la 
permission  de  retourner  dans  leurs 
foyers.  Le  fameux  Cavalier,  leur 
chef  le  plus  opiniâtre  ,  olTrit  enlin 
lui-même  de  rentrer  dans  le  devoir. 
Villars  lui  accorda  une  entrevue , 
dont  il  a  retracé  tous  les  détails  dans 
SCS  l\Iémoires  (  Voj.  Cavalii.r  , 
VII,  44")'  Cavalier  montra  de  la 
bonne  foi  :  admirateur  des  grandes 
qualités  du  maréchal ,  il  lui  proposa 
de  former  un  régiment  du  nom  de 
Villars,  tenant  à  grand  honneur d'eji 
être  le  colonel.  IMais  dans  le  moment 
où  le  maréchal  se  féicitait  de  la 
prompte  soumission  des  rebelles ,  les 


VIL 

Anglais  et  le  duc  de  Savoie  s'efloi 
raient  de  ranimer  leur  ardeur  ,  en  s< 
mettant  en  communication  avec  eir 
par  les  cotes  de  Provence  et  par  K 
Dauphiné.  Villars  lit  face  partout  aux 
ennemis  extérieurs  ,  et  il  eut  alors  l. 
satisfaction  d'avoir   rétabli   en  un 
seule  campagne  (  1704  )   \^  tran- 
quillité dans  toutes  les  provinces  agi- 
tées par  des  dissentions  religieuses. 
Ses  occupations  raullipliées  ne  l'a- 
vaient pas  empêché  de  suivre  sur  la 
carte  les  opérations  de  cette  armée  de 
Bavière  qu'il  avait  formée  à  la  victoi- 
re. Lorsqu'il  vitlesdispositionsqui  se 
faisaient  de  part  et  d'autre  dans  ces 
mêmes  plaines  de  Donawerth ,  où  il 
avait  triompîic  des  Impériaux  l'an- 
née précédente ,  il  prédit  le  tt  rriblc 
désastre  que  ne  tarda  pas  à  essuyer 
le  maréchal  de  Tallard  à  Iloclistett 
(  T'oY.  Tai.laud).  La  lettre  qui  con- 
tenait cette  prédiction  fut  monlrée  à 
Louis  XIV  ,  et  rendue  publique.  Le 
roi  voulant  témoigner  lui -même  à 
Villars    sa    haute    satisfaction  ,   le 
manda  à  Versailles.  Il  lui  donna  le 
cordon  bleu,  et,  ce  qui  flatta  plus 
encore   le  maréchal  ,    il   s'entretint 
longtemps  avec  lui  des  opérations 
les  plus  secrètes  de  la  politique  et 
de  la  guerre.  Villars  transporté  écri- 
vait à  M'""",  de  îMaintenou  :  «  Le  roi 
»  est  le  meilleur  maître  du  monde, 
))  et  celui  qui  mérite  le  mieux  d'être 
»  bien  servi.  Avant  d'avoir  la  gloire 
»  d'être  admis  à  certaines  conversa- 
»  tions  dans  lesquelles  S.  M.  s'épan- 
»  chait  avec  ses  serviteurs ,  je   ne 
»  pouvais  moi-même  penser  que  par- 
»  mi  tout  ce  que  nous  avons  vu  de 
»  grand  eu   lui  il  y  eût  autant  de     ; 
•f>  bonté  ,  d'afl'abilité  ,  de  raison  et 
))  d'inimanité  que  j'en  ai  connu  par 
»  moi-même.  »  Dans  rcihision  de  sa    j 
reconnaissance  ,  le  maréchal  déclara 
au  ministre  de  la  guerre  qu'il  s'esti- 


VIL 

mail  trop  heureux  de  pouvoir  servir 
le  roi  sans  aucun  intiii-èt  ;  qu'en  con- 
séquence il  renonçait  non-seulement 
aux   émoluments  de  ses  places  qui 
montaient  à  trente-six  mille  francs  , 
mais  qu'il  suppliait,  en  outre,  S.  M. 
d'agréer  l'abandon   qu'il  faisait  au 
tresor-royal  de  trente-cinq  mille  li- 
vres de  rente  qui  compo>aient  son 
patrimoine.  Il  se  trouvait  assez  riche 
de  neuf  cent  mille  francs  qu'il  avait 
acquis  aux  dépens  de  l'ennemi  (5). 
Louis  XIY  se  montra  sensible  à  cette 
offre,  mais    ne  l'accepta  point.    Il 
donna  commission  au  maréchal  de 
visiter  les  frontières  de  l'Est ,  où  les 
succès  des  allies  avaient  déjà  répan- 
du   l'elfroi.    Ajirès    une    inspection 
minutieuse  ,  Villars  reconnut  qu'il 
était  de  la  plus  haute  importance  de 
couvrir  les  trois  places  de  Luxem- 
bourg ,    de  ïhionville  et  de  Sarre- 
Louis.  Ilsedètermiua,  en  conséquen- 
ce, à  prendre  position  à  Fron>l)erget 
surles  hauteurs  voisines,  d'où  il  pou- 
vait   porter  du   secours   à  Luxem- 
bourg par   les  bois   de  Sirck  ,  en 
même  temps  qu'il  couvrait  Thion- 
ville  ,  et  assurait  les  convois  de  vi- 
vres qui  hii  venaient  de  Metz.  Les 
postes   fortifies    de   Bouzouville    et 
de   Bourgaiche  le  maintenaient    en 
communication  avec  Sarre-Louis.  Ce 
camp   de  Fronsbcrg^  vulgairement 
connu   sous  le    nom    de   camp   de 
Sirck  ,     doit    être  à  jamais   célè- 
bre dans  l'histoire  de  la  castramé- 
tation.  II  donne  la  ])lu3  haute  idée 
du  coup-d'œil  stratégique  d'un  guer- 
rier qui,  jusque-là,  s'était  plutôt 
signalé    par    sa    valeur    téméraire 
dans  les    combats.   Un   fait   digne 
d'être  cité ,  c'est  que  Villars,   coa- 


(5)  On  voil  ,  dans  le  delail  de  la  furliiiic  dont 
jouissait  lo  tnaréclial  de  Villars,  qu'à  roi  le  ô|>oqur 
(  1704  )  les  appuinlCMicuts  d'un  marcclial  Vie  Fran- 
ce lie  s'clevaicul  qu'à  i3,ouo  IVaoc». 


VIL  531 

vaincu  de  la   force  naturelle  de  stm 
ramp  ,  ne  voulut  pas  le  couvrir  par 
des  retranchements  j  et  le  motif  qu'il 
en  donne  n'est  pas  moins  remarqua- 
ble :  «  Les  retranchements ,  dit-il  , 
»  inquiètent  les  Français.  «  Maribo- 
roiigh  parut  bientôt  devant  le  camj) 
du  maréchal ,   à  la  tèle  de  cent  dix 
mille  hommes.  Il  l'examina  sur  tous 
les  points  pendant  quatre  jours  en- 
tiers ,  et  se  retira  ,    la  nuit  suivante  , 
après    avoir  promis  ,   à   la  face  de 
l'Europe  ,  qu'il   ferait   reculer  Vil- 
lars ,    ou   qu'il   le  battrait.    Fidèle 
à    sa  maxime   favorite  de   repren- 
dre l'olfensive  ,   dès   que   l'on  n'est 
plus  réduit  à  la  défensive,  le  ma- 
réchal   fit  poursuivre  si    vivement 
les  alliés,  qu'il  enleva  Trêves  et  Sar- 
i-ebourg  ,  oîi  ils  avaient  d'immenses 
magasins.  11  se  ])orte  aussitôt  eu  Al- 
sace,  force  les  lignes  de  Weissem- 
bourg ,  taille  en  pièces  le  corps  qui 
les  défendait,  et  se   présente  devant 
Lauterbourg.  L'ennemi  avait  un  camp 
retranché  sous  le  canou  de  cette  ])la- 
ce  ;  et  il  y  recevait  des  renforts  con- 
tinuels,   tandis   que   Villars   venait 
d'être  considérablement  all'aibli  par 
les  détachements  qu'il  avait  eu  or- 
dre d'envoyer  en  Flandre.  Mais  ce 
fut  précisément  pour  déguiser  sa  fai- 
blesse qu'il  eut  l'audace  de  passer 
le  Rhin  entre  le  Fort-Louis  et  Stras- 
bourg ,  et  d'aller  mettre  tout  le  plat 
pays  à  contribution   jusqu'aux  gor- 
ges des  montagnes  Noires.  Après  la 
campagae  de  170$,   il  alla,   selon 
son  usage  ,  rendre  C0|mpte  au  roi  de 
ses  opérations,  et  déjouer  les  intri- 
cues  des  ennemis  que  lui  faisaient  la 
severite  de  sa  discipline ,  et  un  mé- 
pris pour  les  talents  médiocres  (ju'il 
ne  savait  pas  dissimuler.    Telle  fut , 
par  exemple,  sa  conduite  envers  ic 
maréchal  de  Marsin  ,  qui  comman- 
dait en  Alsace  une  ai'mée  destinée  à 


530 


VIL 


soutenir  la  sienne  dans  la  campagne 
qui  allait  s'ouvrir  (  l'joO).  IM;usiu 
protendait  que  les  iuondatious  l'em- 
pcchaieut  d'agir  :  Villa  rs,  pour  toute 
réponse,  crie  mardi oji s!  et  se  jette 
le  premier  à  l'eau.  L'ennemi  décon- 
certe se  laisse  forcer  dans  Laulcr- 
bourg  et  dans  Hagueuau  ,  où  il  avait 
son  artillerie  de  réserve  et  des  muni- 
tions immenses.  Au  moment  où  le 
maréchal  s'apprêtait  à  tirer  parti  de 
ces  avantages.  la  funeste  bataille  de 
Eamillies ,  perdue  en  Flandre  par 
"Villeroi,  vint  changer  toutes  ses  dis- 
pc^itions.  Le  ministre  Cliamillard 
lui  retira  ses  meilleures  troupes,  et 
lui  olfrit  d'aller  cornuiriuder,  sous 
le  duc  d'Orleauj.  l'armée  que  le  duc 
de  Vendôme  laissait  en  Lumbardie, 
pour  prendie  le  comm.iiideiuent  de 
ceî!e  de  Villeroi.  Désespéré  de  cet 
arrangement  qui  contrariait  toutes  ses 
vues.  Villars  écrivit  une  lettre  fort 
adroite  au  roi  ;  et  il  obtint  que  eefùt 
Marsinqui  allât  rejoindre  leducd'Or- 
léaus  en  Italie.  La  faiblesse  du  corps 
du  maréclial  semblait  le  condamner 
à  l'inaction  ;  mais  déjà  il  méditait  le 
coup  le  plus  hardi.  Les  Impéj-iaux. 
occupaient  les  fameuses  lignes  de 
Stolhollen,  à  quelques  lieues  au-des- 
sous de  Strasbourg.  Ces  lignes  étaient 
formées,  le  long  du  Rhin  qui  les  cou- 
vrait ,  de  doubles  retrancliemenls  éle- 
vés en  amphithéâtre  et  flanqués  de 
grosses  redoutes.  Depuis  Stolhof- 
fen ,  elles  retoiirnaient  en  équerre 
jusqu'aux  montagnes.  Cet  immense 
camp  retranché  était  défendu  par 
une  nombreuse  artillerie  et  par  une 
armée  de  plus  de  quarante  mille 
hommes.  Une  faute  du  général  enne- 
mi fut  bientôt  aperçue  par  Villars  , 
avec  celte  rapidité  de  coup-d'reil  qui 
le  caractérisait.  Son  adversaire  avait 
négligé  d'occuper  l'île  de  Neubourg, 
entre  Laiiterbourg  et  H.igenbach  :  le 


VIL 

maréchal  s'en  empare  et  s'en  sert 
pour  masquer  les  mouvements  d'rme 
iloltille  de  bateaux  qu'il  avait  prépa- 
rée. Lorsque  tous  ses  apprêts  sont 
terminés  ,  il  donne  un  grand  bal  aux 
dames  de  Strasbourg.  Au  milieu  mè- 
niedela  fête,  il  prend  à  part  ses  of- 
ficiers-généraux ,  et  leur  ordonne 
d'aller  se  mettre  sur-le-champ 
à  la  tête  des  colonnes  (|u'il  leur  a 
destinées.  Il  quitte  lui-même  le  bal  au 
point  du  jour,  et  se  montre  sur  le 
pont  de  Kehl,  avec  tout  son  état- 
major,  pour  induire  les  Impériaux 
à  penser  que  c'est  de  ce  coté  qu'il 
médite  son  attaque  principale.  Ils  fu- 
rent promptementdétrompés:  la  flot- 
tille française  débarque,  sur  le  front 
même  de  leurs  lignes,  un  corps  qui 
les  emporte  avec  une  audace  incon- 
cevable; pendant  ce  temps,  d'autres 
colonnes  les  tournent  ;  et  bientôt  l'en- 
nemi est  tellement  fiappé  d'épou- 
vante ,  qu'il  se  hâte  de  gagner  le  pied 
des  montagnes  ,  abandonnant  son 
camp  tout  tendu.  Les  Français  y 
trouvèrent  cent  soixante  pièces  de 
canon,  d'immenses  quantités  de  vi- 
vres et  de  munitions,  et  jusqu'à  des 
magasins  d'habillements  (  'i3  mai 
l'jo'j  ).  Le  soir  même,  le  maréchal 
établit  son  quartier-général  à  Ras- 
tadt;  le  lendemain,  il  occupe  Stutt- 
gard,  et  pousse  en  Franconie  et  en 
Souabe  des  partis  qui  mettent  à  con- 
tribution plus  de  cinquante  lieues  de 
pays.  Ainsi  furent  tellement  réparés 
les  désastres  de  la  seconde  bataille 
d'Hochstett,  par  celui  qui  avait  ga- 
gné la  première,  qu'il  exigea  le  paie- 
ment de  tout  ce  qui  était  du  aux  ar- 
mées françaises  avant  celte  malheu- 
reuse journée.  En  se  voyant  de  nou- 
veau au  cœur  de  l'Allemagne,  Vil- 
lars conçut  lui  jirojet  qui  devait  sou- 
rire à  son  imagination  ardente.  Char- 
les XI 1 ,  après  avoir  fait  élire  Stanis- 


VIL 

las  roi  de  Pologne,  était  vciui,  celle 
aiuiec  ijicmc  (  1707  ),  occuper  la 
Saxe  avec  des  forces  redoulaLlcs. 
Villars,  plein  d'espoir  dans  le  carac- 
tère aveiifui'cux.  du  monarque  sué- 
dois ,  s'einjiressa  de  lui  faire  propo- 
ser de  joindre  ses  troupes  à  celles  de 
Lonis  XIV.  Le  point  do  reunion  de- 
vait être  Nuremberg  ;  delà  les  Fran- 
çais et  les  Suédois  réunis  se  portaient 
rapidement  sur  Ratisbonne,  s'em- 
paraient du  cours  du  Danube  ,  et 
marchaient  droit  sur  Vienne.  Se- 
lon toutes  les  probabilités  ,  c'était 
fait  de  l'Autriche,  et  Charles  XII 
aurait  eu  la  gloire  d'achever  ce 
qu'avait  tenlë  Gustave  -  Adolj)he. 
«  Charles,  dit  Villars,  repondit  très- 
»  poliment  a  ma  proposition  ,  m'en- 
))  Yoya  son  portrait  avec  des  com- 
))  pliments  trc.s-gracieux  et  très-llat- 
»  leurs;  mais  il  ne  me  donna  aucune 
»  espérance  de  jonction  ni  de  con- 
»  cert  pour  la  guerre.  J'ai  su  depuis 
»  que  son  principal  ministre  ,  le 
»  comte  Piper,  avait  cte  gagne' par 
»  Marlborougli  (6),etqu'i[  porta  ce 
»  prince  ,  intrépide  et  jaloux  de  la 
»  gloire  d'Alexandre ,  à  entreprcn- 
»  dre  sa  fatale  expédition  de  Rus- 
w  sic.  »  Au  chagrin  de  se  voir  force' 
de  renoncer  à  un  plan  si  séduisant  , 
le  maréchal  en  joignit  un  autre  plus 
réel.  Le  ministre  lui  retira  brusque- 
ment une  partie  de  ses  troupes  ,  pour 
les  envoyer  au  secours  de  la  Proven- 
ce ,  menacée  par  l'ennemi.  Avant 
de  se  mettre  sur  la  défensive,  Vil- 
lars eut  soin  d'épuiser  les  ressources 


(6)  Ce  trait  confirme  ce  qui  a  été  dit  dans  une 
note  de  l'article  de  Marlboroit^h  ,  que  ce  général 
célèhre  ne  négligeait  pas  de  seincr  l'or  pour  prépa- 
rer ses  succès,  ou  pour  prévetiir  des  coups  funes- 
tes. Vollaire,  dans  son  Histoire  de  (Iharles  XII,  ne 
parle  que  très -succinctement  des  Intrigues  de 
Marlliorough  auprès  de  ce  prince.  Seliui  lui ,  ce 
ne  serait  pas  au  comte  Piper  qu'il  se  serait  adressé, 
mais  au  couite  de  Gœrtz  ,  qui  rommeneait  à  jouir 
de  la  conliunee  particulière  du  béros  suédois. 


VIL  537 

des  pays  qu'il  évacuait;  et  ses  agents 
s'acquittèrent  si  bien  de  cette  mission, 
que,  l'année  française  entretenue  et 
soldée  pendant  toute  la  campagne  , 
il  resta  encore  au  maréchal  de  quoi 
engraisser  son  veau.  Ce  sont  les  pro- 
pres termes  dont  il  .se  servit  en  écri- 
vant à  Louis  XIV,  qui  lui  répondit 
obligeamment  qu'il  n'avait  fait  que 
prévenir  ses  intentions.  LTn  courtisan 
s'étant  permis  de  dire  :  «  11  faut 
»  convenir  que  M.  de  Villars  fait 
»  bien  ses  afl'aircs  !  — Oui ,  répliqua  le 
»  roi  ;  mais  i!  faut  convenir  aussi  qu'il 
»  fait  bien  les  miennes.  »  En  eOet ,  si 
le  maréchal  repassa  le  Rhin, par  ordre 
exprès  du  roi ,  et  malgré  les  repré- 
sentations qu'il  lui  avait  adressées  (7), 
ce  ne  fut  qu'après  avoir  fait  respec- 
ter ses  armes  depuis  le  lac  de  Con- 
stance jusqu'à  Mavence  ,  et  depuis 
Francfort  et  Philij)sbourg  jusqu'à 
Nuremberg  ,  dans  une  étendue  de 
plus  de  trois  cents  lieues  de  pays.  II 
semblait  que  le  sort  de  Villars  fût 
de  changer  sans  cesse  de  destination, 
parce  que  le  roi  l'envoyait  partout 
où  il  y  avait  du  danger.  11  le  fit  donc 
passer  de  l'armée  du  Rhin  à  celle  qui 
seras>-emblait  enDauphiné,  pour  te- 
nir tête  au  duc  de  Savoie  qui  mena- 
çait toute  la  frontière  depuis  la  Bresse 
jusqu'à  la  mer.  Le  maréchal  n'avait 
que  seize  mille  hommes  à  lui  oppo- 
ser ;  le  roi  lui  exprima  des  inquié- 
tudes :  «  Sire,  répondit-il,  j'ai  ajipris 
»  du  grand  Condé  que  s'il  est  permis 
»  de  craindre  les  ennemis  quand  ils 
»  sont  loin,  il  faut  les  mépriser  quand 
»  ils  sont  ])rès.  »  Le  duc  de  Savoie 
paraissait  hésiter  sur  son  point  d'at- 


(^'l  Ce  ne  fut  donc  point  l'électeur  d'Hanovre, 
coui!ne  le  prétend  le  président  Hénault,  quiyn/fn 
Villars  à  repasser  le  fleuve.  On  ne  saurait,  en  gé- 
néral, trop  se  tenir  en  garde  contre  les  écrivain.* 
non  militaires  qui  se  mêlent  de  retracer  des  opéra- 
tions de  guerre. 


538 


VIL 


laque:  Villars  prit  le  parti  de  le  prc- 
veuir  ,  et  cette  audace  lui  réussit.  Il 
pénétra  daus  le  Piémont  par  la  val- 
lée de  la  Doire;  mais  la  làclietc  du 
c;ouvcrueur  d'Exilo  ,  qu'il  fit  dégra- 
der par  la  main  du  bourreau  ,  et 
rabondancc  ])recoce  des  neiges  le 
l'orcèrent  à  terminer  ])roniptemont 
cette  campagne  1708).  iMais  déjà 
la  frontière  de  Flandre  était  eu  dan- 
^er  :  l'ennemi  assiégeait  Lille  ;  \i\- 
lars  fut  mande  à  Versailles.  «  Que 
»  fnut-jl  faire?  lui  dit  le  roi. — Donner 
»  bataille  pour  dégager  Lille  ,  rc- 
»  pondit  le  maréchal.  Tiuenne,  uo- 
>)  tre  maîtreàtous,  avait  pour  maxi- 
»  me  qu'il  faut  condjaltre  pour  sau- 
»  ver  les  places  de  première  ligne  , 
»  j)arce  que  plus  tard  un  se  verra 
»  toujours  forcé  de  combattre  pour 
»  celles  de  la  seconde.  »  Mais  la 
plus  déplorable  mcsinlelligrncc  ré- 
gnait parmi  les  généraux  de  l'armcc 
de  Flandre  ,  a  et  Lille  ,  dit  Villars  , 
»  fut  assiégée  et  prise  contre  toutes 
M  les  règles  de  la  guerre.»  L'allreuse 
disette  (pii  suivit  l'Iiiver  de  1709 
réduisit  les  troupes  françaises  à  un 
c'tat  de  détresse  et  de  misère  ,  dont 
les  détails  font  encore  frémir.  Les 
soldats  vendaient  leurs  liabits  et  jus- 
qu'à leurs  armes  pour  avoir  du  pain. 
Louis  XIV  leur  envoya  Villars  com- 
me sa  dernière  ressource.  C'est  dans 
celte  terrible  crise  qu'il  faut  admirer 
la  fermeté  d'ame  et  la  fécondité  d'es- 
prit de  ce  vrai  modèle  du  guerrier 
français.  Il  passait  une  partie  du 
jour  dans  la  chambrée  ou  sous  la 
tente  du  soldat ,  mangeant  du  pain 
d'avoine  avec  lui  et  lui  communi- 
quant par  ses  discours  son  exalta- 
tion chevaleresque  et  son  inépuisable 
gaîté.  Le  moment  d'ouvrir  la  cam- 
pagne étant  arrivé,  il  courut  à  Ver- 
sailles prendre  les  derniers  ordres 
du  roi  :  «  Je  mets  ma  conliaucc  en 


VIL 

»  Dieu  et  en  vous  ,  lui  dit  le  monar- 
»  que,  eu  l'embrassant;  mais  je  ne 
»  puis  rien  vous  ordonner  ,  puisque 
»  je  ne  puis  «rien  vous  donner.  »  M""^. 
de  Maintcnun,  désespérée  ,  lui  offrit 
de  renvover  Chainillard.  «  Le  mal 
»  est  fait  ,  répondit  le  maréchal,  il 
»  peut  rester.  »  \  diars  retourne  aus- 
sitôt à  la  tète  de  ses  troupes  ,  qui  lui 
disaient  gaîmcnt  :  Paiiem  noslrum 
(/iiotidiarmm  da  tiobis  hodiè.  Le 
prince  Eugène  et  Marlborough  s'a- 
vancent avec  une  armée  plus  que 
duublede  la  sienne,  et  assiègent  Tour- 
nai. 11  occupait  nue  ligue  fojlement 
retranchée  depuis  Lens  jusqu'à  La 
lîassée.  C'est  daus  ce  moment  que  le 
maréchal  de  Loulilers  ,  son  ancien, 
eut  la  générosité  de  venir  se  mettre 
sous  ses  ordres  ,  comme  simple  vo- 
lontaire. Tournai  rendu  plus  tôt  que 
ne  l'espérait  Villars,  il  juge  une  gran- 
de bataille  inévitable,  et  il  fait  ses 
dispositions  pour  recevoir  les  alliés 
entre  Aulnois  et  INIalplaqueî,  sur  la 
gauche  de  IJavay  ,  endroit  assez  ou- 
vert pour  donner  à  l'ennemi  l'envie 
de  s'y  enfoncer  ,  mais  assez  bien 
garni  de  bois  sur  les  côtés  ,  ])our 
n'être  pas  accablé  ])ar  le  nombre. 
Jugeant  <|ue  les  principaux  elforts  des 
alliés  seraient  dirigés  contre  sa  gau- 
che, Villars  prend  lui-même  le  com- 
mandementde  cette  aile. Enle  voyant 
paraître,  les  soldats  crient  vive  le 
roi , et  jettent  lepain  qu'on  venait  de 
leur  distribuer.  Le  maréchal  laisse 
les  premières  colonnes  d'infanterie 
anglaise  s'engager  dans  les  bois  de 
Sart  ,  les  charge  à  propos  et  les 
écrase.  11  se  disposait  à  passer  au 
centre,  lorsqu'un  coup  de  fusil  abat 
son  cheval  ;  au  moment  où  il  se  re- 
lîve  ,  un  autre  lui  casse  le  genou.  Il 
.se  Lit  panser  sur  la  place ,  et  porté 
Mir  unbrancaid  il  continue  à  donner 
ses  ordres.  IMais  bientôt  la  douleur 


VIL 

le  fait  évanouir,  et  on  l'emporte  sAns 
connaissance  au  Qucsnoi.  Il  n'y  avait 
pas  plus  d'une  heure  (pic  la  bataille 
était  coramence'e.  Pendant  ce  temps, 
la  droite,  commandée  par  le  maré- 
chal de  Boulllcrs,  ne  repoussait  pas 
avec  moins  de  vigueur  les  attarpics 
rcitc'rc'cs  du  prince  Eup;(ne.  L'infan- 
terie hollandaise  fut  chargée  la  haïoa- 
nctte  au  bout  du  fusil  et  |)rcsque  cn- 
ticrenici.t  dctnutc.  ]\Iais  ,  tandis  que 
les  deux  ailes  étaient  vicloriciiscs ,  le 
centre,  commandé  par  un  olUcier- 
genc'ral  qui  fut  tue  à  la  jircmière  dé- 
charge ,  tomba  dans  le  désordre. 
Marlborough  en  prolila  ,  et  pénétra 
entre  les  deux  ailes.  Il  faillit  payer 
cher  un  succès  aussi  hasardé  :  le  ma- 
réchal de  Boulllcrs  accomut  avec  la 
maison  du  r(ù  ,  et  reprit  tout  le  ter- 
rain perdu.  Si  ,  dans  ce  moment  , 
comme  le  dit  Yillars  lui-même,  Tof- 
licicr-général  qui  était  resté  à  la  droite 
eût  cédé  aux  instances  de  tous  les 
chefs  de  corps ^  qui  le  pressaient  de 
fondre  sur  le  liane  de  la  colonne  en- 
nemie ,  la  bataille  était  gagnée.  Mais 
les  deux  ailes  necommuui(iuant  plus 
ensemble,  il  fallut  se  décider  à  lare- 
traite.  Elle  se  lit  en  bon  ordre  sur  le 
Quesnoi  et  Valenciennes.  Eugène  et 
Marlborough  étaient  hors  d'état  de 
poursuivre  un  avantage  acheté  au 
prix  de  tant  de  sang.  Le  champ  de 
bataille  était  couvert  de  trente-cinq 
mille  hommes  de  leurs  meilleures  trou- 
pes, tant  tués  que  blessés.  Ils  nommè- 
rent eux-mcmes  cette  terrible  journée 
(  II  septembre  1709)  une  bouche- 
rie, dans  les  relations  qu'ils  envoyè- 
rent à  leurs  cours.  Les  Français  n'eu- 
rent pas  à  regretter  plus  de  sept  à 
huit  mille  hommes  ,  et,  ce  qui  est  à 
remarquer,  ils  emportèrent  trois  fois 
plus  de  drapeaux  à  l'ennemi  qu'ils 
n'en  laissèrent  entre  ses  mains.  Yil- 
lars ,  en  apprenant  sur  sou  lit  de  dou- 


VIL  539 

leur  l'issue  de  la  journée  ,  voulait 
que  l'on  reprît  l'ollènsive  dès  le  len- 
demain. Mais  déjà  les  alliés  rétro- 
gradaient pour  aller  faire  le  siège  de 
Mons.  La  blessure  du  maréchal  prit 
un  caractère  alarmant  :  on  parla  de 
lui  amputer  la  cuisse;  il  se  prépara 
à  la  mort.  Les  chirurgiens  ,  voulant 
néanmoins  s'assurer  par  leurs  yeux 
de  l'état  de  la  plaie,  recoururent  au 
cruel  expédient  de  découvrir  et  de 
racler  l'os  de  la  jambe.  Au  bout  de 
quarante  jours,  il  se  fit  transportera 
Paris.  Louis  XIV  lui  témoigna  un 
vif  désir  de  le  recevoir  dans  le  châ- 
teau de  Versailles,  où  il  lui  lit  don- 
ner l'appartement  du  prince  de  Coa- 
ti. Le  roi  l'y  honora  aussitôt  de  sa 
visite,  et  lui  annonça  qu'il  le  nommait 
pair  de  France  ,  après  lui  avoir  ex- 
primé sa  reconnaissance  de  ses  ser- 
vices, et  la  confiance  sans  bornes 
qu'il  ])laçait  dans  ses  lumières  et  son 
zèle.  M""',  de  INlaintenon  venait  tous 
les  jours  passer  une  heure  avec  le 
maréchal ,  et  les  courtisans  les  plus 
envieux  de  sa  gloire  remplissaient 
son  antichambre.  A  peine  guéri ,  et 
ne  ]iouvant  monter  à  cheval  qu'à 
l'aide  d'un  appareil  de  fer  qui  lui 
emboitail  le  genou  ,  Villars  va  re- 
prendre le  commandement  de  son 
armée.  Il  s'attache  à  y  rappeler  cette 
gaîté  qui ,  dit-il ,  «  est  l'amc  de  la 
»  nation  ,  »  et  c'est  sur  ce  ton  qu'il 
écrii  à  Eugène  et  Marlborough  ,  pour 
leur  proposer  de  terminer  cette  lon- 
gue guerre  par  nne  bonne  bataille 
en  plaine.  Les  généraux  français  et 
ceux  des  alliés  se  rencontraient  quel- 
quefois de  si  près  à  leurs  avant- 
postes  sur  la  Scarpe,  qu'ils  s'abor- 
daient et  s'entretenaient  avec  cour- 
toisie. Le  prince  de  HesbC,  qui  régna 
depuis  en  Suède  sous  le  nom  de  Fré- 
déric P"". ,  eut  une  longue  conversa- 
lion  avec  le  maréchal,  et  ne  fit  au- 


54o 


VIL 


cime  difllciilté  de  lui  avouer  que  sans 
la  blessure  qui  l'avait  force  de  quitter 
le  champ  de  bataille  dcMalplaqnet , 
la  victoire  était  à  lui.  Pour  occuper 
les  loisirs  que  lui  laissait  le  peu  d'ac- 
tivité de  cette  campagne   (l'^io), 
Villars,  de  l'aveu  du  roi,  entretenait 
une  correspondance  avec  les  nëp;ocia- 
teurs  français  qui  étaient  à  la  Haye 
ou  à  Gertruvdcnbcrf;.  Outré  de  la 
dureté  et  de  l'insolence  des  alliés  ,  il 
regardait   comme   flétrivsante   toute 
paix  basée  sur  des  conditions  aussi 
rigoureuses.   Mais  ,   au  moment  mê- 
me où  il  exprimait  le  plus  vif  désir 
de    terminer  la   contestation  sur  le 
champ  de  bataille,  sa  blessure  rou- 
verte par  les  fatigues  devint  si  dou- 
loureuse et  si  alarmante  ,  qu'il  se  vit 
contraint  de  supplier  le  roi  de  lui 
donner  im  successeur  ,  et   il  désigna 
le  maréchal  de  Berwick  comme  le 
plus  capable.   Mais  il  vit  arriver  le 
maréchal  d'Ilarcourt  :  il  lui  remit  le 
commandement,  et  partit  pour  les 
eaux  de   Buurbonne  qui   lui   furent 
très  -  salutaires.    Au   printemps    de 
171 1  ,  il  était  de  nouveau  à  la  tète 
de  son  armée  ,  séparée  de  celle  des 
alliés  par  la  petite  rivière  de  la  Cen- 
sée. Villars  profita  de  cette  proximité 
pour    faire  voir  fréquemment    aux 
troupes  anglaises  le  prétendant ,  fils 
de  Jacques  II ,  qui  servait  dans  l'ar- 
mée française  sous  le  nom  de  cheva- 
lier de  Saint-Georges  (  V.  Stuart  , 
XLIV,  90).  Leduc  de  Marlborough 
envoya  plusieurs  fois  assurer  ce  jeune 
prince  de  sou  dévouement,  en  le  priant 
toutefois  d'être  extrêmement  circons- 
pect ,   en  attendant  le  jour   où  ses 
partisans    pourraient   agir  ouverte- 
ment.   Villars   sollicitait   toujours  , 
sans  l'obtenir,  la  permission  de  don- 
ner une  grande  bataille  ,  pour  sauver 
Arras  ,  menac("  par  l'ennemi.    Il  se 
contenta    de   reprendre    le   château 


VIL 

d'Arleux,  et  d'enlever  un  camp  au- 
trichien   sous  le   canon   de   Douai  , 
qui  s'était  rendu  l'année  précédente. 
Le  roi ,  selon  sou  usage ,  manda  Vil- 
lars après  la  campagne.  Il  se  plut  à 
lui  témoigner  hautement  sa  satisfac- 
tion ,  en  présence  des  clahaudcurs  , 
car  c  est  ainsi  que  le  monarque  lui- 
même  désigna  les   envieux  qui  s'a- 
charnaient à  décrier  toiiles  les  ac- 
tions du  plus'xélé  de  ses  serviteurs. 
Il   l'honora  de   plusieurs   entretiens 
particuliers,  dout  Villars  nous  a  con- 
servé des  extraits  fidèles,  et  où  se 
peint   parfaitement  la  grande    ame 
d'un   prince   éprouvé  par  les    plus 
cruelles  adversités.  Une   mort  sou- 
daine moissonna    toute  sa   famille, 
pendant  que  l'ennemi  renversait  l'une 
après  l'autre  toutes  les  barrières  qui 
défendaient    le   cœur    du   royaume. 
Villars  fut  admis  auprès  de  lui  dans 
ce  moment  même  :  «  Des  larmes  ,  dit 
»  le  maréchal,  s'échappaient  de  ses 
»  yeux  ;  mais  je  ne  lui  parlais  jamais 
»  de  ses  malheurs  domestiques  qu'il 
»  ne  m'interrompît ,  pour  me  dire  : 
»  Oublions  mes  peines,   et  ne   son- 
»  geons  qu'à  sauver  la  France  I  »  Ce 
fut  aus^^i  lorsque   le  maréchal  prit 
congé   du  roi   pour  aller  tenter  un 
dernier  elTort,   que  ce  grand   prin- 
ce lui  dit  ces  paroles  célèbres  :  «  Si 
»  mon   armée  est  vaincue,  retirez- 
»  vous  derrière  la  Somme  j  cette  ri- 
»  vièrc  est   très-diflicile  à  passer  • 
»  j'irai  vous  rejoindre,  et  là   nous 
»  sauverons  l'État,  ou  nous  périrons 
»  ensemble.  »  A  peine  rendu  à  la  tê- 
te de  ses  troupes  ,  Villars   apprend 
que   le   gouverneur    du    Quesuoi   a 
capitulé  honteusement ,  et  que  déjà 
le  prince  Eugène  a  investi  Landrc- 
cies.  De  tous  les  moyens  de  sauver 
cette  place  ,  dont  la  prise  ouvrait  à 
l'ennemi  l'entrée  de  la  Picardie  et  de 
la  Champagne,  le  maréchal  donna 


VIL 

la  prefc'rcnce  à  l'attaque  du  camp 
retr.inclic  de  Deiiain  sur  l'Escaut, 
positiun  formidable  qui  assurait  aux. 
allies  leurs  communications  avec 
Marcliienncs  ,  d'où  ils  tiraient  les 
provisions  de  guerre  et  de  bouche 
nécessaires  à  la  continuation  du  sie'- 
ge.  Mais  le  succès  d'un  coup  de  main 
aussi  hardi  dépendait  du  plus  pro- 
iond  secret  :  il  fallait  tromper  le 
prince  Engine  ,  et,  comme  le  dit  Vil- 
lars  ,  lrom])er  l'armée  française  elle- 
même.  Il  la  met  donc  en  mouvement 
sur  sa  droite  ;  tous  ses  ollJciers-gené- 
raux  croient  qu'il  veut  forcer  les  li- 
gnes de  Landrecies;  mais  tout-à-coup 
il  fait  oblique  à  gauche,  jette  des 
ponts  sur  l'Kscaul,  et  le  passe.  Des 
marais  inondés  étaient  au-delà  ;  l'in- 
fanterie les  traverse  ayant  de  l'eau 
juscpi'à  la  ceinture,  et  l'on  arrive 
enlin  à  ces  fameuses  lignes  que,  dans 
l'orgueil  produit  par  de  longs  triom- 
phes, les  alliés  appelaient  le  i^rand 
chemin  de  Paris.  C'était  une  suite 
non  interrompue  de  retranchements 
et  de  redoutes  parallèles  ,  qui  s'éten- 
dait dans  lui  espace  de  plus  de  tiois 
lieues,  et  toujours  en  s'éiargissaut , 
depuis  IMarchiennes  jusqu'à  Denain. 
Tous  les  convois  de  l'ennemi  pas- 
saient à  couvert  entre  ces  deux  licnes. 
et  le  tout  formait  un  ensemble  colos- 
sal ,  dont  on  trouverait  dillicilemeut 
un  autre  exemple  dans  l'histoire  des 
guerres  modernes.  Les  redoutes  sont 
emportées  avec  une  telle  rapidité, 
que  bientôt  l'infanterie  française  se 
range  en  bataille  sur  le  terrain  com- 
pris entre  les  deux  lignes  Villars  s'é- 
tuunait  de  ne  pas  voir  arriver  l'en- 
nemi ,  lorsqu'il  aperçut  ses  colonnes 
qui  se  portaient  en  toute  hâte  vers 
Denain,  où  venaient  de  se  concen- 
trer vingt  bataillons  expulsés  des  li- 
gnes. Ce  poste  était  couvert  pareille- 
ment de  retranchements  palissades  : 


VIL 


541 


il  en  résultait  que  la  position  des 
Français  était  vraiment  singulière. 
Ils  se  trouvaient,  en  quelque  sorte, 
entre  deux  feux ,  resserrés  sur  leur 
gauche  par  Marcliiennes ,  et  sur  leur 
droite  par  Denain.  C'est  de  la  pos- 
session de  ce  dernier  point  que  doit 
dépendre  le  sort  de  la  journée  :  le 
maréchal  marche  donc,  sans  j)erdre 
ini  instant,  aux  retranchements  de 
Denain.  Il  les  trouve  couverts  d'un 
fossé;  mais  rien  n'arrête  l'impétuo- 
sité de  ses  grenadiers.  Tout  ce  qui 
ne  tombe  pas  sous  leurs  coups  est 
forcé  de  mettre  bas  les  armes;  Vil- 
lars voit  aux  pieds  de  son  cheval  le  duc 
d'Albermale  ,  (ils  du  célèbre  IMonk, 
qui  commandait  le  cam[)  de  De- 
nain ,  et  avec  lui  plusieuis  princes  de 
l'empire  et  des  généraux  allemands. 
Le  maréchal  ordonne  au  comte  de 
Hroglie  de  se  porter  rapidement  sur 
IMarchiennes,  pendant  (ju'il  va  lui- 
même  au-devant  du  prince  Engine  , 
qui  arrive  sur  l'Esciut.  Eugène  veut 
profiter  d'un  pont  qui  n'a  pas  été 
rompu  ;  il  ordonne  attaque  sur  atta- 
que ;  Villars  les  repousse  toutes  ;  le 
prince  se  retire  désespéré,  après 
avoir  fait  hacher  en  pure  perte  l'élite 
de  ses  troupes  (8).  Telle  fut,  en 
abrégé,  cette  journée  de  Denain,  si 
justement  fameuse  ^u4  juillet  j-iu) 
(9).  «  Si  le  maréchal  de  Villars  , 
»  dit  Voltaire  ,  avait  joui  de  cette  fa- 
»  veur  populaire  qu'ont  eue  quelques 


(8)  Plusieurs  ccrivains  oui  rapporté  que  ,  dau.s 
sa  rage  de  voir  les  i'rauçais  si  cumpletemeut  vic- 
torieux, Lugène  mordait  ses  gants  et  se  répandait 
en  imprécations. 

(ql  Louis  XVI,  en  1781,  fit  ériger  sur  la  roule 
de  Paris  à  Valeucicnues,  à  l'endroit  où  aboutit  le 
chemin  de  Denain,  une  pyramide  de  trente  pieds  , 
sur  laquelle  on  grava  ces  vers  de  la  Henriade  : 

Kcg^rdez  dans  Denaiu  Taudacieux  Villars  , 
Disputant  le  tonnerre  à  l'aigle  des  Césars. 

On  observa  ,  dans  le  temps  ,  qu'il  eût  été  plus  juste 
de  dire  ;  Arrachant  le  tonnerre.  Les  révolution- 
uaires  abattirent  ce  monument  si  glorieux  pour  la 
France  :  il  a  été  relevé  depuis  la  restauration. 


54^ 


VIL 


»  autres  généraux ,  on  rcùt  procla- 
»  me  à  baille  voix  le  saui'ciir  de  la 
»)  France;  mais  on  avouait  ta  peine 
»  les  obligations  qu'on  lui  avait,  et 
»  dans  la  joie  publique  d'un  succès 
»  inespéré  ,  l'envie  prédominait  en- 
»  core.  »  Villars  ne  repondit  à  ses 
envieux  que  par  de  nouveaux  triom- 
phes :  jamais  gc'ne'ral  ne  prolita  plus 
complètement  d'une  grande  victoire. 
Les  allies  avalent  fortilic  IMarclnen- 
nesavec  soin,  comme  leur  principale 
place  d'armes.  Villars  remporte  en 
quatre  jours;  tous  les  magasins,  tou- 
te l'artillerie  de  réserve  du  piince 
Eugène  tombent  entre  ses  mains. 
Il  s'empare  avec  la  même  rapidité 
de  Douai ,  du  fort  de  Scarpe ,  du 
Quesnoi,  de  Boucliain  et  de  St.- 
Amand  ;  il  fait  mettre  bas  les  armes 
à  plus  de  cinquante  bataillons  :  trente 
généraux  sont  >cs  prisonniers.  Tant 
de  travaux  glorieux  s'accomplirent 
en  soixante-cinq  jours.  Engine  ,  qui 
avait  levé  précipitamment  le  siège  de 
I>andrecies ,  après  avoir  fait  quelques 
démonstrations  impuissantes  pour 
sauver  ses  conquêtes ,  avait  abandon- 
né le  terrain  à  son  vainqueur ,  et  s'é- 
tait retiré  jusque  sous  les  murs  de 
Bruxelles.  Villars  ,  n'ayant  plus  d'en- 
nemis à  combattre,  se  rendit  à  Ver- 
sailles. Sa  réception  y  fut  singulière. 
Louis  XIV  ,  dont  le  dépérissement 
était  sensible,  avait  eu  plusieurs  éva- 
nouissements dans  la  journée;  à  pei- 
ne eut-il  l'air  de  reconnaître  le  ma- 
réchal. Les  courtisans  jouissaient  de 
cette  indillerencc  apparente;  mais  la 
scène  changea  totalement  le  lende- 
main. Le  roi  embrassa  le  triom]dia- 
teur  devant  toute  la  cour ,  en  lui  ré- 
pétant plusieurs  fois  :  «  M.  le  maré- 
»  chai ,  vous  nous  avez  sauvés  tous.» 
H'tn^  nomination  au  gouvernement  de 
Provence  lui  fut  annoncée  par  une  let- 
tre plus  flatteuse  encore  que  cette  fa- 


VIL 

veur.L'Angleterrectla  Hollande  firent 
leur  paix  séparée,  pciulant  l'hiver. 
L'Autriche  seule  ne  voulut  pas  signer 
le  ti-aité  d'Utrecht  (i-j  i3).  Confus  et 
irrité  de  ses  dernières  défaites,  le 
priiiccEugène  abusa  de  sou  iniluence 
sur  l'empereur  Joseph  1er.,  pour  le 
décider  à  continuer  seul  la  guerre 
contre  Louis  XIV.  Villars,  croyant 
qu'il  lui  serait  permis  désormais  de 
goûter  le  repos  ,  s'était  déjà  déf  lit  de 
ses  écpiipages  de  campagne.  Le  roi 
lui  annonce  toiit-à-coup  qu'il  a  enco- 
re besoin  de  ses  services.  Le  maré- 
chal se  rend  aussitôt  à  Strasbourg  , 
])asse  le  llhin  ,  le  repasse,  la  nuit  sui- 
vante, à  Lauterbourg ,  se  met  à  la  tê- 
te de  son  infanterie,  et  malgré  son 
âge  de  soixante  ans,  fait  seize  lieues 
à  pied,  en  vingt  heures  ,  pour  donner 
l'exemple.  11  entre  si  brusquement  à 
S])ire,  que 'les  magistrats  le  prirent 
d'abord  pour  le  prince  Eugène.  Lan- 
dau est  investi.  Le  prince  de  Wur- 
tendjcrg  defeiulait  cette  place  avec 
douze  mille  hommes  d'élite.  Villars, 
qui  se  plaisait  singulièrement  à  diri- 
ger les  sièges  en  personne  ,  refuse 
toute  capitulation ,  et  force  les  Impé- 
riaux de  se  rendre  à  discrétion.  Eu- 
gène n'avait  osé  rien  entre[)rendre 
pour  secourir  Landau;  le  maréchal 
ne  le  retrouva  devant  lui  que  lors- 
qu'il mano'uvra  pour  former  l'inves- 
tissement de  Friboiirg.  Il  le  délogea 
de  plusieurs  positions  très  -  fortes  , 
dans  les  gorges  des  montagnes.  Celle 
de  Roscoir,  par  son  escarpement  pa- 
lissade et  sa  liaison  avec  le  fort  Saint- 
Pierre,  présentait  des  obstacles  pres- 
que insurmontables.  Un  lieutenant- 
général ,  chargé  de  l'attaque,  de- 
mande des  pioches,  des  gabions ,  des 
fascines.  «  Rien  de  tout  cela  ,  répond 
»  \  illars,  des  hommes I  »  Son  che- 
val ne  ])ouvant  gravir  le  rocher  ,  il 
met  pied  à  terre,  grimpe,  soutenu 


vu- 

par  Jeux  grenadiers  et  suivi  du  duc 
de  liourbon  et  du  prince  de  Couti. 
•La  position  est  enlevée,  et  la  tran- 
cliée  ouverte  devant  Fribourg  ,  dont 
la  garnison  n'était  pas  moindre  de 
dix. -neuf  bataillons.  L'extrême  im- 
portance de  la  place  détermina  enlin 
le  prince  Kugène  à  faire  une  démons- 
tration pour  la  délivrer.  Villars  n'en 
devient  que  plus  ardent  :  il  attaque 
en  personne  le  chemin  couvert,  et  re- 
çoit dans  la  hanche  un  coup  de  pier- 
re si  violent ,  que  ses  habits  en  furent 
perces.  Le  jeune  duc  de  Richelieu  , 
son  aide-de-canip,  y  fut  blesse  d'une 
balle,  à  ses  côtes.  Le  prince  l'-ugine 
vit  ce  terrible  combat  des  hauteurs 
deHohlgraf.  11  y  resta  un  jour  en- 
tier, et  disparut  le  lendemain.  La 
ville  ne  pouvant  plus  tenir  ,  le  gou- 
verneur se  réfugia  dans  le  ch.àteau, 
en  abandonnant  cinq  mille  blesses. 
Le  maréchal  lui  d!eclara  que  c'était  à 
lui  à  les  nourrir.  Le  gouverneur  ré- 
pondit que  le  maréchal  ne  pouvait 
refuser  du  pain  ta  des  chrclions  tom- 
bes en  son  pouvoir,  u  Mais  ,  répliqua 
;)  Villars ,  les  Français  sont  aussi  des 
»  chrétiens  •  et  vous  trouverez  bon 
»  que  je  nourrisse  les  soldats  de  mon 
»  souverain  de  préférence  à  ceux  du 
»  vôtre.  »  L'Autrichien  fut  donc  for- 
cé d'envoyer,  chaque  jour,  du  châ- 
teau les  subsistances  nécessaires  à  ces 
cinq  mille  hommes.  11  demanda  la 
libre  sortie  pour  les  femmes  des  oili- 
ciers ,  qui  étaient  en  assez  grand  nom- 
bre. Villars  s'y  refusa.  Il  apprit  que 
les  dames  de  la  cour  blâmaient  sa 
fermeté  :  «  Je  ne  suis  plus  d'âge  à 
»  leur  plaire,  répondit-il  ;  mais  si  le 
»  roi  est  content  de  moi,  cela  me 
»  suffit.  »  Le  gouverneur  obtint  bien- 
tôt du  prince  Eugène  la  permission 
de  se  rendre  (  i6  novembre  i-j  i3  ). 
Cette  importante  conquête  termina  la 
campagne.  Eugène  lit  aussitôt  pro- 


VI L  543 

poser  h  Villars  de  se  rendre  à  Ras- 
tadt,  pour  y  traiter  de  la  paix.  Les 
deux  héros  se  comblèrent  récipro- 
((uement  de  témoignages  d'estime  et 
d'amitié.  «  Néanmoins,  dit  Villars  , 
»  pour  ne  pas  perdre  l'habitude  de 
»  batailler,  nous  jouions  au  piquet 
»  tous  les  soirs.  »  Les  plus  grands 
intérêts  étaient  réglés,  lorsque  l'obs- 
tination du  roi  d'Espagne  à  deman- 
der une  principauté  en  Flandre  j)our 
la  princesse  des  Ursins  faillit  faire 
échouer  les  négociations.  Filles  se  pro- 
longèrent pendant  plus  de  trois  mois. 
Les  préliminaires  de  la  paix  furent 
enfin  signés  le  7  mars  17  i4;  et  les 
deux  négociateurs  se  séparèrent  , 
après  s'être  donné  de  nouvelles  as- 
surances d'un  attachement  sincère 
(  I  o).Deux  particularités  très-remar- 
quabîcs  de  cette  époque  ne  doivent 
pas  être  omises.  Pendant  et  après  les 
négociations  de  Rastadt,  Villars  sol- 
licita, par  l'entremise  de  IM'"*^".  de 
Maintenon  ,  l'épée  de  connétable  , 
«  afin  ,  disait-  il ,  de  n'avoir  pas  l'af- 
»  froîit  d'i  tre  précédé  par  le  maré- 
»  chai  de  ^  illeroi  (11).  »  Un  fait 
beaucoup  plus  important  est  que  Vil- 
lars avait  stipulé  des  articles  secrets, 
qui  tendaient  à  exclure  du  trône  de 
France  le  duc  d'Orléans ,  et  à  con- 
server les  droits  de  Philippe  V  et  de 
la  branche  d'iispagne.  Lorsque  le  ré- 
gent fut  investi  du  pouvoir,  le  maré- 
chal se  trouva  fort  heureux  de  pou- 
voir lui  prouver  ,  par  des  pièces  au- 
thentiques, qu'il  n'avait  agi  que  d'a- 
près les  mstructious  précises  de  Louis 


(10)  On  frappa  à  iViircmhprei  une  racdaille  por- 
tant les  efligics  de  Villars  et  d'Eugène  en  regard, 
avec  celte  légende  :  Olin,  duo  fulmina  bclU  ,  et, 
sur  le  revers,  JSutic  imlrunienta  tjuietis. 

(11)  Lemontey,  qui  a  rapporté  cette  anecdote 
dans  sa  Monarchie  de  T.ouii  XIV,  ne  parle  que 
d'une  lettre  de  Villars  i  M™";,  de  Maintenon  ,  du 
i4  septembre  1714-  n  parait  avuir  ignnre  qu'il  y 
avait  déj.'i  eu  une  lettre  sur  ce  sujit ,  le  12  ûecftu- 
lire  précèdent. 


544 


VIL 


XIV  (  1 2).  De  retour  à  Versailles,  le 
maréchal  reiiouv'ela  de  vive  voix  ses 
instances  auprès  du  roi  ,  tant  pour 
l'épée  de  counétab'e  que  pour  ses  en- 
trées au  conseil.  Le  monarque  adou- 
cit ses  refus  constants  par  la  grâce 
qui  accompagnait  tous  ses  discours. 
Il  chassait  un  jour,  et,  contre  sa 
coutume,  il  avait  manqué  plusieurs 
coups.  Le  maréchal  survient  ;  et  aus- 
sitôt le  roi ,  en  sa  présence  ,  abat  suc- 
cessivement quatre  pièces  de  gibier  : 
«  Partout  où  vous  êtes,  dit- il  en  se 
»  tournant  vers  Viilars  ,  mes  armes 
»  sont  heureuses.  »  Il  lui  remit  la 
Toison-d'Or  ,  de  la  part  du  roi  d'Es- 
pagne j  et  ce  fut  au  même  instant  que 
le  maréchal  reçut  nue  distinction  à 
laquelle  il  était  loin  de  s'attendre. 
L'académie  française  le  pria  d'ic- 
ccpterun  de  ses  fauteuils.  11  se  mon- 
tra fort  sensible  à  cette  prévenance  , 
et  se  mit  aussitôt  à  composer  son 
discours  de  réception.  Il  demanda 
au  roi  la  permission  d'y  ini-érer  ce 
que  ce  prince  lui  avait  dit,  avant  la 
bataille  de  Dcnain  ,  sur  sa  résolution 
de  périr  à  la  tète  de  son  armée,  plu- 
tôt que  de  livrer  sa  capitale  à  l'en- 
nemi. La  réponse  de  Louis  XIV  fut 
dictée  par  le  sens  exquis  qu'il  mettait 
dans  toutes  ses  paroles  :  «  On  ne  croi- 
»  ra  jamais,  M.  le  maréchal,  lui  dit- 
»  il,  que  vous  parliez  sans  mon  aveu 
»  de  ce  qui  s'est  passé  entre  vous  et 
»  moi.  Vous  le  permettre  et  vous 
1)  l'ordonner  serait  donc  une  même 
»  chose;  et  je  ne  veux  pas  que  l'on 
»  puisse  penser  l'un  ou  l'autre.  » 
Le  discours  du  maréchal  fut  fort 
goûté  et  devait  l'être.  11  se  borna  à 
faire ,  en  quelques  phrases  ,  l'éloge 
de  Louis  XIV  et  celui  de  la  valeur 
française.  Le  chancelier  de  l'acadé- 


(t9.^     Voyez    J^it     du    duc    d'Orléans    régent 
toui.  i^f. ,  p.  117. 


VIL 

mie  lui  dit  qu'il  regrettait  de  ne  pas 
être  un  Cicéron  pour  répondre  à  un 
César.  Le  maréchal  s'était  mis  eu 
route  pour  se  rendre  dans  son  gou- 
vernement de  Provence  ,  lorsqu'il 
apprit  que  l'état  de  santé  du  roi 
donnait  des  inquiéturles.  11  aimait 
sincciomcnt  Louis  XIV  ,  parce  que 
ce  prince ,  comme  il  le  répéta  sou- 
vent ,  était  dans  son  intérieur  le 
meilleur  et  le  plus  généreux  des  maî- 
tres. Il  revint  précipitamment  à  la 
cour  ;  il  y  fut  témoin  des  derniers 
moments  de  ce  monarque  qui  ne  fut 
jamais  j)lus  grand  que  lorsqu'il  fal- 
lut renoncer  à  toutes  les  grandeurs 
de  ce  monde.  Villai-s  honora  sa  mé- 
moire par  de  sincères  regrets  ;  et 
quoique  le  duc  d'Orléans  le  nommât 
membre  du  conseil  de  régence  ,  il  se 
prononça  dans  les  scance.>  du  parle- 
ment contre  toutes  les  innovations 
contraires  aux  intentions  du  feu  roi. 
Ce  fut  à  cette  époque  qu'il  exécuta 
le  projet  qu'il  avait  formé  de  visiter, 
dans  le  plus  grand  détail ,  son  gou- 
vernement de  Provence.  Il  s'arrêta 
dans  cliaque  ville  assez,  long-temj)s 
pour  connaître  ses  besoins  ;  il  suivit 
avec  attention  le  cours  du  Rhône  ,  et 
fît  consentir  les  états  à  la  construction 
d'un  canal  plus  favorable  à  la  naviga- 
tion ,  qui  reçut  le  nom  de  canal  de 
Fillars  (i3).  Il  vit  le  prétendant  à 
Avignon,  où  ce  malheureux  prince 
menait  une  vie  très-inquiète ,  depuis 
qu'il  connaissait  les  liaisons  secrètes 
du  régent  avec  le  roi  George.  Le  prin- 
ce répéta  au  maréchal  qu'il  était  très- 
certain  que  la  reine  Anne  ,  sa  sœur  , 
avait  sincèrement  désiré  de  le  réta- 
blir dans  ses  droits.  Revenu  à  Paris  , 


(i3")  Ce  fut  dans  celtetoiirnéc  que  les  étals  île  la 
province  lui  ayaut  oflcrt  le  présent  d'usage  en  pa- 
reil cas  ,  qui  etaiL  une  somme  d'argent  eonsid  râ- 
ble ,  on  lui  fit  considérer  que  le  dur  de  Vendôme, 
son  prédécesseur,  l'avait  refusé  :  -i  Oh  !  dit-il,  Mon- 
sieur de  V^>udùme  était  inimitable.  « 


VIL 

Villars  combattit  hardiment  ,  mais 
sans  succès  ,  le  nouveau  système  po- 
litique dont  l'abbé  Dubois  était  l'au- 
teur principal  •  système  connu  sous 
le  nom  de  la  quadruple  alliance  , 
qui  liait  étroitement  la  France  à 
r Angleterre,  et  l'armait  contre  les 
Bourbons  d'Espagne  ,  que,  pour  sur- 
croît d'outrage  ,  on  voulait  forcer  à 
y  accéder.  La  cour  du  régent  était 
un  foyer  d'intrigues  j  le  maréchal  ne 
tarda  pas  à  découvrir  qu'il  y  en 
avait  une  dirigée  conti-e  lui-même. 
L'abbé  Dubois  avait  osé  donner  le 
conseil  de  l'arrêter ,  pour  se  débarras- 
ser d'un  adversaire  qui  ne  savait  pas 
plier.  C'est  ainsi,  par  exemple  ,  que 
le  maréchal  s'opposa  énergiquement 
aux  désastreuses  opérations  de  l'E- 
cossais Law.  Dubois  aurait  bien  dé- 
siré le  faire  comprendre  parmi  les 
grands  personnages  impliqués  dans 
la  conjuration  du  cardinal  Alberonij 
mais  le  maréchal  ,  fort  de  son  inno- 
cence, intercéda  ouvertement  auprès 
du  régent  en  faveur  de  plusieurs  de 
ses  amis  ,  entre  autres  du  jeune 
duc  de  Richelieu  qu'il  retira  de  la 
Bastille.  Il  eut  la  prudence  de  résis- 
ter aux  sollicitations  des  divers  par- 
tis qui  cherchaient  à  s'appuyer  de 
son  nom,  et  il  montra  presque  autant 
de  dévouement  à  la  personne  du  ré- 
gent ,  qu'il  en  avait  toujours  témoi- 
gné à  Louis  XIV.  Par  cette  conduite 
adroite  il  força  le  cardinal  Dubois, 
quiil  avait  bravé  en  plusieurs  occa- 
sions ,  à  lui  faire  des  avances  aux- 
quelles il  ne  répondit  qu'avec  une 
grande  réserve.  Sa  franchise  mili- 
taire plaisait  au  jeune  roi  qui  lui 
demandait  souvent  le  récit  de  ses 
actions  les  plus  mémorables.  Villars 
profita  de  cette  bienveillance  natu- 
relle pourrenouveler  le  projet  favori 
de  son  ambition.  Comme  il  se  trou- 
vait, au  sacre  de  Louis  XV  (172a), 

XLVUl. 


VIL 


5A5 


le  plus  ancien  des  maréchaux  de  Fran- 
ce ,  les  fonctions  de  connétable  lui 
furent  dévolues.  Il  saisit  la  circons- 
tance pour  exposer  au  jeune  monar- 
que son  vif  désir  de  prolonger  ce 
rôle  glorieux  au-delà  de  la  cérémo- 
nie. Sa  demande  fut  favorablement 
accueillie  :  le  roi  ,  en  lui  adressant 
la  parole ,  l'appela  plusieurs  fois  M. 
le  Connétable;  mais  Dubois,  qui 
craignait  que  cette  haute  dignité  ne 
lui  donnât  un  rival  trop  puissant  , 
s'empressa  de  représenter  à  Louis  XV 
que  son  bisaïeul  avait  juré  de  ne  ja- 
mais la  rétablir.  C'en  fut  assez  pour 
qu'on  n'en  parlât  plus.  Le  régen!: 
chercha  à  consoler  le  maréchal  en  le 
nommant  président  d'une  commis- 
sion chargée  d'examiner  les  comptes 
du  département  de  la  guerre  ,  où  il 
s'était  commis  de  grandes  mal- 
versations. Villars  n'ignorait  pas 
que  ses  envieux  l'accusaient  d'y 
avoir  pris  part  :  aussi  affecta-t-il  de 
répéter  :  «  Pour  moi ,  je  ne  me  suis 
»  enrichi  qu'aux  dépens  des  eiine- 
»  mis  du  roi.  »  C'est  vers  le  même 
temps  qu'il  fut  nommé  par  Philippe 
V  grand  d'Espagne  de  première 
classe ,  et  qu'il  vit  son  crédit  s'aug- 
menter par  la  mort  du  cardinal  Du- 
bois. Le  régent ,  qui  s'était  déclaré 
premier  ministre,  le  consultait  sur 
tout  ce  qui  concernait  les  départe- 
ments de  la  guerre  et  des  affaires 
étrangères.  Le  duc  de  Bourbon ,  qui 
succéda  au  duc  d'Orléans ,  ne  mon- 
tra pas  moins  de  confiance  et  d'af- 
fection à  Villars.  Un  seul  homme 
s'opposa  à  son  admission  au  conseil 
qui  fut  formé  k  cette  époque  ,  et  cet 
homme  était  l'abbé  de  Fleury ,  évc- 
que  de  Fréjus,  qu'il  regardait  com- 
me son  ami.  Ce  prélat,* qui  n'avait 
encore  d'autre  titre  que  celui  de  pré- 
cepteur du  roi ,  osa  ,  malgré  sa  mo- 
destie et  sa  modération  apparentes  , 
35 


546 


VIT. 


déclarer  en  face  à  un  héros  qui  avait 
sauve  la  France  qu'il  était  dctenni- 
iiëàne  point  lui  coder  le  pas.  Yillars 
se  contenta  de  repondre  qu'il  n'avait 
jamais  tireTcpee  contre  les  gens  d'é- 
glise. Le  mariap,e  du  roi  accrut  l'im- 
portance du  raare'clial  à  la  cour:  Sta- 
nislas avait  recommande  à  sa  (ille 
d'avoir  non-seulement  les  plus  grands 
égards  pour  le  vieux  guerrier ,  mais 
même  de  prendre  son  avis  sur  toutes 
choses  :  elle  en  reçut  toujours  d'ex- 
cellents conseils.  Le  roi  de  Pologne 
vint  à  Versailles,  et  lui  donna  des 
marques  de  la  plus  haute  considéra- 
tion personnelle.  11  lui  exprima  plu- 
sieurs fois  son  vif  regret  de  ce  que 
Charles  XII,  en  1707,  n'avait  pas 
su  apprécier  la  proposition  que  lui 
fai-sait  le  maréchal  de  marcher  sur 
Vienne,  à  la  tète  des  Français  et  des 
Suédois  réunis.  Mais  la  reine  perdit 
bientôt  toute  iniluence  sur  l'esprit  de 
son  jeune  époux  ,  dont  le  cardinal  de 
Fleiuy  s'était  exclusivement  empa- 
ré. Yillars  ressentit  le  contre-coup 
de  ce  changement  :  il  prolita  d'un 
instant  que  le  hasard  lui  oll'rit,  poiu- 
exprimer  au  roi  la  profonde  douleur 
qu'il  éprouvait  en  le  voyant  aussi 
froid  à  son  égard.  Déjà  formé  à  la 
dissimulation,  ce  prince  lui  répon- 
dit qu'il  l'aimait  toujours,  mais  il 
prononça  ces  mots  furlivcrai-nt ,  et 
comme  s'il  eût  craint  d'ètic  en- 
tendu. Dans  les  séances  du  conseil , 
le  maréchal  soutenait  quelquefois 
son  opinion  avec  une  telle  véhémen- 
ce ,  qu'il  crut,  un  jour,  devoir  dire 
au  roi  :  «  Sire,  je  vois  que  je  me 
»  fais  des  ennemis  par  ma  chaleur  à 
»  défendre  vos  intérêts  ,  sans  être 
»  sûr  que  Votre  Majesté  daigne  m'en 
»  savoir  ((iielque gré.  »  Le  roi  le  ras- 
sura par  des  paroles  flatteuses;  mais 
le  cardinal  supportait  impatiem- 
ment un    conseiller  qui    ne    savait 


VIL 

rien  dissimuler.  Villars  ,  de  son 
côté,  souillant  de  voir  le  premier 
ministre  d'un  roi  de  France  dé- 
vorer les  allronts  que  lui  faisaient 
continuellement  les  ambassadeurs  des 
grandes  puissances ,  prit  sur  lui  de 
leur  dire  un  jour  dans  un  repas  où  il 
les  avait  rassemblés  à  dessein  :  «  Vous 
»  devez  penser,  Messieurs  ,  quç  M.  le 
»  cardinal  de  Fleury  ,  dirigé  par  sa 
»  haute  piété  ,  ne  donne  jamais  au 
5)  roi  que  des  conseils  paciliques. 
»  IMais  vous  devez  croire  aussi  €[ue 
»  8.  M.  saurait  ,  dans  l'occasion  , 
»  faire  respecter  son  nom  et  l'hon- 
»  neur  de  la  France.  J'ai  vu  le  feu 
»  roi  entretenir  cinq  cent  mille  hom- 
1)  mes  ,  et,  de  plus ,  une  marine  for- 
»  midable.  J'ai  porté  trois  fois  les 
»  étendards  français  au-delà  du  Da- 
»  nube  j  et ,  sous  moi ,  ou  sous  d'au- 
»  très  ,  ils  y  retourneraient  encore  , 
»  si  quelque  puissance  forçait  notre 
»  jeune  monarque  à  prendre  les  ar- 
»  mes.  »  Ces  paroles  n'étaient  pas 
une  vaine  bravade  :  l'Autriche  mé- 
ditait évidemment  de  s'emparer  de 
tout  ce  qui  avait  appartenu  à  l'Es- 
pagne en  Italie  ;  et ,  pour  rompre 
ce  dessein  ,  la  France  venait  de  con- 
clure un  traité  qui  assurait  le  Mila- 
nais au  roi  de  Sardaignc.  Le  mare'- 
chal  avait  conçu  un  plan  très-vaste: 
il  voulait  ,  d'abord,  que  l'on  occu- 
pât l'empereur  en  Pologne,  en  y  op- 
posant le  roi  Stanislas  à  l'électeur  de 
Saxe  ,  son  protégé.  Le  comte  Mau- 
rice de  Saxe ,  depuis  si  célèbre  ,  eut, 
à  cette  occasion  ,  plusieurs  confé- 
rences avec  Villars  pour  lequel  il 
professait  la  plus  haute  estime.  Le 
maréchal  proposait ,  en  outre,  d'at- 
taquer Its  possessions  autrichiennes 
sur  le  Rhin,  pendant  qu'une  armée 
combinée  française  et  espagnole  s'as- 
sembiei'ait  sous  Turin  ,  et  pénétre- 
rait en  Lombardie.  A  la  lecture  de 


VIL 

ce  projet ,  le  cardinal  de  Flcury  s'é- 
pouvanta de  la  grandeur  de  l'entre- 
prise. Il  préferait ,  selon  son  usage  , 
apaiser  l'Autriche  en  lui  donnant 
des  millions;  mais  la  majorité  du 
conseil  s'ctant  rangée  de  l'avis  de 
Villars  ,  il  résolut  de  s'en  vcnp,cr  en 
donnant  au  maréchal  de  Bervvick  le 
commandement  de  l'armée  d'Alle- 
magne. Il  hésitait  encore  sur  le  choix 
du  général  qu'il  enverrait  en  Italie  , 
lorsque  le  roi  lui-même  désigna  Vil- 
lars. Le  ministre  delà  guerre,  par  sou 
ordre,  serendit chez lemaréciial pour 
lui  faire  part  des  grâces  extraordi- 
naires qui  accompagnaient  sa  nomi- 
nation. Le  roi,  regrettant  de  ne  pou- 
voir rétablir  en  sa  faveur  la  dignité 
de  connétable  ,  l'élevait  au  grade  de 
marécJialf;énéral  de  France ,  titre 
dont  Turenne  seul  avait  été  revêtu. 
Villars  était  dans  sa  quatre-vingt- 
unième  année  ;  mais  en  voyant  la 
carrière  de  la  gloire  s'ouvrir  de  nou- 
veau devant  lui ,  il  sembla  recouvrer 
toute  l'ardeur  de  sa  jeunesse.  Il  par- 
tit de  Fontainebleau  le  25  octobre 
i'y32,pour  s'éloigner  de  cette  France 
qu'il  avait  sauvée  ,  et  qu'il  ne  devait 
plus  revoir.  Il  fut  reçu  en  triomphe 
dans  toutes  les  villes  qu'il  traversa. 
Son  chapeau  était  orné  des  cocardes 
que  lui  avaient  données  les  trois  souve- 
raines qu'il  allait  servir,  les  reines  de 
France,  d'Espagne  et  de  Sardaigne, 
et  que  la  première  y  avait  attachées 
de  ses  mains.  A  peine  arrivé  à  Tu- 
rin ,  il  en  repart  aussitôt  pour  aller 
prendre  le  commandement  de  l'ar- 
mée. La  saison  était  avancée,  ell'on 
regardait  comme  terminée  la  cam- 
pagne ouverte  par  le  roi  de  Sardai- 
gne. Mais  Villars ,  comme  il  le  disait 
gaîment  lui-même  ,  était  trop  vieux 
pour  attendre.  C'est  au  cœur  de  l'hi- 
ver même  qu'il  entreprend  ,  et  qu'il 
accomplit  la  conquête  du  Milanais  et 


VIL 


547 


du  duché  de  Mantoue.  Il  assiégea  et 
]irit  avec  sa  rapidité  ordinaire  plu- 
sieurs places  importantes  ,  telles  que 
Novarre,  Tortone  ,Guerra-d'Adda, 
Pizzighitone  et  le  château  de  Milan. 
Déjà  il  se  portait  au  pied  des  Al- 
pes, pour  fermer  aux  troiqies  impé- 
riales l'entrée  de  l'Italie  ,  lorsque  le 
roi  de  Sardaigne ,  satisfait  de  la  pos- 
session du  Milanais  ,  envoie  à  ses 
troupes  la  défense  d'aller  plus  loin. 
Villars  désespéré  de  ce  contre-temps 
court  en  personne  à  Turin  ,  pour  dé- 
montrer la  vérité  du  principe  qui 
Acut  que,  pour  conserver  un  pays 
conquis,  on  pousse  ses  conquêtes  au- 
delà.  La  cour  de  Turin  lui  donna  des 
fêtes;  la  reine  voulut  qu'il  ouvrit  le 
bal  avec  elle.  Le  maréchal  se  plai- 
gnant du  fardeau  de  ses  quatre-vingt- 
deux  ans  :  «  Oui ,  lui  dit  cette  prin- 
»  cesse,  en  empruntant  les  paroles 
»  de  Louis  XIV  au  grand  Condé  , 
«>  cela  peut  peser,  mais  moins  qu'une 
»  forêt  de  lauriers.»  La  présence  de 
Villars  opéra  ce  que  n'eussent  pu 
faire  toutes  ses  dépêches  :  non-seule- 
ment il  détermina  le  roi  de  Sardaigne 
à  continuer  la  guerre  ,  mais  il  par- 
vint même  à  l'emmener  avec  lui  à 
l'armée.  Il  avait  promis  à  ce  prince 
de  lui  faire  voir  l'ennemi  de  près  ,  et 
il  lui  tint  si  rigoureusement  parole 
que ,  dans  une  reconnaissance  ,  ils 
furent  l'un  et  l'autre  sur  le  point 
d'être  tués  ou  pris.  Villars  ne  con- 
jura le  péril  qu'en  chargeant  les 
Impériaux  avec  une  audace  et  une 
vigueur  extraordinaires.  On  remar- 
qua ,  en  plusieurs  autres  occasions  , 
que  jamais  il  n'avait  aussi  téméraire- 
ment exposé  sa  personne  que  dans 
cette  dernière  campagne.  Uu  de  ses 
aides  de-camp  ayant  cru  devoir  lui 
en  faire  la  représentation  au  siège  de 
Pizzighitone  :  «  Jeune  homme,  lui 
»  répondit-il ,  vous  auriez  raison  ^  si 
35.. 


548 


VIL 


»  j'étais  à  votre  âge;  mais  à  celui  où 
»  je  suis  parvenu  ,  que  p«is-je  cspé- 
»  rer  de  mieux  qu'une  mort  çloneu- 
»  se?  »  Dans  une  autre  circonstance, 
il  dit  au  roi  de  Sardaic;nc.  qui  s'cton- 
naitde  sa  prodigieuse  aclivilc  :  «  Sire , 
»  ce  sont  les  dernières  étincelles  de 
»  ma  vie  :  la  guerre  et  moi  sommes 
»  près  de  nous  séparer  ,  après  une 
»  connaissance  de  jjIus  de  soixante 
»  ans  : 

))  C'est  ainù  qu'en  pailanl  ;e  Imfais  mes  adiiix-  » 

Le  prince  auquel  il  adressait  ces  pa- 
roles  ne    se    montra   pas  plus   re- 
connaissant envers  lui  ,  (jue  ne  l'a- 
vait été  jadis  l'électeur  di-  liavière. 
Le  héros  français,  justement   indi- 
gné ,  demanda    son  rapjjel ,  et  re- 
gretta de  ne  l'avoir  pas  demandé  plus 
tôt  ,    lorsqu'il  entendit  le  munanpie 
qui  lui  avait  de  si  grandes  obliga- 
tions lui  dire  pour  tout  remcrcîment 
et  tout  adieu  :  «  M.  le  maréchal,  je 
»  vous   souhaite  un  bon   voyage.  » 
Villars,  en  repassant  par  Turin  ,  se 
sentit  ttllcmcut  épuise  par  les  fati- 
gnes  de  deux  campagnes  non  inter- 
rompues d'hiver  et  d'été,   qu'il  se 
vit    obligé   de  s'arrêter  dans   cette 
ville.  Bientôt  il  ne  se  dissimula  plus 
le  danger  de  son  état.   Il  demanda 
un  ecclésiastique  ,  et  lui  dit  en  le  pre- 
nant aHectueusemcnt  par  la  main  : 
«  Vous  voyc/,  un  vieux  soldat  qui 
»  ne   comptait    pas    mourir    entre 
n  les  bras  d'un    j)rèlre  ;  mais  Dieu 
»  le  veut  ainsi  ,  pour  ([uc  je  puisse 
»  confesser  mes  péchés  ,  et  en  obte- 
»  nir  le  pardon.  »  En  sortant  d'un 
des  fréquents  entretiens  qu'il  eut  avec 
lui ,  l'ecclési.istiquc  dit  tout  haut  : 
«  Le  maréchal  de  Villars  est  aussi 
w  bon  serviteur  de  Dieu  qu'il  l'a  été 
»  de  ses  rois.  »  Ses  dcrniei-s  moments 
furent  adoucis  par  la  nouvelle  que 
Louis  XV  venait  de  nommer  sou 


VIL 

fils  ,  le  marquis  de  Villars ,  briga- 
dier de  ses  armées.  Il  traça  ,  d'une 
main  défaillante,  quelques  mets  de 
reconnaissance  envers  son  souverain, 
en  le  sup|iliant  de  trouver  bon  qu'il 
osât  lui  doniicr  encore  une  fois  quel- 
ques conseils  sur  la  conduite  de  la 
guerre.  En  apprenant  que  le  maré- 
chal de  Berv.ick  venait  d'être   tué 
d'un  coup  de  canon  devant  Philips- 
bourg  :  «  J'avais  toujours  bien  dit , 
»  s'écria-t-il ,  que  cet  homme-là  était 
»  né  plus  heureux  que  moi  I  »  Il  ex- 
pira quelques  instants  après  (17  juin 
i';34)  ,  dans  sa  quatre-vingt-deuxiè- 
me année.  Le   panégyrique  le  plus 
éloquent  de  ce  grand  capitaine  se 
trouve  dans  les  actions  ,   ])our  ainsi 
dire  innombrables ,  qui rempliient  sa 
longue  carrière.  On  aurait  peine   à 
citer  un  autre  guerrier  qui  ait  assisté 
à  un  aussi  grand   nombre  de  sièges 
et  de  batailles  ,  qui  ait  remporté  des 
victoires   aussi  décisives   que  celles 
de  Slolholl'en  et  de  Deiiain ,   et  qui 
ait  su  aussi  bien   en  profiter.  Une 
extrême  justesse  de  coup-d'œil  ,  une 
profonde  pruilenre  dans  les  mesures, 
et  une  promptitude  inou'ie  dans  l'exé- 
cution  forment  le  caractère  distinc- 
tif  des  talents  qu'il   fit  briller  dans 
toutes  les  opérations  qu'il  dirigea  en 
chef.  On  ne  saurait  même   omettre 
ici  une  particularité  très-remarqua- 
ble :  c'est  que  Villars  déploya  ,  dans 
plusieurs  attaques  de  place,  les  con- 
naissances d'un   ingénieur  consom- 
mé (  1 4)  ,  connaissances  d'autant  plus 
étonnantes  ,  qu'il  avait  fait  ses  pre- 
mières armes  dans  la  cavalerie.  Sa 
brillante  valeur,  sa  gaîté  intarissa- 
ble au  milieu  des  dangers  et  des  pri- 


(1  'l~\  BicnnelcproiivemieuxquclcMéirioirc  qn'il 
foiiiimsa  pour  le  sirge  tic  Fribourg,  en  17 13.  Vnir 
I»  /'(■<:  </h  mnrcchal  lie  f'illnis,  |>ar  Anqueli)  , 
inme  11 ,  p.  553. 


VIL 

valions  ,1c  faisaient  adorer  des  sol- 
dats et  des   olïicicrs  snhallerncs.   Il 
n'en  était  pas  de  même  des  oUlciers- 
ge'néraux.  et  des  clicfs  de  corps  ,  qu'il 
astreignait  à  la  subordination  la  j)his 
rigoureuse.   Cette  sévérité  ,  et  plus 
encore  ime  jactance  naturelle  ,  peu 
digne  d'un  homme  qui  faisait  de  si 
grandes  choses ,  lui   suscitèrent  de 
nombreux  ennemis.  11  ne  l'ignorait 
pas,  et,  loin  de  chercher  à  desar- 
mer leur  liaine,   il  mettait  son  or- 
gueil à  labraver  (  1 5).  Aussi est-ceaux. 
préventions  et  à  l'envie  dont  il  fut 
continuellement  l'objet ,   au   milieu 
même  de  ses  triomphes  les  plus  e'cla- 
lants ,  qu'il  faut  attribuer  le  peu  de 
justice    qui    lui    fut  rendu   ]iar   ses 
contemporains.    La    trace   de  cette 
malveillance  subsiste  même  encore 
chez,  les  historiens  qui  ont  copie  les 
écrivains  du  temps  ,  sans  prendre  la 
peine  d'examiner  jus(pi'à  ([uel  point 
leurs    accusations   étaient    fondées. 
Celle  qui  se  trouve  le  plus  souvent 
répétée    rej)résente  Villars   comme 
extrêmement  avide  d'argent,  et  fort 
peu  délicat  sur  les  moyens  d'en  amas- 
ser :  c'est  cependant  lui  qui^  ainsi 
que  nous  l'avons  raj) porte  plus  haut, 
voyant  la  pénurie  des  iinances  dans 
la  guerre  de  la  succession  ,  voulut 
faire   à   Louis  XIV  l'abandon  des 
émoluments  de  tous  ses  emplois  et 
dignités.  C'est  encore  lui  qui,  dans 
la  même  guerre ,  touché  de  la  dé- 
tresse des  ofllcicrs  qui  n'ctaient.point 
payés  de  leurs  appointements ,  leur 
distribua  des  sommes  considérables , 
en  disant,  pour  ménager  leur  délica- 
tesse, qu'il  reprendrait  cet  argent  sur 


VIL 


549 


(t5)  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  Villcroi 
ayant  osé  le  railler  ,  un  jour ,  de  ce  qu'il  ne  de- 
vait pas  avoir  de  cominaudenient  dans  une  cam- 
pagne qui  allait  s'ouvrir  :  «  J  ai  des  ennemis  à  la 
>>  cour ,  repondit-il  vivenieul,  qui  pourront  s'en 
«  rejouir;  mais  les  ennemis  du  roi  s'en  rojuuirout 
»  bien  plus  encore.  » 


leur  solde,  ce  qu'il  ne  fit  jamais  (lO). 
Les  ennemis  de  Villars  ne  se  sont  pas 
bornés  à  des  reproches  de  cette  na- 
ture :  ils  ont  essayé  de  flétrir  sa  gloi- 
re en  lui  attribuant  la  plus  horrible 
dissolution  de  mœurs.  Voltaire  a  été 
plus  juste  quand  il  a  dit  : 

«  L'Iicureux  Villars,  fanl'uron  plein  de  cœur  », 

et  quand  il  a  érigé,  dans  sa  Henria- 
de,  un  monument  immortel  au  vain- 
queur de  Denain.  Comme  il  faut  tou- 
jours que  tes  [ilus  grands  hommes 
payent  tribut  à  la  faiblesse  liumaine, 
Villars  eut  le  mallicur  d'être  en  proie 
à  un  défaut  qui ,  en  fiance,  plus  que 
partout  ailleurs  ,  est  puni  par  le  ridi- 
cule. Il  était  excessivement  jaloux  de 
sa  femme ,  l'une  des  beautés  les  plus 
célèbres  du  temps  (17).  Saint-Simon, 
acharné  à  dépiécier  un  héros  dont 
l'éclat  l'olUiscpiait  ,  mériterait  sans 
doute  peu  de  crédit  à  cet  égard  ;  mais 
Dangeau,  bien  jilus  croyable,  allir- 
me  qiie  le  maréchal,  pour  s'assurer 
de  la  foi  de  .sa  belle  compagne,  vou- 
lut s'en  faire  suivre  dans  ses  expédi- 
tions lointaines  ,  et  que  ce  fut  Louis 
XIV  lui-même  qui  s'y  opposa.  M™'^. 

(iC)  f'ie  du  maréchal  de  /  illuii ,  (oui.    II,    p. 

(17)  Après  le  succès  d'0/?(/iyt;e,  la  mare'chale  de 
Villars    admit  l'anleur    dans  sa  société.   Voltaire, 
qui  n'avait  alors   que  vingl-qnalre  ans  ,   tomba  si 
éperdument  amoureux  d'elle,    qu'il   devint  inca- 
pable de  travail.  Villars  ne  lut  probablement  point 
jaloux  du  ieune    bomrae ,    car  il  le  proclame  dans 
ses  Mémoires  le  prrniicr  poêla  de  ^ott    tcwpi  ^  et  il 
lui  donne  pleinement  r.iison  dans  la  fiimeuse  que- 
relle qu'il  eut  avec  le  cbovalier  de  Rolian.    Il  hii 
dit  un  jour:  m    La  nation  voips  a  ))ien  <les  obliga- 
tions de  lui  consacrer  vos  veilles.  —  Elle  m'en  au- 
rai' bien  davantage  ,  répondit  Voltaire,  si  je  savais 
érrire  contme  vous  savexagir.  »  Voltaire,  dans  une 
lettre  du  4  a^ril  i'!{i  ,  à    son   ami    d'Aigueberrc  , 
rend  compte  ainsi  du  trionqdie  qne  lui  valut  sa  tra- 
gédie de  mérope  :  «  On  est  venu  me  |)reudre  dans 
»  une   cacbe    où  \e  m'étais   tapi  ;  ou  m'a    mené  de 
»  lorce  dans  la  loge  de  la  maréchale  de  Villars,  où 
,1  était  sa  belle-fille.  Le  parterre  était  fou  ;  il  a  Crié 
»  \  la  duchesse    de  Villars  de  me  baiser  ;  et  il   a 
»  tant  l'ait  de  bruit  qu'elle  a  été  obligée  d'en  pas- 
»  ser  par  l.'i ,  par  l'ordre  de  .sa  belle-mère.  J'ai  été 
»  baisé  publiquemeut    ,    comme    , Alain    Cbartier 
>i  par   la  princesse  Marguerite  d'iîcosse  ;    mais  il 
«  dormait,  et  j'étais  fort  éveillé.  » 


55o 


VIL 


de  Coulangcs ,  dans  deux,  de  ses  Let- 
tres à  M'"'',  de  Grignau  (i8),  se  per- 
met des  plaisanteries  assez  picpiantes 
sur  l'amour  et  la  jalousie  du  maré- 
chal j  mais  nulle  part  on  ne  trouve 
la  preuve  que  la  passion  l'ait  em- 
porte' chez  lui  sur  le  devoir.  ^  illars 
était  doué  d'une  grande  vivacité  d'es- 
prit et   d'une   imagination   fertile  j 
c'est  ce  qu'atteste  un  nombre  immen- 
se de  Lettres  ,  où  il  traite  sans  ell'ort , 
et  quelquefois  même  sur  un  ton  de 
plaisanterie  tout  français,  les  ques- 
tions les  plus  épineuses.  Sa  conversa- 
tion était  extrêmement  brillantej  mais 
il  n'observa  jamais  que  la  première 
partie  du  précepte  de  la  marquise  de 
Villars  ,  sa   mère  ,  qui  lui  disait  : 
a  Vantez-  vous  au  roi  tant  que  vous 
»  pourrez;  mais  dans  le  monde,  ne 
»  parlez  jamais  devons.  »  Aux  avan- 
tages  de    l'esprit    Villars   joignait 
ceux  de  l'extérieur.  Il  avait  hérité 
la  taille  imposante  et  la  figure  ma- 
jestueuse de  son   père  ,  si  célèbre  , 
sous  ce  rapport ,  à  la  cour  de  Louis 
XIV.  Il  existe  des  Mémoires  du  ma- 
réchal de  Villars ,  3  vol.  in- 1  2  ,  im- 
primés en  Hollande.  Le  premier  seul 
doit  être  considéré  comme  l'ouvrage 
du  maréchal.  Les  deux  derniers  ne 
sont  qu'une  de  ces  compilations  in- 
formes dont   l'abbé  Margon  faisait 
trafic,  en  y  mettant  le  nom  d'un 
personnage  célèbre.  On  peut  se  fai- 
re une  idée  du  désordre  qui  règne 
dans  ces  prétondus  IMémoires  ,   en 
voyant  l'Oraison  funèbre  de  Villars 
placée  entre  les  années  1706  et  1707, 
c'est-à-dire,  vingt-huit  ans  avant  sa 
mort.   Un  écrivain  plus    conscien- 
cieux ,  Anquetil ,  a  publié,  en  1784, 
une  Vie  du  maréchal  de  Villars,  4 
vol.  in-i2,  avec  portrait  et  plans  de 


^18)  L'une   du  'j  juillet  iro3  .    et    l'aatre  du    j 
mars  ijc/i- 


VIL 

bataille.  L'auteur  déclare,  dans  sa  dé-      j 
dicace  même  au  maréchal  de  Cas-      * 
tries ,  alors  ministre  de  la  marine  , 
qu'il   rédigea  cet  ouvrage  par   son 
ordre.  Les  immenses  matériaux  qui 
lui  furent  remis  consistaient  en  cent 
quarante- deux  cahiers  manuscrits, 
composés  chacun  de  vingt- quatre  à 
trente-deux  pages  in-folio,  en  qua- 
torze volumes  également  in-folio  ,  de 
lettres  et  de  dépêches,  sans  compter 
plusieurs  cartons  de  feuilles  volantes. 
Anquetil  s'est  égaré  plus  d'une  fois 
au  milieu  de  cette  surabondance  de 
richesses.  Comme  tous  les  écrivains 
qui  n'ont  aucune  notion  des  opéra- 
tions militaires  ,  il  manque, non-seu- 
lement de  clarté  dans  ses  relations  , 
mais  il  commet  en  outre  des  erreurs 
que  l'on  ne  peut  rectifier  qu'à  l'aide 
des  plans ,  quoique  l'exécution  en  soit 
généralement   très -médiocre.  Enfin 
l'ouvrage  est  déparé  par  un  défaut 
capital,  familier  à  l'auteur.  A  peine 
y  trouve-t-on  un  nom  d'homme  ,  ou 
même  un  nom  de  pays  ou  de  ville, 
qui  ne  soit  défiguré  d'une  manière 
méconnaissable.  L'immense  Errata 
qui  teriniue  chaque  volume  est  loin 
de  faire  compensation  à  l'inconceva- 
ble négligence  de  l'historien.  —  Le 
comte  de  Villaus  ,  qui  est  souvent 
nommé  dans  l'histoire  militaire  du 
même  temps,  était  frère  du  maréchal. 
On  peut  faire  son  éloge  en  deux  mots, 
en  disant  que  son  illustre  frère  l'em- 
ploya dans  tous  les  cas  diiliciles,  et 
toujours  avec  succès.        S — V — s. 

VILLARS  (  Honoré- Armand, 
duc  DE  ),  prince  de  Martigues,  fils 
du  précédent  ,  l'un  des  quarante 
de  l'académie  française  ,  naquit  le 
4  décembre  1702,  et  fut  élevé  à 
la  pairie  dès  l'année  1708  ,  en  consi- 
dération des  services  de  son  père  , 
auquel  il  succéda  dans  la  plupart  de 
ses  dignités,  sans  avoir  aucun   des 


VIL 

talents  du  vainqueur  de  Dcnain. 
A  seize  ans  ,  il  fut  fait  mestie-de- 
camp  d'un  régiment  de  cavale- 
rie, (  mars  17 18  }.  Il  fit,  en 
cette  qualité  ,  quelques  campagnes 
sur  le  Rhin  et  au-delà  des  Alpes.  Il 
servait,  eu  1^33  ,  en  Italie,  sous  les 
ordres  du  maréchal  son  père  j  et 
ayant  apporté  à  Louis  XV ,  le  4 
janvier  1734  ,  la  nouvelle  de  la 
prise  du  château  de  Milan,  il  fut 
nommé  brigadier  le  1 3  février  sui- 
vant. Le  duc  de  Villars  n'alla  ja- 
mais au-delà  de  ce  grade  que  la  fa- 
veur seule  lui  avait  fait  uLtcnir. 
Quelques  mois  après,  la  mort  de  son 
père  le  mit  en  possession  de  la  gran- 
desse  d'Espagne  et  du  gouvernement 
de  Provence.  Il  remplaça  même  le 
maréchal  à  l'académie  française,  où 
il  fut  reçu  le  9  décembre  1734. 
Enfin,  en  i73(i^  il  fut  fait  cheva- 
lier de  la  Toison  d'Or.  Il  sut  se  faire 
aimer  dans  la  province  dont  il  était 
gouverneur.  Comme  académicien  , 
il  justifia  le  choix  de  ses  confrères 
par  sa  dcfcrence  ,  par  son  amour 
pour  les  lettres ,  et  par  le  gcîit  éclai- 
ré avec  lequel  il  les  cultiva  jus- 
qu'à la  fin  de  sa  vie.  Ces  qualités  du 
moins  ,  il  les  tenait  de  son  jière, 
qui  s'était  fait  chérir  des  Pro- 
vençaux ,  et  qui,  au  sein  de  l'aca- 
démie, se  dépouillait  de  la  dignité 
un  tant  soit  peu  théâtrale  qu'il  affec- 
tait partout  ailleurs  (i).  Le  discours 
de  réception  que  prononça  le  duc  de 
Villars  était  écrit  avec  sentiment  , 
convenance  et  dignité.  Du  reste,  il 
était  fort  court  :  c'était  alors  tout  ce 


(i)  Vove?,  l'éloge  du  raaréctal  el  du  duc  de  Vil- 
lars, par  d'Alemhert ,  Hisloirc  des  mcml'res  île 
Vaca'lémir  /ninçaise.  Cet  écrivain  ,  eu  parlant  du 
pr  mier.  s'exprime  ainsi  :  «  Un  jour,  apriîs  une  de 
»  ses  effusions  ordinaires  et  affectueuses  de  di.oue- 
»  ment  et  de  rf-^pcct  pour  ses  confri'res  ^'car  c'étaient 
»  les  termes  dont  il  croyait  devoir  se  servir  à  leur 
»  égard  )  ,  il  ajouta ,  etc.  »  (  tom.  IV,  p.  553  ). 


VIL 


55 1 


qu'on  exigeait  d'un  grand  seigneur 
qui  se  faisait  académicien.  Le  duc  de 
Villars  avait  ^onti  qu'il  ne  pouvait 
se  conformer  à  l'usage  en  faisant  le 
panégyrique  de  son  père;  mais  l'ab- 
bé Houtteville,  qui  répondit  au  réci- 
piendaire, y  suppléa  par  un  éloge  fort 
étendu  du  maréchal.  Presque  tou- 
jours éloigné  de  la  capitale,  et  obligé 
de  résider  en  Pro\  cnce,  le  nouvel  aca- 
démicien j)arut  rarement  aux  assem- 
blées de  la  compagnie;  mais  dans 
toutes  les  occasions  il  prouva  qu'il 
était  animé  de  cet  esprit  de  confra- 
ternité, de  sage  liberté  et  d'égalité, 
qui  est  l'ame  de  toute  société  littérai- 
re. Durant  un  séjour  qu'il  fit  à  Paris, 
il  se  lia  intimement  avec  d'Alembert. 
Il  fut,  à  INIarseille,  le  protecteur  zélé 
de  l'académie  qu'y  avait  fondée  son 
père.  Devenu  l'ami  de  Voltaire,  qui 
parle  de  lui  avec  éloge  dans  maint 
endroit  de  sa  Correspondance. ,  il  fit 
de  fréquents  séjours  soit  auxDélices, 
soit  à  Ferney,  soit  à  Genève,  autant 
pour  rétablir  sa  santé  par  les  soins 
du  célèbre  Tronchin ,  que  pour  se 
rapprocher  de  Voltaire  ,  qui,  com- 
me ou  sait,  avait  commencé  à  se  fai- 
re connaître  dans  la  haute  société, 
par  une  passion  de  jeune  homme  pour 
la  mère  du  duc  de  Villars  {f.  l'arti- 
cle précédent  ).  Il  est  facile  de  voir 
dans  les  Lettres  de  Voltaire,  que  ce 
grand  poè^e  était  fier  d'un  pareil  hô- 
te. «  Je  n'ai  point  eu  de  cesse,  écri- 
»  vait-il  au  duc  de  Richelieu,  que  je 
»  n'aie  fait  venir  dans  mon  ermita- 
»  ge ,  de  son  troue  de  Piovence  ,  M. 
»  le  duc  de  Villars,  etc.  «  Dans  une 
autre  lettxe,  il  disait  plaisamment  : 

«  Tout  auprès  de  son  juge,  il  s'est  venu  loger 

»  dans  une  maison  assez  convenable 
»  à  un  valet  de  chambre  retiré  du 
»  monde.  »  Ailleurs,  en  parlant  de 
la  maladie  qu'éprouvait  ce  seigneur, 


553 


VIL 


il  s'exprimait  ainsi  :  «  Le  duc  de 
»  Villars  est  plus  vieux  que  moi  , 
»  quoique  plus  jeune.  Il  a  des  con- 
»  vulsions  dcSaint-IMedard,  à  le  fai- 
»  re  canoniser  par  les  Jansénistes. 
»  11  soufTre  béroiquement  :  il  a  dans 
»  les  maux  plus  de  courage  que  son 
v>  père.  11  y  a  bien  des  sortes  de  coif- 
»  rage,  »  Voltaire  avait  place  une 
partie  de  ses  fonds'  entre  les  mains 
de  ce  seigneur.  A  cette  occasion , 
il  recommandait  à  Mous.sinot ,  son 
agent  à  Paris,  de  ne  pas  négliger  les 
échéances.  </  11  est  bon  ^  ajoutail-il , 
»  de  les  accoutumer  à  un  paienieut 
M  exact,  et  de  ne  pas  leur  laisser 
»  contracter  de  raauvaives  babitu- 
»  des.  »  Dans  ses  rapports  avec  Vol- 
taire ,  le  duc  de  Villars  oubliait  la 
dislance  des  rangs  pour  n'être  que 
le  conlident  des  productions  de  ce 
grand  poêle.  L'auteur  de  Zaïre 
le  vante  comme  s' entendant  à  mer- 
veille à  l'art  dramatiiitie.  «  Je  ne 
»  connais  personne,  ccril  -  il  à  Du- 
»  c!os,  qui  ait  f.iil  une  cUide  pins  ré- 
»  llccliic  du  tbéâlrc  que  lui.  »  Dans 
])Iusicursde  ses  Ictlres,  Voltaire  cite 
encore  le  duc  de  Vdlars  comme  une 
autorité  décisive  pour  confirmer  ses 
critiques  sur  les  tragédies  de  Corneil- 
le. On  peut  croire  que  le  noble  aca- 
démicien se  trompait  quelquefois  en 
matière  de  goûl ,  s'il  est  vrai  qu'il  ait 
"aidé  l'auteur  LVOljinpie  de  ses  con- 
seils pour  celte  faible  tragédie,  que 
Voltaire  appelle  son  œuvre  des  dix 
jours.  Lorsque  ce  giand  poète  fit 
jouer  ,  dans  son  cliàteau  ,  l' Orphelin 
de  la  Chine ,  Oljmpie  et  quelques  au- 
tres de  ses  pièces  ,  le  duc  de  Villars  , 
î^rand  amateur  de  la  science  gaie , 
.s'empressa  de  prendre  un  rôle.  11  se 
croyait  appelé  à  jouer  parfaitement 
les  pères;  mais  comme  il  n'est  pas 
rare  qu'un  babile  connaisseur  ne  soit 
qu'un  artiste  médiocre,  sa  déclama- 


VI L 

tion  était  froide,  monotone,  empe- 
sée. Un  jour  ,  après  une  représenta- 
tion de  V Orphelin  de  la  Chine,  il 
s'approcha  de  l'auteur  d'un  air  très- 
satisfait,  et  lui  dit  :  «  Eli  bien!  mon- 
))  sieur deVoltaire,commenttrouvez- 
»  vous  que  j'ai  rempli  mon  rôle?  — 
»  ÎMonseigneur,  reprit  le  poète,  vous 
»  avez  joué  comme  un  duc  et  pair.  » 
Lié  avecLekainetavec  M'i^'. Clairon, 
le  duc  de  Villars  avait  la  préten- 
tion de  leur  donner  des  conseils  sur 
la  manière  de  débiter  leurs  rôles.  11 
voulut  former  à  l'art  dramatique  le 
libraire  Cnuner,  qui  jouait  aussi  sur 
le  théâtre  de  Ferney;  il  n'en  fit,  se- 
lon Lekam  ,  qu'un  froid  et  plat  dé- 
clamateur.  Voltaire  persifla  impi- 
toyablement Cramer  ;  et  lorsque 
celui-ci  fut  parvenu  à  oublier  tout  ce 
que  son  maître  lui  avait  appris,  le 
palriarclie  de  Ferney ,  charmé  de  cet 
heureux  changement,  s'écria  :  «  Dieu 
»  soit  loué!  Cramer  a  dégorgé  son 
»  duc  (u).  »  Villars  était  à  Fernev 
lorsque  sa  mère  ,  la  maréchale,  mou- 
rut, dans  un  Age  avancé  ;  et  la  même 
Correspondance  nous  apprend  que 
les  créanciers  du  fils  apprirent  cet 
événement  avec  une  joie  incroya- 
ble (mars  i7<33).  En  effet,  ce  sei- 
gneur ,  livré  aux  goûts  les  plus  dis- 
])endieux,  était  toujours  aux  expé- 
dients. En  Provence  , où  il  partageait 
son  séjour  entre  Aix  et  Marseille,  il 
tenait  un  grand  état  de  maison.  Ses 
mœurs  douces  et  faciles  ,  sa  bienfai- 
sance, son  zèle  pour  les  établissemenls 
utiles,  pour  le  soulagement  et  pour 
l'instrucliou  du  peuple,  ne  pouvaient 
lui  faire  trouver  grâce  auprès  des 
hommes  d'une  morale  sévère.  Ils  blâ- 
maient hautement  sa  passion  effrénée 
pour  le  jeu,  qui  lui  faisait  admettre 

{■)!)  Noie  sur  M.  lie  f^otlaire,  eijaili  particu- 
liers concernant  ce  grand  homme  ,  recueillis  par 
m„i{  I,iL,iili  ),  etc. 


VIL 

chez  lui  la  plus  mauvaise  socie'le'. 
On  lui  ic|)rocliait  encore  ,  si  l'on  en 
croit  la  Correspundancc  do  Griniin, 
ces  goûts  infâmes  qui  lui  valurent  , 
comme  au  comte  de  iMirabcauj)(re,lc 
surnom  ironique  de  L'ami  des  huni- 
mcs  (3).  On  lit  dans  les  Mémoires 
de  Bacliaumont  que  ,  dans  sa  jeunes- 
se ,  le  duc  deVilIars  avait  mis  ce 
vice  fort  à  la  mode  à  la  cour  (4)-  Un 
dernier  trait  prouvera  combien  ce 
triste  héritier  d'un  grand  homme 
c'iait  peu  considère  même  sur  le  llicà- 
tre  de  sa  puissance.  Dans  un  grand 
dîner  qu'il  donnait  à  Marseille,  se 
trouvait  un  aLbc  d'une  laideur  re- 
marquable. Le  duc  de  Viliars,  après 
l'avoir  considère  long -temps  avec 
une  attention  particulière  ,  lui  dit 
d'un  ton  railleur  :  «  Parbleu  ,  l'abbe , 
»  vous  ressemblez  comme  deux  gout- 
»  tes  d'eau  à  un  portrait  qm  est  dans 
»  mon  antichambre.'  »  l^'abbe  ,  sans 
se  déconcerter,  répliqua  :  «  Monsci- 
»  gneur ,  vous  n'ctes  pas  heureux  en 
w  lesscndjlancos  ,  car  je  ne  ressera- 
»  ble  pas  plus  à  ce  portrait,  que  vous 
»  ne  ressemblez  à  monsieur  votre 
»  père.  »  Le  duc  de  Viliars  avait 
épouse  ,  le  5  août  1721 ,  M^i»^.  Ama- 
ble- Gabrielle  d'Ayen  ,  seconde  iille 
du  maréchal  Adrien-Maurice,  duc  de 
Noailles.  Il  n'en  eut  qu'une  fille,  née 
le  18  mars  1723  ,  qui  se  lit  reli- 
gieuse. Le  duc  de  Viliars  mourut 
dans  son  gouvernement  au  mois  de 
mai  1770.  Il  légua  des  sommes;  con- 
sidérables pour  l'éducation  des  pau- 
vres. Entre  autres  fondations  utiles 
qu'il  avait  faites  eu  Provence ,  on 
peut  citer  l'établissement  d'une  école 


(3)  foiu.  VII,  p.  -i-S. 

(4)  On  lit   (lai!s  le    iS».  iliant  de  la  Piicclle  de 
Vuiiaire  ,  édition  de  Londres  ,    1780  : 

Tels  on  a  vu  Tliibonvllle  et  Viliars, 
Iniiliitcurs  du  picmicr  des  Ci.sars,    etc. 


VIL  553 

de  dessina  Aix,  qu'il  dota  à  ses  frais. 
11  eut  pour  successeur  au  fauteuil 
académique  Loménie  de  Brienne  , 
alors  archevêque  de  Toulouse,  Dans 
sa  réponse  à  ce  prélat  ,  Thomas  fit 
l'éloge  de  l'administration  du  duc  de 
Viliars.  11  le  loua  «  de  n'avoir  abusé 
»  ni  de  son  rang  pour  opprimer ,  ni 
»  de  son  pouvoir  pour  faire  plier  les 
»  lois  ,  ni  de  la  crainte  qu'in>pire 
»  un  homme  en  pla(  e  pour  faire  res- 
))  pecter  ses  caprices.  »  Ces  louanges 
méritées  parurent  une  satire  indi- 
recte de  là  conduite  bien  dillércnte 
qu'avait  tenue  en  Bretagne  le  duc 
d'Aiguillon;  et  tel  fut  le  motif  qui 
engagea  ce  seigneur ,  alors  devenu 
ministre,  à  se  joindre  à  l'avocat-ge'- 
néralSéguier  pour  empêcher  la  pu- 
blication du  discours  de  Thomas 
{F.  Thomas, XLV,  462,4'J7).qui  ne 
fut  imprimé,  pour  la  première  fois, 
qu'en  i8o'i;  5  .On ytrouveces  paro- 
les qui  termineront  convenablement 
le  présent  article  :  «  L'académie, 
»  en  adoptant  M.  le  duc  de  Vil- 
»  lars ,  avait  adopté  l'héritier  et 
»  le  fils  du  vainqueur  de  Denain  , 
»  du  rival  d'Eugène.  ...  Il  y  a  des 
»  héritages  de  gloire  qui  se  répan- 
»  dent  sur  toute  la  postérité  d'un 
»  homme  illustre.  Les  distinctions 
»  accordées  au  lils  devenaient  un 
))  nouvel  hommage  rendu  au  père; 
))  et  le  nom  du  duc  de  Viliars  parmi 
»  nous  ressemblait  à  ces  images  qui, 
»  placées  par  les  anciens  dans  les 
»  portiques  ou  dans  les  tem])les,  rap- 
»  pelaient  encore  le  souvenir  des  hé- 
»  ros  après  leur  perte.  »  D — r — r. 

VILLARS  (l'abbé  de  Montfau- 
con  de)  ,  littérateur  ,  né  en  i635_, 
aux  environs  de  Toulouse  ,  d'une  fa- 
mille très-ancienne,  celle  des  Canil- 


:,    |i;ins  IVillli..n  des  Or.ia'ies  coiiiptclcs  de  Tlio- 
luas,  donnée  jiar  Di-scssarls. 


554  VIL 

lac-Villars  (i)  ,  était  neveu  du  cé- 
lèbre bénédictin  Montfaucon  (  V.  ce 
nom,  XXIX,  536).  Après  avoir 
prêché  avec  distinction  à  Toulouse , 
il  vint  à  Paris  vers  l'an  1G67  ,  avec 
l'espoir  de  faire  dans  la  carrière 
du  sacerdoce  vuie  fortune  propor- 
tionnée à  ses  talents  et  à  sa  nais- 
sance. 11  eut  bientôt  des  amis  illus- 
tres, et  se  vil  recherché  dans  les 
meilleures  sociétés.  Tout  semblait  lui 
prometlre  un  avancement  rajiido  ; 
mais  son  goût  pour  la  littérature 
frivole,  sou  penchant  à  la  critirpie  , 
et  surtout  la  hardiesse  de  ses  opinions, 
en  lui  ménageant  de  brillants  succès 
comme  bel-esprit ,  nuisirent  à  sa  con- 
sidération comme  ecclésiastique,  et 
attirèrent  sur  lui  la  sévérité  de  ses 
supérieurs.  Ln  tournure  de  sou  es- 
prit et  les  habitudes  d'une  vie  dis- 
sij)ée  le  portèrent  à  applirpior  nue 
instruction  ré(  Ile  ,  un  talent  peu 
commun  ,  à  des  sujets  léj:;ers  ,  et 
dont  l'intérct  ne  pouvait  survivre  à 
la  circonstance  qui  les  avait  mis  en 
vogue.  Voilà  pourquoi  après  avoir  , 
dans  un  temps  où  le  talent  de  bien 
écrire  en  prose  était  encore  si 
rare  ,  composé  deux  petits  écrits 
dont  chacun  en  son  p;enre  rappelle 
plus  d'une  fois  la  touche  de  Pascal,  le 
scej)ticisme  de  Fontenclleet  le  persi- 
flage de  Voltaire  ,  l'auteur  des  En- 
tretiens sur  les  sciences  secrètes  , 
et  sur  la  philosophie  de  Descaries  , 
est  à  peu  près  oublié.  Les  Entreliens 
du  comte  de  Gabulis  sur  les  scien- 
ces ,  par  lesquels  il  débuta  ,  fu- 
rent imprimés  pour  la  première 
fois,  en  i6no  ,  sans  nom  d'au- 
teur.  Ce  plaisant  ouvrage  ,   qui  , 


{^^  n  II  i-lail  iiclil-nU  de  Jcan-Francois  dn  Monl- 
«fiÉUion  de  la  R..cl.c-Taillado  de  (.aiiiliac  de  Vil- 
>•  lars,  dioci'se  d'AIfl....  Nous  ignorons  Ir  nom 
»  de  son  pcie.  Sa  l^^^e  s'appelait  Moutgaillard  » 
(  Moréri ,  supplément  ), 


VIL 

selon  Vigueul-Marville  ,  a  passé 
pour  un  des  mieux  écrits  du 
temps  ,  a  fut  le  résultat  des  confé- 
»  rences  gaies  que  cet  abbé  avait 
»  à  la  porte  Richelieu,  a\TC  une  ca- 
»  haie  de  gens  de  bel  esprit  et  de 
»  bellehumeurcomme  lui  (a).»  L'au- 
teur dévoile  agréablement  les  mys- 
tères de  la  prétendue  cabale  des  frè- 
res de  la  Rose-Croix  :  son  interlocu- 
teur est  le  comte  de  Gabalis.  Haillet, 
dans  SCS  Jugements  des  sai>anls{'à), 
se  demande  si  le  nom  de  ce  person- 
nage imaginaire  vient  de  cabale ,  ou 
de  gab  ,  vieux  mot  français  qui  si- 
gui  lie  co;j<e/JO//r  rire ,  bourde.  Quoi 
qu'il  en  soit,  rien  de  plus  aimable 
(juc  le  caractère  donné  par  l'abbé 
de  Villars  à  ce  naïf,  mais  savant  et 
spirituel  apôtre  de  la  magie.  La  part 
que  l'auteur  lui-même  est  censé  pren- 
dre à  la  conversation  est  sur  le  ton 
d'une  ironie  tellement  liiie,  qu'après 
avoir  lu  le  livre  bien  des  gens  ne 
savaient  s'il  ne  voulait  que  badi- 
ner ,  ou  s'il  parlait  sérieusement. 
Cependant  à  la  iin  de  son  ouvrage 
il  avait  dit  :  «  Si  je  vois  qu'on 
»  veuille  laisser  faire  à  mon  livre 
»  tout  le  bien  qu'il  est  capable  de 
»  produire  ,  et  qu'on  ne  me  fas.'cpas 
»  rinjustice  de  me  soupçonner  de 
»  doiiiier  crédit  aii\  sciences  secrites, 
»  sous  prétexte  de  les  tourner  en  ri- 
»  diciilc,  je  continuerai  à  me  réjouir 
»  de  M.  le  comte  ,  et  je  pourrai  don- 
»  lier  un  autre  tome.  »  Comme  la  ca- 
bale était  alors  de  mode  ,  et  que  ceux 
qui  y  croyaient  «  avaient  pour  com- 
»  pagnons,  ainsi  que  le  dit  Villars 
»  lui-même,  des  princes,  des  grands 
»  seigneurs ,  des  gens  de  robe  ,  de 

{■x)  Mélanges  d'histoire  el  de  liUérature .  l.  i". , 
p.  ,.,.8. 

(Vj  PaRC^oo  du  tome  VI  de  rédltion  de  La  Mon- 
nuie  ,  dans  la  partie  intitulée  Déjfiiiieni  nls  des 
auleins ,  cli.  IX,  Sur  Ui  noms  tirés  du  fond  dn 
sujet. 


VIL 

»  belles  dames,  des  laides  aussi ,  des 
»  prélats,  des  moines  et  des  uonnaiiis, 
»  endu  des  gens  de  toute  espèce  ,  » 
sou  livre  ne  tarda  pas  à  faire  grand 
bruit ,  aux  dépens  du  repos  de  l'au- 
teur. Les  zelcs  croyants  lui  savaient 
mauvais  gré  de  s'être  moque  d'eux  , 
et  d'avoir  parle'  avec  irrévérence  du 
terrible  empire  des  gnomes  ,  des  syl- 
phes et  des  salamandres.  Les  esprits 
graves  pensaient  (pi'il  aurait  fallu  ré- 
iiitcr  sérieusement  la  cabale  dont  les 
erreurs  attacpient  les  bases  de  la  foi. 
Ils  ne  pardonnaient  pas  à  un  ecclé- 
siastique quelques  gaîtés  un  peu  vives 
sur  les  amours  des  sylphides  et  des 
démons  incubes  avec  les  sages  et  avec 
les  saints;  sur  les  mésaventures  de 
Noé  ,  fait  eunuque  par  son  (ils  Cliam, 
pendant  (jue  le  bon  vieillard  était 
pris  de  vin.  Enfin  les  dévots  excu- 
saient encore  moins  queUjues  traits 
fort  piquants  contre  les  moines  ,  et 
les  docteurs  à  chaperon ,  sans  parler 
de  deux  ou  trois  propositions  mal 
sonnantes ,  et  sentant  le  déisme,  telles 
que  ces  paroles  à  propos  du  jansé- 
nisme :  «  î^ous  ne  savons  ce  ijue  c'est, 
»  et  nous  dédaignons  de  nous  infor- 
))  mer  en  quoi  consistent  les  sectes 
»  dillérenles  et  les  diverses  religions 
»  dont  les  ignorants s'infatuent:  nous 
»  nous  en  tenons  à  l'ancienne  religion 
»  de  nos  pères  les  philosophes.  »  Ces 
hardiesses  suscitèrent  à  l'abbé  de  Vii- 
lars  une  difgràcc  qui  eût  pu  être  en- 
core plus  sérieuse  sans  le  crédit  de 
ses  amis.  Sou  livre  fut  censuré,  et  lui- 
même  interdit  de  la  prédication.  Le 
Comte  de  Gahalis  fut  réimprimé  en 
1684  ,  quelques  années  après  la  mort 
de  son  auteur,  avec  une  lettre  apo- 
logétique d'un  ami  ,  et  une  réponse 
dont  la  conclusion  est  entièrement  fa- 
vorable. Il  est  à  croire  que  ces  deux 
pièces  étaient  de  l'abbé  de  Villars 
lui-même  :  on  y  retrouve  sa  manière. 


VIL  555 

Bayle  s'est  plu  à  citer  plusieurs  pas- 
sages du  Comte  de  Gabalis,  et  ce 
sont  précisément  ceux  qui  avaient 
attiré  à  l'abbé  de  Villars  les  censures 
ecclésiastiques  (4).  Pendant  qu'il  pu- 
bliait \cs  Entretiens ,  leur  auteur  coo- 
pérait à  une  autre  production  dont  le 
sujet  et  la  forme  justifiaient  sulVisam- 
ment  l'interdiction  prononcée  contre 
lui  :  c'était  un  roman  moitié  histori- 
que,  moitié  philosopliiquc  ,  intitulé 
Wîmour  sans  faiblesse  ou  Anne,  de 
Bretagne  et  Almanzaris  (  Paris  , 
167 1  ,  Barbin  ,  3vol.in-i2).  Le 
Géomyler  ou  Almanzaris  ,  qui  est 
en  entier  de  l'abbé  de  Villars ,  a  c'ie' 
réimprimé  séparément ,  en  1729,  à 
Paris  (  J  vol.  in-12  ,  divisé  eu  'x  par- 
ties ).  L'auteur  donne  le  Géomyler 
pour  un  ouvrage  arabe  «  qu'une 
»  dame,  crovant  y  voir  moins  de  dé- 
w  fauts  que  dans  la  plupart  de  nos 
»)  romans,  s'est  amusée  à  tourner  en 
»  français  ,  »  d'après  une  mauvaise 
traduction  castillane.  Son  héros , 
espèce  de  religieux  turc  ,  s'introduit 
dans  le  sérail  de  dillërcnts  princes 
d'Afrique, où  sa  qualité de^eom,r/er 
le  protège  contre  la  jalousie  ,  bien 
qu'il  obtienne  les  faveurs  de  plusieurs 
princesses.  L'auteur, en  représentant 
son  géomyler  comme  un  impudi- 
que ,  paraît  avoir  eu  l'envie  de  tour- 
ner en  ridicule  les  fades  et  langou- 
reuses amours  tracées  par  les  La  Cal- 
prenède  et  les  Scudéri;  mais  son 
roman  n'en  est  pas  moins  ennuyeux. 


(4)  Voy-  Diction,  de  Bayle,  t.  IV,  p.  90;  et  t. 
V,  p.  55^  <le  l'cdition  iu-8".  donnée  par  M.  Bcu- 
cliot.  Dans  l'article  consacré  au  fameux  imposteur 
Borri ,  Bayle  met  en  doute  si  la  substance  des  En- 
tretiens du  comte  de  Gabalis  n'a  pas  été  empruntée 
aux  deux  premières  lettres  de  ce  personnage,  qui 
furent  imprimées  à  Copenhague,  en  1666  ,  sous  ce 
titre  :  /.a  chiave  dcL  Gabinello  del  ravagliere  Giu- 
senne  Francesco  Borri ,  Milanese  (  f  .  Dictionnaire 
de  Bayle,  même  édition  ,  t.  III,  p.  â8p  ).  Voyex 
également  dans  la  Bio^r.  universelle .  l'article  Bor- 
ri yX,  194-95^1  °"  '•"»  "S  cite  que  l'édition  de  Co- 
loaue  de  ladite  Chiave. 


556 


VIL 


L'intrigue  est  obscure,  embarrassëej 
les  incidents  sans  intérêt,  et  le  style 
sans  couleur.  Aussi  ce  Hatc  essuya- 
t-il  bien  des  critiques.  L'abbe  de  Vil- 
lars  essaya  d'y  repondre  dans  une 
Lettre  qui  ne  fut  imprimée  qu'après 
sa  mort ,  et  qui  semble  adressée  à 
l'auteur  prétendu  de  la  traduction 
française.  On  y  trouve  la  critique 
des  romanciers  du  siècle  ,  qui  ne 
croyaient  pas  «  pécher  contre  l'art 
»  et  contre  la  vraisemblance  ,  en 
»  faisant  tous  les  acteurs  qu'ils  in- 
»  trodtiisent  chastes  comme  des  ana- 
»  chorètes  de  la  Thcbaïde  ,  et  en 
»  nous  faisant  accroire  que  dans  tout 
î)  le  siècle  d'Alexandre  ou  d'Augus- 
»  te ,  il  ne  se  soit  pas  trouvé  un  seul 
»  honnête  homme  (jui  se  soit  laissé 
»  induire  en  tentation.  »  Plus  loin 
l'auteur  se  raille  des  héros  rassem- 
blés des  quatre  coins  du  inonde  ,  et 
qui  ont  tous  mêmes  mœurs  ,  mêmes 
façons  d\iimer  et  de  combattre  , 
même  sorte  de  civilité,  mêmes  no- 
tions de  la  vertu  et  du  vice  ,  etc.  Ces 
critiques  étaient  fort  raisonnables; 
mais  loin  de  justilierleGeb//2>'Zcr,elles 
eu  faisaient  précisément  rcssortirl'in- 
vraisemblance  des  aventures  et  l'ab- 
sence de  toute  couleur  locale  (5).  Les 
chagrins  que  le  métier  d'aristarque 
avait  attirés  à.  Villars  ne  l'emjjè- 
chèreut  pas  de  composer  encore,  dans 
l'année  1G71,  une  Critique  de  la 
Bérénice  de  M.  Racine,  et  de  M. 
Pierre  Cormille.  M'"»',  de  Sévi- 
gué  ,  qui  ne  rendait  pas  justice  à  Ra- 
cine, parle  fort  avantageusement  de 
ce  pamphlet:  «  Seulement,  dit-elle, 
»  il  y  a  cmq  à  six  mots  qui  ne  valent 
))  rieu  du  tout,  et  même  qui  sont 
»  d'un  homme  qui  ne  sait  pas  le 
»  monde.  Cela  fait  quelque  peine; 

(5)  On  troiivp  l'analyse  du  GéomrUr  dans  [es 
Lellivs  sérieuses  cl  batlincs  de.  Laliàire  do  Beau- 
tiiai'chais ,  t.  II. 


VIL 

»  mais  comme  ce  ue  sont  que  quel- 
»  ques  mots  en  passant,  il  ne  faut 
'>  j)oints'en  otlenser.  Je  regarde  tout 
»  le  reste  ,  et  le  tour  qu'il  donne  à 
»  cette  critique  ;  et  je  vous  assu- 
»  re  que  cela  est  joli  (6).  »  Cor- 
neille ne  répondit  point  à  l'abbé 
de  Villars  ,  et  Racine  ne  le  fit  qu'en 
passant,  dans  sa  préface  de  \ol Béré- 
nice [n).  L'avocat  bel-esprit  Subli- 
gny  (  r.  ce  nom,  XLIV  ,  i38  )  se 
chargea  de  réfuter  en  détail  la  criti- 
que de  l'abbé  de  Villars  ,  qui  se  trou- 
ve réimprimée  avec  la  réfutation 
dans  le  Recueil  de  dissertations  sur 
plusieurs  tragédies  de  Corneille  et 
de  Racine ,  par  l'abbé  Granet  (  Pa- 
ris ,  1740  )•  Les  Entretiens  d  Aris- 
te  et  d'Eugène ,  parle  P.  Bouhours, 
trouvèrent  dans  l'abbé  de  Villars  un 
apologiste  moins  heureux  que  zélé  (8) 
contre  l'auteur  des  Sentiments  de 
C/e'rt/if/if.  Les  cinq  dialogues  intitulés 
De  la  délicatesse  {  Paris,  i6nj  ), 
qu'il  lit  imprimer  sur  ce  sujet ,  n'eu- 
rent d'autre  résultat  que  de  lui  atti- 
rer ime  réplique  victorieuse  de  la 
part  de  Barbier -d'Aucour  ff))  ( /^. 
ce  nom  ,  lll  ,  34H  ).  L'abbé  de 
Villars  publia  vers  le  même  temps  : 
I.  Réjlexions  sur  la  vie  de  la  Trap- 
pe. IL  Lettre  contre  M.  Arnauld. 
IlL  Critique  des  pensées  de  M.  Pas- 
cal. On  voit,  d'après  ces  titres,  que 
l'auteur  fut  un  adversaire  bien  pro- 
noncé des  solitaires  de  Port-Royal, 
Ces  écrits  eurent  dans  leur  nouveauté 


(d)  Lctireà  M'"'',  de  Grignan,  du  iliscpt.  1671. 

(7)  ^"y-  cette  préCace,  dans  laquelle  Racine  ne 
manque  pas  de  tomber  sur  les  chu/  à  six  mois  qui 
ne  l'aUril  rien  ,lu  Iciil ,  signales  par  le  bon  goût  de 
M""",  de  Si'vigné,  tels  «juc  Mesdemoiselles  mes  rè- 
gles,  des  hélas  de  poclie ,  etc. 

(8)  C'est  le  jugement  qu'en  portait  La  Monnoie  , 
cité  par  Ménage  dans  la  préface  de  la  seconde  par- 
lie  des  Observations  sur  la  langue  française.  Voy. 
encore  Baillet,  Jugements  des  savanTs ,  lom.  II , 
article  -58  :  Bouhours ,  considère'  comme  gram- 
luairieu. 

{(\\  Voy.  la  première  lettre  de  la  seconde  partie 
des  Sentimenls  de  Cléantlie. 


VIL 

quelque  succès  ,inais  ils  sont,  à  juste 
titre,  complc'tcraeut  ignorés  aujour- 
d'hui. 1!  n'en  est  pas  demènie  des  sept 
nouveaux  Entreliens  sur  les  scien- 
ces secrètes ,  qui  ne  furent  imprimes 
qu'en     i  "j  1 5  ,     quarante  -  deux   ans 
après  la  mort  de  leur  auteur  ,  pour 
faire  suite  aux  Entretiens  du  cumte 
de  Gabalis  (lo).  Dans  ce  pamphlet, 
Villars  tourne  habilement  en  ridicule 
la  philosophiedeDescartes,  ou  plutôt 
l'abus  qu'en  faisaient  certains  disci- 
ples qui  allaient  beaucoup  plus  loin 
que  leur  niaîlre.  Il  met  en  scène  un 
de  ces  adeptes,  sous  le  nom  de  Jo- 
hannes  Brimas  (  Jean   le    Brun  ). 
'Ce  pédant    ridicule  abonde   de    la 
manière  la   plus  divertissante  dans 
toutes  les  erreurs  de  la  philosophie 
cartésienne ,    qui ,    selon  lui  ,   raè- 
rile    d'autant    plus    d'admiration  , 
qu'elle  est  plus  contraire  aux  ve'rite's 
(|Me  la  religion  enseigne,  et  qu'ainsi 
elle  laisse  à  la  foi  tout  son  mérite, 
en  lui  laissant  toute  son  obscurité'. 
Établir  les  vérités  de  la  foi  par  la 
philosophie ,   ce  serait   changer  le 
christianisme  en  pe'rijiatétisme  ,  et 
transporter  la    croix  du  cahaire 
dans  l'académie.  Cet  ingénieux  per- 
siflage montre  quel  était,  à  la  lin  du 
dix-septième  siècle,  l'état  de  la  ques- 
tion au  sujet  de  la  philosophie  de 
Descartes.  On  y  voit  quelles  armes 
dangereuses  le  zèle  mal  éclairé  di- 
rigeait alors  contre  ce  grand  hom- 
me ;  et  sous  ce  rapport,  l'abbé  de 
Villars  paraît  d'autant  moins  excu- 
sable^ qu'à  en  juger  par  ses  écrits  il 
était  assurément  moins  bon  chrétien 
que  Descartes.  Pascal  n'est  pas  non 
plus  ménagé  dans  ces  dialogues,  qui 


VIL  557 

sont  un  modèle  de  style,  de  discus- 
sion et  d'excellente  2)laisanteric. 
L'abbé  de  Villars  était  d'un  âge  à 
mûrir  son  talent,  et  à  lui  donner  une 
direction  plus  estimable ,  lorsqu'il 
périt  assassiné,  en  1678,  sur  la 
route  de  Lyon  :  il  avait  à  peine 
trente-huit  ans.  Des  plaisants  pré- 
tendirent que  c'étaient  les  gnomes 
et  les  sylphes  qui  avaient  fait  ce 
mauvais  parti  à  l'auteur  du  Comte 
de  Gabalis  (11),  pour  le  punir 
d'avoir  révélé  leurs  mystères.  11  y 
eut  des  gens  qui  le  crurent  de  bonne 
foi  :  c'étaient  ceux  qui  avaient  eu  la 
simplicité  de  prendre  au  sérieux  ses 
révélations  (  1  '2).  D — r — r. 

VILLARS  (  Dominique  ) ,  bota- 
niste, était  né  le  1 4  novembre  1 745 
dans  un  liameau  du  Gapençois,  ion- 
dé  par  ses  ancêtres,  dont  il  a  retenu 
le  nom  ,  et  dépendant  du  village  du 
Noyer.  Son  père  lui  lit  apprendre  à 
lire  et  à  écrire.  Le  curé  de  la  parois- 
se, augurant  bien  de  ses  dispositions, 
se  chargea  de  lui  enseigner  les  élé- 
ments du  latin ,  et  il  reçut  d'un  ar- 
penteur des  leçons  de  géométrie.  A 
quatorze  ans  ;,  ayant  eu  le  malheur 
de  perdre  son  père,  il  se  trouva  dans 
la  nécessité  d'abandonner  ses  études 
pour  se  mettre  à  la  tête  de  la  ferme 
dont  le  produit  faisait  vivre  sa  fa- 
mille. Comme  il  devait  succéder  à 
son  père  dans  la  charge  de  grellier 
de  la  commune ,  on  l'envoya  chez  un 
notaire,  pour  y  apprendre  à  rédiger 
les  actes  les  plus  usuels.  Il  y  trouva 
]e  Miroir  de  beauté  de  Louis  Guy  on 
(  F.  ce  nom  )  ;  et  la  lecture  de  cet 


(10)  Cette  édilion  est  d'Amsterdam,  2  vol.  in- 
Iï,i7i5.  Après  les  cincj  Entretiens  du  comte  de 
Oahatia  ^  se  b'ouvent  les  Génies  assistants  ,  et  gno- 
mes irrét  oncitiahles  ,  imitation  pito^fable ,  e|ui  est 
du  P,  Antoine  Aiidrol ,  c^iestin. 


(11)  On  lit  dans  la  Bibliothèque  des  théâtres  , 
par  Maupoint  ,  Paris,  783  ,  in-8°. ,  le  lilrc  d'une 
comédie  eu  uu  acte  ,  iiititxile'e  le  Comte  de  Oubalis, 
sans  nom  d'auleur  ni  date  de  la  représentation. 

(12^  C'est  de  ce  même  système  que  Pope  em- 
prunta le  merveilleux  de  sa  Boucle  cie  che^-eux  en- 
levée ,  comtno  il  eu  convient  lui-même  dans  la  dé- 
dicace ûu  poème  à  M'"^.  Fermer, 


558 


VIL 


ouvrage  décida    sa    vocation   pour 
l'art  de  guérir.  Il  revint  au  Noyer , 
résolu  de  se  livrer  à  l'étude  de  la  mé- 
decine et  de  la  botanique  et  rapportant 
uuMattliiole  dont  les  planches  étaient 
enluminées.  Le  peu    de   goût  qu'il 
montrait  pour  les  travaux  agricoles 
faisant  craindre  à  sa  mère  qu'il  ne 
finît  par  quitter  le  pays,  elle  imagi- 
na ,  de  concert  avec  le  curé ,  de  le 
marier ,  persuadée  que  son  épouse 
saurait  bien  le   lixer.  Villars  avait 
alors  un  peu  plus  de  seize  ans.  Pen- 
dant les  prcniières  années  de  son  ma- 
riage ,  il  justifia,  du  moins  en  par- 
tie, les  espérances  de  sa  mère;  s'il 
continuait  de  lire  et  d'étudier,  ce  n'é- 
tait qu'après  avoir  rempli  ses  de- 
voirs; mais  il  sentit  tout-à-coup  naî- 
tre sa  passion  pour  les  voyages  ,  et 
s'étaut  échappé  du  Noyer,  à  l'entrée 
de  l'hiver  [  i  "jOj)  ,  il  parcourut,  avec 
un  libr.iirc-colporleur,  le  Lyonnais, 
la  Bourgogne  ,  la  Franche-Comté  et 
la  Bresse  ,  notant  tout  ce  qu'il  ren- 
contrait de  curieux.  Ce  fut  quelque 
temps  après  cette  première  excursion 
qu'il  connut  l'abbé  Chaix  (  f^oy.  ce 
nom ,  \'  1 1 ,  <i'2G  ) ,  savant  botaniste, 
dont  les  conseils  et  les  encourage- 
ments eurent  la  plus  grande  indiience 
sur  le  re^tede  sa  vie.  En  17^9,  il  ht, 
avec  son  maître,  diverses  herborisa- 
tions sur  les  montagnes  du  Gapen- 
çois,  et  en  rapporta  des  graines  et 
des  plantes ,  dont   il   composa  son 
premier  herbier.  Dans  ses  courses , 
il  rencontra  Liotard  {F.   ce  nom, 
XXIV,  54'^  ),  botaniste  connu  par 
ses  relations  avec  J.-J.  Rousseau,  et 
il  s'établit  bientôt  entre  eux  une  ami- 
tié ,  cimentée   par   les  rapports  du 
goût  et  du   caractère.  Villars  étant 
venu  à  Grenoble  ,  en  177  i  ,  pour  y 
étudier  les  éléments  de  la  chirurgie, 
ses  talents  lui  méritèrent  la  protec- 
tion de  M.  de  Marcheval,  intendant 


VIL 

du  Dauphiué.  11  dut  à  ce  magistra: 
son  admission ,  comme  élève  intei - 
ne ,  à  l'hôpital  desservi  par  les  frè- 
res de  la  Charité,  et  une  pension  de 
cinq  cents  livres  à  titre  d'encoura- 
gement. Eu  1773  ,  il  ouvrit  un  cours 
de  botanique  pour  les  élèves  de  l'hô- 
pital ,  qu'il  continua  les  années  sui- 
vantes avec  un  succès  toujours  crois- 
sant. Il   parcourut   en  1774  1  ^vec 
Clapier  ,  médecin-botaniste  de  Gre- 
noble ,  le  Bas-Dauphinc,  la  Proven- 
ce et  le  Languedoc  ;  et ,  la  même  an- 
née ,  il   eut   l'avantage  d'accompa- 
gner  le  célèbre  Miirray  dans    son 
herborisation  à  la  grande  Chartreu- 
se. Associé  par  M.  de  IMarcheval  à 
Gucttard  et  à  Faujas  ,  qui  se  propo- 
saient d'éclaircir  l'histoire  naturelle 
du  Dauphiué,   il  visita    celte  belle 
province ,   avec   ces  deux  savants , 
pendant  les  années  177 5  et   1776. 
D'après  le  conseil  de  Guettard,  il  se 
rendit,  en  1777,  à  Paris  ,  où  il  reçut 
un  accueil  très-llatteur  des  naturalis- 
tes les  plus  distingués.  L'année  sui- 
vante, il  prit  ses  grades  en  médecine 
à  la  facultéde  Valence;  et,  sentan!  'a 
nécessité  de  s'occuper  des  intérêts  de 
sa  famille ,  il  résolut  de  retourner  au 
Noyer,  et  d'y  partager  sa  vie  entre 
la  pratique  de  l'art  médical  et  l'étu- 
de de  l'histoire  naturelle.  Heureuse- 
ment pour  la  science,  M.  de  Mar- 
cheval combattit  le projetde  Villars; 
il  porta  sa  pension  de  botaniste  à 
mille  livres  ;  et  en  1 781 ,  il  lui  fit  ob- 
tenir la  place  de  médecin  en  chef  de 
l'hôpital  militaire  de  Grenoble ,  dont 
le  traitement  était  de  huit  cents  li- 
vres.  Villars  ,    qui   ne   connaissait 
d'autre  besoin  que  celui  de  l'étude , 
se  crut  assez  riche ,   et  s'empressa 
d'appeler  sa  famille  auprès  de  lui. 
Un  jardin  botanique  ayant  été  créé 
à   Grenoble  en    1783,  Liotard  en 
eut  la  direction  ,  et  Villars  se  char- 


VIL 

gca  d'y  faire  des  cours.  En  même 
temps  qu'il  travaillait  h  propager 
dans  la  province  le  goût  de  l'histoire 
naturelle  ,  il  s'occupait  de  former 
pour  les  campagnes  des  chirurgiens 
plus  instruits.  Il  remplissait  lui  .seul 
les  fonctions  de  plusieurs  professeurs. 
Pendant  l'hiver  ,  il  explitpiail  à  ses 
élèves  les  principes  de  l'art  médical  j 
au  printemps  ,  il  les  initiait  à  la  con- 
naissance de  la  botanique;  et ,  à  l'au- 
tomne ,  il  leur  dictait  un  cours  de 
matière  médicale.  Chaque  amièe,  il 
faisait  avec  eus  des  herborisations 
dans  les  Al])es  ou  en  Suisse,  et  il 
fournissait  à  presque  toutes  les  dé- 
penses du  voyage.  A  l'époque  de  l'or- 
ganisation des  écoles  centrales,  il  de- 
vint professeur  d'histoire  naturelle  à 
celle  du  département  de  l'Isère.  Il 
fut  compris  pour  une  somme  de  quin- 
ze cents  francs  dans  la  distribution 
des  secours  accordés  aux  savants 
par  un  décret  de  la  Convention. 
L'Institut  s'empressa  de  l'inscrire  au 
nombre  de  ses  associés,  et  il  justilia 
l'honneur  que  lui  avait  fait  cette  com- 
pagnie ,  par  l'envoi  de  plusieurs  Mé- 
moires et  de  plantes  nouvelles.  Vil- 
lars  perdit  la  place  de  médecin  qu'il 
avait  remplie  vingt  ans,  avec  un  zèle 
infatigable,  par  la  suppression  de 
l'hôpital  militaire  de  Grenoble ,  en 
i8o3  ;  et  celle  de  l'école  centrale, 
qui  suivit  de  près  ,  le  laissa  sans  em- 
ploi. Mais,  en  i8o5,  il  fut  nommé 
professeur  de  botanique  et  de  méde- 
cine à  l'académie  de  Strasbourg. 
N'ayant  jamais  pu  faire  aucune  éco- 
nomie, il  se  vit  obligé  de  puiser  dans 
la  bourse  de  ses  amis  pour  subve- 
nir aux  frais  de  sou  déplacement. 
L'affabilité  de  son  caractère  ne  pou- 
vait manquer  de  le  faire  chérir  de 
ses  nouveaux  confrères.  Simple  et 
bon  ,  il  avait  toujours  jugé  les  autres 
d'après   lui  ;    et   quoiqu'il  eût    été 


,VIL  559 

trompé  plus  d'une  fois  ,  il  ne  lui  fut 
jamais  possible  de  se  défier  de  ceux 
qui  lui  montraient  de  la  bienveillance. 
Philosophe  religieux: ,  il  était  péné- 
tré de  l'idée  que  Dieu  est  témoin  de 
toutes  nos  actions  ,  et  il  se  plaisait 
à  répéter  cette  belle  maxime  de  Lin- 
né :  Numén  adest ,  innocui  vivite. 
Plein  de  reconnaissance  pour  la  pro- 
vidence dont  il  avait  reçu  dans  sa  vie 
tant  de  secours  inespérés  ,  il  se  re- 
gardait comme  un  instrument  dans 
ses  mains  :  «  Le  bien  que  j'ai  fait 
»  aux  autres  et  à  mon  pays,  disait-  ' 
»  il ,  m'a  peu  servi  ;  mais  le  mal  que 
w  mes  ennemis  ont  voulu  me  faire  a 
»  presque  totijours  tourné  à  mon 
»  prolit.  »  Devenu  doyen  de  la  fa- 
culté de  médecine  de  Strasbourg,  en 
1807,  il  fut  chargé  momentanément 
des  fonctions  de  recteur  de  l'acadé- 
mie ,  et  il  ne  négligea  rien  pour  ren- 
dre à  cette  école  son  ancienne  splen- 
deur. La  force  de  son  tempéra- 
ment semblait  lui  promettre  une 
vieillesse  longue  et  exempte  d'infir- 
mités ;  mais  une  attaque  d'apoplexie, 
dont  il  ne  put  jamais  se  rétablir  , 
l'enleva  le  27  juin  1814,  à  l'âge  de 
soixante -huit  ans.  Sentant  sa  fin 
prochaine  ,  il  écrivit  d'une  main 
tremblante  son  testament ,  dans  le- 
quel il  demande  pardon  à  ses  enfants 
d'avoir  sacrifié  leurs  intérêts  à  son 
amour  pour  les  sciences.  Après  qua- 
rante ans  de  travaux  sur  l'enseigne- 
ment ,  il  leur  laissait  pour  toute  for- 
tune avec  le  souvenir  de  ses  vex'tus 
une  bibliothèque  assez  considérable, 
et  un  herbier  que  M.  le  marquis  de 
Pina ,  maire  de  Grenoble  ,  se  pro- 
pose d'acquérir  pour  le  musée  de 
cette  ville.  Villars  était  associé  de  la 
plupart  des  académies  de  médecine 
et  des  sociétésd'agriculîure  de  Fran- 
ce ,  de  l'académie  des  sciences  de 
Turin  ,  et  de  la  société  linnéenne  de 


i6o 


VIL 


Londres.  Plusieurs  botanistes  ont 
donné  son  nom  à  des  plantes  nou- 
velles :  le  célèbre  M.  Smitli  a  nom- 
mé Fillarsia  la  Trichomanc  cana- 
diens e  ,  très -belle  fougère;  et  Ven- 
tenat  la  Menianthes  njmphoris  de 
la  classe  décandrie  de  Linné.  Les 
principaux  ouvrages  de  Villarssont: 
I.  Observations  de  médecine  sur 
une  fièvre  épidémique  qui  a  régné 
dans  le  Daupliiné  en  l'-'^get  1780, 
Grenoble ,  in-8'\  II.  Histoire  na- 
turelle des  plantes  du  Daupliiné , 
Grenoble  ,  1786  ,  4  vol.  in-8".  , 
ornés  de  05  planches ,  gravées  sur 
les  dessins  de  l'auteiu-.  La  préface 
contient  des  détails  pleins  d'inté- 
rêt sur  les  premières  années  de 
Villars,et  ses  excursions  dans  les 
montagnes  du  Daupliiné.  ^  icnnent 
ensuite  un  Dictionnaire  des  termes  de 
botanique  ,  et  un  Traité  de  cette 
science  dans  "lequel  il  développe  les 
raisons  qui  l'ont  déterminé  à  changer 
la  classiiicationadoptéepar  Linné(  i  ). 
La  description  des  plantes  est  en 
français  ,  et  la  phrase  a  toute  la  pré- 
cision du  latin.  Par  suite  de  son  ex- 
cessive modestie,  il  a  fait  imprimer 
en  tète  de  son  Ouvrage  le  jugement 
trop  sévère  qu'en  avaient  porté  les 
commissaires  de  l'académie  des  scien- 
ces, Geollroy,  Jussieu  et  l'abbé ïes- 
sier  ,  qui  furent  les  premiers  à  se 
plaindre  de  ce  singulier  abus  de  con- 
fiance. III.  Principes  de  médecine 
et  de  chirurgie ,  Lyon,  1797,  in- 
8'.  R.  Mémoires  sur  la  topogra- 
phie et  Vhistoire  naturelle ,  extraits 
des  cours  de  l'école  centrale  du  dé- 
partement de  l'Isère ,  suivis  d'obscr- 


(•)  N'ayant  «1101111  egarJ  aux  pistils  ni  aux  pro- 
poitions  respectives  des  ëtaniines  ,  Villars  rédni- 
Mt  d  moitié  la  classification  de  Linnc.  Il  créa  un 
nouveau  genre  qu'il  nomma  Berardia  ,  eu  Thon 
iMur  de  hteiTC  lierard  ,  apotbicaire  de  Grenoble  , 
Ie<{uel  a  lègue  à  In  bibliothèque  de  cette  ville  un 
£hèàfrr  holanifjue  luaiiitscrit. 


VIL 

valions  sur  la  nature  des  montagnes, 
sur  les  animaux  et  les  plantes  mi- 
croscopiques ,  sur  le  sang  et  sur  la 
(ibrinc  ;  et  d'un  troisième  Mémoire 
sur  une  fièvre  épidémique  qui  affligea 
la  commune  de  Beaurepaire  en  l'an 

10  et  l'an  ii  ,  ibid.  ,  i8o4,   in-b". 

V.  Mémoire  sur  la  construction  et 
l'usage  du  microscope,  Strasbourg, 
1806,    in-8'J.,   avec  une  planche. 

VI.  Essai  de  littérature  médica- 
le ,  ibidem,  1811,  in  -  8".  Le 
but  de  l'auteur  est  d'indiquer  à 
ses  élèves  les  ouvrages  auxquels  ils 
doivent  s'attacher  de  préférence. 
VIL  Précis  d'un  Fojage  botani- 
que fait  en  Suisse  ,  dans  les  Gri- 
sons ,  etc. ,  en  1 8 1 1  ,  Paris  ,  1812, 
in-8". ,  avec  4  planches  représentant 
des  plantes  non  décrites  jus(|u'alors. 

11  a  laissé  en  manuscrit  ['Itinéraire 
de  ses  herborisations,  in-fol.  ;  un 
Eloge  de  Liotard  ,  et  des  Mémoires 
sur  sa  vie  et  ses  travaux  ,  rédigés 
avec  une  bonne  foi  et  une  simplicité 
remarquables.  L'éloge  de  Villars  a  été 
lu  par  M.  Fotleré  a  l'école  de  mé- 
decine de  Strasbourg  ;  par  IM  Des- 
genettcs ,  à  la  rentrée  de  la  faculté  de 
Paris,  en  i8i4  ;  et  par  M.  de  La- 
doucelte  ,  en  1818  ,  à  la  société 
royale  d'agriculture.  Ce  dernier  élo- 
ge, in-8".  de  iG  pag. ,  est  précédé 
d'un  portrait  de  Villars  ,fort  ressem- 
blant, par  Lagrené.  W — s. 

VILLARS.  r.  BoiviN,  V,  34. 

VILLARS.  r.TK>DE,XLV,i3o. 

VILLARS -BUANGAS.  Fuyez 
Brancas. 

VILLAULT  (  Sieur  UE  Belle- 
fond  ),  voyageur  français  ,  fit,  en 
1666,  le  voyage  de  Guinée,  sur 
un  vaisseau  de  la  compagnie  des 
Indes  occidentales  ,  équipé  en  Hol- 
lande. Le  i3  novembre,  ce  vais- 
seau ,  nommé  V Europe  ,  mit  à  la 
voile  j  et  Villault  y  remplit  l'oillce 


VIL 

de  contrôleur.  Le  i6  décembre  , 
on  laissa  tomber  l'ancre  devant  Rio- 
fresco,  village  à  six  lieues  au  sud  du 
Gap  vert.  Le  26 ,  ou  mouilla  dans  la 
rivière  de  Sierra-Le'one.  Le  i4  jan- 
vier 166'j  ,  on  arriva  au  cap  Mesu- 
rado.  Pendant  qu'on  était  à  table 
dans  mi  village  nègre  ,  le  chef  s'a- 
vança vers  les  gens  du  vaisseau ,  et 
demanda  s'il  y  avait  quelqu'un  qui 
voulût  demeurer  avec  lui.  Villault 
répondit  qu'il  y  consentait.  Alors  le 
chef  lui  prit  la  main ,  la  mit  dans 
celle  d'une  de  ses  filles ,  et  lui  dit 
qu'il  la  lui  donnait  pour  épouse.  No- 
tre voyageur  le  remercia  beaucoup  de 
cethouneurj  mais  il  luidonna  à  enten- 
dre que  des  engagements  antérieurs 
l'empêchaient  d'en  contracter  de  nou- 
veaux. Il  n'en  fut  pas  moins  traité 
par  tous  les  nègres  qui  survinrent  d'a- 
mi et  de  parent.  On  lui  lit  boire  force 
vin  de  palmier.  Il  observa  qu'avant 
de  boire  ,  un  des  chefs  répandait  un 
|)eudevin  à  terre.  Pour  satisfaire  à  la 
curiosité  qu'il  en  marqua  ,  le  nègre 
lui  répondit  que  si  son  pèi'e,  qui  était 
mort ,  avait  soif  il  viendrait  se  dé- 
saltérer dans  ce  lieu.  D'après  des  té- 
moignages d'affection  si  positifs , 
il  est  à  croire  que  le  commerce  se 
fût  fait  avantageusement  ;  mais  les 
menées  des  Anglais,  établis  de  l'au- 
tre côté  du  cap  de  Mesurado  ,  y  mi- 
rent obstacle  ,  et  l'on  s'éloigna.  Le 
22 ,  ou  était  à  Rio-Sestos  ;  Villault 
reçut  des  nègres  des  preuves  de 
bouté,  qui  lui  font  dire  que  ces  peu- 
ples ne  sont  pas  si  méchants  qu'on 
le  croit  ordinairement.  On  longea  en- 
suite la  côte  de  Malaguette  et  celle 
desDenis,  puisla  Côte  d'Or. Le  com- 
merce achevé  dans  ces  parages  ,  le 
navire  gagna  l'île  de  San-Thomé  le 
8  mai.  Villault  obtint  seul ,  comme 
Français,  la  permission  d'aller  cou- 
cher à  terre.  On  vit  ensuite  Annobon, 

XLViii. 


VIL 


56 1 


et  l'on  fit  route  vers  l'Europe.  Le  .\ 
septembre,  on  arriva  à  Amsterdam, 
avec  une  cargaison  d'ivoire  et  do 
poudre  d'or.  Villault  publia  son 
voyage  sous  ce  titre  :  Relation  des 
côtes  d'Afrique,  appelées  Guinée, 
avec  la  description  du  pajs,  mœurs 
et  façon  de  vivre  des  habitants  . 
etc.  ,  Paris,  1669,  in- 12.  Ce  livre  est 
un  des  meilleurs  qui  aient  été  publiés 
sur  l'Afrique  occidentale.  L'auteur 
fait  preuve  de  discernement  et  de  sin- 
cérité ;  il  a  très-bien  observé  les  usa- 
ges des  nègres.  L'ouvrage  est  terminé 
par  des  remarques  tendant  à  justi- 
fier l'opinion  que  les  Français  ont 
fréquenté  les  côtes  d'Afrique ,  no- 
tamment la  Côte  d'Or,  long  -  temps 
avant  les  autres  nations.        E — s. 

VILLAVICIOSA  (Joseph  de), 
inquisiteur  espagnol ,  est  célèbre  par 
le  seul  ouvrage  de  ])oésie  qu'il  ait  pu- 
blié ,  ouvrage  placé  au  rang  des 
meilleures  épopées  héroi  -  coraique> 
de  sa  nation.  Il  naquit  à  Siguenza  . 
en  1 589 ,  et  vécut ,  dès  ses  premières 
années ,  à  Cuenca ,  son  père  s'y  étant 
transporté  pour  recueillir  un  majo- 
rai. Le  séjour  de  cette  ville  ,  sur  les 
bords  de  la  petite  rivière  Moscas  , 
contribua  peut-être  à  inspirer  au  jeu- 
ne Villaviciosa  l'idée  de  sa  Mosquea, 
ainsi  qu'il  semble  l'indiquer  dans  le 
premier  chant  de  ce  poème.  Il  exis- 
tait même  un  dicton  populaire  sur 
l'équivoque  du  nom  de  ce  ruisseau  et 
de  celui  des  mouches ,  dont  les  com- 
bats avec  les  fourmis  font  le  sujet 
traité  par  notre  auteur.  On  disait 
qu'à  Ci^enca  il  y  avait  un  pont,  pa- 
ra passar  Moscas ,  c'est-à-dire,  poui' 
passer  le  Moscas  ,  ou  pour  le  passa- 
ge des  mouches.  Villaviciosa  fit  ses 
études  à  Cuenca  ,  et  s'y  livra  d'abord 
à  la  poésie.  Diverses  compositions 
légères  furent  ses  premiers  essais  ;  et 
il  n'avait  pas  encore  vingt  -  six  ans, 
36 


->6y. 


VIL 


lorsqu'il  donna  la  Mosqiiea  ypoetica 
invenliva  en  octava  rima ,  Caenca  , 
]6i5,  iu  -  8''.,  qu'il  clrclia  à  Pedro 
Eabago ,  regidor  de  cette  ville  el  fa- 
milier du  Saiut-Oliîce.  Depuis  cette 
époque ,  il  ne  songea  plus  qu'à  des 
c'iudcs  de  droit  canonique  et  à  son 
avancement  dans  le  service  de  l'in- 
quisition. 11  prit  le  grade  de  docteur, 
exerça  la  profession  de  jurisconsulte 
à  IMadrid  ,  et  devint,  en  i6<J2  ,  rap- 
porteur du  conseil  de  l'inquisition 
générale.  Seize  ans  après ,  il  fut  nom- 
me inquisiteur  des  royaume  et  ville 
de  Murcie  et  archidiacre  d'Alcor- 
puis,  en  iG44»  inquisiteur  de  Cuen- 
ca,  place  qu'il  joignit  à  un  cancnicat 
dans  la  même  ville,  et  ensuite  à  l'ar- 
cliidiaconat  de  Moya.  11  lit  la  fortu- 
ne de  deux  neveux  de  son  nom ,  en 
résignant  à  l'un  d'eux  lui  de  ses  be- 
nc'lices ,  et  en  prenant  l'autre  pour  son 
coadjuteur.  La  faveur  dont  il  jouis- 
sait auprès  du  grand-in(|uis)teur  lui 
fit  obtenir  des  emplois  dans  leSaint- 
Ofllcc  pour  ses  deux  frères ,  et  une. 


VIL 

somme  de  quinze  cents  ducats,  pour 
réparer  les  principales  habitations  de 
son  majorât.  Il  mourut  âge'  d'envi- 
ron soixante-  dix  ans,  à  Cuenca  ,  le 
9.8  octobre  i658.  La  Mosquea  fut 
rëimprimëe  avec  soin  ,  pour  la  troi- 
sième fois,  à  Madrid,  parSancha, 
en  1777,  iu-8°.  ;  mais  on  peut  re- 
gretter que  cette  édition  ne  soit  point 
enrichie  de  notes  et  d'arguments. 
Ce  poème,  en  douze  chants,  con- 
çu dans  le  même  esprit  que  la 
Batrachomyoniachie  ,  attribuée  à 
Homère,  et  que  la  Gatomaqida  de 
Lope  de  Véga  ,  olfre  une  lecture  fort 
agréable,  tant  pour  l'originalité  spi- 
rituelle des  inventions  ,  que  pour  la 
grâce  et  la  facilité  du  style.  Il  existe 
une  Moschea  de  Théophile  Folengo 
(  Merlin  Cocaïe),  en  style  macaroni- 
que  et  en  trois  chants ,  qui  n'est  jioint 
comparable  à  celle  de  \  illaviciosa  , 
mais  qui  avait  répandu  ,  dès  le  siècle 
précédent,  la  màne  fiction  d'une  ci- 
té de  mouches,  et  de  leurs  combats 
avec  les  fourmis.  V — g — r. 


FIN    DU    QUAHANTE-UUITIEME    VOLUME. 


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